Le Mary sans femme. Comédie.
ACTE PREMIER.
SCENE PREMIERE.
Entrez, je vais [sçavoir*](#savoir), si Celime est visible,
Elle est depuis huit jours dans un [chagrin*](#chagrin) [horrible*](#horrible),
Pour la bien [divertir*](#divertir), & faire vôtre [cour*](#cour),
Préparez-vous, dans peu je seray de retour.
SCENE II.
Ah Carlos !
Ah Julie !
Ah Marine!
Ah Tomire!
Quels [ennuis*](#ennui)!
Quels [chagrins*](#chagrin) !
J’en [créve*](#crever).
J’en soûpire !
Helas ! que nôtre sort.
Helas ! que nos malheurs !
Me va causer d’[ennuis*](#ennui) !
Me vont coûter de pleurs !
Si vous pouviez sçavoir, Julie, à quoy m’[expose*](#exposer)
Le cruel desespoir d’en avoir été cause :
Car, enfin, c’est moy seul que j’en dois accuser,
C’est moy de qui l’orgueil crut pouvoir tout oser.
De vos [ressentimens*](#ressentiment) rien ne me peut défendre ;
Ma forte [passion*](#passion) me fit tout entreprendre,
C’est moy seul ; c’est, enfin, ce trop [sensible*](#sensible) [Amant*](#amant),
Que l’amour fit résoudre à vôtre enlevement,
Pour finir mon malheur, j’ay seul causé le vôtre ;
Mais, enfin, vous veniez d’en épouser un autre,
On vous avoit forcée à prendre cet Epoux,
Vous m’aimiez tendrement, je n’[adorois*](#adorer) que vous,
Malgré ce que l’Amour m’avoit semblé promettre,
Dans son lit, dans ses bras l’[hymen*](#hymen) vous alloit mettre,
Je voyois vos [chagrins*](#chagrin), vous entendiez mes cris,
Quel autre en cet [état*](#estat) n’eût pas tout entrepris ?
Dans toutes ces raisons ne cherchez point d’excuse.
Ce n’est que mon malheur, Carlos, que j’en accuse.
Oüy, c’est moy, qui depuis cette [funeste*](#funeste) nuit,
Où [prémices*](#premice) cruels du malheur qui me suit,
Sans égard pour mes pleurs une Mere inhumaine,
Me venoit de livrer à l’[objet*](#objet) de ma haine,
Je sortois de l’Autel troublée, & dans mon [cœur*](#coeur),
Cet [hymen*](#hymen) avoit mis tant de crainte, & d’[horreur*](#horreur) ;
Que sans considerer quelle en seroit la suite,
Je crus que mon bonheur dépendoit de ma fuite.
Marine m’en [pressa*](#presser), même elle me fit voir,
Que fuïr ses Ennemis est le premier devoir,
Et ses conseils…
Allons, mettons tout sur Marine,
Voyons, qu’ay-je tant fait ? [ça*](#ca) que je m’[examine*](#examiner),
Je vous voyois tous deux desesperez, mourans,
L’un [enrageoit*](#enrager) [dehors*](#dehors), l’autre [pestoit*](#pester) [dedans*](#dedans),
L’un souhaitoit sa mort, l’autre juroit la sienne ;
Vous me fîtes pitié ; car je suis trop humaine.
Vous fûtes enlevée, il est vray, je [conviens*](#convenir)
Que j’en facilitay, de ma part les [moyens*](#moyen),
Que je vous conseillay d’aller pour cette affaire
A Cadix, où Carlos disoit avoir sa Mere ;
Et que sans moy l’[Hymen*](#hymen) alloit se [consommer*](#consommer) ;
Mais, quoy, sçavois-je moy que l’on iroit par Mer ?
Et c’est ta faute, à toy, que le malheur engraisse,
[Chien*](#chien) de [porteguignon*](#guignon), tu n’eus jamais de [cesse*](#cesse),
Que nous ne fussions tous embarquez, car enfin…
Eh ! devinois-je, moy, qu’au milieu du chemin,
Lors que l’on se croyoit le mieux dans ses affaires,
Le Vaisseau seroit pris par ces [Chiens*](#chien) de Corsaires,
Et qu’ils nous meneroient captifs au port d’Alger ?
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Doüaigne [interessée*](#interesse), [intriguante*](#intrigant) [Courtiere*](#courtier),
Il t’a toûjours falu quelque amoureux [mystere*](#mystere),
Quelque [intrigue*](#intrigue), & pour toy c’est un faire il le faut ?
Car, enfin, on le sçait, on te pendroit plûtôt,
Que tu n’eusses toûjours quelque [intrigue*](#intrigue) en campagne.
Que ne me laissois-tu vivre en paix en Espagne ;
Je me vois sans Amis, là j’en avois un cent,
J’y mangeois tous les jours comme un convalescent,
J’y riois comme un fou, j’étois gras comme un Moine,
J’y dormois en Abbé, j’y bûvois en Chanoine ;
Que ne m’y laissois-tu, Traitresse, car c’est toy,
Qui m’a mis en l’[état*](#estat) fâcheux où je me voy.
Laisse-nous en [repos*](#repos), & te tais , va Tomire.
Cela vous est facile à vous autres à dire,
Qui par bonheur pour vous instruits à bien chanter,
Sçavez dire des Airs qu’on se plaît d’écouter ;
Nôtre Patron chez luy s’en [divertit*](#divertir), & même
Tous les jours au lever de la [beauté*](#beaute) qu’il aime,
Depuis que le [destin*](#destin) sçût nous [assujettir*](#assujettir),
Vous venez par son ordre icy le [divertir*](#divertir).
Vous ne manquez de rien, vous vivez à vôtre aise,
Mais pour moy qui ne sçait rien faire qui leur plaise,
Dés qu’un leger sommeil fait place à ma douleur,
Un gros [Coquin*](#coquin) de Turc dont le diable auroit peur,
Disant cent Carachou, se montrant à ma vûë,
De dix coups de [Gourdin*](#gourdin) sans [façon*](#facon) me saluë.
Moy j’ouvre de grands yeux, n’entendant pas ces mots ;
Luy de vingt autres coups me chamarre le dos ;
Disant sursa cauvé sursa, de son ton grave,
Comme si devinant qu’on me feroit Esclave,
J’avois dû par avance exprés avoir appris,
A parler Turc, avant que le traître m’eût pris.
Pour moy je ne sçaurois perdre encor l’[esperance*](#esperance)
De revoir mon Païs.
Et sur quelle [assurance*](#assurance) ?
Sur quoy ?
Je ne sçaurois croire que vôtre Epoux,
Ou vôtre Mere n’ait quelque pitié de vous,
Vôtre Mere vous aime, & je me persuade
Que vôtre digne Epoux D. Brusquin d’Alvarade,
Etant fort amoureux avec le [bien*](#bien) qu’il a…
Enfin le [cœur*](#coeur) me dit qu’il vous rachetera.
C’est se vouloir [flater*](#flatter1) d’un espoir chimerique,
Qui leur auroit appris que je suis en Afrique ?
Je ne puis plus vous rien cacher en cet [état*](#estat),
Lors que nous fûmes pris, un certain [Renegat*](#renegat),
Touché de ma douleur voulut bien me promettre,
Que si je luy voulois donner un mot de Lettre,
Il trouveroit [moyen*](#moyen) de le faire [tenir*](#tenir).
L’as-tu fait !
La réponce en est prête à venir.
Quel [Demon*](#demon) ennemy du bonheur de ma vie,
Pour me combler de maux t’inspira cette [envie*](#envie) ?
Tu te devois sur moy remettre du [soucy*](#soucy)…
Ma foy, sauve qui peut, que [diantre*](#diantre) faire icy ?
Et de plus, franchement, puis qu’il vous faut tout dire,
Je craignois qu’en perdant l’occasion d’écrire,
Quelques Turcs, comme on sçait qu’ils n’en font pas [façon*](#facon),
Ne voulût à la fin quelque jour… que sçait-on
Ce qu’il auroit voulu ?
Elle a raison, je pense
Tenez, ces [chiens*](#chien) de Turcs n’ont point de [conscience*](#conscience).
Où ta fausse pitié nous va-t-elle [engager*](#engager) ?
Fatiman mon Patron est [Gouverneur*](#gouverneur) d’Alger,
Pour m’en faire estimer j’ay tout mis en usage,
J’esperois par mes [soins*](#soin1) finir nôtre Esclavage,
Mon Oncle…
Tout cela n’auroit rien fait pour nous,
Vôtre Oncle tout au plus n’eût racheté que vous.
Ah !
Zaïre paroît, cachez-luy vôtre peine.
SCENE III.
Celime va passer dans la chambre [prochaine*](#prochain),
Vous l’y pouvez attendre, & vous y concerter,
Dépêchez, écoutez, n’allez pas luy chanter
De ces Airs [indolens*](#indolent) qui font dormir le monde,
Sa tristesse est déja si grande & si profonde,
Que pour peu que vôtre Air soit grave & [langoureux*](#langoureux),
Son [chagrin*](#chagrin) se pourroit répandre sur vous deux.
Je vous en avertis.
Nous vous en rendons [grace*](#grace1).
Elle est depuis huit jours d’un [bourru*](#bourru) qui me passe,
Je ne la connois plus, tout luy déplaît ; Enfin
Je me vois tous les jours en [butte*](#butte) à son [chagrin*](#chagrin).
Si j’ay de l’[enjouëment*](#enjouement), elle m’appelle folle :
Si je suis sérieuse, elle m’appelle idole ;
Si je la suis partout, je la mets en [courroux*](#courroux),
Si je ne la suis point, j’ay quelque rendez-vous ;
Si je la veux servir, je fais la [necessaire*](#necessaire),
Si je ne la sers pas, on ne me voit rien faire ;
Si je dis qu’elle est bien, je me plais à [flatter*](#flatter2),
Si je dis qu’elle est mal, je cherche à [contester*](#contester) ;
Prompte, j’ay trop de [feu*](#feu) ; Lente, mon [froid*](#froid) la [gele*](#geler) ;
Enfin je ne sçay point comment vivre avec elle,
Son [chagrin*](#chagrin) se répand jusques sur ses amours,
Fatiman esperoit l’épouser dans deux jours,
Il avoit son [aveu*](#aveu), sa [passion*](#passion) est grande,
Maintenant elle dit, qu’elle veut qu’il attende,
Et que pour bien juger de ses [empressemens*](#empressement),
Elle veut éprouver son amour quelque temps.
Dés qu’il la veut presser, son [chagrin*](#chagrin) renouvelle.
Ah ! que si j’étois belle & bien faite comme elle,
Et qu’avec moy quelqu’un voulût se marier,
Je me [garderois*](#garder) bien de me faire prier.
Mais à propos, entrez, elle pourroit attendre.
SCENE IV.
Fasse le juste Ciel qu’elle se puisse rendre
Aux [feux*](#feu) de Fatiman ; si l’[Hymen*](#hymen) [concerté*](#concerter)
Se [conclut*](#conclure), il me doit donner la liberté.
Quand il donne parole, il la tient sans reserve.
Qu’a-t’elle à [differer*](#differer), il faut que je l’observe,
Pour [sçavoir*](#savoir)… Elle vient, son [chagrin*](#chagrin) me fait peur.
SCENE V.
Ah ! qu’un nouvel amour met de [trouble*](#trouble) en un [cœur*](#coeur),
Sur tout lors que l’on craint d’avoir une Rivale !
Vous alliez, disiez-vous, passer dans l’autre Salle,
Ces Gens vous attendoient pour vous y [divertir*](#divertir),
Mais puis que vous voilà, je vais les avertir.
Non, demeure.
Eh ! souffrez que je les avertisse,
De [grace*](#grace2), & trouvez bon que l’on vous [divertisse*](#divertir),
Vous avez du [chagrin*](#chagrin), il ne sert qu’à [laidir*](#laidir),
Tenez, un petit Air vous va ragaillardir,
Laissez-moy faire.
Non, avant qu’on les appelle,
Je veux t’[entretenir*](#entretenir), Zaire.
Que veut-elle ?
Tu vois icy Julie, & Carlos tous les jours,
De quel [air*](#air) la voit-il, & quels sont leurs [discours*](#discours) ?
Leurs discours ? Jamais Gens autres que des Idoles
Ne se sont [expliquez*](#expliquer) avec moins de paroles :
Tenez, voulez-vous voir, ce qui se passe entr’eux ;
De temps en temps Julie un mouchoir sur les yeux,
Pleure en [gesticulant*](#gesticuler), ensuite elle est rêveuse.
Elle pleure, gémit, rêve, elle est amoureuse,
Et que répond Carlos à cet [ennuy*](#ennui) profond ?
Luy ? tenez. Ah ! voilà tout ce qu’il luy répond.
Sans doute, ils s’aiment ; mais quand leurs douleurs s’appaisent,
A quoy s’occuppent-ils ? que font-ils ?
Ils se taisent,
Jusqu’à vôtre réveil ils sont en cet [état*](#estat),
Non jamais [entretien*](#entretien) de gens ne fut si plat,
Et je ne croirois point, sans le voir d’ordinaire,
Qu’une Femme jamais pût si long-temps se taire ;
Il faut les avertir, je vais prendre ce [soin*](#soin1),
Ils vous réjoüiront, vous en avez besoin.
