LE SIÈGE DE PARIS
et les vers de La Henriade de Voltaire
Distribués en une Tragédie en Cinq Actes
Terminée par le Couronnement de Henri IV.

M DCC L XXX

Par l’Auteur d’Eulalie ou des Préférences Amoureuses, Drame en cinq Actes et en prose.

À LA HAYE, et se trouve à Paris, ainsi qu’Eulalie, chez la Veuve Duchesne, Libraire, rue Saint Jacques, au Temple du Goût, chez Couturier, fils, libraire, quai des Augustins.
LETTRE DE L’AUTEUR

Aux Beaux-Esprits dont il est parlé dans la Justification de son Eulalie. §

Mes Braves et Fidèles Amis,

Après les mortifications que la naissance d’Eulalie m’a causées, vous n’avez pas cru sans doute que je deviendrais encore père, vous qui aviez conçu une idée adéquate sur l’impuissance que vous m’avez supposée.

Quoi qu’il en soit, j’ai lu le poème de la Henriade : le coeur encore tout palpitant des émotions produites par les effets d’une description énergique des bontés de Henri et des cruautés des faux dévots, j’allais le travestir en un Drame; mais je me rappelai que vous n’aimiez pas ce genre d’ouvrage, et aussitôt je me disposai à distribuer le tout en une Tragédie.

Cette distribution faite, je vous la montrai : vous me fîtes l’honneur de m’envoyer une réponse par écrit ; on n’y trouve, point une demi-douzaine de raisons aussi crues que celles contre Eulalie. Voici comme est conçue cette belle réponse :

« La pièce du Siège de Paris, rehaussée des vers de la Henriade de Voltaire , est un genre nouveau , qui n’aurait pas de succès au Théâtre, et serait plus agréable à la lecture qu’à la représentation, qui n’a de charmes que par sa nouveauté. On invite l’Auteur à s’occuper d’un ouvrage qui soit tout à lui ».

Rehaussée, des vers de la Henriade ; ce n’est pas là seulement une raison , c’est ce qui s’appelle une véritable pointe : heureusement que mon titre me garantit contre toute méchanceté ; puisqu’en effet, j’y annonce que je suis seulement l’Auteur de la distribution d’une partie du poème en une tragédie , c’est une preuve que je ne prétends point m’en attribuer la versification ; au contraire, on croirait d’après ce titre que tous les vers de ma pièce sont de Voltaite, et cependant il n’y en a pas mal de moi.

Ce ne sont pas les meilleurs, me dita-t-on : ce ne sont pas les plus mauvais, répondrai-je.

Au surplus, afin que personne n’en prétende cause d’ignorance, je ne réclame ici que la distribution; je ne réclame même rien , si l’on veut, et mon désintéressement est si grand à cet égard, que je consens paraître pour aussi impuissant que vous, mes braves amis, touchant la progéniture soit en mâles, soit en femelles ; certainement on ne peut pas être plus modeste.

Néanmoins plusieurs de vous m’ont encore parlé en ces termes :

« Votre Siège de Paris doit passer pour une sorte d’enfant de trente-six pères, puisque de votre aveu vous n’êtes pas l’Auteur de la plus grande partie des vers ; il y a de l’indiscrétion à présenter au Public, pour être de soi, un enfant dont vous avez fait tout au plus les oreilles, encore sont-elles aussi longues que les nôtres ; en tout événement, c’est avouer formellement être de la haute confrérie ; car où il y a deux pères, il en est un nécessairement qui tient du Vulcain ».

Je ne sais pas, moi, réfuter de pareilles conséquences; au moyen de quoi, reprenons notre discussion.

« Est un genre nouveau qui n’aurait pas de succès au Théâtre, et serait plus agréable à la lecture qu’à la représentation, qui n’a de charme que par sa nouveauté. »

Jamais peut-être on n’a vu une contradiction mieux frappées « genre nouveau qui n’aurait pas de succès » ; « la représentation n’a de charmes que par sa nouveauté » ; de manière que vous m’avez fait un crime de donner du nouveau et de ne point en donner.

Si ma pièce annonce du nouveau tant-mieux. Il y a tant de répétitions et tant de choses battues et rebattues, que c’est une vraie charité de donner de la nouveauté. Quand on s’est avisé de faire des Comédies et des Tragédies en prose, quand, malgré vous, Messieurs les Beaux-Esprits, on s’est avisé de même de donner des Drames , c’était aussi un genre nouveau , cependant il n’en a pas moins de succès. Quel est le fat qui osera soutenir, que celui des distributions n’en aura point ?

Il serait à souhaiter qu’on distribuât ainsi différents chef d’oeuvres dont notre scène est privée. Il vaudrait mieux se contenter du titre de distributeur , que de se donner l’air de composer une seconde fois ce qui l’est déjà bien ; et pour faire le Siège de Paris, pourrait-on donner aux héros un langage plus énergique et plus éloquent que celui de la Henriade ? On prétend qu’un enfant du même nom s’est déjà cassé le nez sur le théâtre ; il faut croire que cet enfant-là ne savait pas parler ; il eut mieux valu qu’il s’énonçât par la langue d’un de ses Maîtres, et sans doute il n’aurait pas tombé.

Quant à la lecture , l’expérience nous fait connaître que ce qui est agréable, l’est bien certainement à la déclamation et à la représentation ; qu’au contraire ce qui est très agréable à celle-ci, se trouve souvent très dur à la lecture ; tel est le Siège de Calais...

J’ai trouvé que la Henriade était un chef-d’oeuvre dont l’expression et la représentation ne pouvaient manquer de réussir si l’on était assez heureux que d’en lier tellement les scènes, qu’il n’y eût rien de trop contraire à l’ordre dramatique ; c’était le seul endroit par où vous pouviez m’attaquer : vous n’avez rien dit sur cet article, c’est ce qui prouve que vous avez rendu justice à la régularité de mes scènes.

Pour se donner pleine conviction sur le succès que j’espérais, il fallait considérer l’impression que pouvait faire sur une Nation sensible, la peinture active et vivante, en quelque sorte, de ses malheurs, de ses écarts, et cependant de l’amour naturel du Français pour son Roi, si bien exprimé dans ces quatre vers :

« Nous sommes nés en France, et l’esprit de patrie ;
Est d’y chérir le Prince encor plus que la vie :
Pour défendre son Roi le Français est un Dieu ;
Il affronte la mort, et triomphe en tout lieu ».

Dans le premier refus concernant mon Eulalie, on m’avait fait recommander de ne point travailler au genre dramatique ; on m’avait de plus annoncé que je n’étais point né pour ce gente de gloire ; mais j’ai gagné un degré : vous, Messieurs, plus honnêtes pour cette fois, vous m’invitez à donner un ouvrage qui soit tout de moi ; l’on peut voir que vous avez plus d’espoir sur mon compte, que d’abord on n’en avait eu.

Mais toute charmante, toute agréable que soit l’invitation, comment l’accepter ? Si je suis harcelé, excédé quoiqu’aidé de Voltaire , ce sera encore bien pire quand je présenterai une pièce qui ne sera que de moi seul. Bien loin donc de me conformer à l’avis, je déclare que je vais m’occuper de distribuer encore quelques nouveaux chef-d’oeuvres.

Je suis bien malheureux... que le plus pur de mon sang soit en Drame ou en Tragédie. Mes enfants, avec vous, ne sont pas plus fortunés sous une forme que sous une autre : vous avez persiflé Eulalie, et vous tympanisez mon Siège de Paris ; vous dites que le style sent à pleine gorge le Poème épique et nullement le dramatique.

