PROLOGUE
DÉCORATION DU PROLOGUE. L’heureux mariage de Sa Majesté, et la paix qu’il lui a pu donner à ses peuples, ayant été les motifs de la réjouissance publique pour laquelle cette tragédie a été préparée, non seulement il était juste qu’ils servissent de sujet au prologue qui la précède, mais il était même absolument impossible d’en choisir une plus illustre matière. L’ouverture du théâtre fait voir un pays ruiné par les guerres, et terminé dans son enfoncement par une ville qui n’en est pas mieux traitée, ce qui marque le pitoyable état ou la France était réduite avant cette faveur du ciel, qu’elle a si longtemps souhaitée, et dont la bonté de son généreux monarque la fait jouir à présent.
SCÈNE PREMIÈRE. La France, La Victoire.
DÉCORATION DU THÉÂTRE. L’heureux mariage de Sa Majesté, et la paix qu’il lui a plu donner à ses peuples, ayant été les motifs de la réjouissance publique pour laquelle cette tragédie a été préparée, non seulement il était juste qu’ils servissent de sujet au prologue qui la précède, mais il était même absolument impossible d’en choisir une plus illustre matière. L’ouverture du théâtre fait voir un pays ruiné par les guerres, et terminé dans son enfoncement par une ville qui n’en est pas mieux traitée, ce qui marque le pitoyable état où la France était réduite avant cette faveur du ciel, qu’elle a si longtemps souhaitée, et dont la bonté de son généreux monarque la fait jouir à présent.
LA FRANCE.
Doux charme des héros, immortelle Victoire,
Âme de leur vaillance, et source de leur gloire,
Vous qu’on fait si volage, et qu’on voit toutefois
Si constante à me suivre, et si ferme en ce choix,
Ne vous offensez pas si j’arrose de larmes
Cette illustre union qu’ont avec vous mes armes,
Et si vos faveurs même obstinent mes soupirs
À pousser vers la Paix mes plus ardents désirs.
Vous faites qu’on m’estime aux deux bouts de la terre,
Vous faites qu’on m’y craint ; mais il vous faut la guerre ;
Et quand je vois quel prix me coûtent vos lauriers,
J’en vois avec chagrin couronner mes guerriers.
LA VICTOIRE.
Je ne me repens point, incomparable France,
De vous avoir suivie avec tant de constance :
Je vous prépare encor mêmes attachements ;
Mais j’attendais de vous d’autres remerciements.
Vous lassez-vous de moi qui vous comble de gloire,
De moi qui de vos fils assure la mémoire,
Qui fais marcher partout l’effroi devant leurs pas ?
LA FRANCE.
Ah ! Victoire, pour fils n’ai-je que des soldats ?
La gloire qui les couvre, à moi-même funeste,
Sous mes plus beaux succès fait trembler tout le reste ;
Ils ne vont aux combats que pour me protéger,
Et n’en sortent vainqueurs que pour me ravager.
S’ils renversent des murs, s’ils gagnent des batailles,
Ils prennent droit par là de ronger mes entrailles :
Leur retour me punit de mon trop de bonheur,
Et mes bras triomphants me déchirent le coeur.
À vaincre tant de fois mes forces s’affaiblissent :
L’État est florissant, mais les peuples gémissent ;
Leurs membres décharnés courbent sous mes hauts faits,
Et la gloire du trône accable les sujets.
Voyez autour de moi que de tristes spectacles !
Voilà ce qu’en mon sein enfantent vos miracles.
Quelque encens que je doive à cette fermeté
Qui vous fait en tous lieux marcher à mon côté,
Je me lasse de voir mes villes désolées,
Mes habitants pillés, mes campagnes brûlées.
Mon roi, que vous rendez le plus puissant des rois,
En goûte moins le fruit de ses propres exploits ;
Du même oeil dont il voit ses plus nobles conquêtes,
Il voit ce qu’il leur faut sacrifier de têtes ;
De ce glorieux trône où brille sa vertu,
Il tend sa main auguste à son peuple abattu ;
Et comme à tous moments la commune misère
Rappelle en son grand coeur les tendresses de père,
Ce coeur se laisse vaincre aux voeux que j’ai formés,
Pour faire respirer ce que vous opprimez.
LA VICTOIRE.
France, j’opprime donc ce que je favorise !
