SCÈNE I. Marc-Antoine, Lucile, Dircet, et autres gardes d’Antoine. §
ANTOINE.
Trouves-tu ma misère à quelque autre commune ?
Ne puis-je pas sans peur défier la fortune ?
Peut-elle être plus rude, et peut-elle inventer
De nouvelles façons de me persécuter ?
5 Encore un coup, Lucile, en l’état déplorable
Où m’a réduit le ciel, suis-je reconnaissable ?
Un mortel pourrait-il, sans se trouver confus,
Voyant ce que je suis croire ce que je fus ?
Dirait-on qu’on m’a vu plus craint que le tonnerre ?
10 Qu’on a vu dans ces mains la moitié de la terre ?
Et cet ingrat César qui me tient assiégé,
Dirait-il que ce bras autrefois l’a vengé ?
Qu’il a vengé son oncle, et que Brute, et Cassie
Ont pour s’en échapper leur trame raccourcie,
15 Que ces coeurs généreux dans un commun malheur,
Pour éviter mon bras ont eu recours au leur ?
Hélas leur désespoir vaut mieux que mon attente !
LUCILE.
Ce sont traits de fortune.
ANTOINE.
Ce sont traits de fortune. Ha qu’elle est inconstante !
Vois comme elle a changé, tout vivait sous ma loi,
20 Je pensais que le ciel fut au dessous de moi,
Mais les dieux aux plus grands font voir qu’ils ont des maîtres,
J’avais lors des amis, je n’ai plus que des traîtres,
Ils étaient assidus à me faire la cour,
je n’étais jamais seul, ni la nuit, ni le jour,
25 Maintenant on me quitte, et de tout ce grand nombre
Pas un seul ne me reste, à peine ai-je mon ombre,
Cependant ta pitié console mon destin,
Ton fidèle secours me suit jusqu’à la fin,
Ton amitié subsiste, et c’est ce qui m’étonne,
30 Tu hais qui me trahit, tu fuis qui m’abandonne,
Tu ne t’éloignes point de mon sort rigoureux,
Sans toi je me dirais tout à fait malheureux.
LUCILE.
Je serais bien ingrat.
ANTOINE.
Je serais bien ingrat. Moins que cette inhumaine
Qui trahit ma fortune, et qui cause ma peine,
35 Cruel ressouvenir de mes vieilles douleurs !
Cléopâtre, Lucile, a fait tous mes malheurs,
Ses yeux sont les auteurs des maux dont je soupire,
Ils m’ont fait leur esclave, et m’ont coûté l’Empire,
Depuis que leur éclat a changé mon bonheur,
40 Pour avoir trop d’amour, je n’ai plus eu d’honneur,
J’ai méprisé la gloire, et j’ai pris l’habitude
D’aimer la liberté moins que la servitude,
Et depuis qu’avec moi Cléopâtre a vécu,
Je n’ai fait des combats que pour être vaincu :
45 Tu sais comme autrefois peu jaloux de ma gloire
Pour suivre ses vaisseaux je quittai la victoire,
En ce combat naval où je fus surmonté,
Où César ne vainquit que par ma lâcheté,
Je la vis qui fuyait, mon âme en fut atteinte,
50 Et je fis par amour ce qu’elle fit par crainte,
Sur le front de mes gens on vit la honte agir,
L’amour qui m’aveuglait m’empêcha d’en rougir,
Après ce déshonneur pas un ne voulut vivre,
Le plus lâche aima mieux mourir que de me suivre,
55 Et la mer sous nos pieds rougit de toutes parts
De la honte du chef, et du sang des soldats.
LUCILE.
Si depuis qu’à ses yeux votre âme est asservie
Tous vos faits ont terni l’honneur de votre vie,
Si votre sort changea quand son oeil vous surprit,
60 Accusez son visage, et non pas son esprit,
Quand le subtil appas d’une beauté nous blesse
Nous ne sommes vaincus que par notre faiblesse :
Chassez de votre esprit ces injustes soupçons,
Le sort vous persécuté en assez de façons ;
65 La reine vous trahit ?
ANTOINE.
