Par Monsieur Claude BOYER.
Chez GABRIEL QUINET, au Palais, dans la Gallerie des Prisonniers, à l’Ange Gabriel.
M. DC. LXX.
AVEC PRIVILEGE DU ROY.
Édition critique établie par Isabelle Gérard sous la direction de Georges Forestier (1997)
Avant-propos §
La perspective de permettre au Jeune Marius de sortir de l’oubli dans lequel cette tragédie est restée depuis 1669 nous a donné l’envie d’en étudier de plus près le fonctionnement. Claude Boyer, dramaturge reconnu dans son temps est académicien depuis trois ans quand fin janvier 1669 le Jeune Marius est représenté sur la scène du théâtre de l’Hôtel de Bourgogne. C’est un homme d’âge mûr, expérimenté par 23 ans de carrière.
Subtilement construite, cette tragédie tirée d’un moment de l’Histoire romaine qui n’avait pas encore été utilisé par les dramaturges allie la fidélité à l’Histoire et l’apport du Moyen Âge et du XVIe siècle. Elle met en scène le conflit historique entre Marius le Jeune et Sylla. À cette donnée historique, Boyer a ajouté la rivalité entre Marius et Pompée, tous deux amoureux de la fille de Sylla. Marius est prêt à sacrifier sa sécurité et celle de l’État qu’il représente en tant que consul pour obtenir la satisfaction de son amour, il est en cela semblable à Pyrrhus dans Andromaque. Comme Andromaque, cela reste une pièce galante et sanglante. Pourtant Cécilie et Pompée préfèrent renoncer à leur amour plutôt qu’à leur honneur, dans un comportement héroïque. Dans la même année 1669, Racine donne Britannicus, une tragédie historique où le traitement de l’enjeu amoureux est modifié par rapport à Andromaque. La tragédie du Jeune Marius en est proche aussi : Sylla s’impose au pouvoir grâce à sa cruauté et à ses crimes. Néanmoins, dans ce contexte, la tragédie de Claude Boyer garde sa spécificité.
Nous espérons permettre la découverte de ce texte riche par son style et par ses thématiques.
Biographie de Claude Boyer §
Du Claude Boyer privé nous ne savons que bien peu de choses. Né à Albi en 1618, ce gascon monte à Paris en 1645. Entre temps, il acquiert par des études chez les Jésuites un solide bagage culturel : historiens et poètes de l’Antiquité, connaissance de la rhétorique et de l’art de l’éloquence surtout. Accompagné de son compatriote Michel Leclerc, il part chercher la gloire que seul Paris peut lui apporter. Son diplôme de bachelier en théologie en poche, ce prêtre de vingt-sept ans « n’a pas été assez heureux pour faire dormir personne en ses sermons, car il n’a pas trouvé de lieu pour précher » (Furetière, Second Factum contre l’Académie1) . Il n’a comme beaucoup d’autres sûrement jamais prêché.
Ses débuts se font sous les lustres du salon de Madame de Rambouillet. Sa Porcie Romaine y est présentée avant d’« enlever tout Paris » (l’Abbé Genest) avec les comédiens de l’Hôtel de Bourgogne en 1646, comédiens qui joueront la plupart des futures pièces de Claude Boyer. Boyer s’est ainsi fait connaître du salon de Rambouillet, un des lieux de réflexion et de discussion littéraires, salon auquel participe fréquemment Chapelain, théoricien éminent, plus grande autorité littéraire du temps dont le jugement est reconnu par tous.
Chapelain est favorablement intéressé par Claude Boyer, et lorsqu’il conseille Colbert pour les gratifications de 1663, il souligne, dans La Liste des gens de lettres vivants en 16622 que Boyer « ne le cède qu’au seul Corneille » . Colbert lui octroie en 1663 une pension avec ce commentaire : « Au Sieur Boyer, excellent poète françois, 800 livres » , pension qui précisons-le tout de suite subsistera jusqu’à la fin de sa vie (hormis quelques années de suspension) .
L’épître du Jeune Marius témoigne de la reconnaissance de Boyer :
Je me suis dit sans cesse, qu’ayant esté choisi pour estre un des sujets desgratifications du Roy, je devois soustenir, ou plûtost justifier un choix si honorable.
Le même Chapelain ouvre à son ami les portes de l’Académie Française en 1666, Boyer, devenu immortel, reçoit l’un des plus grands honneurs qui puisse être fait à un écrivain. Reconnu par les salons, ses pairs de l’Académie, Boyer n’en oublie pas pour autant que le grand censeur des Arts et des Lettres loge à Versailles. En cette même année 1666, il dédie sa tragédie à machines Jupiter et Sémélé au Souverain, qui s’était déplacé au Théâtre du Marais pour venir l’applaudir. Il n’en est pas à sa première dédicace aux Grands : Clothilde avait été dédiée à Fouquet, Le Jeune Marius le sera à Colbert.
Boyer n’est donc pas un inconnu au XVIIe siècle mais une telle renommée, si honorable soit-elle pour un dramaturge, n’a pas que des conséquences favorables. Comme à tous ses contemporains, et même les plus grands, les louanges et les satires ne manquèrent pas à Claude Boyer. Elles furent cependant particulièrement cruelles pour notre auteur. À partir des années 1670-1680 surtout, ses relations avec le public ou avec ses pairs sont difficiles. Intéressons-nous d’abord à ses relations avec les spectateurs. Si les gazettes, et en particulier les articles de Loret et de Robinet avaient souligné le succès et l’accueil du public durant les décennies précédentes (on connaît l’accueil triomphal réservé à Jupiter et Sémélé) , il semble qu’à la fin des années 1670 il ait été en butte à des difficultés, à tel point qu’il eut recours à un subterfuge : rappelons l’anecdote de l’Agamemnon en 1680.
En décembre 1673, le Mercure Galant (t. VI, p. 64) remarquait déjà à propos de Démarate :
Il faudroit que Monsieur Boyer, pour faire reüssir ses ouvrages prît le nom de quelqu’un de ces autheurs heureux, en faveur desquels on est si préoccupé qu’on ne croit pas qu’ils puissent mal faire. Cette préoccupation qu’on a pour eux fait qu’on en a une toute contraire à l’égard des autres Autheurs, et que l’on condamne leurs plus beaux ouvrages sans les avoir esté voir [...]
À en croire L’Histoire de l’Académie Française de d’Olivet (t. II, p. 344) :
Pour éprouver donc si la chute de ses ouvrages ne devait pas être imputée à la mauvaise humeur du parterre, le stratagème dont usa Boyer fut d’afficher son Agamemnon sous le nom de Pader d’Assézan.
Et le public apprécie et applaudit jusqu’au jour où il apprend le nom du véritable auteur. Boyer accrédite lui-même cette thèse dans la préface d’Artaxerce trois ans plus tard :
Le temps et la vérité ayant confondu l’imposture et l’envie [...]
Agamemnon est donc une pièce de Boyer jouée sous un nom d’emprunt pour tromper un public dont le rejet lui faisait siffler tout ce qui portait son nom. Cette anecdote met en relief les relations conflictuelles de Boyer et de son public. V. Fournel3 résume bien cela remarquant que « peu à peu il était passé pour ainsi dire en tradition que toute pièce de Boyer devait tomber » .
Or si le public a un temps reçu négativement ses pièces, c’est peut-être bien sous l’influence de la critique parfois acerbe des contemporains. De fait, épigrammes et satires n’ont pas manquées. S’acharnent particulièrement le clan des raciniens puis Furetière. Déjà en 1669 Boyer commençait à s’en défendre accusant en retour dans son épître au Jeune Marius que « la fortune et la cabale se meslent aujourd’huy de faire le bon et le mauvais destin des ouvrages du Theatre » . Il révèle déjà un homme blessé, lui qui n’a que rarement répondu contrairement à ce qu’affirmera Furetière, comme par exemple dans les Couches de l’Académie4 ( 4e chant) :
On reconnut LABOYER, condamné à un tourment qui avoit bien du rapport à celui de Sisyphe. [...] Sa rage lui faisoit continuellement grincer les gencives, parce qu’on lui avoit arraché les dents et les ongles dont il se servoit durant sa vie à mordre et à dechirer les plus belles pièces de ses heureux rivaux.
En cinquante et un ans, Boyer donna plus de vingt pièces :
- – La Porcie romaine, tragédie, 1646.
- – La sœur généreuse, tragi-comédie, 1647.
- – Porus ou la générosité d’Alexandre, tragédie, 1648 (rebaptisée pour les éditions Le Grand Alexandre, ou Porus, roy des Indes, tragédie, en 1666) .
- – Aristodème, tragi-comédie, 1648.
- – Tyridate, tragédie, 1649.
- – Ulysse dans l’isle de Circé, ou Euriloche foudroyé, tragi-comédie représentée sur le théâtre des Machines du Marais, 1649.
- – Clotilde, tragédie, 1659.
- – Fédéric, tragi-comédie, 1660.
- – Tigrane, tragédie, 1660.
- – La mort de Démétrius, ou le rétablissement d’Alexandre, roi d’Épire, tragédie, 1661.
- – Policrite, tragi-comédie, 1662.
- – Oropaste, ou le faux Tonaxare, tragédie, 1663.
- – Les Amours de Jupiter et de Sémélé, tragédie à machines, 1666.
- – La feste de Vénus, comédie pastorale, 1669.
- – Le Jeune Marius, tragédie, 1669.
