L’ÉPREUVE RÉCIPROQUE
COMÉDIE

M. DCC XI

par ALAIN

1

NOTICE SUR ALAIN. §

ROBERT ALAIN naquit à Paris en 1680, et y fit de très bonnes études. Ses parents le destinaient a l’état ecclésiastique ; mais il ne s’y sentait aucune disposition, et avait au contraire beaucoup de penchant pour la littérature. Malheureusement sa fortune ne lui permettait pas de s’y livrer entièrement. Il prit l’état de sellier : ce genre d’occupation paraît avoir employé tous ses moments, puisqu’on n’a de lui que L’ÉPREUVE RÉCIPROQUE, petite comédie en un acte, à laquelle on prétend que Legrand eut beaucoup de part. Cette pièce fut jouée pour la première fois en 1711. Elle eut beaucoup de succès, et paraît encore fort souvent sur le théâtre. On raconte qu’au sortir de la première représentation, Lamotte ayant trouvé la pièce un peu courte, dit à Alain, dans les foyers, en faisant allusion à son état de sellier : « Monsieur Alain, vous n’avez pas assez allongé la courroie. »

Alain mourut à Paris en 1720, n’ayant encore que quarante ans.

PERSONNAGES §

  • MADAME DE FALIGNAC.
  • VALÈRE, amant de Philaminte.
  • PHILAMINTE, jeune veuve, amante de Valère.
  • FRONTIN, valet de Valère.
  • LISETTE, intrigante.
  • CRIQUET.
La scène est à Paris, dans la maison de madame de Falignac.

SCÈNE I. Valère, Frontin, habillé en financier. §

FRONTIN.

Eh bien ! Monsieur mon nouveau maître, nous voici donc chez madame de Falignac ?

VALÈRE.

Oui, Frontin.

FRONTIN.

Que de magnificence ! Ce que c’est que d’avoir de l’esprit ! On dit que la maîtresse de ce logis a été autrefois petite soubrette, et qu’aujourd’hui...

VALÈRE.

Aujourd’hui elle est veuve d’un conseiller de province, qui lui a laissé quelque bien à la vérité : mais, si elle ne donnait à jouer, ce peu de bien ne suffirait pas à soutenir cette magnificence qui te surprend.

FRONTIN.

Cette maison ne désemplit point du matin jusqu’au soir. On y voit des comtes, des comtesses, des marquis, des marquises, des présidents, des présidentes, des abbés, des abb... Que diable, sais-je ? Il faut que ce soit ici le rendez-vous de tous les nobles fainéants de Paris ; apparemment que vous y venez souvent, monsieur.

VALÈRE.

Je n’y suis jamais venu que pour voir Philaminte.

FRONTIN.

Cette jeune veuve que vous aimez depuis si longtemps, et que vous allez, épouser ?

VALÈRE.

Elle vient ici avec moins de scrupule que partout ailleurs, Madame de Falignac ayant été femme de chambre de sa mère.

FRONTIN.

Cette Philaminte est belle sans doute ? Elle vous aime autant que vous l’aimez ?

VALÈRE.

Hélas !

FRONTIN.

Vous soupirez ?

VALÈRE.

Ne m’en parle point.

FRONTIN.

Comment ?

VALÈRE.

Je l’adore, et l’infidèle !... Ne m’en parle point, te dis-je.

FRONTIN.

Parlions donc d’autre chose. Quoique nous nous connaissions vous et moi depuis longtemps, ce n’est que d’hier que je suis à votre service ; vous m’habillez aujourd’hui magnifiquement, vous m’amenez ici sans vouloir me rien dire, je crois cependant qu’il est temps de m’instruire de votre dessein. Que voulez-vous que j’entreprenne dans cet équipage ?

VALÈRE.

Je veux, mon cher Frontin, que tu contrefasses le financier. Comme tu as demeuré longtemps chez monsieur Patin, le plus riche financier de tout le royaume, j’ai cru que tu pourrais mieux qu’un autre en avoir attrapé les manières, et c’est ce qui m’a fait mettre tout en usage pour t’attirer à mon service.

FRONTIN.

J’y ai fait une grande perte, et vous une bonne acquisition. Mais qui vous oblige à me faire passer pour financier ?

VALÈRE.

Je suis jaloux, Frontin. Je veux tendre un piège Philaminte ; je veux éprouver sa fidélité, et je t’ai choisi.

FRONTIN.

Oh ! Parbleu, monsieur, elle y sera prise ; elle succombera, ne risquez point le paquet. Mettre une veuve à l’épreuve d’un financier, c’est pousser une terrible botte à sa douleur : et surtout ce financier étant fait comme moi.

VALÈRE.

Quoique Philaminte soit coquette, je n’ose encore imaginer...

FRONTIN.

C’est-à-dire que sa coquetterie est entée sur un sauvageon de vertu.

VALÈRE.

Je ne doute point de sa vertu. Dans toutes ses actions elle a toujours en vue le mariage.

FRONTIN.

Mais vous voulez savoir si, trouvant un plus riche parti, elle serait d’humeur à l’accepter ou à vous le sacrifier ? Ma foi, je n’approuve point votre délicatesse. D’ailleurs, irai-je dire de but en blanc à Philaminte que je l’aime, que je suis financier, que je veux l’épouser ?

