M. DCC. XLIV.
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AVERTISSEMENT DE L’ÉDITEUR. §
Nous donnons au public la quatrième édition de cette tragédie qui est entièrement différente des précédentes. Les deux premiers actes sont totalement changés, et le troisième rempli de nouveaux vers, et de nouvelles situations : Quelques personnes l’ont attribuée à Mr. DE VOLTAIRE, fondées sur la ressemblance qui se trouve entre cette pièce et la Henriade ; d’autres ont cru y reconnaître la plume du Marquis D’ARGENS : plusieurs enfin s’accordent pour la donner à un jeune homme, connu cependant par des poésies d’un autre genre ; on ajoute même qu’il l’a composée comme elle a paru d’abord à l’âge de dix-huit ans.
Quel que soit l’auteur, cette tragédie a été généralement goûtée : la versification en est noble et élevée, les caractères bien soutenus, et ne se démentant point ; peut-être des amateurs du nouveau théâtre de ces pièces à scènes chargées et romanesques, blâmeront-ils l’intrigue de celle-ci, et l’accuseront d’une trop grande simplicité. L’auteur paraît avoir eu devant les yeux, ce naturel pathétique des tragiques Grecs et Anglais.
S’il a pu rendre son ouvrage intéressant, il a rempli la première règle (a), il ne faut jamais s’interroger sur la cause du plaisir qu’on ressent à la lecture ou à la représentation d’une pièce ; pourvu qu’elle ait le don de plaire, on ne doit pas exiger davantage ; celle-ci a toujours beaucoup plu malgré les imperfections dont elle était défigurée. En voilà assez pour sa défense ou pour son éloge.
(a) Elle a été jouée avec beaucoup d’applaudissements, sur des théâtres particuliers en France et dans les Pays étrangers, elle est traduite en Anglais.
DISCOURS PRÉLIMINAIRE. §
Ceux qui aiment la vérité, la trouveront dans cet ouvrage. La journée de la Saint-Barthélemy ferait honte à nos Français s’ils ne la désapprouvaient eux-mêmes : On sait qu’elle est en horreur parmi eux, comme le sont aujourd’hui les Vêpres Siciliennes chez les Espagnols. Les Anglais, une des Nations les plus sensées de l’Europe, blâment la conduite de leurs Pères à l’égard de Charles I les protestants out été les premiers à détester ces misérables Fanatiques nommés Camisards (b).
Les meilleurs Catholiques, en honorant Saint-Pierre et les autres Pontifes aussi respectables, abhorrent Léon X et Alexandre VI. Il y a une espèce d’imbécillité à vouloir excuser les fautes de ses aïeux ; il se trouve des superstitions de tout genre ; la plus honteuse de toutes est ce respect mal entendu pour les siècles précédents ; ce préjugé grossier et cependant si ordinaire arrête souvent les progrès de la raison. Pourquoi devoir à autrui un bien que nous trouvons chez nous-mêmes ? Nous avons tous la même faculté de penser, ce n’est que les divers abus qu’on en fait qui rendent un homme si différent d’un autre homme.
On a le malheur de confondre souvent le Fanatisme avec la Religion : Un Chrétien est un homme plus raisonnable que les autres ; la Raison et la vraie Religion ne se séparent jamais.
On n’a qu’à parcourir les Mémoires de l’Étoile, la grande Histoire de Mézerai, l’Illustre Président de Thou le Tite-Live de la France, cet Historien si sage et si éclairé ; on y lira le détail de la Saint Barthélemy, on pourra juger, par tant d’exemples, que tous les Hommes sont également méchants lorsqu’ils sont frappés de ce préjugé imposant qu’ils nomment Religion, et qui cependant lui est si opposé.
Il est nécessaire de donner une légère idée sur la Saint-Barthélemy, pour remettre sous les yeux des lecteurs, des traits qui auraient pu leur échapper, et dont la connaissance est nécessaire à l’intelligence de la pièce.
Médicis depuis longtemps méditait de porter ce coup au Parti Calviniste ; il était nécessaire qu’on empruntât les voiles de la Religion et de la perfidie, pour accabler avec plus d’assurance un Parti qui s’agrandissait tous les jours ; on n’eut pas de peine à faire goûter ce complot à une Cour composée d’imbéciles, de superstitieux, de mécontents, et d’esprits amoureux des nouveautés ; les uns étaient des Fanatiques que le zèle de la Religion rendait barbares de sang froid ; les autres moins grossiers et plus coupables, se servaient de ces espèces de pieuses machines, pour travailler aveuglément à leurs propres intérêts : c’est ainsi que le peuple a été de tout temps le martyr de ses Maîtres ou de sa crédulité.