- – Policrate, comédie héroyque, 1670.
- – Le fils supposé, tragédie, 1672.
- – Lisimène, ou la jeune bergère, pastorale, 1672.
- – Atalante, tragédie, 1673.
- – Démarate, tragédie, 1673.
- – Le Comte d’Essex, tragédie, 1678.
- – Agamemnon, tragédie, 1680 (sous le nom de Pader d’Assézan) .
- – Artaxerce, tragédie, 1683.
- – Antigone, tragédie, 1686 (sous le nom de Pader d’Assézan) .
- – Jephté, tragédie, 1691.
- – Judith, tragédie, 1695.
- – Méduse, tragédie en musique représentée par l’Académie royale de musique, 1697.
Lui sont aussi attribuées La Mort de Promédon, ou l’exil de Nérée, tragi-comédie, Paris, 1645 et La Mort des enfants de Brute, tragédie, Paris, 1648.
Des tragédies certes, mais il sort aussi du cadre traditionnel de la tragédie. 1666 et 1669 sont les années de Jupiter et Sémélé et les Fêtes de Vénus, deux pièces plus légères. La première est une pièce à machines où alternent chants, danse, musique et jeu théâtral, la seconde une comédie pastorale. Enfin Boyer n’est pas seulement dramaturge. Tout au long de sa carrière dramatique Boyer écrit des poèmes, des sonnets de louanges au Souverain et des paraphrases de la Bible.
Bien évidemment les pièces de Boyer sont examinées par les critiques littéraires et sans détailler l’ensemble de ces remarques, voici quelques-unes des réflexions sur le style de l’Abbé Claude Boyer.
Somaize dans son Dictionnaire des Précieuses5 en 1661 loue Claude Boyer, sous le nom de Bavius, affirmant que « c’est un homme qui fait fort bien les vers et qui a du mérite » . Et en 1662, citons encore Chapelain qui dans la Liste des gens de lettres français vivants en 1662 indique que Boyer « pense fortement dans le détail et s’exprime de même » . Quant à l’Abbé Genest, successeur de Claude Boyer à l’Académie Française, il en souligne dans son discours de réception le « feu de la poésie » , même expression dans la réponse que lui fait l’abbé Boileau qui en signale le « feu modéré » et « le génie de son art sincère » .
Au contraire, c’est seulement à partir du XVIIIe siècle que nous trouvons les remarques les plus acerbes sur le style, comme celles des Frères Parfaict qui commentent sa poésie en ces termes (t. XII, p. 183) :
Sa poësie est dure, chevillée, pleine d’expressions froides ou basses, et jamais nulle image. Son dialogue n’exprime rien de ce qu’il doit dire, et c’est un perpétuel galimathias.
ou bien V. Fournel6, au XIXe siècle :
Poète dramatique médiocre, Boyer est un écrivain plus médiocre encore : son vers
est à la fois faible, dur, mou et enflé.
Il met fin à sa longue carrière en 1686, désireux de quitter la scène après quarante ans de travail. C’est le début d’une retraite qui le voit revenir à la foi : une retraite ébauchée qui n’est interrompue que par deux dernières pièces. C’est un homme de soixante-quatorze ans à qui Madame de Maintenon, dans le cadre de Saint-Cyr, fait appel en 1691. Rappelons les circonstances de cet appel : Athalie de Racine vient d’être jouée par les Demoiselles de Saint-Cyr et les représentations interrompues, Madame de Maintenon souhaite un autre texte. Et c’est vers Boyer qu’elle se tourne, remettant en compétition les deux adversaires de toujours. Or Boyer, après avoir produit Antigone, avait rangé la plume. Cela fait déjà cinq ans, un silence qui n’est pas sans rappeler celui de Racine ! La comparaison entre Boyer et Racine ne cesse pas là. Car Jephté puis Judith sont comme Athalie et Esther deux pièces religieuses, tirant leur sujet de la Bible, et écrites sur commande. Pourquoi ce retour à l’écriture dramatique ? Boyer lui-même nous renseigne :
L’attrait le plus engageant, ce fut de voir combien ce travail convenait à mon âge et à la situation où je me trouvais : je ne pouvais m’imaginer rien de plus heureux que de me faire une occupation qui pouvait rendre ma muse toute chrétienne (préface de Jephté) .
Le succès est au rendez-vous de Jephté, Boyer poursuit avec Judith : cette pièce est jouée avec succès à Saint-Cyr puis allongée de deux actes pour la Comédie Française quelques jours plus tard (le 4 mars 1695) . La gazette d’Amsterdam souligne le 21 mars 1695 que « la nouvelle tragédie qui est représentée depuis peu, intitulée Judith a été extrêment applaudie » . Du lancement à l’interruption due aux fêtes de Pâques, le 18 mars, c’est-à-dire après 8 représentations, le succès ne cesse pas. Mais le rival Racine ne manque pas l’occasion d’une nouvelle épigramme :
A sa Judith BOYER par avantureEstoit assis près d’un riche caissierBien aise estoit, car le bon FinancierApplaudissoit et pleuroit sans mesure :Bon gré vous say, luy dit le vieux rimeur,Le beau vous touche, et ne seriez d’humeurA vous saisir pour une baliverne :Lors le richard, en larmoyant luy ditJe pleure hélas ! de ce pauvre HoloferneSi méchamment mis à mort par Judith.
Puis profitant des fêtes, Boyer décide de faire paraître sa pièce en librairie (achevé d’imprimer du 23 avril) . Après le retour sur scène et aux dernières représentations, « on hua, on siffla avec un acharnement inouï » (J. Rolland7) .
Claude Boyer mourut le 22 juillet 1698 à Paris, il fut remplacé à l’Académie française par l’Abbé Genest. Sa longue carrière dramatique, les critiques qui l’ont atteint n’ont pas réussi à entamer son « aimable vivacité » , laquelle selon d’Olivet « ne s’est pas démentie en lui jusques à l’âge de 80 ans » (L’Histoire de l’Académie française, t. II, p. 345) .
Réception de la tragédie du Jeune Marius §
S. W. Deierkauf-Holsboer8 commente :
Nous ne possédons que peu de données relatives à l’année 1669. La composition de la troupe royale est restée la même. [...] Robinet mentionne la représentation d’une tragédie de Boyer, Le Jeune Marius, à l’Hôtel de Bourgogne au mois de février 1669 [...] Les premières représentations de cette tragédie ont eu assez de succès ; rien ne permet de dire que la troupe a continué longtemps à donner des reprises de cette pièce.
Quelques dates : à la fin de janvier 1669, la troupe de l’Hôtel de Bourgogne monte le Jeune Marius dont Robinet rend compte avec éloges le 2 février9. Il semble que la tragédie du Jeune Marius ne soit pas restée longtemps seule à l’affiche, car Robinet rend compte de la représentation, le 2 mars, d’une comédie de Montfleury intitulée La femme juge et partie, créée à la fin 68 et qui reprend début mars après une probable interruption. Il peut y avoir eu dès lors alternance entre ces deux pièces.
En parallèle à Paris sont représentées au Marais Les festes de Vénus, une comédie pastorale de Boyer et au Palais Royal Tartuffe de Molière (à partir du 5 février) , deux pièces qui connurent du succès, et dont Robinet rend compte (jusqu’à 3 fois pour Tartuffe, les 9 et 23 février et le 2 mars) .
De par l’absence de registres pour le théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, nous ne connaissons ni les recettes ni le nombre de spectateurs, ni n’avons aucune information précise sur la date de la dernière du Jeune Marius. Nous n’en savons pas plus que ce que la lettre de Robinet (témoignage des premiers jours) nous apprend.
Venons-en aux données essentielles de La lettre en vers à Madame du 2 février 1669 de Ch. Robinet10. Cette chronique élogieuse nous renseigne sur la distribution :
Que la Fleur, lequel fait SYLLA [...]Que Floridor, de Marius,Fait aussi le Rôle à merveille, [...]Que Haute-roche y représente,De maniére encor fort galante,PompÉe, autre jeune Héros,Et qu’enfin, avec un grand los,Dennebaut, leur jeunette actrice [...]Fait son Personnage des mieux,Ou bien celui de cÉcilie, [...]
La pièce est servie par les comédiens réputés les meilleurs dans la déclamation du vers tragique.
Si aucune épigramme ni satire n’a été écrite à propos du Jeune Marius, si aucun commentaire contemporain hormis Robinet ne nous est parvenu, les critiques des siècles suivants, eux, n’ont pas manqué de le commenter. Au XVIIIe siècle, Ménage dans les Menagiana (t. IV, p. 167) reconnaît du mérite à la pièce :
Monsieur Boyer était autrefois de mes amis. Ses tragédies, et surtout son Jeune Marius, ne sont pas si méchantes.
Les Frères Parfaict, eux, dans leur Histoire du Théâtre français (t. X, p. 376) considèrent que la composition de la tragédie est défectueuse :
Monsieur l’Abbé Boyer avoit une imagination bien singuliere : il cherchoit des plans bizarrement compliqués, et s’en tiroit toujours très-mal.