VALÈRE.

Les choses sont plus avancées que tu ne penses. Depuis que je suis brouillé avec elle, sous le nom de Monsieur Patin qu’elle n’a jamais vu, je lui ai déjà fait tenir une riche agrafe de diamants, avec un billet, dans lequel je lui propose un rendez-vous.

FRONTIN.

Eh bien ?

VALÈRE.

Elle a reçu le tout avec la joie d’une coquette qui fait une nouvelle conquête.

FRONTIN.

Que voulez-vous davantage ? Voilà votre épreuve faite.

VALÈRE.

Mon amour ne peut encore la condamner tout-à-fait ; elle aime le jeu passionnément. Elle venait peut-être de faire quelque perte considérable dans le temps que je lui ai fait tenir cette agrafe.

FRONTIN.

Il est vrai que les joueurs qui perdent sont comme les gens qui se noient, ils saisissent dans le moment tout ce qu’on leur présente.

VALÈRE.

Voilà où j’en suis ; c’est à toi d’achever.

FRONTIN.

En ce cas, je jouerai bien mon rôle. Me voilà donc à la place de mon ancien maître le financier. Cela arrive assez souvent dans ce métier-là.

VALÈRE.

Elle n’aura pas manqué de s’informer de Monsieur Patin. Ainsi, songe à le bien copier, et à remplir l’idée qu’on pourra lui en avoir donnée.

FRONTIN.

Pour la taille d’abord, elle est assez semblable. Je changerai seulement mon esprit fin et délicat en des manières brusques et grossières : je parlerai de tout à tort et à travers, et je ne laisserai pas, sous cette naïveté affectée, de me rendre agréable à Philaminte.

VALÈRE.

Fort bien.

FRONTIN.

Mais, monsieur, pour faire le financier, il faut avoir de l’argent ; je n’ai pas le sou.

VALÈRE.

Tiens, voilà ma bourse. Comme tu ne joueras ce personnage qu’un moment, ce qui est dedans te suffira pour bien faire les choses : songe seulement à répandre l’argent à propos.

FRONTIN.

Laissez-moi faire. Commençons par payer grassement celui qui va contrefaire le financier.

VALÈRE.

Comment ?

FRONTIN, se donnant de l’argent à lui-même.

Tenez, monsieur Frontin, voilà ce que je vous donne... Ah ! Monsieur, je ne le prendrai point... Si vous ne le prenez point, je le garderai.

VALÈRE.

Ne badine pas ; quelqu’un vient : c’est Madame de Falignac ; elle sait mon secret.

FRONTIN.

Ne jasera-t-elle point ?

VALÈRE.

Elle est de mes amies.

SCÈNE II. Madame de Falignac, Valère, Frontin. §

VALÈRE.

Bonjour, ma chère Madame de Falignac.

MADAME DE FALIGNAC.

Ah ! C’est vous, mon cher Valère ? Êtes-vous toujours fou ?

VALÈRE.

Plus que jamais, madame , si c’est folie de vouloir pousser une infidèle à bout.

MADAME DE FALIGNAC.

Philaminte est une jeune folle qui ne sait pas les conséquences des choses, et vous devriez plutôt détourner les occasions qu’elle pourrait avoir de vous être infidèle, que de tendre des appâts à son humeur volage. Mais quel est ce monsieur devant qui nous parlons si librement ?

VALÈRE.

C’est le valet que j’ai choisi pour faire le financier.

MADAME DE FALIGNAC.

Ma foi, je l’aurais pris pour un honnête homme.

FRONTIN, montrant sa bourse.

Ne le suis-je pas ? Vous voyez, monsieur, que les connaisseuses s’y trompent. Jugez si Philaminte, qui n’a pas tant d’expérience à beaucoup près que madame, ne donnera pas dans le panneau.

MADAME DE FALIGNAC.

Mais enfin , si elle est aussi infidèle que vous vous le persuadez, que ferez-vous ? Quelle sera votre vengeance ?

VALÈRE.

J’épouse à ses yeux cette belle inconnue dont je vous ai parlé.

MADAME DE FALIGNAC.

Quoi ! Cette comtesse si riche que vous ne connaissez que de nom ? Je doute qu’elle ait les charmes de Philaminte.

VALÈRE.

Elle est alliée, dit-on, à tout ce qu’il y a de plus illustre à la cour ; et pour juger de sa beauté, il ne faut que voir son portrait.

Il lui montre un portrait.

MADAME DE FALIGNAC.

Voilà une belle personne.

VALÈRE.

Elle me l’a envoyé ce matin avec ce billet, qui me promet une fortune considérable, si je quitte Philaminte pour elle.

MADAME DE FALIGNAC.

Elle vous envoie des présents de cette magnificence, sans vous avoir jamais parlé ?

FRONTIN.

Elle a vu monsieur, n’est-ce pas assez ? La plupart des femmes ne s’attachent qu’à la superficie ; c’est ce qui me fait, attendre au premier jour une fortune semblable.

VALÈRE.

Je vous dirai plus. Par ma réponse à sa lettre, c’est ici que doit se faire notre entrevue : ne soyez pas fâchée si j’ai choisi votre maison.

