Par Monsieur BOYER
Chez AUGUSTIN COURBE ; au Palais,
dans la petite Salle, à la Palme.
M. DC. LX.
AVEC PRIVILEGE DU ROY.
Édition critique établie par Catherine Neveu sous la direction de Georges Forestier (2000)
Introduction §
« Daignez soûtenir la gloire de notre Siècle, qui avec toute la politesse et toutes les lumières d’un grand nombre d’habiles Gens, va estre deshonoré par la barbarie de l’Ignorance, ou par la malignité de l’Envie. V.A.S. a le Rang et le Sçavoir, qui peuvent s’opposer à la licence scandaleuse de quelques Esprits presomptueux qui montent sur le Tribunal, et s’y rendent tyranniquement les Arbitres Souverains de la bonne et de la mauvaise fortune des ouvrages de l’Esprit. » Voici en quels termes s’adresse en 1670 Claude Boyer au Grand Condé, dédicataire de sa comédie héroïque Policrate. Il convient en effet d’utiliser le terme de « mauvaise fortune » en ce qui concerne les œuvres de Boyer, si l’on considère l’oubli total que la postérité leur a réservé. La rivalité avec Racine, ainsi que Boileau et Furetière, explique l’éclipse connue par cet auteur jusqu’à nos jours.
Depuis quelques années Boyer semble sortir de son purgatoire grâce à la remise au jour de certaines de ses pièces : en 1985 tout d’abord, Christian Delmas inclut dans un Recueil des tragédies à machines sous Louis XIV, Les Amours de Jupiter et de Sémélé dont la première (et dernière édition jusqu’alors) datait de 1666. Le regain d’intérêt pour la notion de baroque explique la réédition de ce qui paraissait être la seule œuvre jugée digne d’être sauvée de l’oubli. Or, en 1990, paraît l’édition d’une autre œuvre de Boyer, Oropaste ou le faux Tonaxare, dont nul n’aurait jamais entendu parler si les auteurs, Christian Delmas et Georges Forestier n’avaient décidé d’en montrer l’intérêt pour le théâtre français du XVIIe siècle. Voici en quels termes les auteurs justifient leur entreprise :
Oropaste ou le faux Tonaxare est l’œuvre du meilleur émule de Corneille et sans doute sa meilleu-
re œuvre avec Les Amours de Jupiter et de Sémélé. […] Aussi la tragédie d’Oropaste et son auteur,
Boyer, sont-ils les types mêmes de l’œuvre et de l’écrivain à redécouvrir. […] Née [la conviction]
d’abord de la lecture de la tragédie, elle s’est trouvée confortée par un certain nombre de faits tout-
chant à la situation de la pièce et de son auteur en leur temps, à l’inscription de cette histoire de si-
sies dans un courant majeur du théâtre français de l’époque, mais aussi au lien étroit qui existait au
XVIIe siècle entre la représentation théâtrale de l’imposture royale et la représentation imaginaire
de l’incarnation royale, qui ménage à Oropaste la possibilité de prolongements mythiques1
Si certains s’intéressèrent auparavant à Boyer au XXe siècle – en 1915 l’Allemand Göhlert publie l’Abbé Claude Boyer, ein Rivale Racines, H.C. Lancaster le mentionne à de nombreuses reprises dans sa magistrale History of French Dramatic Literature in the Seventeenth Century et en 1947 Clara C. Brody publie The Works of Boyer – et le sauvent de l’oubli, ils ne manquent pas pourtant de l’égratigner. Nous souhaitons présenter cette édition de Fédéric dans un esprit ouvert et constructif et en montrer l’intérêt.
Présentation de l’auteur §
Claude Boyer naît à Albi en 1618. Seule certitude : il bénéficie de l’enseignement des Jésuites, ce qui signifie qu’il est nourri de rhétorique, de latin, qu’il pratique le théâtre scolaire et qu’il connaît l’histoire religieuse. En 1645, il est à Paris où sa tragédie La Porcie romaine connaît le succès. Il fréquente alors les salons et en particulier le plus prestigieux d’entre eux : l’hôtel de Rambouillet que fréquentent aussi Chapelain et Balzac. Dans son ouvrage intitulé La Naissance de l’écrivain, Alain Viala nous donne une juste idée de ce qu’est un salon au XVIIe siècle :
[…] à la différence de ce qui se produira plus tard au XIX e siècle surtout, les salons de l’âge
classique ne font qu’une place limitée à la littérature parmi leurs activités. Nombre d’entre eux,
voués à l’urbanité, aux jeux (d’esprit, mais aussi d’argent) et à la célébration des rituels de la
mondanité traitent les Lettres comme des accessoires2.
Il faut insister sur un point essentiel de la vie de Boyer : il fait partie de ce que nous pouvons appeler un clan, ainsi que le laisse entendre le ton polémique de l’extrait de l’Epître de Policrate que nous citions au début de cette introduction, comme nous aurions pu en citer d’autres aussi polémiques d’ailleurs. Boyer admire Corneille dont il a l’estime3 et fait partie des Modernes, c’est-à-dire de ceux qui ne souhaitent pas imiter les auteurs grecs et latins pour écrire leurs œuvres. A ce titre, il est le congénère du frère de Corneille, Thomas, de Quinault, de Fontenelle et de Perrault. Les Anciens s’appellent La Fontaine, Boileau et Bouhours et se regroupent autour de Racine4.
Sa concurrence avec Racine en a fait la cible de ceux-ci et il n’est que de lire les préfaces des pièces de Boyer qui sont remplies d’allusions aux attaques de ses adversaires pour s’en faire une idée. Si Boyer obtint l’appui des mécènes de la plus haute noblesse et des plus hauts personnages de l’Etat, comme se devait de le faire tout écrivain voulant se faire reconnaître5, s’il bénéficiait des gratifications royales6, s’il fut élu à l’Académie Française en 1667, si ses OEuvres furent publiées en 1685, il dut faire paraître certaines de ses pièces sous un pseudonyme afin qu’elles ne « tombent » pas. Mais cela peut apparaître comme une suite de péripéties sans importance comparé au verdict de Boileau dans l’Art poétique :
Qui dit froid écrivain dit détestable auteur.Boyer est à Pinchêne égal pour le lecteur ;On ne lit guère plus Rampale et Mesnardière,Que Magnon, du Souhait, Corbin et La Morlière.Un fou du moins fait rire, et peut nous égayer ;Mais un froid écrivain ne sait rien qu’ennuyer7.
Être condamné dans l’Art poétique, pierre de touche du classicisme, c’était l’être aussi par la postérité.
C’est la mort des deux adversaires (1698 pour Boyer et 1699 pour Racine) qui mit fin à une rivalité qui avait duré près d’un quart de siècle. De son vivant, Boyer fut donc un dramaturge reconnu, bien ancré dans ce qui comptait dans le monde littéraire, estimé par le grand Corneille. Il pouvait penser à juste titre au soir de sa vie que le jeune Albigeois venu à Paris cinquante ans plus tôt pour y réussir une carrière de dramaturge avait tenu son pari. Pressentait-il que la rivalité qui l’avait si longtemps opposé à Racine serait sans nul doute la principale raison pour laquelle il tomberait dans l’oubli ? Certainement pas si on prend garde à une phrase extraite d’Artaxerce, une tragédie qu’il publie en 1683 : il est « assez fâcheux de s’exposer à ces Censeurs impertinens, et d’atendre que la Postérité nous en fasse justice apres nostre mort. » Boyer eut raison d’en appeler à la postérité qui commence de lui rendre justice après quelques trois siècles de purgatoire.
L’auteur en 1659 §
En 1659, Boyer a quarante et un ans. Après ses débuts de dramaturge en 1645, il a écrit cinq autres pièces jusqu’en 1649. Puis, pendant une bonne dizaine d’années, le silence, peut-être explicable par ma crise du mécénat qui suivit la Fronde. Corneille, dont Boyer est le « meilleur émule »8, ne donne plus rien au théâtre depuis Pertharite (1651). C’est le surintendant Fouquet qui, indirectement, provoque le retour au théâtre de Boyer. Le mécène protège Corneille qui revient au théâtre avec une tragédie, Œdipe, représentée à l’Hôtel de Bourgogne en janvier 1659. C’est le succès. Stimulé, Boyer écrit également une tragédie, Clotilde qui, elle, fut loin d’avoir le même sort qu’Œdipe. Les frères Parfaict précisent :
Il y avait plus de onze ans que M.l’Abbé Boyer n’avait fait paraître aucun Ouvrage au Théâtre, et il
sembloit y avoir renoncé, lorsque l’exemple de M.Corneille réveilla son ardeur Poétique ; encouragé
par le succès d’Œdipe, il hasarda sa Tragédie de Clotilde, et la dédia aussi à M.Fouquet, Procureur
Général et Sur-Intendant des Finances, qui étoit alors au plus haut degré de sa gloire, et dont le nom
ornoit les Epîtres dédicatoires de la plupart des Poëmes Dramatiques ; il s’en fallut bien que le sort
de Clotilde fut pareil à celui d’Œdipe, et quoique cet Auteur assure que cet Ouvrage n’a pas déplû
à tout le monde, nous sommes persuadés au contraire, que le nombre de ses approbateurs a été
très-petit9.
La dynamique créatrice est cependant relancée. Boyer a déjà écrit trois tragédies et deux tragi-comédies, La Sœur généreuse en 1647 et Ulysse dans l’isle de Circé ou Euriloche foudroyé en 1648. Il est frappant de constater que tragédies et tragi-comédies alternent régulièrement dans son œuvre, de 1646 à 1649, puis de 1659 à 1663. Le recours à la tragi-comédie apparaît comme une stratégie de repli après quelque déboire dans la tragédie. Au total, Boyer aura écrit quatre fois moins de tragi-comédies que de tragédies. Avec Fédéric, Boyer choisit donc le genre tragi-comique pour la troisième fois depuis ses débuts et connaît « l’approbation publique » (voir l’Epître). Depuis le début des années 1640, les pièces mettant en scène des souveraines à marier, puisque soumises à la loi salique comme l’héroïne de Fédéric, se sont multipliées10.
La présente édition de Fédéric, tragi-comédie de Boyer, s’inscrit dans le cadre plus large de la redécouverte des œuvres de Boyer évoquée plus haut. Il ne s’agit pas, bien entendu, de se faire le thuriféraire de Boyer – Fédéric est loin d’être un chef-d’œuvre – mais, dans un esprit de redécouverte de cet auteur, de mettre objectivement en valeur les mérites de son talent.
Dressons un bref panorama de la production théâtrale de Boyer :
- – les tragédies11 : La Porcie romaine, 1646 ; Porus ou la générosité d’Alexandre, 1648 ; Aristodème, 1649 ; Tyridate, 1649 (remanié sous le titre de Fils supposé en 1672) ; Clotilde, 1659 ; La Mort de Démétrius ou le rétablissement d’Alexandre, roi d’Epire, 1661 ; Oropaste ou le faux Tonaxare, 1663 ; Le Jeune Marius, 1670 ; Le Comte d’Essex, 1678 ; Agamemnon, 1680 ; Artaxerxe, 1683 ; Antigone, 1687 ; Jephté, 1692 ; Judith, 1695 ; Méduse, tragédie en musique, 1697.
- – les tragi-comédies : La Sœur généreuse, 1648 ; Ulysse dans l’isle de Circé ou Euriloche foudroyé ; Fédéric, 1660 ; Policrite, 1662 ; Policrate, comédie héroïque, 1670.
- – autres genres : Les Amours de Jupiter et de Sémélé, tragédie à machines, 1666 ; La Feste de Venus, comédie (« pastorale héroïque ») ; Lisimène ou la Jeune bergère, pastorale, 1672.
Présentation de la pièce §
La fortune de la pièce §
Fédéric fut représenté à l’Hôtel de Bourgogne le vendredi 14 novembre 165912 et imprimé chez Augustin Courbé en mars 1660 (Privilège du 15 février 1660 et achevé d’imprimer du 17 mars). Dans la Muze historique de Loret datée du 15 novembre 1659 on peut lire :
Les grands Comédiens du Roy,Hier en assez bel arroy,Jouerent eux et leur Séquelle,Une pièce fraîche et nouvelle,Tout-à-fait au gré du public,Sous le nom de FEDERIC,Je ne l’ai point encore vue,Mais pourtant je la crois pourvue,D’esprit, d’agrements, et d’appas,Car son Auteur ne manque pas,De toutes les belles lumières,Qu’il faut pour de telles matières.
Dans leur Histoire générale du Théâtre François depuis ses origines jusqu’à présent, 1734-1739, les frères Parfaict, évidemment influencés par le jugement de Boileau, font le commentaire suivant des vers de Loret :
Quoique cette Pièce ne mérite pas les louanges que Loret lui donne, on peut dire cependant que
l’ordre chronologique lui est assez favorable, et qu’on doit la trouver passable après la lecture d’
Ostorius13. Aussi eut-elle dans le temps assez de réussite14.
Et, en effet, dans l’Epître adressée au duc de Guise, Boyer parle de sa pièce comme « d’un Ouvrage qui a été honoré de l’approbation publique. » Il ajoute :
La Fortune que se mesle de disposer des productions de l’Esprit, aussi bien que du destin des
Hommes, a traité FEDERIC si favorablement, que j’ay presumé qu’il pouvait se présenter à
Vostre Altesse, par le seul privilege de son heureux ascendant.
En ce qui concerne l’interprétation de la pièce, nous ne pouvons nous livrer qu’à des hypothèses : en 1659, l’Hôtel de Bourgogne est dirigé depuis douze ans par le célèbre acteur Floridor. Or, celui-ci était né vers 1608. Il avait donc une cinquantaine d’années au moment de la représentation de Fédéric. Il n’est donc pas exclu qu’il ait joué le rôle de l’amiral de Sicile, hypothèse d’autant plus probable que le rôle de Fédéric est le rôle principal, ce qui convenait à un acteur de la réputation de Floridor dont le talent pouvait être mis en vedette par les monologues prévus pour le rôle. En ce qui concerne le reste de la distribution, nous ne pouvons guère apporter d’informations mais nous contenter de donner la liste des acteurs dont la présence à l’Hôtel de Bourgogne est attestée en 1659 : Baron père, Montfleury, Mlle Baron, Raymond Poisson et Mlle Poisson15.
Les sources de Fédéric §
Nous avons évoqué, au début de cette introduction, la rivalité qui opposa, jusqu’à la mort du premier adversaire, Boyer à Racine. L’histoire littéraire est souvent brouillée par des rivalités passionnées et ce n’est que bien longtemps après la disparition des combattants que l’aveuglement engendré par la haine fait place à l’objectivité. En effet, que constatons-nous ? Que la Querelle des Anciens et des Modernes, qui fut l’une des manifestations de la rivalité du camp cornélien et du camp racinien, n’a pas eu sur l’œuvre de Boyer une importance proportionnelle à l’intensité de cette Querelle. Boyer a puisé très largement son inspiration dans l’Antiquité grecque et romaine et les sujets d’une autre inspiration ne constituent que la minorité de son œuvre. Autrement dit, Boyer est moins « moderne » et plus « ancien » que le caractère polémique de cette Querelle ne pouvait le faire croire a priori.
Fédéric fait partie des sujets d’inspiration « moderne » développés par Boyer. Quelles en sont les sources ? H.C. Lancaster déclare son ignorance à ce sujet : « The source is unknown16. » Si les sources nous sont inconnues, nous pensons que Boyer a dû compulser une histoire de l’Empire allemand qui avait cours au XVIIe siècle. En effet, il est fort probable que Boyer aura pris comme point de départ du personnage de la princesse sicilienne une figure historique : Frédéric II de Hohenstaufen, empereur d’Allemagne de 1212 à 1250, avait un fils naturel, par la suite légitimé, appelé Manfred, le prénom précisément donné à son personnage travesti. Les empereurs d’Allemagne ayant conservé des prétentions sur la Sicile, Manfred domina le pays pendant cinq ans (1258-1263). Mais, considéré comme un usurpateur par les Siciliens en tant que fils naturel de Frédéric et en raison du caractère contestable de la suzeraineté des empereurs d’Allemagne sur ce pays, il fut chassé par Charles d’Anjou, à qui le pape avait donné l’investiture. De plus, le choix du prénom de Yoland par Boyer prouve qu’il s’est inspiré d’un personnage réel, Yolande, épouse de Jacques Ier le Conquérant (1208-1276) qui fut roi d’Aragon de 1213 à 1276. Leur fils, Pierre II le Grand, fut marié précisément avec la fille de Manfred, ce qui lui avait permis de prétendre au royaume de Sicile. Boyer a donc imaginé le personnage de travesti féminin en contaminant plusieurs personnages réels. De l’histoire, il a retenu l’existence d’un usurpateur, Manfred, qui est effectivement le nom sous lequel est connu le faux roi auquel il donne pour véritable prénom celui d’une reine légitime. Mais ce fond historique n’est pour Boyer qu’un canevas lui permettant de broder autour du thème du travestissement féminin. Remarquons d’emblée que Boyer innove en imbriquant thème de l’usurpation et travestissement féminin : Fédéric est la seule tragi-comédie faisant du travestissement féminin un enjeu politique, la grande majorité des travestissements féminins reposant en effet sur le thème de la reconquête d’un amant infidèle.
Mais comment expliquer que Boyer se soit cru autorisé à métamorphoser le fils naturel d’un empereur d’Allemagne en travesti féminin ? La première raison est l’éloignement dans le temps et l’espace des faits ayant servi de point de départ à Fédéric ; la seconde semble être l’illégitimité, seul point commun entre Manfred, fils légitimé, et non pas d’emblée légitime, et Yoland, fille légitime certes, mais fille déguisée en fils, par conséquent fils illégitime, tout comme Manfred. D’autre part, nous savons que Boyer fera représenter en 1662 sa tragédie Oropaste ou le faux Tonaxare, qui porte aussi sur l’usurpation de pouvoir. La création littéraire étant le fruit d’un long processus de maturation, nous formons l’hypothèse que Boyer avait déjà conçu le projet, au moment où il produit Fédéric, de l’écriture d’une grande tragédie sur l’usurpation de pouvoir, considérant peut-être que son Tyridate datant de 1648 ne constituait pas un aboutissement de ses qualités de dramaturge qu’il estimait – à juste titre pensons-nous – posséder, ainsi que tendrait à le prouver la réécriture de Tyridate en 1672 sous le nom du Fils supposé. Le curieux croisement d’un travesti féminin et d’un enjeu politique, exception qui confirme la règle du travestissement féminin en grande majorité pour la reconquête d’un infidèle et qui donne à la pièce une gravité que ne possède pas Le Dépit amoureux de Molière par exemple, bien qu’il repose aussi sur l’existence d’un travestissement féminin de naissance, serait, si nous adoptons cette hypothèse, l’aboutissement de la maturation en cours d’une tragédie sur l’usurpation de pouvoir et d’une question de circonstances. Il est possible que Boyer recherche à cette époque un sujet pour son projet et que, l’Hôtel de Bourgogne lui demandant une pièce, il ait préféré faire du sujet qu’il avait en tête à ce moment là une tragi-comédie, ce qui expliquerait la liberté prise au sujet du travestissement et son mélange original avec un sujet politique.