Critique de prévention, car nous verrons au fil de notre étude que Boyer maîtrise parfaitement la technique de construction d’une tragédie. Autre point de défaut selon eux, les personnages :
Jamais on n’entend parler si fréquemment de la grandeur et de la vertu Romaine, et cependant on n’en apperçoit aucun éxemple. Marius, que l’Auteur annonce comme le modéle des amans, tant par la délicatesse des sentimens que par la galanterie fine, n’est au fond qu’un benêt ; Sylla un furieux, et un lâche ; pour ce qui est de Cécilie et de Pompée : Ils jouent à la vérité les plus beaux rôles, mais ils ne sont généreux que par réflexion, et leurs soins ne peuvent sauver la vie au malheureux Marius (t. X, p 379-380) .
Leurs remarques sont parfois justes mais restent trop réductrices. Négatifs quelle que soit la pièce de Boyer qu’ils commentent, ils demeurent peu fiables.
Sources et construction §
Les sources §
Le Jeune Marius de Claude Boyer met en scène les rivalités entre Sylla, Marius le Jeune et Pompée. Marius, fils du grand Marius, fut consul peu après la mort de son père et pour peu de temps jusqu’à sa mort à Préneste. Moins célèbre que son père, les principaux éléments de sa courte carrière sont relatés par Plutarque dans Les Vies des hommes illustres, par Appien d’Alexandrie dans Les Guerres civiles à Rome, par Tite Live dans les Abrégés des livres de Ab Urbe condita, par Orose dans les Histoires et par Velleius Paterculus dans son Histoire romaine. Tous racontent plus ou moins longuement la prise de Préneste par l’armée de Sylla, le siège et le suicide de Marius le jeune en 82 avant J.-C. Marius garda l’espoir tant que les Samnites (peuple conquis du sud de l’Italie dirigé par Télésinus) et son collègue au consulat, Carbon, pouvaient l’aider. Après leur défaite, il se suicida. Tite Live par exemple indique : « Marius tentait de s’échapper par un souterrain cerné par l’armée, il se donna la mort » (Abrégé du livre 87) . Ce siège n’est qu’un épisode de la guerre civile qui opposait marianistes et syllaniens depuis six ans.
Nous retrouvons dans le Jeune Marius le siège (vers 3) et le suicide, c’est-à-dire les tenants et aboutissants, la situation initiale et le dénouement. Une seule phrase suffit : Marius fils assiégé dans Préneste, par les armées de Sylla, se suicide après la défaite de ses alliés. De cette matrice tragique, Boyer composa cinq actes et plus de 1700 vers.
De l’Histoire à la tragédie §
Il pourrait sembler effectivement difficile de composer une intrigue à partir de ces quelques éléments. Or la lecture du Jeune Marius nous introduit dans une action menant au suicide certes, mais un suicide motivé par le désespoir et l’amour et non par la défaite inéluctable. L’Histoire romaine donnait à Claude Boyer les circonstances dans lesquels les personnages évoluent et des raisons du suicide. Historiquement, Sylla laisse la direction du siège à un lieutenant pour aller combattre à Rome, Pompée quant à lui combat contre Carbon, Marius est isolé. Or le théâtre étant exclusivement composé de dialogues, donc de confrontation, il fallait les réunir, ce qui supposait soit que Marius sorte de Préneste, soit que les deux autres y entrent. Pour les besoins de l’intrigue, Boyer ne pouvait respecter toutes les données historiques. Et la présence dans les murs des trois personnages obligeait pour la cohérence de l’action à lier les principaux événements entre eux. Ainsi pour développer la matrice et assurer la cohérence, il fallait amener autrement le suicide, c’est-à-dire le dénouement. Afin de mieux comprendre cela, il nous suffira de suivre la structure telle qu’elle est présentée aux lecteurs : la structure linéaire.
Sans retracer ici un long résumé de la tragédie, nous en dégagerons les points essentiels acte par acte :
- – Marius assiégé dans Préneste où Cécilie, qu’il aime, est sa prisonnière, après avoir combattu, vaincu Sylla et l’avoir épargné avec magnanimité, obtient la main de Cécilie (Actes 1 et 2) .
- – Sylla, ayant appris la victoire de Pompée, lui aussi amoureux de Cécilie et aimé d’elle, et la libération de Rome du danger des Samnites, décide de donner sa fille à Pompée et de prendre le nom de dictateur (Acte 3) .
- – Devant le refus de Cécilie et de Pompée de trahir Marius, malgré leur amour mutuel, Sylla menace de mort celui que Cécilie n’épousera pas et lui en laisse le choix : elle choisit, selon sa vertu, Marius. Mais celui-ci désespéré tente une action militaire contre Sylla et se suicide après l’échec (Actes 4 et 5) .
Dans cette intrigue, le suicide de Marius a une cause principale : son amour pour Cécilie qui l’incite à tout faire au risque de sa vie, à combattre par deux fois le père de Cécilie. Mais de cet amour pour une jeune fille, fille de l’ennemi héréditaire du héros, nous n’avons aucune trace dans les historiens. Nous savons par contre qu’une tragédie classique ne fonctionne qu’à partir d’un enjeu amoureux lié étroitement à la politique. Sur cette base, une donnée historique utilisée comme dénouement, mais modifiée dans les causes mêmes de ce dénouement et un enjeu indispensable, nous pouvons dégager les principes de la construction de cette tragédie, non plus telle qu’elle est donnée aux lecteurs mais à travers le travail du dramaturge.
Principes de construction §
Au vu de la structure linéaire que nous venons de retracer, hormis la matrice tragique et quelques éléments historiques de plus ou moins grande importance (la menace Télésinus, la dictature...) qui donnent à la pièce une épaisseur historique, le reste, en particulier l’amour entre les personnages, est de l’invention de l’auteur. Nous nous sommes autorisés à suivre la méthode génétique proposée par G. Forestier11. Il fallait à partir du dénouement construire à rebours une intrigue, c’est-à-dire inventer un enchaînement de causes et d’effets susceptibles de créer une intrigue étoffée et cohérente qui se lise en partant du début. Remontons du dénouement (point de départ pour Claude Boyer) à l’exposition par laquelle le lecteur entre dans l’intrigue.
Le suicide de Marius est justifié au vers 1736-1737 :
Abandonné des siens, mais malgré son malheur,Plus honteux que troublé de les voir sans courage.
Marius se suicide après la défection de ses soldats au cours d’une marche sur le palais, acte désespéré dont les causes sont doubles : l’ultimatum donné par Sylla à sa fille de choisir entre ses deux amants condamnant à la mort l’un des deux et l’amour réciproque de Pompée et de Cécilie. Or cet ordre de Sylla est justifié par celui-ci comme une réponse au refus de Pompée et de Cécilie de trahir Marius à qui la jeune fille était promise :
L’ingrat ose braver, sans peur de nous déplaire,Et l’amour de la fille, et la haine du pere (vers 1157-1158)
et il ajoute quelques vers plus loin :
Quand la raison d’Estat les condamne tous deux (vers 1232) .
Et en fait, tous deux refusent un premier ordre de Sylla qui ayant décidé de marier sa fille à Pompée a demandé à celle-ci de le signifier à Marius :
Dispose Marius à ce grand changement (vers 834) .
Sylla peut revenir sur sa décision et trahir le serment fait à Marius de lui donner sa fille grâce à un bouleversement de la situation militaire : Pompée vient de libérer Rome de la menace des Samnites. Or ce serment est la conséquence de la défaite de Sylla dans une bataille provoquée par Marius. Quant à cette bataille, Marius l’a provoquée pour obliger Sylla à lui donner la main de sa fille :
En deusse-je perir, pour avoir ce que j’ayme,Il faut vous arracher à vostre pere mesme,Et le fer à la main forcer sa duretéA me rendre l’espoir que vous m’avez osté (vers 243-246) .
Ce dernier vers fournit une autre motivation : Marius déduit des hésitations de Cécilie qu’il a un rival et souhaite le combattre aussi. C’est finalement l’amour de Marius pour Cécilie qui est la cause de la bataille. On rejoint l’autre motivation du suicide. Pour créer son intrigue, Boyer a donc donné une justification sentimentale à un fait proprement politique et militaire.
Or, ce fait sentimental est entièrement une invention. Ce qui rejoint l’Histoire romaine par contre, c’est la volonté de Sylla de faire entrer Pompée, jeune lieutenant glorieux à son service, dans sa famille par le biais d’une liaison matrimoniale. Ce mariage n’a aucun lien avec la mort de Marius à Préneste : Boyer a utilisé ici une seconde phrase sans rapport avec les faits pour introduire une intrigue matrimoniale et amoureuse. À en croire Plutarque dans la Vie de Pompée, XIV :
Metella sa femme (de Sylla) , étant bien de son avis, ils firent tant qu’ils persuadèrent Pompée de répudier sa femme Antistia, pour épouser Æmilia, fille de Métella et de son premier mari, Emilius Scaurus, laquelle était aussi mariée à un autre et enceinte.
Et il l’a considérablement modifiée. Il l’a modifiée sur trois points :
- – de belle-fille par alliance, c’est la fille de la femme de Sylla, issue d’un premier mariage, elle est devenue la fille de Sylla.
- – Historiquement Pompée et elle sont déjà mariés, ce qu’ils ne sont pas dans la pièce.
- – Boyer imagine en plus qu’ils s’aiment d’un amour réciproque.