MADAME DE FALIGNAC.

Vous vous moquez, mon cher Valère.

FRONTIN.

Madame sait que c’est à bonne intention. Elle se mêle quelquefois de faire des mariages ; mais, quand ils se font sans elle, elle n’en est point scandalisée.

VALÈRE.

Quelqu’un vient, séparons-nous ; il ne faut pas qu’on nous voie ensemble ; nous nous retrouverons dans la salle du jeu.

SCÈNE III. §

MADAME DE FALIGNAC, seule.

Je crains que notre ami Valère ne se repente de sa curiosité. Philaminte est une étourdie qui pourrait... Mais la voici.

SCÈNE IV. Philaminte, Madame de Falignac. §

PHILAMINTE, éclatant de rire.

Ma chère Madame de Falignac, vous me voyez dans une joie, dans un excès de joie, qui ne se peut concevoir!

MADAME DE FALIGNAC.

D’où vient donc cette joie, petite folle ?

PHILAMINTE.

Valère est un volage, un inconstant, un infidèle. Ah ! ah ! ah !...

MADAME DE FALIGNAC.

Voilà un beau sujet de vous réjouir !

PHILAMINTE.

J’ai toujours bien jugé que son ambition le ferait donner dans le panneau. Comme je n’ai rien de caché pour vous, je vous avouerai que depuis quelques jours je lui ai fait écrire sous le nom d’une comtesse supposée. Le trailre y a fait réponse. Ah ! ah ! ah !

MADAME DE FALIGNAC.

Que me dites-vous là ?

PHILAMINTE.

Et ce matin, de la part de la même comtesse, je lui ai envoyé un portrait garni de diamants ; il ne l’a pas refusé, le fourbe, le perfide, le scélérat. Ah ! ah ! ah !

MADAME DE FALIGNAC.

Cela est assez risible, mais je crois que vous n’en riez que du bout des dents.

PHILAMINTE.

Point, j’en ris tout de bon ; nos amours étaient trop tristes, je me lassais de ce que Valère ne me donnait aucun sujet de jalousie, et encore plus de rester si longtemps sans m’attirer des reproches de sa part. Depuis que nous nous aimons, nous n’avons presque point été brouillés. Cela est ennuyant, au moins.

MADAME DE FALIGNAC.

Beaucoup.

PHILAMINTE.

Enfin son infidélité m’a déterminée à répondre au billet doux d’un financier qui m’a envoyé cette agrafe. Comme il se propose pour mari, je n’ai point tant cherché de façons. S’il s’était proposé pour amant, cela aurait mérité attention ; j’ai accepté son rendez-vous, et c’est chez vous, ma chère bonne.

MADAME DE FALIGNAC.

Il faut que je sois bien bonne en effet pour souffrir tout cela.

PHILAMINTE.

Oh ! Je ne connais point de meilleure femme que vous.

MADAME DE FALIGNAC, à part.

Ne disons rien, cette épreuve réciproque nous va donner la comédie en notre petit particulier.

PHILAMINTE.

Que dites-vous ?

MADAME DE FALIGNAC.

Rien, je songe à tous ces rendez-vous ; je trouve cela plaisant à mon tour.

PHILAMINTE.

Gardez-moi le secret.

MADAME DE FALIGNAC.

Allez, allez, j’ai d’autres secrets que le vôtre à garder, et je suis plus discrète que vous ne pensez. Après tout, quel est votre dessein ?

PHILAMINTE.

J’attends Valère aux genoux de la fausse comtesse, pour lui dire que ce n’est que la femme de chambre d’une de mes amies.

MADAME DE FALIGNAC.

Il sera au désespoir.

PHILAMINTE.

Et sur-le-champ j’épouse le financier.

MADAME DE FALIGNAC.

Mais le connaissez-vous assez ?...

PHILAMINTE.

Je m’en suis informée. On dit que ce n’est pas un homme fort bien fait, mais une agrafe de ce prix...

Lui faisant voir l’agrafe.

M’a d’abord pré venue en sa faveur. Il m’a vue plusieurs fois, à ce que marque son billet ; il est charmé de moi, toute sa caisse est à mon service. Que je m’en vais dépenser d’argent ! Que je m’en vais jouer !

MADAME DE FALIGNAC.

C’est un grand plaisir.

PHILAMINTE.

Il m’a prise dans le bon temps ; car, dans une autre saison, j’aurais jeté par les fenêtres le billet doux, l’agrafe, le porteur, le financier, et tout son équipage... Mais voici notre fausse comtesse.

SCÈNE V. Philaminte, Madame de Falignac, Lisette, en comtesse. §

PHILAMINTE.

Approche, Lisette, qu’as-tu fait ?

LISETTE.

Des merveilles. On vient de me montrer votre Valère. Aussitôt qu’il m’a vue, il s’est troublé ; j’ai fait la déconcertée, il a tiré mon portrait de sa poche, et l’a baisé avec transport. J’ai joué de la prunelle, j’ai rougi, j’ai pâli, et en tournant mes pas de ce côté, je lui ai lancé un coup d’oeil si meurtrier que je ne crois pas qu’il en revienne.

MADAME DE FALIGNAC.

Mademoiselle Lisette ne l’entend pas mal.

LISETTE.