SCENE VI.
N’étoit ce pas assez du [destin*](#destin) qui me [brave*](#braver),
D’avoir soûmis mon [cœur*](#coeur) à l’amour d’un Esclave,
Sans que par un malheur que je ne puis [dompter*](#domter)
La jalousie aidât à me persecuter ?
Si j’en crois leurs regards & ce qu’ils ont de [tendre*](#tendre),
Carlos… Mais cependant j’ay pû les mal entendre,
Ma [défiance*](#deffiance) peut avoir trompé mes yeux,
Et le temps & mes [soins*](#soin1) m’en [éclairciront*](#eclaircir) mieux.
Les voicy ; Pour [sçavoir*](#savoir) ce que je crains d’apprendre
Avec des yeux perçans je m’en vais les entendre.
Approchez, venez-vous, suivant mes volontez
Sur les Européens me donner des clartez,
De ces Peuples heureux révérez dans l’Afrique,
Dont on ne sçait que trop la valeur heroïque ;
Allez-vous me chanter par des tons animez
Les diverses façons d’aimer & d’être aimez ?
Nous allons vous tracer une legere image
De ce qu’en ces climats l’Amour met en usage,
Madame.
Commencez, je vais vous écoutez.
De ce qu’ils vont chanter, tâchons de profiter.
Dans ce vaste Univers sur tout ce qui respire,
L’Amour étend son empire :
Par des [ardeurs*](#ardeur) toûjours nouvelles
Le François se laisse enflâmer,
Il ne [ménage*](#mesnager) point les Belles ;
Mais il sçait s’en faire aimer.
Il signor Italien
Aime assez bien,
N’attrape rien.
Il cherche les exploits qui sont de longue haleine,
Et quand sous la fenêtre il va chanter sa peine,
La signora
Est ailleurs impedita.
Pour tout secret de l’amoureux [mistere*](#mystere)
L’Alemand sçait donner : C’est l’[art*](#art) de plaire.
Et de ne pas aimer en vain,
Il est constant toute sa vie
Et traite une Silvie
Comme un [muid*](#muid) de Vin,
Il en boit, il en boit jusqu’à la [lie*](#lie).
Aussi fidele qu’amoureux,
Aussi [tendre*](#tendre) que l’Amour même
L’Espagnol sçait seul comme on aime
Et merite seul d’être heureux.
Cette diversité de [passions*](#passion) m’[enchante*](#enchanter),
Je suis de ce concert extrêmement contente.
Vous m’avez plû : rentrez dans vôtre Appartement,
Je veux demeurer seule en ces lieux un moment.
A vouloir s’[ennuïer*](#ennuyer) c’est être [industrieuse*](#industrieux).
Revenez, je me sens aujourd’huy curieuse
Ce que je veux apprendre [importe*](#importer) à mon [repos*](#repos),
Que chacun se retire, il suffit de Carlos.
Il suffit de Carlos ! que peut-elle [prétendre*](#pretendre) ?
Au [Cabinet*](#cabinet) [prochain*](#prochain), cachons-nous pour l’entendre.
Carlos vous nous venez apprendre par vos chants
Combien dans vos Amours vos cœurs ont de penchans :
Mais vous ne m’avez point exprimé ceux des Femmes,
Vous êtes connoisseur, vôtre Espagne a des Dames.
De [grace*](#grace2), apprenez-moy quand quelqu’une à son tour,
Abandonne son [ame*](#ame) aux [charmes*](#charme) de l’Amour,
Comment à son Vainqueur dans son [ardeur*](#ardeur) extrême,
Pour la premiére fois, elle dit, je vous aime.
Madame, cet [aveu*](#aveu), si [charmant*](#charmant) en effet
Qui coûte tant à faire, & qui pourtant se fait
Dans les occasions diversement s’exprime,
Selon la qualité de celle qu’il anime.
J’entens de ces [beautez*](#beaute) illustres par le Sang,
De mon âge à peu prés, Carlos, & de mon rang.
S’il se trouve en son choix plus ou moins de [distances*](#distance),
Il faut ou qu’elle attende ou fasse les [avances*](#avance),
Madame.
C’est à dire, en ces [transports*](#transport) si doux,
Que si celuy qu’elle aime est d’un rang au dessous,
C’est elle qui se doit [expliquer*](#expliquer) la premiere ?
Oüy.
Mais de s’[énoncer*](#enoncer), comment est la maniere ?
D’[abord*](#abord) par ses regards, [truchemens*](#truchement) de son [cœur*](#coeur),
Elle le fait sçavant de son [prochain*](#prochain) bonheur,
Invente des bienfaits, se plaît à les répandre.
Et si le [Cavalier*](#cavalier) ne veut pas les entendre.
Personne n’est aveugle à cette [passion*](#passion),
L’Amour voit clair, & plus encor l’ambition,
Si le respect oblige à quelque retenuë,
La Dame ouvre son [cœur*](#coeur) ; parle, elle est entenduë.
Mais (car je prétens tout [sçavoir*](#savoir)) si par malheur,
Le [Cavalier*](#cavalier) ailleurs avoit donné son [cœur*](#coeur).
A son premier amour s’il veut être fidelle,
Que dit à ce mépris la Dame, que fait-elle ?
Malheur au [Cavalier*](#cavalier) qui méprise ses [vœux*](#voeu),
Et plus encor malheur à l’[objet*](#objet) de ses [feux*](#feu).
Qu’en ce [funeste*](#funeste) [état*](#estat) ces [Amans*](#amant) sont à plaindre !
Dans sa [fureur*](#fureur) la Dame offensée est à craindre,
Pouvant tout dans sa haine, elle n’épargne rien.
Regardez-moy, Carlos, [envisagez*](#envisager)-moy bien.
Sur mon [front*](#front), dans mes yeux, lisez vôtre [avantage*](#avantage),
Je vous permets, Carlos, d’[expliquer*](#expliquer) leur langage,
Et de prendre pour vous ce qu’ils ont de douceur :
Comptez sur mes bienfaits, comptez sur ma [faveur*](#faveur).
Vivre en sa liberté, dans ce climat [barbare*](#barbare),
Est le moindre des biens, que ma [main*](#main) vous prépare.
Portez donc jusqu’à moy vos regards & vos [vœux*](#voeu),
Ma bouche vous l’ordonne ; Aimez-moy, je le veux ;
Obeïssez, craignez d’irriter ma [tendresse*](#tendresse),
Je puis tout en ces lieux, pensez-y, je vous laisse,
Songez que vôtre sort dépend de mon [repos*](#repos),
Vous me rendrez tantôt réponce. Adieu, Carlos.
Elle aime cet Esclave ! Ah ! quelle [extravagance*](#extravagance) !
Mais il faut la rejoindre, & garder le silence.
SCENE VII.
L’ay-je bien entenduë, ou me suis-je abusé,
A quel plus grand malheur pouvois-je être [exposé*](#exposer) ?
Puis-je jusqu’à l’aimer, sans [horreur*](#horreur) me contraindre ?
Et puis-je mépriser son [ardeur*](#ardeur) sans la craindre.
Helas ! mille dangers m’allarment tour à tour,
Je crains également sa haine & son amour.
Je me pers, & n’osant resister ny me rendre…
SCENE VIII.
Monsieur aprés cecy vous n’avez qu’à vous pendre.
Qu’est-ce encore, que viens-tu m’annoncer ?
Un malheur
A se desespérer, à mourir de douleur,
Et, comme je vous l’ay déja dit, à se pendre,
Et si vous m’en croyez, vous irez sans m’entendre…
Julie est-elle morte, & le [destin*](#destin) jaloux…
Non.
Que me dis-tu donc ?
Qu’elle est morte pour vous.
Qu’elle vit pour un autre, & que jamais [œillade*](#oeillade)...
Comment !
Vous connoissez Dom Brusquin d’Alvarade,
Ce [brave*](#brave) Dom Brusquin, cet obstacle à vos [feux*](#feu),
[Fantasque*](#fantasque) comme un diable, & jaloux comme deux,
Maussade comme trois, avare comme quatre.
Et bien ?
Il est icy.
Que d’[ennuis*](#ennui) à combattre ?
Ah Ciel ! il est icy, qui te l’a dit ?
Mes yeux.
Ne t’ont-ils point trompé ?
Non, je vous répons d’eux.
Il est icy ?
Luy-même.
Où le Ciel me [destine*](#destiner) !
Voilà ce qu’ont produit les Lettres de Marine :
Mais où l’as-tu trouvé ; comment sur son [rapport*](#rapport) ?
Tout à l’heure, Monsieur, en allant vers le Port,
Je l’ay vû d’assez loin descendre d’une Barque ;
Et comme sa figure est assez de remarque,
Les Turcs railleurs aprés l’avoir [examiné*](#examiner),
En luy riant au nez l’ont tous [environné*](#environner),
J’ay fait comme eux, voulant m’[éclaircir*](#eclaircir) davantage ;
Mais dés que de plus prés j’ay pû voir son visage,
J’ay vû que c’étoit luy, je ne puis vous [flater*](#flatter1) ;
Sur tout quand il a dit, qu’il venoit racheter
Sa Femme, qui depuis six mois en [Barbarie*](#barbarie),
Etoit chez Fatiman sous le nom de Julie.
Juste Ciel !
Vous sçavez qu’il ne vous connoît point ;
Venez vous [éclaircir*](#eclaircir) vous-même sur ce point.
Venez.
Et bien ! allons nous montrer à sa vûë,
Il mourra de ma main si la chose est [concluë*](#conclure) ;
Ou si Julie enfin doit partir de ces lieux,
Je ne le verray point sans mourir à ses yeux.
Si vous voulez, Monsieur, faire quelque folie,
Ne m’allez pas mener avec vous, je vous prie,
On met à la raison les [mutins*](#mutin) en ces lieux,
Séparons-nous plûtôt ; car, enfin, j’aime mieux,
Quoy que je sçache bien qu’il faudra que je meure,
Etre Esclave cent ans, que pendu demi-heure,
Je vous en avertis, [examinez*](#examiner)-vous bien.
Autrement…
Vien, suis moy, Tomire, & ne crains rien.
Fin du premier Acte.
ACTE II.
SCENE PREMIERE.
Si Julie encore vous est chere,
Ne pensez point à la chercher
Autre part que dans Alger.
Son malheur en a fait le butin d’un Corsaire.
Ah, morbleu !… Fatiman [Gouverneur*](#gouverneur) dans ces lieux
Nous tient Esclaves toutes deux.
En payant nos rançons, nôtre [ennuy*](#ennui) se termine,
Ne perdez point de temps, secondez nos souhaits,
Elle est plus belle que jamais,
Et moy plus que jamais, & caetera, Marine.
Quoy, Monsieur, sur le point de revoir en Julie,
Aprés six mois d’absence, une Femme cherie,
Quand à terre à couvert de l’orage, & du vent,
Dont le bruit & la peur vous menaçoient souvent ;
Je me flatois de voir Dom Brusquin d’Alvarade,
Ne songer qu’à la joye & qu’à faire [gambade*](#gambade),
Vous êtes tout chagrin, & malgré tous mes [soins*](#soin1),
Je vous vois…
[Malepeste*](#malepeste) ! on le seroit à moins,
Tant qu’avec toy sur Mer a duré le voyage,
Je n’avois dans l’esprit que la peur du nauffrage.
La crainte du peril me donnoit des frissons,
Et maintenant tout plein de mes jaloux soupçons,
J’ay, quand je vois ces Turcs, leur port & leur allure,
Des frayeurs pour mon [front*](#front) de fort mauvais augure.
Oüy, quand je me [remets*](#remettre) que presque entre mes bras,
Par un coup de [Demon*](#demon) que je ne comprens pas,
On m’a ravy Julie, & que je me rappelle,
Le [chagrin*](#chagrin) qu’elle avoit quand j’étois auprés d’elle,
Les pleurs qu’elle versa, que j’étois son Epoux,
La peine qu’eut sa Mere, à la fléchir pour nous,
Et que de bonne foy, tout de bon j’[examine*](#examiner),
Que j’ay l’humeur [bouruë*](#bourru), & que je [péche*](#pecher) en mine,
Que chez un Turc la belle est à [discretion*](#discretion),
Que ce sont gens amis de la conclusion,
Contre qui, sans miracle, une Belle captive,
Soûtient mal-aisément six mois de [négative*](#negative),
Certain instinc fondé sur beaucoup de raison,
Me dit que ce sera grand hazard si mon nom,
Occupant d’un Railleur le papier & la plume,
Des Maris baffoüez ne grossit le Volume.
C’est d’un pareil scrupule être trop combattu,
Monsieur, Julie est sage, elle a de la vertu,
Et vous devez enfin mieux juger en vôtre [ame*](#ame).
Elle est sage, il est vray ; mais enfin elle est Femme,
Et cette qualité seule peut là-dessus
Servir de contre-poids à toutes les vertus.
Mais si pour vôtre honneur vous aviez tant d’allarmes,
Pourquoy venir si loin la chercher, par quels [charmes*](#charme),
Craignant pour vôtre sort le fruit de ses Amours,
Hazarder sur la Mer vôtre argent, & vos jours ?
