Vous allez donc enfin signer les articles de votre mariage.
Là, vous sentez-vous la main assez ferme ?...
Je ne sais.
Je ne sais !
Ouais !
Ce je ne sais présage une rechute d’incertitude.
Ma chère Olivette, apprends ce qui m’effraye.
Voyons.
J’ai fait un songe épouvantable.
J’ai vu deux pigeons qui sortaient d’un colombier...
Deux pigeons qui sortaient d’un colombier !
Voilà un commencement de rêve qui fait trembler.
Ils se sont arrêtés dans un champ.
La femelle caressait le mâle, qui, bien, loin de répondre à ses caresses, lui a donné deux coups de bec en fureur, et s’est envolé.
Ah !
Le vilain mâle !
Ce spectacle m’a réveillée.
J’ai regardé mon longe comme un avis que- le ciel ; me donne de me défier des hommes.
Je ne signerai point le contrat.
Je veux auparavant essayer encore le coeur d’Octave, et lui demander un délai.
Tu me connais.
Tu sais que j’ai pour le mariage une répugnance naturelle.
Oh !
Dites surnaturelle, s’il vous plaît.
Tes plaisanteries sont hors de saison.
J’aime Octave, mais je ne veux pas être malheureuse.
Je devine ce qui vous fait perdre patience.
Vous craignez que le retardement de mes noces ne recule les vôtres ; mais rassurez-vous, mademoiselle Olivette.
Vous pouvez, dès aujourd’hui, épouser Arlequin.
Ah !
Voilà monsieur Minutin, mon flegmatique notaire !
Et voici le brusque monsieur Francoeur, marchand de rubans.
Ce sont deux caractères bien opposés.
Que la peste la crève !
Qui donc, monsieur Francoeur ?
De qui parlez-vous ?
Hé, parbleu !
C’est de ma femme !
Ah !
Ah !
Vous en êtes occupé agréablement.
Il faut avoir de fortes raisons pour parler de Qa femme dans de pareils termes.
Assurément.
Heu !
Le vilain pigeon !
Qu’a-t-elle donc fait, monsieur Francoeur ?
La maudite femme devrait être déjà ici, et vous avoir apporté vos rubans.
Quoi !
C’est pour cela que vous êtes si fort irrité contre elle ?
C’est là le sujet de votre colère !
Comment, ventrebleu !
N’ai-je pas raison ?
Le sujet est bien mince, monsieur Francoeur.
Bien mince, que diable, bien mince !
Je ne fais pas le doucereux ; comme-vous, moniteur Minutin.
Sans emportement.
Je veux m’emporter, moi !
Mêlez-vous de vos affaires.
Doucement, monsieur Francoeur.
N’insultez pas Monsieur Minutin, mon notaire.
Qu’il me laisse donc en repos.
Eh !
Madame, laissez tirer Monsieur Francoeur !
Je ne crains pas le feu.
Je ne crains pas le feu.
Il vous sied bien de faire le railleur.
Je me prête à la plaisanterie, monsieur Francoeur.
Oui, j’aime ma femme. Je ne l’ai jamais tant aimée.
Voilà la perle des époux.
À propos, comment se porte-t-elle, madame Minutin ?
Fort mal, là pauvre femme ; elle est à l’extrémité. Je l’ai laissée à l’agonie.
À l’agonie, Olivette !
À l’agonie !
Avec quel sang-froid il dit cela !
Le bourreau !
Voici bien un autre pigeon, ma, foi !
Quel coup de bec !
Il dit cela avec une gaieté qui me révolte.
Quels maris !
Ô ciel !
Allez messieurs, je n’ai pas besoin de vous.
Mais... votre contrat de mariage...
Ce ne sera pas pour aujourd’hui.
Vos rubans de noces...
Cela ne presse pas.
Tirez, tirez, tendres époux...
Je n’ai pas tort, comme tu vois, de m’arrêter à mon songe.
Oh !
Madame, Octave vous prépare un sort plus agréable !
Je vous en réponds.
Il me faut une autre caution que toi.
Votre couturière, madame.
Faites-la passer dans le salon au bout du jardin.
Qu’on laisse la salle à la compagnie qui viendra.
Quel heureux jour, ma chère Olivette !
Enfin, l’aimable Diamantine fixe ses irrésolutions et se livre à ma tendresse.
Je n’ai jamais été si content ; mon coeur ne peut contenir ses transports.
Pour une fille nubile, c’est penser bien extraordinairement.
Que veux-tu dire ?