Les Guises haïssaient les Condés et les Coligny, plutôt à cause de leur haute réputation, que par rapport au titre de Protecteurs de l’Hérésie : si Coligny eut été Catholique, ils eussent été les plus zélés soutiens des Protestants.
Charles IX eût peine à donner son consentement pour une si horrible exécution, mais ce Prince n’avait pas assez de force pour oser être vertueux, dans une Cour empoisonnée des maximes de Machiavel. La faiblesse est presque toujours crime pour un Roi. CHARLES IX cependant malgré sa docilité pour sa mère, a passé pour le Prince le plus emporté de son temps ; il tombait dans des espèces de fureurs convulsives. Quelques-uns ont soupçonné que la maladie dont il mourut fût occasionnée par le poison ; ce fait n’est pas avéré.
Gaspard de Coligny, Amiral de France, avait succédé dans son parti au Prince de Condé, son oncle, tué à la bataille de Jarnac par Montesquiou ; c’était un honnête homme, auquel il ne manquait que d’être Catholique: jamais Chef ne sut mettre mieux à profit le malheur ; s’il ne remporta pas d’éclatantes victoires, il fit beaucoup d’honorables retraites, ce qui distingue le grand Capitaine presque autant que le succès. Les Noces d’Henri IV et de Marguerite de Valois l’attirèrent à la Cour, rassuré par le prétexte d’une paix générale, que Médicis feignait de vouloir leur donner. Il était attaché à son Roi, malgré la différence de Religion, et faisait voir qu’on peut servir à la fois son Dieu et son Maître : toute sa prudence ne pût lui faire écouter des soupçons qu’un accident (c) qui lui était arrivé quelques jours avant, devait justifier ; ce fut la première victime qu’on sacrifia à Médicis ; ses assassins le trouvèrent qui lisait Job, il ne parut point épouvanté à leur vue, il attendit la mort et la reçut avec cette tranquillité d’âme, qui fait le caractère du héros et du chrétien ; son corps fût jeté par les fenêtres: le Duc de Guise surnommé le Balafré, et qui n’eut que de grands vices, et des talents qu’on nommait Vertus, eut la cruauté de fouler aux pieds le cadavre de Coligny, il lui essuya même avec son mouchoir son visage tout couvert de sang, pour le reconnaître, et pour jouir (si on ose le dire) de l’affreux plaisir de la vengeance. La tête de l’Amiral fût portée à Médicis, qui, suivant quelques historiens, l’envoya toute embaumée au Pape, comme un présent de sa colère et de sa haine ; on pendit le corps de COLIGNY par les pieds au gibet de Montfaucon ; Charles IX avec toute sa Cour alla rassasier sa fureur de ce spectacle ; les biens du mort furent confisqués au profit du Roi, sa mémoire déclarée odieuse. Il y a quelques années qu’en creusant les fondements d’une Chapelle à Chantilly, on trouva un cercueil qui renfermait son corps, il était entouré de bandelettes aux jambes et aux bras (d).
Le Comte de Teligni, son Gendre, se sauva tout nu en chemise dans les bras de son beau-père, et y fut massacré sur le champ par les assassins ; ce jeune homme était cher au Parti, et même aux Catholiques qui savaient respecter la vertu jusques dans leurs ennemis.
Marsillac Comte de la Rochefoucault était un des Courtisans qui possédait davantage la faveur du Roi : Il avait passé une partie de la nuit à jouer aux dés avec ce Prince, qui voulut en vain le retenir ; ce Roi dont la faiblesse était le premier vice, laissa courir Marsillac au devant de la mort, pensant que le Ciel avait résolu sa perte.
Le Maréchal de Tavanne, honnête homme d’ailleurs s’il n’eut pas été aveuglé par son ignorance, commandait tous ces meurtres dans la volonté d’obéir à Dieu ; on se servait de sa docile fureur comme d’un instrument propre à châtier les Huguenots. Il était à la tête d’une troupe de meurtriers qui portaient sur leurs chapeaux une Croix blanche, et le Maréchal de Tavanne criait de toutes ses forces : Saignée, saignée, la saignée est aussi bonne au mois d’Août qu’au mois de Mai.
Albert de Gondi, Maréchal de France, était un des Favoris de Médicis, aussi bien que Moscoüet Gentilhomme Breton, et le Vidame de Chartres ; cette Princesse mettait l’amour au rang de ses passions (e).