Que ce soit la fille de Sylla qui devienne l’enjeu de l’hymen et de l’amour des deux jeunes héros renforce les liens et les antagonismes. Les quatre personnages principaux sont liés au sein d’une même famille. Nous sommes dans une intrigue constituée par « un surgissement des violences au sein des alliances » selon les termes d’Aristote dans La Poétique. Qu’ils ne soient pas mariés s’inscrit dans la tradition qui veut que l’amour des héros soit pur et unique. Leur amour réciproque auquel vient s’ajouter celui de Marius crée un enjeu amoureux et renforce l’antagonisme entre deux camps opposés. Car l’amour de Marius pour la fille de son ennemi forme un lien entre Sylla et Marius bien plus fort encore que la guerre civile. Cette tragédie où l’importance de l’enjeu amoureux est extrême repose sur des liens inventés entre des personnages que rien n’unit dans l’Histoire. Rappelons que rien n’indique que Cécilie ait jamais rencontré Marius.
Enfin le lien entre deux événements historiques, le siège dans la guerre civile et la volonté de Sylla de prendre le nom de dictateur, est aussi amplifié. Certes l’Histoire rapporte que la mort de Marius et de Carbon, les deux consuls, laissa le pouvoir vacant et que Sylla proposa de le prendre et changea les institutions. Mais pour cela, il attendit la mort de Marius. Et cette prise de pouvoir est sans aucun lien avec le mariage de sa belle-fille. Là aussi, ce fait politique est intégré à l’action principale au prix d’une légère entorse à la chronologie. Et cela prend une importance lorsque l’on sait que Marius est l’unique obstacle à la volonté de pouvoir de Sylla. Cette dictature met en danger les institutions de la République, c’est-à-dire l’État lui-même, et la vie du consul. Ceci constitue un péril d’État.
L’enjeu amoureux, un épisode et le péril d’État, un « embellissement » (c’est-à-dire un renforcement de l’action principale permettant de raviver l’antagonisme politique qui aurait existé sans cela) s’ajoutant à la matrice tragique s’imbriquent dans l’action principale.
Épisode et « embellissement » §
Corneille dans son Discours du poème dramatique12 a défini les épisodes :
Ces épisodes sont de deux sortes, et peuvent être composés des actions particulières des principaux acteurs, dont toutefois l’action principale pourrait bien se passer, ou des intérêts des seconds amants qu’on introduit, et qu’on appelle communément des personnages épisodiques. Les uns et les autres doivent avoir leur fondement dans le premier acte, et être attachés à l’action principale ; c’est-à-dire, y servir de quelque chose, et particulièrement ces personnages épisodiques doivent s’embarrasser si bien avec les premiers, qu’un seul intrigue brouille les uns et les autres.
Pour que l’action soit cohérente donc, les épisodes doivent s’emmêler avec l’action principale pour ne composer qu’une seule intrigue grâce à un enchaînement de causes et d’effets. Tout d’abord comment est assurée la cohérence de l’action ?
Tous les événements sont liés entre eux par un système de causes et de conséquences, l’ordre dans lequel ils interviennent est subordonné à ce système. La cohérence de l’action créée par le dramaturge dépend de la disposition de chacun. Encore faut-il que le public croie à tout ce qui est raconté, c’est-à-dire que tout soit vraisemblable. Or il est vraisemblable que deux jeunes gens soient amoureux d’une jeune fille et qu’ils demandent sa main à son père. Et la haine entre Sylla et Marius est aussi vraisemblable pour des spectateurs nourris de la culture de l’Antiquité qui connaissent la haine viscérale entre Sylla et le grand Marius. Quant à Pompée, il est entré dans les troupes de Sylla depuis peu, il est donc logique que Sylla haïsse Marius et lui préfère Pompée. Les faits eux mêmes, batailles, traité de paix... sont aussi dans le cadre de la vraisemblance. Examinons le cas du traité de paix (début de l’acte III) qui met fin à la bataille de l’entre actes I et II : la victoire de Marius et son geste généreux, sa demande en mariage motivent l’énonciation du traité et les serments censés en garantir l’exécution. Il est la conséquence des deux premiers actes. Parce qu’il est bafoué à l’acte III, il fonde la révolte des héros, cause l’acte désespéré de Marius, c’est-à-dire les deux derniers actes. Il joue ainsi le rôle d’acheminement vraisemblable.
Revenons maintenant sur l’enjeu amoureux et sur le personnage qui en est le centre : Cécilie. Cet épisode constitue une histoire autre que l’action principale. Cette histoire s’articule autour de l’amour de deux jeunes gens pour une même jeune fille qui de personnage épisodique devient le personnage principal de cette histoire. Elle acquiert, nous le verrons en détail dans l’étude des personnages, un rôle primordial (voir introduction p. 31-32) . Elle aide à l’imbrication de l’enjeu dont elle est le centre.
Tout d’abord, Cécilie acquiert une véritable épaisseur psychologique : elle est dotée d’un passé, à la scène 1 de l’acte I déjà, et surtout aux vers 210-212 et aux vers 1418-1424 où elle rappelle :
Quand j’estois comme luy dans un peril extréme ;Quand un peuple en fureur massacroit mes parensEt les traisnoit dans Rome égorgez ou mourans,Quand mon Palais détruit, le desespoir dans l’ame,Pàle, errante, au milieu du sang et de la flâme,Je rencontray son pere, et tout tremblant d’effroy,Marius se mit seul entre son pere et moy.
Son passé malgré sa jeunesse est déjà riche. Elle s’ancre dans le passé par le rappel de ses souvenirs, par exemple au vers 1426 (voir aussi le vers 209) :
Mais rappellons encore ma derniere disgrace.
Ce personnage, dont le rôle et jusqu’à sa parenté avec un personnage principal sont inventés, acquiert aussi un passé sentimental. L’amour qu’elle éprouve pour Pompée est antérieur à l’ouverture de la pièce, de même l’amour des deux héros pour elle, ce qu’elle décrit dans la scène 3 de l’acte I, et elle indique aux vers 364-366 :
C’est pour le plus heureux que mes vœux se formerent,Et mon cœur à Pompée estoit mal asseuréSi pour son cher Rival mon cœur eut esperé
Si elle a un passé, elle se projette aussi dans l’avenir affirmant aux vers 1781-1782 :
Allons, allons nous mettre entre Rome et mon pere,Et mourir à ses pieds ou fléchir sa colere.
Cécilie a une histoire aussi constituée que peuvent l’avoir les autres personnages : Sylla par exemple dont il nous est dit qu’il « fut vainqueur de tant de rois » , qu’il vainquit Télésinus et dont l’avenir de dictateur est mis en place.
De même que l’épisode s’emmêle à l’action principale grâce à la présence du personnage féminin, de même il le fait en apparaissant dans les moments clefs de l’intrigue. Lorsque Marius épargne Sylla, par exemple, la seule motivation de ce geste est son amour :
Et relevant Sylla, rends grace à mon amour,Luy dit-il, c’est luy seul qui t’a sauvé le jour (vers 429-430) ,
ou lorsque Pompée donne les motivations de son combat à Rome aux vers 1041-1042 :
Et mesme j’ay vaincu, pardon chere patrie,Peut-estre seulement pour gagner Cecilie.
Enfin la passion amoureuse est telle qu’ils en font dépendre leurs actions : sans l’amour, Marius ne provoquerait pas Sylla dans deux batailles, c’est parce qu’elle aime Pompée que Cécilie hésite entre son amour et le refus de la trahison et du parjure... (voir notre étude du traitement du sentiment amoureux) . L’épisode amoureux est tellement lié à l’action principale qu’il semble impossible de justifier la moindre de leurs actions si on supprime ce sentiment qui meut les trois jeunes personnages. Intégrer un épisode amoureux implique de faire naître un sentiment amoureux dans le cœur de personnages auxquels l’Histoire prête plus de cruauté que de galanterie. C’est le cas de Marius qui, selon Plutarque (Vie de Marius, LXXXIX) , « fit beaucoup de cruauté et d’inhumanité depuis la mort de son père » . Nous sommes loin du jeune homme galant et magnanime au point d’épargner son plus grand ennemi. Les héros du XVIIe sont jeunes, vertueux, amoureux et généreux même si, historiquement, ils sont l’exact contraire : le dramaturge crée alors un caractère en accord avec la situation dans laquelle il place le personnage. La vérité de celui-ci cède devant les besoins de la vraisemblance et de la bienséance. Les héros de la Rome du Ier siècle avant J.-C. vivaient selon des valeurs qui conviendraient bien peu aux spectateurs du XVIIe siècle si les dramaturges ne transformaient plus ou moins les caractères. Le changement de Marius est évident, mais même Sylla qui semble le plus proche de la réalité historique est modifié. Maxime signale :
Cependant vous voyez que Sylla sacrifieAux soins de se vanger les soins de sa Patrie (vers 27-28)
ce qui est faux, pour l’Histoire il laisse au contraire Préneste à un lieutenant pour se consacrer à Rome. Et il est en plus peu probable que le Sylla historique ait pu envisager un traité comme celui qui est proposé. L’entrée dans l’intrigue de l’expression des passions nécessite de tels changements en motivant nombre de leurs actions. Pourtant la passion amoureuse, ou la haine dans le cas de Sylla ne dominent pas tout.
Car la « dignité (de la tragédie) demande quelque grand intérêt d’État ou quelque passion plus noble et plus mâle que l’amour » indique Corneille dans le Discours du poème dramatique13. Cette passion plus noble que l’amour serait bien ici l’amour et le respect de l’honneur, de la vertu et du bien de la patrie. Combien d’allusions au « cœur romain » et à la « vertu romaine » dans les propos tenus. Entre la gloire et l’amour, le choix se porte sur la gloire, l’honneur :
Ainsi deux cœurs unis noblement amoureux,Font de cette union d’estime et de tendresseUn commerce d’honneur et non pas de foiblesse (vers 1660-1662) .