Mais il est sensible que vous avez le palais usé ; je vous ai demandé quelle partie tenait du Poème épique ; vous m’avez dit que le tout en avait l’odeur ; j’ai pris cela pour une plaisanterie, et vous ai observé qu’à parier soit épiquement, soit dramatiquement, on pouvait toujours prononcer sur le Théâtre, comme tous autres , les vers suivants :

« Servir fous les Bourbons , c’est voler à la gloire, etc.
Ne point aimer Bourbon, c’est haïr les bienfaits, etc.
Et qui meurt pour son Roi, meurt toujours avec gloire. »

J’en ai déclamé une centaine d’autres à-peu-près semblables; mais vous êtes entêtés comme des mules, et vous avez fini par toujours répéter que mon enfant parlait d’une manière épique, de sorte que si dans l’instant il vous eût demandé des bombons, vous aviez tant l’épique au cerveau, que vous lui eussiez donné du chicotin, parce qu’il n’aurait pas fait sa demande avec le style dramatique.

Et emportés par ce ridicule préjugé, voilà que vous vous êtes mis tous en colère ; vous vouliez envoyer le père aux Petites Maisons et l’enfant à Bicêtre.

C’était du sérieux, on ne doit pas rire ; il est besoin d’humanité ; c’est ici la cause du veuf et de l’orphelin : on le demande à toute âme juste et sensible : ne faut-il pas une fureur d’anthropophage pour me donner le sort d’un fol, et à mon enfant celui d’un petit libertin ; et ne serait-ce pas vous au contraire, Messieurs les très-Beaux-Esprits, qui pour une telle barbarie mériteriez d’être fouettés et bien fessés ?

Que si l’on envoyait aux maisons ci-dessus tous ceux qui font de mauvais ouvrages, comme tous ceux qui font de mauvaises plaisanteries , n’est-il pas certain qu’il faudrait une grande ville, et les plus vastes bâtiments pour contenir et les Auteurs et les Beaux-Esprits à la mode, le tout sans vous oublier ?

Vous avez encore osé me dire que le Public reconnaissant les membres d’une fille très respectable [1] ainsi épars sur la scène, un bras aux pieds, les pieds à la tête, les yeux derrière le dos, au lieu de pleurer, chacun rirait, se préviendrait, et l’Auteur se trouverait berné, parce que tout le monde connaît, sait et est en état de répéter mot pour mot, chant pour chant, les vers de la Henriade.

Sous le costume du Poème épique mon enfant devait être organisé bien différemment que sous celui de Tragédie ; le prenant sous cette dernière forme, que le Public se prévienne ou ne se prévienne point, l’occurrence est indifférente, et en effet, le premier apanage de tout bon juge, c’est de ne point se prévenir ; or si le Public se fût prévenu, je l’eusse récusé pour le mien.

Et puis il ne faut pas considérer si chacun rirait, mais bien réfléchir si chacun devrait rire ; car ce ne serait pas la première fois que, comme vous, le Public aurait pleuré où il fallait rire, et aurait ri où il devait pleurer.

Tout le monde connaît aussi et est en état de répéter mot pour mot, scène pour scène, les vers de Zaïre et de tant d’autres pièces, cependant on n’en a pas moins de plaisir à la représentation. En mon particulier, je ne suis jamais si flatté que quand je vois exécuter un beau morceau quelconque dont je fais par coeur l’expression littérale, je deviens plus en état de goûter l’effet du jeu, et d’apprécier les talents de l’acteur , il serait même nécessaire qu’on fût ainsi les plus beaux vers des meilleures tragédies.

Vos raisons ne peuvent donc passer que pour de vraies chicanes ; l’on doit en revenir à la régularité , à l’intéressant de ma pièce, et chasser toute espèce de préjugé; si d’ailleurs j’ai déplacé quelques faits, il faut se prêter à l’illusion, et se ressouvenir qu’une tragédie n’est pas plus une histoire qu’un poème épique.

Il y a beaucoup de spectacle dans cette pièce, les assemblées des États, du Peuple, du Parlement, le couronnement de Henri, les récits, les fureurs de la femme ; tout cela y répand un intérêt qui doit garantir d’un grand succès. À la vérité, je regarde les nouvelles pièces comme de nouveaux meubles de boiserie. Oui, Messieurs, riez tant qu’il vous plaira. Qu’un Artiste m’apporte un secrétaire neuf, il faut qu’il opère son effet ; je suis longtemps à ne faire qu’entendre des cric-crac désagréables ; je maudis le secrétaire et l’ouvrier : la boiserie a-t-elle produit cet effet, je deviens tranquille ; je donne à l’ouvrage le prix qu’il faut. Tel est le sort des nouvelles pièces ; l’expérience fait connaître que l’on s’est d’abord révolté contre celles les plus en vogue maintenant, entr’autres celle ci-dessus (Zaïre) ; et pourquoi ? Parce qu’il fallait s’accoutumer au caractère des personnages, au plan et au genre de la pièce , tout cela n’avait point opéré un effet ; mais quand l’esprit de l’ouvrage est bien reconnu ; quand , en un mot, la boiserie a produit son effet, la cabale cesse ; c’est aussi l’occurrence où se trouve en partie mon Siège de Paris. Les vers ont déjà produit leur effet ; il n’y a plus que le reste de la boiserie , qui est la distribution, et c’est de la patience qu’il faut avoir ; du reste, il faut joindre à toutes ces considérations celle du voeu de la Nation, qui comme on l’a déjà remarqué, est a juste titre ardente et zélée sur un sujet si heureusement traité, et que je n’ai fait que préparer pour en mieux sentir encore le pathétique, étant mis en action sur le Théâtre.

Au surplus, c’est bien à vous, Messieurs, qu’il appartient de dire que le genre nouveau en question n’aurait pas de succès, lorsque votre troupe dit tous les jours qu’un genre ancien ou nouveau quelconque en aura, et que cependant le Public, qui dit souvent encore plus mal, prononce néanmoins tout le contraire.

Toujours prévenus suivant votre noble coutume, vous vous êtes écriés à chaque vers que vous soupçonniez être de moi : « Cela n’est point dans la Henriade : donc c’est mauvais ; » vous avez dit de plus que la scène de la femme avec son enfant était trop affreuse, trop tragique ; je vous ai répondu que si vous persistiez à me chicaner ainsi, je ferois mettre à la broche [2] sur le théâtre même un bel et bon coeur encore fumant, lequel bien et dûment rôti, je ferais manger incontinent parcelle par parcelle, qu’ensuite, pour étancher la soif, je présenterais du [3] sang tout chaud, tout bouillant, tout sortant de la veine.

Enfin, ne cherchant qu’à chagriner et vexer le meilleur des pères, vous qui habitez la Capitale, faits conséquemment pour être galants et polis avec le beau sexe, vous l’avez été assez peu auprès de ma fille Eulalie, pour lui dire en face qu’elle était une bavarde [4] , comme si le faible des jolies femmes n’était pas quelquefois de trop jaser.

Vous avez soutenu, en un mot, que mes enfants sont de méchants garnements ; cependant malgré toutes vos calomnies et mauvaises plaisanteries, recevez mes tendres adieux, et croyez que je n’en suis pas moins,

MES BRAVES ET FIDELES AMIS,

Votre, etc.....

[1] La Henriade.

[2] Gabriel le de Vergy.

[3] Atrée et Thyeste.