Nevers Frederic de Gonzague de la Maison de Mantoue, et l’un des principaux auteurs de la Saint-Barthélemy, le fils du Baron Desadrets, Bussi d’Amboise, qui tua son propre cousin Renel, Beme attaché à la Maison de Guise, voila quels étaient les premiers assassins.
Sept ou huit cents protestants s’étaient réfugiés dans les prisons ; les Capitaines destinés pour l’exécution se les faisaient amener sur une planche, près de la vallée de Misère, où ils les assommaient à coups de maillets. Un tireur d’or en tua pour sa part quatre cent de sa propre main ; ces fanatiques dénaturés, qui n’étaient pas même des hommes, et qui se disaient Catholiques, se regardaient comme autant de vengeurs du Ciel.
Qui eût demandé à cette troupe d’assassins pourquoi ils égorgeaient ainsi leurs propres frères, ils eussent répondu tranquillement qu’ils ne pouvaient faire de sacrifice plus agréable à Dieu.
Du moins c’est la Superstition qui usurpe un nom si respectable.
Uu Aubépin que le hasard fit fleurir le lendemain de cette affreuse journée dans le Cimetière des Innocents, fut regardé comme un prodige par cette populace, et ne servit qu’à à l’affermir dans l’assurance que le Ciel approuvait ces meurtres.
Les Pédants de l’école se mirent de la partie ; on en immola plusieurs aux mânes d’Aristote et d’Horace. Charpentier assassina Pierre La Ramée pour n’avoir pas voulu embrasser le Péripatéticisme. Lambin mourut d’une fièvre que lui avait causée la seule frayeur de la mort. Charpentier qui s’était déclaré le vengeur d’Horace, avait résolu de lui sacrifier ce Commentateur.
Charles IX eut la cruauté de tirer sur ses propres sujets ; le Louvre, ce Palais respectable n’était plus qu’une affreuse boucherie ; les uns se précipitaient dans la rivière, les autres se jetaient du haut de leurs maisons, et furent écrasés sur le pavé, d’autres enfin s’allèrent livrer eux-mêmes à leurs bourreaux ; ce massacre dura trois jours et trois nuits, la Seine en fut ensanglantée. Marsillac, Soubise, Renel, Pardaillan, Querchi furent les plus distingués d’entre les morts. Sans les remontrances de quelques sages citoyens, également zélés pour la gloire de leur Roi et pour le bien de l’état, la moitié de la France eut péri des mains de l’autre.
Ce tableau suffit pour montrer, que l’esprit de Fanatisme entraîne tôt ou tard la ruine d’une Nation : on ne saurait trop exposer ces sortes de peintures aux yeux des hommes ; les Catholiques auraient tort de désapprouver cette pièce : c’est un Ouvrage qui doit être dans les mains de tout le monde, et dont le but est d’exciter à l’humanité, le germe des vertus, et d’inspirer s’il se peut, de l’aversion pour le crime et pour la superstition (f).
Présentement, il faut entrer dans l’examen de cette tragédie, répondre à quelques critiques dont on a daigné l’honorer, et donner une idée des caractères.
Hamilton, Curé de Saint-Cosme, et qui dans la suite fut un des plus furieux Ligueurs, est un des acteurs qui joue le rôle le plus frappant de cette Pièce : il est aisé de s’apercevoir que ce curé n’est autre que le fameux Cardinal de Lorraine, Oncle du Duc de Guise le balaffré, qui sema les premières étincelles de cette incendie dont toute la France pensa être consumée ; cette explication justifie donc l’Auteur aux yeux de quelques personnes obstinées à ne point vouloir envisager dans Hamilton, un plus grand personnage, redoutable aux deux Partis, et dont l’ambition ne connaissait nulles bornes.
On a tâché de représenter Coligny sous les traits d’un honnête homme, persuadé que sa Religion était la meilleure : Teligni est dépeint comme un jeune homme fougueux et qui ne respire que la vengeance : Ces caractères semblent se soutenir jusqu’à la fin.
L’Antiquité ne nous opposera jamais un sujet plus tragique que celui-ci: l’Oedipe de Sophocle qui est plein de situations touchantes, excite moins la pitié, qu’un vieillard de quatre-vingt ans, qu’égorgent avec zèle ses compatriotes. Un Français (et il s’en trouve beaucoup) qui ne se piquera point de littérature, verra avec indifférence les tableaux d’Antigone d’Electre ; l’ignorance souvent aveugle le coeur comme l’esprit. Tout le monde n’est pas obligé de savoir que Créon avait défendu qu’on ensevelit le corps de Polynice, qu’Oreste en tuant sa mère Clytemnestre vengea le meurtre d’Agamemnon son père. Personne en France, je dirai dans l’Univers, n’ignore que Catherine de Médicis fit assassiner Coligny et plus de cinquante mille personnes dans la même nuit, par la main de leurs Concitoyens ; ce n’est point dans la Grèce, à Thébes ou à Argos, que s’est passée cette sanglante catastrophe ; c’est à Paris, dans le sein d’une Ville où les étrangers venaient déjà recevoir des leçons de justice et d’humanité, et il n’y a pas encore deux siècles.