Le sentiment amoureux est toujours subordonné, dans les réactions de Cécilie et de Pompée contre la trahison et le parjure, au sentiment plus noble de la gloire et du devoir. Déterminant pour le déroulement de l’action et pour la cohérence de l’intrigue, l’enjeu amoureux permet aussi de créer des dilemmes : déchirés entre leur amour et leur gloire, les héros expriment leur souffrance mais ne montrent aucune hésitation. Le dilemme se résoud toujours par la victoire de la gloire. Cependant, cet enjeu amoureux n’est pas tout. Le problème de l’alliance matrimoniale qui sous-tend les actions et les propos se clôt sur la possibilité d’union entre Pompée et Cécilie. Pourtant, hormis la recommandation de Marius à Pompée, aucune allusion n’y est faite, la priorité est ailleurs :
Allons, allons nous mettre entre Rome et mon pere (vers 1781) .
C’est que finalement le problème n’est pas tant de savoir qui épousera Cécilie mais ce qu’il advient des deux héros menacés de mort par Sylla, et particulièrement du sort de Marius, ce qui constitue l’action principale. Dans son Discours du poème dramatique14, Corneille indique, à propos de la tragédie, que « c’est le péril d’un héros qui la constitue » .
Or, « il faut que l’enjeu amoureux soit doublé par un enjeu autrement plus important, l’enjeu de péril - risque de perte de la vie ou de l’État » G. Forestier15. Marius rassemble en lui seul ces deux périls. En tant qu’homme, Sylla lui a voué une haine telle que sa mort semble annoncée, l’évolution progressive et marquée d’acte en acte de la cruauté et du pouvoir de Sylla ne pouvait qu’aboutir à cette mort, de toute façon historique. En tant que consul, sa mort est un attentat contre celui qui détient légitimement le pouvoir. En forçant Marius à la mort, il porte atteinte aux institutions de la République ainsi qu’en prenant le nom de dictateur. Nous reviendrons avec plus de précision sur ceci dans notre chapitre : « De la République à la dictature » .
Enjeu amoureux et enjeu de péril sont imbriqués au point de ne constituer qu’une seule intrigue cohérente et vraisemblable. Une seule intrigue mais non dépourvue de bouleversements. En effet le spectateur est laissé dans l’indécision jusqu’à la scène 6 de l’acte V. Sylla cédait presque aux souhaits de Cécilie quand il apprend que Marius marche avec des soldats sur le palais. Et ce n’est pas le premier retournement : important aussi est celui de l’acte III qui avec l’arrivée et la victoire de Pompée permet à Sylla de changer sa politique. Dans les deux cas on assiste à une remise en cause de l’alliance matrimoniale. Marius dans les deux premiers actes et de nouveau à la fin de la scène 5 de l’acte V a la possibilité d’obtenir la satisfaction de ses souhaits, l’action pourrait s’y arrêter mais la tragédie suppose le passage du bonheur au malheur. Ainsi, l’action reprend par un coup de force : une victoire alliée ou un acte désespéré du héros lui-même. Et conduit le héros vers la mort.
L’action §
Nous nous proposons dans ces pages de considérer la structure interne du Jeune Marius : exposition, dénouement, unités et études des personnages.
L’exposition §
Regroupés dans les trois scènes de l’acte I, les éléments d’exposition permettent la présentation de la situation de départ, de l’action principale, de l’épisode et des personnages.
- – Nous sont donnés le lieu, les circonstances (un siège) et tous les éléments permettant de connaître l’action principale, les épisodes et leur lien (arrivée de Télésinus, haines et passions, présence de Pompée à Rome, annonce du combat de l’entre actes I et II) .
- – Lorsque l’acte se clôt, tous les personnages ont été présentés, soit directement sur scène soit dans les propos tenus comme c’est le cas de Pompée et de Sylla qui n’interviennent qu’à l’acte III. Cécilie à la scène 3 trace devant ses confidentes un portrait de ses deux prétendants.
Le dénouement §
Conséquence d’un bouleversement (Acte V, scène 6) , il conclut la tragédie par la mort du héros éponyme. 5 scènes dans lesquelles se joue la dernière action. Il est tout entier dû à un récit, Pison : Marius attaque ; Marcelle : il est abandonné de ses soldats, et enfin un long récit de Pompée retraçant les derniers moments de Marius et de Préneste. Le passage du dialogue au récit, outre le respect des bienséances qui interdisent la violence sur scène, marque la fin de la confrontation orale et de la tragédie. Constatons aussi l’ouverture autant sur le futur hymen de Cécilie et de Pompée que sur les crimes de Sylla.
Les unités §
- – L’action se déroule en 24 heures, sans vraiment de référence marquée au temps et malgré trois batailles. Il est précisé que la distance entre Préneste et Rome est limitée (38 kilomètres) , ce qui explique que Pompée puisse la parcourir dans la journée.
- – La didascalie placée après la liste des acteurs indique que « la scène est à Preneste, dans le palais de Marius » . L’espace intérieur, le palais, est constitué d’une salle, jamais décrite, lieu de confrontation orale où se mêlent des discussions politiques ou galantes. De nombreuses scènes se concluent par « il vient » . Mais le reste du palais d’où viennent les personnages n’est évoqué que lorsqu’au vers 387, Cécilie demande à Marcelle d’aller voir « du haut de la tour » le premier combat et quand au vers 1069, Marcelle précise que Cécilie « vient de chez son pere » indiquant que Sylla bénéficie d’un lieu propre.
Il existe aussi deux espaces extérieurs différents, connus grâce à des récits. Les deux combats entre Marius et Sylla se déroulent hors des murs du palais ; le premier aux limites du camp (entre assiégeant et assiégé) , le second dans le camp (vers 1685-1690) . Et la victoire de Pompée a lieu à Rome. Ce sont des lieux de confrontation violente.
Étude des personnages §
Il y a quatre personnages principaux dont trois sont connus des spectateurs grâce à l’Histoire romaine. Les combats qui opposèrent Sylla aux Marius père et fils constituèrent une période trouble du premier siècle avant J.-C. Pompée est de plus connu comme héros éponyme de Corneille, présent dans Sertorius, héros aussi de Chaulmer16 et d’autres. Sylla est aussi nommé dans Sertorius. Il est parfois fait référence aux Marius. Quant à Cécilie, seule personnage féminin, étrangère à l’action principale, c’est un personnage épisodique que Boyer a ajouté en partant de Plutarque (voir introduction p. 23-24) .
Malgré cela elle tient en termes de présence sur scène le premier rôle. Présente à tous les actes, elle intervient dans 19 scènes sur 2817, particulièrement aux deux premiers actes et au dernier (4 scènes seulement sur 11 aux actes III et IV) . Et elle prononce 502 vers (sur 1782, soit près de 30 %) . Elle acquiert ainsi le premier rôle. Elle s’impose aussi comme l’objet du désir de deux hommes, tous deux amoureux d’elle, objet central puisque nous l’avons déjà étudié, ce sentiment motive nombre d’actions des héros. Objet du désir certes mais aussi sujet. Enjeu à part entière d’un péril de vie qu’elle seule peut résoudre. En lui confiant le choix de son époux, Sylla donne à Cécilie d’atteindre la première place. De sa décision dépend la vie de l’un ou de l’autre, de sa vertu dépend le respect du traité dans l’honneur ou la trahison dans la honte. Non contente de représenter l’amour, l’honneur et la vertu, seule face à trois hommes dont l’un est son père, elle devient celle qui décide, conseille ou réfute.
Devenue par le fait du poète la fille de Sylla, du même sang, son rôle n’en est que plus grand. Elle doit à son père obéissance et soumission, et pourtant elle n’hésite pas à plusieurs reprises, et en crescendo, à s’élever contre lui. Plus Sylla évolue vers la tyrannie, et s’éloigne des valeurs romaines, plus les propos de Cécilie, représentante de ces valeurs deviennent accusateurs comme si immanquablement cette jeune file soumise mais vertueuse ne pouvait que s’insurger : « Pere cruel... » au vers 1227. Tout culmine à la scène 8 de l’acte V. La décision d’épouser Marius est à l’encontre des souhaits de Sylla. Parfaitement consciente qu’elle désobéit aux volontés paternelles, Cécilie doit justifier ce choix. Et elle se livre alors à un plaidoyer pour la vertu. C’est elle la fille, qui aux limites du respect donne une « leçon » à son père, n’hésitant pas à l’accuser pour lui faire honte :
Il (leur amour) veut servir mon pere au peril de sa haine,Rendre cette grande ame à la vertu Romaine ;Il le veut arracher à ces noms odieux,D’implacable ennemy, de Tyran furieux (vers 1665-1668)
On pourrait presque dire qu’elle cherche à retrouver un père à respecter alors que l’homme qui se dit tel n’est plus respectable. Témoin le vers 1723 :
Pour un pere sans foy, le sang est sans pouvoir.
Cette révolte face à son père qui viole un traité et un serment s’accompagne d’un renoncement à son amour pour Pompée au nom de l’honneur, de la gloire. Nous reviendrons sur l’analyse de ce dernier point (voir introduction p. 46-48) .