N’est-ce pas de cette manière, madame, vous que attirâtes autrefois le défunt dans vos filets ?

MADAME DE FALIGNAC.

À peu près.

LISETTE.

Le ton temps est passé, madame de Falignac. Les hommes n’épousent plus par amourette.

PHILAMINTE.

Mais, Lisette, où as-tu laissé Valère ?

LISETTE.

Il est en conversation avec mon page , il l’a tiré à quartier.

MADAME DE FALIGNAC.

Comment donc ? Quel page?

LISETTE.

C’est le fils du cocher de la dame que je sers. Il voudra apparemment le faire jaser, mais le petit drôle est aussi bien instruit que le laquais qui lui a rendu ce matin mon portrait. Il lui a fait mille questions... Mais, qu’est-ceci, madame ? Vous me paraissez triste.

PHILAMINTE.

C’est que je fais réflexion sur cette aventure. Quoique je trahisse en quelque façon Valère, je suis fâchée de le voir infidèle ; je voudrais que mon inconstance lui fit de la peine.

MADAME DE FALIGNAC.

Ma foi, vous l’aimez plus que vous ne pensez.

LISETTE.

Voici notre page en question.

SCÈNE VI. Philaminte, Madame de Falignac, Lisette, Criquet en page. §

LISETTE.

Eh bien, Criquet ?

CRIQUET.

Eh bien ! Mademoiselle Lisette, je viens de raisonner avec ce monsieur ; savez-vous qu’il ne manque pas d’esprit ?

LISETTE.

Tu trouves cela ?

CRIQUET.

Il n’en manque morbleu pas ; mais j’en ai plus que lui.

LISETTE.

Comment ?

CRIQUET.

2

Il m’a voulu tirer les vers du nez, mais je lui ai donné son reste comme il faut. Il n’y a pas ventrebleu de page de cour plus effronté que moi quand je m’y mets.

LISETTE.

Que t’a-t-il demandé encore ?

CRIQUET.

Mon gentilhomme, y a-t-il longtemps que vous êtes auprès de cette belle dame ?... Depuis qu’elle est arrivée de Bretagne pour se marier à Paris.

LISETTE.

Bon.

CRIQUET.

Sait-on qui elle va épouser ?... Non, mais elle dit tous les jours à son oncle le commandeur, en querellant avec lui, que, puisqu’il l’a une fois mariée à sa fantaisie, elle veut à l’avenir se marier toujours à la sienne ; que pour son bien, elle prétend choisir, et qu’elle a déjà en main le plus joli homme de France, dont elle veut faire la fortune.

LISETTE.

Fort bien.

CRIQUET.

3

Il voulait m’en demander davantage ; mais zeste, je me suis adroitement débarrassé de lui.

LISETTE.

Cela ne va pas mal.

CRIQUET.

Il vient de ce côté, je vous en avertis.

MADAME DE FALIGNAC.

Passons dans ce cabinet, nous verrons tout son manège.

LISETTE.

Moi, je l’attends ici de pied ferme.

PHILAMINTE.

Toi, Criquet, vois là-dedans si monsieur Patin n’y serait pas, et viens nous en avertir.

CRIQUET.

Je ne le connais point.

LISETTE.

C’est ce financier dont tu nous as tantôt entendu parler... monsieur Patin.

CRIQUET.

Ce financier... Monsieur Patin... Je ne sais ce que c’est ; mais il n’importe, je devinerai bien à la mine qu’est-ce qui doit s’appeler comme cela.

SCÈNE VII. §

LISETTE, seule.

Que je suis sotte de ne pas profiter de mes charmes ! Madame de Falignac n’était pas plus que moi quand elle a fait sa fortune ; mais Valère n’est pas ce qu’il me faut. Philaminte, pour se venger, lui découvrira tôt ou tard qui je suis. Tournons nos vues de quelqu’autre côté, il se pourra trouver ici quelque dupe qui nous conviendra mieux... Voici Valère, jouons toujours notre scène avec lui.

SCÈNE VIII. Madame de Falignac et Philaminte, cachées, Valère, Lisette en comtesse. §

LISETTE.

Je ne sais, monsieur, ce que vous jugerez de moi ; mais je crains que ma démarche ne me fasse tort. Faire trop paraître son amour, ce n’est pas le moyen d’en inspirer beaucoup.

VALÈRE.

Si les personnes d’un certain mérite et d’un certain rang ne hasardaient les premiers pas, quel téméraire oserait lever les yeux jusqu’à elles ?

LISETTE.

Croyez-vous que ce pas ne nous coûte rien ? Mon amour a été longtemps combattu par ma raison ; mais enfin j’ai fait taire cette cruelle. Si l’on suivait toujours ses conseils, on ne ferait jamais de folies. Hélas ! Que la vie serait ennuyeuse !

VALÈRE.

C’est la raison qui m’a fait quitter Philaminte, et c’est l’amour qui me conduit vers vous ; c’est lui qui me fait vous sacrifier la personne que j’ai le plus aimée au monde, la personne pour qui... Mais non, c’est ne vous rien sacrifier que de vous sacrifier une infidèle... Philaminte ne mérite pas... Madame, si vous avez quelques bontés pour moi, faites-les paraître en recevant ma main dans ce jour.