Les Partisans des Aristote, des Aubignac, ces esclaves des règles qu’ils appellent la raison, et que quelques Auteurs hardis nomment faiblesse, se sont déjà récriés contre la témérité d’avoir fait tuer Coligny sur le Théâtre : ils opposent à ces innovations Corneille, Racine ; car voilà les mots de ralliement pour le Parti ; mais ne peut on s’ouvrir des routes nouvelles en respectant les anciennes ? Horace lui-même, la source des règles n’a-t-il pas dit:
Il vaut mieux tomber quelques fois en voulant s’élever tout seul, que de marcher à taton appuyé sur un autre.
Descartes assure que la lumière est une matière subtile, répandue dans tout l’Univers. Qui eût soutenu alors un sentiment opposé eût passé pour un philosophe schismatique. Newton est venu qui a renversé le système de Descartes ; il a triomphé à son tour, il a voulu que la lumière fût un amas d’une infinité de petits rayons émanés du Soleil dans l’espace de sept minutes et demi, et on l’a cru sur sa parole ; il viendra un troisième physicien qui détruira ces deux systèmes, et en créera un nouveau, et tout à fait contraire aux premiers ; la raison fait chaque jour des progrès, et la nature n’est peut-être encore que dans son enfance.
Ces exemples peuvent appuyer la hardiesse de l’quteur. Ne sera-t-il défendu qu’aux Poètes d’innover, tandis que les Philosophes tous les jours, retranchent, ajoutent ou inventent à leur gré ? Sophocle, Euripide, Shakespeare sont des modèles qu’on ne doit point rougir de suivre.
Les Grecs et les Anglais seraient-ils moins éclairés sur la tragédie que les Français.
Donnons un exemple de la scène ensanglantée : Euripide fait tuer à Médée ses enfants sur le théâtre, n’oserait-on plus faire revivre cette imitation ? Un grand génie n’aurait qu’à représenter sous des traits forts et expressifs l’infidélité de Jason, l’impuissance où Médée se trouve de ne pouvoir se venger autrement qu’en immolant ses propres enfants ; ses combats, ses larmes, ses cris même auprès de son époux pour le rappeler à elle ; ses nouveaux outrages, sa tendresse se prête à l’emporter sur sa vengeance, enfin sa vengeance, par un retour rapide maîtresse de sa pitié ; ses enfants égorgés dans le premier moment de la plus vive fureur, son trouble, son désespoir soudain ; tout le pouvoir de l’amour maternel, le dessein où elle est de se donner la mort du même poignard teint du sang de ses fils, la vue d’un amant infidèle, et qui vient au même instant d’épouser sa rivale ; sa nouvelle rage ; enfin son départ, après avoir laissé échapper au milieu de sa haine quelques transports d’amour pour l’ingrat Jason, et des marques de douleur sur la mort de ses enfants.
Qu’on entre bien dans le caractère d’une femme qui aime, qui a été aimée, et qui se voit enlever le coeur de son amant par une rivale; qu’on se pénètre de sa passion, qu’on devienne pour ainsi dire Médée même, alors on concevra que quelque barbare qu’elle soit, elle est encore plus à plaindre qu’à détester; on oubliera la maxime d’Horace
Il faut avouer aussi que les coeurs des femmes se révolteraient moins que les nôtres à la représentation d’un pareil spectacle, parce que leurs âmes sont plus propres que celles des hommes à ressentir les grandes passions, surtout lorsque l’amour en est la première cause ; on pourrait d’abord être étonné, le spectateur douterait un instant quelles impressions le remueraient, mais bientôt la terreur et la pitié se décideraient, et l’on s’intéresserait pour Medée, de même que tous les jours on s’intéresse pour Phèdre.
Il est encore de ces situations fortes qui expriment la douleur mieux que les plus beaux vers, et qui déplaisent à notre Nation : le même Euripide dans le second acte de son Hécube, représente cette Princesse couchée par terre, et abîmée dans sa tristesse ; les Anglais donnent à Zaïre une pareille situation. Orosmane s’écrie, "Zaïre vous vous roulez par terre", les Anglais sont touchés aux larmes, un Français rirait.