Fille de Sylla, elle est aussi l’enjeu de l’amour de deux rivaux. Marius intervient fréquemment dans les deux premiers actes (et deux scènes seulement ensuite) tandis que Pompée ne prend la parole qu’à partir de la scène 5 de l’acte III et s’exprime plus particulièrement à l’acte V. Grâce à ce premier constat, nous pouvons déjà partager la tragédie : jusqu’à la moitié de l’acte III, la pièce est exclusivement concentrée autour de Marius et de Cécilie. C’est la partie de Marius. De la fin de l’acte III à la fin de la tragédie, ce serait plutôt la partie de Pompée. Quelques chiffres : Marius prononcent 370 vers jusqu’à l’arrivée de Pompée, et à partir de la scène 5 de l’acte III, Pompée domine avec 218 vers prononcés contre 118 pour Marius. Et cette répartition reflète assez bien la situation. Jusqu’à la nouvelle de la victoire de Pompée, tout sourit à Marius : Sylla lui accorde la main de celle qu’il aime, il renoue avec la victoire, sa situation militaire s’améliore, un mariage mettrait fin au siège. Par contre, dès la victoire de Pompée, Sylla change d’avis, et sa préférence pour son lieutenant peut s’affirmer vis à vis du défenseur de Rome. Le prétendant à la main de Cécilie est désormais Pompée. La victoire constitue bien une rupture dans l’intrigue. Au sein de cette structure, examinons chacun de plus près.
Marius tout d’abord, le personnage éponyme, est présent dans 8 scènes sur 11 à l’acte V par exemple dans les propos des autres personnages. C’est dire si ce personnage est l’objet des discussions, c’est celui dont on parle le plus, enjeu du dilemme qui se dresse devant Pompée et Cécilie, objet de la haine de Sylla. Il n’en est pas moins un militaire qui prendra deux fois les armes. Il quitte la scène après un dernier entretien avec Cécilie. Mais il ne la quitte pas tout à fait car il reprend la parole par l’entremise de Pompée (scène 10) . Parvenu au terme d’un destin inéluctable malgré les efforts de héros généreux, ses derniers mots sont pour celle qu’il aime, qu’il confie à Pompée. Car Marius est avant tout un amoureux, galant, capable de se mettre en danger et ainsi de mettre l’État en danger (il est consul) pour satisfaire son amour.
Pompée quant à lui, est un héros apparemment extérieur à l’action principale, jeune lieutenant de l’armée de l’ennemi de Marius, il est en plus son rival auprès de Cécilie. Tout les sépare, pourtant son attitude (refus de la trahison, sacrifice de son amour au nom de l’honneur) crée une complicité entre ces deux hommes unis face à la tyrannie et à la fureur de Sylla au péril de leur vie. De plus, si son rôle est secondaire dans l’Histoire, puisque rappelons-le, Sylla vainquit les Samnites à la Porte Colline et non Pompée, il acquiert, par la victoire que le dramaturge lui fait remporter, un rôle décisif dans le déroulement de l’intrigue.
Trois jeunes gens liés entre eux par un double amour, solidaires face à un seul : Sylla. Celui-ci est à la fois le père de la jeune fille aimée et un général couronné de succès dans ses campagnes et désireux de reprendre le pouvoir qu’il avait déjà exercé, fut-ce aux dépens du consul en titre et du régime lui-même. En tant que père, il souhaite marier sa fille, ce qui est fréquent et normal dans la dramaturgie du XVIIe siècle. En tant que chef, il dirige des lieutenants et des combats. Jusque-là, rien d’anormal. Seulement, dès la scène 3 de l’acte III, c’est-à-dire l’annonce de la victoire de Pompée, il sort du simple rôle de père et de militaire. Or, en regardant l’étude tabulaire, on s’aperçoit que cette scène est la troisième apparition de Sylla. Il lui a donc fallu peu de temps pour dévoiler sa perfidie. D’autant plus que rétrospectivement, il explique à Pison au vers 915-918 :
Quand je jurois aux Dieux une indigne alliance,En secret à ses Dieux je jurois ma vengeance,Et tous ces faux sermens que j’ay fait à tes yeux,Estoient pour les mortels et non pas pour les Dieux.
Ce serment est au troisième vers prononcé par Sylla, ce qui signifie que le personnage n’est positif qu’à travers les propos des autres, dans les deux premiers actes.
Sylla entre en scène au troisième acte, la victoire de Pompée que nous avons déjà signalée comme un bouleversement de l’intrigue, lui donne l’occasion de rompre avec Marius, de bafouer le traité et le serment, d’imposer un choix cruel et difficile à sa fille, de provoquer la destruction du régime et la création de la dictature... Dans un crescendo ininterrompu vers la cruauté et la dictature, il est le contrepoint négatif des deux jeunes gens. Il prononce 367 vers répartis en 11 scènes, et toujours à des moments clefs :
- – première étape : Vaincu, Sylla cède et promet l’hymen de Cécilie à Marius.
- – deuxième étape : Il change d’avis, trahit Marius et prend le nom de dictateur.
- – troisième étape : Le choix de Cécilie décidera de la vie ou de la mort de ses amants.
Trois étapes qui marquent l’évolution de son caractère et ne peuvent qu’amplifier l’impression de dureté et d’ambition. Et chaque étape est liée en parallèle à l’évolution de la situation politico-militaire, qui aboutit à la disparition du régime et de son représentant.
Évoluant autour de ces quatre héros, cinq personnages se partagent les rôles secondaires : rôles répartis entre Maxime (99 vers) , Pison (35 vers) , Marcelle (55 vers) , Sabine (15 vers) et Octave (3 vers) . Le premier est auprès de Marius, le deuxième auprès de Sylla, les deux femmes auprès de Cécilie. Signalons ici l’absence de confidents auprès de Pompée. Ces rôles secondaires sont essentiels pour le déroulement de l’intrigue. Dans une ville assiégée, il est important d’être informé des événements extérieurs : Maxime, à la scène 1 de l’acte I (vers 9-10) , trace à Marius
[...] Un fidele rapport,Et de l’estat de Rome et de tout vostre sort
et lui annonce l’arrivée de Télésinus. C’est encore Maxime qui relate le combat entre Marius et Sylla à Cécilie au début de l’acte II, Pison à la scène 6 de l’acte V alerte Sylla sur les manœuvres de Marius. Octave, quant à lui, est le type même de l’émissaire militaire dont le rôle se limite à l’annonce de la victoire de Pompée au vers 815-817:
Seigneur. Pompée arrive, et le bruit de sa gloireDéjà de toutes parts annonce sa victoire ;Cent Messagers hastez de nous faire sçavoir...
Ils sont tous trois plus ou moins émissaires de l’extérieur du huis clos de la scène.
Le confident dans une tragédie est encore le témoin attentif des sentiments des héros : c’est à Sabine et à Marcelle que Cécilie avoue pour la première fois son amour pour Pompée, c’est à Pison que Sylla dévoile sa haine, son plan et sa perfidie. Le confident provoque le discours du héros ou permet l’expression des sentiments essentiels pour la compréhension des spectateurs. Témoin parfois silencieux, parfois conseillers, les confidents n’hésitent pas à s’opposer aux personnages. Pison, par exemple, à la scène 4 de l’acte III met Sylla face à ses responsabilités, c’est presque son contrepoint, contrepoint positif qui à chaque affirmation de Sylla répond par une question ou par une remarque comme aux vers 912-913 :
Mais sans parler d’honneur ny de reconnoissance,Vos sermens peuvent-ils se rompre impunément ?
Pison comme Maxime sont plus que des confidents ; la liste des personnages les définit comme « amis » . Ce sont des compagnons d’armes : « Fidelle compagnon des travaux d’une guerre » dit Sylla à Pison au vers 867. Plus proches des personnages, leur rôle est accru, nous venons de le voir avec Pison, ils en sont aussi les porte-paroles, Pison à la scène 3 de l’acte II, Maxime au début de l’acte II. Examinons la transition entre les deux premiers actes en comparant les vers 388 et 391 :
Va voir, Marcelle, à qui le sort veut faire graceMaxime, je sçay tout [...]
Cécilie envoie Marcelle s’informer mais c’est Maxime qui vient lui faire le récit de la bataille à laquelle il a participé et d’une victoire de Marius dont il est le témoin direct. Et il est en même temps le porte-paroles de Marius.
Les confidentes ne parviennent pas à ce statut de porte-paroles, Marcelle, à la scène 1 de l’acte IV en est un exemple. Elle pourrait renseigner Pompée sur les sentiments de sa maîtresse (vers 1025) :
Toy qui sçays tout ce que peut ton illustre Maistresse
Pourtant au vers 1069 :
Je sçay.. mais elle passe, et vient de chez son pere
Elle commence une phrase qui semble un dévoilement mais elle s’interrompt, et les points de suspension le marquent bien. Elle connaît parfaitement les sentiments de Cécilie pour Pompée (elle en eut l’aveu à la scène 3 de l’acte I) mais elle ne peut les exprimer, la confidente est témoin et auditrice de sentiments mais elle ne peut pas en informer les héros.
