LA FEMME, commence.
Or est-il mort, hélas ! Hélas !
Jenin Landore, mon mari,
Mon espoir, mon bien, mon soulas.
Or est-il mort, hélas ! hélas !
5 Quand m’en souvient, je perds ébats,
Et ai le coeur triste et marri.
Or est-il mort, hélas ! Hélas !
Jenin Landore, mon mari.
LE CURÉ.
Quand il était enseveli
10 Il demandait au clerc à boire.
LE CLERC.
Toutefois (il) est mort.
LA FEMME.
Toutefois (il) est mort. Hélas ! voire.
LE CURÉ.
Il mourut de soif.
LA FEMME.
Il mourut de soif. Se fit mon.
LE CURÉ.
S[e] était un bon biberon
En son voire ne laissait rien.
LE CLERC.
15 De cela vous ressemblait bien
(Car) volontiers vins allait tâtant.
LA FEMME.
Fallait-il, puisque l’aimais tant,
Que mort le vint ainsi abattre ?
LE CURÉ.
Il était assez bon folâtre,
2
20 Et se marchait de bon pied.
JENIN LANDORE.
Bona dies, bona journus.
A déchiffré par le menu,
C’est-à-dire en latin Dieu gard.
Retirez-vous à part, à part,
25 J’en viens, j’en viens, je y ai été.
LA FEMME.
Qu’est-ce ici ? Benedicite,
3
Notre-Dame de Réconfort !
LA FEMME.
C’est votre mari. Il est mort.
Jamais ne fus si ébahie.
JENIN.
30 Je suis mort et je suis en vie,
Tout aussi vrai que je le dis.
LA FEMME.
D’où venez-vous ?
JENIN.
D’où venez-vous ? De Paradis.
Qu’est-ce ici ? C’est trop caqueté
Mon suaire en ai apporté,
35 Et suis passé par purgatoire.
LA FEMME.
Vous n’êtes point Jenin Landore ;
Ne sais que faire ici venez.
JENIN.
Si suis-je Jenin par le nez
Et Landore par le menton.
LE CURÉ.
40 C’est lui sans autre.
JENIN.
C’est lui sans autre. Se suis mon.
LA FEMME.
Si ne veux-je pas qu’il me touche.
JENIN.
Si je voulais ouvrir la bouche,
Je vous dirais bien des nouvelles.
LA FEMME.
Et je vous prie, dites-nous quelles
45 Ici rien celer ne vous faut.
JENIN.
J’ai vu faire un terrible assaut.
LE CURÉ.
4
Y a-il eu quelque meschef ?
JENIN.
J’ai vu Saint Pierre atout sa clef
Et Saint Paul atout son épée,
50 Qui avait la tête coupée
À Saint Denis, se lui semblait,
Et Saint Français les combattait,
Frappant sur eux, patic, patac.
Alors y arriva Saint Marc,
55 Qui très bien secoua leur plisse.
5
Puis vint Saint Jacques en Gallice,
6
Atout sa chape bien doublée.
Quand Dieu vit toute l’assemblée,
Ainsi frapper, il est notoire
60 Qu’à Saint François donna victoire
Mais je m’en vins de pour des coups.
LE CURÉ.
Jenin Landore, dites-nous,
Que faisait alors Saint George ?
JENIN.
Il n’était point en bonne forge,
65 Car il craignait fort l’intérêt.
LE CURÉ.
Ainsi, comme il nous apparaît,
Il y eut terrible bataille.
JENIN.
Il faut clorr la muraille
De Paradis soudainement.
70 Autour a été sûrement
7
Plein de Suisses et Lansquenets,
Qui eussent fait, je vous promets,
Terrible guerre en Paradis,
Tout aussi vrai que je le dis.
75 Dieu leur fit, plutôt que plus tard,
À chacun (un) paradis à part
Car de longtemps haïent l’un l’autre.
LE CLERC.
Tout beau, il y a de la faute
C’est donc un paradis nouveau
80 Fait et construit nouvellement.
JENIN.
Or c’est mon, par mon serment.
Mais, ainsi qu’on s’entrebattait
8
Saint Laurent, qui s’ébattait
9
À rôtir sur son gril Souysses,
85 Tout ainsi qu’on fait les saucisses
À une taverne en hiver.
