1799.
de Louis-François Archambault, dit Dorvigny
À PARIS, chez BARBA, Quai de Conti.
PERSONNAGES. §
- MONSIEUR DUPONT.
- MADAME DUPONT.
- MONSIEUR DORVAL, peintre, ami de Dupont.
- URSULE, servante.
- JOCRISSE, valet de Dupont.
- GLAUDE, paysan.
- UN COLPORTEUR de la Loterie.
ACTE I. §
SCÈNE I. §
JOCRISSE, seul.
Oh ! Ma fine ; on a ben raison de le dire, ça ! C’est incrédule. Comme une chose est différente au contraire d’une aute !... Je l’aurais pas jamais cru, moi, si je l’avais pas t’éprouvé par moi-même, et dans ma propre personne... Je ruminais toujours, à part moi, dans ma première condition, que c’était un si mauvais métier que le service des maîtes, que je n’en voulais plus servir d’autes, si j’en étais dehors... Oh ! Oui ; j’aurais mieux aimé... Putôt me faire maîte moi-même que de redevenir domestique... Oh ! ça n’a tenu qu’a l’argent de quoi leux y payer des gages. Le maîte que j’ai quitté, était si ridicule, qu’i se fâchait toujours pour la moindre chose ; y grondait, pestait après moi et ne trouvait jamais rien de ben fait. Eh ben ! Moi, j’en ai rencontré un tout à la rebours de lui, apparamment... Quand je casse, ou que je brise, ou que je fais quéque sottise, il en rit, et j’ai toujours raison... Ça prouve ben la vérité de ce que je pensais, moi, que c’est par la faute des domestiques, quand les maîtes ne sont pas contents ; c’est à eux à savoir ben prendre les choses... L’n’y a que ma maîtresse qui est encore un tantinet taquine, elle ; ... Sans quoi, je serais ici comme le poisson dans l’iau. Quand je casse un plat,... Ou ben un verre,... Ou ben une soupière,... Ou ben un miroir,... I’ sembe que je l’y arrache une dent... Oh ! C’est un mauvais caractère aussi, elle ; mais en revanche, mon maîte, il est d’une bonne pâte, lui ; ... J’en voudrais jamais servir de plus difficiles... Oh ! Oui, si ça dure comme ça, je resterai longtemps avec lui... Voyons un peu ; avant du travailler, faut que je déjeune ; car j’ai encore un plaisir ici, c’est qu’on ne m’y plaint pas la mangeaille... Visitons la buffet... Bon ! V’là un morceau que je me suis réservé pour ce matin. Hier au soir, Monsieur et Madame ont soupé en ville ; y avait une poularde cuite qu’avait restée du diner : je l’ai laissé emporter par le chat qu’en a mangé la moitié. Madame a crié comme un chien ; mais le mari n’a fait qu’en rire, lui. Ah ben ! Qu’il a dit, pisqu’il l’a traînée par l’escalier, que Jocrisse mange l’aute moitié à steure pour le punir... Ah ben ! Moi, pas fier ; v’là que je fais mon déjeuner avec les restants du chat.
Je boirai un coup de plus pour laver la poussière, v’là tout.
Et à la santé de mon maîte ; mais pas de sa femme, dà !
La peste ! Qu’est-ce qui le veut ? C’est moi... Si j’étais ben sûr que ça soie vrai ce qui dit là, je l’y troquerais tout de suite pour un écu de six francs de pièces de 24 sols.
LE COLPORTEUR, en dehors.
V’là mon dernier ; au dernier les bons.
JOCRISSE.
C’est vrai que je l’ai toujours entendu dire ; c’est le dernier qu’est le meyeur... Faut que j’en éprouve.
Si je pouvais gagner sans risquer mon argent, ça serait encore pus sûr... Ah ! Bah !... C’est égal ; enzhardissons-nous ; ... Et pis, comme dit encore l’aute : qui ne risque rien n’a rien... Si j’étais de la loterie, je mettrais ça dessus ma porte...
Par ici ! Eh ! Monsieur gros lot ! C’est moi qui le veux...
S’il peut me le faire gagner, j’épouse tout de suite Mam’selle Ursule ; elle ne reculera pas au mariage quand elle me verra une avance comme ça.
SCÈNE II. Jocrisse, Le Colporteur. §
LE COLPORTEUR.
Qu’est-ce qui me demande ici ?
JOCRISSE.
C’est moi ; mais c’est pas vous que je demande : c’est le gros lot que vous annoncez là... En êtes-vous bien sûr ?
LE COLPORTEUR.
Pardine ! Si j’en suis sûr ; j’ai les cinq numéros gagnants. C’est à vous à bon choisir ; comben voulez-vous gagner ?
JOCRISSE.
Moi, le pus que je pourrai. Combien qu’est le pus fort ?
LE COLPORTEUR.
Oh ! Il n’y a pas de fisque à ça ; plus qu’on y met, et plus...
JOCRISSE.
Et pus qu’on y perd p’têtre ?
LE COLPORTEUR.
Non ; plus on a d’espérance d’y gagner.
JOCRISSE.
Ah ! Mais, de l’espérance !... V’là que vous rabattez à steure. C’est pas de l’argent comptant ça, de l’espérance.
LE COLPORTEUR.
Si fait ; quelquefois ça en rapporte. Le dernier tirage, j’ai donné 955 francs pour 24 sols à un domestique.
JOCRISSE.
Sarpedié ! V’là mon compte ; je suis domestique aussi, moi, et je vas vous donner 24 sols tout de suite à ce prix-là.
LE COLPORTEUR.
Eh ben ! Choisissez ; vous y avez la main.
JOCRISSE.
Oh bah ! Choisir !... Si je pernais le mauvais, je me le pardonnerais jamais. Je prends le premier tout d’un coup... D’abord je vous préviens que c’est pour me marier ; ainsi, faites-moi gagner.
LE COLPORTEUR.
Oh ! Ça ne peut pas vous manquer, si c’est pour ça. Vous êtes sûr que vous avez là de quoi payer le repas de la noce, et encore stilà des accordailles.
JOCRISSE, prenant un billet et lui rendant le paquet.
Allons, tenez ; je me fie à celui-là.
LE COLPORTEUR.
Ah ! Mais, attendez donc ; c’est une mise qu’est restée, ça : c’est un billet de six francs. Ah ! Ventrebleu ! Vous gagnerez davantage avec celui-là.
JOCRISSE.
Ben davantage !... Oh jarnigouette ! ça tombe ben à point ! J’ai tout juste là un écu de six francs que ma mère m’a donné quand j’ai parti, qu’elle m’avait recommandé de ben l’employer !...
LE COLPORTEUR.
Eh bien ! Vous ne pouvez pas mieux l’employer que ça. Vous le placez à fonds perdus ; c’est le plus haut intérêt.
JOCRISSE.
À la bonne heure ; parce que, voyez-vous, je le gardais pour pendre la crémaillère avec Mam’selle Ursule, quand j’en aurais ramassé d’autes... Le v’là.
LE COLPORTEUR, prenant l’écus de six francs.
En ce cas-là, vous pouvez d’avance allumer le feu dans la cheminée ; v’là de quoi faire bouillir la marmite. Serrez bien ce papier-là ; et si vous ne me revoyez pas dans une coupe d’heures, vous n’avez que faire d’inviter personne à votre noce.
SCÈNE III. §
JOCRISSE, seul.
C’est-à-dire, qu’il ne faudra personne pour manger la gagne !... Ah ! Dame ! ça ne ferait pas mon compte ça !... Mais il a le sien, lui ; i’ s’en va toujours avec mon argent, et y me laisse le papier... Ah ! Bah !... Au bonheur. Faut ben qui z’en fassiont gagner queuquezun, quand ça ne serait que pour en rattraper d’autres.
SCÈNE IV. Jocrisse, Monsieur Dupont. §
MONSIEUR DUPONT, en robe de chambre et en bonnet de nuit.
Eh ben ! Jocrisse ! Comment ça va-t’il, ce matin, mon garçon ?
JOCRISSE.
Ah ! Je dis, Monsieur, ça ne va pas encore trop mal.
DUPONT.
Te sens-tu en bonnes dispositions aujourd’hui ? Feras-tu bien crier mon épouse ?
JOCRISSE.
Ah dame ! On ne sait pas ça d’avance... Mais c’est qu’aussi, vous savez ben que Madame ; ... Mais bah ! Je l’écoute pas, elle.
DUPONT.