Structure de la pièce §
Analyse de l’action §
Fédéric comporte 1766 vers. Selon Jacques Scherer17, le nombre de vers des pièces se situe entre 1650 vers et 1900 vers et, dans la quasi-totalité des cas, entre 1500 et 2000 vers. La pièce de Corneille la plus courte est La Place royale (1529 vers) et la plus longue Œdipe (2010 vers). Fédéric se situe donc dans la moyenne.
Le nombre de scènes informe sur le mouvement de la pièce : si le nombre de scènes augmente, le rythme de la pièce s’accélère. Fédéric compte 37 scènes :
- – l’acte I a 6 scènes avec 386 vers, soit une moyenne de 64 vers par scène ;
- – l’acte II a 8 scènes avec 403 vers, soit une moyenne de 50 vers par scène ;
- – l’acte III a 9 scènes avec 322 vers, soit une moyenne de 35,8 vers par scène ;
- – l’acte IV a 10 scènes avec 365 vers, soit une moyenne de 36 vers par scène ;
- – l’acte V a 10 scènes avec 290 vers, soit une moyenne de 29 vers par scène.
Conclusion : le rythme de la pièce va en s’accélérant. L’accélération est continue de l’acte I à l’acte III ; puis le rythme se ralentit à l’acte IV ; enfin il s’accélère à nouveau à l’acte V dont la brièveté est frappante.
ACTE I : le faux roi de Sicile, qui est, en fait, une femme prénommée Yoland travestie en homme pour garder son trône, souhaite se « détravestir » par amour pour Valère qui passe pour son favori et qui ne connaît pas sa véritable identité. Mais le « détravestissement » est empêché par le dilemme auquel Yoland se trouve confrontée : si elle abandonne son travestissement, elle ne peut plus être roi, en revanche, elle peut espérer être payée de retour dans ses sentiments pour Valère. Mais, pour se débarrasser de son travestissement, le « roi » a besoin de l’appui de l’amiral Fédéric qui « le » persuade d’user de la force pour prendre le pouvoir (I, 3). Cependant, Camille reine de Naples réfugiée en Sicile, exhorte le « roi » à tenir ses promesses : l’épouser et la défendre contre Roger qui veut usurper son trône (I, 2). De son côté, Fédéric secrètement amoureux de Yoland, souhaite l’épouser et monter sur le trône et pense, à la suite d’un quiproquo, que Yoland partage ses sentiments (I, 4). Il réunit ses deux fils Valère et Fabrice : il annonce à ce dernier qu’il le destine au trône de Naples et, de son côté, Fabrice avoue son amour pour Camille d’où l’indignation de Valère qui se sent ainsi frustré, malgré la promesse de Fédéric de lui offrir un trône un jour (I, 5). Malgré tout, Valère décide de rivaliser avec Fabrice (I, 6).
Le premier acte est tout entier un acte d’exposition. Mis à part le personnage d’Octave, tous les protagonistes de la pièce apparaissent au premier acte. Mais, en même temps qu’il expose les données de la pièce, Boyer commence à nouer l’intrigue par le monologue de Fédéric qui institue celui-ci comme le véritable héros de la pièce. En bon technicien, Boyer a su ménager l’entrée du héros éponyme et ne faire apparaître celui-ci qu’à la scène 3 puis prolonger sa présence en scène par un monologue de 24 vers, Fédéric étant le seul personnage de la pièce à bénéficier de ce traitement de faveur (un autre monologue de 24 vers lui est réservé à l’acte III). Le premier acte se termine en outre par un temps fort, car une fin d’acte est un moment stratégique pour le dramaturge : dans un très court monologue Valère se pose en rival de son frère.
ACTE II : l’acte II s’ouvre par le retour d’Octave qui arrive de Naples. Un récit d’Octave apprend à Fédéric que tout est prêt pour le combat entre les Siciliens et les partisans de Roger. Fédéric apprend ses desseins à Octave à qui il demande de persuader Valère qu’un trône l’attend après qu’il a lui-même régné (II, 1). Fédéric rassure Camille inquiète de savoir si son trône lui sera rendu (II, 2). Camille confie à Florise qu’elle aime Fabrice mais qu’elle souhaite encourager les deux frères qui sont pour elle un appui dans son rétablissement sur le trône de Naples (II, 3). Fabrice déclare sa flamme à Camille et lui fait part de ses scrupules d’aimer une reine mais celle-ci le rassure sur ce point (II, 4). Dans une scène d’affrontement, Valère tente de persuader Fabrice de lui céder le trône de Naples qu’il souhaite obtenir non par amour mais par ambition. Mais Fabrice refuse (II, 6). Le « roi » chargé d’arbitrer le différend entre les deux frères, laisse éclater sa colère contre Valère qui prétend épouser Camille et le chasse de la cour (II, 7). Le « roi » est prêt à révéler la vérité à Valère mais préfère s’en remettre à Fédéric (II, 8).
Dans le deuxième acte, l’accélération du rythme de la pièce est perceptible par l’accroissement de la tension autour de l’obtention du trône de Camille marquée par l’affrontement entre les deux frères puis par la colère du « roi » envers son favori. Atmosphère toute de volontés et d’ambitions contraires dont le ton est donné dès la première scène lorsque le désir manifesté de Fédéric semble redoublé dans son effet d’intensité par l’attente du combat qui s’annonce.
ACTE III : Marcellin apprend à Fédéric l’amour du « roi » pour Valère. Il le charge de dire au « roi » de ne pas révéler la vérité à Valère (III, 1). Fédéric persiste tout de même dans son intention de régner (III, 2). Fédéric, croyant que Valère sait que le « roi » l’aime, décide d’encourager son mariage avec Camille (III, 3). Valère fait lire à Fédéric un billet que lui a écrit le « roi » pour le faire revenir à sa cour et où il l’encourage à espérer l’amour « d’une Reyne ». Valère pensant que cette reine est Camille demande à Fédéric la permission de l’épouser. Mais Fédéric s’apercevant de l’erreur d’interprétation de Valère, loin de le détromper, l’encourage dans le but de le détourner de l’amour du « roi » afin de prendre sa place (III, 4). Valère exprime son inquiétude : si Camille aime Fabrice, comment pourra-t-elle obtenir le trône ? (III, 5). Le « roi », croyant que Valère a compris le contenu de son billet et le pensant indifférent, laisse éclater sa colère. Valère confie au « roi » ses scrupules au moment d’épouser une reine. Le « roi » se rend compte qu’il y a eu quiproquo lorsque Valère parle de Camille, d’où sa colère. Valère, qui ne comprend pas, montre le billet au « roi » qui lui apprend que le contenu du billet n’est plus valable. Le « roi » reproche à Valère son amour pour Camille. Nouveau quiproquo : Valère croit que le « roi » aime Camille. Le « roi » le détrompe d’où l’incompréhension de Valère devant la colère du « roi » qui, sur le point de dévoiler la vérité, en est empêché par Marcellin. Fin de la scène qui se termine donc sur l’incompréhension de Valère (III, 6). Le « roi » pense que Valère feint d’ignorer la vérité parce qu’il aime Camille. Une nouvelle fois, le « roi » est sur le point de révéler la vérité à tous, de cette façon Valère ne pourra plus faire semblant de ne pas la connaître. Une nouvelle fois, Marcellin l’en dissuade (III, 7). Le « roi » reproche à Camille de lui enlever son favori Valère. Marcellin met en garde le « roi » qui laisse trop apparaître la véritable nature de ses sentiments. Nouveau quiproquo : Camille, se demandant si le « roi » ne l’aimerait pas, décide de feindre d’aimer Valère pour exciter sa jalousie. Pour décourager Camille, le « roi » prend pour argument le fait qu’une reine ne peut pas aimer au-dessous d’elle et qu’une autre souveraine est sa rivale. Camille accuse le « roi » d’être jaloux. Celui-ci lui répond qu’il est jaloux, en effet, mais de la perte de son favori. En guise de réponse, Camille rétorque au « roi » qu’elle ne lui doit rien, puisqu’il ne l’a pas défendue contre Roger ainsi qu’il devait le faire et qu’elle a au moins réussi à lui ôter Valère (III, 8). Marcellin suggère au « roi » de pousser Camille à faire éclater son amour pour « lui », de façon à détourner Valère de Camille, ce que le « roi » d écide de faire (III, 9).
Ainsi que nous pouvons le constater, le troisième acte est l’acte des quiproquos. La multiplication des quiproquos favorise l’accélération du rythme de la pièce, tient le spectateur en haleine et ajoute à l’intensité des émotions, ce qui est une forme du plaisir que se doit de procurer le dramaturge à son public. L’usage du travestissement est particulièrement bien adapté à cette succession de scènes fractionnées par les incompréhensions et les malentendus et porte à son point culminant le désordre et la disharmonie engendrés par l’illusion.
ACTE IV : Fédéric confie à Octave qu’il veut devenir roi avant de venir au secours de Camille afin que sa victoire paraisse plus éclatante (IV, 1). Fabrice vient se plaindre à Fédéric de l’amour du « roi » pour Camille. Fédéric le rassure et lui conseille de songer à son devoir (IV, 2). Fabrice se plaint qu’on lui ait donné un inutile espoir vis-à-vis de Camille (IV, 3). Fabrice fait part à Camille de son inquiétude mais celle-ci le rassure. A la vue de la douleur de Fabrice, Camille verse des larmes. Fabrice se déclare prêt, s’il le faut, à mourir pour Camille (IV, 4). Camille confie à Florise que, bien qu’elle aime Fabrice, elle se doit d’épouser un roi. Camille redoute qu’à l’amour du « roi » envers elle succède la froideur (IV, 5). Le « roi » assure Camille de son amour et feint d’être jaloux de Valère. Camille assure le « roi » qu’elle va rabattre « par son orgueil » les soupirs de Valère (IV, 6). Dans un court monologue, le « roi » s’adresse à Valère (IV, 7). Alors que le « roi » s’apprête à révéler la vérité, Marcellin lui apprend que Fédéric a tout révélé en plein conseil. Le « roi » décide de révéler son amour à Valère mais se souvient qu’« il » est une reine et fait part de ses scrupules d’épouser un sujet. Marcellin lui apprend qu’il a appris à Valère les sentiments que le « roi » lui portait (IV, 8). Yoland pardonne à Valère son ambition manifestée par le désir d’obtenir le trône de Camille (IV, 9). Octave apprend à Yoland et à Valère que Fédéric n’a pas pu rallier le peuple et la noblesse qui exigent que la loi sicilienne interdisant le pouvoir aux femmes soit respectée. Yoland n’est donc pas reine. Valère lui promet pourtant qu’elle règnera. Octave annonce que Roger et ses mutins approchent de Messine et Valère se déclare prêt pour le combat.
L’acte IV est celui des précipitations. Après les péripéties constituées par les quiproquos du troisième acte, l’événement tant attendu de la révélation de la véritable identité de Yoland se réalise enfin, et d’une façon inattendue, après avoir été plusieurs fois retardé : Boyer sait que les spectateurs de tragi-comédie sont friands de coups de théâtre. Friands aussi d’émotions et Boyer n’hésite pas à faire pleurer un de ses personnages sur scène, tandis que le suspens est à son comble quand on apprend que Roger approche de Messine. Par l’accélération de l’action, le rebondissement, l’usage de l’émotion qui se transmet de la scène au public, Boyer prouve qu’il connaît bien les ressorts du plaisir tragi-comique dont les amateurs cherchent moins à plonger dans les méandres des sentiments et les finesses psychologiques qu’à ressentir toute une palette d’émotions simples et fortes. Tel est le reproche que l’on peut faire à Boyer mais telles sont les lois du genre.
ACTE V : Marcellin apprend à Camille que c’est Fédéric qui « règne en ces lieux par le commun suffrage » (V, 1). Camille confie ses craintes à Florise : elle a perdu l’espoir d’épouser un roi et son trône n’est pas assuré. Fabrice étant à présent fils de roi, son rang se rapproche de celui de Camille (V, 2). Fabrice annonce à Camille que Fédéric a vaincu Roger et ses partisans et qu’il parlemente avec des représentants de Naples venus à Messine (V, 3). Fédéric fait à Camille le récit de son combat contre Roger et lui apprend la mort de celui-ci et que les députés de Naples le voulaient pour roi et Camille annonce à Fédéric son intention d’épouser Fabrice (V, 4). Valère annonce à Camille qu’il renonce à l’épouser et Fédéric décide de révéler ses sentiments pour Yoland afin de tirer Valère d’erreur (V, 5). Fédéric révèle devant tous son amour pour Yoland et sa volonté de régner avec elle. Stupeur de Yoland qui préfère ne pas régner plutôt que de perdre Valère. Fédéric décide pour sa gloire de renoncer à Yoland et au trône. Fédéric annonce le double mariage de Yoland et de Valère d’un côté et celui de Camille et de Fabrice de l’autre (scène dernière).
Pour le dénouement de la pièce, Boyer choisit avant tout de mettre en valeur celui qui est le véritable héros de la pièce. Fédéric (avec un total de 450 vers, il prononce à lui seul près de 25,50 %du total des vers de la pièce contre à peine 20 % pour le personnage de Yoland). En effet, Fédéric fait le récit de son combat et de sa victoire sur Roger, ce qui a bien entendu pour effet d’auréoler le personnage de Fédéric de gloire, gloire dont il se montre soucieux à la dernière scène, lorsqu’il décide, dans un élan de générosité, de renoncer à Yoland, en faveur de son fils. C’est lui encore qui a le mot de la fin, en annonçant le double mariage traditionnel des tragi-comédies. Là encore, Boyer démontre qu’il est un disciple de Corneille, puisqu’il manisfeste qu’il a avant tout cherché à mettre en scène le type du père glorieux et généreux, fréquent, certes dans bon nombre de tragi-comédies mais qui ne sont guère éloignés des valeurs morales développées par Corneille.
Situation de la pièce dans le genre tragi-comique §
A l’affiche de l’Hôtel de Bourgogne en cette année 1659, figurent quatre tragédies (Œdipe de Corneille, Clotilde de Boyer, Ostorius de l’abbé de Pure et Darius de Thomas Corneille) et trois tragi-comédies : Le Festin de pierre ou le fils criminel par de Villiers qui s’est inspiré de l’italien, Bellissaire de La Calprenède et enfin Fédéric de Boyer. L’année 1660, ne fut représentée, en revanche, qu’une seule tragi-comédie, Stratonice de Quinault, le reste de la saison étant occupé par les représentations de trois comédies, une « pastorale allégorique » et trois tragédies (Stilicon de Corneille et La Mort de Démétrius ou le Rétablissement d’Alexandre, Roy d’Epire de Boyer ainsi que Tigrane du même Boyer, retirée et non imprimée).
On constate que le genre tragi-comique fut presque aussi bien représenté en 1659 que le genre tragique sur les planches de l’Hôtel de Bourgogne. La troupe était donc « demandeuse » de tragi-comédies, ce qui explique que Boyer qui faisait alors, à la suite de Corneille, son grand retour au théâtre, ait décidé également de renouer avec le genre18.
Question de dramaturgie : Fédéric, la tragi-comédie et les unités. Nous nous bornerons à indiquer l’évolution générale du genre tragi-comique afin de situer Fédéric à l’intérieur de cette évolution.
La tragi-comédie, contrairement à la tragédie et à la comédie, est le genre qui se révéla le plus réfractaire à l’adoption des règles, à ses débuts, position qui est à situer dans le contexte de la Querelle des Anciens et des Modernes. Les théoriciens s’opposèrent sur cette question : contre les règles, Ogier qui souhaite que le genre se démarque du modèle ancien (Préface de Tyr et Sidon, 1628), Mareschal (Préface de La Généreuse Allemande) et Scudéry (A qui lit dans Lygdamon et Lidias) ; en faveur des règles, Mairet (Préface de Silvanire), Chapelain (« lettre sur les 24 heures »).
Certains souhaitent conserver toute leur liberté quant à l’action, au lieu et au temps, dans la mesure ou beaucoup de tragi-comédies s’inspirent de romans comportant de nombreuses péripéties. D’autres, au contraire, souhaitent se plier aux règles, élaguer et unifier.
Admettons que « après 1636, la plupart des tragi-comédies ont une action unifiée ; mais le goût pour les intrigues “ implexes ” persiste encore longtemps19. »
Mais, même si les unités réussissent finalement à s’imposer dans la tragi-comédie, le goût pour les
actions complexes, où plusieurs fils s’enchevêtrent et où se succèdent péripéties et coups de théâtre
demeure encore vivace20.
L’unité d’action dans Fédéric : pour qu’il y ait unité d’action, l’action principale doit dépendre des actions secondaires. L’action principale dans Fédéric est le fait pour le faux roi de découvrir sa véritable identité féminine, car « il » aime Valère, mais un obstacle s’oppose à ceci : si Yoland se débarrasse de son travestissement, elle perd le pouvoir car en Sicile, où l’action se déroule, les femmes ne peuvent pas régner (ce qui était précisément la raison du travestissement pour éviter que la dynastie aragonaise ne s’empare du pouvoir). Mais cette action principale est subordonnée à plusieurs intrigues secondaires : Camille, reine de Naples réfugiée en Sicile, doit épouser le « roi » et exige de celui-ci qu’il tienne les promesses faites par son père : l’épouser et la rétablir sur son trône d’où elle a été chassée par le mutin Roger. Il va donc s’agir de détourner Camille de ses projets et l’intrigue amoureuse qui lie la souveraine napolitaine à Fabrice, l’un des deux fils de Fédéric qu’il destine d’ailleurs au trône, est un facteur favorable au bon déroulement de l’action principale. Mais ce facteur favorable risque d’être neutralisé par la rivalité entre les deux fils de Fédéric : Valère, en effet, jaloux de son frère à qui doit revenir Camille et le trône de Naples, décide de le briguer aussi. Par conséquent, l’action principale dépend de l’évolution de ces deux intrigues.
Fédéric, secrètement amoureux du « roi » dont il connaît la véritable identité, veut conquérir le trône de Sicile et épouser Yoland. Un quiproquo lui fait croire que ses sentiments sont partagés. Fédéric est donc le rival de son propre fils Valère et le déroulement de l’action principale va dépendre des efforts fournis par Fédéric pour séparer Valère du « roi », Fédéric n’hésitant pas, d’ailleurs, à entretenir un quiproquo entre les deux jeunes gens (histoire du billet). L’établissement sur le trône du faux roi dépend également de la victoire remportée par Fédéric sur Roger. L’action principale dépend bien entendu, de la révélation publique de sa véritable identité. A plusieurs reprises, le « roi » est sur le point de révéler son secret pour garder Valère, mais ce sera finalement Fédéric qui fera éclater la vérité, croyant opérer pour ses intérêts propres. Cette révélation aura, en fait, pour effet de précipiter le déroulement de l’action principale (amour mutuel de Yoland et de Valère puis retrait de Fédéric).
