Par Monsieur BOYER, de l’Academie Françoise.
Chez CHARLES OSMONT, dans la grande Salle du Palais, du costé de la Cour des Aydes, à l’Ecu de France.
M. DC. LXXVIII.
Avec Privilege du Roy.
Édition critique établie par Fabienne Régnier sous la direction de Georges Forestier (1999)
Introduction §
Le XVIIe siècle, époque particulièrement féconde en écrivains prestigieux, a révélé des auteurs tels que Pascal, Bossuet, La Fontaine, La Rochefoucauld... Tous ces poètes distingués par la postérité en raison de leur génie ont eu tendance dès le XVIIIe siècle à éclipser le talent de certains autres auteurs injustement oubliés dans nos histoires littéraires. Il en est ainsi de Claude Boyer, dramaturge classique reconnu et respecté en son temps. En dépit de la rivalité malheureuse qu’il entretint avec Racine et ses partisans, au nombre desquels on comptait Boileau, La Fontaine ou Furetière, il ne renonça jamais à faire paraître ses œuvres sur les différentes scènes parisiennes. Sa carrière littéraire, remarquable par sa pérennité – longue de plus de cinquante ans – et sa fécondité – il est l’auteur de plus d’une vingtaine d’œuvres – fut néanmoins tourmentée dans ses dernières années par les attaques répétées de ses adversaires déclarés. Sa production, il est vrai, pas toujours égale, souvent couronnée de succès, a été réimprimée à de trop rares occasions, ce dont se plaint le premier, Jules Rolland :
En ce qui concerne Boyer, nous croyons qu’il est plus d’une pièce de lui qui mérite d’être relue ; Le comte d’Essex, Jephté, Judith, ne sont point des œuvres médiocres. La première surtout contient des beautés du premier ordre1.
Suivant les exemples de Christian Delmas pour Les Amours de Jupiter et de Sémélé, de Georges Forestier pour Oropaste ou le faux Tonoxare, et de Laeticia Sergent pour Tyridate, nous nous proposons de montrer que Claude Boyer mérite une place dans l’histoire littéraire française du XVIIe siècle au même titre que des auteurs tels que Rotrou, Du Ryer, Quinault, ou Thomas Corneille en présentant l’édition critique du Comte d’Essex, l’une de ses tragédies les plus réussies malgré la rigueur des critiques du XVIIIe siècle qui ont effectué une sélection excessive, effaçant de la mémoire collective les succès de poètes alors reconnus en ne retenant que les triomphes des plus grands :
Nous n’en persistons pas moins à dire que Le comte d’Essex est une œuvre d’une valeur réelle, et qui mériterait certainement la réimpression2.
La carrière de Claude Boyer §
Né à Albi en 1618, Claude Boyer vit sa formation assurée au collège des jésuites qu’il quitta fort d’avoir obtenu son baccalauréat en théologie ainsi que le titre d’abbé. Influencé par l’enseignement jésuite fondé sur l’étude de la rhétorique, des auteurs latins et grecs et sensibilisé, d’autre part, à la pratique du théâtre que ses maîtres encourageaient, Boyer se tourna assez naturellement vers une carrière littéraire. Au cours de l’année 1645, âgé alors de vingt-sept ans, il quitta sa ville natale pour Paris, accompagné de son fidèle compagnon d’études, Michel Leclerc. Tous les deux, une tragédie dans leurs bagages, ils montèrent à l’assaut de la capitale où se côtoyaient académiciens, lettrés, éditeurs et courtisans. En quête de reconnaissance, Boyer devint rapidement un assidu de l’Hôtel de Mme de Rambouillet à qui il rendit généreusement hommage dans la dédicace de sa première tragédie, La Porcie romaine.
Pour son coup d’essai, il fit paraître une illustre Romaine qui reçut de grands applaudissemens3.
C’est dans ce cercle littéraire, un des plus distingués, que Boyer fit ses premières rencontres influentes et notamment se lia d’amitié avec Jean Chapelain, lettré et académicien particulièrement en vue en son temps. Comme tous les auteurs dramatiques de sa génération, Boyer sera invité plus tard à fréquenter le salon de Madame Deshoulière et celui de Madame de Bouillon à qui il dédiera en 1680 son Agamemnon. Encouragé par son premier succès, reconnu en tant qu’auteur dramatique et impatient de faire avancer sa carrière, le dramaturge s’essaie la même année dans le genre de la tragi-comédie avec La sœur généreuse, poème dont l’intrigue est fondée sur le motif de la jalousie conjugale. Moins heureux les deux années suivantes, ses tragédies Porus ou la générosité d’Alexandre et Tyridate ainsi qu’Aristodème – une tragi-comédie – et Ulysse dans l’isle de Circé, ou l’Euriloche foudroyé – une tragi-comédie à machines – furent néanmoins applaudies. Suivit la période trouble de la Fronde pendant laquelle Boyer semble s’être complètement tu. Il revint au théâtre avec Clotilde en 1659 qu’il dédia au surintendant des finances, Fouquet, devenu son mécène. Les succès des pièces qui lui succédèrent permirent à Boyer de se voir loué en 1662 dans un article sous la plume de son fidèle ami, Jean Chapelain. La liste qu’il établit à la demande de Colbert dont il était estimé recensait les auteurs qui recevraient une pension royale.
Boyer est un poète de Théâtre, qui ne cède qu’au seul Corneille en cette profession, sans que les défauts qu’on remarque dans le dessein de ses pièces rabattent de son prix ; car les autres n’étant pas plus réguliers que lui en cette partie, cela ne luy fait point de tort à leur égard. Il pense fortement dans le détail, et s’exprime de même. Ses vers ne se sentent point du vice de son pais, il ne travaille guère en prose4.
Ce témoignage d’amitié est aussi la reconnaissance de son mérite que l’on ne peut nier étant donné le succès des œuvres du poète. Boyer reçut huit cent livres plus que Racine, poète alors encore méconnu, qui ne reçut que six cent livres et son nom réapparut chaque année – excepté en 1667 – sur la liste des gratifications royales. En janvier 1666, Boyer reçut une nouvelle marque de reconnaissance : sa tragédie à machine, Les Amours de Jupiter et Sémélé particulièrement spectaculaire fut représentée devant Louis XIV auquel il la dédia. Boyer, un fidèle émule de Corneille, crée dans la lignée d’Andromède un spectacle à mi-chemin entre l’opéra et la tragédie, art dans lequel s’illustreront Quinault et Lulli. Notre auteur se distingua à nouveau cette même année en se voyant élire à l’Académie française par ses pairs ce qu’il considéra comme une consécration :
Ces jours passez, le sieur Boyer,Digne d’un immortel loyer,Et dont souvent on idolâtre,Sur l’un et l’autre Théâtre,Le grand Cothurne et l’Escarpin,Fut, par un glorieux Destin,Receu dans notre Academie...Entrant dedans ce corps illustre...Il harangua bien tout à fait,Si que la docte CompagnieAdmira son ardent GenieEt tinst, certes, à grand honneur,Comme aussi même à bon-heur,De l’avoir dans ses hauts mystèresPour l’un des braves confrères5.
En 1669, la Champmêlé fit ses débuts sur la scène dans La Feste de Vénus, comédie pastorale, dédiée à la duchesse d’Orléans comme un an plus tôt Andromaque de Racine. Robinet, dans une lettre en vers datée du 23 février 1669, en fit la louange en ces termes :
Au spectacle, il ne manque rien :Tous les acteurs y sont fort bien,Notamment l’actrice nouvelle,Egalement bonne et belle.Et bref la pièce est de Boyer,De cet auteur si singulier,Qui sur son Chef sans cesse entasseL’immortel laurier du Parnasse6.
Le jeune Marius dédié à Colbert permit à Boyer de rendre hommage au ministre grâce auquel il eut le privilège de figurer à nouveau sur la liste des pensionnés royaux dont il avait été écarté deux ans auparavant. Suite à Policrate, une comédie héroïque, Boyer reprit sa tragédie intitulée Tyridate qu’il retravailla et fit représenter sous le nouveau titre du Fils supposé. Revenu à la pastorale avec Lisimène, ou la jeune bergère, il tenta, cinq ans plus tard, de profiter du succès annoncé de la tragédie de Thomas Corneille, intitulée Le comte d’Essex, en présentant, six semaines après la première, une tragédie sous le même titre. Mais influencé par les attaques de des adversaires incisifs et malveillants, Boyer, lui qui avait déjà obtenu la reconnaissance incontestable pour laquelle il travaillait depuis plus de trente ans, adopta une nouvelle stratégie pour reconquérir les vœux du public :
Agamemnon ayant suivi Le comte d’Essex, et voulant la dérober à une persécution si déclarée, je cache mon nom et laisse afficher et annoncer celui de M. Assezan. Jamais pièce de théâtre n’a eu un succès plus avantageux. Les assemblées furent si nombreuses et le théâtre si rempli, qu’on vit beaucoup de personnes de la première qualité prendre des places dans le parterre... Qu’arriva-t-il après cette réussite extraordinaire ? On soutint, on voulu faire des paris considérables, que je n’avais aucune part à cet ouvrage ; on aima mieux en donner toute la gloire à un nouveau venu7…
Pader d’Assezan, un poète toulousain, ne se manifesta pas pour protester contre cette usurpation éventuelle usurpation qui ne fait aucun doute aux yeux des frères Parfaict, critiques et historiens mal informés du XVIIIe siècle8. Et Artaxerce, nouvelle tragédie de Boyer, subit le même sort que ses autres œuvres.
Quand les pièces représentéesDe Boyer sont peu fréquentées,Chagrin qu’il est d’y voir peu d’assistants,Voici comme il tourne la chose :Vendredi la pluie en est cause,Et le dimanche le beau temps9.
Après Antigone10 surnommée « les déserts de la Thébaïde » par Furetière, critique acerbe depuis son exclusion de l’Académie française en 1685, Boyer, fatigué d’essuyer les quolibets de ses contemporains, ne renoua avec l’écriture dramatique qu’en 1691 à la demande de Mme de Maintenon qui lui commanda une tragédie, à l’attention des jeunes filles de l’institution de Saint-Cyr. Soumis à des règles strictes de création,
Quand on me proposa de travailler à cet ouvrage les regles qu’on me prescrivit, et les soins qu’on exigea de moi pour le rendre tel qu’on le souhaitoit, m’en donnèrent une idée qui me fit juger que la composition en étoit difficile, et l’essai hasardeux11.
notre auteur vit néanmoins l’un de ses plus grands succès dans la représentation de Jephté en 1692 à Saint-Cyr. Trois ans plus tard, il créa une nouvelle tragédie à sujet biblique qui fut représentée au Théâtre français. Mais la critique, attisée par le clan racinien, ne laissa pas en paix Boyer qui vit sa tragédie tomber et ne reçut qu’un peu plus de 206 livres. Il finit sa carrière de dramaturge par une tragédie en musique, Méduse, représentée par l’Académie royale de musique en 1697. Il consacra les dernières années de sa vie à la poésie non dramatique comme en témoigne la publication de plusieurs recueils collectifs de poésies « occasionnelles ». Il affectionnait particulièrement cet art en vogue alors et en faisait profiter ses pairs de l’Académie :
[…] ses cantiques et ses paraphrases qu’on écoutoit avec plaisir toutes les fois que nous ouvrions nos portes12.
Il travailla par ailleurs à la glose de quelques passages extraits de la Bible, revenant ainsi à sa vocation d’abbé.
Il a sanctifié ses dernières productions en les adressant au Ciel13.
Œuvres de théâtre publiées §
La Porcie romaine, tragédie, paris, A. Courbé, 1646, in-4°.
La Sœur généreuse, tragi-comédie, Paris, A. Courbé, 1647, in-4°.
Porus ou la Générosité d’Alexandre, Paris, T. Quinet, 1648, in-4°.
Aristodème, tragi-comédie, Paris, T. Quinet, 1648, in-4°.
Tyridate, tragédie, T. Quinet, 1649, in-4°.
Ulysse dans l’isle de Circé, ou Euriloche foudroyé, tragi-comédie à machines, Paris, T. Quinet, 1649, in-4°.
Clotilde, tragédie, Paris, C. de Sercy, 1659, in-12.
Frédéric, tragi-comédie, Paris, C. de Sercy, 1660, in-12.
La Mort de Démétrius, ou le rétablissement d’Alexandre, roi d’Epire, tragédie, 1661, in-12.
Policrite, tragi-comédie, Paris, C. de Sercy, 1662, in-12.
Oropaste, ou le faux Tonaxare, tragédie, Paris, C. de Sercy, 1663, in-12.
Le grand Alexandre, ou Porus, roy des Indes, tragédie, Paris, La Compagnie des Libraires du Palais, 1666, in-12, [réimpression du Porus de 1648].
Les Amours de Jupiter et de Sémélé, tragédie à machines, Paris, T. Jolly, 1666, in-12.
La Feste de Vénus, comédie pastorale, Paris, G. Quinet, 1669, in-12.
Le jeune Marius, tragédie, Paris, G. Quinet, 1670, in-12.
Policrate, comédie héroïque, Paris, C. Barbin, 1670, in-12.
Le Fils supposé, tragédie, Paris, P. Le Monnier, 1672, in-12.
Lisimène, ou la jeune bergère, pastorale, Paris, P. Le Monnier, 1672, in-12.
Le Comte d’Essex, tragédie, Paris, C. Osmont, 1678, in-12.
Agamemnon, tragédie publiée sous le nom de Pader d’Assezan, Paris, T. Girard, 1680, in-12.