Comment ! Tu ne l’écoutes pas !... Mais ce n’est guère honnête ce que tu me dis là.
JOCRISSE.
Pardonnez-moi, Monsieur, si fait... Je dis : je l’écoute pas quand à crie ; mais quand à me commande, je l’écoute, et j’ly obéis tout de suite.
DUPONT.
Ah ! C’est un peu racommodé comme cela !
Non, réellement, il n’est pas absolument bête ; il n’est qu’un peu ahuri.
Qu’est-ce que c’est que ce papier que tu tiens là ?
JOCRISSE.
Çà, Monsieur,... C’est ma fortune !
DUPONT.
Ta fortune !
JOCRISSE.
Oui, à moi, et pis encore à Mam’selle Ursule.
DUPONT.
Eh mais, c’est un billet de loterie !
JOCRISSE.
Tout juste ? Et qui m’a ben coûté six bons francs encore. Mais le marchand m’a dit comme ça que c’était de l’argent ben placé.
DUPONT.
Oh ! Oui, à fonds perdus.
JOCRISSE.
Ah ! Ma fine ! V’là le même mot qui m’a dit. Faut que ça soie un brave homme ; car i’ ne m’a pas trompé.
DUPONT.
Oh ! Non ; tu peux en être sûr, si c’est cela qu’il t’a dit... Mais, innocent que tu es, pourquoi mets-tu six francs à la Loterie, au lieu de garder ton argent ?
JOCRISSE.
Ah ! C’est pour épouser Mam’selle Ursule quand j’aurai gagné.
DUPONT.
Ah! Tu veux te marier aussi ?
JOCRISSE.
Eh ! Pardine ! Tout comme un autre.
DUPONT.
Et avec notre cuisinière ?
JOCRISSE.
Oui, Monsieur, parce qu’a fera ma cuisine aussi après la vote.
DUPONT, riant.
Ah ! J’avoue que je serai curieux de voir cette noce-là. Mais comme elle ne sera que quand tu auras gagné, nous avons tout le temps d’y songer. À présent, parlons un peu de nos affaires. As-tu porté mes lettres de bon matin, comme je te l’avais dit ?
JOCRISSE.
Oui, Monsieur, et si matin même, que j’étais pas réveillé quand j’ai parti. J’ai pris tout vote monde au saut du lit.
DUPONT.
Bon. T’a-t-on fait réponse ?
JOCRISSE.
Oui ; et je les ai mises sur votre bureau.
DUPONT, toujours riant.
Fort bien... Ah ! Dis-moi, as-tu passé chez le perruquier pour ma perruque neuve ?
JOCRISSE.
Oui, Monsieur, i’ n’y était pas : mais j’ai toujours pris la perruque que j’ai vu dans une boîte, et je vous l’ai apportée ; ... La v’là.
DUPONT.
Tu as bien fait. Voyons ; mets-là moi, que je l’essaie.
C’est un petit cadeau que je me fais pour mettre avec mon habit neuf... Cela me donnera un air plus distingué pour figurer pendant la fête.
JOCRISSE, ayant mis la perruque à Dupont.
La peste ! Oui ; v’là déjà zune perruque qui vous distingue ben la tête !... Je ne vous reconnais pus, moi.
DUPONT, se carrant.
Voyons ; apportes-moi un miroir... On a beau dire, la coiffure fait beaucoup à un homme.
JOCRISSE, lui présentant le miroir.
Tenez, Monsieur, dévisagez-vous.
DUPONT, se regardant.
Ah ! Morbleu ! Qu’est-ce que je vois là ?
JOCRISSE.
Eh ! Pardine ! Monsieur, c’est vous.
DUPONT.
Moi ! Ça !... Eh ! C’est une perruque d’abbé que tu m’apportes là.
JOCRISSE.
Comment, Monsieur, d’abbé !... Est-ce que ce n’est pas la vôtre ?
DUPONT.
Eh ! Non, ventrebleu ! La mienne est à trois circonstances ; c’est une financière.
JOCRISSE.
Ah ! Dame ! C’est p’têtre que le perruquier a oublié les circonstances... Mais toujours elle vous va ben.
DUPONT.
Oh ! Oui ; ça me distingue, comme tu disais !... Elle ne me prend pas la moitié de la tête... Là ! Voilà-t-il encore une étourderie assez forte que tu me fais là !... Conviens donc qu’un autre se fâcherait de ta bêtise.
JOCRISSE.
Oh ! Oui ; mais Monsieur n’a pas un mauvais caractère, lui !
DUPONT, se regardant.
Me coiffer en abbé ! Là ! Voyez cet imbécile quelle figure cela me donne ! Quelle gravité ! Quel air noble !... Le diable m’emporte si je peux me regarder sans rire.
JOCRISSE.
C’est vrai ! Quand je regarde Monsieur, j’en ai envie auui, moi.
DUPONT.
Vois donc comme ça me fait ressortir la tête !
JOCRISSE.
Comment donc ! Ça vous fait genti comme tout.
DUPONT.
Oh ! Je voudrais que ma femme me vit comme cela !
JOCRISSE.
Oh ! Alle vous trouverait, ma fine, ben à son goût !...
Quand je dis que c’est un plaisir comme i’ prend les choses, j’ai pus d’agrément à me tromper qu’à ben faire avec lui.
DUPONT, ôtant la perruque.
Tiens, remets la perruque dans la boîte, et dis à Ursule de la porter chez le perruquier. Toi, monte au troisième, et dis à Dorval que ma femme l’attend pour lui donner une séance, et finir son portrait.
JOCRISSE.
Ça suffit, Monsieur, j’y vas et je l’y dirai comme ça que Madame l’attend pour l’y donner de la science pour finir son portrait.
DUPONT.
Oui, tout juste... Tu en aurais bon besoin, toi, de science pour entendre ce qu’on te dit.
SCÈNE V. §
DUPONT, seul.
Voyons donc ce portrait de ma femme.
Il n’est pas mal ressemblant, déjà ! Mais je n’aime pas cette idée que Dorval a eu là de la peindre en profil... Je ne suis pas artiste, moi ; mais j’imagine qu’une jolie femme gagne toujours à être vue toute entière... Je l’entends ; allons avertir Mme Dupont.
SCÈNE VI. Dorval, Jocrisse. §
JOCRISSE.
Oui, Monsieur, mon maîte m’a dit comme ça que Madame attendait après vous pour la finir.
DORVAL, riant.
Bon ! Bon ! Nous allons travailler à le contenter. Oh ! Oh ! Je vois bien qu’il est pressé ; il a déjà placé le chevalet. Madame va venir, sans doute ; apprêtons ma palette et mes pinceaux.
JOCRISSE, le regardant faire.
Eh ! Jarni ! Monsieur le peinte ! J’ai déjà eu envie ben des fois... Si vous étiez un homme, là !... Je vous en prie ; dites-moi un peu, c’est-i’ pus difficile à retirer un homme en portrait qu’une femme ?
DORVAL.
Mais, c’est à peu près la même chose.
JOCRISSE.
Moi, par exemple, regardez-moi ben ; croyez-vous que ma figure jouerait ben sus zune toile comme ça ?
DORVAL.
Comment ! Est-ce que tu voudrais te faire peindre ?
JOCRISSE.
Oui, Monsieur ; dessus vote respect, je voudrais faire cadeau de mon visage à Mam’selle Ursule dans sa tabatière.
DUPONT.
La peste ! Quelle galanterie !
JOCRISSE.
Seriez-vous capable de m’aider à faire ce coup-là ?
DORVAL.
Mais, si j’en avais le temps, je te ferais un petit croquis.
JOCRISSE.
Qu’est-ce que c’est d’un croquis ?... Ah ! Monsieur croit badiner, p’têtre ; mais quand j’étais petit, on me le disait ben que j’étais genti à croquer.
DORVAL.
Oui ; mais tu as bien changé depuis ce temps-là !
C’est égal, il a une figure à calot, dont je ne serai pas fâché d’avoir la charge...
Eh bien ! Voyons ; mets-toi là : je vais t’ébaucher tout de suite.
JOCRISSE.
Ah ! Mais, non ; je ne veux pas qu’on me débauche, moi !... Au moment où je vas me marier !... Mam’selle Ursule ne serait pas contente...
DUPONT.
Eh ! Je ne parle pas de te débaucher ; je dis que je vais faire l’esquisse de ta figure.
JOCRISSE.
À la bonne heure, si c’est de ma figure que vous parlez ; mais i’ faut me faire ben joli garçon pour qu’alle m’aime ben.