On constate que les intrigues secondaires ont toutes une conséquence sur le déroulement de l’action principale, telle que nous l’avons définie. Contrairement à l’action du Cid par exemple, où l’amour de l’infante pour Rodrigue était une intrigue indépendante de l’action principale, dans Fédéric, l’amour de Camille pour Fabrice a une conséquence sur l’action principale puisque cet amour est contrecarré par la rivalité de Valère à l’égard de son frère. Si Valère l’emporte, le « roi » n’a plus aucune raison de vouloir perdre son travestissement.
Boyer a donc pris soin de respecter dans sa tragi-comédie l’unité d’action, ce qui correspond à l’évolution générale du genre à cet égard.
Quant à l’unité de temps et l’unité de lieu, le même effort de la part de l’auteur est perceptible :
- – l’action se déroule « en un jour » (les occurrences dans le texte sont nombreuses) ;
- – le lieu est unique : il s’agit du palais (supposé) du roi à Messine, un port situé à l’extrême nord-est de la Sicile et les événements se déroulant à Naples et ses environs font l’objet de récits. Fédéric est une tragi-comédie « de palais », comme il en existe beaucoup d’autres. Celles-ci se sont multipliées car elles avaient l’avantage de résoudre le problème de l’unité de lieu définie par Corneille comme le « lieu [qui] n’a point plus d’étendue que celle du théâtre » (Dédicace de La Suivante, 1637).
Fédéric reflète donc bien l’évolution générale de la tragi-comédie quant aux unités d’action, de temps et de lieu21.
Les personnages : Fédéric, le père ; les amoureux : Yoland et Valère, Camille et Fabrice ; les frères rivaux : Valère et Fabrice.
Fédéric incarne un type de personnage très présent dans la tragi-comédie. Il joue un rôle d’opposant aux amours de son fils Valère, à la fois par amour et par ambition. Toutefois, Fédéric appartient au type du père généreux qui sacrifiera amour et ambition, aussi bien par amour paternel que par souci de sa gloire (ce type de père est aussi présent dans Antiochus de Thomas Corneille par exemple).
Pas de tragi-comédie sans amoureux : Yoland, l’amoureuse travestie en homme, n’en est pas moins le type de l’amoureuse de tragi-comédie. Elle aussi souffrira des affres de la jalousie lorsqu’elle croira Valère amoureux de Camille, ce qui donnera lieu à des confrontations entre les deux rivales, malgré le travestissement de Yoland, la confrontation entre princesses rivales étant une scène très classique, aussi bien dans la tragi-comédie que dans la tragédie bien entendu.
Rivaux, Valère et Fabrice le sont dans leur compétition pour la conquête de Camille, même si leurs motivations sont différentes (ambition pour Valère, amour pour Fabrice). Le motif de la rivalité entre les deux héros transcende les limites du genre. Toutefois, on peut remarquer que dans Fédéric, aucun rival n’est antipathique : lorsque Fédéric rivalise avec son fils pour conquérir Yoland, le spectateur peut lui trouver l’excuse que l’on accorde aux amoureux, d’autant plus lorsqu’ils n’ont plus pour eux le privilège de la jeunesse et lorsque Valère décide d’entrer dans la compétition face à son frère pour accéder au trône aux côtés de Camille, on peut penser que son désir n’est pas illégitime dans la mesure où le fait que Fédéric ne lui ait pas destiné un trône comme à son frère puisse être considéré comme une injustice qu’il est en droit de réparer22.
Au moment où Boyer écrit Fédéric, la tragi-comédie est sur son déclin. Ceci ne fait que prouver le goût de Boyer pour ce genre. Il récidivera d’ailleurs en écrivant Policrite en 1662 en s’inspirant cette fois-ci du Grand Cyrus et en 1670 avec Policrate en s’inspirant d’Hérodote pour mettre en scène le célèbre tyran. Mais la tragi-comédie s’appellera désormais « comédie héroïque », terme inventé par Corneille pour Don Sanche d’Aragon. Notons tout de même que Le Fils supposé (1672), remaniement de sa tragédie Tyridate (1649) comporte des thèmes présents dans nombre de tragi-comédies et a un dénouement heureux.
Le traitement du travestissement dans Fédéric §
Le travesti de naissance §
Le thème de la jeune fille travestie à la naissance est moins fréquent que le travestissement délibéré des jeunes filles abandonnées. Il a été abordé dès l’Antiquité par Ovide dans l’histoire de Iphis et Ianthe et par Antonius Liberalis (XVII) qui raconte d’après Nicandre une histoire assez semblable dont le héros s’appelle Leucippe. Il ne s’agit donc pas d’un motif proprement théâtral et dans ses Métamorphoses, titre particulièrement bien adapté à ce thème, puisque dans ce récit, Iphis finit par se métamorphoser physiquement en homme, ce qui est exactement le processus inverse du faux roi dans Fédéric. C’est l’usage du travestissement qui permet la transcription du récit de cette inversion en langage théâtral.
Le thème n’est pas nouveau au XVIIe siècle : les dramaturges s’inspirent du théâtre italien qui a lui-même exploité ce thème au siècle précédent. En 1645, d’Ouville écrit une comédie, Aimer sans sçavoir qui, en s’inspirant de Piccolomini et Molière une autre comédie Le Dépit amoureux (1656) rappelant l’Interesse de Secchi (1585). A mentionner également La Belle invisible ou la Constance esprouvée de Boisrobert (1656), la reprise théâtrale du récit d’Ovide par Bensserade (Iphis et Ianthe, 1637) et, enfin, La Feste de Vénus, comédie à machines de Boyer (1669). Rappelons également que si ce thème a été exploité au théâtre, il s’agit plutôt d’un thème romanesque que l’on trouve dans l’Astrée d’Honoré d’Urfé (Première partie, livre V).
Travestissement et vraisemblance §
Mettre en scène dans une pièce une princesse travestie en roi depuis sa naissance sans que jamais nul ne soupçonne rien sur sa véritable identité, voilà qui peut paraître invraisemblable. En 1670, c’est-à-dire plus de dix ans après la représentation de Fédéric, Charles Sorel dénonce dans son livre intitulé De la Connaissance des bons livres, ce que les grands romans héroïques contiennent d’invraisemblances :
[L’auteur] fera aussi qu’une fille s’habillera en homme ou un homme en fille, et qu’ils seront
quelque temps méconnus pour ce qu’ils sont. […] C’est ce qui donne matière à toutes les intri-
gues de telles Narrations, où le plus souvent il y a fort peu de vraisemblance. Comment est-il
possible par exemple, qu’un homme qu’on dit vigoureux, qu’il résiste à plusieurs autres dans
les combats, ait une autre façon que virile et robuste, et puisse être propre à se déguiser en fille
sans être reconnu, comme la Plupart de ces Livres-là le racontent23 ?
Et comment, pouvons-nous ajouter, une princesse qui, malgré son rang, n’appartient pas au sexe destiné à exercer le pouvoir, peut-elle passer, aux yeux de tous, pour un roi, sans qu’il y ait risque d’invraisemblance ?
En critiquant l’invraisemblance, notion-clé du théâtre classique, Sorel condamne l’utilisation du déguisement. Comment expliquer que Boyer n’ait pas tenu compte des réserves théoriques qui avaient déjà cours au moment où il écrit Fédéric et mette en scène un travesti féminin, tout comme son confrère Magnon, qui écrit Tite la même année ?
Remarquons d’abord que Boyer répond implicitement à une éventuelle critique sur une invraisemblance de son personnage de princesse travestie en roi : tout comme Sorel jugeait invraisemblable qu’un homme ayant un comportement viril et robuste puisse être travesti en femme sans que sa véritable identité soit percée à jour, il peut paraître invraisemblable qu’une princesse passe pour un roi sans en posséder les qualités. Or, dans la scène d’exposition, Boyer prend la précaution de faire dire à son personnage de princesse travestie en roi :
On me destine au Trône avant que voir le jour ;Estant né, l’on m’élève, on instruit mon enfanceDe tout ce qui prepare à la toute-puissance. (I, 1, v. 44-46).
Le fait que Boyer inclue cette précision prouve que la chose ne va pas de soi : introduire un personnage de princesse travestie en roi préparée à son rôle de roi tout comme le serait un prince, c’est rendre plus vraisemblable son personnage.
Cependant, rendre plus vraisemblable un personnage n’équivaut pas à reconnaître l’invraisemblance radicale de ce personnage. Dans sa Poétique (1639), La Mesnardière écrit au sujet de la vraisemblance :
Pour la propriété des Mœurs, le Poète doit considérer qu’il ne faut jamais introduire sans nécessité
absolue, ni une Fille vaillante, ni une Femme savante, ni un Valet judicieux. [ …] et qu’ainsi de
mettre au théâtre les trois espèces des personnes avec ces nobles conditions c’est choquer direc-
tement la vraisemblance ordinaire24.
Commentant ce passage dans sa thèse, Georges Forestier écrit :
Rien dans ce passage ne laisse entendre que la transgression des propriétés de l’identité que cons-
titue le déguisement est implicitement écartée. Il semble au contraire que la place reste entière
pour toute transformation de l’identité : s’il faut éviter les amazones, rien n’interdit à une femme
qui doit revêtir, par une « nécessité absolue » l’identité d’un homme , de se comporter en homme.
La logique du raisonnement de La Mesnardière l’exigerait même. […] Une femme travestie, aussi
longtemps qu’elle apparaît en homme, ne peut choquer ni les coutumes de son sexe d’origine, ni
la pudeur de sentiments, sans tomber sous le coup d’une accusation de « sentiments irréguliers25 ».
Dans sa Pratique du théâtre l’abbé d’Aubignac admet que le déguisement puisse faire paraître vraisemblable ce qui ne l’aurait pas été s’il n’avait été introduit :
Quand un Roi parle sur la Scène, il faut qu’il parle en Roi, et c’est la circonstance de la dignité contre
laquelle il ne peut rien faire qui soit vraisemblable, s’il y avait quelque autre raison qui dispensât de
cette première circonstance, comme s’il était déguisé26.
Dans sa thèse Georges Forestier commente ceci de la façon suivante :
On peut donc dire, pour reprendre la terminologie de La Mesnardière, que la « propriété des mœurs »
d’un roi exige qu’il parle toujours en roi, mais qu’il en est explicitement « dispensé », sous peine d’une
invraisemblance inverse, lorsque, déguisé, il ne se présente plus comme un roi27.
La poétique contemporaine de Boyer ne remet pas en cause la vraisemblance du déguisement. Dans Fédéric on peut d’autant plus facilement reconnaître le caractère de « nécessité absolue » du travestissement de Yoland que ses causes sont explicitées et légitimées dès la scène d’exposition par le personnage travesti lui-même :
L’horreur d’une injusticeForça le Roy mon Pere à ce grand artifice,Craignant qu’apres sa mort le Prince d’Arragon,L’eternel ennemy de toute la Maison,Ne se fit par l’appuy d’un droict imaginaireDu Trône de Sicile un Trône hereditaireL’Admiral, de mon sort le Confident discret,Sceut déguiser mon Sexe avec tant de secret,Qu’avant que la raison m’en instruisit moi-méme,J’avais conceu l’espoir de la grandeur suprémeEt mon cœur s’asseurant que ce rang m’estoit dû,Couroit aveuglément à ce Trône attendu. (I, 1, v. 53-64).
Si l’ « artifice » est grand, l’ « injustice » qu’il est chargé d’éviter présente un caractère si horrible que le travestissement paraît nécessaire. L’enjeu dynastique justifie le recours à ce stratagème. Boyer utilise l’hyperbole pour adapter le fait historique : le Prince d’Aragon est qualifié d’ « eternel ennemy de toute la Maison », ce qui est faux historiquement (voir note 9 de l’acte I), et l’injustice qui découle de cette contestation dynastique est qualifiée d’ « horrible » afin de donner un caractère de nécessité au travestissement. De plus, il faut replacer la pièce dans son contexte : en 1659 la situation politique de la France est suffisamment instable – la Régence d’Anne d’Autriche étant ébranlée par les ambitions des Frondeurs et l’avenir de l’héritier légitime pouvant paraître incertain – pour que l’évocation d’une menace sur une dynastie considérée comme légitime ne trouve pas auprès du public un écho assez sérieux qu’il ne puisse le convaincre de la nécessité d’utiliser le travestissement. Le caractère de « nécessité absolue » du travestissement étant acquis, non seulement le travestissement n’apparaît pas invraisemblable, mais Yoland travestie en roi se doit, sous peine de critique d’invraisemblance, de se comporter en roi et non pas en princesse.
Les passages où certains personnages incitent la princesse travestie en roi à se comporter comme tel, à en adopter les mœurs et les sentiments, paraissent donc conformes à la logique selon laquelle le déguisement confère au personnage déguisé une nouvelle identité et le comportement adéquat. A la scène 2 de l’acte I, Yoland travestie, mise en présence de la reine Camille à laquelle elle aurait dû, en souverain digne de ce nom, porter secours dans sa reconquête du royaume de Naples, blâme d’elle-même son comportement avant même que Camille ne le fasse :
Pardonnez, grande Reyne,Si je m’acquite mal de ce que je vous doy.CAMILLESeigneur, de ces delais le prétexte est plausible ;Mais un Prince amoureux doit être plus sensible.Depuis trois mois entiers je sollicite en vainCe qu’une Reyne attend d’un puissant Souverain. (I, 2, v. 114-120).
Qu’une princesse travestie en roi tienne ces propos à une reine, que cette reine l’exhorte à faire son devoir de roi sous peine de « rougir de tant de négligence » (v. 193) et que ce « roi » lui réponde : « Nous sçaurons prévenir une telle insolence » (v. 114), tel est ce qui correspond à la vraisemblance puisque le personnage est déguisé en roi et que son comportement doit correspondre à celui d’un roi. De même, le prétendu roi laisse éclater sa jalousie, reprochant à Camille de régner sur le cœur de Valère (v. 1031-1047). Son confident, dont la présence dans cette scène ne semble justifiée que par la fonction de souligner l’inadéquation du rôle de roi avec les paroles de la princesse travestie, fait remarquer à Yoland :
Vous parlez en Amante, au lieu d’agir en Roy. (III, 8, v. 1043).
A quoi le « roi » rétorque :
Les transports de mon Sexe échapent malgré moi. (III, 8, v. 1044).
Si l’on s’en tient au seul critère de la vraisemblance, la remarque de Marcellin signifie : « Vous parlez en amante au lieu d’agir en roi et vous ne le devez pas car il n’est pas vraisemblable qu’une princesse travestie en roi ne se comporte pas en roi. » La jalousie que Yoland laisse transparaître n’est pas un sentiment régulier puisque le public sait qu’il s’agit d’une jalousie féminine : cette jalousie féminine est transformée en sentiment vraisemblable dans la bouche d’un roi, c’est-à-dire interprétée par Camille comme la jalousie d’un roi amoureux d’elle (« Le Roy m’aimerait-il ? tu vois sa jalousie. » v. 1046), ce qui est un sentiment régulier donc vraisemblable pour un roi qui feint d’être amoureux d’une reine, tout comme est vraisemblable dans la bouche d’un roi l’argument de l’inégalité de conditions :
J’ay d’abord oublié l’orgueil du Diadéme,Ce que je dois au Trône, à ma gloire, à vous-méme ;Mais pour me rendre enfin tout ce que je me doy,Je change de langage, et je vous parle en Roy.Je me sens obligé d’advertir vostre gloireDe ne se flater pas d’une indigne victoire :Je rougirois pour vous, si Valere aujourd’huyVous faisait foiblement descendre jusqu’à luy. (III, 8, v. 1057-1064).
Mais s’il est bienséant pour un roi ou une princesse d’éprouver des scrupules à l’évocation d’une union avec un sujet – comme ce sera le cas de Yoland une fois devenue princesse aux yeux de tous (IV, 8, v. 1339-1358) – l’héroïsme et le mérite sont des arguments suffisants pour assurer la bienséance des paroles d’une princesse :
CAMILLEValere peut toucher la vertu la plus fiere,Et du rang Souverain l’orgueil le plus severeNe s’empressa jamais à demander des Rois,Quand un si grand Héros se présente à son choix :Elever jusqu’à nous un merite sublime,Faire un Roy d’un Sujet ne fut jamais un crime ;Et j’aime mieux un choix, à qui l’on sert d’appuy,Que s’il fallait monter pour aller jusqu’à luy. (III, 8, v. 1073-1080).
Ainsi, il ressort des écrits de La Mesnardière et de d’Aubignac qu’il est bienséant qu’une princesse travestie en roi ne se comporte pas comme une princesse mais comme un roi, de la même façon qu’une princesse qui n’est pas travestie en roi doit se comporter en princesse.
Si la vraisemblance du travestissement n’est pas remise en cause, il reste qu’il peut paraître invraisemblable qu’une femme puisse être prise pour un homme depuis sa naissance et considérée comme une femme aussitôt la révélation faite de sa véritable identité. Dans sa thèse, Georges Forestier cite un extrait de la Poétique de La Mesnardière puis la commente d’une manière qui peut nous éclairer :
Nous ne devons pas approuver ces Duretés d’imagination qui font que l’un des Personnages n’en
reconnaît plus un autre qui lui était familier, à cause qu’il est travesti, ou qu’il y a quelque temps
qu’il n’en a vu le visage. […] De là nous pouvons juger combien sont peu raisonnables ces grossiè-
retés d’esprit que quelques Poètes ou quand ils veulent que les Pères ne reconnaissent plus leurs
enfants, sous ombre qu’ils sont travestis. Comme si la connaissance que nous avons des personnes
était simplement attachée à ces endroits de leur corps que ces habits cachent aux yeux, et qu’elle
ne dépendît point du visage, de la taille, de la démarche et de la voix, et de ces autres façons qui
sont exposées à la vue, et que l’on ne peut détruire par des changements si légers. (p. 263-265).
Texte exceptionnel qui dénonce non pas l’invraisemblance des déguisements, mais l’invraisem-
blance dans les déguisements, ce qui est complètement différent. […] Critiquant des déguise-
ments invraisemblables, il ne fait pas la moindre allusion à une quelconque invraisemblance du
déguisement28.
Le texte de La Mesnardière ne vise pas le cas du travesti de naissance mais il est possible de l’appliquer à ce cas car, comme La Mesnardière le souligne :
La connaissance que nous avons des personnes [est] attachée à ces endroits de leur corps que ceshabits [les habits évoqués plus haut dans le texte] cachent aux yeux, et qu’elle ne [dépend] pointdu visage, de la taille, de la démarche et de la voix, et de ces autres façons qui sont exposées à lavue, et que l’on ne peut détruire par des changements si légers29.
Il est donc peu vraisemblable que les autres personnages de la pièce et le public ne reconnaissent pas le visage, la taille, la démarche et la voix qui sont, en fait, ceux d’une femme. Il est peu vraisemblable qu’un déguisement physique suffise à dissimuler une identité féminine mais la vraisemblance du travestissement n’est pas remise en cause.