À ce nouveau reproche excusez ma surprise :
J’avais cru jusqu’ici qu’à vos seuls ennemis
Ces termes odieux pouvaient être permis,
Qu’eux seuls de ma conduite avaient droit de se plaindre.
LA FRANCE.
Vos dons sont à chérir, mais leur suite est à craindre :
Pour faire deux héros ils font cent malheureux ;
Et ce dehors brillant que mon nom reçoit d’eux
M’éclaire à voir les maux qu’à ma gloire il attache,
Le sang dont il m’épuise, et les nerfs qu’il m’arrache.
LA VICTOIRE.
Je n’ose condamner de si justes ennuis,
Quand je vois quels malheurs malgré moi je produis ;
Mais ce dieu dont la main m’a chez vous affermie
Vous pardonnera-t-il d’aimer son ennemie ?
Le voilà qui paraît, c’est lui-même, c’est Mars,
Qui vous lance du ciel de farouches regards ;
Il menace, il descend : apaisez sa colère
Par le prompt désaveu d’un souhait téméraire.
Le ciel s’ouvre et fait voir Mars en posture menaçante, un pied en l’air, et l’autre porté sur son étoile. Il descend ainsi à un de ses côtés du théâtre, qu’il traverse en parlant, et sitôt qu’il a parlé, il remonte au même lieu dont il est parti.
SCÈNE II. Mars, la France, la Victoire.
MARS.France ingrate, tu veux la paix !Et pour toute reconnaissanceD’avoir en tant de lieux étendu ta puissance,Tu murmures de mes bienfaits !Encore un lustre ou deux, et sous tes destinéesJ’aurais rangé le sort des têtes couronnées ;Ton état n’aurait eu pour bornes que ton choix ;Et tu devais tenir pour assuré présage,Voyant toute l’Europe apprendre ton langage,Que toute cette Europe allait prendre tes lois.Tu renonces à cette gloire ;La Paix a pour toi plus d’appâts,Et tu dédaignes la VictoireQue j’ai de ma main propre attachée à tes pas !Vois dans quels fers sous moi la Discorde et l’EnvieTiennent cette Paix asservie.La Victoire t’a dit comme on peut m’apaiser ;J’en veux bien faire encor ta compagne éternelle ;Mais sache que je la rappelle,Si tu manques d’en bien user.Avant que de disparaître, ce dieu, en colère contre la France, lui fait voir la Paix, qu’elle demande avec tant d’ardeur, prisonnière dans son palais, entre les mains de la Discorde et de l’Envie, qu’il lui a donnée pour garder. Ce palais a pour colonnes des canons, qui ont pour bases des mortiers, et des boulets pour chapiteaux; le tout accompagné, pour ornement, de trompettes, de tambours, et autres instruments de guerre entrelacés ensemble et découpés à jour, qui font comme un second rang de colonnes. Le lambris est composé de trophée d’armes, et de tout ce qui peut désigner et embellir la demeure de ce dieu des batailles.
SCÈNE III. La Paix, La Discorde, L’Envie, La France, La Vicroire.