Artaxerce, tragédie, Paris, C. Blageart, 1683, in-12.
Antigone, tragédie publiée sous le nom de Mr d’Assezan, Paris, G. Cavelier, 1687, in-12.
Jephté, tragédie, Paris, Veuve J.-B. Coignard, 1692, in-4°.
Judith, tragédie, Paris, M. Brunet, 1695, in-12.
Méduse, tragédie en musique, Paris, C. Ballard, 1697, in-4°.
Œuvres de théâtre non publiées §
Tigrane, tragédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne, le 31 décembre 1660.
Atalante, tragédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1671.
Démarate, tragédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en décembre 1673.
Oreste, trragédie représentée à Fontainebleau en présence du roi en 1681.
Boyer disparut le 22 juillet 1698. L’Académie française lui rendit hommage le 7 septembre 1698 lors de sa succession comme en témoigne le discours de son remplaçant l’abbé Genest :
Il a été assidu à vos assemblées durant plus de trente ans. Il y a plus de cinquante que sa réputation est établie, et que les Théâtres ont retenti de ses ouvrages [...] il a traité si longtemps les passions humaines sans jamais en éprouver le désordre, et il a pour ainsi dire habité ce Pays de l’illusion et des fictions sans altérer en rien sa probité exacte et sincère14.
Racine, pour sa part, ne manifesta pas tant d’émotion à l’égard de son rival qu’il dénigra jusque après son trépas avec la même ironie mordante qu’il avait employée à son propos :
Pour nouvelles académiques, je vous dirai que le pauvre Boyer mourut avant-hier, âgé de quatre-vingt-trois ou quatre [ans]15, à ce qu’on dit. On prétend qu’il a fait plus de cinq cent mille vers en sa vie, et je le crois, parce qu’il ne faisoit autre chose. Si c’étoit la mode de brûler les morts, comme parmi les Romains, on auroit pu lui faire les mêmes funérailles qu’à ce Cassius Parmensis, à qui il ne fallut d’autre bûcher que ses propres ouvrages, dont on fit un fort beau feu16.
Cette animosité affichée du célèbre dramaturge a toujours été aussi ardente vis à vis de notre auteur. La petite histoire veut que Racine fonda l’ordre des sifflets aux dîners du « Mouton Blanc ». Ce cabaret était le lieu où l’on décidait l’échec ou le couronnement des pièces. Boyer son fidèle rival, fit sûrement les frais de cette assemblée. D’ailleurs, une épigramme de Racine n’hésite pas à suggérer que les sifflets ont pu être inventés à l’occasion de l’une de ses pièces :
Ces jours passés, chez un vieil histrion,Grand chroniqueur, s’émut en questionQuand à Paris commença la méthodeDe ces sifflets qui sont tant à la mode.« Ce fut, dit l’un, aux pièces de Boyer. »Gens pour Pradon voulurent parier :« non, dit l’acteur, je sais toute l’histoire,Que par degré je vais vous débrouiller :Boyer apprit au parterre à bâiller17 ;… »
Boyer fut condamné sans retour à faire l’objet de perfides cabales et les deux poètes, chacun entouré de leurs partisans, engagèrent une lutte acharnée dont l’illustre Racine sortit vainqueur.
Un premier incident opposa les deux dramaturges dès 1665. Racine confia à la troupe de Molière sa nouvelle pièce, Alexandre, reprise concurremment par l’Hôtel de Bourgogne. Boyer profita de cette opportunité pour rééditer sa tragédie, Porus ou la générosité d’Alexandre (1648) rebaptisée à cette occasion Le Grand Alexandre, ou Porus, roy des Indes. Racine lui intenta un procès qui prononça l’interdiction de l’édition sous ce titre équivoque. Dès lors, un bras de fer impitoyable s’engagea entre les deux poètes.
Boyer fut un académicien particulièrement actif comme le précise L’Histoire de l’Académie française (p. 34). Il écrivit souvent des compliments, des poèmes ou des harangues qu’il lisait à ses pairs. D’ailleurs, à sa mort, l’abbé Genest ne manqua pas de préciser :
Il a été assidu à vos assemblées durant plus de trente ans. Il y en a plus de cinquante que sa réputation est établie, et que les Théâtres ont retenti de ses ouvrages18.
L’assiduité de Boyer faisait contraste avec l’attitude de Racine qui, pour sa part, fut souvent absent, absorbé tout entier au service du roi en sa qualité d’historiographe. C’est ainsi qu’en 1684, suite à la mort de Corneille, Racine fut tiré au sort pour occuper pendant six mois le poste de directeur de l’Académie française. En son absence – Racine ayant suivi la cour à Fontainebleau où il était retenu – l’assesseur, qui le supplée dans ce cas et qui n’était autre que Boyer, décida d’avancer la date d’élection du successeur de Corneille. Informé de cette décision, Racine revint à Paris et fit valoir ses prérogatives effaçant ainsi l’initiative suspecte de Boyer. Cette anecdote illustre particulièrement bien à quel point la rancoeur des deux hommes était vive. Elle fut encore plus cruelle et mesquine quand elle se déploya lors de véritables cabales.
Boyer se plaignit, en effet, à plusieurs reprises, dans diverses préfaces, des manoeuvres de ses adversaires qui attisèrent d’incessantes intrigues.
quoy que la fortune et la cabale se meslent aujourd’huy de faire le bon et le mauvais destin des ouvrages de Théâtre19…
Je craignois que la fortune qui n’est pas de mes amyes, ne me jouât quelque mauvais tour20.
Et Boyer de constater avec dépit :
[…] il suffit qu’on sçache que je n’ignore pas ce déchaînement de critique qui regne aujourd’huy, qui fait trembler tous ceux qui se mettent d’écrire, et qui sans doute est un des plus grands malheurs qu’on puisse reprocher à notre siecle. Ce seroit une temérité inexcusable, de se livrer volontairement à cette fureur contagieuse qui a infecté la Cour et la Ville21.
S’il est vrai dans quelques cas que les succès discrets de certaines de ses pièces peuvent s’expliquer par leur composition propre – mais alors pourquoi un auteur tel que Racine aurait-il eu à craindre ces ouvrages ? – il en est bien différent pour les tragédies du Comte d’Essex ou d’Agamemnon comme Boyer ne manque pas de le souligner dans ses préfaces. La pratique douteuse dont il accuse ses détracteurs met en lumière le parti pris des critiques. Leur malhonnêteté fut indubitable lors de la représentation d’Agamemnon – que les frères Parfaict se sont entêtés à ne pas reconnaître comme une tragédie de Boyer au nom même de la réussite de ce poème. Le succès du stratagème inventé pour découvrir la mauvaise foi des critiques et des spectateurs – expliqué plus haut – est tout à fait remarquable. Et comme s’il était nécessaire de rajouter un nouvel exemple, Boyer de conclure :
[…] je prends quelque confiance de ce dernier succés, et crois pouvoir hazarder mon nom en faisoit paroistre Artaxerce. Il n’en fallut pas davantage pour luy attirer tout ce qui a contribué à la faire tomber22.
Plus singulières et révélatrices encore sont les circonstances qui ont entouré la chute inattendue et brutale de Judith. Après le succès d’Esther de Racine, tragédie à sujet biblique commandée par Madame de Maintenon pour ses élèves de Saint-Cyr, cette dernière fit appel, en 1689, à Boyer sur la recommandation du père La Chaise, influent confesseur du roi. Racine aurait osé proférer des menaces si on traitait avec son rival. Les répétitions d’Athalie commencèrent sans être suivies pour autant des représentations, Madame de Maintenon hésitant à la faire représenter23. En 1692, celle-ci, sur les conseils de l’abbé Testu, finit par recevoir Jephté de Boyer. Trois ans plus tard, Boyer récidiva l’expérience avec Judith non sans succès. L’enthousiasme fut général, au contraire. Cependant, lors de sa reprise après la semaine sainte, à Paris, les louanges furent plus réservées et suite à la rapide publication du texte de la pièce, une œuvre critique anonyme (Entretien sur le théâtre au sujet de Judith) vit le jour, l’enthousiasme cédant la place aux huées et sifflets acharnés. On rapporte même qu’une fois la Champmêlé s’interrompit, apostrophant le parterre. La cabale se réveilla et Racine ne fut pas étranger à ce nouveau retournement. Le public, en effet, ne retint plus que cette épigramme de sa plume :
A sa Judith, Boyer, par aventure,Etoit assis près d’un riche caissier ;Bien aise étoit ; car bon financierS’attendrissoit et pleuroit sans mesure.« Bon gré vous sais, lui dit le vieux rimeur :Le beau vous touche, et n’êtes pas d’humeurA vous saisir pour un baliverne. »Lors le richard, en larmoyant lui dit :« Je pleure, hélas ! de ce pauvre Holoferne,Si méchamment mis à mort par Judith. »
Ces quelques épisodes anecdotiques révèlent la nature haineuse de cette lutte persistante jusqu’à la fin de leur vie et carrière. Racine fut suivi et sûrement même incité par quelques autres poètes de ses amis. D’ailleurs Boyer s’est également plaint, à mots couverts, de Boileau qu’il dénonce en ces termes :
[…] dans les plus beaux siècles, il y a toûjours eu de ces prétendus Connoisseurs qui ont fait la guerre au mérite, et qui entraînoient le commun du Peuple avec eux24.
En effet, Boileau, auteur des Satires, tenta d’imposer à tous ses contemporains son jugement en matière de goût et y parvint au sein d’un cercle très restreint. D’ailleurs, excepté Racine et Corneille, il méprisa avec une égale rigueur tous les autres dramaturges. Boyer ne fit pas exception à la règle et alors que, non seulement académicien mais aussi pensionné du roi et apprécié du monarque pour ses ouvrages, il occupait le devant de la scène littéraire parisienne, son mutisme persistant observé à son propos est éloquent. Boileau rompit ce silence dédaigneux à une seule occasion dans un unique vers de son Art poétique :
Qui dit froid écrivain dit détestable auteurBoyer est à Pinchêne égal pour le lecteur ;[…] Un fou du moins fait rire, et peut nous égayer ;mais un froid écrivain ne sait rien qu’ennuyer25.
La comparaison avec Pinchêne, neveu de Voiture et médiocre écrivain, est d’autant plus blessante. En fait, même si Boileau ne s’est pas beaucoup exprimé sur la poésie de Boyer, il n’en a pas été moins sévère. C’est lui qui incita Racine à écouter la voix de la rancune contre Boyer. La Boloeana rapporte que Boileau, agonisant sur son lit de mort, demanda à Le Verrier qui lui lisait une tragédie : « Quoi, Monsieur, cherchez-vous à me hâter l’heure fatale ? Voilà un auteur devant qui les Boyers et les Pradons sont de vrais soleils. » Quoi qu’il en soit de la véracité de cette anecdote, le fait qu’elle soit rapportée souligne l’inimitié connue de Boileau contre Boyer.
Néanmoins le censeur le plus aigre et le plus prolixe en épigrammes satiriques demeure sans aucun doute Furetière. Le désaccord des deux académiciens date de l’affaire des dictionnaires. Le travail de l’Académie pour constituer un dictionnaire s’éternisa et le 24 août 1684, Furetière obtint un privilège pour un dictionnaire universel d’Art et de Science qu’il transforma rapidement en un dictionnaire avec « tous les mots françois, tant vieux que modernes ». Les autres académiciens en prirent ombrage le 28 juin 1674, un privilège avait été accordé stipulant que nul dictionnaire français ne pourrait voir le jour avant celui de l’Académie – et lui intentèrent un procès. Après son exclusion de l’Académie française le 22 janvier 1685 et l’abolition de son privilège le 9 mars, Furetière se défendit avec force contre les accusations et « sa colère lui dicta des volumes de médisances et de railleries contre ses anciens confrères26 ». Alors chancelier de l’Académie, Boyer prit l’affaire très à cœur et s’engagea dans une nouvelle croisade :
Avec une fade Satyre,Furetière a cru faire rire.Je ne sais si quelqu’un en rit,Et la peut lire tout entière :Pour moy je ris de Furetière,Et ne rit point de son écrit.
Ce à quoi Furetière répliqua :
Mon factum est fade à tel point,
Que Boyer dit qu’il n’en rit point
C’est ce qu’il trouve à redire
Je le croyais certes sans jurer
Il est mauvais, s’il fait rire
Il est bon s’il fait pleurer.
Boyer ne s’arrêta pas en si bon chemin…
C’est prudemment que notre AcadémieDans son ignorance affermie,A banni Furetière et l’a mis hors des rangs,N’aurait-ce pas été dommageDe laisser ce grand Personnage,Au milieu de tant d’ignorans.
Et Furetière de reprendre :
Il connaît bien l’Académie,Mais connoit mal l’Ironie,L’auteur de ce sixtain piquant,Il dit plus vray qu’il ne sembla promettre :Il ne croyoit parler qu’en se moquant ;On l’entend au pied de la lettre.
Suivit une troisième épigramme,
Ce beau factum qu’on admire,Qui de l’Académie est la fine Satire,Damon, te paroit plat et sot ;Comment peut-il ne point te plaire ?C’est l’ouvrage de FuretièreCorriger par le grand Gayot.
à laquelle Furetière répondit :
Damon, quand vous trouvez plat et sot mon FactumQue mille honnêtes gens disent être fort bon,Vous faîtes voir une ignorance extrêmeApprenez la force des motsQuand vous voudrez parler pertinemment des sotsIl faut auparavant vous connoître vous-même.