Le travestissement sur scène : marques physiques, voix et maintien §
Après avoir vu que la poétique contemporaine de Boyer ne remettait pas en cause le travestissement, il convient de se demander quels étaient les signes physiques qui constituaient le travestissement et quelle était la règle qui régissait ces signes physiques.
Les indications du texte : dans la liste des dramatis personae, Boyer indique : « Yoland, Princesse de Sicile, déguisée en Roy, sous le nom de Manfrede ». Cette indication minimale est la seule qui soit fournie par le texte. En effet, Boyer ne donne aucun détail sur le travestissement, même dans les situations où il pourrait légitimement le faire c’est-à-dire au moment où le personnage travesti révèle sa véritable identité, ce qui est le cas dans la scène d’exposition où le « roi » apprend à son confident Marcellin qu’il est travesti en roi afin de sauver la dynastie de son père :
Valere, que son Pere élevoit avec moi,Me rendant tous les soins qu’on rend au Fils d’un Roy,Me sceut si bien gagner par ses tendres caresses,Qu’en peu de temps mon ame épreuva ses foiblessesDont l’amour en naissant saisit un jeune cœur ;Pour celles de mon Sexe elle estoit sans ardeur,Et ce trouble qu’enfante une naissante flâme,Me fit bien pres de luy sentir que j’estois Femme ;Et la raison qui vint m’éclaircir à son tour,Me treuva pleinement instruite pas l’amour.MARCELLINQuoy, vingt ans tous entiers auroient sans nul indiceCaché jusques icy cet étrange artifice ?Quel charme a si longtemps trompé toute la Cour ?LE ROYCe charme dureroit encor sans mon amour. (I, 1, v. 71-84).
Le texte ne fournit aucun détail sur le travestissement. Aucune précision n’est apportée sur la chevelure en particulier et ceci n’est pas surprenant. Dans sa thèse, Georges Forestier constate une « quasi-absence d’allusion aux cheveux des personnages déguisés30 ». Cependant, on peut supposer que Yoland travestie en roi porte un chapeau et qu’elle est même le seul personnage à porter constamment son couvre-chef puisque devant les personnages ignorant son travestissement, elle est roi et devant les personnages complices, elle est princesse de sang royal. Aucune allusion non plus à une modification du visage au moyen d’une moustache ou d’une barbe, ce qui n’est pas surprenant non plus. Dans sa thèse, Georges Forestier note :
Quant aux barbes, il n’en est guère fait plus souvent mention31.
Quant au costume, étant donnéqu’il appartenait aux acteurs, nous ne trouvons aucune précision à son sujet dans Le Mémoire de Mahelot.
En faisant un parallèle entre Fédéric et Le Dépit amoureux, on est frappé par la ressemblance des scènes où le personnage féminin travesti en homme avoue à un autre personnage sa véritable identité, en même temps que son amour pour un jeune homme, ce sentiment amoureux ayant servi à révéler au personnage travesti sa véritable nature féminine dont les limites ne coïncidaient pas avec celles de son déguisement. Mais la différence entre Boyer et Molière est que ce dernier est un peu plus précis dans la description du travestissement :
ASCAGNESachez donc que l’Amour ne sait point s’abuser,Que mon sexe à ses yeux n’a pu se déguiser,Et que ses traits subtils, sous l’habit que je porte,Ont su trouver le cœur d’une fille peu forte :J’aime enfin. (Le Dépit amoureux, II, 1, v. 401-405).
Etant donné les similitudes entre les deux pièces, on est frappé de constater que Boyer ne mentionne à aucun moment le déguisement, ce qui ne signifie pas bien entendu que celui-ci n’existait pas. De plus, puisque Molière mentionne un habit, pourquoi ne mentionnerait-il pas aussi d’autres détails du travestissement s’ils étaient présents ? Les deux pièces ont un autre point commun : à la dernière scène, bien que la véritable identité du personnage travesti soit révélée, celui-ci apparaît sous son travestissement, ce qui signifie que l’apparence du personnage travesti doit être conçue de façon à être vue aussi bien comme celle d’un homme que comme celle d’une femme, un seul de ces deux éléments étant prédominant selon le contexte.
La question est maintenant d’interpréter cette coexistence d’un élément féminin sous un élément masculin dans un travestissement féminin. Dans sa thèse, Georges Forestier en donne l’interprétation suivante :
De ce double constat de carence (cheveux et barbes), on décidera qu’il répugnait aux auteurs de re-
couvrir entièrement l’apparence initiale de leurs personnages déguisés, y compris, ce qui ne va pas
de soi, pour les travestissements […] Pour le XVIIe siècle, le phénomène semble imputable à une
nécessité purement littéraire. Il procède, en effet, de la conception-même du déguisement dans la pé-
riode qui nous occupe, de l’univers thématique qui le sous-tend. Le travesti, pour en rester à cette for-
me de déguisement qui devrait requérir le plus de signes, est prétexte à deux développements thémati-
ques principaux. Jouer sur le changement de sexe permet d’assurer la permanence du féminin sous le
masculin ( v.g. Félismène ou Tite ) ; c’est permettre en même temps de lui conserver un charme fémi-
nin qui le rend irrésistible auprès des autres jeunes filles. Ce qui interdit un recouvrement complet de
l’apparence initiale. Par là, perruques, barbes, tout ce qui pouvait tendre à ce recouvrement complet
devait être exclu des marques physiques du déguisement sauf dans les cas où l’un de ces deux déve-
loppements thématiques n’était pas en jeu32.
Dans Fédéric, si Boyer développe la dialectique du masque et du visage en développant les affrontements verbaux entre la princesse et l’un de ses sujets, il n’en exploite pas pour autant le thème du charme féminin exercé par le personnage féminin travesti sur les autres personnages féminins. A aucun moment Camille n’est séduite par Yoland travestie, contrairement à la Lisimène, de Lisimène ou la jeune bergère, pastorale que Boyer fait représenter en 1672, qui, elle, est séduite par une jeune fille déguisée en berger. On remarque donc que, dans Fédéric, bien que seul soit exploité le thème de la dialectique du masque et du visage, le féminin persiste sous le masculin.
Il semble donc que seul l’habit du personnage travesti est chargé de représenter son sexe d’emprunt, ce qui laisse toute latitude à Boyer de laisser persister l’identité d’origine, tout en donnant l’illusion aux autres personnages et au public que c’est qui représente la totalité de l’identité censée être celle du personnage travesti. Ainsi que le précise Georges Forestier :
Le spectateur doit être convaincu que la modification de costume, seule modification qui lui est sensi-
ble, symbolise au plan des relations intra-scéniques, un changement complet de l’appparence, change-
ment qui, toutefois, ne masque pas absolument la personnalité véritable33.
Que peut-on savoir sur la voix et le maintien du personnage de Yoland travestie ? Selon Georges Forestier :
[…] un déguisement, particulièrement lorsqu’il s’accompagne d’un changement de sexe, implique
non seulement une modification de l’apparence physique, mais aussi une modification de la voix
et une adaptation progressive du geste à l’action, qu’il appartient à l’acteur qui assume physique-
ment le rôle de mettre en oeuvre34.
Or, dans Fédéric, aucune didascalie concernant la voix ou les gestes de Yoland n’est présente. Comment, concrètement, le personnage travesti parlait-il ou se comportait-il, particulièrement au cours de la scène d’exposition où il dévoile sa véritable identité à son confident ? Y avait-il changement de voix et de maintien au cours de la scène ? Dans la mesure où, contrairement à ce qui se passe dans Lisimène ou la jeune bergère, le thème de la séduction d’autres personnages féminins par le personnage travesti, séduction due notamment à une voix explicitement qualifiée de féminine par les personnages séduits, nous ne savons pas si Yoland conserve sa voix féminine pendant les scènes où elle est en présence des personnages victimes du travestissement, nous ne pouvons que le supposer puisque « la […] solution qui consiste [ …] à faire croire à un changement de voix effectif a été le plus souvent évitée par les dramaturges35 ».
En 1640, La Mesnardière dénonce dans sa Poétique les invraisemblances des déguisements selon lesquelles un personnage ne reconnaîtrait par un autre personnage qu’il connaissait déjà avant qu’il soit déguisé « comme si la connaissance que nous avons des personnes était simplement attachée à ces endroits de leurs corps que ces habits cachent aux yeux, et qu’elle ne dépendît point du visage, de la taille, de la démarche et de la voix, et de ces autres façons qui sont exposées à la vue et que l’on ne peut détruire par des changements si légers36 ». Nous pouvons considérer comme équivalents les personnages déguisés devant des proches et le travesti puisque les autres personnages peuvent reconnaître un personnage de sexe différent dissimulé sous le travestissement.
La Mesnardière défend le principe de l’illusion mimétique qui voudrait qu’une femme travestie en homme soit conforme à un homme, aussi conforme à un homme que devaient l’être des femmes travesties en hommes dans la réalité lorsque, par exemple, elles cherchaient à se protéger d’un éventuel danger pendant un voyage. De plus, Fédéric appartient au genre sérieux, puisqu’il s’agit d’une tragi-comédie, genre dont la dramaturgie est fondée sur l’illusion mimétique. Nous avons déjà constaté l’absence de précision sur le travestissement de Yoland, notamment sur une virilisation du visage et nous avons déjà noté la présence du travestissement dans la dernière scène alors que l’identité de Yoland est connue de tous (« Vous me voyez encor sous ce déguisement. » V. 1667), ce qui laisse supposer la persistance du féminin sous le masculin et donc laisse planer une incertitude sur la voix et le maintien. Par conséquent, même dans le genre tragi-comique, Boyer ne se conforme pas au principe de l’illusion mimétique. Dans sa thèse, Georges Forestier donne les raisons de cette prise de distance des dramaturges face au principe de l’illusion mimétique.
[…] dans quelle mesure cette modification de la voix et cette adaptation du geste à la voix vont-elles
de soi ? Si elles sont automatiques dans le système représentatif de notre époque, et si, elles sont des-
tinées à créer des effets comiques dans les comédies burlesques, il n’en est pas de même dans le théâ-
tre sérieux du XVIe et XVIIe siècles, où prévalait la plus extrême rigidité de ton et de mouvement. […]
Le principe de l’illusion mimétique sur lequel repose la dramaturgie des genres sérieux exige une mé-
tamorphose totale de l’apparence, comme si la victime du déguisement était une personne réelle, dotée
des mêmes exigences et de la même clairvoyance, et non un personnage de théâtre conduit par la toute-
puissance des desseins du dramaturge. Du fait du caractère conventionnel du jeu et de la mise en scène
qui avaient cours au XVIIe siècle, cette métamorphose ne pouvait être réalisée. […] Considéré à l’aune
d’une stricte vraisemblance il est certain que l’aveuglement de la plupart des victimes des déguisements,
pour parler comme le théoricien [La Mesnardière], est une « dureté d’imagination » insupportable37.
Mais il n’y a qu’un système sémiotique fondé sur la convention, un système qui privilégie le discours
et l’action (c’est-à-dire encore le discours) et, partant, peut se contenter d’un seul signe statique, comme
le costume. Et la convention est si forte qu’il suffit même que le personnage déguisé déclare « je
suis ce que je prétends paraître » pour que la victime soit aveuglée38.
Ce système sémiotique fondé sur la convention coïncide avec la conception de l’identité royale développée par Boyer dans plusieurs de ses pièces et que l’on retrouve aussi dans Fédéric. Selon la conception de l’identité royale de Boyer, pour être roi, il suffit de le paraître. C’est l’idée qui sous –tend l’échange entre le « roi » et l’amiral Fédéric, au moment où Yoland est tentée de renoncer au trône par horreur de l’imposture. Fédéric tente de la convaincre de n’en rien faire.
Ce sont troubles qu’un Roy doit tousjours s’épargner,On n’est jamais Tyran quand on sçait bien regner ;Suffit d’avoir regné, pour rendre un règne juste :Quand on s’est revestu de ce pouvoir auguste,Quand le Ciel l’a souffert, quand le Sort l’a voulu,C’est assez pour garder le pouvoir absolu. (I, 3, v. 243-248).
Il suffit donc à Yoland de paraître roi pour que les victimes soient aveuglées au point non seulement de croire Yoland mais aussi de la croire roi depuis sa naissance. Lorsque le pseudo-roi révèle à son confident et l’existence de son travestissement, et sa véritable identité, la réaction de Marcellin est la suivante :
Quoy, vingt ans tous entiers auroient sans nul indiceCaché jusques icy cet étrange artifice ?Quel charme a si longtemps trompé toute la Cour ? (I, 1, v. 81-83).
L’utilisation du mot « charme », à prendre ici au sens de « pouvoir magique », paraît significative car elle correspond à la notion d’aveuglement des victimes du travestissement due au système sémiotique que fonde la convention. Et la force de la convention explique que Yoland n’avance aucune justification à la méconnaissance de son travestissement par la cour pendant vingt ans mais qu’elle reprenne pour toute explication le mot «charme » employé par Marcellin :
Ce charme dureroit encor sans mon amour. (I, 1, v. 84).
Ce qui peut être interprété comme l’aveuglement des victimes du travestissement aurait pu durer indéfiniment puisque aucun indice ne vient rompre l’opacité du travestissement, pas même l’amour que ressent Yoland travestie pour Valère que39 personne ne perçoit en tant qu’indice de l’être féminin sous le praître masculin mais qui est le moteur du processus conduisant à la révélation du travestissement aux autres personnages qui en étaient victimes, donc de sa disparation.
Aucune précision n’étant apportée sur la voix dans le texte, nous ne pouvons que situer Fédéric par rapport aux tendances générales de l’époque :
Dans la deuxième moitié de l’époque, les exemples d’intégration de la voix au rôle ne sont guère
plus nombreux [que dans la première moitié]. C’est que, au moment où le problème aurait pu se
poser avec le plus d’acuité du fait des exigences grandissantes de la vraisemblance, travestisse-
ments et déguisements d’apparence devant des proches, celles-là mêmes des modifications d’iden-
tité qui exigent la superposition du plus grand nombre de signes pour légitimer l’aveuglement de
la victime, ont quitté définitivement les rivages des genres sérieux pour ceux de la comédie ou du
théâtre à machines – avec Tite qui est une tragi-comédie, Magnon paraît s’être trompé d’époque –
se mettant ainsi à l’abri des jugements de vraisemblance.
Fédéric datant de 1659 et étant une tragi-comédie, tout comme Tite, il est difficile de ne pas lui appliquer ce commentaire.
Être et paraître : adéquation et distorsion §
Lorsqu’une princesse se travestit en roi depuis sa naissance, le personnage de la princesse disparaît-il entièrement derrière le personnage de roi ou transperce-t-il le déguisement ? Les notions d’adéquation et de distorsion permettent de comprendre les relations possibles entre personnage fictif et personnage véritable. Rappelons les définitions de ces deux notions données par Georges Forestier :
Ou bien les signes du déguisement permettent un recouvrement total de l’apparence intitiale, et on
parlera d’adéquation entre le paraître et l’être. Ou bien, inversement, […] le personnage déguisé
laisse transparaître involontairement des parties de son moi véritable ; il y a alors distorsion entre
le personnage et son rôle40.
Mais adéquation et distorsion ne sont pas exclusives l’une de l’autre :
En théorie, la distorsion entre le personnage et son rôle est un jeu opposé à l’adéquation entre l’être
et le paraître. Mais tout en s’excluant mutuellement, ces deux types de relations peuvent se succéder
au cours d’une même pièce. On peut même dire qu’il ne peut y avoir distorsion qu’à partir de l’ins-
tant où il y a eu auparavant une période d’adéquation qui a posé l’identité fictive du personnage dé-
guisé41.
Les rapports entre l’identité véritable de la princesse et l’identité fictive de roi sont-ils une alternance entre adéquation et distorsion ? Quelle est la nature de cette distorsion ? Quelles en sont les conséquences pour le personnage de princesse travestie ?
Dans sa thèse, Georges Forestier note :
Chez la plupart des héros (ou héroïnes) de tragi-comédie et de comédie – ceux, du moins, qui ne
changent jamais de condition et qui ne revêtent pas de déguisement ostensible – la superposition
des divers signes qui expriment le déguisement n’est jamais subvertie par quelque distorsion qui
interviendrait dans le cours de l’action42.
Cette remarque est-elle vérifiée dans le cas du travestissement de Yoland ?
La convention, en instaurant un système sémiotique, permet que seul le costume représente le travestissement. De ce fait, même si Yoland travestie en roi a une voix et un visage féminins, l’opacité sur une identité véritable et donc l’aveuglement des victimes est possible. Encore faut-il que cette opacité et donc l’adéquation de l’identité véritable et de l’identité fictive soit maintenue aussi par le discours du personnage travesti. Puisqu’il ne s’agit pas pour Yoland, princesse travestie en roi afin de conserver son trône, de reconquérir un fiancé volage en séduisant sa rivale, développer un discours et un comportement séducteurs pour dissimuler son identité n’est pas nécessaire. Les seuls personnages victimes du déguisement que Boyer nous montre en présence de Yoland sont essentiellement Camille, la reine napolitaine qui attend impatiemment le secours du « roi » pour recouvrer son trône, et Valère, le jeune homme dont Yoland est secrètement amoureuse depuis six ans et qui, lui, aspire à la main de Camille par pure ambition. A la seconde scène de l’acte I, Camille reproche au « roi » de ne pas avoir fait son devoir, c’est-à-dire de ne pas avoir chassé les mutins qui se sont emparés du trône de Naples, situation qui pourrait être propice à une certaine clairvoyance de la part de Camille. Or, l’opacité reste complète car, d’emblée, Yoland, met en avant son manquement à son devoir de roi et, ce faisant, se met en adéquation avec son identité fictive :
Pardonnez grande Reyne,Si je m’acquite mal de ce que je vous doy ;Imputez ces delais aux soins d’un nouveau Roy. (I, 2, v. 114-116).
En reconnaissant que les plaintes de Camille sont fondées (« Je ne me defens point d’une si juste plainte. » V. 145), Yoland reste en adéquation avec son identité fictive et maintient l’opacité de son travestissement. Ceci lui permet de développer une première série de paroles à double entente où « il » évoque la pitié que Camille devrait éprouver pour « lui » (v. 146-152) et alors que Yoland fait allusion à « un respect plus fort que l’espoir d’en guérir » (v. 179), Camille ne soupçonne à aucun moment la vérité. Elle interprète son inertie comme un manquement à l’honneur (« Nos mutins devenus plus hardis, et plus forts […] vous feront rougir de tant de négligence. » v. 191 et 193). Lorsque le « roi » lui promet de lui venir en aide, les termes utilisés sont suffisamment vagues pour éviter un nouveau risque de distorsion :
Nous sçaurons prévenir une telle insolence. (I, 7, v. 194).
Le « roi » se garde bien de dire qu’il mènera lui-même le combat – tâche qui sera déléguée à l’amiral Fédéric – ce qui pourrait peut-être43 révéler une distorsion entre l’être et le paraître de Yoland, mais aussi parce que la distorsion se situe entre l’être et le discours de la princesse travestie.
