Edme Boursault
Representée par les Comediens du Roy.
M. DC. LXXXXIV.
AVEC PRIVILEGE DU ROY.
Édition critique établie par Florence Maine sous la direction de Georges Forestier (2001)
Introduction §
La plupart des historiens et critiques du théâtre classique s’accordent à dire que, si Boursault est resté dans les mémoires, c’est plutôt à titre de témoin des grands événements littéraires de son temps, qu’à celui de véritable acteur. Ainsi, personne ne s’étonne de constater que des dramaturges fameux, tels que Racine et Corneille, ou d’autres presque autant admirés au XVIIe siècle, tels que Boyer, Quinault et Thomas Corneille, l’aient largement dépassé en notoriété. Si Boursault intéresse encore aujourd’hui, c’est le plus souvent pour son œuvre comique. Ses deux seules tragédies n’ayant pas connu de retentissement extraordinaire, elles sont vite tombées dans l’oubli. Nombreux sont ceux qui ont critiqué leur intrigue, leurs caractères, ou bien leur versification.
En ce qui concerne Germanicus, c’est surtout ses conditions de création, bien plus que la pièce elle-même, qui offrent la possibilité d’une étude approfondie, mais aussi le fait qu’elle semble assez représentative de l’esthétique classique dans son ensemble. Tirant son sujet de l’Antiquité romaine, elle ne comporte rien de particulièrement original. On y retrouve un style, des thèmes et des influences déjà maintes fois observés ailleurs. Néanmoins, malgré quelques éléments médiocres, elle ne méritait certainement pas d’être oubliée comme elle l’a été, et il faut lui reconnaître des qualités, comme le soin de la langue (car Boursault avait à cœur de perfectionner son style), la précision du vocabulaire, ou encore le souci du respect des règles classiques de vraisemblance et de bienséance. Ceci fait qu’au final, cette pièce est tout simplement agréable à lire.
L’auteur §
Sa vie §
On situe la date de naissance d’Edme Boursault au début du mois d’octobre 1638 (entre le 1er et le 4). Il nait à Mussy-l’Evêque, en Champagne, dans une grande famille bourgeoise. Son père, Nicolas Boursault, est tour à tour militaire (même si aucun document ne le prouve), greffier de l’élection, notaire apostolique, échevin, administrateur de l’hôpital... Il trouve peu d’intérêt à donner une éducation de base à son fils, préférant dépenser son argent à ses propres plaisirs. Ainsi, il ne prend pas la peine de lui faire faire des études, de lui apprendre le latin, et néglige le reste de son apprentissage. Quant à sa mère, elle ne quittera pas sa ville et mourra probablement très tôt.
En 1651, Boursault gagne Paris, grâce au soutien de l’Evêque de Langres, Sébastien Zamet. Il réussit à perfectionner sa connaissance de la langue française, car jusqu’alors, il ne parlait encore que son patois régional, en sorte qu’en moins de deux ans il saisit « toutes les subtilités » de celle-ci. On date parfois ses premières œuvres de cette époque. La plupart de ses biographes réfutent cette affirmation, prétendant que ce serait lui prêter un talent précoce qui ne lui correspond pas (il est âgé d’à peine quinze ans). Dès 1653, il devient l’ami et le disciple des frères Corneille, avec lesquels il entretient une correspondance, et tisse des liens précieux avec l’épicurien Desbarreaux, qui est le seul à percevoir ses talents de poète. En 1660, il trouve une place de secrétaire des commandements chez la duchesse d’Angoulême, veuve de Charles de Valois, et commence ce que Taillandier appelle « son commerce épistolaire1 ». Déjà, Boursault fréquente cercles et salons littéraires et cumule de nombreux protecteurs, dont le duc de Montausier, le prince de Condé, le maréchal de Noailles, le maréchal de Créqui, le duc de Saint-Aignan, Charles Perrault, etc. Lors d’un voyage à Sens, en 1661, il en fait des récits si drôles et si fins dans des lettres à sa maîtresse, qu’elle les montre partout à la cour et l’encourage à continuer.
C’est alors qu’à l’imitation de Loret, il crée une gazette burlesque en vers, qui plait tellement au Roi que celui-ci demande de lui en apporter un exemplaire chaque semaine, moyennant une pension de deux mille livres, avec « bouche à la cour ». Les courtisans l’apprécient beaucoup, en particulier Condé, la grande Mademoiselle, la duchesse d’Enghien, Louvois, Fieubet, Turenne... Malheureusement, un jour en manque d’inspiration, il emprunte une anecdote au duc de Guise, dans laquelle une brodeuse s’amuse à coudre la barbe d’un religieux, endormi sur le métier à tisser, à celle d’un Saint-François commandé par les Capucins du Marais. Ceci fait beaucoup rire le Roi et la Reine, pourtant très pieuse, mais pas son confesseur, un cordelier espagnol, qui ordonne qu’on l’enferme à la Bastille. Boursault en réchappe de justesse grâce au chancelier Séguier qui lui laisse le temps d’écrire une lettre au prince de Condé. Ce dernier obtient du Roi la révocation de l’ordre d’internement à la Bastille, mais la pension et le privilège de la gazette sont retirés.
Il continue cependant d’écrire pour quelques privilégiés : Condé, l’Evêque de Langres, le conseiller d’état Fieubet, la grande Mademoiselle, etc. La nouvelle se répand à la cour et beaucoup tentent de s’y « abonner ». En 1665, à la mort de Loret, il est poussé par Corneille et Quinault, à demander à la Reine la suite de son privilège face à un certain nombre de gens de lettres également candidats, en vain : le successeur avait déjà été désigné. En 1688, il obtient un nouveau privilège pour une gazette mensuelle dédiée au duc de Bourgogne, à laquelle il donne le nom de Muse enjouée, et qui paraît tous les mois. Il la perd elle aussi, pour avoir publié quelques vers contre Guillaume d’Orange, au moment où le Roi négocie la paix avec l’Angleterre. En effet, on vient de frapper une monnaie à Londres, sur laquelle sont gravés les visages des Rois de France et d’Angleterre avec l’inscription : « Ludovicus magnus ; Guillelmus, maximus2 ». Boursault commente ceci par :
Et quand Louis est grand par de grandes vertus,
Si Guillaume est très grand, c’est par de très grands crimes3.
Le Roi explique sa réaction : il n’y a rien de personnel contre l’écrivain, mais des « raisons supérieures qui lui étaient étrangères4 ».
Après sa première expérience en tant que journaliste, Boursault se tourne vers le théâtre. On lui prête plusieurs œuvres de jeunesse, qui n’ont rien d’original. En 1663, sans doute influencé par ses relations (il se range du côté du théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, rival de la troupe de Molière), il se fait connaître en attaquant Molière dans sa pièce Le Portrait du peintre ou la contre-critique de l’Ecole des femmes, car il a cru se reconnaître dans La Critique de l’Ecole des femmes, dans le personnage de Lysidas, un poète ridicule et pédant. Bien que la comédie ne s’en prenne pas directement à lui, Molière riposte de manière véhémente avec L’Impromptu de Versailles. Dans une scène, on vient avertir les dames que les comédiens de l’hôtel de Bourgogne vont jouer : « C’est un nommé Br... Brou... Brossaut qui l’a faite ». Et le poète Lysidas rectifie : « Monseigneur, elle est affichée au nom de Boursault (...) et pour rendre sa défaite plus ignominieuse, nous avons voulu choisir tout exprès un auteur sans réputation5. » À cette nouvelle offense, le poète répond par un avis rajouté à la publication de sa pièce. Cette histoire n’empêchera pas pour autant Boursault de louer Molière à la moindre occasion et de pleurer la mort du grand dramaturge. Les contemporains attestent que, en dépit de son esprit facile et toujours prêt à riposter, il admire sincèrement tous les auteurs qu’il conteste.
C’est peut-être pour venger son ami Molière que Boileau le fait apparaître plus tard dans sa septième satire (publication en 1666), le citant parmi d’autres « froids rimeurs », puis dans sa neuvième en 1669 :
Que vous ont fait Perrin, Bardin, Mauroy, BoursaultColletet, Pelletier, Titreville, QuinaultDont les noms en cent lieux, placés comme en leurs nichesVont de vos vers malins remplir les hémistiches ?Ce qu’ils font vous ennuie ? O le plaisant détour !Ils ont bien ennuyé le Roi, toute la cour6 !
Et plus loin :
Puisque vous le voulez, je vais changer de style.Je le déclare donc : Quinault est un Virgile,Boursault comme un soleil en nos ans a paru7.
Notre auteur écrit en retour, La Satire des satires, publiée en 1669, mais qui ne sera jamais représentée. Boileau la fait interdire sur scène par le Parlement, dès qu’il voit les affichages annonçant la représentation. Pourtant, elle ne contient rien qui pourrait lui nuire ; sa préface lors de la publication demeure tempérée. Les soins du jeune frère de Boileau, membre de l’Académie, pour éviter que son nom y paraisse, sont donc inutiles. Boursault aime beaucoup le travail du satiriste, mais refuse que la poésie serve à des attaques personnelles. Néanmoins, aucun n’en gardera rancune, puisque Boileau enlèvera rapidement le nom de ce poète de ses Satires pour le remplacer par Pradon, Perrault puis Hernault, et à la fin de sa vie, se montrera reconnaissant du soutien que lui apportera celui-ci quand il se retrouvera financièrement dans le besoin, en cure aux bains de Bourbon-l’Archambault. On en a un témoignage dans une lettre de Boileau à Brossette : « Monsieur Boursault est, à mon sens, de tous les auteurs que j’ai critiqués, celui qui a le plus de mérite8. »
Quant à Racine, Boursault se permet d’ironiser sur la première de Britannicus, dans le prologue d’ Artémise et Poliante en 1670 : il dit louer les deux premiers actes, mais commence à s’ennuyer dès le troisième. Son admiration profonde pour Corneille, adversaire de Racine que Boursault place plus haut que tout, y est probablement pour quelque chose. L’affaire n’a pas de suite.
Enfin, lorsque Boursault publie le premier volume de ses Pièces de théâtre en 1694, il insère en guise de préface, la « Lettre d’un Theologien illustre par sa qualité et par son merite, consulté par l’auteur pour sçavoir si la Comedie peut estre permise, ou doit estre absolument deffenduë », rédigée anonymement par le père Caffaro, à sa demande, ce qui déclenche le dernier (et peut-être le plus violent) épisode de la « querelle de moralité du théâtre ». Bossuet, en particulier, lui adresse ses remarques et fait même paraître un contre-point de la lettre dans ses Maximes et réflexions sur la comédie. Mais, il ne critique pas directement Boursault. L’archevêque demande une réparation publique au père.
Il écrit une œuvre destinée à l’éducation du jeune dauphin, La Véritable Etude des souverains en 1671. Le Roi qui a apprécié cet ouvrage, lui offre la possibilité de seconder le duc de Montausier, en tant que sous-précepteur du duc de Bourgogne. On ne sait si c’est Boursault qui refuse en raison de son manque de culture, ou si c’est le Roi qui revient sur sa décision. En tout cas, Daniel Huet est choisi à sa place. En effet, à cette époque, le latin et le grec sont indispensables pour devenir professeur. C’est sans doute comme dédommagement qu’on lui propose le poste de receveur des tailles à Montluçon. L’écrivain marié depuis peu avec Michèle Milley (en 1666), part en province. Ce travail, Boursault l’exerce sans conviction : il se met plutôt du côté des taillables que des receveurs, comme le prouve la lettre du 24 juin 1688 qu’il envoie au fermier général Lejariel, dans laquelle il expose la situation des plus pauvres et lui demande pitié. Il met à profit son séjour pour se consacrer à l’écriture de comédies et pour élever ses enfants autrement qu’il l’a été (il en aura douze en tout). Il est révoqué quelques années plus tard, en 1688.
En 1683, La Comédie sans titre ou Le Mercure galant d’abord donnée sous le nom de Poisson, ami de Boursault, se moque des personnages foisonnant autour du célèbre journal, sans toutefois porter atteinte à la parution elle-même. À la suite d’une plainte de Donneau de Visé, son créateur et son directeur depuis 1672, le titre Mercure galant est changé en Comédie sans titre. Boursault connaît encore quelques succès avec, entre autres, ses deux plus fameuses comédies : Les Fables d’Esope et Esope à la cour. Cette dernière n’est représentée qu’après la mort de son auteur, en 1701.