On peut mettre certaines expressions au même degré d’estime parmi nous autres. Elles offensent notre délicatesse ; Hécube en parlant de Polixène sa fille, l’appelle "la Ville, la Nourrice de son âme, le bâton, le guide de son chemin !"
Shakespeare fait dire à Hamlet : "À peine mon père est-il dans le tombeau, que mon indigne mère va entrer avec un autre époux, dans un lit tout fumant encore de sa chaleur".
Ce même Shakespeare a introduit des ombres sur la scène avec succès, tandis que l’Abbé Nadal n’a osé risquer sur notre théâtre l’apparition de Samuel, et peut-être ce faible versificateur a-t-il eu raison ; il sentait qu’il n’avait point assez de force et de pathétique dans la pensée et dans l’expression, pour soutenir une scène aussi merveilleuse, et qui eut demandé le pinceau d’un Corneille.
Chaque objet a ses diverses faces, il n’est qu’un pas du touchant au ridicule, du majestueux au fanfaron ; si ces sortes de scènes ne frappent point et ne produisent pas leur effet dans le moment, elles tombent au même instant, et le spectateur est assez peu clairvoyant, pour mettre sur le compte de la nature les sottises de l’auteur.
Saint-Michel qui foule aux pieds le Diable, ce tableau du fameux Raphaël, s’il était sorti d’une main novice, aurait excité le rire, au lieu qu’il inspire l’effroi et le respect.
Doit-on conclure de Mr. l’Abbé Nadal, qu’il ne faut pas exposer aux yeux, de pareilles scènes ? Non sans doute ; et il est étonnant que jusques ici, sur la foi de ces auteurs rampants, les François aient douté de leurs forces, et se soient jugés incapables de soutenir la vue de spectacles sublimes ; c’est à des génies de leur pays à leur montrer, qu’ils peuvent avoir le droit d’imaginer et de sentir aussi fortement que les Grecs et les Anglais.
L’Atrée de Mr. De Crebillon, selon quelques personnes de goût, est un Chef-d’oeuvre du théâtre ; cependant il n’a jamais réussi autant qu’il le mériterait, la délicatesse Française n’a pu se familiariser avec cette dernière scène, si bien exprimée, où Atrée présente à Thieste son frère, la coupe pleine du sang de Plisthène ; il est à souhaiter pour notre Nation, qu’elle adopte le haut tragique, comme elle a déjà embrassé les nouveaux systèmes des Newton et des Leibnitz.
On s’est étendu au long sur cette partie du théâtre, parce qu’il s’est trouvé des censeurs, qui ont condamné la scène où Coligny est tué aux yeux des spectateurs ; ils ne veulent point examiner que cette pièce n’est pas composée dans le goût Français, et qu’on s’est attaché à suivre les Anciens.
D’autres enfin se sont fâchés, que l’amour n’ait pas joué un rôle dans cette tragédie, ils auraient souhaité sans doute, que les personnages eussent épuisé une conversation de tendresse, tandis qu’ils sont environnés d’ennemis, et qu’à tout moment ils attendent la mort ; la terreur, la pitié ne sont-elles pas des passions aussi fortes que l’amour ?
La situation de Coligny qui embrasse ses assassins, les appelle ses enfants, les presse de lui arracher une vie qu’il eût voulu perdre pour eux dans les combats, qui leur découvre enfin son estomac tout couvert de blessures ; tous ces traits ne produisent ils point sur les coeurs les mêmes impressions, qu’une femme qui reproche à son amant ses infidélités, ou lui fait de nouvelles assurances de tendresse ? D’ailleurs ces ressorts, pour émouvoir l’âme du spectateur, sont si usés, que souvent loin de toucher, ils jettent dans les sens une langueur qui va jusqu’au dégoût et à l’ennui. Cette scène de Coligny, quoique sans amour, parut si intéressante, que dans sa nouveauté on la nommait la scène des femmes.
L’auteur de cette pièce a été obligé de tomber dans la faute, que La Mothe surtout a reprochée à Racine ; Hamilton se découvre à Bême, comme Mathan à Nabal dans Ahalie : Mais de quel autre moyen se servir pour instruire le spectateur ; le personnage sans cette confidence, ne laisserait point échapper tous ces traits, qui établissent son caractère ; des monologues deviennent ennuyeux et insupportables, pour peu qu’ils aient quelque étendue ; l’action ne peut pas toujours suppléer au Dialogue, il faut nécessairement se permettre ce défaut, à condition qu’on le rachète par des beautés qui le fassent oublier.