Autour de cette lutte sans merci s’articulèrent deux clans : les Anciens (Racine, Boileau, Furetière, Bouhours, etc.) et les Modernes (Corneille, Boyer, Boursault, Perrault, etc.). Les amitiés littéraires que Boyer contracta avec Chapelain ou Corneille – qui ne dénie pas son « disciple » : « Si ces messieurs [Quinault et Boyer] ne les [acteurs] secourent ainsi que moi, il n’y a pas d’apparence que le Marais se rétablisse27. » – ne lui apportèrent pas seulement protection et bienveillance mais aussi jalousie et envie. En effet, l’influent Chapelain trouva de sévères censeurs dans des écrivains tels que Boileau ou Racine. Le premier s’acharna contre lui, l’exécutant dans son Chapelain décoiffé. Il haït donc naturellement le protégé de celui-ci. La légende veut que Boileau et ses acolytes, à chaque erreur faite de leur part, faisaient amende honorable en se punissant à lire quelques vers de la Pucelle de Chapelain !
Boyer eut lui aussi ses partisans. Boursault répondit au prétendu bon goût de Boileau par une Satire des satires
EmilieBon Boyer : Vous le connoissez peu.Boyer, quand il compose, est toûjours tout en feu ;Dans ses moindres discours on voit ce feu qui brille,Et dans les Vers qu’il fait, le Salpestre pétille.[...] Le MarquisBoyer fait mal des vers, à ce compte ?Le ChevalierAu contraire,Il seroit malaisé de pouvoir en mieux faire ;Il écrit nettement ; et pour dire encor plus,Ses Vers ont de la pompe, et ne sont point confus28
tandis que Corneille précisa qu’Héraclius « est un heureux original dont il s’est fait beaucoup de belle copies29 » félicitant entre autres, Boyer (Tyridate). Ces amitiés autour des deux grands poètes, Corneille et Racine, vont soutenir ces joutes cruelles jusqu’à ce qu’elles s’illustrent dans la célèbre querelle des Anciens et des Modernes. Ecrire un bon poème peut-il se faire sans imiter les modèles grecs et latins ? Cet enjeu dériva par la suite pour désigner le plus grand poète de Corneille ou Racine. Une fois de plus, Boyer se lança à « plume rompue » dans cette nouvelle joute et ses préfaces ne se lassèrent pas d’être le lieu de règlement de compte :
[…] il faudroit remonter à la naissance des premiers désordres du Théâtre qu’on ne peut imputer qu’à certains Esprits, qui par une ambitieuse déférence, se sont rendus serviles imitateurs des Anciens, pour devenir à leur tour les modeles de notre siecle. Tout chargez, et tout fiers de leurs dépoüilles, ils méprisent ce qui ne porte pas leur caractère, et veulent assujetir le goust de tout le monde, à leur goust particulier.
Je sçay ce que nous devons aux Anciens ; […] mais ce chemin n’est pas le seul, et le plus glorieux. Ne doivent-ils pas avoüer que la tragédie et la Comédie modernes sont montées au plus haut point, et que les Autheurs François riches de leur propre fonds, ont surpassé les Anciens sans les imiter30…
Et si on ne retient de cet auteur méconnu que les cabales dont il fut accablé à la fin de sa carrière c’est avant tout l’ouvrage de critiques du XVIIIe siècle. Leur esprit étriqué a réglé leur jugement qui a consacré les plus grands poètes aux dépends d’auteurs talentueux qu’ils ont néanmoins dédaigné et condamné avec sévérité malgré les succès qu’ils ont remportés.
Sa Poësie est dure, chevillée, pleine d’expressions froides ou basses, et jamais nulle image. Son dialogue n’exprime rien de ce qu’il doit dire, et c’est un perpétuel galimathias31.
Quoiqu’il en soit Boyer ne baissa jamais les armes faisant représenter ses pièces sur les planches de l’Hôtel de Bourgogne notamment et parvenant même en 1685 à faire paraître les Œuvres de M. l’abbé Boyer.
Création et réception de la pièce §
Après un début de carrière prometteur, Boyer, le « meilleur émule de Corneille32 » , était considéré comme l’un des tout premiers dramaturges de sa génération jusqu’à ce que la concurrence avec Racine vienne ternir définitivement ses dernières productions. Depuis toujours en quête de reconnaissance, Boyer s’adapta au goût du public de son temps et suivit de plus en plus près le modèle racinien. Le Comte d’Essex, à ce titre, marque un tournant décisif dans l’œuvre du poète. Le héros devenu faillible, en prise avec une passion dévorante, doit faire face malgré tout à des enjeux politiques, luttant pour le pouvoir et le devenir de l’État. Les caractères des personnages soigneusement travaillés relèvent avec subtilité une intrigue politique simple : la conspiration de deux courtisans contre le favori d’une reine éprise de ce dernier. Comme La Calprenède l’avait fait avant lui, Boyer mêle à cette donnée minimale politique l’épisode amoureux indispensable à toute bonne tragédie au XVIIe siècle : le cœur du favori est engagé ailleurs et plus encore auprès de la confidente de cette même souveraine. Un couple d’amants – le favori et sa bien aimée qui n’est autre que la confidente de la souveraine – tente de protéger leur passion, née dans leur jeunesse, d’une amoureuse qui se sert de la coercition du pouvoir pour satisfaire son amour. Cette situation semble-t-il calquée sur celle de Bajazet de Racine soulève l’interrogation suivante : un souverain doit-il sacrifier sa passion amoureuse aux obligations de son rang ? Cette trame minimale est toute la matière d’une tragédie proprement classique où l’action une fois engagée ne peut aboutir qu’au dénouement annoncé dès la première scène : la mort du héros et la déploration d’une reine affligée par la reconnaissance33 de l’innocence de celui-ci.
Le Comte d’Essex est une tragédie dont le sujet anglais – la mort du comte d’Essex, favori d’Elisabeth Ire, reine d’Angleterre – remonte à une époque récente : la fin du siècle précédent. Et pourtant, ce n’est déjà plus un sujet nouveau puisque La Calprenède, auteur dramatique du début du siècle, l’a déjà traité en 1636, trente ans à peine après les événements historiques. Pourquoi cet engouement ? Il faut croire que la destinée tragique du comte d’Essex marqua les esprits et que bien moins d’une décennie après, l’histoire revêtait déjà un caractère mythique. Quoi de plus vraisemblable quand on se remémore l’époque fastueuse tant culturellement qu’économiquement du règne de la « reine vierge ». C’est aussi l’époque mouvementée de nombreux bouleversements politiques et religieux. C’est donc le climat idéal pour voir la naissance de nouveaux héros modernes au service d’une extravagante souveraine qui orchestra l’ascension de son empire au sein de l’Europe et régna sans partage dans le cœur de ses sujets faisant et défaisant leur fortune. Le choix d’un sujet moderne que Boyer partagea avec Thomas Corneille n’est pas innocent dans une période animée par les débats littéraires autour de la célèbre querelle des Anciens et des Modernes. Faut-il suivre aveuglément les modèles de l’antiquité ou peut-on créer sans imiter les auteurs grecs et latins ? Interrogation à laquelle Boyer, « disciple » de Corneille, répond sans hésiter de la manière suivante :
J’ay cru que puisque nos meilleurs Autheurs se picquent d’emprunter les sentimens et les vers des Anciens qui nous ont devancés de plusieurs siecles, que nous pouvions aussi emprunter quelque chose de ceux qui ne sont plus et qui nous ont precedés de quelques années34.
Boyer s’oppose ainsi à Racine notamment, faisant référence en l’occurrence à La Calprenède et son Comte d’Essex dont il tire le sujet de sa tragédie. Remarquons que Racine n’hésita pas néanmoins à porter sur la scène un sujet turc et moderne tel que celui de Bajazet se justifiant dans sa deuxième préface de la manière suivante : « L’éloignement des pays répare en quelque sorte la trop grande proximité des temps. »35
Comme Boyer le note dans sa préface, il entama la création du Comte d’Essex en novembre 1677, « quelques six semaines tout au plus avant la premiere representation de celle qui a esté joüée à l’Hostel de Bourgogne sous le mesme titre36 » , c’est-à-dire le Comte d’Essex de Thomas Corneille, représenté pour la première fois le 7 janvier 1678. Malgré ce qu’il affirme dans sa préface (p. 2) , il est vraisemblable que Boyer, poussé par la troupe de l’Hôtel de Guénégaud, entreprit cette tragédie pour profiter du succès annoncé (voir note 3 p. 3) de la pièce de Thomas Corneille. Désormais malmené par la critique, Boyer releva le défit qui, une fois couronné de succès, pourrait lui rapporter la reconnaissance incontestable à laquelle il aspirait depuis ses débuts. Celle de son concurrent suscita un engouement réel et durable tandis que la sienne, représentée pour la première fois le 25 février 1678, n’obtint qu’un succès modeste. Elle ne fut représentée que huit fois jusqu’au 13 mars 1678 puis deux fois en juillet et une dernière fois en septembre. Boyer ne reçut que 387 francs, 8 sous, ce qui ne l’empêcha pas cependant d’afficher sa satisfaction : « Le succés a passé mon attente37 » , affirmation qu’il réitéra dans la préface d’Artaxerce, révélant néanmoins les pratiques douteuses de ses détracteurs cherchant à provoquer la chute des pièces d’un dramaturge de plus en plus menaçant pour le maître de la tragédie en cet fin de siècle – sinon pourquoi déployer tant d’énergie à perdre un médiocre poète ? Il n’en est pas moins vrai que cet « Ouvrage qui n’avoit ny la grace de la nouveauté, ny les avantages de la concurrence38 » fut rapidement publié – achevé d’imprimer pour la première fois le 20 avril 1678 – et ne fut jamais repris sur aucune scène malgré les réelles qualités qu’il présente et que nous nous proposons de mettre en lumière.
Mise en oeuvre des sources « historiques » §
Boyer évoque la dégradation des relations d’Elisabeth Ire et du comte d’Essex, peu de temps avant la fin de son règne assombri par le décès de son favori et des difficultés économiques et politiques. Il puisa son sujet dans la tragédie du même titre de La Calprenède.
Je puis dire seulement que Monsieur Corneille et moy nous avons puisé les idées d’un mesme sujet dans une mesme source : c’est à dire dans le Comte d’Essex que Monsieur de la Calprenede a fait il y a plus de trente ans.
Ce dernier, selon J. Scherer et J. Truchet, avait probablement consulté l’Histoire d’Elisabeth, royne d’Angleterre de Camden et l’Histoire universelle de J. de Thou. Boyer connaissait sans aucun doute l’histoire de ses héros – connue de tous les spectateurs du XVIIe siècle – et même s’il ne cite pas lui-même d’autres lectures que celle de la tragédie de La Calprenède, il est fort probable qu’il se soit inspiré d’autres sources comme celles citées précédemment. D’ailleurs si sa pièce s’inspire fortement de son modèle en plusieurs endroits, il n’en est pas moins vrai que Boyer remania sérieusement le travail de son prédécesseur aboutissant à une œuvre nouvelle. Il est donc possible d’évaluer le travail du dramaturge non seulement du point de vue historique mais aussi comparativement avec l’œuvre de La Calprenède. Pris de façon générale, le sujet des deux tragédies est le même : la mort du comte d’Essex, favori sacrifié par la reine qui l’aime, Elisabeth Ire. Mais le traitement dramaturgique diffère en plusieurs points essentiels notamment en raison de la date de la première tragédie conçue en 1636, les règles classiques n’ayant pas pris leur forme définitive que plus tardivement. Boyer dut y être d’autant plus sensible que la critique rapide à s’enflammer ne laisserait pas passer des fautes contre les règles. Cependant Boyer s’inspire également en grande partie de son prédécesseur en ce qui concerne les circonstances qui entourent l’intrigue : l’insurrection populaire, la bague… Enfin, La Calprenède avait déjà conçu un épisode amoureux mais les dramaturges ne le mêlent pas de la même façon à l’action principale. Autant dire que les deux tragédies sont deux oeuvres distinctes – distinctions que nous nous proposons de détailler ultérieurement – même si elles présentent une étrange ressemblance qui ne nous étonne pas.
