A TRES-HAUT ET TRES-PUISSANT PRINCE CESAR,
DUC DE VANDOSME , DE MERCOEUR, DE PENTHIEVRE, de Beaufort et d’Estampes, Prince d’Anet et de Martigues, etc. Pair de France.
MONSEIGNEUR,
Je ne vous diray point quel est ce Cleomedon, que j’ose aujourd’hui vous presenter ; Vous le connoissez, puisqu’il est né en vostre maison, et vous l’avez toujours si favorablement eslevé depuis sa naissance, qu’il ne peut plus passer pour incognu aupres de vostre Grandeur. Il est Prince, Mais il n’est pas de ceux qui n’ont besoin que d’eux-mesmes pour se conserver l’éclat d’une condition si relevee ; Sa puissance n’est pas capable de travailler toute seule à l’establissement de sa gloire, et s’il n’est secouru de l’estime, dont vous l’avez tousjours honnoré, je desespereray bien-tost de son avancement. Par cette precieuse estime il a commencé de devenir grand, et par elle seule il s’est fait mesme considerer par ces Juges severes, qui ne trouveroient rien d’heroïque au monde si vostre vertu ne s’y rencontroit pas. Continuez-lui donc, Monseigneur, cét heureux [avantage*](#avantage), et jugez apres tout qu’il est de la gloire d’un grand Prince de proteger un Prince qui ne peut subsister de lui-mesmeI. Cleomedon est né seulement pour vous plaire, permettez qu’il vive seulement pour s’avoüer de vous II; Et puis que je ne veux vivre que pour le mesme dessein pour lequel est né celui que je vous presente, permettez aussi que je puisse incessamment [publier*](#publier) que je suis,
MONSEIGNEUR,
De vostre Grandeur.
Le tres-humble, tres-obeissant, et tres-fidelle serviteur, DU RYER.
PRIVILEGE DU ROY
LOUIS par la [grace*](#grace) de Dieu Roy de France et de Navarre, A nos amez et seaux Conseillers les Gens tenans nos Cours de Parlement, Maistre des Requestes ordinaires de nostre Hostel, Baillifs, Seneschaux, Prevosts, leurs Lieutenans, et autres nos Justiciers et Officiciers qu’il appartiendra , Salut. Nostre bien amé ANTHOINE DE SOMMAVILLE, Marchand Libraire, Nous a fait remonstrer qu’il desiroit faire imprimer un Livre intitulé, Cleomedon, Trage-Comédie, ce qu’il ne peut faire sans avoir sur ce nos Lettres humblement requeranticelles. A ces causes desirant favorablement traitter ledit exposant, Nous lui avons permis et permettons par ces presentes de faire imprimer, vendre et debiter ledit Livre en tous les lieux et terres de nostre obeïssance, par tels Imprimeurs, en telles marges et caracteres, et autant de fois qu’il voudra, durant le temps et espace de sept ans entiers et accomplis, à compter du jour qu’il sera achevé d’imprimer. Faisant deffenses à tous Imprimeurs, Libraires et autres de quelques conditions qu’ils soient, tant Estrangers, que de nostre Royaume, d’imprimer, vendre ni distribuer en aucun endroit ledit Livre sans que le consentement de l’Exposant, o[u] de ceux qui auront droit de luy en vertu des presentes, ni mesme d’en prendre le tiltre, ou le contrefaire en telles sortes et maniere que ce soit, soubs couleur de fauce marge ou autre desguisement, sur peine aux contrevenans de trois mil livres d’amende, appliquable un tiers à Nous, un tiers à l’Hostel-Dieu de Paris, et l’autre tiers à l’Exposant, de confiscation des exemplaires contrefaits, et de tous despens, dommages, et interests : Mesme si aucuns Libraires et Imprimeurs de nostre Royaume, ou Estrangers trafiquans en iceluy estoient trouvez saisis des exemplaires contrefaits, Nous voulons qu’ils soient condannez en pareils amendes que s’il les avoient imprimez, à condition qu’il sera mis deux exemplaires dudit Livre dans nostre Bibliotheque publique, et un autre en celle de nostre tres-cher et feal le Sieur Seguier Chevalier, Chancelier de France, avant que pouvoir [exposer*](#exposer) ledit Livre en vente, à peine de nullité des presentes, Du contenu desquelles Nous voulons, et vous mandons que vous faciez jouïr et user plainement et paisiblement ledit Exposant, où ceux qui auront charge de luy, faisant cesser tous troubles et empeschemens si aucuns leur estoit donné. VOULONS aussi qu’en mettant au commencement ou à la fin dudit Livre un extraict des presentes, elles soient tenuës pour deüement signifiées, et que [foy*](#foy) y soit adjoustée comme à l’original. MANDONS en outre au premier nostre Huissier ou Sergent sur ce requis, de faire pour l’execution des presentes tous exploits necessaires, sans demander autre permission : CAR tel est nostre plaisir, nonobstant Clameur de Haro, Chartre Normande, prise à partie, et lettres à ce contraires. Donné à Paris le dernier jour de Decembre l’an de grace mil six cens trente-six, et de nostre regne le vingt-sixiesme.