Garde n’avais de m’y trouver.
JENIN.
Raison ? Je crains trop coups de piques.
LA FEMME.
Dites nous, sans plus de répliques,
90 Que c’est de paradis.
JENIN.
Je vous promets que ce n’est pas
Ainsi comme le temps passé.
LE CLERC.
C’est bien dit, massé ?
La raison ?
JENIN.
La raison ? Il n’y a rien qui change.
95 Sous les pieds de Saint Michel l’ange
A une femme en lieu d’un diable.
LE CURÉ.
Cela n’est pas bien convenable.
JENIN.
Si est-il ainsi, demi dieux
Il y a Saint Benoît le vieux.
100 Qui tient bien la loi ancienne
Mais certes Saint Benoît le jeune
De l’Eglise ne prend plus soin ;
10
Il porte l’oiseau sur le poing
11
Et tranche du bragard.
LE CURÉ.
Et tranche du bragard. En somme,
105 Jenin Landore en parle bien.
JENIN.
J’en puis parler quand j’en viens
Tout aussi droit qu’une faucille.
Se j’eusse été bien habile,
Je ne serais pas retourné.
LA FEMME.
110 Avez-vous longtemps séjourné
En Paradis ?
JENIN.
En Paradis ? Certes, mamie.
Je vous promets qu’i n’y ennuye,
Non plus que quand on est à table.
LE CURÉ.
Je crois bien qu’il est véritable
115 Et qu’on n’y endure nul mal.
JENIN.
Saint Christophe y va à cheval.
LE CLERC.
Saint Martin, qu’est-ce que de lui ?
JENIN.
Il va à pied pour le jourd’hui.
LA FEMME.
Dites, qu’y faisaient les apôtres ?
JENIN.
12
120 Ils disent tous leurs patenôtres.
LE CURÉ.
En Paradis fait-on excès ?
JENIN.
13
Il n’y a ne plaid ne procès,
Guerre, envie, ne débat ;
Car il n’y a qu’un avocat,
125 Par quoi il n’y faut nuls plaideurs.
LE CLERC.
Combien y a-il de procureurs ?
Dites-nous s’il y en a point ?
JENIN.
Ma foi, je n’en mentirai point.
Je le dirai devant chacun,
130 Je n’y en ai vu pas un
La vérité vous en l’apporte.
Il en vint un jusque(s) à la porte,
Mais, quand vint à entrer au lieu,
Il rompit tant la tête à Dieu
14
135 Qu’on le chassa hors de léans.
LE CLERC.
Çà, Jenin, quant est de sergents,
Paradis en est bien pourvu ?
JENIN.
Corbieu, je n’y en ai point vu.
LE CURÉ.
Tout fait, tout dit et tout comprit,
140 Quelque chose y avez-vous apprit ?
LE CURÉ.
Say mon dea. Or nous l’apprenez.
JENIN.
J’ai appris, si le retenez
Mais faites silence.
JENIN.
Quoi ? Une science.
LA FEMME.
145 Quelle ? Ne la veuillez celer.
JENIN.
Garder les femmes de parler,
Quand je veux.
LE CURÉ.
Quand je veux. C’est une grand chose.
Par l’âme qui en moi repose,
Je verrais volontiers l’usage.
LA FEMME.
Voire. Et comment, Jenin ?
JENIN.
Baillez-leur à boire.
Car je croi, tandis qu’ils bevront,
Que alors point ils ne parleront ;
Il est tout vrai, la chose est telle.
LE CLERC.
155 Quelle autre science nouvelle
Savez-vous Jenin ?
JENIN.
Savez-vous Jenin ? J’en sais bien une :
Je dis bien la bonne aventure
Des gens, si tôt que vois leurs mains.
JENIN.
Est-il vrai ? Tout ne plus ne moins.
160 Voire, par Saint Pierre l’apôtre,
Curate, montrez-moi la vôtre
Hardiment.
LE CURÉ.
Hardiment. Tenez, beau sire.
JENIN.
Je vois ce que je n’ose dire.
LE CURÉ.