Il est encore très actif, lorsqu’il tombe malade à l’âge de soixante-trois ans. Il survit presque une semaine à une opération délicate et meurt à Paris le 15 septembre 1701. Après une dernière confession à son fils Chrysostome (il ne lui reste plus que trois enfants : Chrysostome, théatin, Claude, capitaine, et Marie, religieuse), il est enterré au cimetière des Théatins. Il est regretté du public et de tous ses amis, parmi lesquels il a compté Chapelain, De Scudéry, Pélisson, Tallemant, Quinault, Richelet, Ménage, Raisin, Charpentier, Furetière...
Il a eu surtout des rapports privilégiés avec les deux frères Corneille. Thomas lui aurait d’ailleurs suggéré de se présenter à l’Académie, ce que l’écrivain n’aurait pas pris au sérieux, se croyant ignare, et Pierre le considérait comme son fils. Richelet lui envoie ces quelques vers pour mettre au bas de son portrait en cours de réalisation :
Voiture, Sarrazin, La Fontaine, Molière, (...)L’homme à qui ce portrait ressemble,Sans étude, lui seul, a les diverses talentsQu’avec tant de savoir vous aviez tous ensemble9.
Boursault est reconnu pour ses grandes qualités de cœur et d’esprit. Beaucoup de gens admettent que les démêlés avec ses rivaux proviennent le plus souvent de malentendus, qu’il s’agit de représailles plus que d’attaques, et que la plupart d’entre eux se réconcilient rapidement avec lui. Appartenant au cercle des modernes, il s’est souvent laissé entraîner par ses amis contre des écrivains, pour lesquels il n’avait au départ aucune animosité.
Son œuvre §
L’œuvre de Boursault peut être divisée en deux parties : ses écrits légers (gazettes, farces, romans), et ceux plus matures de la fin de sa vie, à partir de son installation à Montluçon (comédies plus élaborées). Elle se distingue surtout en ce qu’elle regroupe des genres extrêmement variés.
Théâtre §
Boursault n’a écrit que seize pièces de théâtre, ce qui est peu par rapport aux autres dramaturges de son temps (Racine mis à part). Il commence par quelques courtes comédies tirées de pièces espagnoles et italiennes, qui ne sont que de vagues imitations des grands auteurs admirés par Boursault. On peut citer comme oeuvres de jeunesse : Le Médecin volant représenté en 1661, publié en 1665, Le Mort vivant, Les Cadenas ou le jaloux endormi publiés en 1662, et Les Nicandres ou les menteurs qui ne mentent point en 1664.
En 1665, il compose une pastorale inspirée d’un petit poème de l’abbé de Cérisy qui court alors dans les salons, La Métamorphose des Yeux de Philis changez en astres. En 1694, il écrit les paroles pour un opéra commandé par une dame qui projette de montrer cette pièce au Roi. Son projet échoue, car la commanditaire refuse qu’on la mette en musique, après que sa surprise a été dévoilée. Néanmoins la tragédie lyrique Méléagre est représentée. Il en est de même pour La Fête de la Seine (1690), qui sert de divertissement lors d’une soirée à Asnières donnée par la duchesse de Brunswich.
Mais, Boursault se fait surtout connaître par les partis qu’il a pris contre les plus éminents écrivains de son siècle. Comme nous l’avons dit précédemment, il s’est successivement affronté à Molière, Boileau, Racine, et indirectement à Bossuet, ce qui donna lieu à la création de pièces satiriques ou de préfaces, dans lesquelles il revendique ses opinions, successivement : Le Portrait du peintre ou la contre-critique de l’Ecole des Femmes en 1663, La Satire des satires en 1669, la préface d’Artémise et Poliante en 1670.
Boursault s’essaie aussi à la tragédie. Avec Germanicus (en 1673), il a le succès qu’il n’aura pas en 1683 avec sa seconde pièce tragique, Marie Stuart, le public préférant les sujets plus antiques. C’est peut-être à cause de cet échec qu’il ne fera pas d’autre tentative dans ce genre-là. En 1691, Phaëton n’a pas le succès escompté, par contre, Les Mots à la mode est plutôt bien accueillie en 1694. La même année que Marie Stuart, il connaît un succès considérable avec Le Mercure galant ou La Comédie sans titre, qui prend le bureau d’un grand journal comme prétexte au défilé de personnages cocasses.
Les Fables d’Esope, rebaptisée ensuite Esope à la ville, instaure un nouveau genre : la transcription sur scène de fables en comédies héroïques. C’est un succès phénoménal : elle est jouée plus de quatre-vingt fois de suite en 1690 et est traduite en Angleterre, en Allemagne, en Italie, etc. Le seul précédent est le Timocrate de Thomas Corneille. Le second volet, Esope à la cour, n’est représenté qu’après la mort de son créateur, le 16 décembre 1701. Ces trois dernières pièces sont restées longtemps au répertoire du théâtre de l’époque et comptent parmi ses plus grands chefs d’œuvre.
Romans §
Il s’agit plus exactement de nouvelles historiques, Le Marquis de Chavigny et Artémise et Poliante en 1670, et Le Prince de Condé en 1675. Elles sont écrites pour le beau monde, dont Boursault est « l’amuseur et le confident10 ». Faites pour plaire, elles se rapprochent du mélodrame, avec encore une incertitude quant à leur vérité historique. Dans un style différent, Ne pas croire ce qu’on voit, souvent attribué à Scarron, est publié en 1670.
Essais §
On n’en recense qu’un seul : La Véritable Etude des souverains en 1671, qui est dédié au tout jeune dauphin, et qui se veut comme une démonstration de l’utilité d’une bonne éducation morale. Boursault va chercher ses exemples loin dans l’histoire, sans vouloir flatter à tout prix le monarque actuel, qui trouve d’ailleurs cet ouvrage très plaisant.
œuvres en vers §
Elles ne sont pas nombreuses : une Ode au Roi, Les Litanies de la Sainte Vierge imprimée pour la seconde fois en 1667, parmi quelques autres vers de dévotion.
Correspondances et romans épistolaires §
Cela représente la majorité de son œuvre, et selon certains, sa correspondance personnelle constituerait un témoignage précieux de l’époque classique. « Ecrivain mondain », il réalise de véritables « bulletins politiques11 », tenant ses amis au courant de l’actualité de la cour : la disgrâce de Fouquet, la naissance du duc de Bourgogne, l’avènement au trône du Roi de Pologne, etc. De plus, ses lettres sont garnies de vers, de fables, de contes, d’épigrammes, ainsi que de réflexions en tout genre. Beaucoup d’entre elles sont des correspondances échangées avec l’Evêque de Langres. S’y trouvent encore une lettre adressée à Pélisson dans laquelle il assure sa fidélité à Fouquet lors de sa disgrâce, une autre à la mort de la femme du duc de Montausier, qui se montrera particulièrement touchée par son attention, et bien d’autres. Elles sont rassemblées pour leur publication sous le titre Lettres nouvelles de Monsieur Boursault (1697).
Les romans épistolaires ont été publiés dès 1666 : Lettres de respect, d’obligation et d’amour connues aussi sous le nom de Lettres de Babet (1666), et les Treize Lettres amoureuses d’une dame à un cavalier. Toutes ont été éditées en 1738 dans un recueil de lettres.
Gazettes §
Toujours manuscrites par leur auteur, elles n’ont jamais été publiées.
Genèse de la pièce §
Réception de la pièce §
Germanicus a été représentée dès le 25 mai 1673 au théâtre du Marais. Elle est jouée deux fois, avant la fermeture de cette salle en juin 1673 (ce sera d’ailleurs la seule tragédie à y être donnée cette année-là), car une ordonnance est signée, interdisant à la troupe du Marais de continuer à y travailler. Cette dernière fusionne alors avec la troupe de feu Molière, et la nouvelle compagnie s’installe au théâtre Guénégaud. Elles décident de poursuivre ensemble les reprises de notre pièce, afin de pouvoir payer les 1300 livres déjà engagées. Onze représentations y ont lieu, échelonnées entre le 13 octobre 1673 et le 28 juin 167612. Elles marquent les débuts de La Guyot dans un second rôle, Livie, alors que La Dupin, déjà célèbre, tient le rôle féminin principal d’Agripine. La pièce est plutôt bien accueillie, selon les biographes de Boursault ; ce n’était pas le cas avec la première version. Boursault ne retrouvera pas non plus un tel succès avec Marie Stuart, son autre tragédie.
Germanicus est publiée tardivement (plus de vingt ans après sa première représentation), en 1694, à Paris chez Jean Guignard. Le privilège est accordé le 2 décembre 1690, et la pièce est achevée d’être imprimée le 14 novembre 1693.
Une illustration signée « Stern graveur » y apparaît en page II. Elle représente un soleil à visage humain qui éclaire de ses rayons un grand livre ouvert, posé debout dans les herbes. Au premier plan, une colonne est couchée, enroulée dans une banderole sur laquelle est inscrit « libro liber13 ». À côté de celle-ci, un crâne humain et un os sont posés sur une chaîne dont le dernier maillon est cassé. De l’autre côté du livre, une roue crantée est plantée dans l’herbe. Derrière elle, une botte de blé est liée, une faucille glissée dans le nœud. Une petite étoile surmonte toute la scène.
L’auteur rajoute également à son texte une préface dédiée au Cardinal de Bonzi, aumônier de la Reine, grand personnage de son temps, dont il recherchait sans doute la protection. Dans un avis au lecteur, il raconte également une anecdote certainement véridique d’une dispute entre Corneille et Racine au sujet de cette pièce. Effectivement, le grand Corneille, ami et protecteur de Boursault, aurait loué Germanicus au beau milieu de l’Académie, ajoutant même qu’il ne lui manquait que le nom de Racine pour être tout-à-fait parfaite. Evidemment, Racine l’a mal pris et a tout fait pour critiquer la tragédie.
Toujours en 1694, une édition du théâtre complet de l’auteur (Pièces de théâtre de Monsieur Boursault) chez Jean Guignard, comprend également ce texte, au milieu d’autres tels que : Marie Stuart, La Comedie sans titre, Phaëton, Méléagre et La Feste de la Seine, avec la lettre du père Caffaro sur la comédie. Il s’agit d’un fac-similé, c’est pourquoi on y trouve la même date d’achevé d’imprimerie, les mêmes coquilles, les mêmes ornementations... Une réimpression sur le même privilège, et sans aucune modification, est faite en 1701, chez Jean et Michel Guignard.
Des éditions ultérieures corrigées auront lieu, mais toujours dans des recueils collectifs posthumes : Oeuvres de Monsieur Boursault contenant les pièces de théâtre chez Duvillard et Changuion en 1721 à Amsterdam (dans laquelle est reproduit un frontispice pour Germanicus, représentant la scène du meurtre de Pison), Le Théâtre de feu Monsieur Boursault en 1725, Edme Boursault, Théâtre choisi réalisé par Victor Fournel en 1883.
Cette pièce, bien qu’elle connût un vaste succès, est très diversement appréciée des écrivains contemporains et des biographes de Boursault. Nous avons rassemblé ici quelques citations la concernant.