Par le Roy en son Conseil,
Achevé d’imprimer le 21. Fevrier, 1636.
ACTE III
SCENE PREMIERE
Que m’aydera la paix qu’espere cette terre,
Si des troubles nouveaux me [gesnent*](#gesner) chaque jour ?
Que me sert d’eviter les [flames*](#flame) de la guerre
Si je meurs dans celle d’Amour ?
Il est vray que le Ciel a chassé les [tempestes*](#tempeste),
Dont nos peuples troublez redoutoient la rigueur,
Mais s’il chasse les maux qui pendoient sur nos testes,
C'est pour les cacher dans mon cœur.
Je suis dedans les [fers*](#fers), je suis dedans la [flame*](#flame),
L'un et l’autre à son tour tasche de m’estouffer,
Et j’ignore aujourd’huy si je porte dans l’ame,
Un Amour, ou bien un Enfer.
J'y porte des Enfers puisque ma plainte est vaine,
Et qu’un mal infiny me [presse*](#presser) incessamment,
Mais j’y porte l’Amour puisque j’ayme ma peine,
Et que je cheris mon tourment.
Celiante captif me vainquit par ses [charmes*](#charme),
Il combattit mon cœur, et mon cœur fut son prix,
Et ce triomphe heureux qu’il n’eust pas sur nos armes,
Il l’obtint dessus mes esprits.
Mais dedans ce triomphe où j’ay si peu de [gloire*](#gloire),
Je ne rencontre rien qui me blesse en effet,
Sinon que Celiante ignore sa victoire,
Et ne sçait pas ce qu’il a fait.
Douce [gesne*](#gesner) des cœurs, petit [Demon*](#demon) de [flame*](#flame),
Amour toujours puissant, et toujours glorieux,
Comme ton [feu*](#feu) divin brusle dedans mon ame,
Fay qu’il reluise dans mes yeux.
Mais en vain* de l’Amour j’implore cette [grace*](#grace),
Il tient toujours du sexe où s’adressent ses [coups*](#coup),
Dedans l’esprit d’un homme, il monstre de l’audace
Et se rend honteux dedans nous.
Ainsi d’un [trait*](#trait) mortel, mon ame est traversee ;
Mais quelqu’un interromp cette [triste*](#triste) pensee.
ACTE III
SCENE DEUXIESME
Ha ! Ma sœur qu’avez–vous ? Cette pasle couleur
Est le [triste*](#triste) tesmoing d’une vive douleur.
Cleomedon revient.
Est–ce un [sujet*](#sujet) de larmes ?
Quelque [triste*](#triste)
[accident*](#accident) a–il suivy ses armes ?
Il revient pour se voir mesprisé desormais,
Et pour trouver la guerre, où son bras mit la paix.
Que dites–vous, ma Sœur ? Vous m’avez [estonnee*](#estonner).
Tu sçais qu’à son départ ma [foy*](#foy) lui fut donnee.
Il me fut commandé d’en faire mon [Amant*](#amant),
Et mon amour nasquit de ce commandement.