[4] Voyez l’un des Mercures de 1778 , l’Almanach des Muses de la même année, et autres, etc

NOTES BIOGRAPHIQUES §

LE DUC DE MAYENNE

Mayenne, Ch. De Lorraine, duc de [1554-1611] : deuxième fils du duc François de Guise, se distingua d’abord dans les guerres de religion, à Poitiers, au siège de la Rochelle, à Moncontour, et dans le Dauphiné, où il fut surnommé le preneur de villes. À la nouvelle du meurtre de ses deux frères (le Duc de Guise et le Cardinal de Lorraine), il se déclara chef de la Ligue en 1559, entra dans Paris, prit le titre de lieutenant général du Royaume, et fit la guerre à Henri II et au roi de Navarre (Henri IV) ; mais il fut battu à Arques puis à Ivry. À la mort de Henri III, il proclama un fantôme de roi en la personne du Cardinal de Bourbon, sous le nom de Charles X. Ce prince étant mort en 1590, il convoqua les Etats généraux à Paris, dans l’espoir sans doute de se faire élire, mais il ne put y réussir. Il finit par négocier avec Henri IV, fit sa paix en 1596 et fut nommé gouverneur de l’Ile de France. D’une grande nonchalance, qu’augmentait encore son obésité, ce prince était hors d’état de lutter contre un adversaire aussi actif qu’Henri IV.

POT[H]IER

Famille parlementaire qsui a produit plusieurs magistrats distingués, Nicolas P. de Blancmesnil, président du parlement de Paris, se signala par son dévouement au roi Henri IV, fut condamné à mort par les Ligueurs, n’échappa pas au supplice que grâce à l’intervention du Duc de Mayenne, se rendit ensuite près de Henri IV, et devint plus tard chancelier de Marie de Médicis ; il mourut à Paris en 1635 à l’âge de 94 ans.

M.N. BOUILLET .- Dictionnire universel d’Histoire et de Géographie.- Paris : 1878.

ACTEURS §

  • HENRI IV.
  • LE DUC DE MAYENNE.
  • LE DUC DE SULLY.
  • TURENNE.
  • LE PARLEMENT.
  • LE PRÉSIDENT POTHIER.
  • LE PRÉSIDENT DE THOU.
  • UN OFFICIER.
  • Plusieurs BOURGEOIS.
  • UNE FEMME.
  • UN ENFANT.
  • BUSSY.
  • DES SOLDATS..
  • LA POPULACE. Suite..
La Scène est sur une place formant comme un quartier de réserve contigu au Camp du Roi et aux Remparts de Paris.

ACTE I §

Les États font assemblés pour délibérer sur l’élection d’un roi d’une autre race.

SCÈNE PREMIÈRE. Les États. §

LE PRÉSIDENT POTHIER.

Ô vous, Concitoyens, dont le zèle et les droits
Sont d’affermir le trône en défendant nos lois,
Se peut-il qu’en ces temps, Mayenne au rang suprême,
1
Espère de vos mains tenir le diadème ?
5 Mayenne a des vertus qu’on ne peut trop chérir,
Et je le choisirais, si je pouvais choisir ;
Mais nous avons nos lois, et ce héros insigne,
S’il prétend à l’Empire, en est dès lors indigne.

SCENE II. Les précédents, Mayenne entre avec l’appareil d’un souverain. §

POTHIER voit entrer sans s’émouvoir, et il continue son discours d’un ton plein d’assurance.

Oui, Prince, en cet instant, j’ose ici contre vous
10 Vous adresser ma voix pour la France et pour nous :
En vain nous prétendons le droit d’élire un maître ,
La France a des Bourbons, et Dieu vous a fait naître
Près de l’auguste rang qu’ils doivent occuper,
Pour soutenir leur trône, et non pour l’usurper.
15 Guise du sein des morts n’a plus rien à prétendre:
Le sang d’un souverain doit suffire à sa cendre ;
S’il mourut par un crime, un crime l’a vengé ;
Changez avec l’État que le Ciel a changé.
Périsse avec Valois votre juste colère,
2
20 Bourbon n’a point versé le sang de votre frère :
Le Ciel, ce juste Ciel qui vous chérit tous deux,
Pour vous rendre ennemis vous fit trop vertueux.
Mais j’entends le murmure et la clameur publique,
J’entends ces noms affreux de relaps, d’hérétique,
25 Je vois d’un zèle faux nos prêtres emportés,
Qui le fer à la main... Malheureux , arrêtez.
Quelle loi, quel exemple, ou plutôt quelle rage,
Peut à l’oint du Seigneur arracher votre hommage ?
Le fils de Saint Louis, parjure à ses serments,
30 Vient il de nos autels briser les fondements ?
Au pied de ces autels, il demande à s’instruire ,
Il aime, il fuit les lois dont vous bravez l’empire;
Il fait dans toute secte honorer les vertus,
Respecter votre culte et même vos abus ;
35 Il laisse au Dieu vivant, qui voit ce que nous sommes,
Le soin que vous prenez de condamner les hommes ;
Comme un Roi, comme un père il vient vous gouverner ,
Et plus chrétien que vous, il vient vous pardonner:
Tout est libre avec lui, lui seul ne peut-il l’être ?
40 Quel droit vous a rendus juges de votre maître ?
Infidèles pasteurs, indignes citoyens,
Que vous ressemblez mal à ces premiers chrétiens,
Qui bravant tous ces Dieux de métal et de plâtre,
Marchaient sans murmurer sous un maître idolâtre,
45 Expiraient sans se plaindre, et sur les échafauds ,
Sanglants, percés de coups, bénissaient leurs bourreaux.
Eux seuls étaient chrétiens, je n’en connais point d’autres.
Ils mouraient pour leurs Rois, vous massacrez les vôtres.

SCÈNE III. Les précédents, plusieurs Officiers et Soldats. §

L’UN DEUX.

Aux armes, Citoyens, ou nous sommes perdus.

SCÈNE IV. §

L’Assemblée se disperse.

POTHIER seul.

50 Quels formidables cris, et que de bruits confus !
Les nuages épais que forme la poussière,
Du soleil sur nos murs dérobent la lumière ;
Des tambours, des clairons, le son rempli d’horreur,
De la mort qui les suit nous est l’avant-coureur...

SCÈNE V. Pothier, Un Bourgeois. §

LE BOURGEOIS.

55 De l’illustre Henri c’est la puissante armée,
Qui lasse de repos et de sang affamée,
Se fait entendre au loin par de sinistres cris ;
Elle est sous les remparts et menace Paris.
On insulte déjà l’ennemi qui s’avance,
60 Tout est prêt pour l’attaque et tout pour la défense ;
Le fer avec le feu vole de toutes parts,
Des mains des assiégeants et du haut des remparts.
Ces remparts menaçants, leurs tours et leurs ouvrages,
S’écroulent sous les toits de ces brûlants orages :
65 On voit les bataillons rompus et renversés,
Et loin d’eux sur les murs leurs membres dispersés :
Ce que le fer atteint tombe réduit en poudre,
Et chacun des partis combat avec la foudre.

POTHIER.

Jadis avec moins d’art, au milieu des combats ;
70 Les malheureux mortels avançaient leurs trépas ;
Avec moins d’appareil ils volaient au carnage,
Et le fer dans leurs mains suffisait à leur rages
De leurs cruels enfants, l’effort industrieux
A dérobé le feu qui brûle dans les cieux
75 Mais que veut ce bourgeois... II vient sans doute apprendre...

SCÈNE VI. Les précédents, Un Autre Bourgeois. §

POTHIER.

Nos trop faibles remparts sont-ils réduits en cendre ?

LE DERNIER BOURGEOIS.