S’il a échappé à Corneille de dire ce que Boursault vient de rapporter au sujet de la tragédie Germanicus, il faut croire que l’envie de mortifier Monsieur Racine fut des plus marquée, car rien ne peut soutenir le jugement que ce grand poète a porté de cette pièce, soit qu’on en considère le plan, la conduite, la peinture des personnages, et la versification14. (Parfaict)
Quoique médiocre, elle eut un grand succès : Pierre Corneille y contribua par l’éloge outré qu’il en fit, dont Racine fut si offensé qu’il se brouilla avec ce grand homme15. (Mouhy)
« Ses tragédies décèlent une âme ferme, élevée et capable de manier les plus grandes passions16. » « Si cette tragédie n’est pas digne de l’éloge de Corneille, si elle est inférieure aux chefs d’œuvre de Racine, elle mérite, du moins, d’être mise au rang de celles qu’on lit encore avec plaisir17. » (Abbé de La Porte)
Il ne faut pas parler de ses tragédies, qui sont entièrement oubliées, et qui doivent l’être, quoique son Germanicus ait eu d’abord un si grand succès, que Corneille l’égalait aux tragédies de Racine18. (La Harpe)
Beaucoup de longues tirades, de belles conversations, de belles maximes, tous les raffinements de la galanterie et toutes les complications du sentiment, des concetti, des antithèses, des dissertations sentencieuses et de subtiles analyses. (...) Du ton de la haute comédie, Boursault s’y élève parfois au langage tragique. Ses vers ont généralement de l’aisance, de la souplesse et de l’harmonie. Il en a de très beaux, vraiment dignes de Racine. Par malheur, son talent demeure toujours inégal, avec des impropriétés de termes, des obscurités, des défaillances, et son goût peu ferme et peu sûr19. (Fournel)
La descripition des caractères dans Germanicus laisse beaucoup à désirer. Ni le style précieux d’Agripine, ni les caractères indescriptibles de Drusus et Germanicus ne peuvent éveiller un intérêt chez le lecteur. L’expression de la passion a quelque chose de lourd et d’artificiel. Une figure sympathique, c’est Pison. (...) Le dénouement de la pièce est en rien moins tragique, car elle se conclut sur la satisfaction générale avec la promesse de deux mariages. (...) Plus intéressant que la pièce elle-même, c’est sa genèse20. (Grawe)
Germanicus est la première tragédie de Boursault, finie en 1673, publiée en 1694, valorisée grâce au rôle de Pison, qui mène l’action à sa propre destruction. Tibère, étonnamment suffisant, n’apparaît pas sur scène. Les autres personnages sont insuffisamment actifs, et le style est gâté par le maniérisme21. (Lancaster)
Ses tragédies [de Boursault] sont les décalques de celles de son ami Corneille et son ennemi Racine. Germanicus n’est guère autre chose que La Princesse de Clèves remaniée22. (Brun)
Son côté léger le rend d’ailleurs incapable pour la tragédie, puisque celle-ci exige une pénétration dans les émotions et une haute conception des sentiments et des conflits, dans lesquelles l’âme humaine peut se retrouver. (...) Dans le contenu, Germanicus présente une imitation de tragédie classique, une imitation qui ne peut pas s’élever à la prétention de remplacer l’œuvre de Corneille ou de Racine23. (Hoffmann)
Sources §
Pour sa première tragédie, appelée à l’origine Les Amours de Germanicus, Boursault a choisi un personnage de l’Antiquité, qui se prête parfaitement à cet exercice, et qui n’a jamais été l’objet d’une pièce auparavant. Pour un tel sujet, il est allé puiser des éléments chez les historiens latins, en particulier chez Tacite. Une partie de son fameux ouvrage Les Annales traite aussi de cette période. L’ennui, c’est qu’il ne s’agit que des faits politiques et des guerres, alors que dans notre tragédie, tout cela est laissé de côté au profit des intrigues amoureuses. Il n’en est évidemment pas question dans l’œuvre de Tacite. Néanmoins, certains détails peuvent correspondre dans la pièce, comme dans le récit historique. C’est à ce moment-là que se pose le problème de la vérité historique de Germanicus.
Avant de commencer notre comparaison, un rappel des grands traits de l’histoire romaine s’avère indispensable. Les événements se déroulent sous le Haut-Empire, c’est-à-dire au début du premier siècle ap. J.-C. Le personnage principal, Germanicus, qui tient ce surnom de son père, ancien vainqueur en Germanie, est un général romain très populaire qui s’est illustré dans son combat contre les peuples germains. Il obtient le consulat bien avant l’âge légal. Envoyé par l’empereur pour calmer les rebellions des soldats qui s’étaient soulevés en apprenant la mort d’Auguste, il se voit confier la garde du Rhin et remporte aussi de belles victoires sur le chef Arminius, entre autres. Il fait après ces actes de courage un retour en triomphe à Rome. Victime d’un assassinat probablement orchestré par l’empereur lui-même, il est beaucoup pleuré à sa mort, car très apprécié du peuple. Pison est en effet, accusé de l’avoir empoisonné sur l’ordre de Tibère, alors que Germanicus était en Orient, envoyé par l’empereur qui, le considérant comme un rival, le tenait éloigné du trône.
Tibère, successeur d’Auguste, est le troisième empereur de la dynastie des Julio-claudiens, et le deuxième des douze Césars, connu pour sa cruauté, son avarice et son intolérance. Il réussit cependant à faire régner la paix tout au long de son règne. Il est forcé par son beau-père et père adoptif, Auguste, d’épouser Julie, veuve d’Agripa, et d’adopter Germanicus, son neveu, ce qui lui permet d’accéder au trône. Il a de son premier mariage avec Julie, un garçon, Drusus. Drusus est aussi le nom de son frère, père de Germanicus et de Livie, les enfants qu’il a eus avec Antonia, qui lui, n’apparaît pas dans la pièce.
Agripine, quant à elle, est une descendante directe d’Auguste, fille d’Agripa et de Julie. Surnommée, « Agripine l’ancienne », pour ne pas être confondue avec sa future fille, « Agripine la jeune », qu’on retrouve dans le Britannicus de Racine, elle aura également un garçon de Germanicus, le futur empereur Caligula.
Le confident Pison, enfin, n’est pas celui qui sera accusé du meurtre de Germanicus en 19, mais (comme il est mentionné dans la pièce) son frère avec qui il partage le surnom de sa famille, la « gens Calpurnia ». Par ailleurs, aucune allusion n’est faite à lui, que ce soit dans les ouvrages encyclopédiques, ou dans des textes de l’Antiquité. Il n’est pas impossible qu’il soit tout droit sorti de l’imagination de l’auteur.
Procédons maintenant à la vérification des faits historiques dans la pièce. Tout d’abord, on peut noter que Boursault change quelques faits dans l’intérêt de son intrigue. En réalité, Germanicus est déjà marié à Agripine lorsque Tibère monte sur le trône. L’auteur repousse ce mariage dans le temps, sinon toute l’action de sa tragédie s’effondre : ou bien Tibère n’est pas encore sur le trône, et il n’a pas les moyens de faire pression sur le couple ; ou bien, les amants sont déjà mariés, et se pose alors le problème de l’adultère. De même, Boursault invente de toutes pièces le sacrifice du confident, qui meurt des propres mains de son frère pour son maître, l’assassin présumé de Germanicus. Cela lui permet de sauver son héros, tout en se débarrassant de Pison, le soupirant d’Agripine, en introduisant une note plus véritablement tragique. Le reste est vrai : l’union de Drusus et Livie se retrouve dans les faits, celle d’Agripine et de Germanicus aussi, mais plus tard, le probable complot de Tibère contre ce général, etc. Toutes les modifications apportées par l’auteur ne sont, par conséquent, pas gratuites. Le choix d’un pareil sujet antique lui offre en outre un décor établi, une action motivée, et la profusion de détails historiques (concernant les combats de Germanicus en Germanie, par exemple) donne sans doute plus de réalisme, tout en suivant l’idée qui veut que le sujet soit éloigné dans le temps ou dans les lieux.
Certaines hypothèses viennent s’ajouter à la genèse de la pièce. Selon quelques biographes de Boursault, Germanicus serait la version définitive d’une autre tragédie de l’auteur, une pièce « mort-née24 », La Princesse de Clèves, qui n’a pas été imprimée, bien que Taillandier prétende le contraire, mais seulement jouée les 20 et 23 décembre 1678. Certes, il ne semble y avoir aucun lien entre les deux sujets. Pourtant, la correspondance de Boursault, elle-même, appuie cette thèse. Il s’agit d’une « lettre à la marquise de B. sur l’indigence du théâtre », datant de 1697, qui précise : « Je ne vois rien dans notre langue de plus agréable que le petit roman de La Princesse de Clèves. (...) J’en fis une pièce de théâtre, dont j’espérais un si grand succès, que c’étoit le fond le plus liquide que j’eusse pour le payement de mes créanciers, qui tombèrent de leur haut, quand ils apprirent la chute de mon ouvrage. (...) Je les satisfis l’année suivante ; et comme La Princesse de Clèves n’avait paru que deux ou trois fois, on s’en souvint si peu un an après que, sous le nom de Germanicus, elle eut un succès considérable25 ».
Notre tragédie serait alors une transposition dans l’Antiquité d’une histoire située au XVIe siècle. La version moderne ayant été refusée par les comédiens, Boursault l’aurait remise au goût du jour. Tout pourrait s’arrêter là. Mais, des difficultés dans la concordance des dates s’imposent à nous. Si Germanicus est représenté pour la première fois en 1673, selon les indications de Chappuzeau et du registre de La Grange26, La Princesse de Clèves, qui s’inspire d’un roman de Madame de Lafayette sorti seulement en 1678, n’a pu être refusée un an avant. Il est donc impossible que la première version de notre pièce soit donnée avant même que son modèle n’ait été écrit. Là-dessus, plusieurs suppositions sont avancées.
Victor Fournel est persuadé qu’en écrivant à la marquise de B., Boursault s’est trompé : en voulant écrire La Princesse de Montpensier, une nouvelle de Madame de Lafayette parue en 1660, il a écrit La Princesse de Clèves. Ce lapsus est d’autant plus convaincant que notre tragédie antique a un certain nombre de points communs avec cette nouvelle, tant dans l’intrigue que dans la psychologie des personnages. Germanicus et La Princesse de Clèves sont, d’après Fournel, deux pièces de Boursault totalement indépendantes l’une de L’autre. La première est jouée dès 1673, quand la seconde l’est en 1678, toujours d’après le registre de La Grange. De plus, dans le prologue que l’auteur rédigera à la publication de cette dernière, le dialogue entre Melpomène27 et la Renommée laisse sous-entendre que Molière est mort depuis longtemps28 (« depuis combien de temps... »), ce qui n’est pas recevable si la pièce est donnée avant 1673.
Ludwig Grawe, auteur d’une étude sur Boursault, énonce une autre possibilité, approuvée plus tard par Hoffmann. Les deux critiques affirment que le manuscrit du roman de madame de Lafayette déjà terminé, aurait circulé dans les salons et les cercles littéraires, bien avant sa publication, ce qui se faisait couramment à l’époque. D’ailleurs, une lettre de Madame de Sévigné du 16 mars 1672 démontre que ce fut le cas : « Je suis au désespoir que vous avez eu Bajazet par d’autres que par moi : c’est ce chien de Barbin, qui me hait, parce que je ne fais pas des Princesse de Clèves et de Montpensier29 ». Le roman était connu avant sa publication. Boursault, qui fréquentait ces milieux, en aurait donc pris connaissance et s’en serait inspiré pour sa tragédie. Si les dissemblances entre les deux sont frappantes, on se rend vite compte que le thème fondamental de Germanicus, la lutte d’une femme prise entre l’amour et le devoir, absent dans La Princesse de Montpensier, est au fondement de La Princesse de Clèves. En conséquence, La Princesse de Clèves a donc bien servi de trame pour la première ébauche de la tragédie de Boursault, qui, à la suite d’un refus en 167230 au plus tard, a été remaniée selon les goûts du public de l’époque dans un style « antiquisant ». Sous sa nouvelle forme, Germanicus a connu un succès incomparable. Comme l’auteur le dit lui-même en conclusion dans la lettre à la marquise de B. : « Quoique la Seine soit plus abondante, et roule une plus belle eau que le Tibre, elle n’a pas tant de grâce dans la Poësie ; et vous m’avouerez qu’Amiens, Abbéville, Rouen (...) n’ont rien de si héroïque que Rome, Albe, Cartage, Numance, Athènes et Corinthe31. » La thèse de Grawe apparaît finalement comme la solution la plus vraisemblable.
Autres adaptations du même sujet §
Lorsque Boursault écrit son Germanicus, personne d’autre n’en a fait un auparavant. Aussi est-il étrange d’en trouver un double à la même époque. On trouve effectivement un Germanicus de Crosnier, publié à Leyde chez Félix Lopez à la toute fin du dix-septième siècle. Il y a inséré une dédicace au secrétaire de la ville d’Amsterdam, Monsieur de Maasseveen, le présente comme « le fruit de ses veilles », et parle « des applaudissements qu’il a reçus »32. Mais, après analyse du texte, on s’aperçoit qu’il ne s’agit ni plus ni moins d’un plagiat. Crosnier, ayant vu le succès de la pièce de Boursault, a voulu s’en attribuer le mérite. Ce n’est, paraît-il, pas la seule fois qu’il envia les œuvres d’autrui, et qu’il en tira les avantages.
D’autres Germanicus, cette fois originaux, ont été créés peu après Boursault. Pradon, un de ses contemporains, n’eut absolument aucun succès avec le sien. Celui-ci aurait été donné six fois, du 22 décembre 1694 au 5 janvier 1695, et aurait fait très peu d’entrées. C’est pourquoi il ne fut pas imprimé et est désormais perdu. On l’ignorerait complètement si les registres de théâtre ne la mentionnait pas, et si Racine n’avait pas écrit un épigramme à son sujet :
Que je plains le destin du grand Germanicus !Quel fut le prix de ses rares vertus !Persécuté par le cruel Tibère,Empoisonné par le traître Pison.Il ne lui manquoit plus, pour une dernière misère,Que d’être chanté par Pradon33.