Cependant aujourd’huy le Roy moins equitable
Donne à d’autres le prix dont il le crût capable.
Cleomedon sçait–il la volonté du Roy ?
On le mande, ma sœur, mais sans dire pourquoy
Et sans doute de peur que sur cette nouvelle
Un [genereux*](#genereux) despit ne le rende rebelle,
Et que pour se vanger ayant la force en main
Il n’excite l’orage où le temps est serain :
Ainsi le Roy le traite, et me rend criminelle,
Puisque les passions me rendent infidelle.
Il est pere, ma Sœur, il est Roy dessus nous,
Et ces deux qualitez sont excuses pour vous.
Il est pere, il est vray ; mais helas comme pere
Me doit-il obliger d’embrasser la misere ?
Et s’il est Roy, ma Soeur, les paroles des Rois
Sont-elles pas pour eux d’inviolables loix ?
Mais apres tout, ma Soeur, peut on trouver estrange
Que le vouloir du Roy vous porte à quelque [change*](#change) ?
Celuy que vous plaignez est–il de vostre [sang*](#sang) ?
Pourriez-vous sans rougir le voir en vostre rang ?
Pourriez-vous sans horreur apres tant de miseres
Partager avec lui le throsne de vos peres ?
Considerez de prés ce que vous pretendez,
Vous y gaignez beaucoup lors que vous le perdez.
Que sçait–on quel il est ? Sa naissance est secrette,
Et peut–estre son pere a porté la houlette.
Soit que ce fust mon bien, soit que ce fust mon mal,
La volonté du Roy me le rendoit esgal.
Il est vray que le [Sort*](#sort) nous cacha sa naissance,
Et qu’il en cache encor l’heureuse cognoissance
Mais si par la vertu l’on paraist des Dieux,
Cleomedon sans doute est descendu des Cieux.
Mais que je scache enfin celuy qu’on vous destine ?
L'auteur de nos [ennuis*](#ennuis) et de nostre ruyne,
Le cruel Celiante.
Hé Dieux ! Que dites–vous ?
Que mon cœur en secret reçoit de rudes coups * !
Juge ainsi des douleurs où je suis destinee.
Vous pourriez vous resoudre à ce lâche [hymenee*](#hymen) ?
Pourriez–vous conserver un [courage*](#courage) si [franc*](#franc),
Et donner vostre cœur à qui veut vostre [sang*](#sang) ?
Quoy que je considere, et qu’on me puisse dire,
Je le pourray, ma soeur, si le Roy le desire.
Vous le pourrez, ma Sœur ?
Suivre sa volonté,
C'est tout ce que je puis en cette extremité.
O Dieux ! qui l’exposez à cette Tyrannie,
Quel crime a-elle fait pour estre ainsi punie ?
Quoy vous obeyrez, aveugle à vostre bien.
Un [coeur*](#coeur) obeyssant ne considere rien.
J'auray d’assez grands biens mesme dans mon [martire*](#martire)
Si d’un si [triste*](#triste) accord vient la paix de l’Empire,
Et je croiray mon [Sort*](#sort) d’autant moins rigoureux,
Si par mes déplaisirs un grand peuple est heureux.
Que vous proffitera qu’à l’abry du tonnerre,
Un peuple vive en paix si vous vivez en guerre ?
Ce nombre de subjects dessus qui nous vivons,
Ne doit avoir la paix qu’[en] tant que nous l’avons ;
Et si quelque repos s’estend sur les Provinces,
Ce doit estre un effet de celuy qu’ont les Princes.
Voir par ses déplaisirs les autres bien–heureux
Lasse en fort peu de temps les cœurs plus [genereux*](#genereux).
Il n’importe, ma Soeur.
Ouvrez les yeux de l’ame,
Et si ce mal est peu, craignez au moins le blasme,
Apprehendez au moins qu’un infame [renom*](#renom)
[T] ache honteuseument l’honneur de vostre nom.
N'est ce pas ce Tyran dont l’ardante colere
Le rendit [alteré*](#alterer) du [sang*](#sang) de vostre pere ?
Cependant vos faveurs, plustost que vos mespris
De l’assasin d’un pere auront est[é] le prix ?
