M. DCC. LXXVIII.
ACTEURS §
- VOLTAIRE.
- ROUSSEAU.
DIALOGUE. §
VOLTAIRE.
Eh ! Quoi, vous voilà, Monsieur Rousseau !
ROUSSEAU.
Pourquoi ne m’appelez-vous donc plus Jean-Jacques ?
VOLTAIRE.
Les noms de baptême ne font pas en usage dans ce pays : ici l’on n’a plus besoin de rémunération.
ROUSSEAU.
Comment êtés-vous jugé ?
VOLTAIRE.
Je ne le suis point encore : on prétend que je serai condamné à douter toute l’éternité ; c’est un horrible supplice.
ROUSSEAU.
Il vous punirait moins qu’un autre : vous n’avez jamais eu une idée fixe ; vous n’avez jamais affirmé qu’il y eût un Dieu dispensateur de bienfaits et de peines éternelles ; vous en faisiez un Être indifférent ; vous insinuiez que la conscience finit avec l’homme ; vous n’avez jamais assuré que l’âme était indestructible : on ne savait pas si vous craigniez l’Être des êtres, si vous espériez en lui ; vous vous efforciez à raisonner sur son essence, sans avoir un sentiment stable.
VOLTAIRE.
Il me semble que vous avez dit à peu près comme moi. Nous sommes tous d’accord, nous autres ; et vous n’avez paru différer d’avec nous, que par la bizarrerie de vos paradoxes, la singularité de vos pensées, et le caractère original de vos expressions. Convenez que votre but a été de ne pas paraître un homme comme un autre ?
ROUSSEAU.
Que n’ai-je été le singe de l’homme tel qu’il devrait être, tel que je voudrais qu’il fut ! Ah ! Monsieur de Voltaire, sans ces Arts corrupteurs, ces Sciences incertaines, ces Sociétés si mal constituées, ces Lois si incohérentes, il eût été encore possible d’en faire quelque chose. Mais l’espèce est abâtardie : il n’y a plus d’homme de race.
VOLTAIRE.
Quand on désespère des remèdes destructeurs du vice, on emploie les palliatifs. J’ai donc bien fait d’égayer, de consoler et de faire traîner mes malades.
ROUSSEAU.
Méthode de Charlatan.
VOLTAIRE.
La Médecine n’est qu’une Science conjecturale.
ROUSSEAU.
En fermant une plaie, combien n’en avez-vous pas ouvertes ?
VOLTAIRE.
La tolérance était mon baume spécifique.
ROUSSEAU.
Prêchée par vous, elle a produit l’impunité.
VOLTAIRE.
La Religion mal entendue a causé bien des troubles.
ROUSSEAU.
Elle a prévenu bien des crimes ; eíle a quelquefois fait le malheur des États ; mais la Religion proprement dite a toujours contribué à la félicité des particuliers. En voulant détruire le Culte, vous avez attaqué la Morale ; vous avez ébranlé ce que vous désiriez raffermir, et renversé çe que vous vouliez édifier : on vous a lu, et on n’est plus entré dans les Temples que par habitude, par respect humain, par hypocrisie : leè corps s’est prosterné, l’amê ne s’est point élevée.
VOLTAIRE.
1 2À votre avis, j’aurais dû paraphraser votre Héloïse, votre Émile, votre Discours sur l’inégalité des Conditions, votre Contrat S***, et commenter vos L*** de la M****.
ROUSSEAU.
Il fallait rendre mes idées en beaux vers ; vous les faisiez à merveille. Dans vos vers , vous invitiez à penser ; dans votre prose vous séduisiez, ou vous révoltiez. Vous êtes peut-être le seul homme qui ayez souvent satisfait la raison des hommes en leur parlant le langage des Dieux.
VOLTAIRE.
Mais j’ai vu des vers de vous ; ils sont agréables,
ROUSSEAU.
Il ne faut, que cela. Les vers ne doivent que plaire, et ne peuvent convaincre ; ils entraînent le sentiment ; le raisonnement se raidit contre leurs charmes.
VOLTAIRE.
On ne vous a pas tant persécuté que moi.
ROUSSEAU.
C’est qu’on vous craignait davantage.
VOLTAIRE.
Vous êtes flatteur.
ROUSSEAU.
Pas plus que je ne l’étais : vous m’avez mal saisi : je m’explique. La scholastique oppose des réponses à toutes les difficultés qu’on élève en Théologie. Vous n’avez jamais eu l’argument bien redoutable. Mais la plaisanterie, vous en avez joué comme d’une épée à deux tranchants. Vous avez plus empiété sur le domaine des Gens d’Eglise, que sur leur autorité. Vous avez plus ridiculisé les Livres de la Loi, que vous n’avez combattu les Dogmes. Votre acharnement a nui a votre cause, et vous n’aimiez pas vos clients. Je chérissais les hommes; je les croyais nés bons, mais pervertis : je voulais les rendre meilleurs. J’ai toujours regardé la Religion comme le moyen le plus simple d’arriver à mon but. Tous les régimes ont leur principe dans le gouvernement théocratique ; et si j’ai tenu pour les Républiques, c’est que les membres du corps Souverain le représentent plutôt par leurs vertus que par leurs vices dans les constitutions populaires.
VOLTAIRE.
ROUSSEAU.
VOLTAIRE.
ROUSSEAU.
VOLTAIRE.
ROUSSEAU.
VOLTAIRE.
ROUSSEAU.
VOLTAIRE.
ROUSSEAU.
VOLTAIRE.
ROUSSEAU.
PORTRAIT D’AROUET DE VOLTAIRE §
Avare au sein des richesses, indigné contre les Critiques, comblé des louanges de l’Europe, poursuivi par les lois, adoré par les juges, honoré par les Souverains, même en éprouvant leur disgrâce ; poète et prosateur hardi et heureux, il eut plus de connaissances que de justesse, plus de brillantq que de mérite solide, moins de science que de goût, plus d’adresse que de prudence, plus de gloire que d’estime ; enfin, personne ne fut son égal, quoique parmi les Anciens et les Modernes il ait eu son supérieur dans tous les genres de Littérature : son imagination fut la rivale du Génie.
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