Henri de son armée était, dit-on , absent
On combattait sans lui ; sensible et trop ardent,
3
Enchaîné par l’amour dans les bras de d’Estrée,
80 Il succombait aux traits de son âme enivrée :
Ces moments trop heureux perdus dans la mollesse ,
Faisaient aux assiégés oublier leur faiblesse ;
À de nouveaux exploits Mayenne s’est préparé ;
Par un espoir flatteur le peuple est rassuré ;
85 Cet espoir nous trompait : Bourbon que rien n’arrête,
Accourt impatient d’achever sa conquête:
Les Ligueurs cependant d’un juste effroi troublés ,
Près du prudent Mayenne étaient tous rassemblés;
4
Là, d’Aumale ennemi de tout conseil timide,
90 Leur tenait fièrement ce langage intrépide:
« Nous n’avons point encore appris à nous cacher,
L’ennemi vient à nous, c’est-là qu’il faut marcher. »
5
Il se tut ; à ces mots les Ligueurs en silence,
Semblaient de son audace accuser l’impudence;
95 Il en rougit de honte, et dans leurs yeux confus,
Il lut en frémissant leur crainte et leur refus.
« Eh bien ! poursuivit-il, si vous n’osez me suivre,
Français, à cet affront, je ne veux point survivre ;
Vous craignez les dangers, seul je m’y vais offrir ,
100 Et vous apprendre à vaincre ou du moins à mourir. »
De Paris à l’instant il fait ouvrir la porte,
Du peuple qui l’entoure, il éloigne l’escorte :
Il s’avance; un héraut, ministre des combats,
Jusqu’aux tentes du Roi marche devant ses pas,
105 Et crie à haute voix : « Quiconque aime la gloire,
Qu’il dispute en ces lieux l’honneur de la victoire.
D’Aumale vous attend, ennemis, paraissez. »
Tous les chefs à ces mots d’un beau zèle poussés ,
Voulaient contre d’Aumale essayer leur courage ;
110 Tous briguaient près du Roi cet illustre avantage ;
Tous avoient mérité ce prix de la valeur ;
6
Mais le vaillant Turenne emporta cet honneur.

POTHIER.

Grand Dieu ! Qu’à ce combat renaisse ta clémence,
Qu’il puisse terminer les malheurs de la France !
115 Hélas ! Tu sais ses maux ; ce n’était point assez
Qu’une guerre cruelle à nos coeurs oppressés
Apportât le carnage, il fallait la famine;
Cet indigne fléau de la fureur divine,
Nous prive en un seul jour de nos plus grands guerriers.
120 En vain de notre Roi vous bravez les lauriers ,
Amis, si vous voulez voir la fin de vos peines,
Songez que de Bourbon il faut prendre les chaînes;
Et puisque c’est pour lui que Turenne combat,
Henri va triompher, d’Aumale en vain se bat.
125 Allons nous réunir au char de sa victoire;
Servir sous les Bourbons, c’est voler à la gloire.

ACTE II §

SCÈNE PREMIÈRE. Pothier, un bourgeois. §

POTHIER.

Vous qui fûtes témoin de ce combat fameux,
Apprenez-moi quel sort...

LE BOURGEOIS.

Rien n’était plus affreux ;
Je vous l’ai dit, Seigneur, il s’élève un nuage,
130 Qui semblait apporter le tonnerre et l’orage.
Ses flancs noirs et brûlants tout-à-coup entr’ouverts,
Vomissent dans ces lieux les monstres des enfers.
Le Fanatisme affreux , la Discorde farouche,
La sombre Politique au coeur faux , à l’oeil louche,
135 Le Démon des combats respirant les fureurs,
Dieux enivrés de sang , Dieux dignes des Ligueurs,
Aux remparts de la Ville, ils fondent, ils s’arrêtent >
En faveur de d’Aumale, au combat ils s’apprêtent;
Paris, le Roi, l’armée, et l’enfer et les cieux ,
140 Sur ce combat illustre avoient fixé les yeux.
Bientôt les deux guerriers entrant dans la carrière ;
Henri du champ d’honneur leur ouvre la barrière;
La trompette sonnée, ils s’élancent tous deux,
Ils commencent enfin ce combat dangereux.
145 Tout ce qu’ont pu jamais la valeur et l’adresse,
L’ardeur , la fermeté, la force , la souplesse,
Parut des deux côtés en ce choc éclatant.
Cent coups étaient portés et parés à l’instant ;
Tantôt avec fureur, l’un d’eux se précipite,
150 L’autre d’un pas léger se détourne et l’évite;
Tantôt plus rapprochés, ils semblent se saisir,
Leur péril renaissant donne un affreux plaisir ;
On se plaît à les voir s’observer et se craindre,
Avancer, s’arrêter, se mesurer, s’atteindre ,
155 Le fer étincelant avec art détourné,
Par de feints mouvements trompe l’oeil étonné.
Le spectateur surpris, et ne pouvant le croire ,
Voyait à tous moments leur chute et leur victoire.
D’Aumale est plus ardent, plus fort, plus furieux,
160 Turenne est plus adroit et moins impétueux;
Maître de tous ses sens, animé sans colère,
Il fatigue à loisir son terrible adversaire.
D’Aumale en vains efforts épuise sa vigueur,
Bientôt son bras lassé ne sert plus sa valeur.
165 Turenne qui l’observe, aperçoit sa faiblesse ,
Il se ranime alors, il le pousse, il le presse ,
Enfin d’un coup mortel il lui perce le flanc ;
D’Aumale est renversé dans les flots de son sang ;
Il tombe , et de l’enfer tous les monstres frémirent;
170 Ces lugubres accents dans les airs s’entendirent:
« De la Ligue à jamais le trône est renversé ,
Tu l’emportes, Bourbon , notre règne est passé ».
Tout le peuple y répond par un cri lamentable.
D’Aumale sans vigueur , étendu fur le fable ,
175 Menace encore Turenne, et le menace en vain,
Sa redoutable épée échappe de sa main:
Il veut parier , fa voix expire dans fa bouche,
L’horreur d’être vaincu , rend son air plus farouche;
Il se lève, il retombe, il ouvre un oeil mourant,
180 Il regarde Paris, et meurt en soupirant.

POTHIER.

Tu le vis expirer, infortuné Mayenne,
Tu le vis, tu frémis, et ta chute prochaine,
Dans ce moment affreux s’offrit à tes esprits.

SCÈNE II. Les précédents, Un Autre Bourgeois. §

LE DERNIER BOURGEOIS.

Nos maux sont à leur comble; et s’il faut que Paris
185 Soutienne un jour le siège, et brave encor l’armée,
Cette ville périt d’aliments affamée.
Les eaux ne portent plus dans ce vaste séjour
Le tribut bienfaisant des moissons d’alentour.
On rencontre en tous lieux la faim pile et cruelle
190 Montrant déjà la mort qui chemine après elle.
Et partout on entend des hurlements affreux.
Ce superbe Paris est plein de malheureux,
De qui la main tremblante et la voix affaiblie
Demandent vainement le soutien de leur vie;
195 Le vieillard dont la faim va terminer les jours ,
Voit son fils au berceau qui périt fans secours:
Ici meurt dans la rage une famille entière ;
Plus loin des malheureux couchés fur la poussière,
Se disputent encore à leurs derniers moments
200 Les restes odieux des plus vils aliments.
Ces spectres affamés, outrageant la nature,
Vont au sein des tombeaux chercher leur nourriture ;
Des morts épouvantés les ossements poudreux ,
Ainsi qu’un pur froment sont préparés par eux.
205 Que n’osent point tenter les extrêmes misères !
On les voit se nourrir des cendres de leurs pères :
Ces détestables mets avancent leur trépas ,
Et ce repas pour eux est le dernier repas.

POTHIER.