Vous ne pouvez l’aymer sans estre criminelle,
La nature deffend une amour si cruelle.
Quoy qu’un pere commande, et monstre ce qu’il peut,
On doit des-obeïr quand Nature le veut.
Suivez, suivez ses loix, elles sont honnorables,
Et si le Ciel les fit, elles sont equitables.
Faites enfin paraistre un [courage*](#courage) indompté,
Où trop d’obeyssance est une impieté.
Et pour vous delivrer d’une honte eternelle,
Ne [feignez*](#feindre) point, ma Soeur, d’estre une fois rebelle.
Que n’ay–je vostre [Sort*](#sort) ? Que n’ay-je vos [ennuis*](#ennuis) ?
C'est icy que ce [coeur*](#coeur) feroit voir qui je suis.
Mais je veux que ce Roy soit dedans vostre estime,
Et qu’Amour en ait fait vostre espoux legitime.
Croyez-vous que le peuple encore plein d’effroy,
L'ayant eu pour bourreau le reçoive pour Roy ?
Qu'il puisse voir le Sceptre en des mains detestees,
Et de son propre [sang*](#sang) encor ensanglantees ?
Penserez–vous enfin qu’un Royaume irité
Respecte le pouvoir qui l’a persecuté ?
Dequoy qu’on flatte un peuple à qui l’on fit outrage,
Rarement les bien-faits lui changent le [courage*](#courage).
Aymez Cleomedon bien plustost que ce Roy,
Gardez–luy vostre [coeur*](#coeur), gardez–luy vostre [foy*](#foy),
Fust–il d’un rang plus bas qu’on esleve le nostre,
Sa bassesse vaut mieux que la grandeur de l’autre.
Pour moy qui n’ayme rien que ma soeur et l’Estat,
Qui croirois autrement commettre un attentat,
Je croirois consentir mesme à vostre martyre,
Si du moins mon discours : Mais elle se retire,
Et laisse dans mon [coeur*](#coeur) trop vivement atteint
Beaucoup plus de tourment que je n’en ay dépeint.
Que mon [Sort*](#sort) est estrange et bien peu desirable,
Je veux rendre odieux tout ce qui m’est [aymable*](#aymable),
Et croirois avoir fait un [coup*](#coup) plus glorieux
Si je pouvois le rendre à moy–mesme odieux.
Mais en [vain*](#vain) contre luy j’use de ce langage,
Plus je veux en parler, moins mon mal se soulage,
Et pour me chastier des discours que je tiens,
Il semble que l’Amour renforce mes liens.
Je voy mes maux presens, je [descouvre*](#descouvrir) mes [gesnes*](#gesner),
Je resiste souvent, et veux rompre mes [chaisnes*](#chaisne) :
Mais, helas ! En ce point mes [veux*](#veux) sont superflus,
A peine ay-je voulu que je ne le veux plus.
Je cognoy cependant que mes plaintes sont vaines,
Et que le desespoir couronnera mes peines ;
Que pourroit esperer ce [coeur*](#coeur) infortuné,
S'il court apres un bien qu’on a des-jà donné ?
ACTE III.
SCENE TROISIEME.
Par quel injuste effet de [fureur*](#fureur) ou d’envie,
Trouveray-je la Mort où j’attendois la vie ?
Apres tant de perils à ma constance offers,
J'ay crû monter aux Cieux, et je tombe aux Enfers.
Est-il donc [arresté*](#arrester) par vos loix inhumaines,
Qu'un autre aura mon prix, et que j’auray ses peines ?
Quelle injustice ordonne un si lache attenttat ?
Il n’en faut point chercher dans les raisons d’Estat.
Je viens de voir le Roy, dont l’accueil favorable
Me peut faire douter d’un [sort*](#sort) si deplorable.
Ne vous a il rien dit ?
Rien, sinon que ce soir
Pour un point important j’allasse le revoir.
Helas !
Que dites-vous ?
Helas ! il faut me taire,
Et dire seulement, c’est mon Roy, c’est mon Pere.
Qu'avez-vous resolu ?