Je vous avoue que l’on propose
165 Tout ce qu’on voudra proposer.
JENIN.
Pour la vérité exposer,
Vous êtes ivre et gourmand,
Par quoi vous vivrez longuement.
Et si aimez le féminin
15
170 Et appétez boire bon vin.
Ailleurs ne vous voulez ébattre.
LE CURÉ.
Dieu met en mal an le folâtre.
LA FEMME.
Tibi soli. Et dea, Jenin,
Qu’est-ce ci ? Vous parlez latin ?
175 Je ne puis entendre vos dits.
JENIN.
C’est du latin de paradis,
Qui m’avait enflé tout le corps.
Se ne l’eusse bouté dehors,
Crevé fusse pour tout certain..
LE CLERC.
180 Sa, sa, regardez ma main.
JENIN.
Que tu es une bonne bête.
LE CLERC.
Dea, Jenin, vous hochez la teste.
JENIN.
C’est pour le sang de ma cervelle,
Qui dedans ma tête se mêle
185 Car mon engin est trop subtil.
LE CLERC.
Sus, que suis-je ?
JENIN.
Sus, que suis-je ? Poisson d’avril.
LE CLERC.
Poisson d’avril ?
JENIN.
Poisson d’avril ? Voilà le cas.
LE CLERC.
Et voire, mais je n’entends
Que c’est pas à dire.
JENIN.
Que c’est pas à dire. Voici rage
190 Quand on met une pie en cage,
Que lui aprend-on de nouveau
À dire ? Parle.
LE CLERC.
À dire ? Parle. Maquereau.
JENIN.
Clerice, tu es tout gentil.
Maquereau c’est poisson d’avril
195 Ainsi es-tu, je te le jure
La fin de ta bonne aventure,
C’est que tu aimes ton repos.
LA FEMME.
Or ça mon ami, quels propos
Direz-vous de moi.
JENIN.
Direz-vous de moi. Par ma foi,
200 Je ne veux rien savoir, ma femme,
De peur de trouver quelque blâme.
Car, s’en vos mains je regardais,
Peut-être que je trouverais,
Quelque cas qui me déplairait.
205 Et puis.
LA FEMME.
Et puis. (Et puis) quoi ?
JENIN.
Et puis. (Et puis) quoi ? Jenin se tairait.
LA FEMME.
Et auriez-vous bien le courage ?
JENIN.
Ma foi, ma femme, un homme sage
Ne s’enquiert jamais de sa femme,
Que le moins qu’il peut.
LE CURÉ.
17
Que le moins qu’il peut. C’est la gamme.
210 Cela évite maints courroux.
LA FEMME.
Jenin, quel(le) science avez-vous
Encores appris en Paradis ?
JENIN.
Se vous n’êtes tous bien hardis,
Belle pour vous ferai tantôt.
LE CLERC.
215 Et comment ?
JENIN.
Et comment ? Or, ne dictes,
Et mot, vous verrez chose terrible
Car je me ferai invisible
Quand je veux plus n’en faut enquerre.
18
Voici les rets de quoi Saint Pierre
220 Et Saint André pêchent tous deux.
LE CLERC.
Je vous en crois bien, par mes dieux ;
Vous savez procurer votre cas
JENIN.
Ma foi, vous ne me voyez pas.
LE CLERC.
Mais dis-nous, où est-ce que tu vas ?
JENIN.
225 Le corps bieu, vous n’en saurez rien.
Or sus, vous ne me voyez pas
Maintenant, et je vous vois bien.
LA FEMME.
Dea, Jenin Landore, combien
Serez-vous bien en cette mode ?
JENIN.
230 Autant que fut le roi Hérode
19
À décoller les innocents.
Ennuis verrez que par mon sens,
Aurai bruit entre les hardis.
LE CURÉ.
Gens qui viennent de paradis
235 Sans faute sont tous invisibles.
LA FEMME.
On ne voit point, sans contredis,
Ceux qui viennent de paradis.
JENIN.
Bonjour, bonsoir, adieu vous dis.
LE CLERC.
Jenin fait choses impossibles.
JENIN.
240 Je ferais des choses terribles
Se j’étais un peu reposé.
Adieu vous dis. Je prends congé.