Nos Prêtres cependant, ces Docteurs fanatiques,
210 Qui loin de partager les misères publiques,
Bornant à leurs besoins tous leurs soins paternels,
Vivent dans l’abondance à l’ombre des autels;
D’autres nouveaux tyrans les avides cohortes ,
Assiègent les maisons , en enfonçant les portes,
215 Aux hôtes effrayés présentent mille morts,
Non pour leur arracher d’inutiles trésors,
Non pour aller ravir d’une main adultère
Une fille éplorée à sa tremblante mère ;
De la cruelle faim , le besoin consumant
220 Fait expirer en eux tout autre sentiment;
Et d’un peu d’aliments la découverte heureuse
Forme Tunique but de leur recherche affreuse.
Il n’est point de tourments, de supplice et d’horreur ,
Que pour en découvrir n’invente leur fureur.
225 Mais pourquoi retracer ces images horribles ?
J’ai vu de ces malheurs tous les ressorts terribles.
Ô cruel fanatisme! ô fureur des Démons !
Poursuivras-tu toujours le plus grand des Bourbons ?
Allons aux malheureux, mourants par la famine ,
230 Donner des prompts secours, et qu’enfin on termine ;
De nos concitoyens l’aveugle passion ,
Aux plus affreux malheurs réduit la nation.

SCÈNE I.I. Une Femme, son enfant et plusieurs soldats qui la poursuivent. §

On entend des cris affreux de cette femme et de l’enfant, il semble qu’on leur arrache la vie.

LA FEMME.

Monstres... Arrêtez.... Ciel.... Leur rage abominable
Me livre au désespoir par un trait exécrable.
235 Connaissez ma fureur que vos ceurs inhumains,
Me rendent l’aliment arraché de mes mains ,
Ou plutôt si mes jours ont de quoi vous déplaire ,
Tigres ! Voilà mon flanc, qu’une arme sanguinaire
Perce d’un même coup et sa mère et le fils.
240 Mais ils ont disparus ils sont sourds à mes cris....
Des biens que m’a ravi la fortune cruelle,
Un seul enfant me reste, il va périr comme elle :
Mais quoi !... Cette fureur pourquoi ce coutelas
Tournait vers toi, mon fils, qui me tendais les bras ?
245 Ton enfance, ta voix... ta misère et tes charmes,
À ta mère en fureur arrachent mille larmes.
Je détache de toi mon visage effrayé,
Plein d’amour, de regrets, de rage, de pitié :
Mais ciel : quels maux cuisants Grands Dieux ! Quelle faiblesse ;
250 Et pourtant quels transports... Ô terreur ! Ô détresse
Détestable hyménée, et toi, fécondité...
Cher et malheureux fils que mes flancs ont porté,
C’en est fait, c’est en vain que tu reçus la vie,
Les tyrans ou la faim l’auraient bientôt ravie:
255 Et pourquoi vivrais-tu ? Pour aller dans Paris
Errant et malheureux pleurer sur ses débris.
Meurs avant de sentir mes maux et ta misère ;
Rends-moi le jour, le sang que t’a donné ta mère ;
Que mon sein malheureux te serve de tombeau,
260 Et que Paris du moins voit un crime nouveau.

SCÈNE IV. §

LA FEMME.

Elle lui plonge le coutelas dans le corps, et paraît vouloir le séparer en deux comme pour le dévorer ; les soldats attirés de nouveau par la faim, reviennent, et l’un d’eux, en se reculant d’horreur, dit à l’arrière-scène :
Près d’un corps tout sanglant, quel objet se présente ?
Une femme égarée, et de sang dégoûtante...

SCÈNE V. §

LA FEMME.

Oui, c’est mon propre fils, oui, monstres inhumains.
C’est vous qui dans son sang avez trempé mes mains ;
265 Ah ! Puissions-nous tous deux vous servir de pâture !
Craignez-vous plus que moi d’outrager la nature ?
Quelle horreur à mes yeux semblait vous glacer tous ?
Tigres, de tels festins font préparés pour vous.
Elle fait un mouvement pour se tuer ; elle paraît succomber de faiblesse, et laisse tomber le poignard de ses mains ; après une pause, elle dit :
Mais ils m’ont laissé seule... Ô sinistre silence...
270 Dieux ! Que viens-je d’entendre... un monstre qui s’avance...
Que vois-je... C’est un tigre... Il dévore un enfant.
Ô ciel..... Oui , c’est mon fils... Lâches, en cet instant
Vous avez pris la fuite Il écrase sa tête
Ô mon cher fils.... Ma mère... Il me répond
Elle se précipite pour le saisir, et dit:
Arrête
275 Mais c’en est trop souffrir... Il faut qu’à ma fureur...
Ma faiblesse redouble ainsi que ma frayeur...
Monstre , viens déchirer les membres de sa mère;
Elle ne peut plus vivre, abhorrant fa misère :
Cruels, secourez-le... Son sang jaillit sur moi.....
280 Où fuirai-je, grands Dieux ?... De qui suivre la foi ?....
Hélas ! Peut-on souffrir un si cruel supplice ?...
Mon sang se glace ! Ô Ciel ! J’implore ta justice,
Délivre, arrache-moi d’aussi cruels tourments,
Jamais on ne. subit de plus grands châtiments
285 Mais ce poignard me reste, et pourtant ma furie
Trouve de quoi trancher ma détestable vie.
Elle se tue.

ACTE III §

SCÈNE PREMIÈRE. Henri IV et le Duc de Sully, vêtus en guerriers. §

LE DUC DE SULLY.

Oui, Sire, elle avait vu par ces coeurs inhumains,
Un reste d’aliments arracher de ses mains.

HENRI.

Ô Ciel ! Brave Sully , faut-il à la mémoire
290 Conserver le récit de cette affreuse histoire !
Je ne peux plus tenir à de telles horreurs.
Infidèles sujets... Dieu, qui lis dans les coeurs,
Qui vois ce que je puis, qui connais ce que j’ose,
Des Ligueurs et de moi tu sépares la cause ;
295 Je puis lever vers toi mes innocentes mains,
Tu le fais, je tendais les bras à ces mutins ;
Tu ne m’imputes point leurs malheurs et leurs crimes,
Que Mayenne à son gré, s’immole ces victimes,
Qu’il impute, s’il veut, des désastres si grands
300 À la nécessité, l’excuse des tyrans ;
De mes sujets séduits, qu’il comble la misère ,
Il en est l’ennemi, j’en dois être le père :
Je le suis; c’est à moi de nourrir mes enfants ,
Et d’arracher mon peuple à ces loups dévorants :
305 Dût-il de mes bienfaits s’armer contre moi-même,
Dussé-je en le sauvant perdre mon diadème,
Qu’il vive, je le veux ; il n’importe à quel prix :
Sauvons-le malgré lui de ses vrais ennemis ;
Et si trop de pitié me coûte mon Empire,
310 Que du moins sur ma tombe un jour on puisse lire :
« Henri, de ses sujets ennemi généreux,
Aima mieux les sauver que de régner sur eux ».
Allez , mon cher Mornay , je veux que mon armée
Approche sans éclat de la ville affamée;
315 Qu’on porte aux Citoyens des paroles de paix ,
Et qu’au lieu de vengeance on parle de bienfaits.

SCÈNE II. §

HENRI seul.

Les assiégés tremblants, dissipant les cohortes ,
À leurs yeux éperdus j’allais briser les portes ;
Que peut faire Mayenne en ce péril pressant ?
320 Mayenne a pour soldats un peuple gémissant :
Ici, la fille en pleurs lui redemande un père ;
Là, le frère effrayé pleure au tombeau d’un frère :
Chacun plaint le présent, et craint pour l’avenir.
Ce grand corps alarmé ne peut se réunir.

SCÈNE III. Henri, Un Officier. §

L’OFFICIER.