La reine vous trahit ? Oui me trahit, Lucile,
De tous mes ennemis elle est la plus subtile,
Bien que ceux qui m’aimaient se retirent de moi,
Bien que je trouve en eux des manquements de foi,
Et qu’ils me fassent voir leur esprit infidèle,
70 Je n’en murmure point, je ne me plains que d’elle,
Tous mes autres malheurs m’ont en vain combattu,
J’ai dans mon infortune exercé la vertu ;
Mais me voir lâchement trahi de Cléopâtre,
C’était là le seul coup qui me pouvait abattre.
LUCILE.
75 Trahi d’elle ? Et comment ?
ANTOINE.
Trahi d’elle ? Et comment ? Par des voeux complaisants,
S’entendre avec César, lui faire des présents,
Lui prêter contre moi le secours de mes armes,
Employer pour lui plaire, et ma vie, et ses charmes,
N’est-ce pas me trahir ? N’est-ce pas justement
80 Provoquer la fureur d’un misérable amant ?
Que César m’ait vaincu sur la terre, et sur l’onde,
Qu’il dispose tout seul de l’Empire du monde,
Qu’il m’ait fait mille affronts, et qu’il ait oublié
L’honneur que je lui fais d’être son allié,
85 Que je souffre l’effet de sa haine ancienne,
Qu’il ait accru sa gloire aux dépens de la mienne,
Ce n’est point pour cela que je lui veux du mal,
J’aime mon ennemi, mais je hais mon rival ;
Et c’est ce qu’aujourd’hui mon bras lui veut apprendre
90 En ce dernier combat qu’il nous faut entreprendre :
Assez proche du port mes vaisseaux se sont mis,
Et sont prêts de se joindre aux vaisseaux ennemis,
Le reste de mes gens échappé de l’orage
Doit combattre sur terre, et borde le rivage,
95 J’espère que sur l’un de ces deux éléments
Mes armes trouveront d’heureux événements,
Il faut que je succombe, ou que César recule.
LUCILE.
Ce beau dessein vous rend digne du sang d’Hercule.
ANTOINE.
Enfin je veux, Lucile, en ce dernier effort
100 Ou gagner, ou me perdre, être vainqueur, ou mort,
Si le sort me poursuit je pourrai me réduire
Au point où sa rigueur ne me saura plus nuire.
LUCILE.
Je vous suivrai partout, les hommes généreux
Savent bien n’être plus quand ils sont malheureux.
DIRCET.
105 En ce noble dessein où l’honneur vous engage,
Nous ferons voir aussi des effets de courage,
Et quoi que tout vous quitte en ce malheur commun,
Cent se perdront encor pour en conserver un.
Mais j’aperçois la reine.
ANTOINE.
Mais j’aperçois la reine. À l’aspect de ses charmes
110 Quel juste désespoir ne mettrait bas les armes ?
Quand je vois sa beauté qui trouble ma raison,
Je ne puis soupçonner son coeur de trahison,
Je ne saurais penser qu’il me soit infidèle,
Et je crois qu’elle m’aime, à cause qu’elle est belle.
SCÈNE II. Cléopâtre, Antoine, Lucile, Eras, Charmion, Dircet, et autres gardes. §
CLÉOPÂTRE à Antoine.
115 Avez-vous résolu de sortir aujourd’hui
Pour combler tous mes sens de frayeur, et d’ennui ?
1
Seigneur, considérez les dangers de Bellonne,
Songez que sa fureur ne respecte personne,
Que sa rage est aveugle au milieu du combat,
120 Et qu’elle traite un roi comme un simple soldat,
Ne servez point d’objet à sa brutale envie,
Demeurez en repos, conservez votre vie,
Et qu’un autre que vous, prodigue de son sang,
Dans les occasions occupe votre rang,
125 Qu’il combatte sans vous, s’il gagne la victoire
Il en aura la peine, et vous aurez la gloire.
ANTOINE.
