[Argument]
Le Roy ayant donné la Paix à l’Europe, l’Académie Royale de Musique a creu devoir marquer la part qu’elle prend à la joye publique par un Spectacle, où elle pust faire entrer les témoignages de son zele pour la gloire de cet Auguste Monarque. Elle s’y est creuë d’autant plus obligée que la protection qu’il donne aux beaux Arts les a toûjours fait joüir, pendant le cours méme de la Guerre, de l’heureuse tranquillité qui leur est si nécessaire. C’est ce qui a donné occasion à cette Tragedie en Musique. Le Theatre represente d’abord le Parnasse François. Apollon y vient avec les Muses celebrer le retour d’une paix si glorieuse à la France. [Pan](#pan-lexique) & Bacchus y arrivent en méme temps, & signalent leur joye par des Danses & par des Chants d’allegresse. Mais Apollon pour mieux divertir le plus Grand Prince de la Terre, imagine sur le champ un Spectacle, où luy-méme avec les Muses veut représenter l’Histoire de Bellerophon. Chacun sçait que ce Heros combatit autrefois la [Chimere*](#chimere), monté sur [Pegase*](#pegase), & que ce fut d’un coup de/ pied de ce Cheval que nâquit ensuite la fameuse Fontaine qui inspire les Vers, & qui a fait naître la Poësie. On ne sçait pas trop bien qui estoit le Pere de Bellerophon. Les uns tiennent que c’estoit Glaucus, les autres le font Fils de Neptune ; & c’est sur cette diversité d’opinions qu’on a formé l’intrigue de cette Piece, & l’Oracle qui en fut le nœud. Amisodar est un Personnage Episodique, fondé sur ce que quelques Mythologistes raportent sur cette Fable, qu’il y a eu une Femme nommée [Chimere*](#chimere), qui épousa un Roy de [Lycie*](#lycie), appellé Amisodar.
ACTE IV
SCENE PREMIERE
Quel Spectacle charmant pour mon cœur amoureux !
Ces Morts de tous costez étendus dans les plaines
Me sont de seurs garands de la fin de mes peines ;
Tout perit pour me rendre heureux.
Fontaines, tarissez ; embrassez-vous, Montagnes,
Brûlez, Forests ; sechez, Campagnes,
Toutes les horreurs que je voy
Son autant de sujets de [triomphe*](#triomphe2) pour moy.
Quand on obtient ce qu’on aime,
Qu’importe à quel prix ?
Que tout l’Univers surpris
Condamne l’amour extrême
Qui couste tant de sang, de larmes, & de cris,
Quand on obtient ce qu’on aime,
Qu’importe à quel prix ?
SCENE II
Il faut, pour contenter la Reyne,
Rendre le Monstre à l’eternelle nuit ;
Bellerophon au desespoir reduit
S’apreste à le combattre, & sa perte est certaine ;
Mais cette prompte mort finit trop tost sa peine.
Quand un fatal Oracle est contraire à ses vœux,
S’il ne souffre long-temps, il n’est point mal-heureux.
Puis qu’un fils de Neptune épouse la Princesse,
Laissez vivre l’Ingrat* dans ses jaloux [transports*](#transports) ;
Voir aux mains d’un Rival l’Objet de sa [tendresse*](#tendresse),
C’est tous les jours endurer mille morts.
Le laisser vivre ! O Dieux ! que faut-il que je pense ?
Je voy pour luy la Reyne s’alarmer
Lors que sa mort est preste à remplir sa vangeance.
Est-ce le haïr ou l’aimer ?
Montrez que vostre cœur ne cherche qu’à luy plaire.
Pourquoy penetrer dans le sien ?
Quand l’objet aimé parle, un Amant doit tout faire,
Et n’[examiner*](#examiner) rien.
Non, non, que mon Rival perisse,
Est-ce à moy d’empécher qu’il ne [perde*](#perdre) le jour ?
Il faut faire à la Reine encor ce Sacrifice,
Ou renoncer à vostre amour.