325 On s’assemble, on consulte, on veut fuir , ou se rendre ;
Tous sont irrésolus, nul ne veut se défendre,
Tant le faible vulgaire avec légèreté
Fait succéder la peur à la témérité:
Mayenne en frémissant voit leur troupe éperdue ,
330 Cent desseins partagent son âme irrésolue ;
Mais malgré lui déjà les partis, les cabales,
Font retentir les murs de leurs voix infernales ;
Le bandeau de terreur aveugle tous les yeux ;
7
L’un, en faveur de Rome esclave ambitieux ,
335 S’adresse au Légat seul, et devant lui déclare ,
8 9
Qu’il est temps que les lys rampent sous la tiare :
Qu’on érige à Paris ce sanglant tribunal,
Ce monument affreux du pouvoir monacal,
10
Que l’Espagne a reçu , mais qu’elle-même abhorre ,
340 Qui venge les autels et qui les déshonore,
Qui tout couvert de sang, de flamines entouré ,
Égorge les mortels avec un fer sacré,
Comme si nous vivions dans ces temps déplorables
Où la terre adorait des Dieux impitoyables ,
345 Que les Prêtres menteurs encor plus qu’inhumains ,
Se vantaient d’apaiser par le sang des humains.
Celui-ci corrompu par l’or de l’Ibérie,
À l’Espagnol qu’il hait veut vendre sa patrie;
Mais un parti puissant, d’une commune voix,
350 Place déjà Mayenne au trône de nos Rois.

HENRI.

Ce rang manquait encor à sa vaste puissance...
Sans doute de ses voeux l’orgueilleuse espérance
En secret dévora dans le fond de son coeur
De ce grand nom de Roi le dangereux honneur
355 Vous voyez à quel point le destin m’humilie,
L’injure est à son comble, et la Ligue ennemie
Levant contre son Prince un front séditieux ,
Arme pour la révolte et l’enfer et les cieux

L’OFFICIER.

Sire, voici Turenne , il va peut-être apprendre
360 Des faits dignes enfin du père le plus tendre.

SCÈNE IV. Les précédent, Turenne. §

TURENNE.

J’ai vu sur les remparts avancer à pas lents
Ces corps inanimés, livides et tremblants ;
Quel est de ces mourants l’étonnement extrême !
Leur cruel ennemi vient les nourrir lui-même ;
365 Sont-ce là , dirent-ils , ces monstres si cruels ?
Est-ce là ce tyran si terrible aux mortels ?
Cet ennemi de Dieu qu’on peint si plein de rage,
Hélas ! Du Dieu vivant c’est la brillante image,
C’est un Roi bienfaisant , le modèle des Rois ;
370 Nous ne méritons pas de vivre sous ses lois ;
Il triomphe, il pardonne , il chérit qui l’offense :
Puisse tout notre sang cimenter sa puissance!
Trop dignes du trépas dont il nous a sauvés ,
Consacrons-lui ces jours qu’il nous a conservés.

HENRI.

375 De leurs coeurs attendris tel est le vrai langage :
Mais qui peut s’assurer sur un peuple volage,
Dont la faible amitié s’exhale en vains discours,
Qui quelquefois s’élève, et retombe toujours !

TURENNE.

Ces prêtres dont cent fois la fatale éloquence
380 Ralluma tous ces feux qui consumaient la France,
Se montrèrent en pompe à ce peuple abattu :
« Hé, quoi ! leur disaient-ils, ô Chrétiens sans vertu,
À quel indigne appât vous laissez-vous séduire,
Ne connaissez vous plus les palmes du martyre :
385 Soldats du Dieu vivant, voulez-vous aujourd’hui
Vivre pour l’outrager, pouvant mourir pour lui ?
Quand Dieu du haut des cieux nous montre la couronne
Chrétiens, n’attendons point qu’un tyran nous pardonne.
Dans sa coupable secte il veut nous réunir,
390 De ses propres bienfaits songeons à le punir; »
Sauvons nos Temples saints de son culte hérétique ».
11

HENRI.

Ce sont donc leurs discours, et leur voix fanatique,
Maîtresse d’un vil peuple et redoutable aux Rois,
De mes plus grands bienfaits a fait taire la voix.
395 Sans doute quelques-uns reprenant leur furie,
En secret s’acculent de me devoir la vie.
Eh bien ! Peuple infidèle , et puisque mes bontés
Ne peuvent de tes chefs calmer les cruautés ,
Il faut céder enfin... Oui, je renonce au trône...
400 Aux plus affreux chagrins mon âme s’abandonne...

SCÈNE V. §

TURENNE, seul.

Dieu de l’univers, si tes yeux quelquefois
Honorent d’un regard les peuples et les Rois ,
Vois le peuple Français à son Prince rebelle ;
S’il viole tes lois, c’est pour t’être fidèle.
405 Aveuglé par son zèle il te désobéit,
Et pense te venger alors qu’il te trahit ;
Vois ce Roi triomphant, ce foudre de la guerre ,
L’exemple, la terreur et l’amour de la terre.
Avec tant de vertus n’as-tu formé son coeur,
410 Que pour l’abandonner aux pièges de l’erreur ?
Faut-il que de tes mains le plus parfait ouvrage
À son Dieu qu’il adore offre un coupable hommage ?
Ah ! Si du Grand Henri ton culte est ignoré ,
Par qui le Roi des Rois veut-il être adoré?
415 Daigne éclairer ce coeur créé pour te connaître,
Donne à l’Église un fils, donne à la France un Maître.
Des Ligueurs obstinés confonds les vains projets ;
Rends les sujets au Prince, et le Prince aux sujets :
Que tous les coeurs unis adorent ta justice,
420 Et t’offrent dans Paris le même sacrifice.

ACTE IV §

SCÈNE PREMIÈRE. Deux Bourgeois. §

LE PREMIER.

Oui, plus j’y pense, ami, plus je vois que nos maux
S’accroissent par degré sur des troubles nouveaux ;
Réfléchissant enfin sur ces temps de misère,
On ne voit que sujets pour animer la guerre :
425 La Discorde a choisi seize séditieux
Signalés par le crime entre les factieux ;
Ministres insolents de leur Reine nouvelle ,
Sur son char tout sanglant ils montent avec elle ;
L’Orgueil, la Trahison , la Fureur , le Trépas
430 Dans des ruisseaux de sang marchent devant leurs pas ;
Nés dans l’obscurité, nourris dans la bassesse ,
Leur haine pour les Rois leur tient lieu de noblesse,
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Et jusques sous le dais par le peuple portés ,
Mayenne en frémissant les voit à ses côtés,
435 Des jeux de la Discorde ordinaires caprices ,
Qui souvent rend égaux ceux qu’elle rend complices.

LE SECOND BOURGEOIS.

Dans ces jours de tumulte et de sédition,
13
Thémis résiste seule à la contagion.
La soif de s’agrandir, la crainte , l’espérance,
440 Rien ne peut dans ses mains détourner la balance,
Son saint Temple est fans tache, et fa simple équité,
Auprès d’elle , en fuyant cherche fa sûreté.
Il paraît dans ce Temple un Sénat vénérable,
Propice à l’innocence , au crime redoutable ,
445 Qui des lois de son Prince est l’organe et l’appui ,
Marche d’un pas égal entre son peuple et lui ;
Dans l’équité des Rois sa juste confiance
Souvent porte à leurs pieds les plaintes de la France.
Le seul bien ; de l’État fait son ambition,
450 Il hait la tyrannie et la rébellion:
Toujours plein de respect, toujours plein de courage,
De la soumission distingue l’esclavage ;
Et pour nos libertés toujours prêt à s’armer
Connaît Rom , l’honore, et la fait réprimer; •
455 Cet illustre Sénat en ces lieux va paraître,
Pour opiner en paix sur le choix de son maître.
Il me semble le voir... il nous faut retirer..