LISETTE.

Comment donc dans ce jour ! Tout à l’heure.

VALÈRE.

Tout à l’heure ?

LISETTE.

Oui, point de retardement. Le comte mon mari est mort subitement, je veux me remarier de même.

VALÈRE.

Mais madame...

LISETTE.

Mais, monsieur, cinquante mille livres de rente, que sa mort me laisse, valent bien qu’on m’épouse sans réflexion.

VALÈRE.

Ah ! Madame, parlez de votre beauté.

LISETTE.

Non, non. Je vois bien que Philaminte vous tient toujours au coeur. Que je suis malheureuse !

VALÈRE.

Vous pleurez, ma belle comtesse ? Ah ! C’en est trop, Philaminte ne vaut pas que je diffère d’un moment le plaisir de vous posséder. Je vous dirai plus ; quand elle ne m’aurait jamais donné sujet de me plaindre, votre charmante vue suffit pour me rendre inconstant.

LISETTE.

Ah ! Voilà l’aveu que j’attendais : ne différons point notre mariage. Faisons confidence de notre amour à la maîtresse de ce logis ; elle est de mes amies, elle nous conduira dans tout ceci. Passons dans son appartement, suivez-moi.

VALÈRE.

Ô ciel ! À quoi le désespoir m’entraîne !

SCÈNE IX. Philaminte, Madame de Falignac, sortant de l’endroit où elles étaient cachées. §

PHILAMINTE.

Enfin, ma chère de Falignac, connaissez-vous les hommes ?

MADAME DE FALIGNAC.

Il y a longtemps.

PHILAMINTE.

Auriez-vous jamais cru que Valère... Ah ! Je ne me possède pas ! Je suis dans une impatience cruelle, et si le financier venait dans ce moment...

SCÈNE X. Philaminte, Madame de Falignac, Criquet. §

CRIQUET.

Madame, une figure grosse et courte , vêtue de velours noir, s’approche d’ici ; j’ai jugé que c’était Monsieur Patin.

PHILAMINTE.

C’est lui sans doute, reprenons notre air gai... J’étais bien folle de me chagriner.

MADAME DE FALIGNAC.

Il vient tout à propos. Ces messieurs les financiers viennent toujours à la bonne heure.

À part.

Pour achever de nous donner la comédie, amenons ici Valère ; il faut qu’il soit aussi payé de sa curiosité.

Haut.

Je vous laisse.

SCÈNE XI. Frontin, Philaminte. §

FRONTIN, en financier, entre d’un air brusque, contrefaisant Monsieur Patin, son ancien maître.

Me voilà, madame : il y a une heure que je serais ici, sans des importuns, des canailles qui sont venus en foule m’apporter de l’argent ; j’ai cru que cela ne finirait d’aujourd’hui.

PHILAMINTE.

Je m’étonnais en effet qu’un homme aussi poli vînt le dernier à un premier rendez-vous, et je commençais à rougir de ma faiblesse.

FRONTIN.

Eh ! C’est la mode à présent, les hommes ne veulent plus attendre, et surtout nous autres financiers, nous ne nous piquons pas d’observer les formalités. D’ailleurs mon arrivée a été précédée par des avant-coureurs qui ont dû vous dédommager de ne me pas voir sitôt.

PHILAMINTE.

Il est vrai que votre lettre est toute charmante. Il n’y a rien de si tendre : elle m’a réjouie d’un bout à l’autre.

FRONTIN.

Et l’agrafe ?

PHILAMINTE.

Elle a son mérite.

FRONTIN.

Il y a morbleu plus d’éloquence dans cette agrafe-là que dans toutes les épîtres de Cicéron.

MADAME DE FALIGNAC, bas, à Valère, l’attirant dans le fond du théâtre.

Passons dans cet endroit, nous entendrons toute la conversation.

VALÈRE.

J’enrage !

FRONTIN.

Il m’est revenu que vous aimiez un certain aigrefin, nommé Valère. Je ne veux point de partage, au moins.

PHILAMINTE.

Vous connaissez Valère ?

FRONTIN.

Si je le connais ! Je lui ai vingt fois prêté, de l’argent qu’il me doit encore.

PHILAMINTE.

Cependant il a du bien.

FRONTIN.

Cela ne fait rien, et je présume qu’il aura souvent besoin de moi. L’aimez-vous encore ? Parlons franchement.

PHILAMINTE.

Je le hais à la mort.

FRONTIN.

Cela me fait plaisir ; mais vous l’avez aimé, cette idée me chagrine.

PHILAMINTE.

Oh ! De grâce, contentez-vous de votre bonheur présent, si c’en est un de recevoir ma main. Je n’aime point ces esprits inquiets qui rappellent sans cesse le passé. Si j’ai aimé Valère, cela n’est point de votre bail, et je mets dans mon marché que vous n’en parlerez jamais.

FRONTIN.

C’est bien dit, ne parlons que de moi, belle Philaminte ; le sujet en vaut la peine. Dites-moi que ma seule personne vous enchante, que vous ne regardez point les biens immenses que vous allez partager avec moi, et que vous voudriez que je fusse un misérable, pour ainsi dire, un homme de rien, pour avoir le plaisir de m’élever....