Je ne te puis hayr,
Je t’ayme, je te plains, mais je dois obeyr.
Donc on m’aura donné l’esperance si belle,
Pour rendre en me l’ostant ma peine plus cruelle ?
Si j’avois de l’Estat choqué le fondement,
Me pourroit-on punir d’un plus rude tourment ?
Faits à tes déplaisirs un peu de resistance,
Pour mon soulagement faits voir de la constance :
Et vainquant la douleur qui te va [surmonter*](#surmonter),
Monstre à tes ennemis que tu sçais tout dompter.
Ha ! Madame, pour vous rien ne m’est impossible,
Je puis vaincre pour vous ce qui fut invincible ;
D'un throsne tresbuchant je puis porter le [faix*](#faix),
Aux Empires troublez je puis rendre la paix :
Bref par tout où le Ciel environne la terre,
Je puis pour vous esteindre ou r'allumer la guerre :
Mais vaincre mon amour, estouffer mes [ennuis*](#ennuis),
Et vivre enfin sans vous, c’est ce que je ne puis.
J'ay nourry sans espoir une amour legitime,
Tant que mon esperance eust passé pour un crime ;
Mais depuis que le Roy me permit cét espoir,
Je ne sçaurois sans luy, ny vivre, ny vous voir.
Je sçay que vostre plainte a beaucoup de justice,
Mais il est juste aussi qu’une fille obeïsse.
Et j’ayme mieux enfin que ce cœur soit blasmé,
D'avoir trop obey, que d’avoir trop aymé.
Hé bien ! obeyssez ; j’estois un temeraire
Quand je vous contemplois ainsi que mon [salaire*](#salaire).
Et vostre obeyssance est la punition
Que le Ciel preparoit à mon ambition.
Vous avez triomphé de mon ame asservie,
Tenez voilà dequoy, triomphez de ma vie,
Punissez justement ce cœur audacieux,
D'avoir crû que la Terre estoit digne des Cieux.
Ou si vous pardonnez une si belle offense
Donnez-moy le trespas pour une recompence,
Je receuvray la Mort qui me viendra de vous,
Non comme un chastiment, mais comme un prix bien doux.
Achevez aujourd’huy les jours d’un [miserable*](#miserable),
La mort qui nous soulage est toujours desirable,
Pour le prix des [travaux*](#travaux) qu’on me vid endurer
Je ne veux que le mal dont j’ay sçeu vous tirer.
Faites donc de ma mort, mon prix ou mon supplice,
Et si l’œil m’a blessé, que la main me guerisse.
Adieu ; va voir le Roy ; voicy la fin du jour,
Monstre lui du respect, et cache mon amour.
Resiste prudemment à ce malheur extreme,
Et lors que tu me perds ne te perds pas toy-mesme.
Tout le soulagement que j’espere en mes [fers*](#fers),
C'est de pouvoir me perdre alors que je vous perds.
Hà ! Princesse [arrestez*](#arrester), non pour vouloir m’entendre,
Mais pour brusler ce cœur jusqu’à le mettre en cendre ;
Et puisque pour jamais je vous perds en aymant,
Soyez encore à moy pour le moins un moment.
Mais je demande en vain* cette [grace*](#grace) legere,
On me refuse tout si ce n’est la misere :
Je n’ay chassé les maux de cét Estat troublé
Que pour en voir mon cœur incessamment comblé.
Mon [sort*](#sort) en tout estrange est doux à tout le monde,
Et pour moy seulement en malheurs il abonde.
Je me suis preparé les maux dont je me plains,
J'ay mis dedans mon bien l’ennemy que je crains.
J'ay fait un Roy captif, j’en attends de la [gloire*](#gloire),
Il jouyt cependant du prix de ma victoire ;
Et par l’injuste effet d’une ingrate rigueur,
La [gloire*](#gloire) est au vaincu, la honte est au vainqueur.
Hà ! ma douleur se rend si vive et si certaine,
Que s’il est un Enfer on y souffre ma peine.
ACTE III
SCENE QUATRIESME
A la fin vos conseils l’emportent de dessus moy,
Je cede à vos raisons, et m’en faits une loy.