La guerre est l’exercice où mes bras sont vieillis,
Et je hais les lauriers que je n’ai pas cueillis,
Il faut vaincre aujourd’hui l’ennemi qui s’obstine,
130 Et renverser l’espoir bâti sur ma ruine,
Le démon de César a triomphé du mien,
Et mon superbe Empire est maintenant le sien,
Avec le secours des puissances célestes
Nous en conserverons les misérables restes :
135 Ou si le ciel, ma reine, est contraire à mes voeux,
Vous gagnerez beaucoup perdant un malheureux,
Et le coup de ma mort vous rendra soulagée
De l’inutile faix dont vous êtes chargée :
Je ne me trouve plus digne de vous servir,
140 Je n’ai plus rien en moi qui vous puisse ravir,
Nu, délaissé, trahi, n’ayant plus rien d’illustre,
Et mon peu de mérite ayant perdu son lustre,
Autrefois j’étais prince, et ma condition
Mêlait dans mes défauts quelque perfection,
145 Maintenant que je suis sans support, et sans aide,
Privé de mes grandeurs, aimez qui les possède,
Que vos yeux sur César fassent un doux effort,
Et qu’il soit bienheureux, pourvu que je sois mort,
Que mon bien soit pour lui, faites qu’il en hérite,
150 S’il n’a pas tant d’amour il a plus de mérite,
Son bonheur, et le mien naîtra de mon trépas,
Il vous possédera, je ne le verrai pas.
CLÉOPÂTRE.
Es-tu las de ma vie, et quand je serai morte
Verras-tu mieux, cruel, l’amour que je te porte ?
155 Contre nos ennemis irai-je me jeter ?
Suivrai-je le dessein que je te veux ôter ?
Tu verras si je t’aime, et si je te respecte,
Oui je veux cesser d’être, ou de t’être suspecte.
ANTOINE.
Vivez, et que le ciel change vos maux en biens,
160 Que vos jours soient heureux, et plus longs que les miens.
CLÉOPÂTRE.
Votre soupçon injuste est contraire à l’envie
Que vous semblez avoir de prolonger ma vie,
Et c’est là m’imposer une trop rude loi
De vouloir que je vive, et douter de ma foi.
165 Quoi donc vous présumez qu’une ardeur déloyale
S’allume comme ailleurs dans une âme royale ?
Quoi les maux que je souffre, et ceux que j’ai soufferts,
L’honneur que j’ai perdu, le sceptre que je perds
Ne vous assurent pas que je suis demeurée
170 Dans la fidélité que je vous ai jurée ?
ANTOINE.
Ha ce discours me donne un remords éternel !
Ici l’accusateur est le plus criminel,
Je souffre justement ce reproche homicide,
Et vous faites ingrat qui vous faisait perfide,
175 La justice a formé votre accusation,
Et la mienne mérite une punition :
Vous n’avez jamais mis d’obstacle à ma victoire,
Et notre amour n’est point le tombeau de ma gloire,
J’ai perdu mon empire, hé bien c’est un malheur
180 Qu’il faut attribuer à mon peu de valeur,
Il en faut accuser les subtiles amorces
Qu’a pratiqué César à corrompre mes forces,
J’avais beaucoup d’amis qui marchaient sur mes pas,
Depuis j’ai reconnu que ce n’en était pas,
185 Et dans la lâcheté de leur fuite commune
Qu’ils étaient seulement amis de ma fortune ;
Mais croire que mon coeur m’ait mis à l’abandon,
C’est commettre une offense indigne de pardon,
Et je suis criminel d’avoir osé me plaindre
190 D’un mal que notre amour dût m’empêcher de craindre,
Et puis quand mon malheur viendrait de vos appas,
Je serais malheureux, si je ne l’étais pas.
LUCILE.
Nous tardons bien longtemps.
ANTOINE continue.
Nous tardons bien longtemps. Mais votre foi m’assure,
Mon soupçon vous offense, et lui fait une injure,
195 Et quand je souffrirais un tourment infini,
Ma peine serait douce, et mon crime impuni.
LUCILE tout bas.
Qu’une femme aisément le séduit, et l’abuse !
Absente, elle est coupable, et présente, il s’accuse.