Explique-toi, de grâce.
Ma maîtresse est dans le salon au bout du jardin.
Elle a fait un rêve qui l’embarrasse.
Allez lui mettre l’esprit en repos là-dessus.
Rends grâces au ciel de ce que je ne donne pas dans les songes, moi.
Tu ne m’épouserais pas, si tu croyais aux songes ?
Non.
Comment, diable !
Un rêve qu’a fait Diamantine va peut-être rompre son mariage.
Elle a vu en songe deux pigeons...
Étaient-ils à la crapaudine ?
Le mâle a donné deux coups de bec à la femelle.
Deux coups de bec.
Attendez, cela est équivoque.
J’ai vu, moi, cent pigeons de Paris, assemblés au bois de Boulogne, se donner de bonne amitié cent coups de bec.
Oh !
Le pigeon de notre rêve était en fureur ! Mais laissons cela. Seras-tu bon mari ?
Sans adieu. Je vais rejoindre ma maîtresse.
Et moi, les danseurs et les symphonistes qui doivent se rendre ici ; j’ai des ordres à leur donner de la part de mon maître...
Mais que vois-je !
C’est Scaramouche.
Eh !
Bonjour, Arlequin !
Tu es toujours dans le service, à ce qu’il me semble.
Est-ce que tu n’y es plus, toi ?
J’ai fait une fin, mon enfant.
Je suis devenu bourgeois de Paris.
Je suis confiturier.
Bel établissement, ma foi !
Voilà de ton ouvrage, apparemment ?
Sans doute.
Ce sont des fruits confits que j’apporte dans cette maison pour une noce.
J’en veux goûter, pour voir ce que tu sais faire.
À la besogne, on connaît l’ouvrier.
Hé bien, qu’en dis-tu ?
Tu es bon confiseur.
Parbleu, tu travailles à merveilles.
Et toi, de même.
Tudieu !
Vous êtes bien expéditif !
Par quelle aventure as-tu embrassé une si belle profession ?
Je vais te le dire.
Au commencement de cette année, j’entrai dans une boutique de confiturier, pour y acheter quelques petites douceurs, pour faire des étrennes.
Fort bien.
Je vois dans le comptoir una dona qui avait un petit enfant auprès d’elle, ma una dona bene fatta.
Jeune et belle ?
Là, là.
Blonde ?
Non.
Brune donc ?
Pas tout à fait.
Ses cheveux sont noirs et blancs par-ci ; par-là...
Ah !
Oui.
En demi-deuil.
Je la salue...
Je caresse le petit-enfant...
Mais, que faites-vous là ?
Mignon, mignon.
Tenez, mon fils.
Vous prenez mes confitures, je crois.
C’est que je veux donner du bonbon à l’enfant.
Hé, non, non !
Vous lui gâterez les dents...
Je vous disais donc que je salue la marchande.
Je lui demande des dragées, et je commence (vous m’entendez bien) à lui conter fleurettes.
Conter fleurettes.
Je vous entends.
Diable !
Vous êtes un fin matois.
Hé !
Hé !...
Elle m’écoute ; et pour vous le couper court, elle m’apprend qu’elle est veuve.
Je m’offre à l’épouser elle me prend au mot, et...
Oh, oh !
Vous vous plaisez diablement de ce côté-là !
Arlequin est encore, ici !
J’ai donc épousé cette veuve, et je me suis fait confiturier.
Écoutons un peu cette conversation.
Vous avez fort bien fait.
Pas trop.
Je me suis bientôt aperçu que j’avais épousé une diablesse, une...
En un mot, une femme...
Une femme.
Oui, c’est tout dire.
Rien n’est plus galant.
Elle me contrecarre sans cesse, et défait ce que je fais.
Hé, ne pouvez-vous dompter cette bête quinteuse ?
Comment feriez-vous pour cela.
Comment ?
Ventrebleu !
Je dirais à ma très honorée épouse : Regardez, ma mie, j’ai le bras vigoureux, le poignet ferme le geste vif ; Ensuite, je prendrais ma canne...
Hoïmé !
Hé bien ?
Vous prendriez votre canne.
Oui...
Oui...
Je prendrais ma canne... et... et j’irais me promener.
Rendez-moi du moins le panier.
Ô le scélérat !
Mais, voici, ce me semble, un changement de décoration.
Vous me le promettez donc, charmante Diamantine.
Oui.
Si Monsieur Pépin, mon oncle, me donne une idée du mariage qui autorise vos empressements, je vous promets de rien écouter que mon coeur.