DORVAL, tirant son crayon et un morceau de papier.
Ne t’inquiètes pas ; je vais te rendre intéressant.
JOCRISSE.
Oui ; faites-moi les cheveux blonds : entendez-vous ? Et bouclés comme quand j’étais petit.
DORVAL, le plaçant.
Oui, oui ; tiens-toi bien.
JOCRISSE, remuant toujours.
Et pis, je veux que vous me fassiez les yeux bleus, avec des belles paupières ben noires.
DORVAL.
Eh mais ! Tu les as gris, les yeux, et les sourcils rouges.
JOCRISSE.
C’est égal ; faites-les toujours bleus : j’ai mes raisons : et pis, n’oubliez pas un grand front.
DORVAL.
Mais tu l’as petit.
JOCRISSE.
Qu’est-ce que ça vous fait ? Je vous dis de le faire grand, moi, et les yeux bleus, parce que Mam’selle Ursule ne les aime que comme ça.
DORVAL.
Ah ! Tu as raison, il faut la contenter.
JOCRISSE.
Et pis le nez ben éfilé, avec un trou dans le menton.
DORVAL.
Mais tu as le nez tout rond, avec un menton de galoche.
JOCRISSE.
Mais, Monsieur, faites donc au goût du monde ; je vous dis que j’y avais un trou étant petit, moi.
DORVAL.
Ah ! C’est différent ; je ne pouvais pas deviner ça.
JOCRISSE.
Eh ben ! D’abord qu’on vous le dit... Et pis, faites-moi des belles dents ben blanches ; que je ris toujours avec... Et pis des belles couleurs ben rouges sur les joues ; car je les avais toujours comme des pommes d’apis.
DORVAL.
Ah ! Ventrebleu ! Voilà un portrait où elle te reconnaîtra bien.
JOCRISSE.
Voyons donc un peu si ça va ben !...
Quien ! Est-ce que vous y pensez donc, vous ? Je vous dis de me faire les yeux bleus, les cheveux blonds et les joues rouges, et tout ça, c’est tout noir.
DORVAL.
Sans doute, parce que ce n’est que l’esquisse au crayon.
JOCRISSE.
Ah ben oui ! Au crayon ! Mam’selle Ursule n’aimera pas ça. I’ me faut des belles peintures comme à Madame.
DORVAL.
J’en mettrai après ; mais c’est pour prendre d’abord l’idée de ta figure.
JOCRISSE.
Ah ! Passe comme ça ; mais n’épargnez rien : je vous en prie, Monsieur ; j’aime mieux payer tout ça sus les pourboire que vous me donnez de temps en temps.
DORVAL.
Fort bien ! Comme ça, par le fonds que tu fais sur ma générosité, je suis payé d’avance.
JOCRISSE.
C’est ça, Monsieur ; et si i’ reste quéque chose de surplus, je vous le racquitterai en commissions.
DORVAL.
Oh ! Sans doute ; nous nous arrangerons bien... Écoute, tu n’as qu’à toujours commander la tabatière, et puis je prendrai mesure dessus pour la grandeur du médaillon... Mais, Mme Dupont ne vient point, et le jour se perd ; je vais voir ce qui la relient.
JOCRISSE.
Écoutez donc, Monsieur ; donnez-moi toujours ma peinture, parce que je la montrerai à quéqu’un.
DORVAL.
Oh ! Volontiers ; la voilà.
SCÈNE VII. §
JOCRISSE, seul, regardant son esquisse.
Diantre, ces peintres ! On a ben de la peine à leur y faire faire ce qu’on veut !... Demandez-moi un peu qu’est-ce que ça l’y fait de me mettre les yeux bleus et les cheveux blonds, là ! D’abord que je paie sa couleur, je peut ben choisir, p’têtre... Voyons donc le portrait de Madame, s’il est ben fait, afin que je voie si je peux lui risquer le mien.
Ah ! Je dis comme ça !... ça l’y ressemble, si on veut, mais je ne la reconnais pas toujours, moi. Quien... Ste manière ! Elle a le visage tout d’un côté... Est-ce qu’on ne le paie pas ben, donc, qui n’a fait que la moiquié de sa figure ?... Oh ! Ben sûr ! I’ n’y a pas là la moiquié de sa bouche... Et pis encore, quéque je vois donc ! I’ ne l’y a fait qu’un œil ! Ah ! Qu’est-ce qu’a va dire, quand a verra ça ? S’il avait laissé là sa couleur, j’y en ferais un aute, moi, pour qu’alle ne crie pas. Oh ! Tout juste ; v’là ses affaires. Voyons si c’est ben difficile...
Bah ! ça va tout seul... Quien ! V’là un œil qu’est pus beau et pus grand que l’aute encore ! Pendant que je suis en train, faut que je l’y raggrandisse la bouche aussi... Ah ! ça commence à lui ressembler un peu mieux... Et pis, il a encore oublié aute chose... I’ n’y voit donc pas, sthomme-là ?... Et ce signal qu’alle a ici dessous le nez, ste grosse nantille qu’a dit que c’est un agrément, pan ; la v’là !... Oh ! À stheure, a ne peut pas se renier ; c’est son portrait tout craché !... Pardine ! Le peinte est ben heureux que je me sois aperçu de tout ça avant elle ; car elle est glorieuse : elle l’aurait grondé et elle n’aurait pas voulu du portrait, dà !... Aussi, i’ me remerciera ben tantôt, quand il aura vu mon travail... Oh ! Oui ; je suis sûr qu’en reconnaissance, i’ me fera mon tableau pour rien, à moi... Mais à présent que j’ai fait sa besogne, faut aller faire la mienne ; j’ai une pièce de vin à tirer à la cave, et faut que ça soit fait aujourd’hui. Hier déjà, j’ai cassé une vingtaine de bouteilles en les rinçant ; mais c’est commode, parce que, comme j’en avais de rechange, personne ne s’apercevra de la casse... Oh ! Vraiment, je suis ici dans une ben bonne condition, et si j’en sors, ce sera ben malgré moi.
SCÈNE VIII. Madame Dupont, Dorval. §
MADAME DUPONT, en peignoir, coiffée en cheveux coquettement.
En vérité, Monsieur Dorval, vous êtes tourmentant, au moins !...
DORVAL.
Pardon, Madame ; c’est Monsieur Dupont qui est impatient de voir votre portrait terminé, et qui m’a fait avertir lui-même pour vous demander une séance.
MADAME DUPONT.
Mais, compliments à part ; croyez-vous que cela me ressemblera ?
DORVAL.
Oh ! Oui, Madame ; et pour la première séance, la figure vient déjà très bien... J’y ai encore un peu travaillé depuis que vous ne l’avez vu. Tenez, examinez-le.
Vous ne pouvez pas juger encore de l’effet total, parce que cela n’est qu’indiqué, voyez-vous ?
MADAME DUPONT.
Qu’indiqué, Monsieur ! Je vous remercie du compliment ; il me paraît que vous voyez en petit : mais vous peignez en grand.
DORVAL, s’avançant pour regarder.
Comment donc, Madame ?
MADAME DUPONT.
Mais, oui, avec votre indication ; quand ce serait la bouche de la figure d’un vaisseau de guerre !...
DORVAL regarde et s’écrie.
Oh ? Miséricorde !
MADAME DUPONT.
Et cet œil en coulisse que vous m’avez fait là.
DORVAL, confondu.
Mais, mais ! Est-ce que j’ai la berlue !
MADAME DUPONT.
Et cette mouche intéressante que vous avez eu la galanterie d’indiquer aussi là, si légèrement.
DORVAL.
Ah ! Morbleu ! Qu’est-ce que cela veut dire ?
SCÈNE IX. Les Précédents, Dupont. §
DUPONT.
Eh bien ! Madame, êtes-vous satisfaite du peintre ? Et vous, Monsieur, de votre sujet ?
MADAME DUPONT.
Ah ! Quant à moi, je suis enchantée ! Monsieur a la touche d’une délicatesse... Tenez, faites-lui compliment.
DUPONT, regarde en riant.
Ah ventrebleu ! Mon pauvre Dorval, qu’est-ce que tu as fait là ?
MADAME DUPONT.
Monsieur a la modestie de n’appeler cela qu’une indication.
DUPONT, riant aux éclats.
1Oh ! Oh ! Oh ! Quelle mignature !... Est-ce que c’est un nouveau genre que tu inventes ?