Ah ! j’ay pour mes pechez, pour elle un chien de [tendre*](#tendre),
Qui n’a jamais voulu me rien laisser entendre :
Et mon penchant plus fort que toute ma raison,
N’a pü faire avorter cette demangeaison.
A peine un Matelot, que le Ciel extermine,
M’eut confirmé l’avis que me donnoit Marine,
Que le Diable ennemy juré de mon [repos*](#repos),
Me fit mettre ma vie à la mercy des flots ;
Comme si pour ces flots, ou pour Dame Fortune,
J’avois un [sauf-conduit*](#sauf-conduit) signé du Dieu Neptune.
Vous en repentez-vous ?
Je ne sçay ; mais je crois
Que si j’étois chez moy, j’y songerois deux fois,
Ce noir pressentiment où ma raison s’obstine,
Me fait…
Mais il faut bien que cecy se termine.
Vous en avez trop fait, pour ne pas achever,
On sçait à quel dessein vous venez d’arriver,
Et vôtre Femme, enfin, ou coquette, ou fidelle,
En payant sa Rançon vous sera…
Bagatelle,
Si je puis découvrir que ce Turc pour début
Se soit fait de son chef icy mon Substitut,
Qu’il se soit par ses mains, enfin, de quelque sorte
Payé de l’interêt de l’argent que j’apporte ;
Et que ma Femme enfin avec ce Fatiman,
Ait mis son [cœur*](#coeur) à prix, & mon [front*](#front) à l’[encan*](#encan),
Je dis, nescio vos, & m’en vais sans replique,
Et l’affaire entre nous est fort problematique.
Et qui sçaura cela chez vous, quand par vos [soins*](#soin1)...
Pour n’être pas crû sot, un Homme l’est-il moins,
Dis, [Maraut*](#maraud) ?
Mais pourquoy jusques en sa demeure?
On me doit faire voir Marine tout à l’heure,
Un Esclave en entrant me l’a promis ainsi,
Moyennant…
J’entens bien.
Et je l’attens icy.
Vois-tu, je veux [sçavoir*](#savoir) avant que de [conclure*](#conclure),
Sur quoy, par qui, comment, & par quelle avanture
Julie est en Alger ? Car à te parler net,
Je crains fort dans cecy quelque complot secret ;
Je n’ay pû jusqu’icy penétrer ce mistere,
Marine avecque moy n’est pas Fille à se taire,
En la [flattant*](#flatter2) un peu je puis être éclaircy
De tout ce que je crains d’apprendre ; La voicy.
SCENE II.
Prens bien garde…
Suffit.
Vous voyez, je m’acquitte,
Je vous suis obligé, Serviteur.
Je vous quitte.
SCENE III.
C’est luy-même, & d’[abord*](#abord) je l’ay bien reconnu.
Ah ! Monsieur.
Dieu te gard.
Soyez le bien venu.
Bien ou mal, me voilà. [Concluons*](#conclure).
Quoy ! vous-même
Venir jusques icy !
Que veux-tu, quand on aime
On est sot, on est fou de mettre tous ses [soins*](#soin1)…
On seroit bien fâché que vous le fussiez moins.
Passons.
Julie aura…
Comment se porte-t’elle ?
Bien.
Comme de tous temps j’ay reconnu ton zele,
Et que jamais pour moy tu n’eus rien de caché,
Avant que de [conclure*](#conclure) icy nôtre marché,
J’ay voulu te parler un peu sur cette affaire ;
Sûr qu’avec ta franchise & ton zele ordinaire,
Par amitié pour moy mettant la feinte au croc,
Tu vas à [cœur*](#coeur) ouvert…
Oh ! cela vous est hoc.
Parlez, je suis pour vous tout [cœur*](#coeur).
Ta récompence
Au reste passera de loin ton espérance,
Et je t’ay préparé de quoy te voir un jour,
Au dessus…. tu sçauras le reste à mon retour.
Ah ! Monsieur, parlez donc.
Dis-moy, je te conjure,
Comment, à quel dessein, & par quelle avanture
Vous êtes toutes deux icy depuis ce soir.
L’avanture, Monsieur, est aisée à [sçavoir*](#savoir).
On venoit de souper, la soirée étoit belle,
Julie étoit chagrine, & je fus avec elle
Faire un tour de Jardin, en attendant la nuit,
Tout d’un coup regardant que l’on faisoit du bruit,
Je vis des gens masquez, qui d’abord qu’ils nous virent,
Sans être épouvantez de nos cris, nous saisirent,
La porte du Jardin s’ouvrit en même temps,
Un Carosse étoit là; l’on nous jetta [dedans*](#dedans) ;
Touche Cocher, dit-on, l’embarras de la Nôce…
Et vous êtes venus sur la Mer en Carosse ?
Sur la Mer en Carosse ! Eh qui vous dit cela ?
Ecoutez jusqu’au bout.
Lors qu’on vous enleva,
Vous criâtes bien fort ?
Bien fort ? A pleine tête,
Au voleur, au secours, au meurtre, arrête, arrête.
Non, pour du bruit, jamais Femme n’en a tant fait.
Il falloit que ces gens eussent quelque secret
Pour avoir rendu sourds, pendant tout ce [ravage*](#ravage)
Tous les gens du Logis, & tout le Voisinage,
Car [dedans*](#dedans) ny [dehors*](#dehors) pas un n’entendit rien.
Enfin, il est pourtant très assuré…
Fort bien.
Passons.
Nous arrivons au Port, où cette Trouppe
Du Carrosse nous mit [dedans*](#dedans) une Chalouppe,
De là dans un Vaisseau qui n’attendant plus rien…
Et que se passa t’il ? Car, enfin, l’on sçait bien
Que quand pour s’exposer à diverses [fortunes*](#fortune),
On enleve les Gens, ce n’est pas pour des prunes.
A peine eût-on été quelques heures en Mer
Qu’on vit avec le jour les Corsaires d’Alger
Prêts à nous attaquer, on voulut se défendre,
On se battit long-temps ; mais il falut se rendre,
On nous prit, & pour nous le Corsaire adoucy,
Nous prit dans son Vaisseau, pour nous conduire icy,
Où depuis…
Franchement je trouve cette histoire
Peu possible ; mais bien tres difficile à croire,
Que devinrent ces Gens masquez dont les efforts
Avoient…
Apparemment ils sont captifs, ou morts,
Mais comme pas-un d’eux ne montra son visage,
Je ne vous en puis pas apprendre davantage.
Fatiman étoit donc ce Corsaire d’Alger.
Il en est [Gouverneur*](#gouverneur), & ne va guere en Mer.
Ce fut un autre Turc.
Comment, en sa puissance.
C’est qu’il est [Gouverneur*](#gouverneur).
Et quelle consequence ?
En cette qualité par un droit peu commun,
Des Esclaves qu’on fait, de huit il en prend un,
Il nous vit, & d’[abord*](#abord) nous prit pour son partage.
Sans doute que ce Turc, comme c’est leur usage
Avoit quelque [Serail*](#serrail) à meubler, sur ma foy…
Toûjours prêt d’[expliquer*](#expliquer)…
Tout doucement dis moy ;
Tu sçay bien qu’il manquoit, lors que l’on prit Julie,
A nôtre Mariage une Cerémonie.
Quelle Cerémonie ?
Eh ! celle que l’Amour
Ordonne à frais communs la nuit de ce grand jour.
Celle chez qui des gens que l’on marie ensemble
Fait un [nœud gordien*](#noeud-gordien) du nœud qui les assemble.
Qui lors que l’on nous eut l’un à l’autre conjoint,
Devoit le soir… Enfin, celle qu’on ne fit point.
Eh bien ?
Je voudrois bien avant que de [conclure*](#conclure),
[Sçavoir*](#savoir) si quelque Turc épris de sa figure
Ne s’est point….
Quoy ?
Chargé de la commission
De mettre nôtre [Hymen*](#hymen) dans sa perfection.
Quels contes ! Par ma foy, c’est grand dommage.
Ecoute,
Tu crois donc qu’il ne s’est rien passé ?
Le beau doute !
Qu’auprés d’elle ce Turc n’a jamais entrepris
De mettre sur mon [frond*](#front) les Armes du Pays,
Que de force ou de gré pas un n’a rien eu d’elle ?
Pas un.
Et qu’elle soit aussi sage que belle.
Vous n’en sçauriez douter sans luy faire un affront.
[Vivat*](#vivat), je trouve icy sûreté pour mon [front*](#front).
Croyez-en mon [rapport*](#rapport), & vous mettez en tête
Qu’elle a toûjours trouvé Fatiman fort honnête,
Fort civil, obligeant, même respectueux ;
Outre que quand pour elle il eût senty des [feux*](#feu),
Il eût perdu son temps, puis qu’enfin ma Maîtresse
Sur ce chapitre là n’en doit rien à Lucrece.
C’est à dire, entre nous, parlant de bonne foy ;
Qu’à son défaut, ces Turcs se sont [passez*](#passer) de toy.
Quels [discours*](#discours) ! N’avez-vous rien de meilleur à dire ?
Va, je n’en diray rien, cecy me peut suffire.
Fatiman vient, je sors…
SCENE IV.
[Peste*](#peste) ! quel [égrillard*](#egrillard) !
A son [air*](#air) je crains bien d’être venu trop tard ;
Et que sur mon honneur, enfin, étant à même,
Comme sur la capture il n’ait pris le [huitiéme](#huitieme).
Voilà cet Espagnol dont on vous a parlé.
Salut, suis-je venu pour être [contrôllé*](#controler) ?
Messieurs, afin qu’icy personne ne l’ignore,
Je [prétend*](#pretendre) avec vous traiter de Turc à Maure.
Vous avez pris sur Mer ma Femme sans [façon*](#facon),
Rendez-la moy de même, en payant sa rançon :
Çà répondez-moy juste au [discours*](#discours) que j’entame.
J’ay de l’argent, de plus j’ay besoin de ma Femme.
Ta Femme, ce n’est pas Julie, apparemment ?
Comment ? Est-ce la vôtre ? Hem ! parlez franchement.
Non. Mais pour une Femme aussi bien-faite qu’elle,
Franchement, je te trouve un Mary sans modelle,
A ne te pas [flater*](#flatter1), car la beauté qu’elle a…
Il n’est pas à present question de cela ;
Pour ne pas chamarrer le dessus de ma lévre
Comme l’on fait icy, d’une barbe de Chévre,
Sçachez qu’étant un jour [tête à tête*](#teste-a-teste) au Pays,
Nous ne manquerions pas… Bref chacun vaut son prix,
Elle est pourtant ma Femme, ou peu s’en faut, je n’ose…
C’est un malheur pour elle.
Ah ! parlons d’autre chose,
S’il vous plaît.
J’y consens, je voy bien que tes [vœux*](#voeu)
Vont à vous voir chez vous bien réünis tous deux.
Tu meurs de la revoir, car je lis dans ton [ame*](#ame),
Elle a de la beauté, tu l’aimes, c’est ta Femme ;
C’est pourquoy je ne veux que six mille Ducats,
Pour la mettre en tes mains.
Quoy ! vous n’y songez pas.
Comment, pour une Femme ?
Ouy.
[Peste*](#peste), quelle Somme
Combien faudroit-il donc vous donner pour un Homme ?
A bien meilleur marché je vendrois leurs maris,
Ce beau Sexe chez nous est un tresor sans prix.
...........................................................................
Je vous conseille fort, pourtant, de n’en plus prendre.
De Femmes ?
Ouy, sur tout des environs.
Pourquoy ?
C’est que pour vous parler franc, & de bonne foy,
Je vois force Maris qui passent pour tres-sages,
Qui vous les laisseroient sûrement pour les gages,
Et je vous suis garant qu’ils en seroient [ravis*](#ravir).
Faites-nous bon marché pour nôtre droit d’avis.
Contentez-vous du tiers pour elle & pour Marine,
C’est beaucoup. Il ne faut point tant faire la mine.
Tu les veux toutes deux.
Ouy, je l’avouë aussi,
Si l’on vendoit chez nous les Femmes, comme icy,
Pour moitié de l’Argent que j’offre pour la mienne,
J’en aurois, à choisir, du moins une douzaine.
Finissons, je suis las d’un pareil [entretien*](#entretien),
Tu perds icy ton temps, j’en veux cinq mil, ou rien,
Regle-toy là-dessus, & prens bien tes mesures,
J’en demeure d’accord, ces Loix sont un peu dures ;
Mais cependant il faut ne me voir desormais,
Que l’Argent à la main, & me laisser en paix.
Allez…
Quelle Somme ! Ah ! j’en ay la mort dans l’[ame*](#ame),
J’aimerois presqu’autant qu’ils gardassent ma Femme.
Ils pourroient s’en dédire, il faut se dépêcher.
Ah, [Chien*](#chien) de Turc !
Plaît-il ?
Je m’en vais vous chercher
Les cinq mille Ducats.
Cette affaire est [concluë*](#conclure).
Allons voir si Celime est enfin résoluë
A terminer l’[Hymen*](#hymen) qui me doit rendre heureux.
La voicy.
SCENE V.
Quel bonheur vous présente à mes yeux ?
Qui vous ameine icy ?
Vous-même.
Moy, Madame.
O Ciel! à quel dessein?