Dominique de Colonia écrivit un Germanicus, publié en 1697, qui suit précisément la réalité historique, et s’apparente davantage à une tragédie politique. La seule modification concerne le lieu de la mort de Germanicus : dans cette pièce, il agonise à Rome, alors qu’en fait cela se passa en Orient, à Antioche. De nouveaux caractères sont aussi ajoutés au Germanicus de Boursault : Julie, la femme de Tibère, Cinna, gouverneur de Rome, et Pison, gouverneur de Syrie ainsi qu’homme de main de Tibère. Tous les personnages présents sont importants et connus du public par leur histoire, autrement dit il n’y a pas de confident. La tragédie commence quand Germanicus est de retour à Rome, après trois ans passés en Germanie, et qu’il vient y rejoindre Agripine, avant de repartir en Orient. Contrairement à notre pièce, il ne rentre pas chez lui en secret de Tibère, et ce dernier ne monte pas ouvertement de complot contre lui. Ce sont Pison et Julie qui sont chargés de le faire assassiner. Le premier le fait par ambition, l’autre par amour pour son fils Drusus. Germanicus a Drusus et Cinna de son côté, qui tentent de l’avertir et de dissuader l’empereur. Tibère préfère tout de même l’envoyer en Orient, dans l’espoir de le faire tuer au combat, mais l’armée réclame Germanicus comme empereur. Pendant ce temps, une lettre de ce général aux chefs romains leur demandant de s’allier avec lui contre l’empereur, renverse le jugement de Drusus. Germanicus n’a plus que deux alternatives : mourir ou régner. Il menace alors de se tuer, si le peuple qui s’est soulevé ne se range pas aux ordres de l’empereur. Cela regagne la confiance de Drusus. Un banquet est finalement organisé chez Drusus pour féliciter les deux fils de l’empereur nommés cesars et consuls. Germanicus empoisonné par Pison, dépérit et refuse d’accuser Tibère devant Agripine. Drusus, qui ne veut pas croire à la culpabilité de son père, avale le même breuvage, et meurt en implorant son père qui, puni ainsi de ses crimes, devra protéger la famille de Germanicus. À la dernière scène, Cinna vient prévenir l’empereur que le peuple, l’armée et le Sénat, furieux, le cherchent pour le tuer, ce qu’ils ont déjà fait pour Pison. Il demande à Tibère de s’enfuir, comme Germanicus mourant, le lui a conseillé.
Enfin, Antoine-Vincent Arnault en écrivit encore une adaptation. Sa pièce est représentée le 22 mars 1817 et connaît deux éditions avec des variantes. L’histoire est sensiblement la même que celle du Germanicus de Colonia. D’autres personnages historiques ont été encore introduits : Séjan, ministre et favori de Tibère, Sentius-Saturnius, sénateur romain, Plancine, la femme de Pison, Marcus, son fils, et Véranius, ami de Germanicus. Cette fois, la scène se déroule à Antioche. Germanicus pressent dès le début ce qui se trame contre lui, et renvoie Agripine pour la protéger. Séjan, qui comme Sentius et Pison, veut l’assassiner, décide aussi de trahir son empereur. Germanicus prend des dispositions : il confie un message à Sentius à l’intention de Tibère, dans lequel il raconte le complot de Pison qui se trame contre lui, et demande à Véranius d’essayer d’arrêter les malfaiteurs. Pendant ce temps, le peuple vient réclamer la tête de Pison, lequel abandonne son projet et se livre à la justice, pardonné par Germanicus. Mais, c’est une ruse pour faire empoisonner le général. Marcus, qui est du côté de ce dernier, est au courant de tout et veut avertir son ami. La cérémonie de réconciliation entre Pison et Germanicus a lieu devant les sénateurs, présents en tant que témoins. Agripine, quant à elle, ne croit pas du tout au repentir de cet homme. Pison commence à flancher et à renoncer à détruire son ennemi, mais Plancine, qui a intercepté la lettre de Germanicus, écrite sous la colère, le convainc de nouveau à poursuivre leur stratagème. Ensemble, ils mettent au point l’empoisonnement, qui a cours lors du banquet de réconciliation. Mourant, Germanicus accuse le couple Pison-Plancine et demande qu’on les punisse. Séjan survient, et, à la grande surprise de Pison, ordonne son arrestation. Marcus tend alors une épée à son père, pour qu’il se tue.
Lancaster mentionne également l’existence d’une pièce de Griguette, La mort de Germanic Cesar, mais il nous a été impossible de trouver plus de renseignement à son sujet.
Comme on peut donc le constater, les autres tragédies traitant de la vie de Germanicus ne s’intéressent qu’à l’aspect politique de sa vie, et plus particulièrement à son assassinat, en raison de son statut de successeur au trône et de sa grande popularité auprès du peuple. En cela, elles diffèrent complètement de la pièce de Boursault, qu’on pourrait qualifier de tragédie galante, puisqu’elle ne s’attache presque exclusivement qu’à la conduite de ses amours. Le premier titre, Les Amours de Germanicus, était d’ailleurs beaucoup plus parlant. On ne peut donc établir aucun lien de filiation ou source d’inspiration entre la pièce de 1673 et les suivantes.
Analyse de la pièce §
Résumé de la pièce §
Acte I : La tragédie commence juste avant le retour de Germanicus à Rome. La scène d’exposition nous apprend que deux couples d’amoureux, Germanicus-Agripine et Drusus-Livie, vont être séparés à cause d’un ordre de l’empereur Tibère. En effet, celui-ci exige que son fils Drusus épouse la promise de Germanicus. Agripine, qui accepte de se plier à son commandement, demande à son futur mari de reporter la cérémonie d’un mois, le temps qu’elle se fasse à cette idée. Peu après, Pison, ami et intermédiaire du jeune couple, arrive avec des nouvelles fraîches de Germanie. Il ose lui avouer l’amour secret qu’il ressent pour elle. Agripine, furieuse, lui pardonnera son élan seulement en raison de la fidélité dont il a fait preuve jusqu’alors, et le renverra avec la promesse de ne plus en entendre parler.
Acte II : À l’acte suivant, Albin, le confident de Germanicus, vient annoncer le retour de son maître. Agripine est toujours amoureuse de ce dernier, même si son devoir la contraint à l’oublier. Il faut donc qu’il ne cherche pas à la rencontrer, et qu’il retourne vers son ancien amour, Emilie. Après de nombreuses hésitations et craignant une faiblesse de sa part, elle refuse de le revoir. Mais c’est trop tard, Germanicus arrive et elle doit se décider à le recevoir en cachette. Entre temps, Pison prétend avoir oublié ses sentiments pour Agripine. Elle lui demande par conséquent d’être présent à l’entretien, afin de s’assurer que le général sera éconduit, de la même manière qu’il l’a été. Dès que Germanicus apparaît, il se met à supplier son amante, puis lui reproche d’accepter ce mariage pour satisfaire son ambition, ou par amour pour Drusus. Agripine est blessée et se résout à ne plus jamais le revoir. À ce moment-là, on apprend la venue de Drusus. Germanicus fuit rapidement avec l’aide de Pison.
Acte III : Pison raconte leur fuite, et nous renseigne : Germanicus n’est pas parti. Il est resté à Rome dans le but d’empêcher le mariage. Drusus est au courant de l’arrivée de son rival et constate sa grande popularité auprès du peuple. Il reconnaît n’avoir aucun sentiment pour Agripine, et lui préfère Livie, la soeur de Germanicus. Lors d’une entrevue, il lui avoue cet amour, alors qu’elle prétend le haïr et lui rend les billets doux qu’il lui avait envoyés. La seule faveur qu’elle demande, c’est de satisfaire les amours de son frère. Or, pendant ce temps, Agripine a fait avancer le mariage au lendemain. Elle explique à sa confidente, Flavie, que son amour pour Germanicus est si fort, qu’elle craint de ne pas pouvoir accomplir son devoir. Autant hâter une chose irréversible.
Acte IV : Par la suite, elle découvre que Tibère a proposé à Pison de tendre un piège et de faire assassiner Germanicus au cours du mariage, en lui promettant en échange qu’il serait fait consul. Ce dernier a accepté cette offre pour s’attirer la confiance de l’empereur, et s’assurer qu’il ne cherchera pas d’autre tueur. Cependant, il est nécessaire que Germanicus se mette en sécurité en retournant au milieu de ses troupes. Agripine dévoile les intentions de Tibère à son amant, qui, aveuglé par les faveurs de l’empereur, ne veut pas y croire. De toute manière, selon lui, le résultat est le même, qu’il meure ou qu’il laisse Drusus épouser Agripine.
Acte V : Au dernier acte, on retrouve Agripine en proie à l’inquiétude, après une nuit de cauchemars. Elle attend des nouvelles de Germanicus par l’intermédiaire de Pison. Elle craint qu’il ne soit mort, tué peut-être par Pison, jaloux. Flavie a rencontré Albin, qui arrive pour l’informer. Pendant un cours instant, un quiproquo laisse penser que Germanicus a été assassiné par Pison. En réalité, c’est l’inverse qui s’est produit. Pison est allé prévenir Germanicus des menaces qui pesaient sur lui, et en sortant, il a été tué à sa place dans le noir par son propre frère. Agonisant, il persiste à croire qu’il a été puni pour son plus grand crime : dire son amour à Agripine. Drusus, quant à lui, ne doute pas de l’identité du commanditaire de l’assassinat, mais il demande à Agripine d’être magnanime. Tibère, sous la pression du peuple révolté, a effectivement décidé de réunir les amoureux. Le mariage de Germanicus et d’Agripine va donc être finalement célébré.
Les personnages §
Tout d’abord, on constate que Boursault adhère aux conventions de la tragédie classique, genre auquel il s’essaie pour la première fois, rappelons-le, par le fait qu’il a choisi de représenter des personnages appartenant à l’histoire, éloignés de son époque par le temps (le Haut-Empire) et par le lieu (Rome), et tous issus d’un haut rang social, ou ayant de hautes fonctions. Mais, à certains égards, ceux-ci se distinguent des rôles typiquement tragiques : pas de « désespoir forcené », de « folie », de « monstres inaccessibles aux remords34 »... rend="footnote_reference"Autrement dit, il n’y a pas de rôle spectaculaire. Ceci provient sans doute d’une volonté de l’auteur de rester au plus près possible des personnages historiques. Ainsi, comme chez Tacite, Germanicus est le héros romain, juste, bon, fidèle, courageux, etc. Tibère, qui n’apparaît pas, est le despote rusé et cruel dans toute sa splendeur, tel qu’il est décrit par Suétone. Pratiquement aucun trait de leurs caractères n’a été modifié au profit de l’intrigue. Seuls les faits, en eux-même, ont subi quelques changements. Certains types de rôles tragiques ont été rajoutés, comme ceux des confidents, mais dans l’ensemble, il n’y a rien que de très vrai dans ces caractères. Néanmoins, un certain manichéisme est perceptible dans les personnages de Germanicus. Ils ont tous une personnalité affirmée, c’est-à-dire que les faibles s’opposent aux méchants : pas d’entre deux, pas de monstre à la fois victime, ou de faible-coupable, exception faite de Pison, qui a une fonction plus complexe.
Si l’on tente de réaliser le modèle actantiel de la pièce, tel que le décrit Anne Ubersfeld, on s’aperçoit qu’il y a un parallélisme entre les couples Agripine-Germanicus et Livie-Drusus. En effet, la décision initiale de Tibère a pour conséquence de briser les deux couples, dans le but d’en créer un nouveau. De même qu’Agripine est contrainte d’oublier son amant par devoir, Drusus doit aussi se résoudre à le faire avec Livie. Cette structure en miroir implique un redoublement dans les emplois des personnages, qui n’est certainement pas nécessaire à l’intrigue. À partir de là, on se rend compte qu’une majeure partie de la tragédie est construite sur un système d’échos. Ainsi, les scènes de rencontre, d’aveu, de dispute entre Agripine et Germanicus rappellent beaucoup celles de l’autre couple d’amoureux, à la seule différence près que Drusus n’a aucune menace de mort qui pèse sur lui. Les enjeux étant différents, l’accent est mis sur le premier couple.
Drusus et Germanicus peuvent donc être étudiés en parallèle, bien qu’ils soient assez difficiles à cerner. Malgré leur statut, aucun d’eux ne joue le rôle de héros véritable, tel qu’il est peint au premier acte (« le premier des mortels », à la scène 1). Ils se contentent de parler : discuter de leurs sentiments, convaincre leur maîtresse, s’enrager contre leur destinée, sans jamais vraiment agir. Germanicus, lui, est l’archétype du héros, renforcé encore par son tempérament de militaire. Jeune, fougueux, téméraire, audacieux, impulsif, glorieux... mais désespéré, il remplit toutes les conditions pour être un personnage de tragédie selon J. Scherer. Il est conscient dès le début, qu’il doit surmonter les obstacles qui l’empêchent d’épouser celle dont il est amoureux. Son unique défaut est un excès de générosité qui confine à la naïveté : il se fie totalement à son père adoptif, et ne soupçonne pas chez lui la jalousie, la méchanceté, la manipulation, qui le déterminent à monter un complot contre son neveu. Rentré de Germanie à Rome sans le consentement de l’empereur, il ne tente plus rien de concret après cela, pour sauver son couple. Quoique protagoniste de la pièce, on a le sentiment que, le dénouement approchant, Pison lui vole la vedette.