Le théâtre au reste s’écarte quelquefois des règles de la vraisemblance, toutes ces reconnaissances qui réussissent presque toujours, ne sont point naturelles ; ces pressentiments qu’un père éprouve à la vue d’un fils qu’il ne connaît pas, sont des préjugés que les hommes prennent en entrant au spectacle, et dont ils se dépouillent a la sortie ; n’importe, ces préjugés quelques grossiers qu’ils soient, sont pour leurs coeurs des sources de plaisirs, et ils ont raison de s’y livrer, puisqu’ils y trouvent leur compte.
Ce parallèle suffit, pour autoriser ces confidences qu’un personnage fait mal à propos à un autre ; si ces scènes sont conduites avec art, on ferme les yeux sur la machine, et l’on se contente de sentir les heureux effets qu’elle produit.
Il serait inutile de répondre à des critiques méprisables, qui sont plutôt des Libelles diffamatoires, que des ouvrages propres à éclairer un auteur sur ses fautes. Quiconque entre dans la carrière des Lettres, doit s’attendre à essuyer toutes fortes de calomnies, et regarder d’un oeil de Philosophe, ces insectes de la Littérature, qui ne piquent que faiblement, lorsqu’on sait les mépriser. Faut-il que la raison, le plus beau partage de l’homme, ne s’emploie souvent qu’à son déshonneur ? Les Gens de Lettres seront-ils toujours ennemis les uns des autres ? N’apprendrons nous jamais à encourager, à chérir dans autrui, des talents que nous cultivons ? Doit-on préférer le titre d’homme d’esprit à celui d’honnête homme, quand il est si facile de les accorder tous deux ?
Il s’est encore répandu dans le monde une grossière opinion, qui ne peut naître que d’un défaut de raison ou de probité : Depuis combien de temps renouvelle-t-on contre les auteurs, l’accusation d’impiété ? Un Lecteur malin prétend découvrir dans un ouvrage, le caractère et la façon de penser de celui qui l’a composé ; là-dessus il fixe son jugement, et condamne ou approuve les moeurs de cet homme, qui sans-doute aura cent caractères différents, si l’on veut lui prêter tous ceux des personnages qu’il aura imaginés.
Mr. de Crébillon dans sa préface d’Electre, se plaint qu’Atrée avait fait écrire, qu’il était inhumain et furieux, et il n’y a personne de plus doux dans la societé, de plus humain.
Racine était donc un homme sans Religion, parce qu’il a fait parler un prêtre apostat. Par conséquent l’auteur du Coligny sera damné sans miséricorde, comme un mauvais Catholique, pour avoir dépeint Hamilton sous des traits véritables. Les hommes ne rougiront-ils jamais d’être si injustes ? Mais ils ne s’aperçoivent pas eux-mêmes de leur méchanceté ; le moyen qu’ils s’en corrigent !
On n’entreprendra pas enfin de prouver, que cette tragédie est sûre de plaire, puisqu’elle est intéressante, on ne comptera point ici les suffrages ni les critiques qui se sont élevés à son sujet ; l’Auteur est bien persuadé, malgré les éloges qu’il a reçus, que ses censeurs sont plus sincères que ses panégyristes : Les louanges ne serviront qu’à l’encourager, et il prendra les critiques sur le pied de leçons utiles, qu’il aimera toujours à recevoir ; il n’a fait dans sa pièce que la peinture de la vérité : il s’est attaché à démontrer sous les yeux, que le Fanatisime est également éloigné de la Religion et de la Nature ; s’il n’a pas rempli son sujet, qu’on se souvienne de ce vers de la traduction de Mr. Pope par Mr. l’Abbé à du Rênel?
et bientôt il trouvera de l’indulgence, dans les Lecteurs qui lui refuseront leurs suffrages.
(b) Les troubles des Cévennes doivent être mis à côté de la Saint-Barthélemy pour les horribles excès où se livrèrent ces Camisards, qu’on peut nommer avec raison des enragés. Des Prêtres respectables par leur vieillesse et encore plus par leurs moeurs, furent les principaux objets de la fureur de cette canaille, qui ressemblait assez aux Vaudois ou aux Albigeois.
(c) Coligny allant au Louvre pour voir le Roi, fut blessé d’un coup d’arquebuse en passant par un des appartements etc.
(d) La haine pour le nom de Coligny s’est étendue si loin, que des Religieuses d’une Ville de Languedoc ayant trouvé depuis peu un tombeau où était enseveli Dandelot, frère de Coligny, l’en tirèrent elles-mêmes avec une sainte fureur, lui donnèrent force coups de couteaux à la sollicitation d’un Directeur, et le jetèrent ensuite dans un grand feu qu’elles avaient allumé exprès pour consommer un si pieux sacrifice. Ce fait prouve de quoi est capable l’imbécillité et l’ivresse du fanatisme.