Boyer reprend donc le travail de La Calprenède à son compte et notamment puise abondamment dans le traitement historique des événements. En effet, l’histoire du comte d’Essex et d’Elisabeth Ire se divise en deux périodes précises que nos poètes ont habilement imbriquées et concentrées en un seul et unique moment pour les besoins de leur poème qui commence quelques heures (vingt-quatre heures tout au plus) avant le dénouement. Le Comte d’Essex fut traduit devant la justice à deux reprises, lors de deux procès différents. Le premier se tint à la suite de son retour d’Irlande en 1600 pour haute trahison contre l’État : parti en Irlande pour mater la rébellion dirigée par le Comte de Tyronne, le Comte désobéit aux ordres, menant son armée battre les O-Conores et O-Mores en Ossalie. Une fois arrivé en Ulster, il traita avec le chef des rebelles contre l’avis de la reine. De retour en Angleterre, ayant abondonné l’armée sans ordre, il se présenta devant Elisabeth qui le fit garder par le garde-seau jusqu’à son procès dont la sentence clémente le déclara déchu des emplois qu’il remplissait et prisonnier selon le bon vouloir royal. Le deuxième procès qui condamna le Comte d’Essex et son ami le Comte de Southampton à l’échafaud se tint en 1601 après la tentative de révolte dans les rues de Londres pour obliger la reine à chasser ses adversaires de la cour. Que retint Boyer de cette histoire déjà traitée par La Calprenède ? De deux procès, il en fit un, reprenant les chefs d’accusation du premier : sa trahison contre l’État, son alliance avec le chef rebelle Tyronne. Boyer compila ensuite le retour volontaire d’Essex – Essex (I, 6) se présente contre toute attente de lui même devant la reine – en 1600 avec le foyer d’intrigue et de conspiration que devint sa demeure – demeure occupée soi-disant par les partisans armés du comte où Valden a ordre de chercher l’accusé – avant sa tentative de révolte dans Londres que le dramaturge transposa en mutinerie réelle sous l’action des adversaires du Comte (Coban et Raleg). Par contre, Boyer, comme La Calprenède d’ailleurs, efface naturellement les sanctions prises contre Essex après son premier procès. Boyer, écarte de l’intrigue Southampton, simplifiant ainsi l’action. Enfin, ce n’est pas Essex qui veut chasser ses adversaires, dans la pièce de Boyer, mais ces derniers qui complotent pour le faire tomber, le présentant ainsi dès le début comme une victime. Inutile pour finir de rappeler que pour le dénouement les dramaturges retiendront la sentence du deuxième procès qui est tout le sujet des deux tragédies. Cette analyse montre que l’action principale est conforme à l’histoire et surtout à l’idée que s’en font les spectateurs du XVIIe siècle. Même si elle est remaniée pour les besoins du spectacle, les événements ne sont pas défigurés.
En ce qui concerne les circonstances qui doivent concourir à faire avancer l’intrigue selon un enchaînement de causes et d’effets selon le nécessaire ou le vraisemblable, le dramaturge peut retoucher l’histoire beaucoup plus librement. Ainsi Boyer, comme La Calprenède avec Mme Cecile, introduit un personnage inventé – Clarence – pour constituer l’épisode amoureux. Néanmoins si le nom du personnage est sans fondement, le personnage lui-même a une source historique : en 1590, Essex épousa en secret la fille de Francis Walsingham, veuve de Philippe Sidney. Quand la reine l’apprit, elle s’emporta et les amants durent se réfugier en Écosse le temps que la colère de la souveraine s’apaise. En outre, Essex s’éprit d’une des filles d’honneurs de la reine qu’elle renvoya puis repris à son service. Là encore, Boyer fait un amalgame de ces informations historiques qui lui permet de faire de la confidente de la reine sa rivale. Ce procédé habile permet de placer ce personnage épisodique comme le lien entre les deux actions principales – la conspiration contre Essex – et épisodique – son amour pour elle. Par contre, l’épisode entre Coban et Clarence est inventé de toute pièce ce que Boyer signale discrètement dans sa préface :
Je ne m’amuseray point à justifier l’Episode de la Duchesse de Clarence et de Coban. Il suffit qu’elle a paru naturelle et heureuse.
Naturel c’est à dire vraisemblable et non pas extraordinaire, et heureuse c’est à dire efficace. La mutinerie est une invention directement inspirée de l’histoire comme nous l’avons signalé précédemment. Reste le motif de la bague, ressort essentiel de la pièce qu’un auteur tel que Thomas Corneille n’utilisa pas estimant qu’elle était une invention de La Calprenède. Boyer, quant à lui, défend son choix dans sa préface invoquant la tradition.
Je n’ay pas oublié la circonstance de la bague. Je veux croire que Monsieur Corneille le jeune a eu ses raisons pour le faire. Je la tiens historique, et d’ailleurs c’est une tradition si constante parmy tous les Anglois, que ceux de cette Nation qui ont vû le Comte d’Essex à l’Hostel de Bourgogne, ont eu quelque peine à le reconnoistre par le deffaut de cét incident.
Inventé ou pas, cet élément s’inscrit dans ce que les esprits classiques ont retenu communément de l’histoire d’Essex. Et c’est ce qui compte, comme le signifia Corneille dans un de ses discours :
[… les grands sujets] ne trouveraient aucune croyance parmi les auditeurs, s’ils n’étaient soutenus, ou par l’autorité de l’histoire qui persuade avec empire, ou par la préoccupation de l’opinion commune qui nous donne ces mêmes auditeurs déjà tous persuadés39.
Un dernier élément historique est particulièrement fructueux dans la pièce de Boyer : le refus d’Essex de s’humilier. Ce refus est soutenu par le tempérament orgueilleux et fier du Comte, caractère exacerbé sous la plume de Boyer. Dramaturge ingénieux, il combine tous ces éléments historiques ou pseudo historiques pour soutenir une intrigue dont l’enjeu réside dans le choix entre le devoir dû à son rang et la passion amoureuse. Boyer, à une action principale simple – la conspiration contre le favori de la reine – mêle étroitement l’épisode amoureux en la personne de Clarence, confidente de la reine opposée à Coban et aussi rivale de la souveraine. Le motif déclencheur de l’action tragique reste la trahison supposée c’est-à-dire le conflit politique tandis que l’un des motifs décisifs se trouve être la jalousie de la reine causée par l’épisode amoureux. La reine a alors deux raisons de condamner Essex : sa trahison politique et l’autre amoureuse – Essex trahit l’amour de la reine puisqu’il aime Clarence – même si c’est la jalousie qui joue directement sur sa décision. En fait, les motivations passionnelles et vraisemblables des héros s’intercalent entre les causes politiques et la conséquence tragique c’est-à-dire la mort d’une victime. Cette grande place accordée aux motivations personnelles des héros est une des raisons pour laquelle cette pièce nous semble très racinienne. Nous verrons en outre que les héros loin d’être parfaits comme les héros cornéliens présentent une double facette : à la fois héros, ces personnages vraisemblables, presque « palpables » sont également faillibles. Dès lors, on comprend que Boyer s’est détaché du modèle cornélien qu’il avait jusqu’à présent suivi, non seulement dans le traitement de ses héros mais aussi dans toute la construction de sa tragédie.
Le sujet de la tragédie §
Le titre de la pièce indique clairement quel est le sujet de cette tragédie : la mort du comte d’Essex. Favori d’Elisabeth Ire, il fut néanmoins sacrifié par la reine d’Angleterre suite à des soupçons de haute trahison contre l’empire. Cette donnée initiale qui est tout le sujet du poème retravaillé sous la plume de Boyer se voit grossi néanmoins d’une reine éplorée à la suite du crime qu’elle a permis et de « Pestes de Cour » punis. Il s’agit pour le dramaturge de susciter une émotion exacerbée en provoquant chez le spectateur la crainte et la pitié afin qu’il ressente ce plaisir paradoxal sur lequel repose toute tragédie. C’est ainsi que Boyer à défaut de traiter un sujet qui voit un père conduit à sacrifier son fils ou un frère son frère – meilleurs sujets tragiques qui soient selon Aristote – travaille sur « le surgissement des violences au cœur des alliances40 » entre un sujet et sa reine liés non seulement par leurs devoirs mais aussi par l’amour que la souveraine voue à celui-ci. Cet affrontement qui peut sembler quelque peu fade, puisque en dehors de tout lien de parenté, satisfait néanmoins parfaitement l’exigence d’un choix de sujet de tragédie étant donné les tempéraments retentissants des deux personnages historiques, que Boyer saura utiliser habilement exagérant même celui d’Essex qu’il rend plus hautain et fier qu’il ne fut. La rivalité politique entre Coban et Essex, en outre, est doublée par un conflit amoureux permettant également le développement du motif efficace de la jalousie et l’introduction de l’indispensable épisode amoureux. Le sujet – c’est-à-dire le dénouement – fait ainsi intervenir un troisième personnage, Clarence, également victime de la coercition politique incarnée par Elisabeth. Si cette dernière ne correspond pas spécialement à l’image que l’on a d’un monarque au XVIIe siècle en France, elle renvoie cependant discrètement à un situation de régence – seul cas où une femme est amenée à régner en France au XVIIe siècle – mais aussi au pouvoir monarchique absolu et ne choque pas en cela le public du XVIIe siècle. En effet, est-il nécessaire de rappeler qu’Elisabeth Ire ne partagea jamais le pouvoir ne serait-ce qu’avec un époux, malgré la pression de la cour ? Tout son règne durant, elle cultiva cette image mythique de « reine vierge » intouchable qu’elle construisit elle-même. Cette figure mythique de son vivant se prête parfaitement pour le traitement d’un sujet de tragédie, introduisant le dilemme de la reine tiraillée entre la vertu que sa fonction nécessite et son amour, entre son rôle de juge souverain et sa complaisance pour l’accusé. Ce dilemme est servi par deux tempéraments aussi exceptionnels que celui de « Gloriana » et d’Essex, favori orgueilleux. Épiée par ses sujets et l’Europe toute entière, qui n’attend qu’un faux pas de sa part pour l’attaquer, Elisabeth ne peut perdre la face devant un sujet si fier et si arrogant aimé par tout le peuple. L’histoire se prête parfaitement à la mise en actions d’une tragédie : tenue par sa fonction et aveuglée par sa passion, la reine néglige une enquête, minée par les intérêts des différents courtisans, et réclame une humiliation impossible.
Les « Comte d’Essex » de Boyer et La Calprenède §
Mais revenons un instant à la tragédie de La Calprenède, à ses personnages et sa structure interne, aux choix de Boyer, ses emprunts et ses écarts. Si on compare la liste des acteurs des deux poèmes, on constate de grandes similitudes à commencer par les personnages d’Elisabeth et d’Essex à ceci près que l’Essex de La Calprenède est moins soumis que celui de Boyer même s’ils sont tous deux fiers et orgueilleux, traits de caractère qui sont l’un des principaux ressorts de la pièce. Boyer écarte de sa « distribution » le personnage du Comte de Soubtantonne, l’ami du comte d’Essex, qui fut jugé en même tant que ce dernier. Le dramaturge parvient ainsi à simplifier l’intrigue, en resserrant l’action sur la seule destinée d’Essex. Par conséquent, le personnage du comte de Salisbery très discret chez La Calprenède – il n’intervient qu’une seule fois au deuxième acte scène première pour mettre en garde Elisabeth contre la précipitation, soient vingt-quatre vers – voit son rôle largement étoffé chez Boyer. En effet, le poète concentre en un seul personnage, Salisbery, celui de Soubtantonne et celui de Salysbery chez La Calprenède. Cette économie conforme aux règles classiques, en évitant une trop grande dispersion, favorise l’efficacité et donne une certaine épaisseur au personnage. Salisbery n’est pas inculpé chez Boyer – puisque ce n’est pas Soubtantonne – ce qui permet au personnage d’agir et de prendre la défense de son ami lorsque celui-ci est emprisonné, ce que ne peut faire Soubtantonne dans l’autre pièce, entraînant ainsi un dédoublement du rôle de l’ami du héros. En outre, Boyer peut aussi faire apparaître son personnage au sein du jury permettant son intervention en faveur du comte auprès de la reine (III, 1) tandis que La Calprenède avait privilégié une défense d’un autre ordre par l’intervention orale de Soubtantonne en faveur d’Essex.
À Cecile, secrétaire d’État, Boyer substitue Coban, « Seigneur anglois ». En effet, c’est Coban, personnage historique plus discret que Cecile, que Boyer choisit de mettre sur scène dans le rôle du perfide courtisan même s’il ne manque pas de mentionner à deux reprises le personnage de Cécile :
Elle croit le raport de ces esprits servilesDes infames Cobans, des Ralegs, des Ceciles (v. 231-232).Donnez-vous ce spectacle aux Cobans, aux Ceciles ? (v.1319).
Cette option laisse à Boyer une plus grande liberté d’invention, ne risquant pas ainsi de défigurer aux yeux du public un personnage historiquement marqué. En fait, Coban a un plus grand rôle, plus décisif que Cecile dans la pièce de La Calprenède. Il porte toutes les fautes apparentes : conspirateur contre son rival, il est à l’origine des fausses accusations contre celui-ci ; conseiller perfide de la reine, il l’influence et lui fait l’aveu fatal contre les amants ; il visite Essex en prison, il pousse le peuple à se mutiner et finit par précipiter l’exécution d’Essex. Toutes ses actions n’ont qu’un but unique : perdre le comte. C’est le « méchant » dans toute sa noirceur, cette « Peste de Cour » qui, par contraste, fait ressortir « l’innocence » des amants. Coban et Raleg sont, en effet, à l’origine des accusations contre Essex – l’action de la pièce – tandis que La Calprenède ne donne ni à Cecile ni à Raleg ce rôle d’instigateur. Par contre, La Calprenède confère à Raleg un rôle plus important que dans l’autre poème. C’est lui qui rend visite à Essex, qui appuie la reine, qui conduit Essex à l’échafaud. En réalité, Boyer a pensé autrement ce personnage. Raleg est le second « méchant » , le deuxième conspirateur. C’est un moyen efficace pour commencer les actes par le dialogue de deux personnages qui sont « d’intelligence ». La scène d’exposition particulièrement soignée informe de façon naturelle le spectateur. Boyer reprend ce procédé au début du quatrième acte afin de rapporter les événements qui se sont passés pendant l’intervalle constitué par l’entracte. Raleg est donc plus un moyen dramaturgique utile qu’un personnage indispensable au développement de l’intrigue – à ceci près qu’un complot est toujours l’effet de plusieurs hommes. Boyer reprend également le personnage du chancelier d’Angleterre sous le même nom : Popham. Dans les deux pièces lui est assigné le même rôle. Il n’apparaît qu’au troisième acte et incarne le président du jury.