Tout est perdu, le Monstre avance,
Sauvons-nous, sauvons-nous.
Le Monstre approche, éloignez-vous.
Ciel, contre sa [fureur*](#fureurs) embrasse ma défense.
SCENE III
Plaignons, plaignons les maux qui desolent ces lieux
Les pleurs qu’ils font couler devroient toucher les Dieux.
Il n’est plus d’herbes dans les plaines.
Il n’est plus d’eaux dans les fontaines.
Tout perit.
Tout tarit.
Quel excés d’[ennuis*](#ennuy) !
Quelles peines !
Plaignons, plaignons les maux qui désolent ces lieux
Les pleurs qu’ils font couler devroient toucher les Dieux.
SCENE IV
Les Forests sont en feu, le ravage s’augmente,
Ce n’est partout qu’épouvante & horreur.
Du Monstre comme vous nous sentons la [fureur*](#fureurs),
Voyez cette Plaine brûlante.
Helas ! que sont-ils devenus
Ces Bois dont nous faisions nos retraites tranquilles ?
Ces Eaux qui serpentoient dans ces Plaines fertiles,
Ces Eaux, helas, ne coulent plus.
Que de tristess !
Que de sujets de larmes !
Pour adoucir le Ciel qui voit tant de malheurs,
Joignons nos soûpirs & nos pleurs.
SCENE V
Ah Prince ! où vous emporte une [ardeur*](#ardeur) trop guerriere ?
En vain à cent perils on vous a veu courir,
En vain vostre grand nom remplit la Terre entière,
Vous cherchez un Combat où vous allez perir.
Je ne vay point combattre un Monstre redoutable
Pour remplir de mon nom l’Univers étonné,
Je vais, Amant infortuné,
Finir un sort trop déplorable.
Cent fois, jusqu’à ce triste jour,
J’ai hazardé ma vie en cherchant la victoire.
Ce que j’ay fait animé par la [gloire*](#gloire),
Ne le pourrai-je faire animé par l’amour ?
Suivre un amour trop temeraire,
C’est vous livrer vous-mesme au plus funeste sort.
Accablé de mal-heurs, puis-je craindre la mort ?
Ménagez vostre vie, elle m’est toujours chere.
Par ces aimables [nœuds*](#noeuds)
Que je vous destinois avec mon Diadéme,
Par la Princesse mesme,
Accordez, accordez quelque chose à mes vœux.
Je vais faire à Neptune offrir un Sacrifice.
Allons sçavoir ses volontez,
Peut-estre il nous sera propice ?
En vain, Seigneur, vous me flattez.
Puis qu’à son Fils vous devez la Princesse,
Au moins en combattant laissez-moi faire voir
Que mon amour meritoit sa [tendresse*](#tendresse).
Ah, que je crains pour vous ce fatal desespoir !
Adieu, quand le peril ne vous peut émouvoir,
Je dois vous cacher ma foiblesse.
SCENE VI
Heureuse mort, tu vas me secourir
Dans mon mal-heur extrême.
Je cours m’offrir au Monstre asseuré de perir,
Mais je m’en fais un bien supréme.
Quand on a perdu ce qu’on aime,
Il ne reste plus qu’à mourir.
SCENE VII
Espere en ta [valeur*](#valeur1), Bellerophon, espere,
Pallas descend du Ciel pour t’ofrir son secours.
Déesse, en vain tu prens soin de mes jours,
Quand la mort seule peut me plaire.
Ton sort est marqué dans les Cieux,
Viens, monte dans ce Char, & t’abandonne aux Dieux.
Quelle horreur ! quel triste ravage !
Le Monstre redouble sa rage.
Un [Heros*](#heros) s’expose pour nous,
Dieux, soûtenez son bras, et conduisez ses coups.
Le Monstre est défait. Quelle [gloire*](#gloire) !
Bellerophon remporte la victoire.
FIN DU QUATRIEME ACTE.