De vous ouvrir mon [ame*](#ame).
Qui vous cause ce [soin*](#soin1), Madame, est-ce l’Amour ?
Je l’avouë, il me fait vous chercher à mon tour.
Et l’[Hymen*](#hymen) suivra-t’il ce [feu*](#feu) qui le devance ?
Oüy, luy seul à present fait mon impatience.
O trop heureux mortel ! O fortuné moment !
A qui dois-je, Madame, un si grand changement ?
Je ne suis pas ingrate, & je vais vous l’apprendre.
Tout ce que dans mes yeux vous remarquez de [tendre*](#tendre),
Ces [feux*](#feu) qu’heureusement vous comprenez si bien,
Me viennent d’avoir vû cet Esclave Chrétien.
Quoy, Madame…
Jamais ; croyez, s’il est possible,
Vous ne me pouvez faire un plaisir plus sensible,
Que d’en avoir fait choix pour me dés-[ennuyer*](#ennuyer),
Dans ses Chants que jamais je ne veux oublier,
Il a tant fait sentir à mon [ame*](#ame) charmée,
L’agréable douceur d’aimer & d’être aimée,
Que mon [cœur*](#coeur) se dévouë à l’Amour desormais,
Et d’un heureux [Hymen*](#hymen) je fais tous mes souhaits.
Que ne luy dois-je point ? que ma surprise est grande.
O Ciel !
Puis-je pour luy vous faire une demande,
C’est de sa liberté ; me l’accorderez-vous ?
Moy, Madame, je vais luy rendre un bien si doux.
J’y cours.
Non, laissez-moi ce petit [soin*](#soin1). Zaïre,
Vous l’entendez, Carlos est libre ; allez luy dire,
Et par vôtre [discours*](#discours) faites-luy concevoir,
Qu’aprés ce grand bien-fait, il songe à son devoir.
J’y vais, Madame.
Aprés ce que je viens de faire,
Je puis donc me flater de l’[Hymen*](#hymen) que j’espere ?
Je puis…
Si le [destin*](#destin) favorise mes pas,
Vous verrez des [transports*](#transport) que vous n’attendez pas,
Adieu.
SCENE VI.
De mon amour la confiance fidelle,
Enfin va remporter…
O la fine Femelle !
Qui, Celime ?
Oüy.
Comment, au lieu de la loüer…
Quoy, vous ne voyez pas qu’elle veut vous joüer ?
Elle ?
Elle aime Carlos.
Ah ! quelle perfidie !
Ciel ! elle aime, dis-tu, Carlos ?
A la folie.
D’où sçais-tu cet amour dont elle brûle en vain,
Dis-moy ?
Tantôt cachée au [Cabinet*](#cabinet) [prochain*](#prochain),
J’ay de ses [feux*](#feu) naissans, entendu le mistere,
Dans l’[aveu*](#aveu) qu’à Carlos, sa bouche en a sçu faire,
Elle luy promettoit des biens en quantité,
Dont le moindre à ses yeux étoit la liberté,
Et c’est pour ce sujet qu’elle l’a demandée.
De quelle [passion*](#passion) est-elle possédée !
Et Carlos qu’a t’il dit ? tu l’as bien entendu ?
[Interdit*](#interdire) & confus il n’a rien répondu.
De ce complot maudit je veux [sçavoir*](#savoir) la suite,
Zaire, j’en [commets*](#commettre) le [soin*](#soin1) à ta [conduite*](#conduite).
Va trouver Dom Carlos, comme elle te l’a dit.
Acheve exactement ce qu’elle t’a prescrit.
Observe adroitement ses yeux, sa contenance
Ses gestes, ses [discours*](#discours), & même son silence ;
De peur d’être surpris dans cet Appartement,
Tu viendras dans le mien m’instruire promptement,
Vole, ta liberté que ma bouche a jurée,
Sera par ce service encor plus assurée.
Pour redevenir libre, allons trouver Carlos.
SCENE VII.
Zaire ?… Elle me fuit, tout nuit à mon [repos*](#repos),
Je cherche en vain Carlos pour adoucir ma peine.
En vain… Mais le voicy, mon bonheur me l’ameine.
Carlos me laissez-vous en proye à mes douleurs ?
Venez avecque moy détourner mes malheurs ;
Pour empêcher ma mort, allons trouver Celime.
Ah ! quel [empressement*](#empressement) de la voir, vous anime ?
Madame.
Dom Brusquin est icy dés ce jour,
Avecque Fatiman il traite mon retour.
Par ce rachat cruel livrée à ce [barbare*](#barbare),
Demain nôtre malheur pour jamais nous separe,
Et Celime pourroit auprés de Fatiman…
Ah ! nous sommes perdus, s’il faut son [agrément*](#agrement).
Et plus que Dom Brusquin, elle est nôtre Ennemie.
Comment ?
Vous le diray-je, helas ! belle Julie,
Pour cet infortuné, par un instinc jaloux,
Elle a le même [cœur*](#coeur), les mêmes yeux que vous.
Elle vous aime ? helas !
Elle a sçû me le dire.
L’aimez-vous ?
Moy ! Madame, ah ! plûtôt que j’expire
A vos genoux…
SCENE VIII.
Allons pour consommer cela…
Que voy-je icy ? ma Femme !
Ah !
Que faites-vous là ?
Parlez, travaillez-vous tous deux pour nôtre honte.
Je ne suis pas icy pour vous en rendre compte.
SCENE IX.
Me voilà, quel accüeil ! Quoy sans sçavoir nâger,
Quand de la Mer pour vous je [brave*](#braver) le danger,
Je ne vous vois pour moy remüer pié ny patte.
Vous ne pouvez, du moins me dénier ingrate,
Que vous voyez en moy vôtre Liberateur.
Je ne puis voir en vous, que mon Persecuteur.
SCENE X.
Suis-je pas un grand Sot d’aimer cette Traîtresse ?
Mais puis que rien ne peut guerir tant de foiblesse,
Et que le Diable épargne enfin si peu de [fronts*](#front),
Hazard à mon marché, [concluons*](#conclure) & partons.
Fin du second Acte.
ACTE III.
SCENE PREMIERE.
D’un [air*](#air) brusque, augmenté par sa mélancolie,
Le [brave*](#brave) Dom Brusquin pour rachetter Julie,
Vient de nous délivrer les cinq mille Ducats.
Impatient de voir sa Femme entre ses bras,
Pour partir promptement il demande Audiance,
Il est proche d’icy ; vous plaît-il qu’il avance ?
Non, lors que je voudray le voir, il entrera.
Luy diray-je le temps, quand…
Quand il me plaira,
En faveur de Carlos, je [prétens*](#pretendre), quoy qu’il die,
D’avec ce Dom [Bouru*](#bourru) démarier Julie.
La remettre, Zaire, à cet heureux [Amant*](#amant),
Pour prix d’avoir été sincere à Fatiman.
Oüy, ce qu’il m’a fait voir pour moy contre Celime,
L’assure pour jamais de toute mon estime.
Quant à l’Ingrate, enfin, je veux jusques au bout
La suivre, la surprendre, & la confondre en tout.
Par des Airs concertez & chantez devant elle,
Insulter, irriter son [ardeur*](#ardeur) criminelle ;
Toy, comme je l’ay dit, agis de ton côté,
Sûre que mes bienfaits suivront ta liberté.
SCENE II.
Pour me voir libre, allons trouver… Elle s’avance.
Je ne puis resister à mon impatience ;
J’ignore si Carlos a remply son devoir,
Je brûle de l’apprendre, & crains de le [sçavoir*](#savoir),
Zaïre est paresseuse &… La voicy. Zaïre,
De la part de Carlos que venez-vous me dire,
A-t’il avec [transport*](#transport) reçû sa liberté,
De quels regards, Zaïre, a-t’il vû ma bonté ?
Je voudrois, dans l’[état*](#estat) où j’ay trouvé son [ame*](#ame),
Que de vos propres yeux vous l’eussiez vû, Madame.
Pour en être surprise autant que je la suis.
La joye est éclatante aprés de longs [ennuis*](#ennui).
Il t’a, je m’imagine, avec peu de [conduite*](#conduite),
Fait des remercimens par des [discours*](#discours) sans suite,
Et qu’il viendroit bien-tôt redevable à mes [soins*](#soin1)
Embrasser mes genoux.
Luy ! Madame, rien moins.
A le voir [interdit*](#interdire), rêveur, muet, [stupide*](#stupide),
Le regard égaré, le visage [insipide*](#insipide),
D’une froide sueür il a paru trempé,
Comme si du Tonnerre il eût été frappé.
Un [bien*](#bien) qu’on n’attend pas surprend & saisit l’ame,
Enfin il a parlé ?
Rien moins encor, Madame :
De rompre le silence en vain je l’ay [pressé*](#presser),
Plus je montrois d’[ardeur*](#ardeur), plus il étoit glacé,
Et sur son teint, du Rouge ayant perdu les [charmes*](#charme),
Grosses comme des poix j’ay vû couler ses larmes.
On pâlit de surprise, & la joye a ses pleurs.
Non, si je m’en rapporte au langage des cœurs,
Les siennes à Julie exprimoient le contraire.
Quoy, Julie… Au récit que tu luy viens de faire
Elle était donc présente ?
Ils ne se quittent pas,
Madame.
Le crois-tu [charmé*](#charmer) de ses appas ?
Seroit-il aimé d’elle, est-ce un plaisir qu’il goûte ?
Il ne m’en a jamais parlé, mais je m’en doute.
Un desir curieux me porte à le [sçavoir*](#savoir),
Et je veux… Mais quel Homme icy viens-je de voir ?
C’est Tomire, autrefois son Valet.
Va luy dire,
Que je veux luy parler, & qu’il vienne.
Tomire
Viens, on veut te parler.
SCENE III.
J’allois chez Fatiman,
Courir executer l’ordre & l’[empressement*](#empressement)
Du [brave*](#brave) D. Brusquin, qui demande audience,
Vous voyant, par respect, je retournois.
Avance
Vien. Autrefois Carlos étoit servy par toy ?
Parle.
Il n’a jamais eû d’autre Valet que moy.
Et tu l’aimes ?
Autant qu’un Valet aime un Maître.
Il est noble en Espagne ?
Oüy, tout ce qu’on peut l’être.
Quelle honte ! j’admire étant de qualité,
Comment par sa Famille il n’est pas racheté !
En Europe souvent, quoy qu’ils soient en estimes,
Madame, noble & gueux sont termes synonimes ;
Carlos auroit ces noms sans l’espoir [singulier*](#singulier)
D’un Oncle riche & vieux dont il est heritier,
Dieu mercy.
Mais ayant cet Oncle, est-il croyable
Qu’il l’abandonne ?
Il est avare comme un Diable ;
Madame, & nous verroit plûtôt [crever*](#crever) tous deux,
Que de donner un soû.
Sa mort proche, étant vieux,
Enrichira Carlos d’une assez grande Somme.
Il est vray qu’il est vieux, mais comme c’est un Hõme
Qui depuis le berceau pour nous faire [enrager*](#enrager),
Ne s’est fait, ny seigner, ny droguer, ny purger,
Et qu’il ne veut point voir de Medecins, je doute
Qu’il meure encor.
Parlons d’autres choses, écoute
Carlos t’ouvroit son [cœur*](#coeur), te connoissant prudent ?
J’ay toûjours, quoyqu’indigne, été son Confident.
Conte-moy ses Amours ?
Oh ! Ces Historiettes
De [mysteres*](#mystere) galants, d’intrigues, d’amourettes,
Comme vous jugez bien sont de petits secrets,
Qu’un Valet bien discret, ne révéle jamais.
Ainsi, vous voulez bien me dispenser, Madame,
De découvrir icy le secret de sa [flâme*](#flamme).
Ce Dom Carlos dont j’ay [ménagé*](#mesnager) les Amours,
Fut mon Maître, & je veux m’en souvenir toûjours.
Tel que vous me voyez, j’ay pour luy tant de zéle,
Que je veux être un jour cité comme modéle,
D’un Valet achevé, malheureux, mais nazard ;
Et je ne haï rien tant qu’un Valet [babillard*](#babillard),
Qui veut à tous venans, même sans les connoître,
Conter de [but*](#but) en blanc les Amours de son Maître.
Carlos est bienheureux que sa condition
Luy conserve un tel zéle ; & ta discretion
Me paroît à la fois si rare, & si loüable,
Que le plaisir que j’ay de t’en trouver capable,
Est payé de ce prix.
Oh ! C’est…
Prens, j’aime à voir
Que rien contre Carlos n’ébranle ton devoir.
Son interêt m’est cher : qu’à l’avenir ton zéle,
Ne démente jamais une [ardeur*](#ardeur) si fidelle,
Tu sçais tous ses secrets, garde-toy d’en parler,
Et meurs plûtôt cent fois que de les reveler.
Oh !
Quant à ses Amours qu’on auroit peine à croire,
Carlos m’en a conté tantôt toute l’Histoire.
Ce n’est plus à present un [mystere*](#mystere) pour moy,
Il m’a dit qu’il aimoit Julie.
Ah ! je le croy,
Cela n’est pas nouveau.