Le traitement du sentiment amoureux §
Historique §
Le sentiment amoureux est entré dans la dramaturgie française. Combiné à l’action principale, son statut a évolué, il entre en concurrence et parfois en conflit avec les sentiments de devoir, d’honneurs, avec des passions telles que l’ambition ou la haine... Les tragédies antiques laissaient peu de place à la passion amoureuse et nous l’avons constaté, c’est là que réside la principale invention de Boyer dans le cadre de son sujet. Depuis, le Moyen Âge et le XVIe siècle ont permis l’émergence de deux traditions. Dans les romans médiévaux, le héros accomplit exploits sur exploits pour obtenir sa dame et vient ensuite déposer ses conquêtes à ses pieds : il met ainsi son courage et sa valeur au service de son amour sans jamais se laisser dominer par celui-ci. Au côté de cette tradition chevaleresque, les « chaînes amoureuses » pastorales instaurent un traitement plus tendre, plus « galant » de l’amour. L’influence de l’Astrée d’Honoré d’Urfé, qui connut un fort succès, n’est pas négligeable ; les malheurs et les amours des bergers, leur sens de l’honneur et de la vertu préfigurent les actions de certains héros de la tragédie. À cela s’ajoute la mode de la tragédie galante autour de Quinault, Boyer, Du Ryer.
L’évolution de la tradition littéraire tient aussi à celle de la société. Après les cours chevaleresques et militaires d’Henri IV et de Louis XIII, la société versaillaise de Louis XIV a remplacé les armes par la joute des mots. S’y développent la galanterie, l’art de plaire, les raffinements de la politesse (voir le vers 303) et de la conversation précieuse.
Et lorsque Cécilie décrit Marius, c’est en ces termes :
En amour, l’amour même a soin de ses conquestes ;Il conduit tous ses pas, et preste à ses desirs,Les charmes les plus doux, les graces, les plaisirs,Les jeux les plus galans, la pompe des spectacles (vers 312-315) .
Voilà des qualifications plus proches de la cour louis-quatorzienne que d’un camp romain du premier siècle avant J.-C. en pleine guerre civile. Le goût du public s’est modifié, faisant un triomphe à L’Astrate de Quinault ou aux pièces de Thomas Corneille. Dans ce contexte, les dramaturges se souviennent de ces traditions mais aussi du théâtre de Corneille et du mélange de ses intrigues politiques et galantes. Racine quant à lui se laisse aussi tenter par la poésie galante, il suffit de lire Andromaque, parue deux avant le Jeune Marius. Nous retrouvons cette poésie amoureuse, cette rhétorique du tendre dans le Jeune Marius.
Une terminologie galante §
Le vocabulaire de la passion amoureuse avec lequel amants et amantes décrivent l’être aimé(e) utilise toute une série de moyens rhétoriques. Examinons quelques vers qui nous semblent plus particulièrement de style « galant » . Parmi les figures rhétoriques, l’oxymore souligne une contradiction intérieure au héros : « aimable inhumaine » employé par Pompée s’adressant à Cécilie est traditionnel (vers 1082) . Il joue sur le sens d’inhumaine : insensible à l’amour. Celle qui est insensible à l’amour est digne d’être aimée (sens fort d’aimable) mais elle fait souffrir le héros en ne répondant pas à cet amour. Elle garde l’initiative au dépend d’un héros qui est prêt à lui obéir. La même contradiction peut s’exprimer par des antithèses. Écoutons Marius définir l’influence de Cécilie sur lui, à la scène 1 de l’acte I :
Voy quel est l’ascendant d’une beauté si fiere.La voyant ma captive, à son premier aspectJ’en prends un peu d’orgueil et tremble de respect,Ses fers m’enflent le cœur, et sa beauté me brave ;J’ay le pouvoir d’un maistre et la peur d’un esclave ;Mais plus esclave encor que maistre en ce sejourCe que je tiens du sort cede aux droits de l’amour (vers 80-86) .
Dans les cinq derniers vers, construits en antithèses et coupés à l’hémistiche, est développé le thème du maître captif de sa maîtresse. L’accent est mis sur l’opposition entre maître et esclave : le « geôlier » de guerre devient captif de l’amante, celle-ci d’ailleurs désignée par des métonymies : « fers, beauté » . Remarquons le chiasme des vers 84 et 85 où « maître » et « esclave » s’entrecroisent. Cinq vers dont le thème est repris par Marius au vers 95 :
Sçache que sous le joug de ma belle captive,
et par Cécilie aux vers 1427-1428 :
Prisonniere de guerre au milieu de sa cour,Et sous les douces loix d’un prisonnier d’amour.
Cette image est fréquente dans la poésie du siècle. La relation entre Marius et Cécilie s’annonce donc galante, quoique ces propos ne soient pas tenus en présence de l’être aimé mais de confidents. Signalons enfin que cette relation rejoint celle de Pyrrhus et d’Andromaque. Nous y reviendrons.
Des personnages galants ? §
Ces occurrences d’un vocabulaire de la poésie galante se retrouvent dans les propos de Marius, Cécilie et Pompée : c’est-à-dire les trois personnages liés entre eux par la passion amoureuse que les deux jeunes gens vouent à Cécilie. Mais leur rapport à l’amour est différent. Nous examinerons dans un premier temps le personnage de Marius, héros galant, racinien ? , avant d’examiner ceux de Pompée et de Cécilie, plus cornéliens.
Marius est avant tout un guerrier féroce, à en croire Plutarque qui souligne à la fin de la Vie de Marius qu’il fit autant d’inhumanités que son père et qu’il n’hésita pas à accomplir des meurtres et des proscriptions. Rien de cela ici, nous l’avons déjà souligné. L’Histoire ne mentionne aucune intrigue amoureuse ; or ici, Marius agit en parfait amoureux ; il se présente au début comme un héros chevaleresque, prêt à combattre pour obtenir celle qu’il aime. C’était le cas avant la bataille de Préneste :
Pour vanger mon amour, j’imite sa fureur (vers 62) .
Mais la vue de Cécilie a suffi pour affaiblir l’esprit chevaleresque du héros et il avoue aux vers 99-104 :
Sçache enfin que je donne au seul soin de luy plaireTous les soins que je dois à combattre son pere :Depuis qu’elle est icy, pour servir ma valeur,Je ne retrouve plus ny mon bras ny mon cœur,Et toûjours possedé de mon amour extrêmeJe ne sçay rien qu’aimer auprés de ce que j’aime
Ces six vers marquent le passage vers un pseudo-héroïsme galant. Le combattant ne dépose plus rien aux pieds de sa maîtresse et ne peut plus combattre. Le « soin de lui plaire » s’oppose au soin du combat, le soin de l’amour prend le pas sur celui de la guerre. Le dernier vers quant à lui est parfaitement galant. Toute la première scène entre Marius et Maxime met en relief ces deux types de comportements : Marius dont le comportement est empreint de galanterie et Maxime, son compagnon d’armes qui tente de le ramener à son devoir. Quand Marius lui avoue ne plus pouvoir combattre paralysé par son amour, Maxime réagit violemment au vers 109-110 :
Ah, Seigneur, pensez-vous que ce soit un moyen,De meriter un jour, un cœur comme le sien ?
La même opposition se retrouve dans les propos de Marius lorsqu’à la scène 2 de l’acte II, il affirme à Cécilie :
Oüy, Madame, pour vous je renonce à ma gloire,Je renonce à l’espoir d’une illustre victoire (vers 259-260) .
et un peu plus tard, il annonce qu’il part combattre son père. Il oscille entre deux attitudes. La seconde risque de le mettre dans la situation de Rodrigue, ou de Rosiléon (L’Astrée) , et de lui faire perdre Cécilie, risque d’ailleurs souligné par celle-ci à la fin de la scène 3 de l’acte I (et au début de l’acte II) :
Peut-estre il fait perir mon pere ou mon Amant (vers 378) .
S’il choisit la deuxième attitude, il évite pourtant la situation de Rodrigue en épargnant son rival seulement parce que celui-ci est le père de son amante. Dans ces deux attitudes, Marius est prêt à tout sacrifier : son pouvoir de consul, sa victoire. Il va jusqu’à négliger sa sécurité en attaquant Sylla, qui l’assiège avec des forces supérieures en nombre. C’est ici un parfait comportement de héros galant semblable à celui de Pyrrhus prêt à se démunir de sa garde pour protéger le fils d’Andromaque. Comme Pyrrhus aussi il se dit captif de sa prisonnière. Boyer crée un personnage aveuglé par la passion, au point de n’avoir plus de pouvoir consulaire ou militaire, qui combat mais seulement pour obtenir satisfaction de son amour, pour qui le choix est entre vivre pour Cécilie ou mourir (vers 1526) .
Face à ce personnage galant, Pompée et Cécilie, s’ils reconnaissent aimer ne se laissent pas dominer par cette passion. Certes Pompée avoue une certaine faiblesse, au vers 1058 :
J’en ay presque oublié Rome et la gloire mesme.
Toute la différence entre Marius et Pompée est justement dans ce « presque » . Pompée n’oublie pas où est sa gloire. Et son amour loin de paralyser son bras, l’a armé :
J’ay vaincu l’ennemy, sans qui Rome aux aboisAlloit perdre en un jour le fruit de tant d’exploits,Et mesme j’ay vaincu, pardon chere patrie,Peut-estre seulement pour gagner Cecilie (vers 1039-1042) .