CLÉOPÂTRE.
Puisqu’un juste remords vous réduit à ce point,
200 Pour votre châtiment ne m’abandonnez point,
Ne voyez le combat que des tours de la ville,
Et laissez au fourreau votre fer inutile,
Que sans vous notre armée achève son dessein,
Et soyez en le chef sans en être la main.
ANTOINE.
205 S’il est vrai qu’un grand coeur quand sa faute est punie
Souffre moins dans le mal que dans l’ignominie,
Si pour la seule honte un supplice est affreux,
Le mien ne pouvait pas être plus rigoureux :
César sera vainqueur sans que ce bras l’affronte ?
210 Il rougira de sang, je rougirai de honte ?
C’est ici le dernier de nos sanglants combats,
Et je serai vivant, et je n’y mourrai pas ?
Le ciel verra ma main rebelle à mon courage,
Et sans me secourir je verrai mon naufrage ?
215 Faut-il qu’abandonnant la générosité,
Ma dernière action soit une lâcheté ?
Mon coeur n’affecte plus cette grandeur suprême,
Ma honte c’est ma gloire, et pour tout dire, j’aime.
LUCILE, tout bas.
Qu’amour en peu de temps rend un coeur abattu,
220 Et que ce puissant vice affaiblit la vertu !
ANTOINE, à Lucile.
Tu vois que mes projets sont réduits en fumée,
Lucile, prends le soin de conduire l’armée,
Puisque cette beauté qui me tient sous sa loi
Veut encore épargner ce qui n’est plus à moi :
225 Cependant que mes yeux admireront ses charmes,
Fais ce que je dois faire, anime nos gendarmes,
Et si mon exercice en ce temps leur déplaît,
Qu’ils soient victorieux pour leur propre intérêt,
Antoine absolument possède Cléopâtre,
230 N’ayant plus à gagner, il n’a plus à combattre.
LUCILE.
Est-ce là le moyen de disputer sa mort ?
Sans vous pourrons-nous faire un généreux effort ?
Comment soutiendrons-nous le coup de la tempête ?
Que pourra faire un corps qui n’aura point de tête ?
235 Vous me pardonnerez, si mon coeur librement
Dans nos pressants malheurs vous dit son sentiment,
Quoi voulez-vous encore aux yeux de tout le monde
Être oisif sur la terre, et fugitif sur l’onde ?
Continuez l’honneur de vos premiers exploits,
240 Votre seul nom jadis fit trembler tant de rois,
Vous avez attaqué celui qui vous affronte,
Et vous avez vaincu celui qui vous surmonte ;
Suivez vos grands desseins, tâchez de résister,
Dans votre malheur même on vous peut redouter :
245 Si madame est l’objet dont votre âme est ravie,
Vous devez conserver son sceptre, et votre vie,
Vous voyez que César l’assiège avec ardeur,
Faut-il que sa beauté ruine sa grandeur ?
Et lui pouvez-vous dire en votre amour extrême,
250 Je ne vous défends point, parce que je vous aime ?
Que ce coeur où la gloire établit son séjour
Fasse d’une mollesse un généreux amour :
Une mort au combat peut borner votre peine
Belle pour un amant, digne d’un capitaine,
255 Nous mourrons à vos pieds devant que le destin
Fasse de votre vie un glorieux butin,
Et pour moi je mourrai plus content que tout autre,
Si mon sang à l’honneur de se mêler au vôtre.
ANTOINE.
Un discours prononcé si généreusement
260 Ne peut-il révoquer votre commandement ?
Ma reine, permettez sans ternir ma louange,
Que ce bras vous défende, et que ce bras me venge.
CLÉOPÂTRE.
Malgré moi j’y consens, à la charge, Seigneur,
Que vous refroidirez cette bouillante ardeur ;
265 Ne vous engagez point dans le péril des armes,
Épargnez votre sang pour épargner mes larmes.
ANTOINE la baisant.
Ce baiser secondé d’un seul de vos regards
Me peut faire aujourd’hui vaincre mille Césars.