Qu’une [ardeur*](#ardeur) mutuelle
Rendoit malgré leurs Fers leur Amour éternelle ;
Par quel hazard ils ont perdu la liberté,
Leurs [traverses*](#traverse), leurs pleurs…
Il vous a donc conté
Comment il l’enleva du logis de sa Mere ;
La rencontre qu’il fit de ce Vaisseau Corsaire ?
Ouy, vôtre Embarquement, & comment on vous prit.
Le desespoir qu’il eut.
Il vous aura donc dit,
Là… que la chose fut justement accomplie,
Dans le tems qu’on venoit de marier Julie,
Qui haïssoit à mort l’Epoux qu’on luy donnoit,
Que deux heures plus tard l’[Hymen*](#hymen) se [consommoit*](#consommer).
Il m’a dit tout cela de point en point, Tomire.
Il faut que sur son [cœur*](#coeur) vous ayez grand empire,
Pour s’être ouvert à vous ainsi, j’en suis surpris,
J’estime fort Carlos.
Et vous a-t’il appris
Que ce vieux Singe, à qui l’on maria Julie,
Est pour la rachetter dés hier en [Barbarie*](#barbarie),
Et qu’avec Fatiman il a fait son marché ?
Je le sçay, & Carlos m’en paroît si touché,
Que [sensible*](#sensible) à l’[ennuy*](#ennui) qu’il m’en faisoit paroître…
Hé bien ! voyez un peu le caprice d’un Maître,
Il l’a dit, il n’auroit point cessé de crier,
Si j’en avois ouvert la bouche le premier.
Le monde est ainsi fait.
Cette triste nouvelle,
Me donne pour Carlos, une douleur mortelle,
Car il perd sa Maîtresse, & l’[ennuy*](#ennui) qu’il en a…
Ne vous affligez point, si ce n’est que cela ;
Depuis une heure ou deux tout a changé de face.
Quoy ! ne me cache rien, dis-moy ce qui se passe.
Je n’en suis pas encor tout-à-fait informé,
Mais je viens de laisser Carlos joyeux, charmé,
Parlant de se voir libre, & vous nommant, Madame,
Avecque des [transports*](#transport) qui découvrent son [ame*](#ame).
Vous m’en aviez, Zaïre, informée autrement.
J’ay dit ce que j’ay vû, Madame, assûrément,
Carlos étoit chagrin & triste en ma présence.
C’est donc qu’il a voulu vous cacher ce qu’il pense ;
Car c’est un fin [matois*](#matois), à le dire entre nous,
Mais maintenant avec Julie, à ses genoux,
Sa bouche tendrement sur ses mains attachées,
Il les baise d’un [air*](#air) dont vous seriez [touchée*](#toucher) ;
Je m’en vais leur conter, Madame, avec [ardeur*](#ardeur)
Combien vous témoignez de joye à leur bonheur.
Non, laisse-moy ce [soin*](#soin1), & ne dis rien, Tomire.
Je me tairay, Madame, & vous n’avez qu’à dire.
SCENE IV.
M’estes-vous infidelle, & me tromperiez-vous,
Zaïre ?
Moy, Madame, ah !
Craignez mon [courroux*](#courroux).
Vous sçavez qui je suis ; malheur à qui m’offence.
Et quel seroit le fruit de cette [intelligence*](#intelligence) ?
Je retourne de prés les [examiner*](#examiner) mieux.
Non, je n’en veux plus rien [sçavoir*](#savoir) que par mes yeux.
Demeurez ; Mais qui vient me chagriner.
SCENE V.
Madame,
Fatiman pénétré du bonheur de sa [flâme*](#flamme) ;
Pour devancer l’[Hymen*](#hymen) qui doit le rendre heureux,
Et répondre aux [transports*](#transport) de son [cœur*](#coeur) Amoureux,
Vous offre ce Coffret remply de Pierreries.
Je suis bien obligée à ses galanteries.
Tenez, Zaïre, adieu.
Dans ce même moment
Il vous fait préparer pour divertissement,
Un Opera chanté par Carlos, & Julie ;
Mais il craint toutefois que ce chant vous [ennuye*](#ennuyer).
Non, non, j’ay des raisons pour m’y bien [divertir*](#divertir)
Si-tôt qu’il sera prêt, qu’on me fasse avertir.
SCENE VI.
Elle n’est pas [sensible*](#sensible) à l’Amour legitime.
J’ay peur que Fatiman… il vient.
Comment Celime
A-t’elle envisagé mon present ?
Froidement.
Et que t’a-t’elle dit du divertissement ?
Avec beaucoup d’[ardeur*](#ardeur) elle m’a fait connoître
Qu’il luy feroit plaisir, & qu’elle y vouloit être :
Qu’elle avoit des raisons pour s’y bien [divertir*](#divertir),
Et quand il sera prêt, qu’on la fasse avertir.
Elle y trouvera moins de plaisir qu’elle pense,
Fais venir Dom Brusquin, qu’il vienne à l’Audience.
Je vais pour obliger Julie, & Dom Carlos,
Contraindre ce [Magot*](#magot) de signer leur [repos*](#repos).
SCENE VII.
[Ça*](#ca), Seigneur Fatiman, [concluons*](#conclure) je vous prie,
Aussi bien je commence à voir que je m’[ennuye*](#ennuyer) ;
J’ay demandé ma Femme, & l’on m’a fait [sçavoir*](#savoir)
Que c’est de vôtre main, qu’il la faut recevoir,
Je veux partir, enfin ; en un mot, comme en douze ;
J’ay livré mon Argent, livrez-moy mon Epouse.
Elle est libre, & de plus contre nôtre Traité,
Je [prétens*](#pretendre) luy donner gratis la liberté.
La rendre sans Argent, & qu’elle se retire…
Quel excés de bonté ! Sans Argent, c’est à dire,
Que ce Drôle voyant qu’elle quittoit ce lieu,
S’est payé par ses mains en luy disant adieu.
De ses bontez pour nous voilà la récompense,
Et je vais sur mon [front*](#front) en porter la Quittance.
Que feray-je à cela, passons ? Apparemment
Nous pouvons donc partir ; tréve de compliment,
Puis que vous voulez bien sans Argent me la rendre,
De peur de vous fâcher, je m’en vais la reprendre ;
Si vous venez chez nous, vous me ferez honneur,
Reste à vous dire adieu but à but, serviteur.
Avant que de partir il faut qu’avec Julie,
Vous soyez le témoin d’une Cérémonie,
Et que vous me donniez icy quelques momens.
C’est pour une autre fois, nous n’avons pas le temps,
A nous faire partir, vôtre honneur vous oblige.
Vous ne sçauriez partir qu’après cela, vous dis-je,
Il faut qu’absolument vous y soyez tous deux.
Vous raillez.
Il le faut, vous dis-je, & je le veux.
Dites-moy donc quelle est cette Cérémonie,
Qui veut & ma présence, & celle de Julie,
Sans indiscretion peut-on vous en prier ?
C’est que je veux ce soir…
Hé bien !
La marier.
Julie ?
Elle.
[Expliquons*](#expliquer) s’il vous plaît ce langage,
Est-ce qu’on doute icy de nôtre mariage.
Et que craignant en Mer pour son honnêteté
On veut nous marier pour plus de sûreté ?
Non.
Non ?
Non, je sçay bien que tu l’as épousée,
Que toûjours à ta [flâme*](#flamme) elle s’est refusée,
Que rien ne vous unit, enfin, que quelques mots
Qui n’ont point eu d’effet ; Ainsi pour son [repos*](#repos)
Et même pour le tien, il vaut mieux, ce me semble,
Vous separer tous deux, que vous unir ensemble,
L’usage le permet icy, comme chez vous,
Et je luy vais ce soir donner un autre Epoux.
A ma Femme ?
A ta Femme : Et de plus….
Quel [Negoce*](#negoce).
Ton Argent servira pour les frais de la Nôce.
Nous nous entendons mal assurément tous deux.
Vous [prétendez*](#pretendre) ce soir marier à mes yeux,
Qui, dites-vous, Julie ?
Ouy.
Ma Femme : ah ! j’[enrage*](#enrager),
De quel droit, s’il vous plaît, rompre mon mariage ?
J’ay de deux [Marabous*](#marabout) pouvoir pendant dix ans,
De démarier ceux qui ne sont pas contens.
Vous ? Si cela se sçait, un jour il faut qu’il fonde,
Des Maris en ces lieux des quatre coins du monde.
Et si vous pouvez mettre à profit tout ce temps,
Cela vous vaudra mieux que vingt Gouvernemens.
Sans doute, & pour ne pas [differer*](#differer) davantage,
J’en fais ce soir l’essay par ton démariage.
Vous y serez présent, vous en verrez le fruit.
Moy ! Ciel ! à quel malheur me vois-je icy réduit !
Qui l’eût dit ? Quand chez moy je partis plein de [flâme*](#flamme),
Que c’étoit pour venir aux Nôces de ma Femme ;
Et que me souhaitant des aîles aux talons,
Je viendrois de si loin payer les [violons*](#violons) ;
Est-ce un Arrêt pour moy sans appel ; & ma bourse
Ne peut-elle adoucir ?…
L’affaire est sans ressource.
Je luy donne un Epoux malgré tous tes [discours*](#discours).
Sera-ce pour long-temps ?
Ce sera pour toûjours.
L’a-t’on dit à Julie ?
Ouy, je luy viens d’apprendre.
Que dit-elle à cela ?
Qu’elle est prête à se rendre,
Et qu’elle aimeroit mieux en te manquant de [foy*](#foy),
Estre aux Fers avec luy, que Reine avecque toy.
Ah ! me voilà donc veuf du vivant de ma Femme.
Et quel est ce beau Fils qui cause tant de [flâme*](#flamme) ?
Est-ce un secret pour moy ? ne le puis-je [sçavoir*](#savoir) ?
Tu le sçauras tantôt, je te le feray voir.
Scelerat ! Est-ce ainsi que vous me percez l’ame ?
Vous me coupez la bourse, & me volez ma Femme.
Vous pouviez l’avoir fait, sans m’avoir attendu
Mais si j’y suis présent, je veux être pendu.
Je pars, & vais, pleurant des malheurs incroyables,
Donner cent fois le jour les Turcs à tous les Diables.
Il a beau se hâter, il n’ira pas bien loin.
Suivez-le, Stamorat ; Allez, prenez-en soin.
SCENE VIII.
Je ne voy rien encor préparé pour la Fête,
Qui retient le Concert, qu’est-ce qui vous arrête ?
Je ne croyois jamais être assez tôt icy,
Et je ne vois encor Personne.
Les voicy,
Madame.
SCENE IX.
Qu’allez-vous, Carlos, nous faire entendre ?
De deux [Amans*](#amant) heureux, une Scéne assez [tendre*](#tendre).
En vain l’on conspire
Pour séduire
Un [cœur*](#coeur) amoureux,
Tout ce qu’on fait pour le surprendre
Ne sert qu’à le rendre
Plus fidele & plus [tendre*](#tendre),
Pour ses premiers [feux*](#feu).
Les présens, les [faveurs*](#faveur)
N’arrêtent pas toûjours les cœurs,
En amour il faut se contraindre,
Quand on a sçû [charmer*](#charmer) ;
C’est un [feu*](#feu) qu’il faut feindre,
Et ce qu’on fait pour l’allumer,
Sert bien souvent à l’éteindre.
Les présens, les [faveurs*](#faveur)
N’arrêtent pas toûjours les cœurs ;
Mais je crois que l’Amour…
Taisez-vous, Dom Carlos, vôtre chant m’étourdit ;
Mais que fais-je, où m’emporte un trop juste dépit ;
Ils s’aiment, je ne puis l’ignorer. O vengeance,
Prête-moy tous tes traits, pour punir cette offence.
Il paroît que ces Chants qui me semblent si doux,
Madame, ne font pas le même effet sur vous.
Je ne sçay par quel Air leurs voix ont sçû vous plaire,
Je crains d’en pénétrer l’injurieux [mystere*](#mystere) :
Et si je m’en croyois… Mais il vaut mieux sortir.
Et qui peut vous avoir causé ce déplaisir ?
Madame, [expliquez*](#expliquer)-vous.
J’aurois peur d’en trop dire,
Je ne suis pas assez à moy ; je me retire.
Je ne souffriray point que vous quittiez ces lieux
Sans que vôtre [courroux*](#courroux) s’[explique*](#expliquer), & qu’à vos yeux
Un châtiment soudain n’étouffe vôtre haine.
Non, vous souffririez trop, je n’en vaux pas la peine ;
A l’affront qui m’est fait vous avez trop de part.
Je jure…
A ces sermens prononcez au hazard,
Pour peu que vous vouliez que je donne croyance,
Il faut pour satisfaire à ma juste vengeance,
Que vous chargiez de Fers, sans aucune pitié,
Ces Esclaves [Objets*](#objet) de mon inimitié,
Qu’en des lieux séparez, accablez de misere,
Ils sentent le malheur de m’avoir sçû déplaire.
Madame…
Obéïssez, remplissez mes souhaits
Ou bien résolvez-vous à ne me voir jamais.
SCENE X.
Seigneur de ses [fureurs*](#fureur) sauvez nôtre innocence.