Par cét heureux [hymen*](#hymen) deux couronnes unies,
De nos mauvais destins vaincront les tyrannies.
Par lui dans nos Estats on verra desormais
Renaistre heureusement l’abondance et la paix.
Bien qu’à Cleomedon ma promesse m’engage,
Bien qu’il en ait receu ma parole pour [gage*](#gage),
Je sçay bien neantmoins que ses affections
Se regleront tousjours par mes intentions :
Qu'il a bien plus d’amour pour le bien de l’Empire,
Qu'il n’en a pas receu des yeux de Celanire ;
Et que pour voir l’Estat d’[inquietude*](#inquietude) franc
Avecques Celanire il donneroit son [sang*](#sang).
Un cœur vrayment guerrier ne veut rien que la [gloire*](#gloire),
Que l’on peut recueillir d’une illustre victoire.
L'honneur est le seul bien qui le peut rendre heureux,
Et s’il demande plus il n’est pas [genereux*](#genereux).
Si de Cleomedon vous [prisez*](#priser) le [courage*](#courage),
Sire, ne croyez pas qu’il veüille davantage*.
Mais le voicy qui vient.
ACTE III
SCENE CINQUIESME
Il est temps desormais
De te communiquer le dessein de la paix.
La guerre a trop fait voir de maux et de carnages,
Il est temps que la paix dissipe tant d’orages.
Sans elle un Sceptre d’or, est un Sceptre de fer,
Sans elle un grand Royaume est au monde un enfer :
Bref l’Estat est un corps d’une grandeur enorme,
A qui la seule paix donne une belle forme.
Or sans attendre un jour que le victorieux
Nous en fasse à son gré des traitez odieux,
Sçachant que nos [sujets*](#sujet)l’ont toujours souhaitee,
Pour le commun repos nous l’avons [arrestee*](#arrester);
D'autant plus librement que pour nostre interest,
Nous lui pouvons donner telle loy qu’il nous plaist.
Il est vray qu’un grand Roy doit calmer les [tempestes*](#tempeste),
Et borner par la paix le cours de ses conquestes.
Alors qu’elle se donne on la doit accepter,
Et qui ne la prend pas ne la peut meriter.
Mais bien que par sa force un peuple ressuscite,
Il ne faut pas pourtant que l’on la precipite.
Il faut pour l’asseurer un ferme fondement,
Et qui se haste trop le trouve rarement ;
Alors que sa naissance est trop precipitee,
D'abord elle est plaisante, à la fin detestee,
Comparable aux fruits verts que l’œil a souhaitez,
Et qu’on jette aussi tost que l’on les a goustez.
Sire, dedans l’Estat où le Ciel vous asseure,
La paix dont vous parlez est de cette nature.
Pour la precipiter, qu’aura-elle de doux ?
Ne courrez point apres puis qu’elle vient à vous,
Et que dans peu de temps une entiere victoire
Vous [la] doit emmener avecques plus de [gloire*](#gloire).
Nos plus forts ennemis confus et divisez
Entrent dans les tombeaux qu’ils nous avoient creusez.
Vostre soing glorieux sçeut si bien les destruire
Qu'il ne leur reste pas la volonté de nuire.
Ils endurent les maux que vous avez soufferts,
Ils sont dans vos prisons, ou dedans les enfers,
Ou s’il en reste encore, ils vivent dans les larmes,
Ils font mieux le [rebut*](#rebut) que le but de nos armes.
Devant que de nous voir ils ressentent nos [coups*](#coup),
Et la peur qui les tuë en triomphe avec nous.
Qui pourra donc juger une paix necessaire,
Qui se fait moins pour nous, que pour nostre aversaire ?
Vos exploits [genereux*](#genereux) sont de justes tesmoings,
Que le bien de l’Empire est le but de vos soings.