PHILAMINTE.

Oh ! Je vous dirai tout cela une autre fois, vous avez trop de délicatesse pour un financier.

FRONTIN.

Il est vrai que mes confrères n’y cherchent point tant de façons ; ils ont presque tous les manières aussi rondes que la taille. Leurs conversations tombent toujours sur l’argent. Pour les imiter, parlons de la fortune que je vais vous faire : vous roulerez sur l’or, mon adorable.

PHILAMINTE.

Est-il possible ?

FRONTIN.

Vous serez logée et meublée magnifiquement.

PHILAMINTE.

J’aime cela.

FRONTIN.

Vos équipages seront superbes.

PHILAMINTE.

Courage, monsieur Patin.

FRONTIN.

Des pierreries inestimables.

PHILAMINTE.

Vous vous ruinez.

FRONTIN.

Bon ! Qu’est-ce que cela me coûte, un zéro de plus. Quand épouserons-nous ?

PHILAMINTE.

Je ne sais.

FRONTIN.

Dans ce moment, si vous voulez ; aussi bien tantôt ai-je beaucoup d’affaires.

PHILAMINTE.

Je le veux ; allons de ce pas chez le notaire faire dresser les articles.

FRONTIN, l’arrêtant.

Est-ce que vous voulez que ce soit par-devant notaire ?

PHILAMINTE.

Sans doute ; cela se fait-il autrement ?

FRONTIN.

Quelquefois ; mais j’en passerai par où il vous plaira.

PHILAMINTE.

Il faut que je parle auparavant à madame de Falignac, elle aurait lieu de se plaindre de moi de m’être engagée si avant sans ses conseils.

FRONTIN.

Mais...

PHILAMINTE.

Mais, mais ; je vais la trouver, et je reviens dans le moment.

SCÈNE XII. §

FRONTIN, seul.

Ma foi, cela ne va pas mal, et si je ne craignais les suites... Mais il ne faut pas jouer ce tour à mon maître. Quoi qu’il dise et quoi qu’il fasse ; je suis persuadé que Philaminte lui tient toujours au coeur : tâchons d’en tromper quelqu’autre avant de quitter notre équipage à bonne fortune.

SCÈNE XIII. Valère, Madame de Falignac, sortant de l’endroit où ils étaient cachés ; Frontin. §

FRONTIN, seul.

Ah ! Ah ! Vous étiez là , monsieur?

VALÈRE.

Oui, j’ai tout entendu ; je suis dans une telle fureur, que je ne me connais plus.

MADAME DE FALIGNAC.

Oh çà, parlons sincèrement ; pouvez-vous blâmer Philaminte, sans vous avouer le plus injuste de tous les hommes ? Je n’ai pas perdu un seul mot de votre conversation avec la comtesse : croyez-moi, restez-en là, et raccommodez-vous avec Philaminte.

VALÈRE.

Moi ? J’aimerais mieux mourir ; je veux la pousser à bout. Elle vous cherche, allez la trouver ; cependant, je vais rejoindre ma comtesse. Au moins, je compte toujours sur votre discrétion.

MADAME DE FALIGNAC.

Ne soyez point en peine.

SCÈNE XIV. §

FRONTIN, seul.

Je suis ravi qu’on me laisse seul. Je vais voir là-dedans si quelque dupe ne donnera pas dans mon bon air... Mais j’aperçois la comtesse. Je puis en conscience trahir mon maître de ce côté-là. Voici deux ou trois fois qu’elle me ce lorgne, voyons que cela veut dire.

SCÈNE XV. Lisette, en comtesse ; Frontin, en financier. §

LISETTE, à part.

Bon, voilà ce que je cherche, le financier de Philaminte : il m’a tantôt regardée d’un oeil qui n’était pas indifférent ; poussons quelques soupirs pour l’amorcer.

Haut.

Ah !

FRONTIN, après l’avoir regardée avec sa lorgnette.

Vous soupirez, charmante veuve ? Est-ce pour le défunt, ou après un futur ?

LISETTE.

Ce discours me surprend de la part d’un seigneur de qui je ne croyais pas avoir l’honneur d’être connue.

FRONTIN.

On ne peut vous voir, sans être charmé de vos charmes : on ne peut en être charmé sans avoir la curiosité de savoir qui vous êtes. Pour le savoir il faut le demander ; c’est ce que j’ai fait : et l’on m’a dit que vous étiez une veuve fort riche, fort qualifiée, mais encore plus libérale, et que...

LISETTE.

Ne parlons point de mes libéralités, on aurait de la peine à égaler les vôtres.

FRONTIN.

Quoi ! Vous me connaissez ?

LISETTE.

Il faudrait n’avoir jamais vu le monde pour ne pas connaître Monsieur Patin : son mérite et ses dépenses avec les dames lui ont acquis une réputation.

FRONTIN.

Il est vrai que j’en fais de terribles, et surtout quand les femmes commencent par me donner ; cela me pique, cela m’acharne. Une présidente, amoureuse de moi, m’envoya une fois un mauvais diamant de mille écus, ce diamant lui a valu plus de cent mille francs : oui ; cette présidente-là me coûte cent mille francs ou rien. Mes réponses à ses billets doux étaient des lettres de change, et je crois que je l’aurais épousée, sans un mari qu’elle avait encore de reste.