LA PAIX.En vain à tes soupirs il est inexorable :Un dieu plus fort que lui me va rejoindre à toi ;Et tu devras bientôt ce succès adorableÀ cette reine incomparableDont les soins et l’exemple ont formé ton grand roi.Ses tendresses de soeur, ses tendresses de mère,Peuvent tout sur un fils, peuvent tout sur un frère.Bénis, France, bénis ce pouvoir fortuné ;Bénis le choix qu’il fait d’une reine comme elle :Cent rois en sortiront, dont la gloire immortelleFera trembler sous toi l’univers étonné,Et dans tout l’avenir sur leur front couronnéPortera l’image fidèleDe celui qu’elle t’a donné.Ce dieu dont le pouvoir suprêmeEtouffe d’un coup d’oeil les plus vieux différends,Ce dieu par qui l’amour plaît à la vertu même,Et qui borne souvent l’espoir des conquérants,Le blond et pompeux HyménéePrépare en ta faveur l’éclatante journéeOù sa main doit briser mes fers.Ces monstres insolents dont je suis prisonnière,Prisonniers à leur tour au fond de leurs enfers,Ne pourront mêler d’ombre à sa vive lumière.À tes cantons les plus désertsJe rendrai leur beauté première ;Et dans les doux torrents d’une allégresse entièreTu verras s’abîmer tes maux les plus amers.Tu vois comme déjà ces deux hautes puissances,Que Mars semblait plonger en d’immortels discords,Ont malgré ses fureurs assemblé sur tes bordsLes sublimes intelligencesQui de leurs grands états meuvent les vastes corps.Les surprenantes harmoniesDe ces miraculeux géniesSavent tout balancer, savent tout soutenir.Leur prudence était due à cet illustre ouvrage,Et jamais on n’eût pu fournir,Aux intérêts divers de la Seine et du Tage,Ni zèle plus savant en l’art de réunir,Ni savoir mieux instruit du commun avantage.Par ces organes seuls ces dignes potentatsSe font eux-mêmes leurs arbitres ;Aux conquêtes par eux ils donnent d’autres titres,Et des bornes à leurs états.Ce dieu même qu’attend ma longue impatienceN’a droit de m’affranchir que par leur conférence :Sans elle son pouvoir serait mal reconnu.Mais enfin je le vois, leur accord me l’envoie.France, ouvre ton coeur à la joie ;Et vous, monstres, fuyez ; ce grand jour est venu.L’Hyménée paraît, couronné de leurs, portant en sa main droite un dard semé de lys et de roses, et en la gauche le portrait de la Reine peint sur son bouclier.
SCÈNE IV. L’Hyménée, La Paix, la Discorde, l’Envie, La France, La Victoire, Choeur de musique.
LA DISCORDE.En vain tu le veux croire, orgueilleuse captive :Pourrions-nous fuir le secours qui t’arrive ?
L’ENVIE.Pourrions-nous craindre un dieu qui contre nos fureursNe prend pour armes que des fleurs ?
L’HYMÉNÉE.Oui, monstres, oui, craignez cette main vengeresse ;Mais craignez encor plus cette grande princessePour qui je viens allumer mon flambeau :Pourriez-vous soutenir les traits de son visage ?Fuyez, monstres, à son image ;Fuyez, et que l’enfer, qui fut votre berceau,Vous serve à jamais de tombeau.Et vous, noirs instruments d’un indigne esclavage,Tombez, fers odieux, à ce divin aspect,Et pour lui rendre un prompt hommage,Anéantissez-vous de honte ou de respect.Il présente ce portrait aux yeux de la Discorde et de l’Envie, qui trébuchent aussitôt aux enfers, et ensuite il le présente aux chaînes qui tiennent la Paix prisonnière, lesquelles tombent et se brisent tout à l’heure.
LA PAIX.Dieu des sacrés plaisirs, vous venez de me rendreUn bien dont les dieux même ont lieu d’être jaloux ;Mais ce n’est pas assez, il est temps de descendre,Et de remplir les voeux qu’en terre on fait pour nous.
L’HYMÉNÉE.Il en est temps, déesse, et c’est trop faire attendreLes effets d’un espoir si doux.Vous donc, mes ministres fidèles,Venez, amours, et prêtez-nous vos ailes.Quatre Amours descendent du ciel, deux de chaque côtés, et s’attachent à l’Hyménée et à la Paix pour les apporter en terre.
LA FRANCE.Peuple, fais voir ta joie à ces divinitésQui vont tarir le cours de tes calamités.
CHOEUR DE MUSIQUE.L’Hyménée, la Paix et les quatre amours descendent cependant qu’il chante.Descends, Hymen, et ramène sur terreLes délices avec la paix ;Descends, objet divin de nos plus doux souhaits,Et par tes feux éteins ceux de la guerre.Après que l’Hyménée et la Paix sont descendus, les quatre Amours remontent du ciel, premièrement de droit il tous quatre ensemble, et puis se séparant deu à deux et croisant leur vol, en sorte que ceux qui sont au côté droit se retirent à gauche dans les nues, et ceux qui sont au gauche se perdent dans celles du côté droit.
SCÈNE V. L’Hyménée, La Paix, La France, La Victoire.
LA FRANCE, à La Paix.
Adorable souhait des peuples gémissants,
Féconde sûreté des travaux innocents,
Infatigable appui du pouvoir légitime,
Qui dissipez le trouble et détruisez le crime,
Protectrice des arts, mère des beaux loisirs,
Est-ce une illusion qui flatte mes désirs ?