(e) "Elle ne marchait, dit Monstrelet, qu’accompagnée des plus belles femmes de la Cour, qui tenaient en caisse un long cortège de courtisans, et fallait-il que le bel marchât toujours." Ce sont les propres paroles de cet auteur.
(f) On ne doit pas omettre l’histoire d’un saint Prélat, nommé Jean Hennuier, qui du rang de Confesseur de Henri II avait passé à l’Evéché de Lisieux. Lorsque le Lieutenant du Roi de cette Province lui annonça les ordres de la Cour, ce sage évêque répondit qu’il s’opposerait toujours à l’exécution d’un pareil arrêt, qu’il était le Pasteur de son Peuple, et non son bourreau ; que ces Hérétiques, tout égarés qu’ils étaient, avaient sur son coeur les mêmes droits que les Catholiques; il ajouta qu’il ne permettrait jamais qu’on employât de semblables moyens de convertir les hommes, et qu’il avait reçu la vie de son Dieu, pour la consacrer au bien spirituel et même temporel de son troupeau.
Il obtint donc que les Protestants de son Diocèse ne fussent point enveloppés dans ce massacre général. Il arriva que tous les Huguenots qui devaient la vie à leur Pasteur furent touchés de sa générosité, et embrassèrent la Religion Catholique, persuadés que c’était une Religion de douceur et de charité, puisqu’elle permettait à Hennuier de pareils sentiments, et que l’abus seul et la politique la défiguraient, et la rendaient si haïssable.
ACTEURS §
- COLIGNY, Amiral de France.
- HAMILTON, Curé de St. Cosme.
- TELIGNI, Gendre de Coligny.
- MARSILLAC.
- LAVARDIN.
- PARDAILLAN.
- RENEL.
- QUERCHI.
- BÊME, attaché à la maison de guise, et Confident d’Hamilton.
- TAVANNE.
- BUSSI.
- NEVERS.
- GONDI.
- DESADRETS.
- PREMIÈRE TROUPE DE CONJURÉS.
- SECONDE TROUPE DE CONJURÉS.
- PROTESTANTS.
- GARDES.
ACTE I §
SCÈNE I. §
HAMILTON.
SCÈNE II. Hamilton, Bême. §
HAMILTON.
BÊME.
HAMILTON.
BÊME.
HAMILTON.
BÊME.
HAMILTON.
4BÊME.
HAMILTON.
BÊME.
HAMILTON.
SCÈNE III. Hamilton, Beme, Nevers, Gondi, Bussi, Tavanne, Des Adrets, Les Conjurés. §
HAMILTON.
NEVERS.
HAMILTON.
BUSSI aux Conjurés.
DESADRETS.
TAVANNE, tout troublé.
HAMILTON.
TAVANNE.
HAMILTON, distribuant les poignards.
BUSSI.
NEVERS, se met à genoux en posant une de ses mains sur l’autel, et de l’autre tenant son poignard.
GONDI, mettant aussi sa main sur l’autel.
BUSSI.
DESADRETS.
GONDI.
TAVANNE.
NEVERS.
TAVANNE.
HAMILTON.
SCÈNE IV. Hamilton, Bême. §
HAMILTON, un crucifix d’une main, et un poignard de l’autre.
ACTE II §
SCÈNE I. Marcillac, Lavardin. §
MARSILLAC.
LAVARDIN.
MARSILLAC.
LAVARDIN.
MARSILLAC.
LAVARDIN.
MARSILLAC.
LAVARDIN.
MARSILLAC.
SCÈNE II. Coligny, Marsillac, Lavardin. §
COLIGNY dans l’enfoncement du Théatre, et sans voir Marsillac et Lavardin.
MARSILLAC, sans voir COLIGNY.
COLIGNY.
MARSILLAC, sans voir Coligny.
COLIGNY.
MARSILLAC.
COLIGNY.
MARSILLAC.
COLIGNY.
LAVARDIN.
COLIGNY.
MARSILLAC.
COLIGNY.
MARSILLAC.
COLIGNY.
MARSILLAC l’arrêtant.
COLIGNY.
LAVARDIN.
COLIGNY.
MARSILLAC, voulant arrêter Coligny, qui est sur le point de sortir.
SCÈNE III. Coligny, Teligni, Marsillac, Lavardin, Renel, Pardaillan, Querchi, suite de protestants, et tous les armes à la main. §
TELIGNI, l’Epée à la main, et s’opposant au passage de COLIGNY.