Drusus est un double de Germanicus (même âge, même fonction, même situation), en plus hésitant. À aucun moment, il ne se rebelle contre la décision de son père, même lorsqu’il a enfin la certitude d’aimer Livie, et non pas Agripine.
Dans la soumission, les deux femmes, Livie et Agripine, ont deux comportements bien différents. Quand la première, furieuse, feint par raison de ne plus aimer Drusus, la seconde, tout aussi résignée à son triste sort, prend prudemment la décision de se plier aux exigences de l’empereur et de mettre de côté sa vie amoureuse au profit de son devoir. Sur certains points, elle s’apparente à la Bérénice de Racine. Comme elle, elle doit renoncer à son amour pour des raisons politiques et familiales ; et ce sont les événements extérieurs qui vont décider pour elle. Cependant, Agripine a à tenir tête à l’empereur, tandis que Bérénice ne doit cette situation qu’à des conventions extérieures. Selon Hoffmann, qui se réfère à une certaine idée de Racine, la seule chose qui sépare Agripine de l’héroïne tragique est son manque de vigueur, de force, de résistance : « L’assurance d’Agripine est conventionnelle, son principal souci est la préservation de sa gloire, tout comme la Sabine de Horace de Corneille35. » Il est vrai qu’à cause de cela, elle se montre particulièrement sévère lors de la déclaration d’amour que lui fait Pison, bien que celui-ci lui ait déjà rendu d’innombrables services pour favoriser la réussite de son couple. De même, elle refuse de recevoir son amant, dès qu’elle est promise au fils de Tibère. Une seule fois, elle s’autorise à se dérober au protocole, au moment où elle jure sa fidélité à Germanicus (Acte IV, sc. 2), mais revient presque aussitôt sur ses paroles et le congédie. Elle est, en définitive, le contraire de « l’amante passionnée » de La Mesnardière (surtout préoccupé par les questions de bienséance), qui « méprise la réputation, se mocque des remontrances, ne se soucie ni des grandeurs, ni des biens de la fortune36 ». Elle ne juge que par rapport à son « honneur », à son « apparence », à son « respect37 », et ne se laisse pas envahir et dominer par sa passion. Trop raisonnable, elle se comporte exactement comme devrait le faire une femme qui n’est pas amoureuse, et se situe donc aux antipodes de Phèdre, dans la pièce éponyme de Racine. L’abbé La Porte, au contraire, trouve qu’« Agripine immole son amour avec une générosité digne d’une Romaine38 ». En outre, un certain nombre de critiques la jugent excessivement précieuse.
En ce qui concerne Livie, sa présence effacée tout au long de la pièce, son peu d’interventions, et sa propension à cacher ses vrais sentiments, entre autres auprès de Drusus, nous donnent très peu d’éléments pour pouvoir analyser sa personnalité. Tout comme son amant, elle ne sert le plus souvent que de double à Agripine. Son caractère ambigu complique davantage les données du problème, puisqu’en refusant d’avouer ses sentiments à celui qu’elle aime, elle lui laisse croire que son mariage avec Agripine est encore la meilleure solution. Les rares discussions qu’elle a avec lui consistent en général à intervenir pour lui demander des faveurs pour son frère.
Pison, quant à lui, apparaît comme le seul personnage sympathique aux yeux de la plupart des écrivains. Hoffmann le compare même au Don Guritan du Ruy Blas de Victor Hugo. Tout au long de la pièce, il semble n’avoir qu’un rôle de second plan39, et ne remplit d’ailleurs aucune fonction directe dans l’action principale. Il s’assimilerait presque à un confident, s’il n’avait pas un rang si élevé (c’est un chevalier romain). Il a effectivement la même utilité qu’un confident : il est l’intercesseur entre les deux amants, il écoute leurs lamentations, leurs éclats de joie, et leurs secrets ; il les console, les avertit du danger, les tient au courant des informations qui les concernent ; il est présent à leurs entrevues privées (car la bienséance oblige qu’une jeune fille ne rencontre pas un homme, seule, à plus forte raison si elle est déjà promise en mariage à un autre). Toutefois, Pison a un caractère qui lui est propre, un intérêt dans l’histoire (il aime Agripine), et prend des initiatives ; aussi le nom d’ami lui convient mieux. À l’avant-dernière scène de l’acte V, on apprend sa mort, ou plutôt son sacrifice, et cet événement change définitivement la vision qu’on a eue du personnage jusqu’alors. Son amour durement réprimé par Agripine, son rôle d’intermédiaire entre celle qu’il aime et son rival, et son meurtre, arrivé parce qu’il a voulu protéger son maître, renforcent la sympathie que l’on éprouve pour cette victime.
Reste également l’impression que cette mort aurait pu être souhaitée de sa part. Puisque son seul amour refusait de l’entendre, qu’il n’aurait jamais ni son cœur, ni sa main (comme il le dit lui-même), en plus de sauver son maître, elle s’offrait à la fois comme une délivrance, à la fois comme une punition. Sa faute, aussi involontaire, et si légère soit elle, repose sur le fait qu’en tombant amoureux d’Agripine, non seulement il s’éprend d’une femme hiérarchiquement supérieure à lui, mais aussi il trahit son ami et maître, Germanicus, à qui il sert d’intercesseur. De la même manière que la Phèdre de Racine, ce sont ses aveux qui l’ont mis dans une situation délicate. Grâce à cela, il donne sa tonalité tragique à la tragédie, qui, sans cela, passerait peut-être pour une tragi-comédie, ou une comédie héroïque. Il est davantage un héros tragique que les autres personnages de la pièce, en ce que son amour est interdit, que celui-ci l’oblige à mentir (lorsqu’il revoit Agripine pour la seconde fois, après qu’elle l’ait congédiée à cause de son aveu, il lui fait croire qu’il ne l’aime plus), et que, faute de solution, la mort apparaît comme l’issue la plus raisonnable. D’après Grawe, ce rôle aurait été inspiré à Boursault par celui du comte de Chabannes, dans La Princesse de Montpensier de Madame de Lafayette.
Tibère, enfin, n’est montré à aucun moment sur la scène. Ce choix de Boursault peut être perçu comme un élément stratégique. En effet, son absence crée une atmosphère plus pesante, une impression plus forte de la fatalité des événements, et une quasi allégorisation de sa personne. N’étant jamais représenté, ses faits et gestes semblent ceux d’une divinité malfaisante, qui impose sa volonté à ses sujets, et qui joue avec leurs sentiments comme avec des objets. Ce qui est surprenant, c’est que personne sur scène ne représente son autorité : ni ami, ni conseiller, ni garde. Autrement dit, le spectateur ne voit que les honnêtes gens, victimes, confidents, adjuvants, qui se débattent des crimes commis sur leur personne par une instance invisible. Cela permet de renforcer le sentiment de frayeur face à une menace omniprésente.
D’autre part, comme pour les autres personnages, Boursault a conservé les traits de caractère de Tibère. Ici, sont particulièrement bien retranscrits sa cruauté, sa rivalité perpétuelle avec Germanicus, son désir de tout contrôler, etc. Il prend un malin plaisir à provoquer le malheur de son ennemi, ainsi que celui de ses proches. Il est donc un adversaire « existentiel », et non « conjoncturel » de Germanicus : « le sujet se trouve menacé dans son être-même, dans sa propre existence, il ne peut satisfaire l’opposant qu’en disparaissant40 ». Si ce n’était son statut d’empereur, titre qu’il a obtenu à la succession d’Auguste en toute légalité, on pourrait le prendre pour un tyran, emploi tragique caractérisé par les traits décrits ci-dessus : la perfidie, l’avarice, le mensonge compris. La Mesnardière le considère ainsi. Après une longue énumération des vices les plus représentatifs du tyran, il conclut par : « Tels on été les Tibères, les Nérons, les Domitiens, et ces autres pestes du monde, dont la mémoire est exécrable partout où il y a des hommes41. » En tout cas, il n’a rien de la justice et de la générosité d’un roi. C’est un roi perverti, et d’après Scherer, on ne peut se débarrasser de lui qu’en le tuant. Ici, c’est la menace de sa mort réclamée par le peuple qui va le faire revenir sur sa décision.
Mais il est, par ailleurs, le père adoptif de son rival, et il se comporte en tant que tel. En empêchant le mariage de Germanicus avec celle qu’il aime, et en manigançant un autre pour son fils naturel, il met un obstacle aux amours de ses deux fils, ce qui est l’emploi le plus répandu du père dans le théâtre classique, et plus particulièrement dans la comédie. Il est de son devoir de trouver le bon parti pour son enfant, même si momentanément, cela fait le malheur de ce dernier. Finalement, Tibère trouve tous les avantages à favoriser l’union de Drusus et d’Agripine, au détriment de Germanicus, puisqu’il se montre à la fois un bon père, tout en nuisant aux intérêts de son rival. Toujours est-il que, pour ses abus de pouvoir, son sadisme envers les jeunes héros, le meurtre qu’il a commandité, il n’est puni en rien, ni ne se repentit. Le sort l’a épargné, puisque suite au soulèvement du peuple, il a dû renoncer à s’opposer au mariage de Germanicus, qui finalement lui a laissé la vie sauve.
Thèmes §
Une intrigue politique ou une intrigue sentimentale ? §
La majorité des théoriciens restent persuadés « qu’une tragédie demande une passion plus noble que l’amour, comme l’ambition, ou la vengeance42 ». Bien évidemment, l’amour fait toujours partie de l’intrigue, mais uniquement en tant qu’« ornement », rarement en tant qu’action principale. Dans Germanicus, la question de savoir s’il s’agit davantage d’une intrigue politique ou d’une intrigue sentimentale semble superflue. Néanmoins, si toute l’action se concentre autour du mariage d’Agripine, il y a en parallèle le traitement du complot mené contre Germanicus. Ces deux éléments se recoupent et participent sans aucun doute de l’unité d’action. Peut-être l’aspect sentimental de la pièce ressort-il davantage, mais en y regardant de plus près, les motivations qui tournent autour de ce mariage, ont toutes un fondement politique. On peut aller plus loin en affirmant qu’il s’agit d’un mariage arrangé, donc politique. J. Truchet avance même que « pour les sujets politiques tirés de l’histoire, sous des événements connus, on fait supposer quelque intrigue amoureuse sensée les expliquer, car un héros sans amour serait ridicule et malséant43 ». On peut aisément en conclure que Boursault, pour motiver et assaisonner son intrigue politique, puise à la fois dans l’histoire amoureuse du héros, à la fois dans sa carrière politique, et combine le tout, en arrangeant quelque peu la vérité. En résulte un mariage qui déplait à tout le monde, sauf à Tibère, qui abuse de son pouvoir pour faire souffrir son rival, puis, non content des effets déjà produits sur lui, monte un complot contre lui.
On peut aussi s’interroger sur les buts poursuivis par l’auteur. En fait, Boursault était un fervent adepte du « Plaire et instruire ». Il a déjà eu l’occasion de le prouver, puisqu’un certain nombre de ses œuvres, ses comédies en particulier, était riche en allusions, en critiques et en caricatures. Ce style virulent était même devenu son empreinte personnelle. Grâce à J. Truchet, on sait que les Français de l’Ancien Régime se préoccupaient beaucoup de ces questions de pouvoir, de succession, de légitimité. On peut donc légitimement se demander s’il a cherché à faire passer un message politique quelconque à travers sa pièce. En l’occurrence, Boursault n’aurait-il pas utilisé le despotique Tibère pour dénoncer, par le truchement de sa pièce, une certaine forme de gouvernement ? Rien n’est moins sûr, et le travail de décryptage peut s’avérer long et dangereux. Ici, la pièce joue surtout sur l’ambigüité du statut de Tibère. Toute la différence entre le roi et le tyran réside dans le fait que le monarque, s’il jouit d’un pouvoir absolu sur ses sujets, ne peut l’exercer qu’en toute légalité et en toute moralité. Le tyran, lui, a usurpé le pouvoir et en abuse au service de ses désirs personnels. Et dans Germanicus, Tibère n’agit que sous la pression de la passion qui l’anime, la vengeance résultant de sa jalousie pour son neveu ; et c’est le peuple qui rétablit l’ordre en se soulevant.
