MONSEIGNEUR
LE COMTE
DU DAUGNION,
LIEUTENANT GENERAL
Pour le Roy aux Villes & Gouvernemens de Broüage, La Rochelle, Païs d’Aulnis, Isles & Citadelles d’Olleron & de Ré. Seul Lieutenant General des Armées Navales de sa Majesté, & Intendant general de la Marine, Navigation & Commerce de France.
MONSEIGNEUR,
Je serois plus Aveugle que celuy que je vous présente, si m’estant proposé de le faire passer pour Clair-voyant : J’empruntois d’autre que de vous de l’esclat, du jour, & des lumieres. Comme je ne croy pas que cette production soit assez puissante pour se soutenir d’elle-mesme, je n’estime pas aussi qu’elle ait si peu de force qu’elle ne puisse entreprendre un voyage de cent lieuës, pour rencontrer où vous estes un Protecteur & un Appuy. Quelques vers que je vous ay desja presentez s’estans trouvez à vostre goust, je ne me persuade pas qu’une composition d’un stile de pareille nature vous doive estre desagreable. L’Illustre Comte du Daugnion fait tousjours mesme accueil aux choses qui se ressemblent & qu’on luy offre avec mesme affection ; son obligeante humeur ne se dément jamais, non plus que son courage[.] A ce mot[, ] MONSEIGNEUR, commandez moy de me taire, si vous ne voulez entendre des veritez : Vous possedez parfaitement cette grandeur d’Ame & cette heroïque vertu* qui apprend aux hommes à mespriser le danger, la mort & la fortune*. C’est par ce glorieux oubly de vous mesme que vous avez si souvent donné de la terreur aux ennemis de cét Estat ; c’est par ce noble mespris de la Vie, qu’on vous a pris en tant de meslées pour le Dieu des combats, & qu’un mesme trouble ayant osté la conduitte aux Chefs, & la resolution aux Soldats, il n’est jamais demeuré personne qui osast tourner visage, pour s’assurer si c’estoit un homme qui les faisoit fuïr. Mais à vous figurer par d’autres traits* & pour arriver par degrez au rang que vous tenez aujourd’huy : Si l’on considere vostre Naissance, vous avez avec avantage cette vertu naturelle qui suit le sang, & que nous appelons Noblesse. Si l’on regarde vostre Fortune*, elle est grande, & telle qu’estant moindre elle seroit au-dessous de ce que vous meritez. Si l’on veut connaistre vostre Esprit, il en éblouït beaucoup d’autres de ses lumieres ; si l’on jette les yeux sur vostre Jugement, les évenemens ne [le] surprenent jamais : si l’on s’informe enfin de vos Employs, ils sont importans. Le plus souverain des Monarques qui vous reconnaist pour l’un des plus Illustres sujets de sa Couronne, & peut-estre pour le plus fidelle depositaire d’une partie de sa Puissance, ne vous occupe à rien que de considerable & de glorieux, où tousjours par des actions qui vont jusqu’au prodige, vous soutenez contre toutes sortes de rebelles & de factieux l’Authorité de ce Maistre qui peut tout. Quelque chose que j’aye pû dire, MONSEIGNEUR, il m’en reste à dire davantage, mais comme la Peinture n’a point trouvé jusqu’icy de traits pour bien representer la lumiere, l’Eloquence n’a point inventé de termes pour dignement loüer la vertu* ; J’achéve donc par une impuissance de poursuivre, & par la crainte de vous fascher* par où je satisferois tout le monde, permettez-moy seulement encor un mot, pour vous assurer que je prise plus que toute ma vie le peu de temps que j’ay eu l’honneur d’estre auprés de vous, & pour vous supplier de croire que je suis par naturelle inclination, & par le souvenir de vos biensfaits,
MONSEIGNEUR,
Vostre tres-humble, tres-obeissant
& tres-obligé*serviteur*, BROSSE.
Par grace & privilege du Roy donné à Paris le 10. jour de Novembre 1649. Signé, Par le Roy en son Conseil, Le Brun. Il est permis à Toussainct Quinet Marchand Libraire à Paris, d’imprimer ou faire imprimer, vendre & distribuer une piece de Theatre intitulée, L’Aveugle Clair-voyant, Comedie, du sieur Brosse, pendant le temps de cinq ans entiers & accomplis. Et defenses sont faites à tous Imprimeurs, Libraires & autres, de contrefaire le dit Livre, ny le vendre ou exposer en vente d’autre impression que de celle qu’il a fait faire, à peine de trois mil livres d’amende, & de tous despens, dommages & interests, ainsi qu’il est plus amplement porté par lesdites Lettres, qui sont en vertu du present extrait tenuës pour bien & deuëment signifiees, à ce qu’aucun n’en pretende cause d’ignorance.
Achevé d’imprimer pour la premiere fois
le 2. Mars 1650.
Les exemplaires ont esté fournis.