SCÈNE IV. Don Fernand, Isabelle, Don Pascal, Béatrix, Guzman.
Si Don César arrive, adieu le personnage.
Sous ce nom dérobé pressez le mariage.
Qu’on découvre la fourbe après qu’il sera fait,
Volontiers, les grands mots auront eu leur effet.
Ne t’inquiète point, je jouerai bien mon rôle.
Excusez, si je suis un peu court de parole.
Pour la première fois me trouver à la Cour,
Où les mots recherchés se disent nuit et jour,
Voir de plain-pied d’abord et Beau-père et Maîtresse,
Savoir qu’ils font tous deux la même politesse,
C’est de quoi m’étonner, mais cela passera.
Mon espoir mal en train se raccommodera,
Et bientôt pour vous faire une juste harangue,
J’espère rattraper l’usage de ma langue.
Pour la première fois, si je ne vous dis rien...
Vous en dites assez, et cela va fort bien.
Embrassez-moi. Ma fille, allons qu’on se démène.
Saluez votre époux.
A-t-elle la migraine ?
Je lui vois certain air renfrogné, sérieux.
Qu’il est sot, Béatrix !
S’il l’est déjà, tant mieux.
C’est pour vous au besoin de la peine épargnée.
Beau-père, seriez-vous pour l’humeur renfrognée ?
Elle n’est nullement de mon goût.
Ni du mien.
Allons, ma belle, allons, gaiement, tout ira bien.
Puisque vous me voyez, tâchez de mettre à l’ombre
La nébulosité de ce visage sombre.
Riez, goguenardez, et vivons sans façon.
Quant à moi, je suis gai toujours comme un Pinson.
Cent jovialités me sont partout de mise,
Et si le Mariage ôtait la gaillardise,
Plutôt que ne pas rire, et danser, et sauter,
Je ferais voeu cent fois de m’encélibater.
Le mot est-il de Cour ? M’encélibater ! Peste.
Qu’il est long !
Les plus fins auraient par vous leur reste...
Quel éveillé !
J’ai cru qu’il eût été trop plat,
De dire simplement, suivre le célibat.
J’aime le style haut. Enfin à la bonne heure
Vous riez. Elle en est plus aimable, ou je meure.
Guzman, vois-tu ces yeux de feu tout pétillants ?
Quand la friponne veut, qu’elle les a brillants !
Elle est le vrai portrait de sa défunte mère.
J’oublie à vous donner les Lettres de mon père.
Il est bien tourmenté des gouttes ?
Quelquefois.
Nous nous sommes connus en six cent trente trois.
Ensemble de Goa nous fîmes le voyage.
Grand commerce depuis d’écriture.
Ah, j’enrage.
Béatrix, épouser un ridicule, moi !
Lisez.
Il aime à rire, est-ce là tant de quoi ?
À Don FERNAND DE VARGAS,
à Madrid.
Si j’étais moins sujet aux attaques de la goutte, je vous aurais mené mon fils moi-même pour goûter avec vous la joie que la Noce vous donnera.
C’est un fils qui m’est d’autant plus cher, qu’il est unique.
Je l’ai toujours élevé dans la vue d’en faire votre gendre, et je suis ravi qu’en épousant votre fille, il vous fasse part des grands biens que j’ai commencé d’amasser avec vous.
Je m’acquitte par là de ce que je dois à notre vieille amitié, et meurs d’impatience que vous me donniez des nouvelles du Mariage.
Comme mon fils n’est jamais sorti de Séville, ne vous étonnez point si vous ne le trouvez pas fait à l’usage de la Cour.
Avecque les leçons du révérend beau-père,
Avant qu’il soit très peu, je prétends bien m’y faire,
En province, on ne peut qu’être provincial.
Je suis content de vous.
Ah !
Quel original !
Il vous parlera d’une affaire fâcheuse qui est de la dernière importance pour lui.
Je vous prie de l’y servir, en cas que vos soins lui soient nécessaires, et de ne point faire difficulté de lui donner l’argent dont il pourra avoir besoin.
C’est pour vous en tout temps une sûre ressource.
Employez mon crédit, servez-vous de ma bourse.