Le devoir contre l’amour §
Au XVIIe siècle, l’amour fait toujours partie des tragédies, même s’il n’apparaît qu’au second plan. Les théoriciens se sont efforcés de distinguer deux grands types d’amour sur scène : l’amour « raisonnable » et l’amour « tyrannique44 ». Ils correspondent, en résumé, à l’amour conjugal et à l’amour adultère, non partagé, voire illégal. Dans Germanicus, seul l’amour raisonnable est évoqué, avec une nuance : les deux couples ne sont pas encore mariés. Fidèle à la tradition, Boursault a mis en scène des jeunes amants parfaits, prêts à se marier, mais persécutés injustement par une puissance extérieure. En l’occurrence, Tibère presse Agripine de quitter son amant, pour une raison valable qui suffit à la persuader, sans la menacer : le devoir. Si Germanicus cherche à se révolter, Agripine, elle, semble presque consentante. En réalité, le choix entre l’amour ou le devoir, elle l’a fait rapidement. Il n’y a plus vraiment dilemme ; cependant les réflexions, les lamentations et les pleurs demeurent, car c’est de cette confrontation de deux envies également légitimes que naît sa souffrance. Les obstacles à son bonheur sont extérieurs (le commandement de l’empereur) et intérieurs (le devoir). C’est là que réside le sujet de la pièce : le fait que dans les couples, de chaque côté, l’un des amants désespère et tente à tout prix de trouver un moyen pour changer la situation, l’autre désespère de la même façon, mais qui préfère se condamner au devoir. Finalement, Agripine a opté pour le devoir, tandis que Germanicus choisit l’amour. Ce désaccord donne au couple encore moins d’espoir pour s’en sortir.
Mais, il y a un autre amour qui se confronte au devoir dans la pièce : c’est celui de Pison. En effet, Pison tombe amoureux d’Agripine, qu’il aide par ailleurs pour contacter Germanicus. Ami et intermédiaire du couple, il faillit à son devoir en avouant ses sentiments cachés à la jeune femme. D’une part, il trompe la confiance de Germanicus et de Drusus, puisqu’il leur a rendu service à l’un et l’autre, dans leur tentative de séduction ; d’autre part, il ne peut, en tant que subordonné et confident, aimer une femme d’un rang si supérieur au sien. Le fait de se confesser auprès d’elle ne fait qu’aggraver les choses. C’est à ce moment-là que son amour interdit devient un amour coupable. Pour aller lui expliquer le piège tendu par Tibère contre Germanicus, il a été obligé de mentir sur les sentiments qu’il éprouve à son égard, et faillit même se trahir un instant. Le dilemme pour lui ne pèsera pas trop lourd, parce que personne, en dehors d’Agripine, ne connaîtra son secret, et que son amour étant à sens unique, son devoir s’imposera à lui comme la solution restante.
Le poids de la fatalité §
La fatalité est un motif récurrent dans la tragédie classique. Elle est ici particulièrement présente. Si le suspense dans le déroulement de l’action ne nous semble pas intense, la progression inéluctable vers le mariage ordonné par Tibère donne l’impression que rien ne pourra changer le destin de ces deux couples. Seule, au dernier moment, une péripétie (et exploitée à fond, elle prend ici tout son sens), la mort de Pison provoquant une sédition, peut apparaître comme un présage plus que positif. En effet, si les meurtriers sont convaincus d’avoir tué la bonne personne, ils ne devraient plus s’escrimer à poursuivre à nouveau Germanicus. Mais, rien ne pouvait présager jusqu’alors de ce qui allait arriver : aucune indication, aucun signe, aucun pressentiment, si ce n’est les cauchemars d’Agripine la nuit précédant l’assassinat, qui prévoyaient une catastrophe comme celle du meurtre. Les personnages eux-mêmes se laissent gagner par le désespoir amoureux. Livie, Drusus, et Agripine le sont dès le début. Germanicus ne renonce pas tout-à-fait, et c’est pour cela qu’il décide de ne pas quitter Rome. Mais, la plupart du temps, il se contente d’échapper à Drusus et à Tibère, sans continuer à se battre, non qu’il s’abandonne à son destin, mais par bonté d’âme.
Le sentiment d’être prisonnier de son destin s’amplifie encore, quand une passion imprévue, coupable, et parfois interdite, surgit dans le cœur des personnages. C’est dans ce contexte que pointe la notion d’esclavage de l’amour. Le champ lexical est particulièrement diversifié : on passe des « liens », aux « fers », pour aller jusqu’au « joug ». Les mouvements de l’âme qui accompagnent cet amour sont ceux d’une maladie (« la mélancolie érotique », comme certains théoriciens l’appellent). L’impuissance face à ses propres sentiments effraient également les personnes atteintes. Le cas le plus flagrant est celui de Pison, qui ne devait pas tomber amoureux d’Agripine, la situation étant déjà assez complexe. Il a beau lutter, cacher ses sentiments, tenter de transformer cet amour en amitié, il sait bien que seule la mort est capable de modifier son destin. Cette mort apparaît par ailleurs comme salvatrice pour les deux couples séparés, car le peuple croyant que Germanicus a été tué, il va faire pression sur l’empereur pour rétablir l’ordre, faire accepter leurs mariages, et veiller à ce qu’il n’arrive plus rien au héros populaire.
Un heureux dénouement §
La Mesnardière insistait cinquante ans plus tôt pour qu’une tragédie finisse de manière funeste. En réalité, ce type de dénouement est surtout l’effet d’une longue habitude. De plus, les critères pour une fin malheureuse sont souvent incertains ou discutables. Certes, ce n’est pas le nombre de morts qui la détermine. Cela dépend du protagoniste : le dénouement est heureux, si le personnage principal a réussi ce qu’il voulait. L’ennui avec notre pièce, c’est qu’elle s’achève sur la mort de Pison qui, malgré son amour interdit pour Agripine, a l’air d’être plutôt sympathique. Jusqu’aux dernières scènes de l’acte V, l’avancée de l’action nous laisse présumer que la tragédie finira sur le mariage de Drusus et d’Agripine, au cours duquel Germanicus doit être tué. Or, un ultime et inattendu rebondissement se produit peu après le meurtre de Pison. Le peuple se révolte, et Tibère est contraint d’abandonner son projet de tuer Germanicus, et du même coup, de le laisser épouser celle qu’il aime. C’est une péripétie dans les règles, quoique banale, qui conduit directement à la fin heureuse. Comme souvent, quand le pouvoir est mal géré, c’est le peuple qui a la vision la plus objective, et il n’est pas rare que la sédition marque la fin des tragédies à fin heureuse. Objectivement, tout est bien qui finit bien, mais la mort de Pison, qui plane sur cet heureux événement, assombrit nettement ce retournement de situation. Les dernières phrases de la tragédie prononcées par Germanicus, nous laissent à penser que ce dénouement heureux est très relatif. D’habitude, le seul sang versé dans ce type de dénouement est celui du tyran, et non celui d’une victime. Tibère étant un monarque légitime, et malgré les volontés tyranniques et meurtrières que certains personnages lui prêtent, Boursault ne pouvait raisonnablement pas finir sa pièce sur un régicide.
La question du genre, qui sera vite écartée, s’impose ensuite logiquement. Si Germanicus finit de cette manière, est-ce que cela suffit pour la comparer à une tragi-comédie ? Hoffmann ne se prive pas de la désigner ainsi. D’après lui, Boursault n’a pas osé la solution tragique, trop risquée à son goût, et opté pour le double mariage final. Il faut bien reconnaître qu’après une pareille pression, ce dénouement semble un peu trop facile. Néanmoins, on ne peut percevoir les autres caractéristiques de la tragi-comédie dans notre pièce : pas de recours à une machine ou un artifice quelconque, pas de complication de l’intrigue, pas de changement de lieu, pas de diversité dans le ton, mais plutôt une certaine uniformité, des personnages appartenant aux rangs les plus élevés, un sujet historique, etc. Enfin, le dénouement sans mort et avec un ou plusieurs mariages s’est, à l’époque de Boursault, répandu de plus en plus. Et s’il est indéniable que Boursault soit un admirateur de Corneille et un défenseur du modernisme, il est resté plutôt classique pour sa première œuvre tragique, même s’il a trouvé qu’un dénouement heureux à sa tragédie serait plus prudent par rapport à son talent d’écriture.
Une tragédie romanesque §
Nous avons démontré d’ores et déjà que Germanicus était tiré d’une autre pièce de Boursault, représentée peu avant, elle-même inspirée d’un roman de Madame de La Fayette, La Princesse de Clèves. Il semble donc normal que notre pièce contienne certains aspects propres au roman. C’est Fournel qui, le premier, a utilisé ce terme de « romanesque »45 pour nommer cette tragédie. Il se justifie par le fait que l’auteur a tout simplement transposé le roman sur une scène, sans procéder à une réelle adaptation. C’est pourquoi Agripine agirait, selon lui, comme une héroïne de roman, parfois même un peu précieuse. Sans aucun doute, une tonalité tragique lui fait défaut. Il apparaîtrait judicieux d’effectuer maintenant une comparaison entre le roman de Madame de Lafayette et le résultat final de son adaptation, Germanicus, puisque « l’étape intermédiaire » (La Princesse de Clèves) a été perdue.
Certes, il y a quelques points communs entre les deux œuvres : le mariage forcé, la jeune femme amoureuse d’un autre, le (futur) mari presque parfait (si ce n’est qu’il n’est pas aimé). Le seul ennui est que, chez Madame de Lafayette, Mademoiselle de Chartres est déjà mariée lorsqu’elle rencontre Nemours. Ce n’est pas le cas d’Agripine, qui a encore le choix de refuser le mariage. Par ailleurs, il n’y a pas d’équivalent du rôle de Pison dans le roman, pourtant prépondérant dans notre tragédie. Ces derniers éléments nous laissent à penser que Boursault a eu en mains une version de La Princesse de Clèves complètement différente que celle que nous connaissons aujourd’hui, dans laquelle l’héroïne rencontrait peut-être le duc avant son mariage.
Enfin, Boursault, sincère admirateur de Corneille, a copié son maître sur certains points, conférant à sa pièce des côtés romanesques propres à la tragi-comédie cornélienne. Il se sert ainsi de son sujet pour mettre en exergue des motifs chers à son maître : la passion amoureuse vue de manière courtoise, l’orgueil mis en valeur par le personnage de Livie, le sacrifice héroïque d’Agripine, le devoir familial prôné avant tout, etc. De même, le choix de personnages bons ou mauvais, sans juste milieu, et le dénouement heureux sont des emprunts au théâtre cornélien. Même si Corneille n’a pas été le seul dramaturge à travailler de cette manière, Boursault a toujours revendiqué l’imitation de son protecteur.
Mais, on décèle de la même façon une forte imprégnation de Racine dans son texte. Les réminiscences (que nous citerons en notes de bas de page) sont parfois même assez frappantes. De plus, de nombreuses comparaisons peuvent être établies avec Bérénice, et avant tout, la recentration de l’intrigue autour d’un trio, une sorte de triangle amoureux. En effet, Pison est amoureux d’Agripine, qui aime et est aimée en retour de Germanicus, mais qui doit se résoudre à l’oublier. Il en est de même pour Antiochus, amoureux de Bérénice, qui aime et est aimée de Titus, mais qui doit, lui aussi, l’oublier. De plus, l’amoureux éconduit est, dans les deux cas, l’intermédiaire pour le couple, et préfère fuir plutôt que de rester après l’aveu de son amour. Nous verrons combien certaines situations de notre pièce sont largement inspirées de la pièce de Racine.
Finalement, en analysant rétrospectivement l’œuvre très disparate de Boursault (qui rassemble, ne serait-ce qu’au théâtre, des farces, des comédies héroïques, des tragédies lyriques, etc.), on se rend compte que la tragédie n’est pas sa spécialité, puisque dès son premier jet, les genres s’y confondent. Comme le chapitre suivant le démontrera, on trouve dans Germanicus un style au moins autant poétique, que romanesque.