LE PREMIER.

Sur nos malheurs communs on l’entend murmurer.

SCÈNE II. LE PARLEMENT, UN TROISIÈME BOURGEOIS. §

LE BOURGEOIS.

Des tyrans de la Ligue une affreuse cohorte
460 Du Temple de Thémis environne la porte.
Bussy qui les conduit en vil gladiateur ,
Monté par son audace à ce coupable honneur,
Paraît vouloir parler à l’auguste assemblée,
Par qui des citoyens la fortune est réglée.
465 Sans doute il va venir, ces sinistres clameurs
Nous annoncent assez de nouvelles noirceurs.
Voici ce scélérat qui s’avance en furie,
Auprès de lui tout tremble et frémit pour sa vie.

SCÈNE III. Les précédent, BUSSY à la tête d’une populace armée. §

BUSSY, au Parlement.

Mercenaires appuis d’un dédale de Lois,
470 Plébéiens qui pensez être tuteurs des Rois ,
Lâches, qui dans le trouble et parmi les cabales,
Mettez l’honneur honteux de vos grandeurs vénales ;
Timides dans la guerre et tyrans dans la paix ,
Obéissez au peuple , écoutez ses décrets.
475 Il fut des Citoyens avant qu’il fût des Maîtres;
Nous rentrons dans les droits qu’ont perdus nos ancêtres ;
Ce peuple fut longtemps par vous-mêmes abusé,
Il s’est lassé du sceptre, et le sceptre est brisé :
Effacez ces grands noms qui vous gênaient sans doute,
480 Ces mots de plein pouvoir qu’on hait et qu’on redoute :
Jugez au nom du peuple, et tenez au Sénat,
Non la place du Roi, mais celle de l’État.
Imitez la Sorbonne, ou craignez ma vengeance...
En vain vous affectez le plus profond silence...

POTHIER, aux siens.

485 Je me présente à eux, et demande des fers
Du front dont je pourrai condamner ces pervers.

DE THOU.

Voyez auprès de vous les Chefs de la Justice,
Brûlant de partager l’honneur de ce supplice ;
Victimes de la foi qu’on doit aux Souverains...
490 Tendre aux fers des tyrans leurs généreuses mains.

BUSSY.

Peuple, veillez sur eux, et nous, avec Mayenne,
Consultons le parti qu’il faudra que l’on prenne :
Si l’on suit mon avis, lâches, bientôt la mort
De vos jours que je hais, va terminer le sort.

SCÈNE IV. LE PARLEMENT. §

POTHIER.

495 À peine je reviens de cet insigne outrage ;
Ce qu’un supplice affreux pourrait donner de rage ,
N’est rien auprès des traits d’un si terrible affront,
Le seul crime sans doute avilit et confond;
Mais être dans les fers d’un tyran qu’on méprise ;
500 Souffrir ces attentats que Mayenne autorise :
Non, non, je le redis, il n’est point de tourments
Comparables à l’horreur de ces affreux moments
Après une pause.
Mais plus l’affront est grand et plus notre courage
Doit braver le forfait de ce sanglant outrage :
505 Quel que soit notre fort, illustres Sénateurs ,
C’est pour notre vrai roi que s’unissent nos c?urs ;
Nous défendons son sceptre, et la persévérance
Peut faire naître encor le bonheur de la France :
Méprisons les tyrans et Mayenne et Bussy,
510 Plutôt périr mille fois que leur céder ici.
Bourbon est notre Roi, lui seul a droit de l’être ;
Nous ne redoutons rien sous un aussi grand Maître.
Que la foudre en éclat nous écrase aujourd’hui,
S’il faut que notre choix soit pour autre que lui !
515 Nous sommes nés en France, et l’esprit de patrie
Est d’y chérir le Prince encor plus que la vie ;
Pour défendre son Roi le Français est un Dieu;
Il affronte la mort et triomphe en tout lieu...
On s’avance vers nous... Ha ! Qu’allons-nous entendre...
520 Aux revers les plus grands, nous devons nous attendre.

SCÈNE V. Les précédants , Un Bourgeois. §

POTHIER.

Eh bien, en quel état ?...

LE BOURGEOIS.

On ne peut concevoir
Rien qui soit plus affreux et plus horrible à voir ;
Jamais on ne pourrait exprimer les ravages
Dont ce sinistre jour étale les images :
525 Je ne vous peindrai point le tumulte et les cris,
Le sang de tous côtés ruisselant dans Paris,
Le fils assassiné sur le corps de son père ,
Le frère avec la soeur, la fille avec la mère,
14
Les époux expirants sous leurs toits écrasés,
530 ..........................................
Des fureurs des humains, c’est ce qu’on doit attendre ;
Mais ce que l’avenir aura peine à comprendre,
Ce que vous-mêmes encore à peine vous croirez ,
Ces monstres furieux , de carnage altérés,
535 Excités par la voix des prêtres sanguinaires,
Invoquent le Seigneur en égorgeant leurs frères,
Et le bras tout souillé du sang des innocents,
Osent offrir à Dieu cet exécrable encens ;
On leur représente le culte de leurs pères ,
540 Les derniers attentats des sectes étrangères ;
On leur dépeint Henri l’ennemi de leur Dieu :
« Il porte, leur dit-on, ses erreurs en tout lieu ,
De sa secte il suivra les dangereux exemples,
Sur vos Temples détruits il va fonder ses Temples ;
545 Vous verrez dans Paris ses Prêtres criminels ».
Tout le peuple à ces mots tremble pour ses autels.

POTHIER.

15
Sans décider encore entre Genève et Rome.
De quelque nom divin que leur parti les nomme,
Rome dut étouffer nos malheurs et nos maux ;
550 Mais Rome de la guerre allume les flambeaux ;
Celui qui des Chrétiens le dit encor le père,
Met aux mains de ses fils un glaive sanguinaire ;
Des deux bouts de l’Europe a nos regards surpris,
Tous les malheurs ensemble accourent dans Paris ;
555 Mais on entend du bruit la populace armée,
Approche de ces lieux d’une marche pressée.

SCÈNE VI. Les précédents, Un Autre Bourgeois. §

LE BOURGEOIS.

Oui, c’en est fait, hélas ! On remplit votre sort,
Et par un crime affreux, on vous mène à la mort.
Ô Dieux ! Publiez-nous ces noms chers à la France,
560 Consacrez ces héros qu’opprime la licence,
Le vertueux Pothier, Mollé, Scarron , Bayeul,
De Thou, cet homme juste, et vous, jeune Longueil,
Vous en qui pour hâter vos belles destinées,
L’esprit et la vertu devancent les années ;
565 Tout le Sénat enfin par Bussy condamné,
À travers un vil peuple, en triomphe enchaîné,
Sera conduit bientôt au fort de la vengeance,
Qui renferme souvent le crime et l’innocence;
Ainsi ces factieux ont changé tout l’État,
570 Il n’est plus de Sorbonne, il n’est plus de Sénat !...

LE PREMIER BOURGEOIS.

Mais pourquoi ce concours et ces cris lamentables ?
Pourquoi ces instruments de la mort des coupables ?
Ce sont des Magistrats que la main d’un bourreau
Par l’ordre des tyrans précipite au tombeau.

LE SECOND BOURGEOIS.