Trop d’honneur ; le Beau-père est un Homme obligeant,
Qui...
Vous ne manquerez ni d’amis ni d’argent.
Il vous porte des Lettres de Change pour la remise des vingt mille écus que vous m’avez fait toucher ici.
Donnez-moi au plutôt de vos nouvelles, et me croyez toujours,
Votre meilleur ami, Don ALONSE d’AVALOS,
Que de bonté !
Voici les lettres de remise.
Sus, mon gendre, usez-en avec pleine franchise.
Quelle est donc cette affaire où je puis vous servir ?
C’est qu’un jour... Voyez-vous, l’honneur qu’on veut ravir,
Porte souvent si loin la chaleur qu’il inspire,
Que m’étant arrivé...
Quoi ?
Que lui va-t-il dire ?
Il est des gens hargneux, qui sur les moindres cas...
Expliquez-moi la chose.
Elle ne la vaut pas
D’ailleurs, l’heur de vous voir si fortement me touche,
Que sur toute autre chose il me ferme la bouche.
Ne parlons que de joie, et jusqu’au conjungo,
Laissez-moi, s’il vous plaît, m’en donner à gogo,
Point d’affaires en jeu que celle de la Noce.
Je vous promet au reste un superbe Carrosse,
Avec six Chevaux... Là, de ces Chevaux fringants...
Pour des jupes, des points, des coiffes, et des gants,
À foison tout cela.
Rien encor ne vous presse.
Non, dites-vous ; et moi je presserai sans cesse,
À moins que ce ne soit vous choquer, car mon coeur
A déjà fait pour vous un si grand fond d’ardeur...
Pour pouvoir promptement écrire à votre père,
Demain, à petit bruit, nous conclurons l’affaire.
Vos emplettes après se feront à loisir.
Me marier demain ! Vous me ferez plaisir.
J’ai naturellement quelques impatiences.
Qu’elle est belle !
Moi ?
Plus cent fois que tu ne penses,
Follette. Pardonnez, le style est familier ;
Mais quand le lendemain on doit se marier...
Non pas si tôt.
Beau-père, on remet la partie.
Des six Chevaux fringants veut-elle être nantie ?
Tout à l’heure, on en trouve à Madrid de tout faits.
On m’a bien défendu de prendre garde aux frais
Mon père a tant de bien, que pour être aimé d’elle,
Semer dix mille écus c’est une bagatelle.
J’ai quelque diamants qui nous mèneront loin.
Vous pouvez disposer de ma bourse au besoin
Je vous l’ai déjà dit. Quant à l’hymen...
Mon père,
Vous voulez bien qu’au moins nous attendions mon frère.
Quoi, ce frère indien, Don Lope, qu’autrefois
L’Amour fit décamper ? Soleil ne vient de six mois ?
Le terme serait long.
Pas tant qu’il dût détruire...
De tout en arrivant je me suis fait instruire.
On vous fait de ce fils espérer le retour ?
Nous le verrons sans doute avant la fin du jour,
Il doit être à Madrid.
Don Lope ?
Ainsi, mon gendre,
Soyez sûr que demain, sans davantage attendre...
Eh, mon père, daignez m’accorder quelques jours.
L’insensée !
Il me faut mettre sur mes atours,
Et pour me façonner aller voir quelque Belle.
Béatrix de Guzman, j’ai des Lettres pour elle.
Inès de Vélasco, je la dois voir aussi.
Non, mon gendre, il est bon que vous restiez ici ;
La Noce pour demain. Quand vous en serez quitte,
Je prétends vous mener partout faire visite.
Volontiers, c’est le mieux d’être produit par vous.
Mon père.
Quoi, tu veux le perdre pour époux ?
Inès et Béatrix, je n’ai rien à t’apprendre.
S’il en voit une, adieu. Çà, qu’on songe à mon Gendre ;
Qu’on aille donner ordre à son appartement.
Ma fille, ayez-y l’oeil vous-même, promptement,
Que tout soit propre.
Hélas que je suis malheureuse !
Le plus grand des malheurs, c’est celui d’être gueuse.
La Béatrix pour moi ne sent-elle encor rien ?
Tout vient avec le temps, laisse faire.
Fort bien.