Écriture et dramaturgie §
Structure de la pièce §
Équilibre des séquences §
Anne Ubersfeld a déterminé dans ses études, qu’il existait plusieurs types de séquences. Elles correspondent généralement au découpage de la pièce en actes et en scènes. Normalement, cela ne mériterait pas de faire l’objet d’un paragraphe, mais à quelques reprises dans Germanicus, des scènes étonnantes, de ce point de vue, surprennent et doivent être mises en avant. Il y a par exemple deux scènes contiguës qui comportent exactement les mêmes personnes, alors qu’elles sont normalement renouvelées à chaque entrée d’un nouveau personnage. Il s’agit des scènes 4 et 5 de l’acte II. En réalité, Flavie est sortie au vers 650, et le changement de scène marque son retour. On peut essayer d’expliquer cela à partir d’un autre critère : le changement de scène vient peut-être du fait qu’un nouveau ressort de l’intrigue a été mis en place. La scène 5 n’est apparemment là que pour annoncer la venue imminente de Drusus. Est-il indispensable de changer de scène pour cela ? D’autant plus que Boursault n’a pas l’air de tenir absolument à l’égalité du nombre de ces scènes dans un acte. On s’en rend compte avec l’acte IV, qui lui, ne comporte que deux scènes. Scherer a son opinion à ce sujet : bien que la plupart des auteurs classiques aient tenté d’équilibrer autant que possible leurs actes, scènes ou parties, ceux-ci ont une certaine autonomie, et on ne peut les déterminer arbitrairement. Néanmoins, il cite d’Aubignac, qui recommande de ne pas descendre au-dessous de trois scènes par acte, pour faciliter l’attention du spectateur. Cela permet, selon lui, de consacrer plus de temps à un récit, une explication, une délibération (sans l’interruption des autres personnages), et en l’occurrence, à l’argumentation d’Agripine pour convaincre Germanicus que Tibère lui destine un piège, le jour du mariage de Drusus avec sa maîtresse. En ce qui concerne notre pièce, c’est le rythme que Boursault voulait sans doute préserver, en ne rajoutant pas d’autres scènes dans le quatrième acte, aux deux premières déjà si longues.
Présence des personnages §
De même que la distribution des séquences, cela ne semble pas important au premier abord, mais celle de Boursault n’est pas faite au hasard. Si on réalise un tableau de la présence des personnages scène par scène, on s’aperçoit que Germanicus apparaît seulement à l’acte II, puis à l’acte IV et V, en totalité que quatre fois, ce qui est excessivement peu pour le héros de la pièce. Il n’est présent ni à l’exposition de la pièce, ni au milieu, quand le nœud se resserre. À l’inverse, Agripine n’est absente que pendant trois scènes à l’acte III. Cela remet en question la notion de protagoniste et de héros dans la tragédie. Soit l’auteur a voulu rendre son héros plus discret, voire mystérieux (n’oublions pas qu’il est à Rome en secret), soit on peut avancer qu’Agripine est le personnage central d’une pièce qui ne porte pas son nom. Les deux alternatives peuvent être envisagées. La première participe d’une tactique de l’auteur, qui vise le retardement de l’entrée en scène du héros, et qui, du même coup, mythifie quelque peu ce personnage. La seconde n’est pas négligeable, non plus. Dès la scène d’exposition, les intérêts se recentrent autour d’Agripine, comme le nœud même de l’action, se prolongeant vers chaque élément.
Distribution de l’action §
Comparer ce qui se passe sur scène et ce qui a lieu en coulisse, a une certaine incidence sur la manière dont on perçoit l’intrigue. Pour Germanicus, elle se situe au niveau de l’extra-scénique. En effet, le tableau nous indique que toute l’action, mais aussi toutes les délibérations, les propositions, les réclamations sont faites hors de la scène (ce qui est régulier pour une tragédie du XVIIe siècle avec les contre-coups sentimentaux des décisions politiques). Ainsi, le spectateur assiste aux déclarations d’amour de Pison, de Germanicus, et de Drusus à Agripine, de Drusus à Livie, aux tentatives de persuasion, aux scènes de lamentations, aux annonces et aux récits d’événements ; mais il ne voit pas le retour de Germanicus à Rome, les différentes intercessions de Drusus et d’Agripine auprès de Tibère pour avancer ou repousser la cérémonie du mariage, la construction du plan de Tibère contre Germanicus, le meurtre de Pison, la sédition populaire... Certes, de nombreuses choses ne peuvent être montrées sur scène, à cause de la censure, ou faute de possibilités matérielles. Mais l’action scénique est aussi très limitée du fait de l’absence de Tibère ou d’une incarnation de son autorité.
Dramaturgie §
L’unité de lieu §
Elles sont toutes bien respectées de l’auteur. La totalité de l’intrigue se déroule à Rome, dans les jardins de Lucullus, qui est un endroit idéal pour les rencontres secrètes entre les couples, puisque c’est un lieu neutre et semi-public, mais discret. Par conséquent, il est facile pour Boursault d’y amener tous les personnages, aussi différents soient-ils. Les femmes, leurs amants, aussi bien que leurs confidents, peuvent aller et venir, sans que cela soit mal interprété. Contrairement à une chambre ou à un appartement, chacun peut y circuler librement. Cela préserve la bienséance, à laquelle Boursault semble beaucoup tenir, car dans un tel lieu ne peut en aucun cas recevoir les amours interdites des jeunes couples. Et les hommes et les femmes, accompagnés de leurs confidents, ne peuvent rien faire qui soit soupçonné d’adultère.
L’unité de temps §
En ce qui concerne l’unité de temps, aucun problème ne se pose. La pièce commence probablement au milieu d’une journée, et s’achève le lendemain matin sur le récit de la nuit et du meurtre de Pison. La règle des vingt-quatre heures est suivie précisément. Entre les actes et les scènes, peu de temps s’écoule, sauf à la fin de l’acte IV, qui se termine juste avant la nuit, alors que l’acte suivant débute le lendemain (on a cette précision grâce à Agripine qui dit avoir fait un cauchemar dans la nuit). Mais, cet écart était nécessaire, puisque c’est dans ce laps de temps que se produit l’assassinat de Pison, sacrifié à la place de Germanicus. Boursault ne pouvait pas reporter celui-ci en plein jour, étant donné que c’est l’obscurité de la nuit qui provoque cette erreur.
L’unité d’action §
Enfin, l’unité d’action est elle aussi parfaitement suivie, à tel point que l’intrigue a parfois l’air trop simpliste. Tout se concentre autour du mariage forcé d’Agripine et de Drusus : la déclaration d’amour de Pison, le complot contre Germanicus, la jalousie de Livie... Le fait de désunir deux couples en même temps par cette union, facilite les ajouts extérieurs au nœud principal de l’action. De plus, comme nous l’avons vu précédemment, les motifs amoureux et les motifs politiques se rejoignent en une seule intrigue, où se mélangent au final les enjeux de chacun.
Style §
Figures stylistiques §
On a reproché un certain maniérisme à cette tragédie de Boursault, cela est sans doute dû à son adaptation du roman de Madame de La Fayette, ainsi qu’à ses efforts pour styliser sa langue. Il est néanmoins intéressant de repérer les figures de style les plus fréquemment utilisées.
Les métaphores sont évidemment indispensables pour décrire la beauté de la femme aimée, et les sentiments ressentis. Un certain nombre de ses isotopies relèvent de la tradition pétrarquiste, dans laquelle la femme blesse son amant de ses flèches d’amour (voir v. 301) et le fait prisonnier de ses charmes. Quant aux autres, elles mettent en exergue une vision pessimiste de l’amour (souvent coupable), et son empire incontrôlable sur le « malade d’amour », que ce soit à travers la métaphore de l’esclavage, de la maladie, ou de l’ensorcellement.
Les figures de répétition sont également récurrentes dans notre pièce, et traduisent le plus souvent les troubles de l’émoi amoureux. On trouve ainsi une anaphore (v. 535) qui, doublée d’une prétérition (« feindre de ne pas vouloir dire ce que néanmoins on dit »), trahit l’amour toujours présent, quoiqu’il en dise, dans le cœur de Pison.
L’auteur utilise aussi des figures plus courantes, telles que : la paronomase (« rapprochement de mots qui ont une parenté phonique », comme « arrache » et « attache », aux vers 171-172), l’hyperbole (des termes volontairement hyperboliques reviennent souvent, comme « suspect » pour dire « étrange »), l’hypallage (« déplacement de la qualité exprimée par mot sur un autre mot », comme « l’amour violent » au vers 1304), la syllepse (« utilisation d’un terme à la fois en son sens propre et en son sens tropique », mais la plupart du temps, l’ambigüité subsiste dans notre pièce : voir « cœur » au vers 715), mais encore l’oxymore, l’antithèse, le chiasme, l’allitération, l’allégorie, la métonymie, la litote... que nous n’aurons pas le loisir d’énumérer tant elles sont nombreuses46.
Modalités d’écriture §
Le style d’une tragédie se devant d’être régulier et sans débordement, les auteurs tragiques créent souvent des endroits, à l’intérieur même de leur texte, pour laisser libre cours à leur imagination et à leur talent de poète, de rhétoricien, ou de conteur. Evidemment, Boursault ne faillit pas à cette tradition : c’est un passage obligé de la tragédie classique. Son action siégeant en majorité en dehors de la scène, cela lui donne quelques occasions pour faire raconter à ses personnages les événements qui se sont produits auparavant. On trouve entre autres, dans Germanicus, le récit de l’assassinat de Pison. Situé à la fin de notre pièce, il amorce le dénouement en douceur. Selon Scherer, le récit doit être assez long, construit, vraisemblable, éventuellement émouvant, augmenté d’une annonce préliminaire de l’objet de cette narration, nécessaire uniquement si son objet ne peut être représenté devant le public. Boursault y colle tout-à-fait.
Le monologue est tout aussi récurrent dans les tragédies classiques. En plus d’une information sur les sentiments et le caractère du personnage qui se dévoile, il a une fonction poétique. L’auteur se laisse aller au ton plaintif, voire pathétique. Agripine est la seule à en prononcer un dans notre pièce (acte II, scène 2). Il relève du genre déploratif, plus que délibératif. Elle sait déjà qu’elle ne doit raisonnablement pas recevoir Germanicus, cela ne l’empêche pas de s’en lamenter. On se rend compte qu’elle n’est pas la femme au sang froid qu’on imaginait, et qu’elle se fait violence en acceptant d’épouser Drusus. Elle invoque les dieux, et retourne le problème dans tous les sens : aucune autre solution n’est à sa disposition.
La lettre de Germanicus (à partir du vers 207) et les billets d’amour offerts à Livie par Drusus (à partir du vers 1023) se révèlent également comme les manifestations du lyrisme par excellence. Là, Boursault peut varier ses vers selon son bon plaisir. Ainsi, les alexandrins deviennent parfois des octosyllabes ; la versification, composée de rimes plates jusqu’alors, alterne les rimes embrassées (vers 213 à 216) et les rimes croisées (vers 207 à 210) ; et les distiques font place à un bouleversement dans l’organisation des strophes. Comme les autres « types » d’écriture, ces vers ont un rôle bien précis, ce qui ne les empêche pas d’être modulables à l’infini.
Note sur la présente édition §
Présentation du texte §
Nous connaissons deux éditions de Germanicus du vivant de l’auteur, toutes deux de la même année, 1694. La seconde a été réalisée pour un ouvrage regroupant ses œuvres théâtrales, Pièces de théâtre de Monsieur Boursault. Or, il apparaît qu’elle a été imprimée sur le même privilège que la première, qu’elle contient les mêmes coquilles et la même mise en page. C’est probablement un fac-similé. Nous agirons donc comme s’il n’y avait eu qu’une seule impression. L’édition originale se présente comme suivant :
I : Page blanche.
II : Illustration (décrite plus haut).
III : Faux-titre.
IV : Personnages.
V : Page de titre (GERMANICUS./TRAGEDIE./Représentée par les Comediens du Roy./[fleuron du libraire]/A Paris,/Chez JEAN GUIGNARD, à l’entrée de la/grand’ Salle du Palais, à l’Image/S.Jean./[trait de séparation]/M.DC.
LXXXXIV./AVEC PRIVILEGE DU ROY.)
VI : Page blanche.
VII-XVI : Epître.
XVII-XVII : Avis.
(1-75 : Texte de la pièce.)
XIX : Extrait du privilège du Roy.
Liste des corrections §
- – v. 43, « la »
- – v. 59, « haine, »
- – v. 83, « Princ »
- – v. 127, « pente. »
- – v. 283, « puissante / »
- – v. 482, « siens. »
- – v. 1121, « vour »
- – v. 1266, « haït »
- – v. 1423, « de père »
- – v. 1604, « même / »
- – v. 1655, « e n fins’il »
- – v. 1660, « illustrie »
GERMANICUS.