Dans cette première scène entre Yoland travestie et un personnage victime du déguisement, la distorsion produit un effet psychologique44, l’état d’angoisse dans lequel se trouve la princesse travestie en roi, prisonnière de son identité fictive et d’un secret qui l’isole :
Prince,ou Roy, c’est ce rang qui fait toute ma peine :Entre les mains d’un Pere il contraignoit mon cœur,Dans mes mains il le fait avec plus de rigueur ;Et je souffre aujourd’huy, maistre de sa puissance,Le joug qu’il imposoit à mon obeïssance.Je crûs qu’après sa mort le rang qu’il m’a quittéRendroit à mes désirs un peu de liberté :Mais je connoissois mal l’orgueil du Diadéme ;Prince, j’estois captif, Roy, je le suis de méme ;Et ce rang glorieux n’a qu’un éclat trompeur,Qui fait à méme temps, et cache mon malheur. (I, 2, v. 166-176).
La seconde scène où s’affrontent le « roi » et Camille est analysée par Georges Forestier comme une variante au paradigme de la distorsion la plus extrême que constitue Agésilan de Colchos de Rotrou45. Nous citons cette analyse :
[…] les variantes s’expriment au plan des conséquences. Dans Fédéric de Boyer, « le Roy »
(c’est-à-dire la princesse Yoland travestie ) reproche à la reine d’un pays voisin, venue lui ré-
clamer du secours,de lui enlever Valère, dont elle est secrètement amoureuse. L’habileté de la
construction de la scène nous incite à en rapporter le passage essentiel. La scène comporte qua-
tre participants : le « Roy », son confident Marcellin, la reine Camille et sa confidente Florise.
LE ROYVenez, venez vanter le pouvoir de vos yeux,Valere a ressenti leurs traits victorieux.Vous me l’ôtez, Madame, et quand ma main s’apprêteD’aller de vos mutins dissiper la tempête,Vous m’ôtez le repos que je vous ai promis.Est-ce pour m’arracher le seul bien où j’aspireQue le Ciel en courroux vous dérobe un empire ?Je perdrai plus par vous que vous n’avez perdu.Si vous perdez un Sceptre, il vous sera rendu.Et pour vous consoler d’un destin si contraire,Vous régnez cependant sur le cœur de Valère.MARCELLINVous parlez en Amante au lieu d’agir en Roi.LE ROILes transports de mon Sexe m’échappent malgré moi.CAMILLE à FloriseLe Roi m’aimerait-il ? Tu vois sa jalousie.Feignant d’aimer Valère,irritons son amour. (III, 8, v. 1031-1047).Les effets des principes de concentration et de vraisemblance que réclamaient les théoriciens clas-
siques se font sentir ici et nous éloignent d’Agésilan de Colchos. La distorsion entre le personnage et
son rôle est aussi sensible que dans la tragi-comédie de Rotrou. Mais elle s’exprime de façon plus re-
tenue à travers le verbe du personnage, alors même que les sentiments qu’il exprime sont particulière-
ment violents. En outre, la situation imaginée par Boyer permet de mettre la distorsion sur le compte
des sentiments amoureux que le « Roi » nourrirrait à l’égard de la reine Camille, rendant ainsi la situa-
tion parfaitement vraisemblable. On voit en même temps comment les différences de mise en œuvre de
la distorsion s’exercent au plan des conséquences. La contradiction entre l’être et le paraître ne produit
plus seulement chez le public un délicieux sentiment de supériorité ironique comme dans la tragi-comé-
die de Rotrou. Elle permet de créer un quiproquo sentimental, en faisant croire à Camille que « le Roi »
est jaloux d’elle.Elle permet surtout de mettre l’accent sur les conséquences psychologiques du dégui-
sement : ici pour le personnage déguisé ; ailleurs – et c’est le cas le plus fréquent – pour les victimes du
déguisement46.
L’échange entre Marcellin et le roi a pour fonction de souligner la distorsion entre le discours d’« amante » et l’apparence masculine de Yoland qui ne rompt pourtant pas l’opacité du déguisement mais il marque aussi le passage de la distorsion à l’adéquation au cours de la scène. En effet, après avoir parlé en « amante » (v. 1043), Yoland parle en roi (« Je change de discours, et je vous parle en Roy. » V. 1060), ce qui non seulement met fin à la distorsion mais est conforme à la vraisemblance qui veut que, travestie en roi, Yoland en adopte le discours, en l’occurrence par l’utilisation du thème de la mésalliance (v. 1050-1080).
La scène 7 de l’acte II où s’opposent cette fois-ci Valère et le « roi » donne également lieu à des distorsions entre l’être et le paraître, suscitant un effet pathétique pour la princesse travestie. Dans cette scène, Fabrice et Valère demandent l’arbitrage du « roi » car ils se disputent tous deux la main de Camille, Fabrice par amour, Valère par ambition. Yoland tente en des termes pathétiques de le convaincre de renoncer à Camille :
LE ROYLaisse à ton Frere un soin pour luy si plein de charmes,Et daigne m’épargner de mortelles alarmes.Regne avec moi, Valere, et calme ce transportQui met tout ce que j’aime entre les mains du Sort.…………………………………………………….VALEREJe verray tant de gloire, et vous voudriez, Seigneur,Laisser à mon espoir échapper tant d’honneur ?Seigneur, est-ce m’aimer ?LE ROYAh! Valere, je t’aime,J’en atteste le Ciel beaucoup plus que moy-méme.Veux-tu quitter un Roy qui t’a mis dans son cœur ?Luy qui t’a revestu de toute sa faveur,Et t’a presque accablé de sa magnificence ?Quelle amitié jamais eust plus de violence ?Que faut-il faire encor pour te la témoigner ? (II, 7, v. 711-714 ; v. 721-729).
Ces paroles à double entente manifestent la distorsion entre l’identité réelle et l’identité fictive de Yoland et cette distorsion reflète le malaise du personnage travesti prisonnier de son déguisement. Cette distorsion peut être attribuée au lien qui unit le roi à son sujet et à la conception que l’on s’en faisait au XVIIe siècle et que Jean-Marie Apostolidès décrit de la façon suivante :
Avant de représenter l’incarnation de l’Etat, le monarque apparaît comme le suzerain des suzerains,
le souverain universel à qui chacun doit hommage. Loin d’être une relation froide ou convenue, ce
rapport de vassalité est vécu sur un mode affectif intense. […] Chaque aristocrate qui se met au ser-
vice du roi fait un « don de sa personne » à la cause monarchique et sa fidélité peut aller jusqu’à la
mort. Il s’agit donc de l’attachement passionné d’un être qui s’offre tout entier à un autre47.
Dans ce contexte, les reproches faits par le « roi » à son favori Valère et l’amitié violente qui les unit sont vraisemblables. Un affrontement du même ordre a lieu entre les mêmes personnages à la scène 6 de l’acte III. Un billet que Yoland fait parvenir à Valère l’incite à aspirer « hardiement à l’amour d’une Reyne ». Un quiproquo en résulte car Valère croit à un encouragement du « roi » à aspirer à la main de Camille. Dans cette scène, le « roi », pensant que Valère a appris toute la vérité, l’incite à tout espérer. Valère lui apprend donc qu’il aime Camille, d’où colère du « roi » et nouvelle distorsion que l’on pourrait attribuer à un sentiment amoureux que le « roi » éprouverait pour Camille, ce qu’il dément. Cette distorsion manisfeste à nouveau l’angoisse du personnage prisonnier et piégé par un travestissement qui était destiné à l’origine à favoriser ses ambitions mais qui est devenu une entrave. La princesse travestie développe donc un discours qui lui est propre lorsqu’elle se trouve comme ici dans une situation de distorsion telle, qu’elle rompt toute possibilité d’être comprise par les autres personnages totalement victimes de l’illusion. En effet, ne pouvant pas mettre les paroles de Yoland sur le compte de la jalousie, Valère ne trouve plus qu’à repondre :
Quel est donc ce discours que je ne puis comprendre ? (III, 6, v. 1005).
Et Yoland de répliquer :
Cruel, c’est ton amour qui ne veut pas l’entendre. (III, 6, v. 1006).
Un échange similaire avait lieu à la scène 2 de l’acte I au cours de la première confrontation entre le « roi » et Camille :
LE ROYMais pourquoy vous troubler d’une plainte si vaine,Quand vous n’entendez rien de l’excès de ma peine,Et qu’un respect plus fort que l’espoir d’en guérir,Me defend de parler, et de me secourir ?CAMILLESeigneur, dans ce discours je ne puis rien comprendre. (I, 2, v. 177-181).
Le pathétique présent dans le discours de Yoland travestie au cours des passages de distorsion réside donc dans le fait que le seul pouvoir de son discours est de constater son impuissance à susciter autre chose que l’incompréhension chez les personnages victimes de l’illusion et donc son propre isolement, emprisonnée qu’elle est dans le carcan de son travestissement.
Cependant, malgré ces scènes de distorsion, l’aveuglement des victimes reste total et le pathétique du discours de Yoland travestie n’est perçu par les personnages victimes du déguisement que comme un discours opaque qui ne suscite en eux qu’incompréhension et n’est jamais le point de départ du doute. Ainsi, l’angoisse présente dans les passages de distorsion n’est jamais perçue par les autres personnages comme un indice de sa véritable identité. Boyer choisit de respecter le principe d’aveuglement général de la tragi-comédie, ce qui lui permet de multiplier les scènes de distorsion et de donner une épaisseur psychologique au personnage de Yoland renforcée encore par l’immobilisme auquel est contraint le « roi », puisque c’est Fédéric qui agit pour Yoland. Seul le public reçoit les marques de la véritable identité du « roi » que sont les passages de distorsion et de paroles à double entente puisqu’il se trouve dans une situation d’ironie depuis la première scène de la pièce où le « roi » avoue le secret de son travestissement à son confident. Seule la convention de l’aveuglement systématique explique qu’une pièce entière soit construite sur un travestissement de naissance et permet d’accepter que nul ne reconnaisse l’identité féminine sous le travestissement en roi.
Rhétorique du déguisement §
Lorsque nous avons examiné la distorsion et l’adéquation de l’identité fictive et de l’identité réelle du personnage de la princesse Yoland travestie en roi, nous avons constaté que le personnage de princesse transparaissait parfois sous le déguisement de roi. Lorsqu’un même personnage est ainsi dédoublé en deux identités, l’une véritable, l’autre fictive, comment fonctionne le discours prêté par l’auteur à son personnage ?
Quand Yoland travestie en Manfrede s’exprime, il existe trois types de rapports entre son discours et sa double personnalité :
- – Yoland apparaît aux yeux des autres personnages sous sa véritable identité et son discours est conforme à cette identité véritable ;
- – Yoland apparaît aux yeux des autres personnages sous son identité fictive de roi et son discours est conforme à cette identité fictive ;
- – Yoland apparaît aux yeux des autres personnages sous son identité fictive de roi et son discours n’est pas conforme à cette identité fictive mais à son identité véritable.
La seconde possibilité revient à mentir aux personnages victimes du travestissement. Il s’agit d’un type de relations simple entre l’être et le paraître, ainsi que le précise Georges Forestier :
Dans les pièces qui mettent en œuvre un déguisement dramatique, les relations verbales entre
l’être et le paraître sont […] moins complexes. La rhétorique du déguisement s’y résout, en effet,
dans l’expression exclusive du faux, autrement dit du mensonge48.
Les passages de mensonge sont peu nombreux dans la pièce. C’est par exemple le cas du début de la scène 6 de l’acte IV. Pour détourner Camille de Valère, le « roi » a décidé de faire semblant d’aimer Camille (II, 9) alors que depuis le début de la pièce, il n’a jamais fait de fausses déclarations d’amour à Camille mais s’est contenté de lui promettre de se conduire en roi, c’est-à-dire de l’aider à recouvrer son royaume. Le « roi », dans ce passage, feint d’aimer Camille :
Madame, je reviens ou toucher vostre cœur,Ou mourir à vos pieds d’amour et de douleur.Quand contre vos mutins pressant vostre vengeance,Je vay vaincre, et vainqueur craindre pour vostre absence,Pour retenir un bien dont mon cœur est jaloux,Mon cœur laisse échaper tout ce qu’il sent pour vous. (IV, 6, v. 1271-1276).
Dans ce passage, le mensonge se désigne comme tel aux yeux du public puisqu’il a été présenté antérieurement comme une feinte destinée à faire avancer l’intrigue. Puisque le personnage de Yoland est travesti en roi et que ce roi doit épouser une reine, on peut s’attendre à ce que fasse partie de son déguisement un sentiment amoureux qu’« il » éprouverait à l’égard de cette reine qui lui est promise. De ce sentiment amoureux, il est d’ailleurs question à la première scène de confrontation entre le « roi » et Camille (I, 2), mais il s’agit de l’amour que le « roi » éprouve pour Valère – ce que seul le public comprend – même si Camille, qui ne peut que se méprendre, en dénonce la médiocre qualité (« D’une si foible amour, Seigneur, je vous dispense. » v. 197). Quand à la scène 9 de l’acte II, le « roi » décide, sur les conseils de son confident, de feindre des sentiments amoureux à l’égard de Camille, c’est faire assister le spectateur à la mise en place du discours mensonger du personnage travesti aussi bien que faire avancer l’intrigue par ce stratagème.
La troisième possibilité est celle où Yoland apparaît aux yeux des autres personnages sous son identité fictive de roi et où son discours n’est pas conforme à cette identité fictive mais à son identité véritable. L’identité véritable de la princesse transparaît sous le discours du « roi », ce qui permet le développement d’une « rhétorique du vrai et du faux49 ». Quand le personnage de Yoland travestie s’exprime de telle façon que son discours puisse être compris de deux façons différentes, l’une étant le reflet de sa véritable identité, l’autre pouvant être perçue comme le discours correspondant à son identité fictive, elle utilise un discours « à double entente »50. En voici la définition :
La rhétorique du vrai et du faux est l’un des modes d’expression de ce qu’on nomme traditionel-
lement l’ironie. […] A côté de l’ironie classique qui repose sur l’antiphrase ou, plus discrètement
sur l’atténuation de la pensée, la seconde forme d’ironie, autrement appelée double entente, con-
siste à faire « exprimer une idée de telle manière que sous les mêmes mots […] une idée
toute différente puisse être perçue »51.
Plusieurs exemples de paroles à double entente sont présents dans Fédéric. Dans la première scène de confrontation entre le « roi » et Camille, celui-ci, à qui la reine reproche de ne pas l’avoir encore secourue, rétorque :
Mais si vous connoissiez avec quelle contrainteJe difere un secours que je vous ay promis,Et que par la rigueur des desseins ennemisCe Roy, qui doit s’armer pour le secours d’une autre,Soûpire pour un mal bien plus grand que le vostre ;Vous passeriez bien-tost d’un si juste courrouxA la pitié d’un Roy plus à plaindre que vous. (I, 2, v. 146-152).
Après que Camille l’a interrogé sur la nature de cette « contrainte », lui demandant s’il s’agit de la récente mort de son père, le « roi » répond par la négative puis ajoute :
Bien loin de souhaiter la grandeur souveraine,Prince, ou Roy, c’est ce rang qui fait toute ma peine :Entre les mains d’un Pere il contraignait mon cœur,Dans mes mains il le fait avec plus de rigueur ;Et je souffre aujourd’huy, maistre de sa puissance,Le joug qu’il imposoit à mon obeïssance.Je crûs qu’après sa mort le rang qu’il m’a quittéRendroit à les desirs un peu de liberté :Mais je connoissois mal l’orgueil du Diadéme ;Prince, j’estois captif, Roy, je le suis de méme ;Et ce rang glorieux n’a qu’un éclat trompeur,Qui fait à mesme temps, et cache mon malheur.Mais pourquoi vous troubler d’une plainte si vaine,Quand vous n’entendez rien de l’excés de ma peine,Et qu’un respect plus fort que l’espoir d’en guérir,Me defend de parler, et de me secourir. (I, 2, v. 165-180).
Les phrases : « Mais si vous connoissiez avec quelle contrainte / Je difere un secours que je vous ay promis. » ou « Et qu’un respect plus fort que l’espoir d’en guérir, / Me defend de parler, et de me secourir. » ont un signifié patent52 (je ne peux pas vous donner mon secours car je subis une contrainte) et un signifié latent (je ne peux pas vous donner mon secours parce que je ne suis pas roi mais une princesse travestie en roi). Dans le signifié patent, s’entremêlent vérité et fiction car il est vrai que le « roi » ne peut secourir Camille car « il » est prisonnier d’une contrainte mais la véritable nature de cette contrainte n’est pas révélée à Camille qui se contente de constater l’existence d’un secret dont elle ne cherche pas à percer le mystère. Camille, d’ailleurs, ne cherchera pas davantage par la suite à en connaître plus sur le secret du « roi », si bien que la seule fonction de ce passage en ce qui concerne l’action, semble être la mise en route de l’action qui conduira à chasser les mutins de Naples et de répondre ainsi aux attentes de Camille.
A la scène 7 de l’acte II, Valère, disputant à son frère la main de Camille, demande en vain l’appui du « roi », ce qui donne lieu à un passage de paroles à double entente :
Veux-tu quitter un Roy qui t’a mis dans son cœur ?Luy qui t’a revestu de toute sa faveur,Et t’a presque accablé de sa magnificence ?Quelle amitié jamais eust plus de violence ?Que faut-il faire encor pour te la témoigner ? (II, 7, v. 725-730).
Ici aussi les paroles du « roi » ont deux signifiés différents : la signifié patent est : « Valère, je t’aime car tu es mon favori » et le signifié latent est : « Valère, j’éprouve des sentiments amoureux pour toi. » Au point de vue de l’action, ce passage de paroles double entente a pour fonction de provoquer une crise entre le « roi » et Valère. A la suite de cette crise, Fédéric sera mis au courant par Marcellin des sentiments du « roi » à l’égard de Valère et décidera de lui laisser espérer la main de Camille.
Dans ces exemples, les paroles à double entente ont un signifié patent qui peut paraître vrai. Mais la dialectique du vrai et du faux est exprimée d’une autre façon dans Fédéric, celle du paraître faux53. Nous reproduisons ici l’essentiel de cette analyse développée par Georges Forestier :
La situation est celle d’une joute verbale entre « Le Roi » […] et la reine d’un Etat voisin venue
lui réclamer du secours et désireuse d’épouser Valère, pour lequel « Le Roi » meurt d’amour sans
pour autant oser se dévoiler. Nous prenons le dialogue au moment où il est question de « la gloi-
re » qu’il y a pour une reine à faire monter un sujet jusqu’à elle en l’épousant :
LE ROIUne Reine s’apprête à vous la disputer.CAMILLECette rivale encore ne nous est pas connue.LE ROIElle se fera voir trop tôt pour votre gloire.CAMILLESi vous la secondez à m’ôter la victoire,J’ai du moins la douceur de rendre un Roi jaloux.LE ROIJe le suis, il est vrai, mais ce n’est pas de vous. (III, 8)
On distingue parfaitement dans ce passage comment s’organise le processus ironique. En désignant
la reine qu’elle deviendra sitôt qu’on lui aura permis de révéler son sexe, l’héroïne ( « Le Roi » )
peut parler de cette reine comme d’une tierce personne, sans mentir, ni jouer sur sa double identité :
seule s’exprime sa véritable personnalité. Mais cela ne dure guère. A la fin de ce fragment de scène,
Camille ramenant la discussion sur « le roi », les conditions d’énonciation qui permettaient à l’héroï-
ne de parler sans masque tout en restant masquée sont détruites, et elle est contrainte de s’exprimer
à nouveau au nom de son personnage fictif54.