Mme Cecile est, quant à elle, remplacée par Clarence. Ce n’est pas seulement le changement d’un nom mais sûrement l’écart le plus notable de la part de Boyer par rapport à son modèle. Lancaster souligne l’ambiguïté d’un personnage tel que celui de Clarence. Pour notre part, nous préciserons que Mme Cecile semble être un personnage bien plus ambigu encore. En effet, il est bien difficile de savoir pour quel « camp » ce personnage se bat. Femme adultère, amante ou ancienne maîtresse de l’adversaire de son époux, Mme Cecile oscille entre son devoir envers sa reine, son amour pour Essex, son amertume contre lui et elle finit par confier à son mari – qu’elle sait pertinemment l’adversaire d’Essex aussi bien politiquement que sur le plan amoureux – le service que lui a demandé celui-ci, à savoir rendre la bague – gage d’amour que la reine confia à Essex ! La constance de ce personnage est tout aussi contestable que cet étonnant choix d’une amante rivale de la reine et épouse de l’adversaire politique de son mari. Complications inutiles et choquantes. Il nous semble que le double rôle de Clarence est beaucoup plus clair car plus tranché. C’est à la fois l’amante du favori de la reine et sa demoiselle d’honneur ce qui la place au cœur du dilemme tragique, place qui fait tout l’intérêt du personnage. Néanmoins même si elle essaie de concilier l’impossible, son action est claire : sauver son amant. Le rôle de Clarence n’est pas ambigu, il est un « rôle carrefour » entre tous les fils : le fil principal qui oppose la reine à son favori, le fil épisodique qui voit le conflit d’intérêt entre Clarence et Coban et enfin le fil épisodique amoureux. Ces fils « s’embarrassent » en partie à travers ce personnage. C’est pourquoi, par ailleurs, Boyer choisit de confier la direction du groupe des mutins au frère de Clarence, personnage hors scène mais qui agit directement sur l’action. En effet, son rôle « carrefour » la met au centre du dénouement et c’est elle qu’il faut éloigner de la reine, le temps qu’Essex soit mené au supplice.
Clarence est aussi en quelque sorte la confidente de la reine si bien qu’Alix – personnage que Boyer reprend sous le même nom – voit son rôle amoindri. Alors que dans la pièce précédente, Alix est la confidente qui écoute et calme la reine, elle ne joue plus dans la pièce de Boyer que les « utilités ». Elle introduit le comte (I, 5) , fait partie de la suite et dit moins de trois vers en tout et pour tout. Ce personnage est doublé comme chez La Calprenède par Léonor. Celle-ci introduit l’intervention de la reine (I, 3) et demeure absente, comme Alix, durant les trois actes suivants. Son rôle est plus important à l’acte V : elle calme Elisabeth, va chercher Essex, court lui porter sa grâce et revient pour écouter les plaintes de la reine n’annonçant pas la mort du comte, récit assumé par Valden. Autant dire que cette deuxième suivante joue elle aussi les « utilités ». Alors pourquoi avoir conservé ces deux personnages ? Un seul aurait pu assumer ces fonctions. Ce dédoublement était nécessaire chez La Calprenède du fait qu’au cinquième acte Elisabeth s’épanche auprès d’Alix interrompue par l’annonce de la mort d’Essex faite par Léonor et qu’elle renvoie Alix pour repousser les visites importunes pendant que Léonor lui fait part du désir de Mme Cecile de la rencontrer. En fait, le dédoublement n’est conservé que pour suggérer la pompe déployée en l’honneur de la reine.
Un capitaine des gardes, enfin, mentionné dans la liste des acteurs chez La Calprenède est repris par Boyer mais sous le nom de Valden en raison, nous semble-t-il, du rôle plus important qu’il joue dans cette dernière pièce. Le choix de Boyer semble s’inspirer du nom du connétable de la tour de Londres, le Baron Howard de Walden. En plus d’arrêter le comte et de le mener au supplice, c’est lui qui assure le récit de la mort du héros. Quant à l’huissier du cabinet que Boyer ne reprend pas, il n’avait chez La Calprenède que la fonction d’introduire Soubtantonne auprès de la reine après sa grâce.
En général, les personnages de Boyer sont plus tranchés et pensés, notamment, selon leur fonction au sein de la pièce. Ces écarts sur le plan du traitement des personnages trouvent un écho sur le plan structurel. Boyer suit de très près son modèle pour les deux premiers actes comme le grand nombre d’imitations de détail nous le confirme (voir les notes en bas de page). Cependant, la pièce de La Calprenède s’ouvre sur l’unique face à face entre Elisabeth et Essex tandis que chez Boyer, avant même que la souveraine ne rencontre Essex, elle ordonne son arrestation qui ne prendra finalement effet qu’à la fin de l’acte après leur premier entretien. Boyer reprend la résistance d’Essex, effective chez La Calprenède (I, 6) dans les craintes qu’expriment Coban (I, 3) et Elisabeth (I, 4). Rappelons également qu’Essex qui résiste au moment de son arrestation chez La Calprenède se présente volontairement dans l’autre pièce en sujet soumis même s’il est tout aussi fier et orgueilleux. L’acte I est donc celui de l’arrestation du héros consécutive aux accusations de trahison que Coban et Raleg ont fait courir comme chez La Calprenède même si elles ne résultent pas d’un complot.
L’acte II est celui des visites rendues au prisonnier sur la demande de la reine afin de fléchir Essex. Boyer fait se succéder Salisbery, Coban et Clarence tandis que chez l’autre poète, c’est plus confus. La reine ordonne d’une part à Cecile de rendre visite à Soubtantonne sans qu’aucune mention n’y soit faite par la suite et d’autre part, à Mme Cecile. Suite à une rupture de scène, Raleg s’entretient avec Essex – visite annoncée à aucun moment – avant celle de Mme Cecile. Enfin, alors que Boyer termine logiquement son deuxième acte par une « scène compte rendu » , La Calprenède s’en dispense. Résultat : l’acte II plus structuré et moins désordonné chez Boyer est plus efficace. Remarquons pour finir que Thomas Corneille fit ce même choix dont notre auteur s’est peut-être inspiré.
L’acte III chez La Calprenède comme chez Boyer est celui du procès du héros. Ceci reste néanmoins quasiment la seule ressemblance. À partir de cet acte, les deux pièces se démarquent de plus en plus. Là où La Calprenède, peu soucieux de règles à peine établies, fait une seule scène pour son troisième acte, Boyer, grâce à des choix différents, l’aménage plus consciencieusement. Rappelons que le personnage de Salisbery permet l’intervention de la reine en faveur d’Essex et que finalement le fil épisodique Clarence-Coban s’embarrasse avec le fil principal (aveu de Clarence III, 7). Par conséquent, dès lors les pièces s’éloignent. La Calprenède, dans son troisième acte, ne prépare pas le suivant qui verra la nouvelle visite de Mme Cecile, pendant laquelle Essex lui confiera la bague, ni son monologue de repentir et moins encore la réaction de Mme Cecile. Au contraire, Boyer en mêlant le fil épisodique Clarence-Coban avec le fil principal amorce l’enchaînement du deuxième aveu puis de la bague et enfin de la mutinerie.
Pour finir, les cinquièmes actes sont logiquement très dissemblables. On retrouve chez La Calprenède uniquement la scène où Salisbery plaide pour la grâce d’Essex (V, 3) mais à l’acte IV, avec la même démarche entreprise par Soubtantonne. L’acte V est celui du dénouement donc celui de la mort d’Essex et celui de sa reconnaissance avec dans les deux pièces la connaissance tardive du motif de la bague par la reine : pendant l’exécution d’Essex chez Boyer, suite à l’entretien d’Elisabeth et Mme Cecile mourante et repentante chez La Calprenède. Boyer, quant à lui, fait mourir le sombre personnage de Coban. Dans les deux pièces, plus encore dans celle de La Calprenède, la déploration est assurée par la reine.
Cette analyse révèle la grande maîtrise technique de Boyer. Son poème plus structuré, plus « lié » – l’enchaînement de causes et d’effets est soigné – ne présente pas, en outre, les nombreuses ruptures de liaison de scènes (cinq au total) de celui de La Calprenède, ce qui n’est pas sans lien avec l’observation plus flottante de la règle de l’unité de lieu. En effet, tandis que « la scène est à Londres » chez ce dernier, elle se déroule « à Londres dans le Palais Royal » dans l’autre pièce. Avec deux lieux – le palais et la prison – La Calprenède ne peut éviter des ruptures de liaison de scènes. En outre, le style très chevillé que l’on reprocha à Boyer est pire encore chez La Calprenède qui cumule les répétitions en début ou fin de vers pour obtenir un alexandrin. Souvent ses scènes sont de faux dialogues ou de longs monologues tandis que Boyer parvient souvent à éviter les scènes où se succèdent de longues tirades. Enfin surtout, Boyer soigne particulièrement ses débuts et fins d’actes. Il ménage à chaque clôture d’acte un effet de suspension qui maintient l’attention du spectateur en alerte : arrestation du comte (I) , annonce d’un procès (II) , condamnation suivie du premier aveu de Clarence (III) et bague remise à Clarence avec menace d’une mutinerie (IV). Quant aux entrées des actes, Boyer ne manque pas de préciser d’une manière ou d’une autre ce qui s’est déroulé pendant le temps de l’entracte. En outre, ce travail est servi par un « feu » et un style imagé parfois emphatique.
Une construction racinienne §
Même si Boyer reprit de nombreux éléments à son modèle, Le comte d’Essex de La Calprenède, sa tragédie n’en est pas moins singulière du fait de sa construction. Pour cela, il n’est pas inutile de retrouver les étapes de la démarche créatrice de Boyer. Georges Forestier dans son article Dramaturgie racinienne, petit essai de génétique théâtrale rappelle les différents degrés de l’élaboration dramatique :
transformer une histoire en un sujet, et le sujet en une action ; inventer des « épisodes » (au premier rang desquels l’épisode amoureux) qui viendront « s’embarrasser » avec l’action principale, […]. Il s’agit ensuite de prêter des caractères, des passions et des sentiments aux protagonistes de l’action que sont les personnages […] de leur prêter aussi des pensées et des réflexions sur la portée de leurs actes […].
Suivant ce processus, on peut imaginer quel a été celui de Boyer. Tout comme La Calprenède et Thomas Corneille, il choisit l’histoire du comte d’Essex et de la reine, Elisabeth Ire en traitant le sujet suivant : la mort du comte d’Essex contre la volonté d’Elisabeth dont il est le favori. Dès à présent, on constate que Boyer – comme La Calprenède par ailleurs – en choisissant le dernier épisode de la vie de son héros, suit la conception de la crise tragique qui veut que l’action débute au plus près du dénouement respectant d’une part les règles d’unité de temps (même si les événements sont nombreux dans la pièce) et d’action, et déployant d’autre part une matière minimale41. Cette crise résulte du rabattement du dénouement sur les cinq actes qui précèdent. Le poète réfléchissant ainsi part de la fin de son poème, c’est-à-dire du dénouement qui est aussi son sujet, pour « construire à rebours » l’action de la tragédie. Ce principe de création permet de construire une intrigue où chaque élément découle du précédent : Essex meurt car Coban précipite l’exécution que devait interrompre Léonor porteuse de sa grâce. En effet, Clarence remet tardivement la bague à la reine en raison de la mutinerie menée par son frère sous l’excitation de Coban et Raleg qui veulent tout faire pour perdre le comte et prévenir un retour d’affection éventuel de la reine, matérialisé par la bague confiée à Clarence par Essex pour sauver son amante menacée après la révélation de Coban sur leur amour secret. Cet aveu est une contre-attaque après celui de Clarence concernant les sombres projets de Coban. Et si Clarence décide de faire ces révélations c’est à cause de la condamnation à mort par le jury d’un procès décidé par la reine face au mutisme persistant de son favori, silence causé par son orgueil sans borne. La reine demande, en effet, à Essex de s’humilier afin d’oublier les charges qui pèsent contre lui, inventées de toute pièce par des courtisans jaloux de la faveur d’Essex auprès de la reine. L’enchaînement de causes et d’effets pensé à l’envers, c’est-à-dire du dénouement vers le début de la crise, revêt cependant à la lecture l’impression inverse. C’est le principe même du dénouement rabattu qui laisse un espace de liberté aux personnages qui, aveuglés par leur passion ou leurs sentiments, font les mauvais choix jusqu’au dénouement fatal.