Puis-je en croire mes yeux, et dans chaque province
De votre heureux retour faire bénir mon prince ?
LA PAIX.
France, apprends que lui-même il aime à le devoir
À ces yeux dont tu vois le souverain pouvoir.
Par un effort d’amour réponds à leurs miracles ;
Fais éclater ta joie en de pompeux spectacles :
Ton théâtre a souvent d’assez riches couleurs
Pour n’avoir pas besoin d’emprunter rien ailleurs.
Ose donc, et fais voir que ta reconnaissance…
LA FRANCE.
De grâce, voyez mieux quelle est mon impuissance.
Est-il effort humain qui jamais ait tiré
Des spectacles pompeux d’un sein si déchiré ?
Il faudroit que vos soins par le cours des années…
L’HYMÉNÉE.
Ces traits divins n’ont pas des forces si bornées.
Mes roses et mes lys par eux en un moment
À ces lieux désolés vont servir d’ornement.
Promets, et tu verras l’effet de ma parole.
LA FRANCE.
J’entreprendrai beaucoup ; mais ce qui m’en console
C’est que sous votre aveu…
L’HYMÉNÉE.
Va, n’appréhende rien :
Nous serons à l’envi nous-mêmes ton soutien.
Porte sur ton théâtre une chaleur si belle,
Que des plus heureux temps l’éclat s’y renouvelle :
Nous en partagerons la gloire et le souci.
LA VICTOIRE.
Cependant la Victoire est inutile ici :
Puisque la paix y règne, il faut qu’elle s’exile.
LA PAIX.
Non, Victoire : avec moi tu n’es pas inutile.
Si la France en repos n’a plus où t’employer,
Du moins à ses amis elle peut t’envoyer.
D’ailleurs mon plus grand calme aime l’inquiétude
Des combats de prudence, et des combats d’étude ;
Il ouvre un champ plus large à ces guerres d’esprits ;
Tous les peuples sans cesse en disputent le prix ;
Et comme il fait monter à la plus haute gloire,
Il est bon que la France ait toujours la Victoire.
Fais-lui donc cette grâce, et prends part comme nous
À ce qu’auront d’heureux des spectacles si doux.
LA VICTOIRE.
J’y consens, et m’arrête aux rives de la Seine,
Pour rendre un long hommage à l’une et l’autre reine,
Pour y prendre à jamais les ordres de son roi.
Puissé-je en obtenir, pour mon premier emploi,
Ceux d’aller jusqu’aux bouts de ce vaste hémisphère
Arborer les drapeaux de son généreux frère,
D’aller d’un si grand prince, en mille et mille lieux,
Egaler le grand nom au nom de ses aïeux,
Le conduire au-delà de leurs fameuses traces,
Faire un appui de Mars du favori des Grâces,
Et sous d’autres climats couronner ses hauts faits
Des lauriers qu’en ceux-ci lui dérobe la Paix !
L’HYMÉNÉE.
Tu vas voir davantage, et les dieux, qui m’ordonnent
Qu’attendant tes lauriers mes myrtes le couronnent,
Lui vont donner un prix de toute autre valeur
Que ceux que tu promets avec tant de chaleur.
Cette illustre conquête a pour lui plus de charmes
Que celles que tu veux assurer à ses armes ;
Et son oeil, éclairé par mon sacré flambeau,
Ne voit point de trophée ou si noble ou si beau.
Ainsi, France, à l’envi l’Espagne et l’Angleterre
Aiment à t’enrichir quand tu finis la guerre ;
Et la paix, qui succède à ses tristes efforts,
Te livre par ma main leurs plus rares trésors.
LA PAIX.
Allons sans plus tarder mettre ordre à tes spectacles ;
Et pour les commencer par de nouveaux miracles,
Toi que rend tout-puissant ce chef-d’oeuvre des cieux,
Hymen, fais-lui changer la face de ces lieux.
L’HYMÉNÉE, seule.
Naissez à cet aspect, fontaines, fleurs, bocages ;
Chassez de ces débris les funestes images,
Et formez des jardins tels qu’avec quatre mots
Le grand art de Médée en fit naître à Colchos.
Tout le théâtre se change en un jardin magnifique à la vue du portrait de la Reine, que l’Hyménée lui présente.