DORVAL, en colère.
Eh ! Non ; c’est le diable qui est venu barbouiller mon tableau.
DUPONT.
Oh bien ! Je parie que je me doute d’où vient la diable, moi... Depuis que je t’ai envoyé appeler tout-à-l’heure, y as-tu touché ?
DORVAL.
Non, du tout ; j’ai disposé ici ma palette et mes pinceaux, et je suis allé chercher Madame.
DUPONT.
As-tu laissé ici quelqu’un ?
DORVAL.
Ah morbleu ! Tu m’avises ; j’y ai laissé Jocrisse, qui m’avait même aussi demandé son portrait.
DUPONT.
Justement. Je te parie que c’est là de sa besogne.
DORVAL.
Tu as raison ; car c’est travailler dans le genre où il me demandait de le peindre.
MADAME DUPONT.
Ah ! Le misérable ! S’il a eu cette impertinence là, je le chasse tout-à-l’heure.
DUPONT.
Eh ! Ma chère femme, un peu d’indulgence.
MADAME DUPONT.
Oui, comptez là-dessus. Ursule ?
SCÈNE X. Les Précédents, Ursule. §
MADAME DUPONT.
Mademoiselle, cherchez Jocrisse, et envoyez-le-moi tout de suite.
URSULE.
Il est à la cave, Madame ; je vais l’appeler.
SCÈNE XI. Monsieur et Madame Dupont, Dorval. §
DUPONT.
Par exemple, toi, Dorval, tu conviendras qu’il est plaisant dans ses folies.
DORVAL, piqué.
Oh ! Très plaisant, même !... Voilà un portrait qu’il faut recommencer.
DUPONT.
Ah ! Oui ; fâche-toi donc aussi. Voilà une grosse perte que tu fais !... Deux heures de travail, là ! Crie donc.
MADAME DUPONT, criant.
Hola ! Jocrisse ! Jocrisse !
SCÈNE XII. Les Précédents, Jocrisse, tenant un martinet d’une main, et de l’autre un tapoir. §
DUPONT.
C’est Madame qui t’appelle pour te gronder.
JOCRISSE.
Ah ben oui ! J’ai pas le temps de ça à présent, moi.
MADAME DUPONT.
Comment, impertinent que vous êtes ! Drôle, mal avisé, mauvais sujet...
JOCRISSE.
Ah ! Mais, Madame, si y en a encore ben long, faut remettre ça à une autre fois, parce que je ne peux pas rester ici à stheure.
MADAME DUPONT.
Eh bien ! Est-il assez insolent, et bête comme ça ?
DUPONT, à Jocrisse.
Allons, défends-toi.
MADAME DUPONT.
Sans doute, Monsieur, soutenez-le encore...
JOCRISSE.
Monsieur a raison, Madame, je vous dis que j’ai affaire.
MADAME DUPONT, l’arrêtant.
Il n’y a pas d’affaires qui tiennent. Regardez ici, mal-appris que vous êtes !... Qu’est-ce que c’est que ce portrait-là ?
JOCRISSE, riant.
Ah ! C’est pour ça que vous m’appelez ! C’est ben différent. Monsieur disait comme ça que vous vouliez me gronder, et ça me trompait, moi.
C’est pas Monsieur le peinte qu’a fait tout ça, dà !... Mais j’ai pas le temps non pus que vous me remerciez à stheure ; je reviendrai quand j’aurai fini de tirer mon vin.
MADAME DUPONT, en colère.
Eh bien ! Drôle, voulez-vous bien rester et m’écouter quand je vous parle ?...
Ordonnez-lui donc, Monsieur, ou je vais me fâcher contre vous aussi...
DUPONT.
Eh bien ! Jocrisse, accordes-nous donc un moment ! Qu’est-ce qui te presse si fort ?
JOCRISSE.
Je m’en vas vous le dire à vous, Monsieur, qu’entendez la raison. J’étais à la cave à tirer du vin, quand Mam’selle Ursule m’a t’appelé sur l’escalier de la part de Madame ; et comme je sais qu’a n’aime jamais à attendre, je m’ai tant dépêché pour monter, que je n’ai pas eu le temps de fermer le robinet du tonneau.
DUPONT.
Comment, pas fermé ! Et le vin coule donc à présent ?
JOCRISSE.
Pardine ! Je crois ben que oui, Monsieur.
MADAME DUPONT.
Ah ! Le misérable ! Une pièce de vin de Bourgogne !
DUPONT, riant et tapant les pieds.
Oh ! Oh ! L’imbécile ! Peut-on faire une sottise pareille !
JOCRISSE.
Eh ben dame ! Monsieur et Madame, c’est vote faute à tous les deux, que vous me retenez là quand je veux m’en aller.
Et pis encore à Monsieur le peinte qui rit là à propos de rien.
DUPONT, le poussant.
Mais, vas donc vite fermer le tonneau.
JOCRISSE.
Oh ! Monsieur, j’ai t’eu une bonne précaution ; j’ai avancé dessous le robinet une petite terrine où ce que le vin tomba dedans.
DORVAL, riant.
La peste t’étouffe avec la terrine ! Elle a eu le temps de se remplir vingt fois.
DUPONT.
Cours donc, cours donc vite, malheureux !
JOCRISSE, courant.
Eh ben ! J’y cours aussi.
SCÈNE XIII. Les Précédents, Ursule entre ; Jocrisse se jette dans elle et tombe à terre. §
URSULE.
Ahi ! Ahi ! Le bras.
JOCRISSE, à terre.
Oh ! Oh! Le nez !
MADAME DUPONT.
Le malheureux ! Puisse-tu l’avoir cassé !... Voilà encore mon vin qui coule pendant ce temps-là.
URSULE.
Votre vin ! Oh ! Non, Madame ; rassurez-vous. Quand j’ai vu monter Jocrisse, je me suis doutée qu’il était capable de faire quelque étourderie ; je suis descendue à la cave tout de suite après lui, et j’ai fermé le robinet... C’est tout au plus s’il y a trois ou quatre bouteilles de perdues.
JOCRISSE.
Pardine ! Une belle misère pour faire tant de bruit !
MADAME DUPONT.
Eh bien ! Je le conseille encore ? Il n’y a pas assez de mal de fait, n’est-ce pas ?
DUPONT.
Allons, allons, Mme Dupont, tranquillisons-nous ; le mal n’est pas si grand que nous l’avons cru... Mettons que c’est une douzaine de bouteilles de perdues, et n’y pensons plus.
JOCRISSE.
Eh ! Oui, Madame ; prenez que vous avez donné à dîner, là ! Y a des fois que vous en faites boire davantage à de vos amis, soi-disant, où ce qui ne vous fait pas pus de profit.
DUPONT, à sa femme.
Chut ! Madame ! Ne perdons pas ce qu’il dit là ; ça paie mon vin, tenez cette réflexion qu’il nous fait... En te remerciant, mon ami.
JOCRISSE, aparté.
Quand je vous dis ; je suis sûr que je n’ai jamais tort avec lui.
URSULE.
En parlant de dîner, Madame, je venais pour vous avertir qu’il est prêt. Si vous voulez vous mettre à table?
DUPONT.
Oui, allons-y.
JOCRISSE.
Monsieur, voulez-vous que j’aille rachever de tirer.
MADAME DUPONT, vivement.
Non, Monsieur ; je ne veux pas qu’il y remette le pied.
DUPONT, riant.
Oui, oui, en voilà assez de tiré comme cela. Viens plutôt nous servir à table ; il n’y a pas tant de risque. Allons, Dorval, fait donc le galant.
JOCRISSE, seul.
Ça m’est égal, moi ; aussi ben, i’ fait trop froid à ste cave... Et pis, je suis ben aise d’être à la table pour voir la mine que Madame va faire... Oh ! Oui, je gage qu’à ne boira que de l’eau par rancune du vin que j’ai laissé échapper.
ACTE II §
SCÈNE I. §
URSULE, seule, avec une cafetière à la main.
4Eh ben ! À quoi que Jocrisse pense donc, qui ne vient pas chercher son café ? Si je n’en avais pas eu soin, i’ se serait tout sauvé devant le feu. Eh ! Mais on doit avoir dîné à présent ; je m’étonne qu’il n’arrive pas... Ah ! Le v’là pourtant... Eh ben ! Quequ’il a donc encore ? Le v’là tout émoustillé.
SCÈNE II. Jocrisse, Ursule. §
JOCRISSE, en colère.