Toujours à cette scène 8 de l’acte III, le « roi » et Camille s’affrontent à propos de Valère et Yoland se profile derrière son travestissement puisqu’elle se laisse emporter à un point tel par la jalousie que Marcellin est obligé de lui faire remarquer que son discours n’est pas celui qui sied à un roi (v. 1031-1043). Le « roi » décide alors de changer de discours en mettant Camille en garde : une reine ne saurait baisser les yeux sur un sujet. Mais si le « roi » adopte un discours de roi en développant le thème de la mésalliance, il s’agit toujours pourtant du discours de la Yoland jalouse (« Mais forçons la fureur dont mon âme est saisie » v. 1045), subtilement maquillé en discours de souverain soucieux de la gloire de Camille. La rhétorique du vrai et du faux est ici à l’œuvre et c’est ce que signifie la remarque de Camille :
Devenez-vous si-tost à vous-méme contraire ? (III, 8, v. 1053).
Yoland reste sans arrêt présente derrière le personnage de roi et c’est ce que veut nous faire comprendre Boyer en mettant en place un « déguisement rhétorique »55.
Le travestissement, le spectateur, le lecteur §
Après avoir envisagé le fonctionnement du travestissement de Yoland sous l’angle des relations entre les personnages, il faut l’envisager sous l’angle des relations entre l’auteur, l’œuvre et le public, c’est-à-dire examiner la notion de « désignation »56 dans Fédéric.
Nous avons vu plus haut qu’aucune didascalie ne donne de précision sur les marques physiques de ce déguisement d’apparence. Le nom de Yoland lui-même n’est prononcé qu’à la dernière scène. Il en va différemment des indications présentes dans le texte et qui sont destinées au lecteur. Dans toutes les rubriques de scène et de dialogue, la princesse travestie est désignée comme « Le Roy », c’est-à-dire sa fonction, son rôle dans la pièce. Dans la liste des dramatis personae elle est désignée comme « déguisée en Roy sous le nom de Manfrede » mais ce nom ne sera repris nulle part ailleurs dans le texte, Boyer préférant sans doute insister sur la fonction de son personnage travesti. Alors qu’à la scène 7 de l’acte IV, la véritable identité de Yoland est révélée au grand jour, la princesse continue d’être dénommée de la même façon et ce n’est qu’à la dernière scène que le nom de Yoland remplace celui de « Roy » dans les rubriques de scène et de dialogue. L’explication de cette modification semble être que la révélation du véritable nom de la princesse ayant été faite par Marcellin à la première scène de l’acte V (« Yoland est son nom », v.1490), c’est cette dénomination qui est désormais utilisée. Notons encore qu’en choisissant cette formule de nomination de son personnage travesti, Boyer s’écarte de la norme qui est de « conserver durant toute la durée du rôle fictif la mention du nom initial du personnage, dès lors que le public et les lecteurs sont informés préalablement ou assez rapidement s’il s’agit d’un déguisement mis en place avant le début de l’action – du rôle fictif assuré par le personnage57. »
La « signalisation » est une façon de mettre en place le déguisement en vue d’informer le spectateur de l’existence de ce déguisement.
Comme les déguisements ne sont pas tous introduits de la même manière, il est différents types d’in-
formation. Le déguisement peut avoir été mis en place avant le début de l’action, donc hors la vue
des spectateurs – ce qui est la règle générale pour les ignorances d’identité. […] Nous parlerons de
signalisation […]58.
Le spectateur est informé du travestissement de Yoland dès la scène d’exposition au cours d’un dialogue avec son confident. Si Yoland explique à Marcellin la cause du déguisement et même si elle précise que Fédéric sur déguiser son « Sexe avec tant de secret » qu’elle « avoit conceu l’espoir de la grandeur suprême », la façon d’amener l’information du travestissement apparaît artificielle. Molière, dans Le Dépit amoureux, dont il est probable que Boyer se soit inspiré, s’est montré plus habile : l’information sur le travestissement apparaît à la première scène du deuxième acte au cours d’un dialogue entre Ascagne (Dorothée déguisée en homme) et sa confidente Frosine. Mais Frosine, contrairement à Marcellin, est déjà au courant du travestissement et l’aveu d’Ascagne ne porte successivement que sur ses sentiments pour Valère, sur son mariage avec celui-ci et sur le fait que Valère ignore la véritable identité de sa femme. Molière a donc su ménager un triple effet de surprise pour Frosine et le public en évitant l’invraisemblance puisque Frosine est au courant du travestissement59.
Fonctions dramaturgiques du travestissement §
Quelques années après Fédéric, Boyer reprend le thème de l’usurpation de pouvoir dans Oropaste ou le faux Tonaxare. Mais, pour cette pièce, il n’utilise pas le procédé du travestissement féminin. Pour quelles raisons Boyer a-t-il choisi avec Fédéric le travestissement féminin pour traiter ce thème ? Pour le comprendre, il faut distinguer entre sujet de la pièce et thème de la pièce :
Le sujet, c’est l’histoire, ou la « fable » […]. Le thème, c’est l’exploitation des éléments qui
se surajoutent au sujet pour empêcher que l’histoire se déroule linéairement60.
Le sujet de Fédéric est donc l’accession au pouvoir d’une princesse dans un pays où normalement elle n’a pas d’y accéder et son mariage avec l’un de ses sujets. Le thème se compose de tous les épisodes entraînés par le travestissement de Yoland : rivalité de Valère et de Fabrice pour obtenir la main de Camille, jalousie de Yoland, rivalité de Fédéric et de Valère, quiproquo dû au billet, amour du « roi » envers Camille.
Pour construire une pièce sur l’usurpation de pouvoir, Boyer aurait pu utiliser une autre configuration que celle du travestissement féminin et c’est précisément ce qu’il a fait dans d’autres pièces : fils supposé à la place du véritable héritier de la dynastie (Tyridate), sosie ayant pris la place du roi véritable (Oropaste ou le faux Tonaxare). Si Boyer a choisi avec Fédéric d’utiliser le travestissement féminin, c’est qu’il possédait outre la même fonction instrumentale que le fils supposé ou le sosie, d’autres fonctions spécifiques.
Le travestissement féminin est tout d’abord en lui-même un spectacle apprécié du public et c’est certainement ce qui explique que, bien que la véritable identité de Yoland soit connue depuis la scène 8 de l’acte IV, celle-ci apparaît sur scène sous son travestissement jusqu’à la fin de la pièce, ce qu’elle souligne, pendant cette dernière scène (« Vous me voyez encor sous ce déguisement. », v. 1637), ce qui prouve que la persistance du travestissement ne va pas de soi et Yoland avance d’ailleurs une justification :
Vous me voyez encor sous ce déguisement ;Honteuse de souffrir un triste changement,Je me cache à moi-méme. (V, scène dernière, v. 1687-1688).
De plus, l’utilisation du travestissement est créatrice d’effets : effets pathétiques entraînés par la distorsion, situations de quiproquo, paroles à double entente suscitant des effets d’ironie. Présent dans quinze scènes, le personnage de princesse travestie est beaucoup montré par Boyer, bien qu’il ne joue qu’un rôle secondaire par rapport au personnage de Fédéric, car il exerce une fonction décorative. Le travestissement féminin satisfait « le plaisir des yeux »61. Fédéric fut joué à l’Hôtel de Bourgogne et « le public du Marais et de l’Hôtel de Bourgogne devait vouloir qu’on l’abreuvât de travestis féminins62. » Le travestissement féminin constituant une transgression – le travestissement s’accompagne d’un sentiment de honte pour Yoland – et cette transgression est ici double, puisque l’interdit de l’usurpation dynastique est aussi transgressé – comportait pour le public un attrait supplémentaire.
Le travestissement est à l’origine d’effets pathétiques dans les moments d’exaspération de la distorsion entre l’être de la princesse et le paraître de roi. En effet, Yoland est cantonnée dans un rôle entièrement passif puisque c’est Fédéric qui mène l’action et prend des initiatives. De ce fait, elle ressent avec une particulière acuité le caractère étouffant de son travestissement qui, de stratagème qu’il était à l’origine, est devenu un carcan, puisque c’est l’obstacle qui le sépare de Valère. Cette prison devient même à ce point insupportable que Yoland tente à plusieurs reprises de faire éclater la vérité (voir principe de l’action empêchée ci-dessous) avant que Marcellin ne l’en empêche, ce qui porte à son summum l’effet de pathétique d’un personnage qui ne maîtrise pas son destin.
Dans Fédéric, l’effet d’équivoque sexuelle n’est jamais présent. Même lorsque le « roi » feint d’aimer Camille, le public sait qu’il s’agit d’un stratagème pour éloigner Camille de Valère (IV, 6) et Boyer ayant pris soin d’introduire un autre personnage dont Camille est éprise et d’en faire une princesse très soucieuse de sa gloire, aucun sentiment équivoque n’apparaît dans cette scène. Si Camille est sensible au fait que le « roi » dise éprouver une flamme à son égard, c’est parce que son orgueil de reine est à ce moment satisfait.
Boyer met donc en scène un travesti féminin dont la fonction dramatique est d’être l’instrument de l’usurpation de pouvoir, association dont il convient de souligner l’originalité, et dont les fonctions dramaturgiques consistent essentiellement dans l’effet de pathétique suscité par le travestissement et où l’équivoque sexuelle n’est jamais présente, la princesse travestie n’étant dotée d’aucun charme qui émanerait de sa féminité toujours présente sous son travestissement, contrairement par exemple au personnage de travesti féminin que Boyer met en scène dans sa pastorale Lisimène ou la jeune bergère. C’est donc à dessein que Boyer n’exploite pas cet effet, pensant peut-être que l’introduction de l’équivoque sexuelle heurterait des bienséances dans une tragi-comédie où le personnage est travesti pour une raison aussi sérieuse que la conservation du pouvoir politique et non la poursuite d’un volage. La fonction dramatique du travestissement qui est de servir de point de départ à toute la pièce apparaît donc peu importante, comparée à ses fonctions dramaturgiques dont la moindre n’est pas de satisfaire le goût du public pour le spectacle.
Mise en œuvre du « principe de l’action empêchée63 » §
En construisant une pièce où le travestissement, instauré avant le début de la pièce pour éviter que la dynastie de Sicile soit chassée par la maison d’Aragon, et où le travestissement devient un obstacle au début de la pièce puisqu’il interdit l’amour entre Yoland et Valère, Boyer écrit une œuvre obéissant au « principe de l’action empêchée »64. Georges Forestier définit ce principe de la façon suivante :
Ce qui est présenté au public, ce n’est pas une action où le déguisement sert à franchir l’obstacle mais
une action où l’obstacle est constitué par le déguisement d’un personnage. Cette inversion de la re-
lation habituelle obstacle-déguisement fonde ce que nous appelons le principe de l’action empêchée.
[…] Cette conception de l’action empêchée, qui fait du déguisement un obstacle, explique la construc-
tion et sous-tend la thématique d’un nombre non négligeable de pièces dans lesquelles le déguise-
ment tient une place de tout premier plan65.
Avec Fédéric, Boyer n’utilisait pas pour la première fois le principe de l’action empêchée, technique dramaturgique qu’il emprunte du reste à Corneille, mais c’est la première et unique fois qu’il associe ce principe au travestissement de naissance pour la conquête du pouvoir.
L’utilisation d’un travestissement féminin dans le cadre d’une tragi-comédie évite que le principe de l’action empêchée engendre une situation tragique : la vie de l’héroïne n’est à aucun moment en jeu, aucun complot n’est ourdi contre le « roi » au sujet duquel aucun personnage n’a de doute, aucun risque d’inceste n’est généré par le travestissement. Cependant, la situation pathétique est suscitée par le travestissement de la princesse et l’enferme dans une contradiction fondamentale car il lui faut à la fois éviter le mariage de Valère avec Camille et jouer le mieux possible son rôle de roi en raison de l’enjeu dynastique de la pièce.
L’expression du pathétique dû à cette contradiction est perceptible dans les échanges de Yoland avec tous les autres personnages, non seulement avec Valère et Camille, deux victimes du travestissement, mais également avec Fédéric et Marcellin substitut de ce dernier dans le déroulement du scénario à retardements – et qui sont pourtant deux personnages complices.
Avec Fédéric et Marcellin : le « roi » et Fédéric entretiennent des rapports de complémentarité et de dépendance. En effet, si le « roi » est cantonné dans la passivité, c’est parce que Fédéric mène l’action (combat contre les mutins menant à la récupération du trône de Camille, dévoilement de l’identité véritable en plein conseil où Fédéric se proclame roi). Du début à la fin de la pièce, Fédéric est le maître du destin de Yoland et c’est par son intermédiaire, parfois par celui de Marcellin qui se substitue à Fédéric, que se manifeste le principe de l’action empêchée. Différents échanges entre le « roi » et Fédéric le montrent. A la scène 3 du premier acte, alors que Fédéric encourage la princesse travestie hésitante à aspirer à la puissance royale, celle-ci ne pense qu’à accomplir le destin qui lui est promis mais elle est freinée dans ses projets par Fédéric :
Ton zele, Fédéric, emporte la victoire ;Couronne promptement et mon Sexe, et ma gloire,Je brûle, je languis sous ce déguisement.Ah! que ne connois-tu l’excés de mon tourment!Allons, allons forcer toute ma destinée.FEDERICAttendez, attendez cette grande journée,Où tout bien preparé pour un succés certain,Nous puissions sans péril tenter ce grand desseinOctave doit régler toutes nos avantures;Sur son retour de Naple on prendra ses mesures;De l’estat des mutins instruits par son rapport,De Camille, et de vous, nous reglerons le sort. (I, 3, v. 265-276).
De même, à la scène 6 de l’acte III, Yoland ayant envoyé un billet à Valère, pense qu’il a tout découvert sur sa véritable identité mais s’aperçoit qu’il n’en est rien. Exaspérée, elle tente de tout lui dévoiler avant que Marcellin ne l’interrompe :
LE ROYMais pour confondre enfin ton ingrate froideur,Il faut t’ouvrir moi-méme et mon sort, et mon cœur.Sçache donc que je suis …MARCELLINHelas! qu’allez-vous faire ? (III, 6, v. 1007-1009).
Suite du scénario à retardements à la scène suivante alors que Yoland souhaite à nouveau tout exposer à Valère :
LE ROYTu m’as dit qu’il devoit l’expliquer à Valere.Sans doute qu’il le sçait, et feint de l’ignorer,Pour adorer Camille, et me la préferer.Afin de le convaincre, allons faire paroistreUn destin que l’ingrat feint de ne pas connoistre.MARCELLINGardez-vous bien encor de l’aller mettre au jour,C’est avec vostre rang exposer vostre amour :Vostre Trône en péril, vous hazardez Valere. (III, 7, v. 1018-1025).
Ces différents exemples montrent un personnage travesti angoissé, car prisonnier de son déguisement, paralysé par la contradiction fondamentale dans laquelle le piège sa double personnalité. Il en est de même des paroles à double entente prononcées par le « roi » face à Valère et à Camille exprimant la même angoisse d’une identité réelle, contrainte de s’exprimer à travers une identité fictive.
A la scène 7 de l’acte II, Valère reproche à Yoland de vouloir l’empêcher d’épouser Camille. La princesse travestie qui ne peut révéler à Valère les sentiments qu’elle ressent pour lui, exprime par des paroles à double entente l’angoisse d’être prisonnière de son travestissement. A Valère qui lui demande si c’est l’aimer que d’offrir le trône de Camille à Fabrice, Yoland répond :
Ah! Valere, je t’aime,J’en atteste le Ciel beaucoup plus que moi-méme.Veux-tu quitter un Roy qui t’a mis dans son cœur ?Luy qui t’a revestu de toute sa faveur,Et t’a presque accablé de sa magnificence ?Quelle amitié jamais eust plus de violence ?Que faut-il faire encor pour te la témoigner ?VALEREAimer moins mon Rival, et me laisser regner.LE ROYJe le voy bien ingrat, vous adorez Camille ;Les beautez, les grandeurs de la Cour de Sicile,Ne sçauroient arrester ce cœur ambitieux ;Une Reyne a charmé vostre cœur, et vos yeux.Voulez-vous estre Roy ? que vous faut-il pour l’estre ?De mon rang, de mon cœur, n’estes-vous pas le maistre ?Pour un espoir douteux qui charme vos desirs,Me voulez-vous couster d’eternels déplaisirs ?Ah! Je voy dans ces yeux cette ardeur infidelle,L’ingrate avidité d’une grandeur nouvelle.Hé bien, brûle à jamais de cette passion,Donne-toy tout entier à ton ambition,Je te feray regner, puis que c’est ton envie ;Je te feray regner sans hazarder ta vie,Donne-moi seulement le temps d’agir pour toy. (II, 7, v. 723-745).
De même, à la scène 8 de l’acte III, Yoland, qui a appris que Valère aime Camille – ou du moins prétend l’aimer puisqu’il s’agit ici d’ambition uniquement (III, 6) – reproche à la reine de Naples de vouloir lui arracher son favori :
Venez, venez vanter le pouvoir de vos yeux,Valere a ressenty leurs traits victorieux.Vous me l’ostez, Madame ; et quand ma main s’apresteD’aller de vos mutins dissiper la tempeste,D’aller mettre à vos pieds vos cruels ennemis,Vous m’ostez le repos que je vous ay promis.Est-ce pour m’arracher le seul bien où j’aspire,Que le Ciel en couroux vous dérobe un Empire ?Je perdray plus par vous que vous n’avez perdu,Si vous perdez un Sceptre, il vous sera rendu ;Et pour vous consoler d’un destin si contraire,Vous regnez cependant sur le cœur de Valere. (III, 8, v. 1031-1042).
Le travestissement, s’il isole le personnage qui en est porteur, isole aussi les autres personnages dans l’erreur que constituent les quiproquos qu’il suscite. A la scène 4 de l’acte III, Valère montre à Fédéric un billet du « roi » dans lequel il encourage Valère à espérer l’amour d’une reine. Fédéric comprend que la reine en question n’est autre que Yoland elle-même, mais s’aperçoit que Valère se trompe en pensant que le « roi » l’encourage à espérer obtenir la main de Camille. Bien loin de mettre fin à ce quiproquo, Fédéric conforte Valère dans son erreur. A la scène suivante, nouveau quiproquo, puisque le « roi » pense que Valère a appris de Fédéric toute la vérité et est sur le point de se dévoiler lorsqu’ « il » comprend de quelle manière Valère a interprété le billet. Le travestissement de la princesse, qui est lui-même mensonge et apparence, engendre à son tour erreur et illusion, erreur du mensonge pris pour la vérité et illusion de l’apparence prise pour la réalité. Le principe de l’action empêchée permet ce jeu sur le vrai et le faux.