Il est vray que le Ciel vous prodigue la [gloire*](#gloire),
Et que chaque dessein vous est une victoire :
Mais tandis que par tout vostre nom sans pareil,
Fait craindre autant de Rois qu’en peut voir le Soleil ;
Tandis que l’ennemy trouve ses funerailles,
Où vous trouvez la [gloire*](#gloire), et le gain des batailles,
Le peuple ruyné languit sous les imposts,
Qui nourrissent sa peine, et troublent son repos :
Et vous ne sçavez pas ce qu’endure un bon Prince,
Et combien il patit des maux de sa Province.
Le moyen qu’espuisé des thresors anciens
Il fournisse à la guerre et soulage les siens.
Peut-il entretenir une si longue guerre,
Si des tributs nouveaux ne foulent cette terre ?
Et sans faire tomber ses peuples au tombeau,
Les pourra-il charger d’un subside nouveau ?
Que sert qu’il gaigne ailleurs un Sceptre et de l’estime,
S'il void perir chez soy son peuple legitime ?
Ce n’est pas profiter, ny se conduire en Roy,
Que de gaigner ailleurs, et de perdre chez soy.
Ces raisons ont touché nostre juste Monarque,
La paix qu’il a concluë en doit estre la marque,
Son peuple la demande, il [la] donne à ses pleurs,
Et veut qu’elle succede à ces longues douleurs.
Mais parce qu’on fait peu pour un Sceptre adorable,
Si comme on fait la paix on ne [la] rend durable,
Sa Majesté choisit les plus heureux liens
Qui puissent desormais l’[arrester*](#arrester) chez les siens.
Ainsi pour nous la rendre, et parfaite et constante
Il donne Celanire au Prince Celiante.
Ha ! Sire souffrez vous qu’on couvre un attentat
Soubs ce nom specieux de maxime d’Estat ?
Qu'un traistre vous conseille une paix plus cruelle
Que les longues rigueurs d’une guerre eternelle,
Et que pour vous priver de vostre liberté
On se serve aujourd’huy de vostre authorité ?
Grand Prince, pardonnez à l’ardeur de mon zèle,
Je serois moins hardy, si j’estois moins fidelle.
On vous creuse un abysme, et vous vous y jettez,
On vend vostre Couronne, et vous y consentez ;
Sire, que faites-vous en donnant Celanire ?
N'abandonnez-vous pas, Sceptre, Couronne, Empire ?
L'ennemy n’aspira qu’à ces biens pretieux,
Qu'à vous chasser du throsne où regnoient vos ayeux,
Et pour mieux l’eslever en ce [degré*](#degre) supresme
Vos propres volontez vous en chassent vous mesme.
Il voulut vostre Sceptre, et vous l’abandonnez,
Il voulut vostre perte et vous vous ruynez,
Vous le mettez au but où l’on le vid pretendre,
Vous donnez au voleur le bien qu’il ne pût prendre,
Et lors qu’il est trop foible, et qu’il est sans vigueur,
Vous lui prestez vos mains pour vous percer le cœur.
Quoy qu’on veuille opposer au cours de cét [affaire*](#affaire),
Sert à la ruyner bien moins qu’à me déplaire ;
Je ne t’ay pas mandé pour suivre tes [avis*](#avis) :
Mais pour te faire part de ceux que j’ay suivis.
Si ce conseil est lasche, et trahit ma Couronne,
Tu peux cognoistre en moy le traistre qui le donne.
Mais bien que cette paix occupe mes esprits,
Il me souvient encor de te devoir un prix :
De tes hautes Vertus ma memoire ravie,
Me presente par tout un [tableau*](#tableau) de ta vie ;
Enfin pour m’aquitter des biens que je te doy,
Sçache, Cleomedon, que ma fille est à toy.
Ha ! Sire, un si beau prix surpasse mes [services*](#service),
Vous me comblez d’honneur autant que de delices ;
Et monstrez par le bien dont vous me faites part,
Qu'il vaut mieux vous servir que regner autre-part.
Mais bien qu’à mon malheur on vienne icy de dire,
Que pour avoir la paix vous donnez Celanire,
Je veux croire pourtant que j’ay mal entendu,
Puisque par vous enfin mon espoir m’est rendu.
Je puis suivre aysément l’une et l’autre entreprise,
L'un aura Celanire, et vous aurez Belise.