Ah ! Jarni ! C’est une terrible chose que le service des femmes, toujours ! J’aimerais mieux, je crois ; oh ! Oui ; j’aimerais mieux servir un homme que quate femmes.
URSULE.
Eh ! Bon Dieu ! Qu’est-ce que les femmes t’ont donc fait, pour crier comme ça après elles ?
JOCRISSE.
Ah ! Elles m’ont fait... Que je ne peux pus durer avec Madame, déjà. Faudra qu’elle ou moi j’y renoncions.
URSULE.
Ah ! Le choix sera bientôt fait.
JOCRISSE.
Oh ! Oui ; car si a ne prend pas son parti, je prendrai le mien, moi.
URSULE.
Tu fera ben. En attendant, v’là ton café ; tiens, vas toujours leur porter.
JOCRISSE.
Oh ! Vous pouvez ben y aller vous-même ; moi, je ne rentre pas dans la salle à manger.
URSULE.
Bah ! Pourquoi donc te piquer comme ça ?
JOCRISSE.
Oui, c’est ben dit ; j’y suis piqué et décidé. J’y remets pus le pied... D’ailleurs, a me l’a défendu, Madame ; est-ce qu’a ne vient pas de me renvoyer ?
URSULE.
Ah ! Mais comme ça, dis donc ; i’ me paraît que son parti est tout pris, à elle.
JOCRISSE.
Oui ; a m’a défendu de resservir à table.
URSULE.
Tu as donc fait encore queque sottise ?
JOCRISSE.
Bah ! Des sottises ! C’est parce qu’alle est ridicule. Imaginez-vous en servant un saladier de crème, j’y en ai répandu tout au plus la moitié dessus sa robe, et alle a crié comme si le feu était à la maison.
URSULE.
Mais dame ! Ça n’est pas agréable, non plus.
JOCRISSE.
Pardi ! La v’là ben malade... Et Monsieur, donc, l’aute jour, j’y ai jette sur sa cuisse une soupière de riz toute bouillante, et i’ n’a rien dit, lui... Mais les femmes ! Faut toujours que ça parle.
URSULE.
Ah ! Mais c’est que tout le monde ne prend pas les choses comme Monsieur.
JOCRISSE.
Vous pouvez ben porter le café à vote belle maîtresse ; pour moi, je ne veux pus la servir.
URSULE.
Oui ; je crois que vous v’là d’accord là-dessus. Eh ben ! Pendant que je vais servir le café, vas donc un peu me laver ma vaisselle, Jocrisse ; ça sera toujours une avance.
JOCRISSE.
Ah ! C’est juste ; pisque vous faites mon ouvrage, i’ faut que je fasse le vôtre... Oh ! Je nous entendons ben, nous deux, pas vrai, Mam’selle Ursule ?
URSULE.
Oui, oui, vas toujours, et prends garde à rien casser.
SCÈNE III. §
JOCRISSE, seul.
Ah ben oui, casser ! Sembe-t’i’ pas que j’ai la main périlleuse, donc ?... Je ne casse jamais rien moi que ça ne tombe par terre... Et pis, la faïence et la porceline, ça n’est pas fait pour durer toujours, non pus... Voyons donc à aller faire le marmiton pour Mam’selle Ursule.
Quien ! Queuque c’est que cet aute qui vient là ?
SCÈNE IV. Jocrisse, Glaude. §
GLAUDE, bien bête.
Monsieur, c’est-t’i’ pas ici, révérence parler, que demeure la maison de Monsieur Dupont ?
JOCRISSE, aparté.
Ah ! Comme il est donc gauche, stilà ! I’ sort de son village, apparemment.
Oui-da, mon bon ami, c’est ici que demeure ste maison-là ! Queuque tu veux l’y dire ?
GLAUDE.
Ah ! Bah ! Monsieur badine. C’est pas à la maison, c’est au Monsieur que je veux parler.
JOCRISSE.
Quien ! Comme il est malin ! Il a deviné celle-là ! Eh ! Quoique tu veux y parler à Monsieur Dupont ?
GLAUDE.
C’est parce qu’on m’a fait dire de sa part que je vienne.
JOCRISSE.
Ah ben ! Je vas l’avertir que t’es là... À propos, comment que tu t’appelles ?
GLAUDE.
Je m’appelle Glaude, Monsieur.
JOCRISSE.
Glaude toi-même, parles donc, hé !... Je m’appelle pas Glaude, moi.
GLAUDE.
Mais c’est moi, Monsieur, qui s’appelle comme ça.
JOCRISSE.
Eh ben ! Tant pis pour toi... T’es ben dupe d’avoir pris un nom comme ça, Glaude !... Glaude ! Oh ! ça ne te fait pas d’honneur.
GLAUDE.
Pourquoi donc ?
JOCRISSE.
Parce que c’est pas un nom pour un homme, ça !... Glaude !... Tu vois ben quand on dit de queuz’un : c’est un Glaude, sthomme-là !... C’est signe que...
Oh ! T’es encore plus bête que moi, toi !
GLAUDE.
Bah !... Comment donc que vous vous appeliez, vous ?
JOCRISSE.
Oh ! Moi, c’est différent ; je m’appelle Jean-Gilles Jocrisse.
GLAUDE.
Quien ! Jean-Gilles Jocrisse !... Ah ! Pardine ! Vote parrain n’est pas pus relevé que le mien ; je crois ben. Jocrisse ! Eh ! On se moque des Jocrisses cheux nous.
JOCRISSE.
Oui-da !... Mais ne vas pas prendre ste liberté-là ici, toi.
GLAUDE.
Oh ! Monsieur, je sais ben que je ne sommes pas ici cheux nous.
JOCRISSE.
Diante ! T’es taquin, à ce qui me paraît. Tu manques de respect à un ancien... Car t’es domestique aussi, apparemment, toi.
GLAUDE.
Monsieur, j’ai pas encore sthonneur-là ; mais je viens de mon pays exprès pour l’être.
JOCRISSE.
La peste ! Ça va faire un beau coup pour le maîte qui t’aura !... Eh ! Cheux qui que tu compte entrer ?
GLAUDE.
Cheux Monsieur Dupont !
JOCRISSE, sautant de surprise.
Cheux Monsieur Dupont ?
GLAUDE.
Oui, Monsieur, parce que c’est la femme à ce Monsieur Dupont qui m’a demandé, parce qu’elle a chassé un mauvais sujet qu’alle avait auparavant.
JOCRISSE, en colère.
Un mauvais sujet qu’alle avait ?
GLAUDE.
Oui, Monsieur, et qu’alle veut en avoir un bon à sa place.
JOCRISSE.
Et c’est toi qu’est ce bon-là ?
GLAUDE.
Oui, Monsieur, je m’en vante.
JOCRISSE, aparté.
Sarpedié ! J’ai envie de lui pocher le nez, à ce susplanteur-là ; ... Mais j’aime mieux l’y faire une frime.
Bah ! Mon enfant, c’est que Madame t’attrape, quand a te parle comme ça,... Parce que c’est elle qu’est un mauvais sujet, et que personne ne peut la servir ? C’est moi qu’était le domestique ici, vois-tu ben ça ; et que je peux dire que j’y étais ben aimé de tout le monde... Eh ben ! Je demande mon compte et je veux m’en aller.
GLAUDE.
À cause de pourquoi donc ça ?
JOCRISSE.
Eh ben ! Je te dis, à causé de Madame qu’est une enragée ; car je m’étonne que je suis encore en vie, après tout ce qu’a m’a fait !... Mais toi, qu’es encore ben pus innocent, et ben pus !... Bah ! Tu ne resteras pas deux jours ici qu’a ne t’aura avalé.
GLAUDE, effrayé.
Ah ! Mon Dieu ! C’est donc comme une ogresse, ste femme-là !
JOCRISSE.
Ah ! Bah ! C’est ben pire !
GLAUDE.
Ah ! Jarnigouette ! Queuque j’entendons-là ?
JOCRISSE.
C’est un échantillon de sa bonne humeur.... Veux-tu que je t’annonce ? Quien, v’là le bon moment ! Apprête-toi.
GLAUDE.
Ah ! Sarpedié non ! Annoncez-lui plutôt que je m’en retourne dans mon pays... Oh ! Je n’aimons pas à être brutalisé ; et si alle attend après moi pour prendre vote place, vote belle Madame a restera encore longtemps vuide.
SCÈNE V. §
JOCRISSE, seul.