LISETTE.

Je n’en ai plus, dieu merci ; le mien est bien mort. J’ai été si peu de temps avec lui, qu’il ne me souvient pas d’avoir été mariée. Je suis de ces veuves qui pourraient encore passer pour filles.

FRONTIN.

Cela est heureux, car il se trouve des filles qui ne pourraient passer que pour veuves.

LISETTE.

La triste chose que le veuvage !

FRONTIN.

Il me paraît qu’il vous ennuie. Et certain Valère qui vous couche en joue...

LISETTE.

Que dites-vous de Valère ? Comment savez-vous...

FRONTIN.

Il n’a rien de caché pour moi, c’est de lui que je viens d’apprendre que votre libéralité s’était étendue jusqu’à lui envoyer votre portrait garni de diamants.

LISETTE.

Ah ! Le petit indiscret ! Que je suis malheureuse d’être tombée si mal ! Je perds toute l’estime que j’avais conçue pour lui. L’on est bien embarrassé dans le choix des amants d’aujourd’hui. Les plus charmants sont les plus scélérats, et l’on ne trouve de la sincérité que dans ceux qui n’ont point l’art de plaire.

FRONTIN.

Ma foi, si j’étais femme, je m’attacherais à des gens faits sur un certain modèle, où l’utile se trouve mêlé avec l’agréable.

LISETTE.

Ce serait assez mon goût, et il est fâcheux que la presse y soit maintenant.

FRONTIN.

On a beau avoir la presse, on sait toujours distinguer celles dont le mérite...

LISETTE.

Philaminte est sans doute du nombre des distinguées, et l’agrafe de diamants que vous lui avez envoyée...

FRONTIN.

Comment morbleu ! Qui vous a dit cela ?

LISETTE.

Elle-même, et que ce présent la touchait du moins autant que votre personne.

FRONTIN.

Oui ? Oh ! Oh ! Elle ne me tient pas encore.

LISETTE.

Valère a compté sans son hôte, je n’aime point les amants escrocs.

FRONTIN.

Philaminte a trop jasé ; je hais les femmes intéressées.

LISETTE.

Je crois que nous nous conviendrions bien, monsieur Patin.

FRONTIN.

Nous, madame la comtesse ? À ravir ! Nous semblons avoir été faits l’un pour l’autre. Si j’étais assez heureux...

LISETTE.

Si j’osais me flatter...

FRONTIN.

4

Ma foi, madame, sans tant barguigner, si vous voulez, je vous épouse.

LISETTE.

J’y consens, quand ce ne serait que pour me venger de Valère ; mais je voudrais que ce mariage fût bien secret.

FRONTIN.

Je serais au désespoir que personne en sût rien.

LISETTE.

Que diraient le commandeur mon oncle, mon frère le marquis, mon neveu le vicomte, s’ils savaient que je voulusse épouser moins qu’un duc ?

FRONTIN.

5

Et ma tante la partisane, mon frère le trésorier, et mon cousin germain le secrétaire du roi, que diraient-ils s’ils me voyaient pousser si avant dans la noblesse ? Eux qui savent si bien ce qu’en vaut l’aune.

LISETTE.

Ainsi, vous voyez que nous avons tous deux de grandes raisons pour cacher ce mariage.

FRONTIN.

Je vois... Je vois qu’il en faut retrancher les trois quarts des cérémonies.

LISETTE.

Cependant il faut...

FRONTIN.

Tenez, dans ces sortes d’occasions, la parole vaut le jeu : je vous donne la mienne ; souffrez que je baise mille fois cette main dont, dont...

SCÈNE XVI. Philaminte, Lisette, en comtesse, Frontin, en financier. §

PHILAMINTE, le surprenant.

Oui, monsieur Patin ?

LISETTE.

Ah ciel !...

FRONTIN.

Madame....

PHILAMINTE.

Cela est heureux ; je ne rencontre partout que des infidèles : je veux me venger de l’inconstance de Valère, et je trouve en vous un autre perfide. Vous qui me juriez dans ce moment une ardeur éternelle ! Cela est fort plaisant, en vérité ! À qui me sacrifiez-vous encore ? À une malheureuse suivante revêtue des habits de sa maîtresse.

LISETTE.

Quoi ! Madame.,..

PHILAMINTE.

Paix, Lisette ; vous méritez que je vous fasse cet affront pour avoir voulu me trahir.

FRONTIN, à part.

Mon maître en tient, ne nous déconcertons pas. Comment donc, madame la soubrette, vous osez vous adresser à un homme de ma condition ? Madame, pardonnez....

PHILAMINTE.

Non, monsieur, ne me parlez plus.

FRONTIN.

Est-ce ma faute, madame, si l’on m’aime ? Mais je vous jure que je n’amusais la passion de cette petite guenon-là, que pour avoir le plaisir de vous la sacrifier.

PHILAMINTE.

Bagatelle !

FRONTIN.

Je voulais baiser sa main , et je ne sais qui me tient que la mienne ne punisse son impudence...

LISETTE.

Oh ! Doucement, monsieur le financier ; n’étendez point jusque-là vos libéralités.

FRONTIN, à Lisette.