Revenons à présent au processus décrit précédemment. Du sujet, Boyer imagine l’action principale de son poème : Coban, jaloux de la gloire et de la faveur d’Essex conspire pour le perdre. L’intrigue nécessite en outre l’invention d’épisodes qui doivent « s’embarrasser » avec l’action principale. Boyer montre donc Elisabeth cherchant à sauver son favori sans perdre la face, il invente un conflit d’intérêts opposant Coban et Clarence. L’épisode amoureux présente Essex et Clarence qui s’aiment en secret. Cet enjeu amoureux ne se substitue néanmoins jamais à l’enjeu principal qui est un enjeu de vie ou de mort et qui forme comme l’explique Corneille « l’unité de péril » : Elisabeth, Salisbery et Clarence craignent la mort d’Essex tandis que Coban et Raleg la souhaitent. Par contre, la tension entre l’action principale et les actions épisodiques est telle qu’elles ne forment qu’une seule et même intrigue. En effet, on remarque que, comme dans Bajazet de Racine42, les relations entre les personnages principaux tant qu’épisodiques semblent être liées selon le même schéma que ce soit du point de vue politique ou amoureux. Ainsi Coban tient Elisabeth par les faux témoignages dont elle doit tenir compte, elle-même tenant dans ses mains la vie de son sujet, Essex, dont dépend la vie de Clarence43. Ce schéma peut se superposer à celui de la pastorale développé de la manière suivante par Boyer : Coban « aime » la reine qui aime Essex qui aime Clarence et en est aimé44. En outre, ce dernier « réseau amoureux » semble interférer avec le réseau politique en inversant les liens de dépendance entre les protagonistes : Coban attend d’Elisabeth la décision ferme de condamner Essex, la décision de celle-là étant tributaire de l’attitude de son favori, lui-même dépendant des actions de Clarence à qui il a confié la bague45. Cependant, force est de constater que ce double réseau de relations n’interfère que très ponctuellement sur l’action et les desseins de Coban, qui obtient malgré tout ce pour quoi il a conspiré : l’exécution de son rival. Remarquons néanmoins que la seule conséquence de taille c’est que Coban a dû précipiter l’exécution du comte et par conséquent, s’est dévoilé ainsi que les autres conspirateurs, entraînant sa mort et l’arrestation de ses complices. Rien a changé entre le premier acte et le dernier sinon que cette conspiration a aussi entraîné derrière elle la mort de son instigateur principal. En fait, les relations entre Elisabeth, Essex et Clarence n’ont pas empêché le dénouement annoncé par Coban et Raleg dès la première scène. Le conflit qui oppose Coban et Essex demeure le même. Les actions épisodiques traversent l’action principale afin de la faire avancer sans toutefois en changer le cours.
Enfin, le poète doit encore prêter à ses personnages des caractères, des passions et des sentiments qui peuvent motiver l’action : le sens de l’honneur et la fierté d’Essex motivent son silence obstiné, la passion d’Elisabeth pour son favori lui fait retarder son exécution causant ainsi ses interventions, la jalousie de la souveraine envers les amants explique le prompt retour de sa sévérité, la haine de Coban entraînant sa jalousie motive ses actions les plus noires… Pour finir, Boyer prête à ses personnages des discours qui révèlent leurs pensées et leurs réflexions sur leurs actes. On trouve même quelques réflexions d’ordre général ou politique dans la bouche des protagonistes :
Le soubçon suit toujours la grandeur souveraine (v. 364)La véritéDu mensonge toûjours perce l’obscurité (v. 397-398)
Cependant Boyer, comme Racine, n’en abuse pas et ne noie pas sa tragédie dans de tels discours, privilégiant la peinture de personnages humains (voir chapitre suivant).
Boyer, on l’a vu, suit de très près les relations entre les personnages et donc l’intrigue de Bajazet, tragédie de Racine jouée au début de l’année 1672 que Boyer ne peut pas ignorer. La ressemblance avec la pièce de Racine ne s’arrête pas là et même il semblerait que d’une façon plus générale, Boyer se soit inspiré de l’esthétique « nouvelle » – qui est en fait un retour conscient de Racine aux sources antiques, n’oublions pas que c’est un partisan des Anciens – revendiquée par Racine :
une action simple, chargée de peu de matière, telle que doit être une action qui se passe en un seul jour, et qui s’avançant par degré vers sa fin46. (Nous soulignons.)
Nous retenons plus particulièrement ici, comme l’a fait Georges Forestier dans son édition, la dernière proposition qui s’oppose à la conception cornélienne de la « situation bloquée » où le noeud inextricable et mortel nécessite un coup de théâtre pour le dénouer. Cette action dite « complexe » s’oppose au principe de l’action continue défendu par Racine débouchant sur un « dénouement qui réalise les virtualités inscrites dans le commencement de la pièce47 ». La contrepartie de cette conception esthétique racinienne qui nous semble reprise par Boyer à son compte, c’est l’impression constante de réversibilité de l’enchaînement tragique détaillé plus haut. La mort d’Essex est, en fait, quasiment inévitable, Coban et Raleg étant décidés à tout tenter pour le perdre. Mais pendant toute la pièce jusqu’à l’annonce de la mort effective du héros, la menace se rapproche progressivement : l’indulgence de la reine laissant la place à la sévérité d’un jury puis à la rancune d’une amante jalouse. Cependant, tout semble toujours possible. Un espace de liberté est laissé aux personnages qui néanmoins font toujours les mauvais choix, comme par exemple Clarence qui décide d’accuser Coban alors même qu’elle devrait savoir que le courtisan en retour avouera son secret qu’elle ne peut nier. De même, Essex peut décider de s’humilier ou peut également utiliser la bague, décision qu’il prendra bien trop tard en la confiant qui plus est à Clarence et non en la remettant directement à sa souveraine… Toujours dans la même optique, Elisabeth peut à chaque instant intervenir en faveur du comte, comme en témoignent ses interventions auprès de lui pour le convaincre d’avouer son crime. D’ailleurs, elle finit par accorder sa grâce au comte mais en vain... Clarence comme les autres personnages est leurrée par cette réversibilité illusoire : à trois reprises, elle croit que son amant est sauvé. D’abord après l’interruption du procès par la reine (III, 7) puis peu après, avec l’aveu qu’elle fait à Elisabeth et pour finir lorsqu’elle remet la bague à la reine. Dès lors, le tragique ne semble plus exercer la même pression tandis qu’en réalité, loin de relâcher leurs efforts, les conspirateurs trament déjà de nouveaux stratagèmes pour perdre Essex. Par contre, le public pour sa part n’est pas dupe, il est spectateur de l’aveuglement des personnages sur leur propre destinée. Cette ironie tragique crée un pathétique moins intense qui est suppléé par le prolongement de l’action après la mort du héros comme dans Britannicus ou Bajazet. L’émotion que provoquent le discours de Valden – comme celui de Burrhus dans Britannicus – et celui de Salisbery est traduite sur scène par les larmes et la douleur d’Elisabeth (et de Clarence). Cette déploration finale conduit à la libération d’un pathétique « à l’antique ».
Nous constatons donc que Boyer, pourtant « disciple » de Corneille depuis ses débuts, s’est largement inspiré de l’esthétique racinienne et aussi de l’intrigue de Bajazet pour construire celle de son poème. Il ne s’est pas arrêté à cette imitation structurale et s’est appliqué, à l’exemple de son rival, à peindre des « héros » humanisés et faillibles.
Les personnages §
Boyer construit donc une intrigue qui emploie le principe racinien de l’action continue ainsi qu’un enchaînement logique de causes et d’effets où non seulement s’intègrent des motifs rationnels mais aussi des motifs purement passionnels comme l’épisode amoureux d’Essex et Clarence, la passion d’Elisabeth pour Essex et encore des motifs de l’ordre des sentiments comme le sens de l’honneur du Comte ou la jalousie de Coban d’une part – motif essentiel puisque déclencheur de l’action – et celle d’Elisabeth d’autre part. Tous ces motifs humains qui entrent directement dans l’intrigue et exercent une influence décisive sur l’action sont le résultat d’une construction minutieuse de personnages dont le tempérament est un élément actif. S’éloignant de la conception cornélienne du héros parfait, Boyer semble, en effet, copier une fois de plus Racine qui revendique le « naturel » de ses personnages plus vraisemblables – Racine dénonce, dans la préface de Britannicus, Corneille qui semble « s’écarter du naturel pour se jeter dans l’extraordinaire » et fait « dire aux acteurs tout le contraire de ce qu’ils devraient dire » – personnages auxquels les spectateurs s’identifient plus facilement. Le personnage racinien « ni tout à fait coupable, ni tout à fait innocent48 » est en fait un héros faillible. Cette notion revendiquée par Racine résulte de la conception Aristotélicienne selon laquelle un homme même vertueux est susceptible de commettre une faute49, ce que Racine transforme en terme « d’imperfection ». Il renonce donc à peindre le héros dans sa perfection et préfère un héros faillible qui ne suscite pas l’admiration mais la compassion.
Il nous semble que Boyer emprunte à son rival cette conception pour construire la plupart de ses personnages même si parfois ils peuvent d’abord sembler parfaits. Ainsi Clarence semble une pure héroïne et une parfaite amante dévouée toute entière au salut de celui qu’elle aime.
Vous voyez sa beauté, mais vous ne sçavez pas,Quels tresors sont cachez sous ses jeunes appas.Une ame grande et belle, une noble tendresse,Une foy sans exemple, un amour sans foiblesse (v.389-393).
Cependant c’est un personnage à mi-chemin entre celui de Britannicus et celui d’Atalide (Bajazet). En effet, son rôle est celui de la victime mais plus encore de la jeunesse qui, aveuglée, commet des fautes. Comme Britannicus, « qui a beaucoup de cœur, beaucoup d’amour, beaucoup de franchise et beaucoup de crédulité, qualités ordinaires d’un jeune homme50 » , Clarence est dotée elle aussi d’une extrême jeunesse ce que Coban ne manque pas de relever : « Un cœur jeune est mal propre à garder un secret » (v. 50). En effet, le caractère de la jeunesse est une forme d’imperfection. La jeunesse inexpérimentée est impulsive, franche et crédule. D’ailleurs Clarence ne court-elle pas elle-même à sa perte en avouant le secret de Coban, rival d’Essex ? Face à son ennemi, elle tente de lui tenir tête mais déjà le spectateur peut ressentir la supériorité du courtisan qui sait quand et quoi dire tandis que Clarence s’emporte. C’est donc son inexpérience qui la conduit à faire le mauvais choix et parler alors même que Coban l’avait mise en garde (I, 2).
En outre, Clarence comme Atalide est fautive d’avoir dissimulé son amour pour Essex. En effet, le schéma de relations entre les personnages, emprunté à Racine, révèle la même faute chez Boyer : « un couple d’amoureux contraints à la dissimulation pour pouvoir s’aimer en toute sécurité, tout en essayant de contrôler les conséquences de l’envahissante passion d’une femme en possession d’un pouvoir de coercition »51. Et comme dans Bajazet où Atalide pousse son amant à cacher leur passion « Je l’ai pressé de feindre, et j’ai parlé pour lui » , c’est Clarence qui incite Essex à dissimuler leur amour :
je craignis cet amour et pour vous et pour moy […]Je voulus éviter les yeux de nos jaloux,Vous donner tous mes soins, ne vivre que pour vous […]Vous rompites le coup que j’avais résoluMe voilà dans les fers, vous l’avez bien voulu (v. 509, v. 513-514, v. 517-518).
Cependant tandis qu’Atalide exprime clairement son sentiment de culpabilité, Clarence pour sa part se défend invoquant la générosité de son amour cédant devant la raison d’État. Et comme Atalide, elle rappelle également que leur amour est né avant de connaître celui de la reine :
Dés mes plus tendres ans ayant aimé le Comte,Bien loin que mon amour me fasse quelque honte,Et qu’il doive attirer sur moy vostre couroux,Apprenez, admirez ce qu’il a fait pour vous.Cét amour s’élevant au dessus de tout autre,Ce trop fidelle amour fut si fidelle au vostre,Que voyant que le Comte honoré de vos feux,Craignoit dans cet amour un bien trop dangereux,Mon amour malgré luy, luy fist garder sa place,Je voulus tout risquer plûtost que sa disgrace.Pour rompre son dessein que ne tentay-je pas ! (v. 1047-1057)
Ses tirades de parfaite amante voilent la faute dont elle est néanmoins coupable. Ainsi comme Racine, Boyer évite l’écueil qui consiste à ce que les malheurs de la victime suscitent de l’indignation et non pas de la pitié. Clarence même si elle ne meurt pas au dénouement est cependant une victime puisqu’elle souffre à travers la perte de son amant et provoque ainsi la compassion du public. Quant à Essex, comme Bajazet, c’est un héros parfait aussi soucieux de sa gloire qu’un héros cornélien. Son caractère pétri par l’orgueil et parfaitement absolu ne lui permet pas d’avouer un crime qu’il n’a pas commis, même sur la demande expresse de sa souveraine. Ce héros « généreux » ne peut supporter une telle humiliation. C’est d’ailleurs le principal ressort de l’action principale, Coban jouant sur cette donnée qui est de l’ordre du sentiment pour parvenir à ses fins. La défense qu’Essex adopte est d’ailleurs proprement cornélienne :
Mais, Madame, voila comme il y faut répondre,Et si de tels témoins font douter de ma foy,Je laisse à mes exploits à répondre pour moy (v. 268-270).
Il se présente de lui-même comme un héros parfait à qui on ne peut reprocher que ses exploits. Cependant ce « héros généreux » n’est pas pur et innocent. Il est coupable comme Clarence d’avoir dupé sa reine. De la même manière que Roxane, Elisabeth est humiliée par la manœuvre des amants :
Ah ! je ne voy que trop ces perfides Amans.Malgré leur artifice une ardeur empressée,Mille soins naturels s’offrent à ma pensée.Ay-je pû m’abuser en les voyant tous deux ?Sous la tendre amitié le secret de leurs feux,A-t’il pû si long-temps échaper à ma veuë (v. 1002-1007) ?
Aveuglée par sa passion, Elisabeth ne perce pas à jour le rôle de médiateur de Clarence qui veut sauver le Comte sans manquer à son devoir envers sa reine. Elle cède à la jalousie qui l’aveugle plus encore sur le monde qui l’entoure, négligeant une enquête pourtant nécessaire. Cependant la reine n’est pas tout à fait une pure victime. Elle aime en dessous de son rang et persiste consciemment dans son erreur :
A ma confusion j’avoüeray ma foiblesse,Mon courroux ne sçauroit dedire ma tendresse.Si tu me vois rougir de ma facilité,Pour ne pas rougir seule aprés tant de bontéDaigne avoüer ton crime et joüir de ma grace (v. 211-215).