Thème de la mésalliance §
Même si Boyer choisit de construire sa pièce sur le thème du travesti de naissance, le thème de la mésalliance est tout de même présent dans Fédéric, comme il est présent sur le théâtre français depuis une trentaine d’années, même s’il n’est pas utilisé pour fonder le principe de l’action empêchée dans la pièce. Dans Fédéric, deux reines amoureuses d’un sujet (même si l’une n’est reine que potentiellement) sont mises en scène par Boyer : Camille éprise de Fabrice et Yoland de Valère. Or, nous constatons qu’elles tiennent des propos similaires.
Dans la scène 8 de l’acte IV, Yoland vient d’apprendre que l’existence de son travestissement a été révélée par Fédéric et donc que rien ne s’oppose plus à ce qu’elle avoue ses sentiments à Valère, si ce n’est qu’elle ne peut dire à un sujet qu’elle l’aime. Marcellin réplique alors :
Mais vaincrez-vous un feu si longtemps combattu ? (IV, 8, v. 1359).
Et Yoland de rétorquer :
Je ne te répons pas de ma foible vertu :J’en auroy pour le moins pour garder le silence. (IV, 8, v. 1360-1361).
A la scène 3 de l’acte II, Florise, la confidente de Camille l’interroge sur ses sentiments à l’égard de Fabrice et Valère. Camille lui répond alors :
Ma fierté me permet d’engager deux grands cœursPour soûtenir ma gloire, et vaincre les malheurs ;Je ne puis obtenir d’un devoir trop severe,Que je flate les Fils, quand j’attens tout du Pere ;Que je souffre leurs feux, mais sans les ressentir ;Que j’écoute leurs vœux, mais sans y consentir.Aussi pour mieux flater leur esperance vaine,Je veux rabatre un peu cette fierté de Reyne,Et baisser pour ma gloire un rang si glorieux,Et si trop de respect leur fait baisser les yeux,Avec quelques regards porter dedans leurs âmesUne innocente audace à leurs timides flames ;Et sans trahir l’orgueil du rang où je me voy,Aider à leurs soûpirs à venir jusqu’à moi.FLORISEMais pouvez-vous flater ou Valere, ou Fabrice,Sans qu’enfin vostre cœur s’oublie, ou se trahisse.CAMILLEJe puis aimer l’un d’eux, sans trop baisser mes yeux ;Je voy dans l’un et l’autre un destin glorieux.Dejà par mes bontez l’ambitieux ValereA conceu tant d’espoir … (II, 3, v. 525-546).
De même, à la scène 4 du même acte, à Fabrice qui lui déclare son amour tout en se disant indigne d’une reine, Camille répond :
Et songez, pour en prendre un peu plus de courage,Que l’amour de Fabrice est heureux en ce poinctQu’une Reyne le sçait et n’en murmure point. (II, 4, v. 608-610).
Les reines de Fédéric de Boyer sont semblables aux reines Isabelle et Elvire de DonSanched’Aragon de Corneille, comédie héroïque posant la problématique de la bienséance d’une reine. Si Valère et Fabrice ne sont pas comme Carlos des inconnus ayant accompli des exploits tels qu’ils ont gagné l’amour de souveraines, la façon dont Camille et Yoland évoquent leurs sentiments tout en les mettant à distance, rappelles l’attitude des reines cornéliennes.
A la scène 3 de l’acte II, Camille avoue à Florise qu’elle aime Fabrice mais ajoute qu’il lui est difficile d’aimer un sujet :
Fabrice dans mon cœur l’emporte sur son Frere ;Mais comme je dédaigne un Roy qui n’aime pas,Un Amant sans Couronne a de foibles appas. (II, 3, v. 520-522).
De même, Elvire, princesse d’Aragon dans Don Sanche d’Aragon, laisse entendre à Léonor, sa mère, ses sentiments pour Carlos en enchaînant aussitôt sur ce que son devoir lui impose :
Il a trop de vertus pour être téméraire,Et si jamais ses vœux s’échapaient jusqu’à moi,Je sais ce que je suis, et ce que je me doi. (Don Sanche d’Aragon, I, 1, v. 66-6866).
A la scène I du second acte de Don Sanche, Isabelle se plaint à sa dame d’honneur que son devoir de reine l’oblige à faire ses sentiments et la réponse de sa dame d’honneur résume l’attitude que toute reine amoureuse doit avoir :
BLANCHEL’effort de votre amour a su se modérer,Vous l’avez honoré sans vous déshonorer,Et satisfait ensemble, en trompant mon attente,La grandeur d’une reine et l’ardeur d’une amante. (Don Sanche d’Aragon, II, 2, v. 387-390).
Concilier « la grandeur d’une reine et l’ardeur d’une amante », savoir laisser transparaître ses sentiments sans pour autant en faire l’aveu, tel est précisément l’attitude de Camille (v. 537-538 et 608-610). Quant à Yoland, elle n’est jamais apparue à Valère en tant que reine sans que celui-ci ignore ses sentiments. En effet, c’est Marcellin que prend l’initiative de révéler à Valère l’amour secret de Yoland, une fois que l’identité de celle-ci est connue, ce qui évite à la princesse d’avoir à avouer son amour à Valère. Qu’une reine avoue son amour à un sujet ne serait pas conforme à la bienséance mais alors que Marcellin lui propose de détromper Valère, elle refuse puisque, sans avoir eu à faire un aveu qui lui aurait coûté, elle laisse ainsi entendre ses sentiments, ce qui est une autre façon de tout dire, tout en ne disant rien.
Est-ce à dire que Boyer a, comme Corneille, fait de cette règle de bienséance un enjeu dramatique67 ? Si Yoland n’avoue pas ses sentiments à Valère, c’est parce qu’elle est travestie en roi et non pas pour « ranger ses passions dessous sa vertu68 », tout au moins tant que le travestissement fait obstacle car il occulte la problématique de la bienséance du caractère d’une reine. Ce n’est qu’une fois la véritable identité de Yoland révélée que cette question surgit. De plus, lorsque, à la scène 9 de l’acte IV, Valère est pour la première fois confronté à Yoland depuis qu’elle est telle aux yeux de tous, elle lui confirme l’aveu qu’a anticipé Marcellin, parce qu’elle porte toujours son habit d’homme (voir v. 1412-1414). De plus, Valère accepte aussitôt qu’une princesse peut l’aimer. D’autre part, si Camille encourage Fabrice sans pour autant avouer ses sentiments, celui-ci n’en est pas pour autant plongé dans le désespoir, puisqu’il s’écrie :
O Miracle d’amour, que l’Amour n’ose croire! (II, 6, v. 611).
Il n’existe donc pas dans Fédéric comme c’est le cas dans Don Sanche, de transformation de la question de la bienséance du caractère d’une reine en enjeu dramatique. Dans Fédéric, si l’inégalité de rang est évoquée, la mésalliance n’est pas « perçue comme un véritable danger69 ». Camille et Yoland, en tant que reine ou princesse, pratiquent « la retenue amoureuse70 », elles n’en sont pas moins des héroïnes de tragi-comédie qui finissent par transgresser l’interdit pesant sur l’inégalité de rang qui, d’ailleurs, est relativisée par le fait que Fédéric est devenu roi.
Le traitement de l’enjeu politique §
Boyer ne place pas Fédéric en Sicile par hasard, mais parce que « les Femmes ne sçauraient régner dans la Sicile » (v. 34). La pièce se situe donc dans un contexte politique précis, équivalent au contexte politique français où prévaut la loi salique71.
A la question de la transgression de l’interdit du pouvoir dévolu aux femmes, Boyer oppose sa propre conception de la problématique de l’identité royale. La scène 3 du premier acte est une scène programmatique où est exposée cette conception et la distribution des rôles entre le « roi » et Fédéric découle directement de cette conception, donnant lieu au déroulement de deux intrigues parallèles dont le tronc commun est l’obstacle que constitue la loi salique.
Dans cette scène programmatique, Boyer met dans la bouche de ses deux principaux personnages, le « roi » et Fédéric, deux argumentations opposées traitant de la transgression de la loi salique.
Le premier argument de Fédéric est celui de la force :
C’est sur ce grand espoir qui fait regner les Roys,Qui fait la Loy par tout, et se moque des Loix,Sur la force, Madame. Oüy cette Loy severeQue consacre le temps, que le Peuple revere,Ne peut sortir des cœurs que par de grands efforts ; (I, 4, v. 207-211).
Mais à cet argument, le « roi » oppose celui de la tyrannie :
Federic, pardonnez à ma timidité,Je suis Femme tousjours sous ce Sexe emprunté.Si je ne puis regner sans jetter sur ma vieL’horreur de l’imposture, ou de la tyrannie,Sortons, sortons du Trône au moins avec honneur. (I, 4, v. 235-239).
D’où la nécessité d’un second argument capable de concilier le premier avec la morale :
On n’est jamais Tyran, quand on sçait bien regner ;Suffit d’avoir regné pour rendre un règne juste :Quand on s’est revestu de ce pouvoir auguste,Quand le Ciel l’a souffert, quand le Sort l’a voulu,C’est assez pour garder le pouvoir absolu. (I, 4, v. 244-248).
Boyer utilise ici cette conception de l’identité royale qui lui est propre et qui s’oppose de celle de Corneille. Pour celui-ci, seul celui qui est vraiment roi peut le paraître. C’est par exemple le cas de Carlos dans Don Sanche d’Aragon dont les exploits sont dignes d’un roi parce que précisément il l’est, bien qu’il pense être fils de pêcheur. Pour Boyer, la princesse travestie est vraiment roi puisqu’elle en a l’apparence grâce à son travestissement.
Cependant, ces deux arguments de la force et de l’apparence peuvent aussi être utilisés dans toute pièce à enjeu politique, sans qu’il soit question de la transgression de la loi salique, mais simplement qu’un homme prenne la place d’un souverain légitime et usurpe parfois son identité. C’est le cas, par exemple d’Oropaste qui a usurpé l’identité de Tonaxare parce qu’il en est le sosie. La légitimation de l’imposture par l’argument de l’apparence ne concerne la loi salique que par l’illusion du travestissement qui n’est donc qu’une variante possible au principe selon lequel le paraître constitue l’être, au même titre que l’emploi du sosie ou de la supposition d’un fils. Il ne s’agit donc pas d’un argument spécifiquement destiné à s’opposer au principe de la loi salique.
Cet argument spécifique est celui de la beauté féminine. Il peut être énoncé comme ceci : la légitimité du pouvoir féminin réside dans la seule beauté féminine. Davantage ici qu’un simple motif, la notion est utilisée par Fédéric comme argument décisif de sa rhétorique :
J’en prens en ces beaux yeux le glorieux augure ;Cet Empire receu des mains de la Nature,Cet Empire sans Sceptre, et que fait la Beauté,Adjouste à vos grandeurs une autre majestéLes Graces ont déja couronné vostre teste,Elles font de nos cœurs leur Trône et leur conqueste,Et l’effort amoureux de ces charmes puissansEst un regne visible étably sur nos sens. (I, 4, v. 257-264).
Il est repris par Valère lorsque la princesse est rejetée par le peuple et la noblesse au nom de l’interdiction faite aux femmes de régner en Sicile :
Ah! si l’on connoissoit l’aimable authoritéQu’exerce la Vertu jointe à tant de beauté,Nostre Sexe auroit moins de pouvoir en Sicile. (IV, 10, v. 1455-1457).
Un auteur comme Gillet de la Tessonerie l’utilise également dans Sigismond (1646) qui traite aussi des rapports d’une femme avec le pouvoir. Il met dans la bouche de l’un de ses personnages les vers suivants :
L’Empire d’une femme est d’autant plus Auguste,Qu’on trouve en lui cedant, comme en obéyssant,Une necessité qu’on apporte en naissant.Le droict de la Couronne et celuy du visageFont en se confondant un parfait assemblage,Qui meslant la Puissance avecque la Beauté,Accordant la douceur avec la Majesté.
Pierre Ronzeaud, dans l’article intitulé « La femme au pouvoir ou le monde à l’envers », insiste sur l’efficacité de ce pouvoir spécifiquement féminin :
En effet, pour étonnant que cela paraisse, le charme vénusien est la première pierre d’une domination
insensible qui s’édifie sur la séduction qu’elle exerce sur des sujets fascinés par sa beauté, à tel point
qu’elle « donnerait même de la douceur à la tyrannie » (Nerval, Les Chimères, El Desdichado, Pléiade, p. 3)72.
Ainsi, argument de la force, argument de l’apparence et argument de la beauté féminine forment un ensemble qui a non seulement une fonction rhétorique, puisque Fédéric des utilise pour convaincre Yoland de briguer le trône, mais aussi valeur programmatique puisqu’ils sont à l’origine de la distribution des rôles entre Fédéric et Yoland : pour transgresser la loi salique, il faut utiliser la force et c’est précisément le moteur de l’intrigue dont Fédéric est le centre et dont l’accomplissement justifie le scénario à retardements qui permet la pérennité du travestissement qui, elle, correspond à l’argument de l’apparence. L’argumentation sur laquelle repose la transgression de la loi salique permet la construction de deux intrigues à la fois parallèles et interdépendantes, chacune étant centrée autour d’un des deux principaux personnages.
L’intrigue menée par Fédéric, découlant de l’argument fondé sur la force, comporte un double aspect à la fois politique et sentimental dont l’origine est unique. En effet, si Fédéric se réserve la charge de placer Yoland sur le trône, c’est aussi par ce même esprit de conquête qu’il souhaite secrètement épouser Yoland. Lier enjeu sentimental et enjeu politique chez le seul et même personnage de Fédéric, c’est en faire le foyer de la contradiction entre amour et ambition dans le projet d’épouser une future reine et susciter pathétique et admiration chez le spectateur. Dès le premier acte Fédéric, s’adressant au roi défunt, se justifie dans une courte prosopopée :
La gloire est mon amour, et non pas la Couronne ;Je suis Maistre du Trône, et mon cœur enflaméY cherche seulement la gloire d’estre aimé.Aimer en si beau lieu, c’est la gloire elle-même ; (I, 4, v. 294-297).
Amour et ambition ne sont donc pas antinomiques puisque le premier est la source du second. Ambition et amour sont liés par le concept de « gloire », cette gloire consistant en le seul fait d’aimer une reine. C’est ce même constant souci de gloire que manifeste Fédéric à la scène dernière, au moment où l’amour triomphe sur l’ambition lorsqu’il rend son trône à Yoland, geste de générosité destiné à susciter l’admiration chez le spectateur :
Ce cœur qui fut tousjours amoureux dela gloire,Qui du Trône et de vous ne se sent enflaméQue pour avoir enfin la gloire d’estre aimé,Ne leur cedera point en merite, en courage :Je puis de vostre amour perdre tout l’avantage ;Mais j’auray, si je perds l’espoir de vous charmer,La gloire au moins d’aimer autant qu’on peut aimer.………………………………………………………J’ecoute seulement la gloire de ma flame :Toute sorte de gloire a contenté mon ame,La gloire des emplois, des grandeurs, des combats,Celle de bien aimer ne m’échapera pas. (V, scène dernière, v. 1746-1752 et 1757).
Le souci de la gloire et la tentation pastorale que l’on sent déjà poindre au début de l’acte IV (« Je suis las de la pompe, et fatigué d’honneurs ; / Ces titres éclatans n’ont rien qui m’ébloüisse. », v. 1152-1153) aboutissent à ce dénouement.
Au final, la loi salique n’est pas transgressée, puisque c’est Valère que Yoland est reine :
Recevez de mon Fils la qualité de Reyne ;Et puisque e beau Sexe est sujet parmy nous,Vous regnerez par luy, comme il règne par vous. (V, scène dernière, v. 1762-1764).
Le genre tragi-comique, dans lequel se situe cet enjeu politique, explique ce dénouement qui eût sans doute été différent dans le genre tragique.
Les conséquences sentimentales de l’enjeu politique §
L’enjeu politique dans lequel se situe la pièce comporte pour le personnage de la princesse travestie des conséquences sentimentales. Tandis que se déroule l’action qui doit porter Yoland au pouvoir et dont Fédéric est l’instigateur, la princesse est contrainte de dissimuler son identité sous son travestissement, alors même que Valère, qu’elle aime en secret, a l’ambition d’épouser une reine présente en son palais. Dès la scène d’exposition, Yoland confie à Marcellin la torture psychologique dans laquelle la plonge cette difficile situation :
Je brûle pour Valere, et je n’ose le dire ;Depuis six ans ce cœur pressé de son martyre,A pressé mille fois ma bouche de parler.Que l’Amour, Marcellin, sçait mal dissimuler! (I, 1, v. 93-98).
Elle s’en ouvre aussi à mots couverts à Camille, devant laquelle elle doit jouer un rôle qui lui pèse de plus en plus :
Ce Roy, qui doit s’armer pour le secours d’un autre,Soûpire pour un mal bien plus grand que le vostre ; (I, 2, v. 149-150).
La torture à laquelle Yoland est soumise se fait jour aussi à travers les multiples et infructueuses tentatives d’aveu de la princesse captive qui lui permettraient de s’échapper de la prison de son travestissement :
Aimons, ne forçons plus une flame secrette :Qu’on choisisse un Monarque, et qu’on ôte à mon sangPar le defaut du Sexe, un legitime rang. (I, 1, v. 106-108).
Même impatience exprimée envers Fédéric, lorsque celui-ci lui dévoile son plan d’action :
Haste donc ce beau jour … (I, 3, v. 277).
Désir fébrile de faire connaître ses sentiments à Valère :
Dis luy tout mon amour, et tout ce se je suis ;Va pour finir son trouble, aussi bien que ma peine,Opposer une Reyne à l’espoir d’une Reyne. (II, 8, v. 770-772).
Tentation de tout révéler à celui qu’el aime lorsque celui-ci n’a pas compris la véritable teneur de son billet :
Il faut t’ouvrir moi-méme et mon sort et mon cœur.Sçache donc que je suis … (III, 6, v. 1008-1009).
Ultime aspiration à tout avouer devant l’angoisse de voir lui échapper celui qu’elle aime :
Afin de le convaincre, allons faire paroistreUn destin que l’ingrat feint de ne pas connoistre. (III, 6, v. 1021-1022).
Mais Yoland est totalement dépendante de la volonté de Fédéric et sa révolte contre lui ne s’exprimera qu’à la dernière scène dans le choix qu’elle fait de son amour pour Valère, repoussant le trône que Fédéric lui offre pour se faire aimer.