Je veux voir jusqu’où peut aller son insolence,
Et luy dresser un piége adroit, ingénieux :
Mais allons-en parler ailleurs que dans ces lieux,
Et toy cours la trouver, Zaïre, va luy dire
Que je vais accomplir tout ce qu’elle desire.
Fin du troisiéme Acte.
ACTE IV.
SCENE PREMIERE.
Zaïre, je vous ay confié mon secret,
J’ay crû ne le pouvoir dans un sein plus discret ;
Si je vous vois répondre à cette confiance,
Zaïre, attendez tout de ma reconnoissance ;
Mais si de me trahir vous cherchez le moment,
Zaïre, craignez tout de mon [ressentiment*](#ressentiment).
J’entre dans vos secrets, Madame, sans contrainte,
Et de vôtre [courroux*](#courroux) je ne crains point l’atteinte,
Si la peur maintenant se renferme en mon sein,
Si je tremble, ce n’est que pour vôtre dessein.
L’Amour qui l’entreprend guidera l’entreprise.
Et c’est de cet Amour, que mon [ame*](#ame) est surprise,
Madame, est-il bien vray que vous aimiez Carlos ?
Si je l’aime ! l’ingrat, que trop pour mon [repos*](#repos).
Emprisonné, Madame, & trahy par vous-même,
Vous le persecutez, est-ce là comme on aime ?
As-tu vû ses [tourmens*](#tourment), sçais-tu son desespoir ?
Dans l’abime profond du cachot le plus noir,
Mains, & piés enchaînez, éloigné de Julie,
Il faut voir ses clameurs.
Que mon [ame*](#ame) est [ravie*](#ravir).
Je ne vous comprens pas.
Dans ses cruels [ennuis*](#ennui)
Il reconnoît sa faute, il voit ce que je puis,
Plus de son noir Cachot la rigueur est extrême,
Plus il sent qu’il n’en peut sortir que par moy-même,
Et de sa liberté redevable à mes [soins*](#soin1),
Il m’aimera, peut-être, il le feindra du moins.
Vous l’allez donc remettre en sa [faveur*](#faveur) premiere ?
Ouy, Fatiman rompra ses Fers à ma priere.
Mais ne craignez-vous point, l’en [pressant*](#presser) trop souvent,
Que Fatiman ne sorte enfin d’aveuglement ?
Fatiman veut ma main, il s’empresse à me plaire.
Il m’aime, j’en feray ce que j’en voudray faire.
Il vient.
SCENE II.
He bien, Madame, est-ce aujourd’huy le jour
Où je verray l’[Hymen*](#hymen) couronner mon amour :
Mon [cœur*](#coeur) impatient d’en celebrer la Fête,
Remplit tous les devoirs dûs à vôtre conquête.
Allons, Madame, aux yeux d’Alger & du [Divan*](#divan)
Joindre à jamais Celime à l’heureux Fatiman.
Avant que d’achever cette Cerémonie,
Guerissez, s’il vous plaît, mes soupçons sur Julie.
Avez-vous accomply toutes mes volontez ?
Vos ordres sont déja, Madame, executez.
Dans un cachot obscur gémissant sous la chaîne,
De vous avoir déplû, Carlos souffre la peine.
Et Julie ? Avez-vous pas la même rigueur ?
Non.
Non !
Je l’avouëray, touché de son malheur,
Des graces, des beautez, comme vous le modele,
J’ay respecté les droits, de vôtre Sexe en elle,
Elle est libre.
Ah ! voilà mes soupçons confirmez,
Vôtre [cœur*](#coeur) m’est connu, perfide, vous l’aimez.
Je l’aime !
Vous.
Moy !
Vous. Enfin ma jalousie
Pour être moderée est trop bien éclaircie.
De ces Chants concertez je vois la verité.
Eh… quelle erreur, Madame, & quelle pauvreté !
A mon Accusateur j’avois dequoy répondre ;
Mais mon [cœur*](#coeur) l’entreprend, & je veux vous confondre,
Pour gagner vôtre [cœur*](#coeur), pour avoir vôtre main,
Pour remplir vos desirs, que faut-il faire, enfin ?
Non, non, je ne veux pas que pour moy l’on se [gêne*](#gener),
Et l’execution vous feroit trop de peine.
Non, non, pour satisfaire à ce que vous voulez ;
Je ne conçois plus rien d’impossible, Parlez.
Il faut à son Epoux que vous rendiez Julie,
La bannir de vos yeux pour toute vôtre vie.
Hé bien ! tantôt, Madame, à vos yeux, devant vous,
Je remettray Julie aux mains de son Epoux,
Et je vay de ce pas répondre à vôtre attente.
Ce n’est pas tout, encor, pour me rendre contente,
Et me débarrasser d’un visage odieux,
Que pour jamais Carlos abandonne ces lieux,
Et qu’à peine sorty des Fers de l’esclavage,
Ce soir, avec la nuit, il quitte ce rivage.
Vous serez obeïe.
Avant que de partir
Que je luy parle, il faut, & c’est tout mon desir,
Qu’il connoisse pour luy le fond de ma pensée,
Pour ne pas voir ma haine, il m’a trop offensée.
Que l’on fasse venir l’Esclave à ses genoux.
Demain vous connoîtrez ce que je sens pour vous.
Elle embrasse un dessein que je ne puis comprendre,
Observons-la de prés, cachons-nous pour l’entendre.
L’ay-je amené, Zaïre, au point où j’ay voulu ?
Je me sers assez bien du pouvoir absolu.
Dans les rusez détours d’une Œuvre mercenaire,
Fatiman est bon Turc, grand pilleur, franc Corsaire,
Mais dans ces tours d’esprit aux [Amans*](#amant) destinez,
C’est un Homme à ne voir pas plus loin que son nez.
Il est vray ; mais, Madame, ou j’ay peu de lumiere,
Ou je ne comprens pas ce que vous voulez faire.
L’infortuné Carlos est aimable à vos yeux,
Et vous voulez ce soir qu’il parte de ces lieux.
Ouy ; mais de mes desseins acheve de t’instruire,
Toutes deux avec luy nous partirons, Zaïre.
Nous !
J’ay tout préparé, pour ce [prochain*](#prochain) départ,
Un Bâtiment Anglois est gagné de ma part,
Mon [bien*](#bien) est en Argent comptant ; dans ma retraite
Je ne laisseray rien icy que je regrette.
Il falloit pour sortir facilement du Port,
Du Seigneur Fatiman avoir un Passeport,
Sa bonté me l’accorde, & par son entremise,
Demain de sa [tendresse*](#tendresse) il verra la sottise.
Tu peux t’en assurer…
Et malgré ces apprêts,
Si Carlos est toûjours rebelle à vos souhaits ?
A me plaire, Zaïre, il mettra son [attache*](#attache),
Il sçait ce qu’il en coûte, alors que l’on me fâche,
Et puis quand seul à seul, nous nous verrons sur Mer,
Quand il se verra loin de qui l’a sçû [charmer*](#charmer),
Faite comme je suis, il n’est pas impossible
Que son [cœur*](#coeur) à mes [feux*](#feu) ne devienne [sensible*](#sensible).
Le voilà.
SCENE III.
Je le plains des maux qu’il a soufferts,
Zaïre approchez-vous, que l’on ôte ses Fers.
Qu’on me laisse. Restez, vous. Hé bien ! téméraire,
Tu vois quel est le fruit de m’avoir sçû déplaire ;
Je suis absolument maîtresse de ton Sort :
La plus aimable vie, ou la plus dure mort
Sont à ton choix.
Madame.
En l’[état*](#estat) déplorable,
Où Julie a réduit ton [destin*](#destin) miserable,
S’arracher d’un [Objet*](#objet) qu’on aime tendrement,
N’est pas, je le sçay trop, l’ouvrage d’un moment ;
Aussi, je laisse au temps à faire cet office ;
Mes [soins*](#soin1) te forceront à me rendre justice.
Pour gage d’un Amour dont mon [cœur*](#coeur) est garant,
Accepte ces essais de ma [tendresse*](#tendresse), prend.
Prens, dis je, je te laisse, écoute, & crois Zaïre,
Elle connoît pour toy quel mouvement m’inspire.
Fais, voyant ce que peut mon [courroux*](#courroux) dangereux,
Ce qu’elle te dira, si tu veux vivre heureux.
Adieu.
SCENE IV.
Ciel ! Je… Mais vous à ce qu’elle souhaite,
Prêteriez-vous les mains ?
M’en garde le Prophete.
Allons chez Fatiman luy…
J’ay tout entendu
Au [Cabinet*](#cabinet) [prochain*](#prochain) ; [étonné*](#estonner), confondu,
De voir à quel excés elle poussoit l’outrage,
Indigné de l’affront, inspiré par la rage,
Je me suis vû tenté de la perdre à vos yeux,
Et je n’ay differé que pour la punir mieux.
Je crois que d’un [Amant*](#amant) la [fureur*](#fureur) est extrême,
Quand il se voit trahy par la Dame qu’il aime.
Je l’aime ! Environné de [soins*](#soin2), sur mon [retour*](#retour),
Né dans le sein des Flots, suis-je fait pour l’Amour ?
Son [bien*](#bien), plus que ses yeux, me la rendent aimable.
Et je benis du Ciel le moment favorable,
Qui me montrant l’abîme où j’allois me plonger,
Me fournit les moyens encor de me vanger.
Voyons quel est l’essay de ses galanteries.
Le voilà.
Ce Coffret. Comment, mes Pierreries !
L’usage qu’elle en fait m’inspire le dessein,
D’inventer des [tourmens*](#tourment) qui perceront son sein.
Va la trouver, Zaïre, & pour [flater*](#flatter2) son [ame*](#ame),
Feins-luy que son [Amant*](#amant) peut répondre à sa [flâme*](#flamme),
Qu’à la suivre déja tu l’as vû [balancer*](#balancer),
Le reste me regarde, & je vais y penser.
Nous… Qu’est-ce ?
SCENE V.
Je venois, Seigneur, l’ame contente
Raconter à mon Maître une Histoire plaisante :
Mais…
Dis-moy ce que c’est.
L’illustre D. Brusquin,
S’en alloit vers le Port fort outré de [chagrin*](#chagrin) :
Donnant les Turcs au Diable, & résolu sur l’heure
De se remettre en Mer, pour changer de demeure,
Lors que huit ou dix Turcs luy couppant le chemin,
Qu’il prenoit pour se voir maître de son [destin*](#destin),
En se moquant de luy, le traitant d’Excellence,
Ont fait en l’abordant chacun la reverence ;
Puis aprés un d’entr’eux faisant l’Ambassadeur,
L’a salüé fort bas, luy disant, Monseigneur,
Sçachant que de Julie un bonheur tres-[insigne*](#insigne)
Vous a fait, cy-devant le Mary tres-indigne,
Fatiman préposé pour [pourvoir*](#pourvoir) aux abus,
Que des gens mal sensez commettent là-dessus ;
Pour vous démarier de bonne [intelligence](#intelligence),
Et la remarier, vous prie, avec instance,
De vouloir, terminant la chose avec éclat,
Assister à la Nôce, & signer le Contrat.
Moy signer au Contrat ! Traître, qu’il aille au Diable ,
A-t’il dit, suis je icy pour luy servir de Fable ?
Qu’on me laisse partir, & que ce [Suborneur*](#suborneur),
Se contente d’avoir… Mais, enfin, Monseigneur,
A dit d’un ton soûmis l’autre, vôtre Excellence,
Sçait que Fatiman prie, & qu’un refus l’offence,
Et si de ce plaisir vous allez le priver,
Il aura du regret…. puisse-t’il en [crever*](#crever),
Le Scélérat qu’il est, a dit l’autre en colere.
Puisqu’il ne vous plaît pas, Monseigneur, d’en rien faire,
A dit le Turc, cherchant dessous son [Casaquin*](#casaque),
Respectueusement trois quartiers de [Gourdin*](#gourdin)
Dont il s’étoit muny ; Voicy d’une racine,
Qui met à la raison l’ame la plus [mutine*](#mutin),
Vous en ferez l’essay, s’il vous plaît. A ces mots
Le Drôle de vingt coups a chamarré son dos.
Ah ! quartier, a-t’il dit, voulez-vous que je meure ?
Je suis prêt d’aller voir Fatiman tout à l’heure ;
Ne pouvant de vos coups me sauver qu’à ce prix.
Là-dessus ils ont pris le chemin du Logis,
Il demandoit venant, le desespoir dans l’ame,
Si l’on n’est pas content de luy voler sa Femme,
D’où vient que, malgré luy, l’on le rameine icy,
Et si ce Fatiman veut l’épouser aussi ?
On l’ameine.
A ses yeux tu ne dois point paroître,
Que quand il sera tems de te faire connoître,
Laisse-moy.
Le voilà plaisamment consterné.
SCENE VI.
Hé bien ! me trouvez-vous suffisamment berné ?
Ah Traitres ! à quoy bon avec vos Excellences
En me roüant de coups, toutes ces revérences ?
Non jamais un mortel, à parler Franchement
Ne s’est vû mieux battu, ny plus civilement.
Vous voyez Fatiman, vîte, la revérence,
A son aspect : Bas, bas, plus bas.
Quelle arrogance !
Le Traître de mes coups, rit, entre cuir & chair,
Et pour comble de maux je n’ose m’en fâcher.