Bon ! V’là ce que je voulais ; j’y ai fait peur... Mais, voyez vous la malice de Madame, de vouloir me renvoyer comme ça en-dessous... Mais je la crains pas, parce que Monsieur n’aime que moi, lui, déjà ; ça fait que je suis fort.
SCÈNE VI. Jocrisse, Ursule, avec la cafetière. §
URSULE.
Eh ! Malheureux ! Queu miracle t’as donc encore fait-là ?
JOCRISSE.
Quien ! Encore moi !... Et j’ai pas bougé d’ici.
URSULE.
Je le sais ben ; mais c’est de ton café que je parle, qui semble que le diable était dans la cafetière... Monsieur, Madame, et le Peinte ont tout jeté par terre, et les tasse avec, et i’ disent qu’i’ sont empoisonnés.
JOCRISSE.
C’est pourtant du bon Moka tout pur.
URSULE, flairant la cafetière.
Mais, mon Dieu, t’as beau dire ; ça sent un vilain goût... Vois donc.
JOCRISSE, flairant aussi.
Ah ! Sarpedié ! Je vois ce que c’est ; c’est encore de la faute à Monsieur, ça... Tandis que je fouillais dans l’armoire pour prendre du café, i’ m’a dit de l’y aveindre du tabac, parce qu’il est aussi dans un pot à côté,... Et moi, j’aurai mis le café dans la boîte à Monsieur, et le tabac dans la cafetière.
URSULE.
Ah ! Le misérable ! Peut-on être ahuri comme ça !
JOCRISSE.
Eh ben ! C’est la faute des maîtes ; pourquoi t’est-ce qui donne toujours deux choses à faire à la fois ?...
Ah ! Jarni ! Madame a dû faire de belles grimaces !
URSULE.
Oui ; mais je crois qu’elle t’en fera faire aussi d’autes, à toi... Les v’là qui viennent ; tiens-toi ben.
JOCRISSE.
Ah ben oui ! Je vas les attendre !... Je m’en vas putôt voir l’artificier qui travaille pour le bouquet de Madame, et je l’y dirai qui m’appreune à faire un petit soleil, parce que je le tirerai le jour de note mariage.
URSULE.
Oui ; je crois que ça fera une belle fête !
SCÈNE VII. Monsieur et Madame Dupont, Dorval, Uusule. §
DORVAL, crachant.
Je ne peux pas définir ce qu’il a mis dans son café, mais je n’ai jamais senti un goût comme ça.
MADAME DUPONT, à Ursule.
Eh bien ! Mademoiselle, vous venez de lui parler, apparemment. Nous direz-vous ce que c’est, vous ?
URSULE.
Eh ben ! Madame, i’ ne l’a pas fait exprès. C’est un quiproquo... En voulant tantôt remplir la tabatière de Monsieur...
DUPONT, riant.
Ah ! Ventrebleu ! J’y suis ; il a mis le tabac dans la cafetière ! Ah ! Ah ! Ah !
MADAME DUPONT, à Ursule.
Allez me chercher un verre d’eau.
DUPONT, riant toujours.
Convenez que le tour est risible.
MADAME DUPONT.
En vérité, Monsieur, vos plaisanteries sont très déplacées ; je voudrais voir la figure que vous feriez, si vous en aviez avalé seulement une cuillerée.
DUPONT.
La peste ! Je n’aurais pas été si dupe ; je l’aurais reconnu l’odeur, moi !... Mais vous êtes délicats, vous autres, vous ne prenez pas de tabac !
DORVAL.
Et tu ne prends pas de café, toi ! Tu es bienheureux !
DUPONT.
Que diable est-ce là ?
DORVAL.
C’est peut-être déjà une épreuve pour ta philosophie.
MADAME DUPONT.
Eh ! Mais, c’est comme un coup de fusil !... Et je vois de la fumée dans le jardin, même.
SCÈNE VIII. Les Précédents. §
URSULE, portant un verre d’eau sur un assiette.
Tenez, Madame, en v’là de la ben fraîche !
DUPONT.
Dites-donc, Ursule, savez-vous ce que c’est que ce bruit que nous venons d’entendre ?
URSULE, avec un air de mystère.
Oh ! Ce n’est rien, Monsieur.
MADAME DUPONT.
Comment rien ! Eh ! Voilà une fumée terrible !
URSULE.
Oh ! C’est égal, Madame...
C’est de l’artifice de vot’ bouquet qu’on a voulu essayer.
DUPONT, lui faisant signe.
Chut !... Oui, oui, ma femme, ce n’est rien... Ce sont de vieilles choses que je fais brûler, et il s’est trouvé dedans, apparemment, quelques...
SCÈNE IX. Les Précédents, Jocrisse, tout barbouillé de noir. §
JOCRISSE, criant et se démenant.
Ah ! Sarpedié ! C’est indigne des trahisons pareilles ! Monsieur, je viens vous demander vengeance de ça.
MADAME DUPONT.
Qu’est-ce qu’il y a donc encore ?
DUPONT, bas à Jocrisse.
Tais-toi donc, ne parles pas de ça.
JOCRISSE.
Si fait, Monsieur, j’ai pas tort ste fois-ci, d’abord : jugez-moi putôt. Tenez, Madame, c’est l’artificier qui travaille là-bas dans le jardin à faire des fusées pour vote fête...
DUPONT.
Allons, l’imbécile ! Voilà tout vendu !
MADAME DUPONT.
Ah ! Ah ! Monsieur, une surprise que vous me ménagiez ?
DORVAL.
Oui ; mais le secret était en bonnes mains !
MADAME DUPONT, à Jocrisse.
Eh ! Qu’a-t-il fait cet artificier ?
JOCRISSE.
Eh ben ! Madame, i’ m’a donné six belles chandelles pour porter dans le salon, qui m’a dit de les mettre dans six beaux flambeaux...
DORVAL.
Ah ! Des chandelles Romaines, apparemment !
JOCRISSE.
Ah ben oui ! Romaines !... C’était ben putôt des chandelles du diable !... Quand je les ai t’eu mis dans les flambeaux, j’ai voulu les émoucher ; mais j’en ai allumé la mèche à une, et pis, j’y ai soufflé dessus pour la faire prendre ; pas du tout, v’là que la chienne de chandelle a soufflé un feu qui m’a sauté dans le nez et qui m’a tout grésillé le visage et les mains ; et pis, après ça, le pétard qui m’a fait tomber à la renverse.
DUPONT, riant.
Oh ! Oh ! Oh !... Tu n’as donc pas envie d’aller émoucher les cinq autres ?
JOCRISSE.
Moi ! Que le diable d’artificier les émouche si i’ veut, lui-même ; elles sont ensorcelées.
MADAME DUPONT, à son mari.
Eh bien ! Monsieur, vous voyez qu’on ne peut pas se fier à un étourdi comme celui-là ! Quelque jour il mettra le feu ici ; ... D’ailleurs, je vous avoue, moi, qu’il me retourne tout le sang.
JOCRISSE.
Pardine ! Je l’ai ben mieux retourné, moi, le mien, qu’il est tout brûlé à stheure.
DUPONT.
Allons, allons, ma femme, il faut encore lui pardonner celle-là.
DORVAL.
Oui... Il en est déjà assez puni.
JOCRISSE.
Quien ! Me pardonner, à stheure ! Comme si c’était ma faute... C’est pardi ben moi qui ne pardonne pas à ce chien d’artificier sa chandelle moulée !
MADAME DUPONT, à son mari.
Comment ! Vous voulez que je garde un imbécile qui me fait à tous moments de nouvelles sottises et qui casse tout ?
DUPONT.
Eh bien ! Qui est-ce qui ne casse pas ?...
JOCRISSE.
Oh ben ! Moi, y a encore ben des choses ici que je magne tous les jours et que j’ai pas encore cassé.
MADAME DUPONT.
Ah ! Pas encore !... Mais tu espères que cela viendra, apparemment.
JOCRISSE.
Ah ben ! Mais Madame, on ne peut pas vous répondre du casuel, non pus, et puis nous n’aurons pas de dispute. Vous v’là ici, et moi je vas aller balayer dans les autes chambes...
SCÈNE X. Monsieur et Madame Dupont, Dorval. §
DUPONT.
Eh bien ! Cela ne vous désarme pas, Madame ! Vous voyez qu’il baisse pavillon devant vous ?
MADAME DUPONT.
Ah ça !
Monsieur, j’espère que vous me débarrasserez bientôt de lui... D’abord, je vous avoue que j’ai fait demander un autre domestique, et que je l’attends d’un moment à l’autre.