Je vais trouver monsieur et madame Pépin.
Ils sont trop unis pour ne pas condamner vos incertitudes.
Elles ne doivent point vous offenser.
Je vous estime ; et la seule crainte de voir finir trop tôt des sentiments qui me sont chers, m’empêche de vous rendre heureux.
Ah !
Je vous proteste.
Laissons-là les protestations.
Mon oncle et ma tante me détermineront.
Ils seront bientôt ici.
Je vais au-devant d’eux.
Pardonnez-moi cette impatience.
Vous me paraissez rentrer en goût.
Que veux-tu ?
Je me suis enfin rendue aux pressantes instances d’Octave.
C’est fort bien fait à vous, Craignez de vous en repentir.
Qu’entends-je !
Toi, qui tantôt...
J’ai fait mes réflexions.
Je commence à donner dans les songes. Croyez-moi.
Voici monsieur et madame Pépin. Gare, gare !
Hé bien, qu’est-ce, ma mignonne ?
On raconte de vous des choses incroyables.
Vous voulez, dit-on, différer, votre mariage à cause d’un songe.
Un songe vous fait peur !
Ma nièce !
Quelle pauvreté !
Si vous aviez été au devin, encore passe.
Peste !
Madame Pépin a l’esprit fort !
Quand Monsieur Pépin me faisait l’amour, bien loin d’appréhender le jour de mes noces.
Madame Pépin n’acheta pas le chat en poche lorsqu’elle m’épousa.
Talaleri, talaleri, talalerire.
Ah !
Mon cher oncle !
Ce n’est rien.
N’êtes-vous point blessé, mon petit chaton ?
Non, ma poule.
Quelle union !
Oh !
Pour cela, mon oncle et ma tante vivent dans une intelligence qui fait plaisir.
Cela est véritable.
Madame Pépin est une franche brebis.
Monsieur Pépin est un vrai petit mouton.
Il y a trente-huit ans que nous vivons ensemble comme deux tourterelles.
Sans vous donner le moindre coup de bec ?
Oui, ma mie, trente-huit ans d’amour conjugal.
Vous l’entendez, belle Diamantine.
Rien n’est si charmant.
Madame Pépin !
Il y a, s’il vous plaît, quarante bonnes années bien complètes.
Monsieur Pépin !...
Eh !
Madame Pépin !
Nous nous sommes mariés en 1676.
J’en ai la note dans mon cabinet.
La note, la note !
Vous faites-là de belles observations.
Belle pièce de cabinet.
Croyez-moi, deux ans de plus ou de moins à notre âge...
Baste.
Notre temps est passé.
Parlez du vôtre, monsieur Pépin, parlez du vôtre.
Vous n’êtes plus bon à rien ; mais pour moi... suffit.
Je ne radote point encore.
Mais, que diable, vous voyez,
Oh !
Je vois, je vois que vous aimez à me contredire.
Vous avez ce défaut-là, mon mari.
Vous en avez bien d’autres, vous, ma femme.
Je ne sais comment j’ai pu durer si longtemps avec un homme aussi insupportable que vous.
Ma tante !
Vous mettez vos ridicules humeurs sur mon compte...
Monsieur Pépin.
Mes ridicules humeurs !
Ah !
Le vieux fou !
Jour de Dieu !
Je vous dévisagerais.
Souvenez-vous du chandelier que je vous jetai l’autre jour à la tête.
Montrez-vous la plus sage.
Souvenez-vous du soufflet que je vous donnai en faisant les rois.
Souvenez-vous que vous êtes marguillier.
Ne m’échauffez pas les oreilles.
Si je mets la main sur vous...
Ah !
Ç’en est trop !
Je perds patience.
Allons, monsieur Pépin, allons !
Madame Pépin !
Mon oncle !
Ma tante !
Vous voyez, Octave, quelle idée me donnent du mariage les arbitres que vous avez choisis.
J’y renonce absolument.
Et moi, tout de même.
Que je suis malheureux !
Il faut attendre un temps plus favorable pour vaincre son entêtement.
Et moi, mademoiselle Olivette, que vais-je devenir ?
Vous, monsieur Arlequin, prenez votre canne, et vous allez promener.
Le diable emporte tous les Pépin présents et à venir.
Cet impertinent ...!
Modérez-vous, ma tante.
Voici l’assemblée.
Commençons la fête préparée.
Faisons les contre-fiançailles.
Réjouissons-nous de n’avoir pas fait la sottise de nous marier.