Le seul personnage construit parfaitement d’un bloc est le rôle du conspirateur. Coban est cette « Peste de Cour » , ce parfait « méchant » revêtant une image de tyran, même s’il n’en a pas le statut. En effet, si on replace son rôle dans le réseau relationnel sur le modèle de Bajazet, sa fonction s’apparente à celle d’Amurat. Toutes ses actions ont pour but de perdre le Comte sans jamais, comme Néron dans Britannicus, faire preuve d’aucune faiblesse ou hésitation. Il est donc tout à fait logique que cette figure tyrannique ne jouisse pas de son crime mais trouve la mort au dénouement ; dans le cas contraire, comme le souligne Aristote, le spectateur n’aurait pas ressenti de la crainte mais de l’indignation52. Reste encore Salisbery dont l’amitié sincère et parfaite ne donne qu’un seul signe de faiblesse :
Faut-il combattre encore un amy tel que vous ?D’un indigne attentat m’avez-vous crû capable (v. 342-343) ?
Il est donc clair que Boyer construit ses personnages sur le modèle racinien introduisant ainsi des motifs humains et vraisemblables dans l’enchaînement causal. Ses héros sont faillibles, imparfaits même s’ils se comportent et réfléchissent souvent comme des héros cornéliens. Clarence moins perfide qu’Atalide qui n’hésite pas à perdre Roxane, Essex tout aussi fier que Bajazet et Elisabeth moins fautive que Roxane qui trahit Amurat font face à un seul « méchant » dont les actions toujours plus noires font des autres personnages des victimes même si elles ne sont « pas tout à fait innocentes ».
Une tragédie judiciaire entre secrets et aveux §
L’action de la pièce est comprise entre le moment où le complot de Coban et Raleg commence à mettre en danger Essex et le moment où Essex est exécuté après cette brigue. L’action principale présente Coban cherchant à se débarrasser d’Essex, son rival politique. Mais le conspirateur ne possède pas en main propre le pouvoir de faire tomber Essex ; il est dépendant de la décision d’Elisabeth, principal personnage épisodique qui est aussi amoureuse du comte. La décision de faire exécuter un sujet ou au contraire, de le gracier lui appartient. D’un autre côté, Clarence, le second personnage épisodique, la femme dont Essex est épris, est également la rivale de la reine, rivalité susceptible d’allumer la jalousie dans le cœur d’Elisabeth et de la conduire à condamner sans retour Essex à la mort. Par conséquent, l’épisode directement tiré de l’action principale – Elisabeth doit décider du devenir de son sujet mis en cause par la brigue de Coban – est complètement imbriqué dans l’action principale. L’enchaînement logique de causes et d’effets n’est pas inéluctable. En effet, la décision finale résulte non pas d’événements objectifs – nous reviendrons sur la mutinerie et la bague – mais d’événements plus arbitraires... Seul le procès est un fait concret, c’est même l’événement central qui déclenche une accélération dans l’enchaînement logique. En effet, à l’acte III, la menace devient plus pressante puisque le procès entérine la condamnation à mort du comte. Et pourtant les relations entre Essex, Elisabeth, Coban et Clarence ne changent pas. En fait, depuis le début du premier acte, l’effet des intrigues de Coban contre Essex – premier événement déclencheur de l’action principale – dépend de la capacité de persuasion d’Essex, de celle de dissimulation de Clarence, de celle de manipulation de Coban et de l’aveuglement d’Elisabeth. Il n’y a pas de faits concrets tant que continuent les discours délibératifs, c’est-à-dire jusqu’à la mutinerie et la remise de la bague à la reine. Finalement les actions qui constituent l’intrigue du comte d’Essex sont des aveux refusés, des silences interprétés, des défenses stériles puis des aveux successifs avant de laisser la place à l’action.
Au théâtre, la parole est action. Ce constat est renforcé de deux façons dans cette pièce. D’une part, cette tragédie est avant tout une pièce judiciaire qui voit s’affronter juges Elisabeth et aussi le jury présidé par Popham avocats Coban, Clarence et Salisbery et l’accusé, Essex assumant à plusieurs reprises sa propre défense. Le seul pouvoir de ces personnages réside dans leur force de persuasion. D’autre part, toute la pièce est centrée sur le surgissement de la parole ou le silence des personnages, première conséquence du dilemme tragique que Clarence expose très clairement en ces termes :
Vous dois-je conseiller ou d’irriter la Reine,Ou de perdre l’honneur pour éviter sa haine ?L’infamie ou la mort ! quel horrible secours !Faut-il sacrifier vôtre gloire ou vos jours (v. 491-494) ?
Mais que faut-il comprendre sous l’alternative « perdre l’honneur » ? La reine, quant à elle, présente l’alternative sous un autre jour : parler ou mourir tel est l’enjeu tragique auquel se trouve confronter le comte.
Mais enfin contentez ma juste impatience,Le Comte veut-il rompre, ou garder le silence ?Veut-il dans son orgueil toûjours perseverer (v. 583-585) ?
D’ailleurs si on analyse le vocabulaire employé par les protagonistes, le résultat parle de lui-même. Les termes « secret, parler, avouer, dire, silence, confesser, cacher, taire » et autres synonymes sont très fréquents.
Mais revenons une dernière fois sur l’aspect judiciaire de cette pièce. Le procès est la conséquence directe de l’inflexibilité du comte qui, face à la reine, déchire la lettre, principale preuve tangible sur laquelle repose l’accusation contre Essex. En effet, c’est ce geste qui décide la reine à convoquer le conseil pour juger le comte.
Ce billet déchiré redouble vostre crime.Je voulois te soustraire à la rigueur des Lois,Ingrat, je te voulois absoudre par ma voix.Ma gloire en ta faveur s’est presque dementie,Seule j’estois icy ton juge et ta partie ;Ton juge et ta partie alloit parler pour toy ;D’autres Juges, ingrat, te parleront pour moy (v. 272-278).
Elisabeth souligne son double rôle dans ce procès improvisé, « ton juge et ta partie » , qui se superpose, en réalité, à sa double position en tant que reine et amante. C’est encore devant la reine c’est-à-dire le juge qui tranche le sort de l’accusé que Clarence et Coban viennent plaider la cause d’Essex et celle de l’État (I, 9). En fait, Clarence comme Atalide dans Bajazet parle pour Essex, elle se fait l’interprète de ses silences et tente de convaincre Elisabeth de la fidélité de son sujet. C’est particulièrement vrai pour la scène 4 de l’acte IV :
Madame, il vous adore et son ame charmée,Vous gardera toûjours ce qu’il vous a promis (v.1116-1117).
Salisbery tente aussi de convaincre la reine et de défendre son ami mais c’est un bien piètre avocat (V, 3) comparé à Coban, ce courtisan, habile orateur. En effet, il déjoue facilement le piège tendu par la reine pour démasquer son imposture. Il répond avec prudence (« L’amour de mes pareils est toûjours temeraire. […] Ce discours me surprend, que me voulez-vous dire ? » v. 936 et 955). Le perfide courtisan parvient ainsi à faire parler la reine alors que c’est elle qui voulait lui faire avouer son crime. Enfin remarquons qu’Elisabeth veut non seulement être le juge et la partie d’Essex mais qu’elle est aussi la victime ! En fait, comme elle le précise le vers 875 – « Ne craignez rien, l’amour est au dessus des lois » –, et c’est au nom de son amour qu’elle se permet cette entorse vis à vis de la loi. Cependant, lors de son procès, Essex assume seul sa défense développant la même argumentation qu’à l’acte premier :
Ce sont là mes forfaits ; combattre heureusement,M’immoler pour l’Etat, obeïr promptement,A tous mes ennemis me livrer sans deffence,M’assurer sur ma Reine et sur mon innocence :Voila mes attentats (v. 663-667).
Il prend soin néanmoins de rappeler les accusations qui pèsent contre lui afin de mieux les réfuter ensuite. Pendant ses entrevues avec la reine, son système de défense ne change pas, il ne veut en aucun cas sacrifier sa gloire, nie en bloc les accusations en s’appuyant sur ses exploits comme preuves de son innocence.
***
Boyer ne fait pas discourir tous ses personnages de la même manière privilégiant la vraisemblance de chaque discours et respectant la constance de leur caractère. Clarence, même si elle essaie d’être subtile et de parler à bonne escient, ne discourt pas de la même manière que Coban, un homme de cour expérimenté et habile qui ne sait pas seulement « et parler et [se] taire » (v. 116) mais quand parler et se taire ainsi que faire parler. Quant à Essex plus soucieux de sa gloire que de sa vie, il ne sait pas maîtriser ses élans ni son orgueil qui le pousse jusqu’à exprimer son dédain envers ses propres juges.
Le texte de la présente édition §
Il n’existe qu’une seule édition du Comte d’Essex, exécutée en 1678 par Charles Osmont [Ars. : Rf 5648 = microfiche B.N. : ms. 11523]. En voici la description :
4ff. non chiffrés [I. I bl-6] - 74 p. ; in-12.
: le comte /d’essex. / tragédie. /Par Monsieur boyer , de l’Aca- / demie Françoise. / (vignette) / a paris, / Chez Charles Osmont, dans / la grande Salle du Palais, du costé de la / Cour des aydes, à l’Ecu de France. / m. dc. lxxviii. /Avec Privilege du Roy.
: verso blanc.
(3-5) : au lecteur
(6) : Extait du Privilege du Roy. (avec l’achevé d’imprimer en date du 20 avril 1678)
(7) : errata. (9 corrections)
(8) : acteurs.
74 pages : le texte de la pièce, précédé d’un rappel du titre en haut de la première page (en dessous d’un bandeau gravé sur bois).
Établissement du texte §
Pour l’établissement du texte, nous avons suivi la leçon de cette unique édition. Nous nous sommes toutefois livré à quelques rectifications d’usage qui nous ont paru indispensables pour une parfaite compréhension du texte :
- nous avons apporté les modifications typographiques qui peuvent gêner le lecteur d’aujourd’hui ; ainsi avons-nous distingué i et u voyelles, de j et v consonnes, conformément à l’usage moderne ;
- nous avons supprimé le tilde qui était employé pour indiquer la nasalisation d’une voyelle, et avons décomposé ces voyelles nasales en voyelle + consonne ;
- nous avons décomposé la ligature & en et ;
- nous avons rétabli le trait d’union dans les formes grammaticales inversées du type verbe-sujet, lorsqu’il manquait (v. 87, 144, 203, 204, 206, 288, 343, 439, 453, 455, 494, 681, 733, 744, 747, 955, 1026, 1039, 1128, 1139, 1142, 1184, 1186, 1319, 1321, 1371, 1454) ;
- nous avons rétabli, lorsqu’il manquait, le trait d’union après les verbes à l’impératif suivis d’un pronom complément, (v. 54, 121, 265, 282, 418, 419, 546, 559, 587, 591, 623, 711, 929, 937, 961, 1001, 1046, 1134, 1187, 1188, 1214, 1222, 1245, 1263, 1269, 1291)
- nous avons amendé quelques leçons manifestement incorrectes (corrections signalées dans les notes en bas de page).
En revanche, nous avons respecté la ponctuation primitive, sauf lorsque, dans de très rares cas, elle paraissait fautive (corrections signalées dans les notes) : la ponctuation consistait alors en une ponctuation orale.
Un astérisque* à la fin d’un mot renvoie le lecteur au glossaire, pour une définition de ce mot en usage au XVIIe siècle et éventuellement un commentaire des occurrences.
LE COMTE D’ESSEX TRAGEDIE. §
AU LECTEUR. §
N’ayant commencé la composition de cette piece que six semaines53 tout au plus avant la premiere representation de celle qui a esté joüée à l’Hostel de Bourgogne sous le mesme titre54, elle n’a pû paroistre à mesme temps sur l’autre Theatre55. Ainsi j’avois à craindre pour un Ouvrage qui n’avoit ny la grace de la nouveauté, ny les avantages de la concurrence. Le succés a passé mon attente56. Mon dessein n’a jamais esté de suivre l’exemple de ceux qui par chagrin ou par émulation ont doublé des pieces de Theatre. Je puis dire seulement que Monsieur Corneille57 et moy nous avons puisé les idées d’un mesme sujet dans une mesme source : c’est à dire dans le Comte d’Essex58 que Monsieur de la Calprenede a fait il y a plus de trente ans59. J’avoüray de bonne foy que je l’ay imité dans quelques endroits, et que mesme je me suis servi de quelques vers de sa façon60. J’ay crû que puisque nos meilleurs Autheurs se picquent d’emprunter les sentimens et les vers des Anciens qui nous ont devancés de plusieurs siecles, que nous pouvions aussi emprunter quelque chose de ceux qui ne sont plus et qui nous ont precedés de quelques années,61 et d’ailleurs estant pressé du temps et de l’envie d’achever promptement mon Ouvrage62, j’ay fait ceder mon scrupule à mon impatience.
Je ne m’amuseray point à justifier l’Episode de la Duchesse63 de Clarence et de Coban. Il suffit qu’elle a paru naturelle et heureuse64. Je n’ay pas oublié la circonstance de la bague. Je veux croire que Monsieur Corneille le jeune a eu ses raisons pour le faire65. Je la tiens historique, et d’ailleurs c’est une tradition si constante66 parmy tous les Anglois, que ceux de cette Nation qui ont vû le Comte d’Essex à l’Hostel de Bourgogne, ont eu quelque peine à le reconnoistre par le deffaut de cét incident.