Vraiment, il vous en faut, ma mie, des seigneurs faits au tour : ôtez-vous de devant mes yeux, impertinente, et allez dans un coin de cette salle rougir de votre effronterie. Madame, souffrez que je me jette à vos genoux.

PHILAMINTE.

Levez-vous ; on vous pardonne.

FRONTIN, restant à ses genoux et baisant sa main.

Ah ! Madame, quelles grâces n’ai-je point à rendre...

SCÈNE XVII. Valère, Philaminte, Frontin en financier, Lisette en Comtesse. §

VALÈRE.

Je conçois le bonheur de Monsieur Patin par ses remerciements, madame. Grâces au ciel, les choses en sont au point où je les souhaitais, et cette aventure me réjouit...

PHILAMINTE.

Le plaisir que j’en ai passe mon espérance, puisque vous en êtes témoin aussi bien que votre belle, votre charmante, votre illustre comtesse.

VALÈRE, montrant Lisette.

Oui, j’aime, j’adore cette aimable personne, aussi digne d’un coeur comme le mien, que votre procédé vous en a su rendre indigne.

FRONTIN.

Bon ! Bon ! Courage.

PHILAMINTE.

Il est vrai que vous m’ayez donné un bel exemple de fidélité.

VALÈRE.

C’est vous qui avez commencé, perfide.

FRONTIN.

Ma foi, je crois que vous avez tous deux commencé en même temps, et que vous n’avez rien à vous reprocher.

VALÈRE.

6

J’ai des inclinations, du moins, plus élevées que les vôtres ; et le choix que vous avez fait de ce maraud....

FRONTIN.

Comment donc maraud ? Madame, c’est une gageure, au moins.

PHILAMINTE.

Il vous sied mal de l’insulter.

VALÈRE.

Il m’est permis, je crois, de traiter mon valet comme il me plaît.

FRONTIN.

Adieu tout mon mérite.

PHILAMINTE.

Quoi ! Votre valet ? Ah ! Quelle insolence !

VALÈRE.

Vous méritez cet éclat devant tout le monde, et que j’épouse à vos yeux cette charmante personne à qui je jure un amour éternel. Oui, belle comtesse ! Adorable comtesse !...

FRONTIN.

Eh ! Oui, oui ; compte, compte.

VALÈRE, à Lisette.

Je n’aimerai jamais que vous. Je triomphe en ce moment.

PHILAMINTE.

Votre triomphe sera de peu de durée; il n’est pas si complet que vous vous l’imaginez. Et si monsieur le financier est un maraud de valet, madame la comtesse est une coquine de suivante. Ah ! Ah ! Ah !

LISETTE.

Mais, madame, je ne croyais pas...

FRONTIN.

Paix, Lisette.

VALÈRE.

Quoi ! Madame la comtesse...

FRONTIN.

Oui, monsieur, c’est une Lisette. À bon chat, bon rat : on vous jouait le même tour que vous prétendiez jouer.

VALÈRE.

Juste ciel !

LISETTE.

Monsieur le financier de hasard, je vous la garde bonne.

FRONTIN.

Madame la comtesse faite à la hâte, nous en dirons deux mots.

SCÈNE XVIII. Madame de Falignac, Philaminte, Valère, Lisette, Frontin. §

MADAME DE FALIGNAC.

Eh bien ! Qu’est-ce, mes enfants ? Où en êtes-vous ?

FRONTIN.

Nous en sommes au dénouement, et nos amants, ayant voulu réciproquement s’éprouver, se trouvent aussi infidèles et aussi sots l’un que l’autre.

MADAME DE FALIGNAC.

Je savais vos secrets ; mais j’ai voulu me réjouir de votre extravagance.

PHILAMINTE.

Ah ! Valère, je n’aurais jamais cru que vous vous fussiez défié de moi à ce point.

FRONTIN.

Il avait grand tort assurément.

VALÈRE.

Je ne me serais jamais imaginé, Philaminte, que vous m’eussiez mis à une telle épreuve.

LISETTE.

Il me paraît que vos soupçons étaient assez bien fondés.

PHILAMINTE.

Je ne veux plus vous voir.

VALÈRE.

Je ne paraîtrai jamais devant vous après une telle aventure.

MADAME DE FALIGNAC.

Vous vous moquez. Vous vous aimez encore plus qu’il ne faut pour être mari et femme.

FRONTIN.

Madame de Falignac a raison. Vous ferez fort bien de vous marier. Vous vous connaissez l’un l’autre, et vous n’achèterez point chat en poche.

VALÈRE.

Philaminte !

PHILAMINTE.

Valère !

VALÈRE.

Oublions le passé.

PHILAMINTE.

J’y consens.

MADAME DE FALIGNAC.

Et n’en venez jamais, croyez-moi, à ces sortes d’épreuves ; elles sont trop dangereuses.

FRONTIN.

Madame la Comtesse ?

LISETTE.

Monsieur le financier ?

FRONTIN.

Il semble que nous pouvons nous marier sans craindre à présent le courroux de nos parents.

LISETTE.

Ma foi, je le veux ; mais point d’épreuve, an moins.

FRONTIN.

Oh ! Je n’ai garde ; je serais sûr d’être trop bien payé de ma curiosité.