DUPONT.
Eh bien ! Ma chère amie, quand il viendra, nous le prendrons, s’il vous convient ; aussi bien une personne de plus ne nuira pas dans notre maison... Mais il ne faut pas désespérer de ce pauvre diable ; il est sans malice, et j’ai idée que nous en ferons quelque chose... Il n’y a que mon ami Dorval qui lui garde une dent pour son portrait...
Et pour son café.
DORVAL, toussant par ressouvenir.
5Hom ! Hom !... Oui, le diable de café est-ce qui me tient le plus ; car pour le portrait, cela peut se réparer... Et même, si Madame voulait, pour faire sa paix avec moi, me donner une petite séance...
MADAME DUPONT.
Oh ! Non, après dîner comme cela, je n’aime pas à rester assise. Allons plutôt faire un tour de jardin.
DUPONT, voulant la détourner.
Oh ! Le jardin !... à présent, il fait encore bien chaud !... Cela n’est agréable que le soir.
MADAME DUPONT.
Ah ! J’entends !... Vos préparatifs ; ... Oui, oui. Il est dans l’ordre que j’ignore tout cela ; ... Et malgré la chandelle de Jocrisse, je... Je serai surprise ce soir... Allons dans le salon.
SCÈNE XI. Les Précédents, Jocrisse, avec un balai de crin. §
JOCRISSE, venant derrière, à Dupont.
Chit ! Chit ! Monsieur...
MADAME DUPONT, à Jocrisse.
Eh bien ! Te voilà encore !
JOCRISSE.
Eh ! C’est pas pour vous ste fois-ci, Madame, c’est à Monsieur que j’en ai.
DUPONT, riant.
Ah ! Si c’est à nous deux, Madame, vous ne devez pas troubler la confidence ; parles, mon ami.
JOCRISSE, à demi-voix.
Dites donc, Monsieur, qu’est-ce que c’est-i’ que des petits papiers fins de mousseline peinturés en noir et en rouge qu’étions sus votre bureau ?
DUPONT, haut.
Ah ! Ce sont des billets de la Caisse d’Escompte que j’ai reçu ce matin, et que j’ai oublié de serrer.
JOCRISSE.
Ça ne doit pas être ben cher, ces petites images-là, pas vrai, Monsieur ?
DUPONT, riant.
Non, non, vas, ce sont des misères dont tu n’a pas besoin de savoir le prix.
JOCRISSE, s’en allant.
Ah ! Tant mieux !... Je le pensais ben aussi, moi.
DUPONT, riant.
Il est plaisant avec ses images !... Mais quelle idée as-tu de me demander cela ?
JOCRISSE, revenant.
Je m’en vas vous le dire, Monsieur ; c’est que tout-à-l’heure, en balayant votre cabinet, j’ai ouvert la fenêtre, à cause de la poussière ; là-dessus, il est venu une bouffée de vent qu’a envolé toutes les petites images !
DUPONT, s’écriant.
Ah ! Miséricorde !
DORVAL.
Oh ! Parbleu ! Je crois que voilà ton café, à toi.
JOCRISSE.
Y eu a qu’ont passé par la fenêtre. Ah ! Vous ririez de voir comme tout le monde court après dans les rues !
DUPONT, enragé, et piétinant de colère.
Après mes billets de Caisse !... Ah ! Misérable! Tiens-toi bien, malheureux ! S’il faut que mes billets soient perdus, je reviens avec ma canne, et je vais t’assommer moi-même. Ne le laissez pas sortir.
SCÈNE XII. Madame Dupont, Dorval, Jorisse. §
JOCRISSE, stupéfait.
Eh ben! Est-ce qu’il est devenu fou depis tout-à-l’heure, donc ? Comment ! Lui qui riait toujours quand je faisais quéqu’étourderie ; le v’là qu’il est enragé pour des images !...
MADAME DUPONT.
Eh bien ! Monsieur Jocrisse, voilà donc votre protecteur fâché une fois !
JOCRISSE.
Oh ! Jarni ! J’aimerais mieux qui’ me grondât tous les jours comme vous faites, que de se fâcher une seule fois comme ça.
MADAME DUPONT, à Dorval.
Ça lui apprendra, à Monsieur Dupont... S’il l’avait renvoyé, lorsque je l’ai voulu, il nous aurait épargné bien de sa mauvaise humeur à tous.
JOCRISSE.
Eh ben ! Madame, laissez-moi aller à présent.
MADAME DUPONT.
Oh ! Il n’est plus temps, tu es consigné.
JOCRISSE.
Ah ! Jarnombille ! Le v’là qui revient... Je crois qu’il n’a pas sa canne avec lui.
SCÈNE XIII. Les Précédents, Dupont. §
DUPONT.
Le misérable ! Je suis arrivé bien à temps pour fermer la fenêtre, car tout y aurait passé... Heureusement il n’y eu a que pour à peu près une centaine de pistoles de perdu.
MADAME DUPONT.
Heureusement, dites-vous !
DUPONT.
Oui, ma foi, heureusement... Quand je pense qu’il y avait là vingt mille francs qui pouvaient sauter, je regarde encore cela comme un très grand bonheur !
DORVAL.
Certainement, Madame, et je lui en fais bien mon compliment.
JOCRISSE.
Quien, compliment!... V’là donc que j’ai ben fait, moi, à stheure-ci.
DUPONT.
Pour vous, M. Jocrisse, il est temps que j’ouvre les yeux sur votre mérite, et que je le récompense. Vous allez avoir la complaisance de faire votre paquet. Cela ne doit pas être long ; et si je vous retrouve ici dans un quart-d’heure, nous compterons ensemble pour tout ce que chacun de la maison vous doit. Au revoir, Monsieur Jocrisse.
MADAME DUPONT, s’en allant.
Bonjour, mon bon ami.
DORVAL.
Je suis fâché de n’avoir pas pu finir ton portrait ; mais tu as si bien travaillé celui de Madame, que tu ne seras pas en peine pour achever le tien.
SCÈNE XIV. §
JOCRISSE, seul, confondu, etc.
Non ; c’est pas eux qui me piquent : c’est Monsieur Dupont tout seul qui m’étonne !... J’aurais juré que de lui à moi c’étais à la vie pour être ensembe, et pas du tout, v’là qu’il a une lubie aussi, et i’ me campe à la porte !... Et sans précaution, encore !... Là ! Fiez-vous donc aux maîtes, après celle-là !... Ah ! Jarni ! J’étais si content de cette condition !... Oh ! Oui ; je le vois ben à présent ; les maîtes se ressemblent tous, et les domestiques sont toujours la dupe.
SCÈNE XV. Jorisse, Ursule. §
URSULE.
Eh ben ! Mon pauvre Jocrisse ! Quéque j’apprends donc-là ; v’la donc note mariage défait ?
JOCRISSE.
Pourquoi donc ça ? Si vous aviez autant d’envie de moi, Mam’selle Ursule, comme j’en aide vous, ça n’y déferait rien du tout.
URSULE.
Mais, mon cher enfant, il n’est pas question ici de l’envie toute seule, faut de quoi vivre avec ; ... Et à présent que te v’là sus le pavé...
JOCRISSE.
Bah ! J’y resterai pas longtemps sus le pavé ; un bon sujet trouve toujours...
URSULE.
Oui ; mais les bonnes conditions sont rares, et c’est vrai que t’es ben étourdi.
JOCRISSE, pleurant.
Allons, pisqu’il faut que je m’en aille, et qu’il ne m’a donné qu’un quart-d’heure pour faire mon paquet, je vas commencer par vous faire mes adieux... Au revoir, ma chère Mam’selle Ursule... Je me ressouviendrai toujours de vous ; et pour que vous pensiez un petit brin à moi, v’là mon portrait que je vous abandonne,... ça n’est encore qu’une débauche, comme a dit le peinte ; mais je reviendrai me faire finir un jour que n’y aura personne.
URSULE.
Mais, mon pauvre garçon, où que tu vas aller comme ça ce soir?
JOCRISSE.
J’en sais rien ; car je ne connais pas une âme... Et si je ne voulais pas rester vivant pour vous, Mam’selle Ursule, j’irais me... Oh ! Oui, j’irai faire quéque mauvais coup.
URSULE.
Écoute ; il me vient une idée : je vas aller trouver Monsieur, et je le priera tant, qu’il te laissera coucher encore ici ce soir. Si je gagnons ça sur lui, il est bon, et le premier moment de sa colère passé, il te pardonnera tout demain... J’y cours ben vite.