ACTEURS. §
- LE COMTE D’ESSEX.
- ELIZABET, Reine d’Angleterre.
- LA DUCHESSE de Clarence.
- COBAN.
- RALEG. Seigneurs Anglois.
- LE COMTE de Salisbery67.
- POPHAM, Chancelier d’Angleterre.
- LEONOR.
- ALIX. Suivantes de la Reine.
- VALDEN, Capitaine des Gardes.
- SUITE.
ACTE I. §
LE COMTE D’ESSEX, TRAGEDIE.
SCENE PREMIERE. §
COBAN.
RALEG.
COBAN.
RALEG.
COBAN.
Elle peut faire un Roy :RALEG.
COBAN.
SCENE II. §
CLARENCE.
COBAN.
CLARENCE.
COBAN.
CLARENCE.
COBAN.
CLARENCE.
COBAN.
CLARENCE.
COBAN.
CLARENCE.
CLARENCE.
COBAN.
CLARENCE.
SCENE III. §
COBAN, bas.
CLARENCE, bas.88
COBAN, bas.89
LEONOR.
LA REINE.
Monstre d’ingratitude,CLARENCE.
LA REINE.
COBAN.
LA REINE.
VALDEN.
LA REINE.
COBAN.
[p. 8]LA REINE.
SCENE IV. §
LA REINE.
SCENE V. §
ALIX.
LA REINE.
ALIX.
CLARENCE.
SCENE VI. §
LE C. D’ESSEX.
LE C. D’ESSEX.
LA REINE à sa suite.
SCENE VII. §
LA REINE continuë.
LE C. D’ESSEX.
LA REINE.
LE C. D’ESSEX.
LA REINE.
LE C. D’ESSEX.
LA REINE.
LE C. D’ESSEX.
LA REINE.
SCENE VIII. §
LA REINE seule.
SCENE IX. §
CLARENCE.
COBAN.
CLARENCE.
COBAN.
LA REINE.
COBAN.
LA REINE.
LA REINE.
COBAN en s’en allant.
Fin du premier Acte.
ACTE II. §
SCENE PREMIERE. §
LE C. DE SALISBERY.
LE C. D’ESSEX.
LE C. DE SALISBERY.
[p. 18]LE C. D’ESSEX.
LE C. DE SALISBERY.
LE C. D’ESSEX.
LE C. DE SALISBERY.
LE C. D’ESSEX.
LE C. DE SALISBERY.
LE C. D’ESSEX.
LE C. DE SALISBERY.
LE C. D’ESSEX.
SCENE II. §
LE C. D’ESSEX continuë.
COBAN.
LE C. D’ESSEX.
COBAN.
LE C. D’ESSEX.
COBAN.
LE C. D’ESSEX.
COBAN.
LE C. D’ESSEX.
LE C. D’ESSEX.
COBAN.
LE C. D’ESSEX.
COBAN.
LE C. D’ESSEX.
COBAN.
LE C. D’ESSEX.
COBAN.
SCENE III. §
LE C. D’ESSEX.
CLARENCE.
LE C. D’ESSEX.
CLARENCE.
LE C. D’ESSEX.
CLARENCE.
[p. 26]LE C. D’ESSEX.
CLARENCE.
LE C. D’ESSEX.
CLARENCE.
LE C. D’ESSEX.
CLARENCE.
LE C. D’ESSEX.
SCENE IV. §
LA REINE.
CLARENCE à part.
LA REINE.
CLARENCE.
LA REINE.
CLARENCE.
LA REINE.
CLARENCE.
[p. 28]LA REINE.
CLARENCE.
LA REINE.
CLARENCE.
LA REINE.
SCENE V. §
CLARENCE seule.
Fin du second Acte.
ACTE III. §
SCENE PREMIERE. §
POPHAM.175
LE C. D’ESSEX.
[p. 31 Ciiij]POPHAM.
COBAN.
LE C. D’ESSEX.
RALEG à Coban.
[p. 33]POPHAM.
LE C. D’ESSEX.
LE C. DE SALISBERY.
POPHAM.
LE C. DE SALISBERY.
SCENE II.196 §
POPHAM.
LE C. D’ESSEX.
POPHAM.
SCENE III. §
LE C. DE SALISBERY.
POPHAM.
SCENE IV. §
LA REINE.
SCENE V. §
LA REINE.
LE C. D’ESSEX.
LA REINE.
LE C. D’ESSEX.
LA REINE.
LE C. D’ESSEX.
LA REINE.
SCENE VI.[p. 39] [Dij] §
COBAN, bas.
SCENE VII. §
CLARENCE.
CLARENCE.
LA REINE.
CLARENCE.
LA REINE.
CLARENCE.
LA REINE.
CLARENCE.
[p. 41 Diij]LA REINE.
CLARENCE.
LA REINE.
CLARENCE.
[p. 42]LA REINE.
Fin du troisiéme Acte.
ACTE IV. §
SCENE PREMIERE. §
RALEG.
COBAN.
RALEG.
COBAN.
RALEG.
COBAN.
RALEG.
SCENE II. §
LA REINE.
LA REINE.
COBAN.
LA REINE.
COBAN.
LA REINE.
COBAN.
LA REINE.
COBAN.
LA REINE.
COBAN.
LA REINE.
COBAN.
LA REINE.
COBAN.
LA REINE.
COBAN.
LA REINE.
COBAN.
Vous m’ordonnez de parler, c’est assez.LA REINE.
COBAN.
LA REINE.
COBAN.
LA REINE.
SCENE III. §
LA REINE seule.
SCENE IV. §
CLARENCE.
LA REINE.
CLARENCE.
LA REINE.
CLARENCE.
LA REINE.
CLARENCE.
LA REINE.
CLARENCE.
LA REINE.
CLARENCE.
[p. 53 Eiij]LA REINE.
CLARENCE. seule
SCENE V. §
LE C. D’ESSEX.
CLARENCE.
LE C. D’ESSEX.
CLARENCE.
LE C. D’ESSEX.
CLARENCE.
LE C. D’ESSEX.
LE C. D’ESSEX.
SCENE VI. §
LE C. DE SALISBERY.
CLARENCE.
LE C. D’ESSEX.
LE C. DE SALISBERY.
SCENE VII. §
LE CAP. DES GARDES.
LE C. D’ESSEX à Clarence.
Fin du quatriéme acte.
ACTE V. §
SCENE PREMIERE. §
COBAN, seul.
SCENE II. §
LA REINE.
LEONOR.
LA REINE.
COBAN.292
[p. 60]LA REINE.
COBAN.
LA REINE.
COBAN.
LA REINE.
COBAN.
LA REINE.
[p. 61]LA REINE.
SCENE III. §
LE C. DE SALISBERY.
LA REINE.
LE C. DE SALISBERY.
LA REINE.
SCENE IV. §
LA REINE.
LE C. D’ESSEX.
[p. 64]LA REINE.
LE C. D’ESSEX.
LA REINE.
LE C. D’ESSEX.319
LA REINE.
LE C. D’ESSEX.
LA REINE.
LE C. D’ESSEX.
LA REINE.
LE C. D’ESSEX.
SCENE V. §
LA REINE seule.
SCENE VI. §
CLARENCE.
LA REINE.
CLARENCE.
LA REINE.
CLARENCE.
LA REINE.
SCENE VII. §
COBAN.
LA REINE.
COBAN.
LA REINE à Leonor.
COBAN en s’en allant.
SCENE VIII. §
LA REINE.
CLARENCE.
LA REINE.
SCENE IX. §
LE C. DES GARDES.
LA REINE.
CLARENCE.
LA REINE.
LE C. DES GARDES.
LA REINE.
LE C. DES GARDES.
CLARENCE.
[p. 72]SCENE X. §
LA REINE.
SCENE DERNIERE. §
LA REINE.
LE C. DE SALISBERY.
LA REINE.
FIN.
Extrait du Privilege du Roy. §
Par grace et Privilege du Roy, donné à Paris le dix-huitiéme jour de Mars 1678. signé par le Roy en son Conseil, jonquieres, et scellé, il est permis à Charles Osmont Marchand Libraire à Paris, de faire imprimer, vendre et debiter une Tragedie, intitulée Le Comte d’Essex, de la composition du sieur Boyer, et ce durant le temps et espace de six années, à compter du jour qu’elle sera achevée d’imprimer pour la premiere fois, avec deffenses à tous Libraires, Imprimeurs, ou autres, d’imprimer, vendre ny debiter ledit Livre sans le consentement de l’Exposant, ou de ceux qui auront droit de luy, à peine de dépens, dommages et interests, ainsi qu’il est plus au long porté par lesdites Lettres.
Registré sur le Livre de la Communauté le 7. jour d’Avril 1678. Signé, couterot, Syndic.
Achevé d’imprimer pour la premiere fois le 20. Avril 1678.
Glossaire §
Tableaux §
Répartition des vers :
* présence muette du personnage.
** présence muette du personnage et non signalée.
Présence dans l’acte I §
sc 1 | sc 2 | sc 3 | sc 4 | sc 5 | sc 6 | sc 7 | sc 8 | sc 9 | total | |
C. D’ESSEX | 9.5 | 36.5 | 46 | |||||||
ELISABETH | 19.5 | 6 | 1.5 | 2 | 72 | 2 | 14 | 117 | ||
CLARENCE | 43 | 1.5 | * | 1 | * | 6 | 51.5 | |||
COBAN | 35.5 | 26 | 5.5 | 15 | 82 | |||||
RALEG | 18.5 | 18.5 | ||||||||
C. de SALISBERY | ||||||||||
POPHAM | ||||||||||
LEONOR | 0.5 | ** | ** | ** | 0.5 | |||||
ALIX | 2.5 | ** | 2.5 | |||||||
VALDEN | 4 | 4 | ||||||||
total | 54 | 69 | 31 | 6 | 5 | 11.5 | 108.5 | 2 | 35 | 322 |
Présence dans l’acte II §
sc 1 | sc 2 | sc 3 | sc 4 | sc 5 | total | |
C. D’ESSEX | 44.5 | 47 | 37 | 128.5 | ||
ELISABETH | 23 | 23 | ||||
CLARENCE | 37 | 31 | 12 | 80 | ||
COBAN | 34.5 | * | 34.5 | |||
RALEG | ||||||
C. de SALISBERY | 38 | * | 38 | |||
POPHAM | ||||||
LEONOR | ||||||
ALIX | ||||||
VALDEN | ||||||
total | 82.5 | 81.5 | 74 | 54 | 12 | 304 |
Présence dans l’acte III §
sc 1 | sc 2 | sc 3 | sc 4 | sc 5 | sc 6 | sc 7 | total | |
C. D’ESSEX | 47 | 3.5 | * | * | 44 | * | 95.5 | |
ELISABETH | 0.5 | 31.5 | 1 | 32.5 | 64.5 | |||
CLARENCE | 27.5 | 27.5 | ||||||
COBAN | 12 | * | * | * | 0.5 | 12.5 | ||
RALEG | 2 | * | * | * | 2 | |||
C. de SALISBERY | 14 | 2 | * | 16 | ||||
POPHAM | 25 | 8.5 | 0.5 | * | 34 | |||
LEONOR | ||||||||
ALIX | ||||||||
VALDEN | * | * | * | * | ** | |||
total | 100 | 12 | 2.5 | 0.5 | 75.5 | 1.5 | 60 | 252 |
Présence dans l’acte IV §
sc 1 | sc 2 | sc 3 | sc 4 | sc 5 | sc 6 | sc 7 | total | |
C. D’ESSEX | 49 | 2.5 | 5 | 56.5 | ||||
ELISABETH | 69.5 | 23 | 51.5 | 144 | ||||
CLARENCE | 64.5 | 26.5 | 0.5 | * | 91.5 | |||
COBAN | 16 | 25.5 | 41.5 | |||||
RALEG | 13 | 13 | ||||||
C. de SALISBERY | 12.5 | 12.5 | ||||||
POPHAM | ||||||||
LEONOR | ||||||||
ALIX | ||||||||
VALDEN | 1 | 1 | ||||||
total | 29 | 95 | 23 | 116 | 75.5 | 15.5 | 6 | 360 |
Présence dans l’acte V §
SC 1 | SC 2 | SC 3 | SC 4 | SC 5 | SC 6 | SC 7 | SC 8 | SC 9 | SC10 | SC11 | total | |
C. D’ESSEX | 63.5 | 63.5 | ||||||||||
ELISABETH | 35 | 3 | 50.5 | 5 | 6 | 1.5 | 12 | 4.5 | 4 | 16.5 | 138 | |
CLARENCE | 8 | * | 4.5 | 9 | 21.5 | |||||||
COBAN | 15 | 24.5 | 6 | 45.5 | ||||||||
RALEG | * | |||||||||||
C. de SALYSBERY | 31 | 31.5 | 62.5 | |||||||||
POPHAM | ||||||||||||
LEONOR | 3.5 | ** | ** | ** | * | ** | 3.5 | |||||
ALIX | ||||||||||||
VALDEN | ** | 9.5 | 9.5 | |||||||||
total | 15 | 63 | 34 | 114 | 5 | 14 | 7.5 | 16.5 | 23 | 4 | 48 | 344 |
Bibliographie §
Oeuvres de référence §
**
**