Ha ! Sire, ce n’est pas ce que l’on m’a promis,
Si je demande trop, vous me l’avez permis ;
Et si d’un temeraire on m’impute le crime,
Vostre promesse en est l’excuse legitime.
N'oppose point d’obstacle à mes intentions,
Que je donne pour regle à tes pretentions.
Donc pour recompenser tant d’illustres services,
Vous me prefererez l’autheur de vos supplices.
Il ne vous souvient plus qu’il fut vostre bourreau,
Qu'il fut de cét Estat le tragique [flambeau*](#flambeau),
Et que de tous costez mille horreurs manifestes
Sont de ses passions les repliques funestes.
Là des tombeaux affreux touchent les yeux troublez,
Icy les ossemens, pesle-mesle assemblez.
Là parmy le debris des Palais plus [superbes*](#superbe),
L'on void avec effroy de la cendre et des herbes :
Bref de tant d’ornemens l’Empire est dépourveu,
Qu'on croid avoir songé ce que l’on en a veu.
C'est de lui toutesfois d’où ce mal prit naissance,
C'est un cruel effet de sa seule puissance ;
C'est luy qui vous perdit, et c’est luy desormais
Que vous recompensez des maux qu’il vous a faits.
N'apprehende-t’on point que cette terre s’ouvre,
Qu'elle redonne au jour tant de morts qu’elle couvre,
Et que leur noble [sang*](#sang) qui fut versé pour nous,
Justement r'[animé*](#animer) s’esleve contre vous ?
Je pense desjà voir leur troupe infortunee,
Qui vous vient reprocher ce cruel [hymenee*](#hymen),
Et que par le dessein de cét injuste accord
Elle souffre aux Enfers une seconde mort.
N'eslevez pas plus haut ce [superbe*](#superbe) langage,
Qui vous nuit aujourd’huy tout autant qu’il m’outrage,
Vous l’opposez en vain* au dessein que j’ay fait,
Ce que j’ay resolu doit avoir son effet ;
Je vous donne Belise, et le bien de l’Empire
Veut qu’enfin Celiante obtienne Celanire.
Adieu, soyez [content*](#contenter), ne vous plaignez de rien,
Puis qu’estant offençé je vous traite si bien.
Peut-estre qu’en ce point on me croira peu sage,
De donner un [salaire*](#salaire) à qui me fait outrage.
Bien que l’heureux [succez*](#succes) qui suivit mes combats,
Vous esleve plus haut que vous ne fustes bas,
Que malgré la [fortune*](#fortune) à vos vœux endormie,
Je [captive*](#captiver) en vos [fers*](#fers) la puissance ennemie,
Je confesse pourtant que ma fidelité
Est au dessous du prix que l’on m’a presenté,
Et de peur que l’Estat vous estime peu sage
De donner un [salaire*](#salaire) à qui vous fait outrage,
Comme indigne de biens et de prosperitez,
Je refuse l’honneur que vous me presentez
Soit que je vive encor, soit enfin que je meure,
Si je vous ay servy la [gloire*](#gloire) m’en demeure :
Et pour le prix qu’on doit au secours de ce bras,
Je me veux [contenter*](#contenter) d’avoir fait des ingrats.
J'auray d’assez grands biens, tant que j’auray l’espee,
Qui remit dessùs vous la Couronne usurpee.
Si je veux des Estats où le monde en aura,
Vous en ayant sceu rendre elle m’en donnera.
Achevez cét [hymen*](#hymen) pour le bien de l’Empire,
Au repos du Pays consacrez Celanire :
Mais je veux bien qu’on sçache apres tant de rigueur,
Qu'on ne l’aura jamais tant que j’auray ce cœur,
Et que pour obtenir cette illustre conqueste,
Il faut qu’en [mariage*](#mariage) on luy donne ma teste.
Osez-vous insolent, indigne de mon soing,
D'un semblable discours me rendre le tesmoing ?
A mes justes [fureurs*](#fureur) desrobe ta preference.
Te laisser impuni c’est une recompence :
Et pour vaincre l’orgueil, où je te voy monté,
Esclave, souviens-toi que je t’ay rachepté.