Obligée de taire des sentiments qu’elle brûle de révéler et d’assister au spectacle de celui qu’elle aime aspirer à la main d’une autre, Yoland ne peut que contenir une colère qui s’exprime pourtant dans des scènes d’affrontements où se mêlent passion amoureuse et passion jalouse. A la scène 7 de l’acte II, alors que Valère lui demande d’arbitrer le différend entre son frère et lui et dont l’origine se trouve dans leur commune volonté d’épouser Camille. Yoland laisse exploser sa colère dans une série de reproches passionnés :
Quelle amitié jamais eust plus de violence ?Que faut-il faire encore pour te la témoigner ?VALEREAimer moins mon Rival, et me laisser regner.LE ROYJe le voy bien ingrat, vous adorez Camille ;Les beautez, les grandeurs de la Cour de Sicile,Ne sçauroient arrester ce cœur ambitieux ;Une Reyne a charmé vostre cœur, et vos yeux.Voulez-vous estre Roy ? que vous faut-il pour l’estre ?De mon rang, de mon cœur, n’estes-vous pas le maistre ?Pour un espoir douteux qui charme vos desirs,Me voulez-vous couster d’eternels déplaisirs ?Ah! je voy dans ces yeux cette ardeur infidelle,L’ingrate avidité d’une grandeur nouvelle.Hé bien, brûle à jamais de cette passion,Donne-toy tout entier à cette ambition,Je te feray regner, puis que c’est ton envie ; (II, 7, v. 728-743).
De même, lorsque Yoland, ayant voulu dévoiler son secret à Valère, en lui envoyant un billet, découvre avec stupeur que Valère dit aimer Camille :
VALEREQuoy, mon amour est-il digne de tant de haine ?Ne m’ordonniez-vous pas d’esperer une Reyne ?LE ROYNon, je vous le deffens ; et mon juste transportHait vostre ingratitude à l’égal de la mort. (III, 6, v. 997-1000).
La jalousie de Yoland s’exprime aussi directement à sa rivale :
Venez, venez vanter le pouvoir de vos yeux,Valere a ressenty leurs traits victorieux.Vous me l’ostez, Madame, et quand ma main s’apresteD’aller de vos mutins dissiper la tempeste,D’aller mettre à vos pieds vos cruels ennemis,Vous m’ostez le repos que je vous ay promis.Est-ce pour m’arracher le seul bien où j’aspire,Que le Ciel en couroux vous dérobe un Empire ?Je perdray plus par vous que vous n’avez perdu ;Si vous perdez un Sceptre, il vous sera rendu ;Et pour vous consoler d’un destin si contraire,Vous regnez cependant sur le cœur de Valere. (III, 8, v. 1031-1042).
Cependant, la galanterie n’est pas absente, ce qui peut s’expliquer par la vogue qu’elle connaissait à l’époque dans la tragédie. On en trouve un exemple à la scène 6 de l’acte III, lorsque Yoland, ayant envoyé un billet à Valère où elle l’encourage à aspirer à l’amour d’une reine, pense que Valère connaît tout de son secret :
Mais dis-moi, tout remply de cette ambition,Ton grand cœur blâme-t’il toute autre passion ?Ta fierté croit honteux le joud d’une Maistresse,Traitte l’Amour d’enfant, ses transports de foiblesseL’orgueil d’un honeste homme,et sur tout dans la CourPeut compatir,Valere, avec un peu d’amour.L’Amour se vengera de cette indiference. (III, 6, v. 943-949).
De même, à la scène 6 de l’acte IV, l’échange où le « roi », feignant d’aimer Camille pour détourner Valère de celle-ci, donne également lieu à une scène galante :
Madame, je reviens ou toucher vostre cœur,Ou mourir à vos pieds d’amour et de douleur.Quand contre vos mutins pressant vostre vengeance,Je vay vaincre, et vainqueur craindre pour vostre absence,Pour retenir un bien dont mon cœur est jaloux,Mon cœur laisse échapper tout ce qu’il sent pour vous.J’atteste de l’Amour la puissance supréme,Que rien n’est comparable à mon ardeur extréme :Que ce Dieu de nos cœurs tient sans vostre pouvoirTout mon sort, tout mon bien, et mon plus cher espoir.Vous estes tout l’espoir de ce cœur miserable ;Le Dieu de mon amour est-il impitoyable ?Et fera-t’il périr l’espoir de mes desirs,Le fruit de tant de maux, et de tant de soûpirs ? (IV, 5, v. 1031-1042).
On le voit, l’enjeu politique n’est pas incompatible avec l’existence et l’expression de conséquences sentimentales qui, dans le genre tragi-comique, reflètent des nuances aussi diverses que la passion amoureuse, la jalousie véhémente ou la simple galanterie. Nous ne doutons pas que leur représentation sur la scène de l’Hôtel de Bourgogne a su contribuer au succès de Fédéric.
Conclusion §
Dix ans après les représentations de Fédéric à l’Hôtel de Bourgogne, le fils de l’acteur Montfleury, qui faisait partie de la troupe, écrira une tragi-comédie intitulée La Femme juge et partie73, où il met en scène une jeune fille prénommée Julie, travestie en homme sous le nom de Fédéric. Nous ne pouvons croire à une pure coïncidence et la reprise de ces éléments présents dans Fédéric est un indice à la fois de l’admiration portée à Boyer à cette époque et du succès qu’a dû remporter la pièce en son temps. De Fédéric, nous pouvons retenir qu’il s’agit de la seule pièce dont le travestissement féminin est mis en place pour un enjeu dynastique, même si cette association peut être discutable74. Cette tragi-comédie devait aussi avoir pour rôle d’effacer l’insuccès de Clotilde, tragédie qui marquait le retour au théâtre de Boyer, mais qui n’eut pas la même fortune que l’Œdipe de Corneille, en donnant à voir au public de l’Hôtel de Bourgogne le spectacle d’un travesti féminin dont il était amateur. Reflet des goûts du public de théâtre de la seconde moitié du XVIIe siècle, reflet des formes théâtrales utilisées par un dramaturge à la veille de donner son chef-d’œuvre (Oropaste ou le faux Tonaxare) et en pleine ascension puisque Boyer sera académicien quelques années plus tard, Fédéric mérite sans nul doute à ces divers titres l’attention de quiconque s’intéresse à la redécouverte du théâtre du XVIIe siècle.
Le texte de la présente édition §
Il n’existe qu’une seule édition de Fédéric, exécutée en 1660 par le libraire Augustin Courbé [B.N. Yf4856]. En voici la description :
4 ff. non chiffrés [I-5] -78p. ; in-12.
(1) FEDERIC / TRAGICOMEDIE / PAR Monsieur BOYER / A PARIS, / Chez AUGUSTIN COURBE, au Palais, / dans la petite Salle, à la Palme / M. DC. LX. / AVEC PRIVILEGE DU ROY.
(2) Extrait du Privilege du Roy (avec l’achevé d’imprimer en date du 17 mars 1660).
(3-5) : A MONSEIGNEUR LE DUC DE GUYSE (épître dédicatoire imprimée en caractère italique)
(6) : ACTEURS
- -78 pages : le texte de la pièce précédé d’un rappel du titre en haut de la première page ( en dessous d’un bandeau gravé sur bois ).
Pour l’établissement du texte, nous avons suivi la leçon de cette unique édition, en nous livrant aux modifications d’usage qui nous ont paru indispensables pour une parfaite compréhension du texte :
- – distinction de i et u voyelles de j et v consonnes (conformément à l’usage moderne) ;
- – suppression du tilde qui indiquait les voyelles nasalisées et décomposition des voyelles nasales en voyelle + consonne ;
- – décomposition de la ligature & en et ;
- – nous avons modifié les leçons incorrectes (corrections signalées en notes).
Nous avons respecté la ponctuation primitive, sauf lorsqu’elle paraissait fautive (corrections signalées en notes).
Un astérisque* à la fin d’un mot renvoie le lecteur au glossaire pour une définition de ce mot en usage au XVIIe siècle dont l’acception actuelle différerait.
FÉDÉRIC. TRAGI-COMÉDIE §
A MONSEIGNEUR LE DUC DE GUYSE75. §
MONSEIGNEUR,
La profession particulière que je fais de reverer en Vostre Altesse ces grandes qualitez, qui vous ont rendu un des plus Illustres Princes de l’Europe, m’oblige de vous en donner des marques par l’offre d’un Ouvrage qui a esté honoré de l’approbation publique.La Fortune qui se mesle de disposer des productions de l’Esprit, aussi bien que du destin des Hommes, a traité federic si favorablement, que j’ay presumé qu’il pouvoit se présenter à Vostre Altesse, par le seul privilege de son heureux ascendant. Comme dans les Pieces de Théâtre le bonheur fait souvent une partie du merite ; J’ay cru, M O N S E I G N E U R , que Vous voudriez bien laisser à celle-cy toute la gloire que luy vient de sa bonne fortune, et mesme suspendre en sa faveur l’usage de ce talent merveilleux, qui vous fait juger de toutes choses avec un discernement si fin et si délicat. Vous voyez, M O N S E I G N E U R ,quelle confiance je prens de cette bonté héroïque qu’on admire en Vostre Altesse, qui vous rend l’amour de tout le monde, et qui est sans doute le plus rare et le plus précieux ornement de la Grandeur. C’est de cette qualité, qui est comme attachée à vostre Sang et à vostre Personne, que j’espère pour FEDERIC, tout inconnu qu’il est à Vostre Altesse, l’honneur de vostre protection. J’en reçois tous les jours des marques si avantageuses, qu’elles ont déjà épuisé tout le fonds de ma reconnaissance : Il ne me reste que le seul secours d’une Muse, qui commence de faire quelque bruit dans le monde ; C’est d’elle que j’attends des efforts extraordinaires pour se rendre digne de cette faveur. Depuis qu’elle a l’honneur d’approcher Vostre Altesse vostre Vertu fait toute son estude ; et je sens qu’elle est inspirée si fortement par la beauté d’une idée si sublime, qu’elle se promet d’avoir un jour assez de voix pour celebrer le merite d’un des plus grand Héros de nostre Siècle, et pour faire voir à tout le monde avec combien de zele, d’attachement et de respect, je veux estre toute ma vie,
MONSEIGNEUR ,
De Vostre Altesse,
Le très-humble, et très obeissant
Serviteur, BOYER.
ACTEURS §
- YOLAND, Princesse de Sicile, déguisée en Roy, sous le nom de Manfrede.
- FEDERIC, Admiral de Sicile, amoureux d’Yoland.
- CAMILLE, Reyne de Naples, réfugiée en Sicile.
- VALERE, Fils de Federic, Favory du Roy.
- FABRICE, Fils de Federic, amoureux de Camille.
- MARCELLIN, Confident d’Yoland.
- OCTAVE, Escuyer de Federic.
- FLORISE, Confidente de Camille.
- SUITE.
ACTE I §
SCENE PREMIERE §
MARCELLIN
LE ROY
MARCELLIN
LE ROY
MARCELLIN
LE ROY
MARCELLIN
LE ROY
MARCELLIN
LE ROY
MARCELLIN
LE ROY
MARCELLIN
LE ROY
MARCELLIN
LE ROY
SCENE II §
LE ROY continuë.
CAMILLE
LE ROY
CAMILLE
LE ROY
CAMILLE
LE ROY
CAMILLE
SCENE III §
LE ROY
FEDERIC
LE ROY
FEDERIC
LE ROY
FEDERIC
LE ROY
FEDERIC
LE ROY
FEDERIC
LE ROY
FEDERIC
FEDERIC
LE ROY bas.
SCENE IV §
FEDERIC seul.
SCENE V §
FEDERIC
VALERE
FEDERIC
FABRICE
VALERE
FABRICE
FEDERIC à Fabrice.
FABRICE
FEDERIC
VALERE
FEDERIC
SCENE VI §
VALERE seul.
Fin du premier Acte.
ACTE II §
SCENE PREMIERE §
FEDERIC
OCTAVE
FEDERIC
OCTAVE
FEDERIC
OCTAVE
FEDERIC
Un secretOCTAVE
FEDERIC
OCTAVE
FEDERIC
SCENE II §
CAMILLE
FEDERIC
CAMILLE
FEDERIC
CAMILLE
FEDERIC
CAMILLE
FEDERIC
SCENE III §
CAMILLE
FLORISE
CAMILLE
FLORISE
CAMILLE
FLORISE
CAMILLE
FLORISE
CAMILLE
FLORISE
CAMILLE
FLORISE
CAMILLE
FLORISE
CAMILLE
SCENE IV §
FABRICE
CAMILLE
FABRICE
CAMILLE
FABRICE.
[p. 25]CAMILLE
SCENE V §
FABRICE seul.
SCENE VI §
VALERE
FABRICE
VALERE
FABRICE
VALERE
FABRICE
FABRICE
VALERE
FABRICE
VALERE
FABRICE
VALERE
FABRICE
VALERE
FABRICE
VALERE
FABRICE
VALERE
FABRICE
VALERE
FABRICE
VALERE
SCENE VII §
LE ROY
VALERE
LE ROY
FABRICE
[p. 30]LE ROY
VALERE
LE ROY
VALERE
LE ROY
VALERE
LE ROY
FABRICE
LE ROY
SCENE VIII §
LE ROY
MARCELLIN
LE ROY
MARCELLIN
LE ROY.
[p. 33]LE ROY
MARCELLIN
LE ROY
MARCELLIN
LE ROY
MARCELLIN
LE ROY
MARCELLIN
LE ROY
Fin du second Acte.
ACTE III §
SCENE PREMIERE §
FEDERIC
MARCELLIN
FEDERIC
MARCELLIN
FEDERIC
MARCELLIN
FEDERIC
MARCELLIN
FEDERIC.
[p. 36]MARCELLIN
FEDERIC
MARCELLIN
FEDERIC
SCENE II §
FEDERIC seul.
SCENE III §
FEDERIC
OCTAVE
FEDERIC
OCTAVE
FEDERIC
OCTAVE
FEDERIC
OCTAVE
FEDERIC
OCTAVE
FEDERIC
OCTAVE
FEDERIC
OCTAVE
FEDERIC
OCTAVE
FEDERIC
SCENE IV §
FEDERIC
VALERE.
[p. 40]FEDERIC
VALERE
FEDERIC bas.
VALERE
FEDERIC
FEDERIC lit le billet128.
FEDERIC continuë.
VALERE
FEDERIC.
[p. 41]SCENE V §
VALERE seul.
SCENE VI §
MARCELLIN en entrant avec le Roy.
VALERE
LE ROY
VALERE
LE ROY
VALERE
LE ROY
VALERE
LE ROY
VALERE
LE ROY
VALERE
VALERE
LE ROY
VALERE
VALERE
LE ROY
VALERE
LE ROY
VALERE
LE ROY
LE ROY
VALERE
LE ROY
MARCELLIN
LE ROY à Valere.
VALERE
LE ROY
VALERE
SCENE VII §
LE ROY
MARCELLIN.
[p. 46]LE ROY
MARCELLIN
LE ROY
SCENE VIII §
LE ROY
MARCELLIN
LE ROY
CAMILLE à Florise.
LE ROY
CAMILLE
LE ROY
CAMILLE.
[p. 48]LE ROY
CAMILLE
LE ROY
CAMILLE
LE ROY
CAMILLE
LE ROY
CAMILLE.
[p. 49]LE ROY
CAMILLE
SCENE IX §
MARCELLIN
LE ROY
Fin du troisième Acte.
ACTE IV §
SCENE PREMIERE §
FEDERIC
OCTAVE
FEDERIC
OCTAVE
FEDERIC
OCTAVE
FEDERIC
SCENE II §
FABRICE
FEDERIC
SCENE III §
FABRICE seul.
SCENE IV §
FABRICE
CAMILLE
FABRICE.
[p. 55]CAMILLE
FABRICE
CAMILLE
SCENE V §
FLORISE
CAMILLE
FLORISE
CAMILLE
FLORISE
SCENE VI §
LE ROY
CAMILLE
LE ROY
CAMILLE
LE ROY
CAMILLE
LE ROY
SCENE VII §
LE ROY seul.
SCENE VIII §
LE ROY
MARCELLIN
LE ROY
MARCELLIN
LE ROY
MARCELLIN
LE ROY
MARCELLIN
LE ROY
MARCELLIN
LE ROY
MARCELLIN
LE ROY
SCENE IX §
VALERE comme parlant à Camille146.
LE ROY
VALERE
LE ROY
VALERE
LE ROY
VALERE.
[p. 63]LE ROY
VALERE
SCENE X §
LE ROY
OCTAVE
VALERE
OCTAVE
LE ROY
OCTAVE
LE ROY
VALERE
OCTAVE
VALERE
OCTAVE
LE ROY
VALERE
OCTAVE
VALERE
LE ROY
VALERE
LE ROY
VALERE
LE ROY
VALERE
LE ROY
VALERE
Fin du quatrième Acte.
ACTE V §
SCENE PREMIERE §
MARCELLIN
CAMILLE
MARCELLIN
CAMILLE
SCENE II §
CAMILLE
FLORISE
CAMILLE
SCENE III §
FABRICE
CAMILLE
FABRICE
CAMILLE
FABRICE
SCENE IV §
CAMILLE
FEDERIC
CAMILLE
FEDERIC
CAMILLE
FEDERIC
CAMILLE.
[p. 73]FEDERIC
SCENE V §
FEDERIC
CAMILLE
VALERE
FABRICE bas.
CAMILLE
VALERE
CAMILLE
VALERE
CAMILLE
VALERE
FEDERIC
SCENE DERNIERE §
YOLAND à Camille.
CAMILLE
YOLAND.
[p. 75]FEDERIC
YOLAND
FEDERIC
YOLAND
VALERE
FEDERIC
VALERE
YOLAND
FEDERIC.
[p. 76]YOLAND
VALERE
FABRICE
FEDERIC
YOLAND
FEDERIC
YOLAND
VALERE
FABRICE
CAMILLE
YOLAND
FEDERIC
FIN.
Extrait du Privilege du Roy. §
Par Grâce et Privilège du Roy, Donné à Paris le 15. Fevrier 1660. Signé, Par le Roy en son Conseil, IVSTEL ; Il est permis à Charles de Sercy Marchand à Paris, d’imprimer, vendre et débiter une Pièce de Théâtre imtitulée, FEDERIC, en telle marge et en tel caractère que bon luy semblera, et ce durant le temps de sept ans. Et defenses sont faites à tous autres de l’imprimer ou faire imprimer, sans le consentement de l’exposant, à confiscation des exemplaires contrefaits, et de tous despens, dommages et interests, ainsi que plus au long il est porté audit Privilege.
Registré sur le Livre de la Communauté le 16 Mars 1660.
Signé, IOSSE, Syndic.
Achevé d’imprimer pour la première fois
Le 17 Mars 1660.
Le dit Charles de Sercy a associé audit Privilege Angustin Courbé aussi Marchand Libraire, pour en iouir ensemblement suivant l’accord fait entr’eux.
Errata
P. 48 v.2 veu. Lis crû. P. 52 v.15 grandeu. lis. Grandeurs. P. 53 flatez, lis. Flatiez. P. 41 v.18 dessein, lis. Destin.
Glossaire §
Un certain nombre de mots de la langue du XVIIe siècle avaient, en plus du sens actuel, un sens différent de celui qu’ils ont aujourd’hui. On trouvera ci-dessous ceux utilisés dans la pièce.
Bibliographie sommaire §
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