TRAGEDIE. §
EPITRE A SON EMINENCE MONSEIGNEUR LE CARDINAL DE BONZI, ACHEVESQUE DE NARBONNE, Commandeur des Ordres du Roy, Grand Aumônier de la Reine, President Né des Estats de Languedoc, etc; §
Monseigneur, Le Grand Cardinal de Richelieu, dont la Memoire ne durera pas moins que le Monde ; Ce Minstre infatigable dont Vous avez le Coeur & l’Esprit, la Generosité & les Lumieres, aprés avoir donné ses soins à regler les Affaires de l’Europe, accordoit souvent le reste de ses momens à la conversation des Muses ; & quand par respect elles n’osoient s’élever jusques à luy, sa bonté le faisoit descendre jusques à Elles. VÔTRE EMINENCE qui marche sur les pas de ce grand Homme, & qui rempliroit les mêmes Emplois avec une égale Capacité, ne l’imiteroit pas entierement si Elle ne reparoit la perte que firent ces Filles du Ciel, en leur accordant un semblable Protecteur. Elles ne voyent que Vous, MONSEIGNEUR, qui puisse leur tenir lieu de ce qu’elles ont perdu : & sur quelque Merite qu’elles jettent leurs regards le Vôtre est le Seul qui ressemble parfaitement à celuy dont le souvenir est si cher. Zelé pour Vôtre Roy comme il l’estoit pour le sien, Vous faites Vôtre plus sensible plaisir de ce qui peut contribuer à sa Gloire ; & Vous ne trouvez vos soins utilement employez que lorsqu’il sont fructueux à son Estat. Vous avez esté de si bonne heure capable de si grandes choses que les Negociations les plus importantes, qui ordinairement sont le partage de la Vieillesse, Vous ont esté confiées dans l’âge le plus florissant : Et Vous Vous en estes si glorieusement acquité que dès vos premiers pas la Pourpre fut le prix de Vôtre Merite. Une Puissance Etrangere, pour reconnoistre les Obligations qu’elle Vous avoit, déroba, si j’ose me servir de ce terme, au Roy que Vous aviez l’honneur de representer le plaisir de Vous élever Luy-même à l’éminente Place ou Vous estes ; Et comme une si haute Dignité ne se donne qu’une fois, la Pologne prévoyant qu’elle Vous estoit infaillible, eut peur d’estre prévenuë si elle ne se hastoit d’executer ce que la France méditoit de faire. S’il est vray, MONSEIGNEUR, comme l’a soûtenu un Ancien, qu’un honneste homme aux prises avec la Fortune soit un Spectacle digne de l’attention des Dieux, c’en est un incomparablement plus beau que deux Rois en concurrence à qui rendra le plus de Justice à la Vertu : Et je ne conçois rien de plus grand que d’estre l’Object de la Reconnaissance de deux Monarques. La France & la Pologne sont également d’accord que leurs Souverains ne pouvoient honorer de leur Estime un Homme à qui elle fût mieux duë ; & que par quelque endroit qu’on regarde VÔTRE EMINENCE il n’y en a point qui ne luy soit glorieux. Si Elle avoit besoin d’emprunter de l’éclat de sa Naissance, la Toscane seule luy fourniroit des Titres de plus de six cents Ans de Noblesse confirmée ; & peut-estre aurait-on de la peine à trouver dans tout le reste de l’Italie une Maison qui tire son origine de si loin. Mais, MONSEIGNEUR, quelque Illustre qu’ait esté & que soit encore vôtre Race, Vôtre Nom n’a besoin que de vous seul pour atteindre les Siécles les plus reculez : Et quoi-que Vos Ayeux ayent fait de considerable leur plus solide Gloire est de vous avoir donné le Jour. Ils sont la Source d’où l’on peut dire qu’est sorty un Fleuve dont les Eaux, semblables à celles du Nil, inondent les Campagnes pour les rendre plus fertiles, & s’attirent les Benedictions de tous les Climats qu’elles ont l’indulgence d’arroser. Voilà, MONSEIGNEUR, ce que fait tous les jours VÔTRE EMINENCE : Elle ne passe en aucun lieu où Elle ne laisse des marques de son passage ; & par tout où Elle se rencontre les Pauvres, qui sont representez par la Terre Aride, trouvent du soulagement à leur Misere, & Vous comblent de Benedictions. Je prens la Verité à témoin qu’il ne m’échape icy aucun mot qu’elle n’ait soin de me dicter elle-même : Germanicus, dont Tacite fait un Portrait si beau, sort d’un sang trop Auguste pour descendre à la flâterie ; & si j’ose Vous le Dedier c’est, MONSEIGNEUR, que j’ay crû ne devoir Offrir l’un des plus grands Heros de l’ancienne Rome qu’à l’un des plus grands Hommes de la nouvelle. L’Accueil qu’on luy a fait hors de son Païs luy a esté assez avantageux pour avoir lieu de croire que sa Patrie ne luy sera pas moins favorable ; & que VÔTRE EMINENCE accordera sa Protection à un Prince qui eut l’honneur de naître dans la Pourpre dans la même Ville où Vous avez esté revêtu. Ayez la bonté, MONSEIGNEUR, de ne pas luy refuser cette Grace ; ny à moy celle d’estre avec un profond Respect,
MONSEIGNEUR,
DE VÔTRE EMINENCE,
Le tres humble, & tres obeïssant serviteur,
BOURSAULT.
AVIS §
Cette Tragedie mit mal ensemble les deux premiers Hommes de nôtre Temps pour la Poësie : je parle du celebre Monsieur de Corneille & de l’illustre Monsieur Racine, qui disputoient tout-deux de Merite ; & qui ne trouvent personne qui en dispute avec eux. Mr. de Corneille parla si avantageusement de cet Ouvrage à l’Académie qu’il luy échapa de dire qu’il ne luy manquoit que le Nom de Mr. Racine pour estre achevé, dont Mr. Racine s’étant offensé ils en vinrent à des paroles piquantes ; & depuis ce moment-là ils ont toûjours vécu, non pas sans estime l’un pour l’autre, cela estoit impossible, mais sans amitié. Je cite cet endroit avec plaisir, parce qu’il m’est extrémement glorieux. Trouver Germanicus digne d’un aussi grand Nom que celuy de Mr. Racine, c’est en peu de mots en dire beaucoup de bien : Et que ce témoignage ait esté rendu par un Homme aussi fameux que Mr. de Corneille, c’est le plus grand honneur que je pûsse recevoir. Le Lecteur jugera, s’il luy plaist, qui des deux eut le plus de raison ; l’un de dire ce qu’il dit, ou l’autre de s’en offenser.
PERSONNAGES §
- GERMANICUS, Neveu de Tibere.
- DRUSUS, Fils de Tibere.
- AGRIPINE, Fille de M.Agripa, & petite Fille d’Augste.
- LIVIE, Soeur de Germanicus.
- PISON, Chevalier Romain.
- FLAVIE, Confidente d’Agripine.
- ALBIN, Confident de Germanicus.
- FLAVIAN, Confident de Pison.
ACTE PREMIER. §
SCENE PREMIERE. §
LIVIE.
AGRIPINE.
LIVIE.
AGRIPINE.
LIVIE.
SCENE II. §
FLAVIE à Agripine.
AGRIPINE.
DRUSUS.
DRUSUS.
AGRIPINE.
DRUSUS.
AGRIPINE.
DRUSUS.
SCENE III. §
FLAVIE.
AGRIPINE.
FLAVIE.
AGRIPINE.
FLAVIE.
AGRIPINE.
FLAVIE.
AGRIPINE.
FLAVIE.
AGRIPINE.
SCENE IV. §
AGRIPINE.
PISON.
AGRIPINE.
PISON.
AGRIPINE lit.
AGRIPINE continuë.
PISON.
AGRIPINE.
PISON.
AGRIPINE.
PISON.
AGRIPINE.
PISON.
AGRIPINE.
PISON.
AGRIPINE.
PISON
AGRIPINE.
PISON.
AGRIPINE.
PISON.
AGRIPINE.
PISON.
AGRIPINE.
PISON.
AGRIPINE.
[p. 14]PISON.
AGRIPINE.
PISON.
AGRIPINE.
PISON.
[p. 16]AGRIPINE.
PISON.
AGRIPINE.
Fin du premier Acte.
ACTE II. §
SCENE PREMIERE. §
AGRIPINE.
ALBIN.
ALBIN.
AGRIPINE.
ALBIN.
AGRIPINE.
ALBIN.
AGRIPINE.
ALBIN.
AGRIPINE à Flavie.
FLAVIE.
Du moins c’est trop estreAGRIPINE à Albin.
ALBIN.
AGRIPINE.
SCENE II. §
AGRIPINE seule.
SCENE III. §
AGRIPINE.
PISON.
AGRIPINE.
PISON.
PISON.
AGRIPINE.
PISON.
AGRIPINE.
PISON.
AGRIPINE.
PISON.
AGRIPINE.
PISON.
[p. 26]AGRIPINE.
PISON.
PISON.
AGRIPINE.
SCENE IV. §
AGRIPINE.
GERMANICUS.
GERMANICUS.
AGRIPINE.
GERMANICUS.
AGRIPINE.
GERMANICUS.
AGRIPINE.
GERMANICUS.
AGRIPINE.
PISON.
AGRIPINE à Pison.
PISON.
AGRIPINE.
GERMANICUS.
AGRIPINE.
GERMANICUS.
AGRIPINE.
[p. 31]GERMANICUS.
AGRIPINE.
SCENE V. §
FLAVIE.
AGRIPINE.
FLAVIE.
AGRIPINE.
PISON.
AGRIPINE à Germanicus.
Fin du second Acte.
ACTE III. §
SCENE PREMIERE. §
FLAVIE.
PISON.
FLAVIE.
SCENE II. §
DRUSUS.
PISON.
DRUSUS.
DRUSUS.
PISON.
DRUSUS.
PISON.
SCENE III. §
LIVIE.
DRUSUS.
LIVIE.
DRUSUS.
Vous pouvez, pour hâter monLIVIE.
DRUSUS.
LIVIE.
DRUSUS.
LIVIE.
DRUSUS.
LIVIE.
DRUSUS.
LIVIE.
DRUSUS.
LIVIE.
SCENE IV. §
AGRIPINE.
DRUSUS.
AGRIPINE.
DRUSUS.
AGRIPINE.
DRUSUS.
SCENE V. §
AGRIPINE.
FLAVIE.
AGRIPINE.
Fin du troisième Acte.
ACTE IV. §
SCENE PREMIERE. §
PISON.
AGRIPINE.
PISON.
PISON.
AGRIPINE.
PISON.
AGRIPINE.
PISON.
AGRIPINE.
PISON.
SCENE II. §
GERMANICUS.
AGRIPINE.
AGRIPINE.
GERMANICUS.
AGRIPINE.
GERMANICUS.
AGRIPINE.
GERMANICUS.
AGRIPINE.
GERMANICUS.
AGRIPINE.
Hé bien, cruel,GERMANICUS.
AGRIPINE.
[p. 62]Fin du quatriéme Acte.
ACTE V. §
SCENE PREMIERE. §
AGRIPINE.
SCENE II. §
AGRIPINE.
FLAVIE.
AGRIPINE.
FLAVIE.
AGRIPINE.
FLAVIE.
AGRIPINE.
FLAVIE.
AGRIPINE.
FLAVIE.
AGRIPINE.
FLAVIE.
AGRIPINE.
FLAVIE.
SCENE III. §
AGRIPINE.
AGRIPINE.
ALBIN.
AGRIPINE.
AGRIPINE.
ALBIN.
AGRIPINE.
ALBIN.
SCENE DERNIERE. §
AGRIPINE.
GERMANICUS.
AGRIPINE.
DRUSUS.
AGRIPINE.
LIVIE.
GERMANICUS à Agripine.
AGRIPINE.
GERMANICUS.
FIN.
Extrait du Privilege du Roy. §
Par Lettres Patentes du Roy, données à Paris le deuxiéme jour de Decembre 1690, Signé BOUCHER ; Il est permis au Sieur BOURSAULT, de faire imprimer par tel Libraire ou Imprimeur qu’il voudra choisir, une Piece de sa composition intitulée Germanicus, Tragedie, pendant le temps & espace de huit années, à compter du jour qu’elle sera achevée d’imprimer : Avec défenses à tous Libraires, Imprimeurs & autres, d’imprimer, faire imprimer, vendre ni debiter ladite Tragedie sous quelque pretexte que ce soit, même d’impression étrangere sans le consentement dudit Exposant ou de ses ayant cause, à peine de confiscation des exemplaires contrefaits, de trois mille livres d’amende, & de tous dépens, dommages & interests, ainsi qu’il est plus au long porté par lesdites Lettres.
Registré sur le Livre de la Communauté des Libraires & Imprimeurs de Paris, le 27 Mars 1691.
Signé, AUBOUYN.
Et ledit sieur Boursault a cedé au sieur J.Guignard le droit qu’il a au present Privilege, suivant l’accord fait entr’eux.
Achevé d’imprimer le 14 Novembre 1693.
Lexique §
V. 487, 996, 1250
V. 1488