Le [brave*](#brave) D. Brusquin de civile maniere,
Devant tes yeux, Seigneur, paroît à ta priere.
Je vous suis obligé d’avoir tant eû d’égard
Pour les gens qui vous ont salüé de ma part.
Brisons là, ce n’est pas le fruit de leur Harangue ;
Et leurs coups de bâton ont plus fait que leur langue,
Ils m’ont roüé de coups, & n’auroient pas [cessé*](#cesse)…
Ils ont tort. Mais, enfin, oublions le passé.
Cela n’est rien, il faut qu’une amitié sincere…
Quoy que mal-aisément tout cecy se digére,
Puis qu’on fait à mon dos une necessité,
De vous rendre aujourd’huy le maître du Traité ;
Soyez-le, j’y consens, les beaux yeux de ma Femme
Ont mis, je le vois bien, du désordre en vôtre [ame*](#ame).
Vous voulez la garder, hé bien ! soit, gardez-la,
Faites-en… faites en tout ce qu’il vous plaira.
Vous n’y manquerez pas ; mais que l’on me renvoye,
Qu’on ne me rende point témoin de vôtre joye,
Je n’auray, sans mes yeux, que de trop bons Témoins ;
....................................................................................
Hé bien ! puis que ton [cœur*](#coeur) a tant de répugnance
A souffrir que l’[Hymen*](#hymen) se fasse en ta présence,
Je veux bien t’obliger, & t’accorder ce point ;
Je te feray partir, tu ne le verras point,
Mais à condition…
Quel est ce nouveau Pacte ?
Qu’avant que de partir, on mettra dans un Acte,
Que te trouvant indigne, & n’étant pas le [fait*](#fait)
De Julie, & voyant qu’un [Hymen*](#hymen) sans effet,
Te fit contre son gré l’Epoux de cette Belle,
Tu t’es démis du droit qu’on te donna sur elle.
Que volontairement vous consentez tous deux,
Que d’un pareil [Hymen*](#hymen) quelqu’un brise les nœuds :
Que Julie en cecy consentit la derniere ;
Que c’est pour t’obliger, & même à ta priere :
Qu’à cet effet pour toy sa bonté se résout,
Que même à tes dépens.
Le Papier souffre tout,
Que l’on y mette tout ce que l’on voudra mettre,
Pourrois-je l’empêcher ? Je veux bien m’en remettre
Sur les [soins*](#soin1) que je crois que vous-même en aurez.
Il faudra le signer, & puis vous partirez.
Moy le signer.
Ouy toy, la chose étant écrite,
Il faudra bien signer.
Ah le [chien*](#chien) d’hypocrite !
Quoy, vouloir qu’en signant un pareil [Concordat*](#concordat),
Je passe pour un Sot sur mon [Certificat*](#certificat) ;
Et que pour ma Moitié par écrit je [convienne*](#convenir),
Que je consens qu’un Turc en fasse icy la sienne :
Dûssay-je être témoin de tout ce qu’on voudra,
Je ne signeray rien de ce qu’on y mettra.
Ouy, je vous mets au pis, vous avez beau me dire,
Pour signer contre moy, je ne sçay point écrire.
C’est t’emporter en vain, tu n’y veux pas signer ;
Hé bien ! soit, je consens à ne te point [gêner*](#gener).
Mais comme tout est prêt pour la Cérémonie,
On ne [laissera*](#laisser) pas de marier Julie,
Tu verras pour cela ce qui s’est [concerté*](#concerter).
Et comme je luy veux donner la liberté,
Il faudra te résoudre, en souffrant qu’il se fasse,
A demeurer Esclave en échange à sa place ;
Jusqu’à ce que la mort finissant tes regrets,
Ait pris l’un de vous d’eux pour laisser l’autre en paix,
Quiconque restera…
Moy Captif ! & le vôtre !
Ira porter chez luy les nouvelles de l’autre.
Tu feras cependant quelque voyage en Mer,
Par divertissement, pour t’apprendre à ramer.
Qui, moy, ramer !
Toy-même.
Ah Ciel ! quel coup de foudre !
Souviens-toy que tu n’as qu’une heure à te résoudre.
S’il est passé ce tems, constant dans ses refus,
Qu’on le mette à la Chaîne, & qu’on n’en parle plus.
Nous irons l’embarquer [Forçat*](#forcat) sur les Galeres,
Qui des Côtes d’Alger partiront les premieres.
Justement. J’en sçauray tantôt le résultat.
SCENE VII.
Ah ! Canaille maudite ! ah Traître ! moy [Forçat*](#forcat) !
Quoy donc ? Il faut finir mes jours en [Barbarie*](#barbarie),
Ou la rame à la main, ou noté d’infamie ?
Aux dépens de mes bras m’épargner un affront,
Ou bien les soulager aux dépens de mon [front*](#front) ?
Ah ! Bourreaux qui sur moy faites ces violences !
Il faut aller plus loin faire tes doléances.
Croyez-vous que mon [cœur*](#coeur) sans douleur souffrira ?
Va, songe à te résoudre, & l’on te répondra.
Fin du quatriéme Acte.
ACTE V.
SCENE PREMIERE.
Il faut attendre icy Celime à son passage.
De la bouche, des yeux, du geste, & du visage,
Songeons à suivre en tout l’ordre de Fatiman.
Que ne ferois-je point pour ce bon Musulman ?
Sur l’[ardeur*](#ardeur) de mon zéle, il peut compter, Tomire ;
Mais de nôtre bonheur achéve de m’instruire.
Le Frere de Carlos vient d’arriver icy,
M’as-tu dit, & son Oncle est mort ?
Ouy, Dieu mercy.
Le bon Homme est défunt, & pour longues années,
Nous allons voir bien-tôt changer nos [destinées*](#destin).
Que diable ! pour mourir, qu’est-ce qu’il attendoit ?
Que la peste le [créve*](#crever) en quelqu’endroit qu’il soit.
Le vieux Renard qu’il est.
Ton dépit me fait rire,
Pourquoy le maudis-tu ?
Je le puis bien maudire.
Si quelques mois plûtôt ce Singe eût trépassé,
Mon gros Diable de Turc ne m’eût point tant [rossé*](#rosser).
Il avoit force Argent, & le Frere en apporte
Dequoy payer trois fois la rançon la plus forte.
Carlos l’a de ces Turcs tres-amplement instruit,
Et puis chez Fatiman il l’a d’[abord*](#abord) conduit.
Et je ne doute point que cette conjoncture
Ne rende leur marché fort facile à [conclure*](#conclure).
Ainsi, comme tu vois, il ne faut plus songer
Qu’à nous bien réjoüir, & bien-tôt déloger.
Celime ne vient point, Tomire, qui l’arrête ?
Tant mieux ; nous en aurons un plus long tête à tête,
Il s’offre rarement, tâchons d’en profiter.
Vois-tu, le [cœur*](#coeur) m’en dit, & je t’en veux conter.
Toy ? quelle vision ! vraîment l’audace est belle,
M’en conter !
Ouy, comment est-ce chose nouvelle ?
Avant que ta Maîtresse eût eu son Sot Epoux,
Est-ce que je manquois jamais au rendez-vous ?
Et tandis que mon Maître [entretenoit*](#entretenir) Julie,
N’allois-je pas les soirs [dedans*](#dedans) la Gallerie,
Te faire bec à bec mille petits [Rébus*](#rebus),
Entrelassez de la… tu ne t’en souviens plus ?
Il m’en souvient que trop, mais depuis six mois, Traître,
Que nous sommes icy, que m’as-tu fait paroître,
Pour me faire la [cour*](#cour), qu’as-tu fait, qu’as-tu dit ?
Quelques mots en passant par maniere d’acquit.
Quand on aime, on en parle.
En étois-je capable ?
J’avois pour Directeur un [cœur*](#coeur) impitoyable,
Qui depuis le matin jusqu’à minuit sonnant,
Querelle à lettre vûë, & [rosse*](#rosser) argent comptant.
Il me roüoit de coups, & pour ne te rien feindre,
Je n’avois que le tems qu’il falloit pour me plaindre.
Et je ne sçache rien, Marine, tout de bon,
Si contraire à l’Amour, que les coups de bâton ;
Mais, enfin, à présent qu’un rayon d’espérance
Nous flate, & qu’on nous traite avec plus d’indulgence,
Comme jamais pour toy mon Amour n’a cessé,
Je veux récompenser un peu le temps passé,
Et folâtrer un peu sur nouveaux frais ; je meure
Si mon [cœur*](#coeur)…
Et demain, peut-être, ou dans une heure,
Si les coups de bâton surviennent là-dessus,
Tu ne me diras rien, ou ne m’aimeras plus.
Je prétens qu’un [Amant*](#amant), en pareille avanture,
Conserve un [cœur*](#coeur) plus [tendre*](#tendre) en une peau plus dure,
Et je me mocque, moy, de cet Amour poltron,
A qui la peur des coups fait faire le plongeon.
Entens-tu ?
Cependant, à regret je m’en vante ;
Mon amour n’est point ladre, & la peur l’épouvante :
J’en [conviens*](#convenir), c’est pour moy, si tu veux, un malheur ;
Mais j’ay la peau fort tendre, aussi-bien que le [cœur*](#coeur) ;
Enfin, pour abreger un [discours*](#discours) qui t’[ennuïe*](#ennuyer) ;
Et te faire ma cour, sçais-tu bien que Julie
M’a tantôt promis...
Quoy ?
Que nous serions unis.
Il vaudroit mieux pour toy que je te l’eus promis.
Chut, Celime paroît
Elle parle à Zaïre.
Ecoutons, & songeons à ce qu’il nous faut dire.
SCENE II.
Pour le départ, Zaïre, hé bien tout est-il prêt ?
Avant que de partir, j’en ay vû tout l’apprêt.
As-tu de mes trésors chargé le Capitaine ?
Ils sont en [bonne main*](#bonne-main), n’en soyez point en peine.
Et Carlos ?
Avec vous il s’apprête à partir.
Dis-moy, son [cœur*](#coeur) est-il touché de repentir ?
En luy parlant de moy, l’as-tu vû se confondre ?
A vos desirs, Madame, il m’a paru répondre.
Je viens de sa promesse avertir Fatiman.
Qu’il est temps qu’il réponde à mon [empressement*](#empressement),
Qu’avecque son Epoux je veux revoir Julie,
Pendant que se fera cette Cérémonie.
Dans les cris, le tumulte, & l’ombre de la nuit,
Moy, Dom Carlos, & toy, nous partirons sans bruit.
Que voy-je ? quelle Fille icy s’offre à ma vuë ?
Elle est à Julie.
Ah ! m’auroit-elle entenduë ?
Je ne crois pas, Madame, elle est trop loin.
Voilà
Le Valet de Carlos aussi ! Que fais-tu là ?
Sauf ce qui vous est dû, du meilleur de mon [ame*](#ame),
Je ris dans mon petit particulier, Madame.
Quoy ?
Marine est en place à se désesperer.
Et mon petit Esprit rit de la voir pleurer.
Elle pleure ?
Ouy, Madame.
Eh pourquoy ? qu’est-ce à dire ?
Je pleure de dépit que j’ay de le voir rire.
Ces contrarietez que vous me faites voir,
Ont d’autres fondemens ; & je les veux [sçavoir*](#savoir).
Madame, à dire vray pour moy, c’est que mon Maître,
Joyeux, charmé, ravy, tout ce qu’on sçauroit l’être,
M’a dit que nous étions tous deux en liberté,
Que rien n’étoit égal à sa felicité ;
Et depuis ce moment je ris, ne vous déplaise,
A gorge déployée, & ne me sens pas d’aise.
Zaïre, il est enfin [sensible*](#sensible) à mes [ardeurs*](#ardeur).
Et toy, parle, quelle est la source de tes pleurs.
Un chagrin qui ne peut finir qu’avec ma vie.
Aux [vœux*](#voeu) de D. Brusquin, Fatiman rend Julie.
Cet [Hymen*](#hymen) renoüé produit à nos regrets
Une source de pleurs à ne tarir jamais.
Quel plaisir, de pouvoir tourmenter sa Rivale !
Zaïre, ç’en est un pour moy, que rien n’égale.
Mais qui vous fait venir, dans mon Appartement
Donner chacun l’essort à son temperamment.
Mon Maître dans ces lieux m’ordonne de l’attendre
Pour un fait d’importance il doit venir s’y rendre,
Il m’a recommandé que cecy fût secret.
Madame, vous sçavez comme je suis discret ;
Ma langue est morte, & j’ay cadenacé ma bouche.
Carlos se rend, Zaïre, & mon amour le touche.
Et moy je viens icy, Madame, à vos genoux ;
Vous prier d’empêcher que ce vilain Epoux,
A l’amour de Carlos n’arrache ma Maîtresse.
Elle mourroit, ayez pitié de sa [tendresse*](#tendresse).
De cette impertinence osez-vous me prier ?
Moy ! que j’aide Julie à se démarier ?
Sortez, à mon [courroux*](#courroux) dérobez vôtre vie.
Zaïre, en ce moment que mon [ame*](#ame) est [ravie*](#ravir) !
Tout va bien.
SCENE III.
Le voilà, que l’on le mette aux Fers.