MARSILLAC à LAVARDIN.
TELIGNI, montrant son épée.
COLIGNY.
TELIGNI.
COLIGNY.
TELIGNI.
COLIGNY.
TELIGNI, l’arrêtant.
COLIGNY, le regardant d’un oeil assuré et se retirant.
MARSILLAC, voulant l’arrêter.
COLIGNY d’un ton assuré.
SCÈNE IV. Teligni, Marsillac, Lavardin, Renel, Pardaillan, Querchi, Suite de Protestants les Armes à la main. §
TELIGNI.
PARDAILLAN.
MARSILLAC.
TELIGNI.
RENEL.
TELIGNI.
MARSILLAC.
TELIGNI.
QUERCHI.
TELIGNI.
ACTE III §
SCÈNE I. Coligny, Gardes. §
COLIGNY.
UN GARDE.
COLIGNY.
UN GARDE, à ses Compagnons.
COLIGNY.
SCÈNE II. COLIGNY, Troupe de Conjurés armés de poignards. §
PREMIER CONJURÉ.
SECOND CONJURÉ.
TROISIÈME CONJURÉ.
QUATRIIÈME CONJURÉ.
17COLIGNY.
QUATRIÈME CONJURÉ.
COLIGNY, prenant son épée, et la jetant à leurs pieds
PREMIER CONJURÉ.
COLIGNY.
SECOND CONJURÉ.
TROISIÈME CONJURÉ.
COLIGNY.
PREMIER CONJURÉ.
COLIGNY.
PREMIER CONJURÉ.
SECOND CONJURÉ, en tombant à ses pieds.
TROISIÈME CONJURÉ.
COLIGNY, les embrassant.
PREMIER CONJURÉ.
COLIGNY.
SECOND CONJURÉ.
TROISIÈME CONJURÉ.
QUATRIÈME CONJURÉ.
SCÈNE III. Coligny, Hamilton, Tavanne, Bussi, Bême, Nevers, Gondi, Desadrets, Première Troupe de Conjurés, Seconde Troupe de Conjurés armés aussi de Poignards, et tenant tous des flambeaux à la main. §
HAMILTON, Un crucifix d’une main, et un Poignard de l’autre, et arrêtant le quatrième Conjurés.
PREMIER CONJURÉ.
SECOND CONJURÉ.
HAMILTON.
TROISIÈME CONJURÉ.
TAVANNE.
BUSSI.
HAMILTON, aux seconds Conjurés qui s’emparent des premiers.
18COLIGNY, se levant, à Hamilton.
HAMILTON.
PREMIER CONJURÉ, à Coligny.
COLIGNY, aux premiers Conjurés.
HAMILTON, sans regarder Coligny aux Conjurés qui emmènent les premiers.
COLIGNY, reprenant sa place, et s’adressant aux premiers Conjurés.
PREMIER CONJURÉ, en se retirant.
SCÈNE IV. Coligny, Hamilton, Tavanne, Bussi, Bême, Nevers, Gondi, Desadrets, Suite des seconds Conjurés. §
HAMILTON.
COLIGNY.
HAMILTON.
COLIGNY.
HAMILTON, comme Coligny se lève pour l’embrasser, recule, paraît étonné et baise le crucifix.
TAVANNE.
HAMILTON, à Bussi.
COLIGNY.
HAMILTON, à Bussi.
BUSSI.
HAMILTON.
TAVANNE.
HAMILTON, à Bême qui s’approche en tremblant pour poignarder Coligny qui lui montre son estomac.
BÊME.
COLIGNY, prêt d’être tué par Bême.
HAMILTON.
COLIGNY.
SCÈNE V. Coligny, Hamilton, Bême. §
HAMILTON, aux Conjurés qui fuyent.
BÊME, à Hamilton après avoir donné un coup à Coligny.
SCÈNE VI. Hamilton, Coligny. §
HAMILTON.
SCÈNE VII. Coligny, Teligni, Pardaillan, suite de Protestants les armes à la main. §
TELIGNI, blessé porté par des soldats, et dans l’enfoncement du Théatre, et s’appuyant sur Pardaillan.
PARDAILLAN.
TELIGNI.
COLIGNY, paraît sortir d’un profond assoupissement.
TELIGNI.
COLIGNY.
TELIGNI.
COLIGNY, reconnoissant son gendre.
TELIGNI.
COLIGNY, apercevant la blessure de Teligni.
TELIGNI.
COLIGNY.
TELIGNI, à Pardaillan.
UN PROTESTANT.
PARDAILLAN.