SCÈNE XVI. §
JOCRISSE, seul.
Oh ! C’est sûr qu’il est bonne personne, et je ne conçois rien à sa fâcherie, moi.
SCÈNE XVII. Jocrisse, Le Colporteur. §
LE COLPORTEUR.
Ah ! Dites donc ? Je crois que c’est vous à qui que j’ai vendu ce matin ici, un billet de six francs ?
JOCRISSE.
6Oui-da, Monsieur ! Tout fin dret,... Et que je voudrais ben les ravoir encore, à stheure que me v’là sans place.
LE COLPORTEUR.
Ah ! Mon enfant ! J’étais sûr que je faisais votre bonheur, moi ! Vous avez gagné douze cents vingt-quatre livres.
JOCRISSE, sautant de joie.
Ah ! Jarnombille ! Queu coup !... J’ai les fonds perdus qui m’arrivent!... Ah ça ! Mais... Ne vous moquez-vous pas de moi ?
LE COLPORTEUR.
Non parbleu pas ! C’est si vrai, que je vous apporte votre argent moi-même, afin que vous n’oubliez pas celui qui vous à fait gagner... Voyons ; donnez-moi votre billet ?
JOCRISSE.
Pourquoi faire, mon billet ?
LE COLPORTEUR.
Parce que je ne peux pas vous payer sans ça.
JOCRISSE.
Ah ! C’est une aute affaire.
Ah ! Miséricorde ! Je crois que j’ai allumé la maudite chandelle moulée avec, tantôt !
LE COLPORTEUR.
Ah ben ! Vous avez fait là un beau coup !... C’est douze cents livres de perdus.
JOCRISSE.
Sarpedié ! Si c’est vrai, je vas me pendre tout de suite. Ah ! Pourtant, je crois que le v’là, tenez ; c’est-i’ pas ça ?
LE COLPORTEUR.
Oh ! Oui ; c’est-ça même. Nos. Treize, dix-sept, soixante-trois... Oui, le terne y est bien, et je vas vous le payer.
JOCRISSE, sautant de joie.
Bon ! Et moi je vas épouser Mam’selle Ursule.
LE COLPORTEUR.
Je vous disais bien de pendre la crémaillère d’avance. Tenez, je vas vous donner de bons billets pour la somme de douze cents livres, et voilà les vingt-quatre livres d’appoint en écus de six livres ; que si vous étiez bon enfant, vous laisseriez pour boire à votre santé à celui qui vous a porté bonheur.
JOCRISSE.
Oh ! De ça, c’est juste ; et de bon cœur, même, empochez-les : c’est vote part, et donnez-moi ben vite la mienne.
LE COLPORTEUR, serrant les quatres écus et tirant son porte-feuille.
Grand-merci, mon brave homme !... Et tenez de bons effets...
Deux, quatre, six, huit, dix et douze cents livres bien comptés.
JOCRISSE, regardant les billets.
Eh ben ! Quéque c’est que çà ?
LE COLPORTEUR.
Eh ! Parbleu ! C’est des billets de la Caisse d’Escompte.
JOCRISSE.
Quéque vous me chantez ?... C’est des images comme le vent les a envolées tantôt à Monsieur, ça !
LE COLPORTEUR.
Je ne sais pas ce que vous voulez dire ; mais c’est du bel et bon argent. Chacun de ces billets-là vaut deux cent livres ; en voilà six : ça fait bien vos douze cents livres... D’ailleurs, faites-les voir an premier venu, et il vous donnera des louis d’or en place... Au revoir, mon brave homme ; ... Au premier tirage, je reviendrai pour tâche de vous en donner autant.
SCÈNE XVIII. §
JOCRISSE, seul, ses billets à la main, et réfléchissant.
Que je les fasse voir au premier venu, et il va me donner des louis d’or en place... Ah ! Sarpedié ! C’est donc des louis d’or aussi que j’ai fait envoler à Monsieur Dupont tantôt !... Et i’ n’avait donc pas tant de tort de se mettre en colère contre moi, ce pauvre cher homme !... Eh ben ! J’étais pourtant ben innocent de ça aussi, moi !...Voyez ce que c’est de n’avoir pas l’habitude de magner ce monnaies-là !... J’étais piqué contre lui de me renvoyer parce que je croyais que c’était un caprice ; mais à stheure j’y pardonne sa colère ; et quand i’ m’aurait donné les coups de bâton, je ne l’y en voudrais pas encore.
SCÈNE XIX. Dupont, Jocrisse. §
DUPONT, d’un ton du bonté, mais encore piqué.
Eh bien ! Monsieur Jocrisse, vous demandez donc à coucher encore ici ce soir ?
JOCRISSE.
Oh ! Non, Monsieur, je n’ose pus demander ste grâce-là à présent. Je vois ben que je ne la mérite pas... Et je connais le tort que je vous avais fait sans le savoir.
DUPONT.
Oui, tu m’en a fait, et plus que tu ne crois... Mais je le mérite pour avoir eu confiance dans un étourdi et un imbécile comme toi.
JOCRISSE, pénétré, et de tout cœur.
Mon cher maîte ! Ne vous repentez pas d’avoir eu des bontés pour moi. J’ai jamais été méchant !... Quand j’ai fait du mal, c’était pas par exprès ; j’en suis pus fâche que vous, et je voudrais pouvoir le réparer.
DUPONT.
7Le réparer !... Eh ! Malheureux ! Comment t’y prendrais-tu pour réparer cent pistoles et plus que tu m’as l’ait perdre !
JOCRISSE.
Je ne sais pas comben que ça fait, cent pistoles ; ... Mais, tenez, on m’a dit que y avait là douze cents francs ; voyez, Monsieur, et pernez-les toujours à compte.
DUPONT, les prenant.
Qu’est-ce que c’est que ça ?... Est-ce que ce sont mes billets que tu as retrouvés ?
JOCRISSE.
Non, Monsieur, c’est mon billet de Loterie de ce matin qu’a gagné ça, et que le Colporteur vient de m’apporter ici.
DUPONT, pénétré et lui serrant la main.
Et tu me les offres ?... Ah ! Brave garçon !
JOCRISSE, étonné.
Eh ! Mon Dieu ! Queuque c’est que ça ?
DUPONT.
Justement, mon ami, c’est une aubade que les tambours viennent te donner pour célébrer ton bonheur.
SCÈNE XX, et dernière. Tous les acteurs, entrent à la suite. §
URSULE, vivement.
Quéque c’est donc que ça qu’on tambourine à la porte ?
DORVAL, entrant après elle.
On dit que c’est un terne qu’on a gagné à la Loterie.
MADAME DUPONT, voyant son mari qui tient des billets de caisse.
Est-ce que c’est vous, mon cher ami ?
DUPONT.
Non, ma femme ; mais je ne suis pas jaloux de celui qui l’a eu... C’est Jocrisse qui a gagné douze cents livres, et qui vient de me les donner pour remplacer ce que son étourderie m’avait fait perdre tantôt.
DORVAL.
Comment donc, Jocrisse, voilà un beau trait !
DUPONT.
Je vous ai toujours bien dit, moi, qu’il y avait de la ressource avec lui... Jocrisse, j’ai ri jusqu’à présent de tes étourderies ; je me suis fâché de ta dernière sottise, mais je dois récompenser ton bon cœur ; voilà ton argent que je te rends.
JOCRISSE, à ses pieds, sans prendre les billets.
Ah ! Mon Dieu ! Mon bon maîte !...
DUPONT.
Prends, te dis-je, et jouis doublement de ton bonheur, en épousant Ursule.
MADAME DUPONT.
J’y consens ; mais je ne voudrais pas qu’Ursule nous quittât.
DUPONT.
Eh bien ! Ils resteront tous deux... Ursule est un bon sujet ; et si Jocrisse n’a pas beaucoup d’esprit, au moins, il vient de nous prouver qu’il avait un bon cœur.
JOCRISSE, lui baisant la main.
Ah ! Jarni ! Mon cher maîte !... Faudrait donc être un tigre, pour n’en avoir pas un bon auprès de vous... Ma chère maîtresse, vous verrez que vous serez contente de moi à présent ; vous, Monsieur le peinte, vous finirez mon portrait de ce coup-ci ; et vous, Mam’selle Ursule, vous aurez toujours l’original, en attendant la copie ; et pis, v’là encore le magot par-dessus le marché.