Dans mon Appartement ? devant moy ?
Quels revers ?
SCENE IV.
Helas !
Par des ingrats je suis trahy, Madame.
Malgré tous mes bienfaits, pleins d’une noirceur d’ame,
N’écoutant qu’un esprit au crime abandonné,
Pas un endroit [sensible*](#sensible) ils m’ont assassiné.
Me voilà découverte. O rigueur inhumaine !
Mais Carlos le premier en va porter la peine.
Sous les [tourmens*](#tourment) divers que j’ay fait préparer,
Venez le voir, Madame, à vos yeux expirer.
Suivez moy.
Juste Ciel !
Vous semblez chancelante,
Venez le voir mourir.
De son crime ignorante
Je cherche en mon esprit, confus, embarrassé,
Par quel endroit il peut vous avoir offensé.
Ce seul témoin suffit pour convaincre vôtre [ame*](#ame),
On l’a trouvé saisi de ce Coffret, Madame.
Hé bien !
Ces Diamans entre ses mains tombez,
Prouvent qu’il vous les a sûrement dérobez.
Luy, dérobez !
Comment puis-je ne le pas croire ?
Prendrois-je des soupçons honteux à vôtre gloire ?
Les auroit-il reçûs de vôtre main ? Parlez ?
Vous a-t’il confessé qu’il les avoit volez ?
De frivoles raisons il vouloit se défendre ;
Mais mon juste [courroux*](#courroux) n’a pas voulu l’entendre.
Zaïre, ce que c’est que d’être malheureux !
Un Homme qui se trouve en cet [état*](#estat) affreux,
Est soupçonné de tout, tout ce qu’il fait offence,
On le croit criminel, même dans l’innocence.
Qu’entendez-vous par là ?
Dom Carlos en fait foy.
Tu sçais que ces bijoux luy sont donnez par moy.
Ouy, Madame.
Il les tient de vous? Qu’osez vous dire ?
Et tu n’ignores pas à quel dessein Zaïre ?
Non, Madame.
Et tu vois comment il est traité ?
Madame, où poussez-vous ma curiosité ?
De ce dessein, de [grace*](#grace2), [expliquez*](#expliquer) la manœuvre.
Voyant ces Diamans assez mal mis en œuvre,
Desirant les voir mieux ; de Carlos j’ay fait choix,
Pour les porter à ce [Lapidaire*](#lapidaire) François ;
Qui de tout vôtre Alger s’est attiré l’estime.
Il est de ses Amis, Seigneur, voilà son crime.
Mais pourquoy le vouloir charger de cet employ ?
Vous pouvez vous servir de vos gens ou de moy.
Me servant de mes gens on auroit pû l’apprendre,
Et je vous l’avouëray, je voulois vous surprendre.
Vous vouliez me surprendre, & vous m’avez surpris :
Mais bien-tôt vos bontez en recevront le prix.
Dans un moment Carlos alloit cesser de vivre :
Mais étant innocent ; courez, qu’on le délivre.
Ayant presque causé, moy-même, son trépas,
J’y veux moy-même aller, & reviens sur mes pas.
SCENE V.
Plus loin & plus long-tems peut-on pousser l’audace !
Mais je seray vangé, tout va changer de face :
Elle va recevoir le prix de sa noirceur,
Et d’avance déja j’en goûte la douceur.
Dom Brusquin vient, ses cris le font assez connoître.
Ecoutons ses [discours*](#discours), avant que de paroître.
SCENE VI.
Messieurs, que faites-vous, je suis prêt à signer,
L’heure n’est pas sonnée ?
Elle vient de sonner.
Et c’est ta faute, au lieu d’aller au necessaire,
Tu veux moraliser, ou tu ne fais que braire,
Tu crois qu’on soit payé pour t’entendre crier.
Je te l’ay déja dit vingt fois ; point de quartier.
Eh de [grace*](#grace2) ! Monsieur, en pareille matiere,
Un moment plus ou moins ne fait rien à l’affaire,
Au nom de Belzebut, vôtre digne Patron,
Voyez Fatiman, vous, ou vôtre Compagnon,
Dites-luy, que soûmis à la loy qu’il m’imppose,
Je luy donne ma Femme à Bail [emphithéose*](#emphyteose).
Et que s’il veut du sang, je signeray du mien,
Que de cent ans & plus je ne demande rien.
Il n’est plus tems, te dis je, & l’heure est expirée.
Nôtre ordre est [positif*](#positif) & ta priere usée.
Il ne revient jamais, quand il a décidé.
Ah [Chien*](#chien) d’honneur, pourquoy m’as-tu tant obsedé ?
N’importe, par pitié, des peines que j’endure,
Parlez à Fatiman, allez, je vous conjure,
Dites-luy que d’[abord*](#abord) j’avois pris mon party.
Ne verra-t’il pas bien que nous aurons menty ?
N’importe, donnez-moy cette derniere joye.
Il va me renvoyer.
Eh bien, s’il vous renvoye,
Vous ferez lors de moy tout ce qu’il vous plaira :
Voyons de quel secours mon Argent me sera.
Tenez, prenez cecy, pour vous donner courage.
Attendez, je vay voir ; mais s’il vient, soyez sage.
SCENE VII.
Helas ! à mes dépens je connois, mais trop tard,
Qu’un Homme est un grand Sot quand un coup du hazard,
Le défait d’une Femme un peu Coquette & belle,
D’aller passer les Mers pour courir aprés elle.
Ah ! que je vois par tout de gens mal satisfaits,
Qui rendroient [grace*](#grace1) au Ciel d’en être ainsi défaits !
Quelqu’un vient, je crains fort, & je ne m’en puis taire,
Que mon retardement ne m’ait fait quelque affaire.
SCENE VIII.
.......................................................................
Me voilà ! je feray tout ce qu’il vous plaira,
Et signeray, plûtôt que vous mettre en colere ;
Pour moy, pour mon Ayeul, & pour défunt mon Pere,
Que nous avons été des Sots de Pere en Fils,
Et même si l’on veut pour tous mes bons Amis,
Je laisse le champ libre à qui voudra m’en croire.
C’est quelque chose ; Mais si j’ay bonne memoire
Je ne t’avois donné pour régler ton départ,
Qu’une heure, & ce choix vient, ce me semble un peu tard.
C’est que j’ay quelque tems, parlant de vôtre [flâme*](#flamme),
[Entretenu*](#entretenir) vos gens du bonheur de ma Femme,
Du plaisir que j’avois à vous trouver d’humeur,
De vouloir consentir… de me faire l’honneur,
D’en recevoir tantôt, sans qu’elle y soit forcée,
Ce qu’elle… ils m’écoutoient, & l’heure s’est passée.
Ainsi, tu signeras ce qui t’est ordonné ?
Qu’on me fasse partir, je donne un [blanc signé*](#blanc-signe).
Outre ce [blanc signé*](#blanc-signe), ton amitié s’[engage*](#engager)
A payer, sans [chagrin*](#chagrin), les frais du Mariage.
Si j’en ay, je sçauray ne le point faire voir.
Que tu seras présent à leurs Nôces ce soir,
Et qu’à table auprés d’eux tes [discours*](#discours) ordinaires ;
Pour cela décomptez.
Décomptez ! aux Galeres.
Quartier, Messieurs, s’il faut cela pour m’en sauver,
Je boiray leur santé, quand j’en devrois [crever*](#crever).
Je vous en laisseray possesseur fort tranquille.
Comme pour ton [repos*](#repos) cet [Hymen*](#hymen) est utile,
Et que l’Epoux, enfin, que je luy veux donner ;
Peut avoir, quelque peine à se déterminer.
A moins que ton [aveu*](#aveu) ne seconde sa [flâme*](#flamme),
Il faudra le prier d’avoir [soin*](#soin1) de ta Femme ;
Et de la recevoir de ta main, autrement…
Ah ! faites-moy credit d’un si sot compliment,
De quel [air*](#air) voulez vous que pour le satisfaire...
Quoy, cela te fait peine ?
Ouy, sans doute.
En Galere,
Allez, c’est trop vouloir marchander avec moy.
Je suis soûmis à tout, & vous donne ma [foy*](#foy)
De faire exactement sur chaque circonstance,
Ce qu’on exigera de mon obéïssance.
Qu’on luy fasse signer tout ce qu’il me promet.
SCENE IX.
Venez remercier D. Brusquin, s’il vous plaît,
Belle Julie, enfin, d’une indulgence extrême,
Il renonce à ses droits, & vous rend à vous-même.
En faisant cet effort sur son [cœur*](#coeur) aujourd’huy,
Il fait beaucoup pour moy ; mais encor plus pour luy.
Ouy, c’est beaucoup pour moy que d’abaisser mon [ame*](#ame),
A signer le Contrat du Mary de ma Femme,
Quel honteux personnage on me fait joüer là !
Je t’entens murmurer, que veut dire cela ?
Non, j’ay signé, tout est à vos ordres conforme ;
Jamais Homme ne fut Sot en meilleure forme.
Maintenant qu’à mes [vœux*](#voeu), tu veux bien consentir,
Je vais pour t’obliger, & te faire partir,
Te faire voir l’Epoux que je donne à ta Femme.
Comment, ce n’est pas vous ?
Non, sans doute, & sa [flâme*](#flamme)
N’ayant pû se cacher, son [cœur*](#coeur) s’est declaré
En [faveur*](#faveur) de celuy qu’elle t’a préferé :
Et touché d’une [ardeur*](#ardeur) si [tendre*](#tendre) & si fidelle,
J’ay voulu les unir par amitié pour elle.
J’entens bien ; & pour prix d’une telle [faveur*](#faveur),
Vous ne vous réservez que le droit du Seigneur,
Mon [front*](#front) est à l’enchere, & ma Femme au pillage.
SCENE X.
Il est temps désormais d’achever vôtre Ouvrage.
Pour le voir accomplir, je rameine Carlos.
A tant d’infortunez assurez le [repos*](#repos),
Qu’il soit libre, rendez un Epoux à Julie,
Et qu’ils prennent congé tous de la Compagnie.
Ainsi dit, ainsi fait, Julie approchez-vous,
Recevez de ma main Carlos pour vôtre Epoux.
Quoy, Carlos ! est-ce ainsi que mes ordres…
Perfide,
De l’odieux amour qui vous [charme*](#charmer) & vous guide,
Grace à mes bons [destins*](#destin) le projet m’est connu,
Mais de vous en punir le moment est venu,
Ingrate, rougissez.
O Ciel ! je suis trahie.
Qui vous portoit Cruelle, à cette perfidie ?
Peux-tu le demander, je l’aimois, je te hais !
Aprés mon procedé contre tous mes souhaits,
D’être unie à Carlos je n’ay plus l’espérance ;
Mais ne crois pas me voir briguer ton alliance,
Je vais sortir d’Alger, pour ne te voir jamais.
Non, devant le Divan instruit de vos forfaits,
Il faut qu’auparavant, vous soyez confonduë,
Qu’on l’ôte de ces lieux, elle blesse ma vûë.
Ils blessent tous la mienne, allons, sortons d’icy.
SCENE DERNIERE.
Seigneur en faveur…
Non, n’ayez nul [soucy*](#soucy).
Aprés tous les [travaux*](#travail) d’une longue constance,
Venez de vôtre amour cüeillir la récompense,
Vous êtes à Carlos, & Julie est à vous.
D. Brusquin y consent.
Quoy ! c’est là cet Epoux ?
Ouy, c’est luy, qui charmé des beaux yeux de Julie
L’enleva de tes bras, c’est luy qu’en [Barbarie*](#barbarie),
L’Amour pour te l’ôter fit Esclave, & c’est luy,
Qu’on va faire à tes yeux son Epoux aujourd’huy.
Quoy ! c’est là le Paris, de cette belle Heleine ?
On me livra sans peine à l’[objet*](#objet) de ma haine,
Il vous plût de souffrir qu’on en usât ainsi,
On vous force à me rendre, & je le souffre aussi.
O Giornata
Fortunata !
Ringrasciar Mahometa,
Mi donnar la libertà,
Di tonar in Patria
Allegria.
Hà, hà, hà, hà, hà, hà, hà, hà, hà,
Hà, hà, hà, hà, hà, hà, hà, hà, hà, hà, hà, hà,
Mi rompir Catena,
Ti donar Femina,
Allegria.
Hà, hà, &c. Libertà.
Voglio casciar d’amar vaga belta
L’amore fa penar
E tropo sospirar
La crudeltà.
Libertà, libertà, &c.
O le bon Païs que la Turquie,
Si l’on y bûvoit du Vin,
Si-tôt qu’une Femme [ennuïe*](#ennuyer),
Sans autre cérémonie,
On la donne à son Voisin.
O le bon, &c.
S’il ne falloit que passer la Mer,
Et se rendre en Alger,
Pour rompre un Mariage,
Plus de la moitié des Maris
Qui sont aujourd’huy dans Paris,
Feroient dés demain le voyage.
Helas, tous mes Amis se moquant de ma [flâme*](#flamme),
Ne m’appelleront plus que le Mary sans Femme ;
Mais que ferois-je, enfin, il faut s’en consoler ;
Bien des gens que je vois, voudroient me ressembler.
On reprend icy le même divertissement.
FIN.