SCÈNE III. Cléopâtre, Eras, Charmion. §
CLÉOPÂTRE.
Doux appui de mes jours, fidèles confidentes,
270 À qui mes passions sont toutes évidentes,
Et de qui l’amitié partage mes ennuis,
Hélas que dois-je faire en l’état où je suis !
Ma couronne chancelle, et César ne respire
Que de voir mes états unis à son empire,
2
275 Le Tibre est sur le point de commander au Nil,
Si mon fidèle amant n’empêche ce péril,
Mais c’est là le surcroît de ma peine soufferte,
Je crains plus son danger que je ne crains ma perte,
Et je me vois réduite à cet étrange point
280 Que je veux résister ne me défendant point ;
Et cependant il croit que je lui suis traîtresse,
Et que son ennemi lui ravit sa maîtresse,
Son esprit défiant se peut l’imaginer.
ERAS.
Madame, il a raison de vous en soupçonner.
CLÉOPÂTRE.
285 Que dites-vous ?
ERAS.
Que dites-vous ? Il sait que sa maîtresse l’aime,
Mais croit-il votre coeur ennemi de soi-même ?
Que sans le soulager vous puissiez vous trahir,
Et que pour trop l’aimer, vous deviez vous haïr ?
Dans ce juste soupçon quelque mal qu’il ressente,
290 Il blâme sa fortune, il vous juge innocente,
Et ce grand coeur reçoit votre infidélité
Comme une dure loi de la nécessité.
À suivre notre bien nature nous oblige,
Croira-t-il qu’en vous seule elle ait fait un prodige ?
295 Ce mal tiendra toujours son esprit occupé,
Et toujours il croira que vous l’aurez trompé :
Donc puisqu’injustement il croit votre esprit traître,
Puisqu’il vous croit perfide, à cause qu’il faut l’être,
Et qu’il est naturel de trahir en ce point,
300 Trahissez le, Madame, et ne le trompez point.
CLÉOPÂTRE.
Je n’attendais de vous qu’une amitié fidèle
Qui me fit supporter ma fortune cruelle,
Mais je vois que mon mal n’en devient pas plus doux,
Et que mes ennemis m’aiment autant que vous,
305 Je tire également le sujet de mes larmes
De vous par vos conseils, de César par ses armes :
Je quitterais Antoine, et ce perfide coeur
Trahirait le mérite à cause du malheur ?
Mon amour périrait comme une amour commune
310 Au naufrage fatal de sa bonne fortune ?
Et la postérité dirait à nos neveux,
Antoine fut aimé tandis qu’il fut heureux ?
Ha que plutôt les dieux avec le foudre même
Arrachent de mon front le royal diadème,
315 Et qu’ils donnent plutôt cent maîtres inhumains
Au sceptre malheureux qui tombe de mes mains !
Que César triomphant brûle, saccage, pille,
Qu’il soit victorieux jusques sur ma famille,
Qu’il prenne, qu’il usurpe, et qu’il ravisse aux miens
320 La puissance, et l’espoir de rentrer dans leurs biens.
CHARMION.
Que votre majesté pense au doux nom de mère,
Songez à vos enfants.
CLÉOPÂTRE.
Songez à vos enfants. Oublierai-je leur père ?
CHARMION.
Mais si le pauvre Antoine est sensible à son mal,
Doit-il pas souhaiter d’avoir un tel rival ?
325 Ce qu’il ne saurait faire avec toutes ses armes
Votre beauté le peut du moindre de ses charmes,
Punissez donc celui dont il est outragé,
Qu’il soit un peu jaloux, mais tout à fait vengé,
Que César soit vaincu, que vos pays soient calmes,
330 D’une oeillade amoureuse arrachez lui ses palmes,
Et que vos chers enfants, ce trésor précieux,
Puissent devoir la vie, et le sceptre à vos yeux.
CLÉOPÂTRE.
En vain tous vos discours assaillent ma constance,
Ils ne pourront jamais forcer ma résistance ;
335 Vains, et faibles attraits, qui n’avez rien de doux,
Faites des malheureux plutôt que des jaloux.