575 Les vertus dans Paris ont le destin des crimes ;
Illustres Sénateurs, honorables victimes,
Vous n’êtes point flétris par ce honteux trépas,
Hommes trop généreux , vous n’en rougissez pas.
Vos noms toujours fameux vivront dans la mémoire,
580 Et qui meurt pour son Roi, meurt toujours avec gloire.
Vous voyez vos tyrans, je devançais leurs pas...

POTHIER.

Il faut les prévenir... qu’on nous mène au trépas...
Gardes, conduisez-nous vers la troupe infidèle.

DE THOU.

Marchons sans murmurer, la gloire nous appelle.

SCÈNE VII. §

LE DERNIER BOURGEOIS, seul.

585 Mais cependant Mayenne au milieu des mutins,
S’applaudit du succès de ses affreux desseins ;
D’un air fier et tremblant sa cruauté tranquille,
Contemple les effets de la guerre civile ;
Dans ces murs tous sanglants des peuples malheureux,
590 Unis contre leur Prince et divisés entr’eux,
Jouets infortunés des fureurs intestines,
De leur triste patrie avançant les ruines ,
Le tumulte en dedans, le péril au dehors ,
Et partout le débris, le carnage et les morts.

ACTE V §

SCÈNE PREMIÈRE. Le Tonnerre, les Eclairs, Deux bourgeois. §

LE PREMIER.

595 Au milieu des éclairs, dans un affreux orage,
Du drapeau de la France, on vient de voir l’image ;
La vertu de Henri pénètre enfin les cieux,
Et le jour de la paix reparaît à nos yeux :
Louis qui du plus haut de la voûte divine,
600 Veille sur les Bourbons dont il est l’origine ,
A vu qu’enfin les temps allaient être accomplis,
Et que le Roi des Rois adopterait son fils.
Aussitôt de son coeur il chassa les alarmes,
La foi vint essuyer ses yeux mouillés de larmes.
605 Le Grand Henri convient que la Religion
Est au-dessus de l’homme et confond la raison:
Il reconnaît l’Église ici-bas combattue,
L’Églíse toujours une et partout étendue ;
Le Christ s’est fait voir à ses yeux éperdus,
610 Et lui découvre un Dieu sous un pain qui n’est plus.
Son coeur obéissant se soumet, s’abandonne
À ces Mystères saints dont son esprit s’étonne.
Louis dans ce moment qui comblait ses souhaits,
Louis tenant en main l’olive de la paix,
615 Est descendu des cieux vers le Héros qu’il aime,
Aux remparts de Paris il l’a conduit lui-même ;
Les remparts ébranlés sont ouverts à sa voix ;
Il entre au nom du Dieu qui fait régner les Rois.
Les Ligueurs éperdus, en mettant bas leurs armes,
620 Sont aux pieds de Bourbon, les baignent de leurs larmes.
Les Prêtres sont muets, les Seize épouvantés
En vain cherchent pour fuir des antres écartés.
Tout le peuple changé dans ce jour salutaire,
Reconnaît son vrai Roi, son vainqueur et son père.

LE SECOND.

625 Par des coups effrayants souvent un Dieu jaloux ,
A sur les Nations étendu son courroux ;
Mais toujours pour le juste il eut des yeux propices,
Il le soutient lui-même au bord des précipices,
Tous ces chants et ces cris, les tambours, les clairons...
On entend dans le lointain une musique guerrière.
630 Nous annoncent déjà la fin des factions.

LE PREMIER.

Vous allez voir Bourbon , c’est ici que la France
Va pour ce Roi chéri jurer l’obéissance:
On célèbre sa gloire, et partout les concerts
Font place aux cris affreux dont on frappait les airs...

SCÈNE II. HENRI précédé et environné d’une grande suite parît avec pompe. Pendant son entrée les Musiciens qui font dans les coulisses de l’arrière scène , exécutent sans se montrer, l’air le plus agréable, et finissent aussitôt que Henri est parvenu sur la scène. §

HENRI, avec ravissement.

635 Moments délicieux... pour un Roi... pour un père...
Mes voeux sont satisfaits... je termine la guerre...
Citoyens malheureux ! Pourquoi de ma bonté
Acceptez-vous si tard le généreux traité ?...
Ne voulant que m’instruire, et me cherchant moi-même,
640 J’ai souvent déposé l’orgueil du Diadème,
Lorsque, doutant encor, je demandais aux cieux
Qu’un rayon de clarté vînt dessiller mes yeux.
De tous temps, ai-je dit, la vérité sacrée,
Chez les faibles humains fut d’erreurs entourée;
645 Faut-il que de Dieu seul, attendant mon appui
J’ignore les sentiers qui mènent jusqu’à lui ?
Hélas ! Un Dieu si bon qui de l’homme est le maître
En eût été servi, s’il avait voulu l’ètre...
J’ai proscrit avec foi mes dogmes séducteurs
650 Ingénieux enfants de cent nouveaux Docteurs.
Ces temps de mes États finissent les misères,
Et je lève les yeux vers le Dieu de mes pères;
Je connais qu’un coeur droit peut espérer en lui ,
Qui veut lui ressembler est sûr de son appui :
655 Chaque mot qu’on m’a dit était un trait de flamme,
Qui dut me pénétrer jusqu’au fond de mon âme :
Je me crus transporté dans ces temps bienheureux
Où le Dieu des humains conversait avec eux,
Où la simple vertu, prodiguant les miracles,
660 Commandait à des Rois,et rendait des oracles.

SCÈNE III. Les précédents, Un Officier. §

L’OFFICIER.

Mayenne ici conduit par un vrai repentir,
Ose briguer l’honneur de vous entretenir.

HENRI.

Qu’il paraisse sans crainte, une telle journée
À pardonner surtout est par moi destinée :
665 Je fais grâce à chacun ; que tous mes ennemis,
Chargés de mes bienfaits , soient mes plus grands amis.

SCÈNE IV ET DERNIÈRE. Les précédents, Mayenne. §

MAYENNE.

Vous voyez à vos pieds...

HENRI.

Relevez-vous, Mayenne,
Et que de mon bon coeur toujours il vous souvienne;
Épargnons nous, ami, des discours superflus;
670 Ne songeons pas aux maux qui déjà ne sont plus...
Viens, embrasse ton Roi, sois-lui toujours fidèle ,
Il ne veut point d’excuse, il ne veut que ton zèle.

MAYENNE.

Quelle clémence !... Ô Dieu ! Rien ne peut exprimer
Les transports qu’en mon âme elle vient de former...
675 Cette âme est toute à vous justement désarmée,
Elle adopte son maître... elle s’en voit aimée ;
Qui pourrait à présent venir troubler la paix ?
Ne point aimer Bourbon , c’est haïr les bienfaits.
Parlant de cette paix que le ciel favorise,
680 Sur un aussi beau jour il faudra que l’on dise :
« On vit rentrer la guerre en l’éternelle nuit,
À reconnaître un Roi Mayenne fut réduit ,
Et soumettant enfin son coeur et les Provinces,
Fut le meilleur sujet du plus juste des Princes ».
On entend un coup de tonnerre, à travers les éclairs, on voit descendre un nuage décoré de l’azur le plus éclatant ; sur ce nuage paraît un Ange tenant une branche d’olive d’une main, de l’autre et suspendue sur la tête de Henri, une couronne de lauriers ou de brillants , de laquelle sort une guirlande, formant légende , où l’on voit comme gravé en lettres de feu le vers suivant : «  Bourbon de ses Sujets le vainqueur et le père ».
Les Musiciens toujours dans les coulisses de l’arriére-scène, sans paraître, exécutent dans le lointain l’air de la Belle Gabrielle ; on ne laisse qu’un instant la perspective du couronnement, et comme on laisse la toile, se fait entendre une salve de canons.