C’est un parfait galant héroïque, accomplissant un acte de bravoure. Le héros ne se laisse pas dominer par son amour, car « il n’y a pas d’âme si faible qu’elle ne puisse étant bien conduite acquérir un pouvoir absolu sur ses passions » (Descartes, Passions de l’âme, article 152) . La volonté peut tout, le héros règle ses sentiments par la force de sa volonté. Pompée est proche des héros cornéliens tendant vers une passion plus grande que l’amour : la gloire. La gloire, ce serait d’être en accord avec ce que l’on attend du héros : courage, honneur, refus du compromis. C’est en son nom que les deux héros refusent la trahison et le parjure demandés par Sylla, et que Cécilie se révolte brisant la loi implicite de l’obéissance.
Deux types d’amoureux entourent Cécilie, le galant et le galant héroïque. Cécilie à la scène 3 de l’acte II décrit ses deux amants à ses confidentes. De Marius, elle souligne l’éloquence du regard et des propos. Les vers 311-312 sont significatifs :
Si Mars luy tient toûjours ses palmes toutes prestes,En amour, l’amour même a soin de ses conquestes
La proposition principale met l’accent sur l’amour, la valeur guerrière est en subordonnée, la domination de l’amour est ici soulignée par la syntaxe même. De Pompée, au contraire, Cécilie souligne les valeurs héroïques, en le comparant aux plus grands de Rome et elle insiste aussi sur son désintérêt pour la galanterie :
Ne cherche point en luy l’amoureuse tendresse,Que j’aime en Marius et qu’il nomme foiblesse (vers 335-336) .
Puisque pour eux « le plaisir de la gloire est le plus grand de tous » (vers 354) , il leur est naturel de sacrifier l’amour au nom de la gloire. Puisque pour Marius, l’amour est premier, il est logique qu’il recherche le bien de celle qu’il aime. Et tous trois renoncent à leur amour, mais avec des motivations différentes.
Le renoncement à la personne aimée §
Le renoncement à la personne aimée est un thème récurrent dans la dramaturgie classique. À en croire Guichemerre18 :
On voit non seulement un amant renoncer à sa maîtresse ou une femme quitter l’homme dont elle est éprise mais même le galant s’effacer devant un rival ou l’amoureuse marier son amant à une autre femme.
Ces deux étapes se trouvent dans le Jeune Marius où l’enjeu du mariage est présent. À qui Cécilie sera-t-elle mariée ? C’est une tragédie matrimoniale où l’on voit une jeune fille renoncer à celui qu’elle aime, contrevenant à l’ordre paternel, au nom de l’honneur et du devoir et parvenir à convaincre son amant d’en faire autant. Et où voit Marius sacrifier son amour pour assurer le bonheur de Cécilie au point même de la confier in fine à son rival. Pourquoi ces renoncements ?
Au-delà même de l’honneur et du respect du traité, c’est à une dette de reconnaissance que Cécilie se réfère pour justifier son choix à Pompée comme à Sylla. Elle s’en justifie en disant à son père aux vers 1671-1672 :
Cet amour genereux veut enfin malgré vousPayer à Marius ce qu’il a fait pour nous
Les motivations de Pompée sont semblables ; bien de Rome, respect des valeurs romaines et des traités. Ces motivations sont en conformité avec le caractère tout cornélien de ces héros.
Marius quant à lui accepte par trois fois (Acte II, scène 2 et Acte V, scènes 2 et 10) de sacrifier son amour et de donner Cécilie à Pompée pour respecter les sentiments de Cécilie et assurer son bonheur :
S’il est vostre tyran, dois-je l’estre à mon tour ?Et s’il est sans pitié, dois-je estre sans amour ? (vers 669-670) .
Son dernier geste et ses derniers propos sont pour Cécilie qu’il confie à Pompée en leur souhaitant de vivre heureux (vers 1747-1750) . Ce geste d’un mourant s’inscrit dans une longue tradition : on le retrouve dans L’Astrée lorsque Thersande mourant, ayant permis à Madonte de retrouver Damon souhaite :
O Madonte ! et ô Damon ! soyez contents, et vivez ensemble à longues années avec toutes sortes de repos et de bonheur (livre 12 de la 3e partie19) .
Quoique généreux et héroïques, les héros ne s’en aiment pas moins, leur décision est alors une source de souffrance. Malgré leur volonté, il laisse s’exprimer leur souffrance, comme le prouve par exemple cet échange entre Cécilie et Pompée aux vers 1149-1150 :
CECILIE.Ah ! Seigneur, vous devez faire cesser ce trouble.POMPEE.Ah, plus je le combats, plus je sens qu’il redouble.
Dans tous les cas, les héros et l’héroïne sacrifient leur amour pour des valeurs supérieures, gloire et honneur en particulier. Avec la mort de celui qui figure le plus la galanterie et avec l’affirmation des valeurs héroïques, nous assistons à une victoire de la générosité, du devoir sur la passion. Cela nous confirme que cette tragédie est héroïque et sanglante mais admet la description de comportements galants appréciés par le public.
De la République à la Dictature §
Lorsqu’on met sur la scène un simple intrigue d’amour entre des rois et qu’ils ne courent aucun péril ni de leur vie ni de leur État, je ne crois pas que bien que les personnes soient illustres, l’action le soit assez pour s’élever jusqu’à la tragédie. Sa dignité demande quelque grand intérêt d’État [...] (Corneille, Discours de l’utilité et des parties du poëme dramatique)20.
Quoiqu’il n’y ait aucun roi, le problème du détenteur du pouvoir est posé, le consul Marius est en danger et avec lui les institutions de la République. Nous avons compris dans notre chapitre sur la construction de la tragédie que l’action principale est constituée par la mort de Marius après le siège de Préneste. L’antagonisme politique déjà important est encore renforcé par la prise du pouvoir dictatorial par Sylla. Cet « embellissement » étroitement lié à l’action principale y intègre l’enjeu de péril d’État, c’est-à-dire le risque de perte de l’État : la ruine des institutions de la République et la mort de leur garant et représentant. Ce péril d’État constitue le « grand intérêt d’État » que nous nous proposons d’étudier ici.
Rappel historique §
Rappelons rapidement la situation de l’État. Rome en 82 avant J.-C. est en République, dirigée par deux consuls : Marius et Carbon. Depuis 88 environ, la République est secouée par une guerre civile qui opposa Sylla à Marius le Grand, puis à sa mort en 86, à son fils qui devient consul en 82, année pendant laquelle Sylla vainc ses armées à Sacriport. Marius se réfugie dans Préneste. La pièce s’ouvre donc en plein milieu d’une guerre civile avec un héros enfermé par les troupes d’un autre personnage. La pièce s’ouvre en République avec un pouvoir légitimement détenu et se ferme en dictature avec un pouvoir illégitime. Avant d’étudier les modalités de ce changement de régime, deux définitions : le consulat est une magistrature suprême permanente dans laquelle deux nouveaux consuls élus chaque année sont chargés des affaires publiques et des armées. La dictature est une magistrature exceptionnelle, délégation de pleins pouvoirs en cas de vacance du pouvoir consulaire, sur décision du Sénat et pendant un temps limité.
Le refus du consulat §
La volonté de Sylla de prendre le pouvoir s’accompagne d’un refus du pouvoir consulaire. Il refuse un pouvoir réparti entre deux hommes :
Je renonce à jamais au Consulat RomainQui divise ou confond le pouvoir souverain.Deux chefs associez tous deux cessent de l’estre,Et l’un et l’autre enfin n’est ny Sujet ny Maistre (vers 953-956) .
Sylla stigmatise ici ce qu’il juge être la faiblesse du régime : deux chefs. La meilleure solution est alors selon lui de concentrer les pouvoirs dans les mains d’un seul. Un pouvoir partagé est mauvais car les prises de décision sont subordonnées au choix de l’autre consul. Le refus du consulat s’appuie ici sur le refus du partage du pouvoir qui limite les décisions. Sous le couvert d’une conception monarchique s’exprime déjà la libido dominandi qui caractérise Sylla dans ses actes. Le pouvoir consulaire est inefficace. C’est la même efficacité que Cinna met en cause, mais pour des raisons différentes :
Ces petits souverains qu’il [le peuple] fait pour une année,Voyant d’un temps si court leur puissance bornée,Des plus heureux desseins font avorter le fruit,De peur de le laisser à celui qui les suit (Cinna, Acte II, scène 1, vers 513-516) .
Supprimer le principe du double pouvoir, constitutif de la République revient à détruire le régime lui-même. Mais cela n’est possible que si le régime est en difficulté. Or, depuis six ans que dure la guerre civile à laquelle les luttes permanentes contre les voisins italiens s’ajoutent, la République se dissout apportant ainsi par sa faiblesse la possibilité de sa destruction.
Les faiblesses du régime §
Deux menaces pèsent sur la République : la menace extérieure des Samnites et la menace intérieure, la guerre civile.
Les voisins italiens samnites menés par Télésinus leur chef, accourent pour aider Marius. Ne pouvant atteindre Préneste, ils continuent leur route jusqu’à la Porte Colline. D’où cette information de Maxime :
[Télésinus]Est aux portes de Rome, et par un grand secoursAux fureurs de Sylla vient arracher vos jours (vers 13-14) .
Représentant un danger pour Rome, quoiqu’à l’extérieur du huis clos, il participe indirectement à l’action. Libérer la capitale de son emprise et en même temps de celle des marianistes constitue la mission de Pompée, mission qui une fois accomplie devient un bouleversement de l’action (acte III) . Pour Marius et malgré son refus, Télésinus venant à son aide peut devenir un allié potentiel dans une guerre fratricide, d’où ce reproche de Cécilie aux vers 141-142 :
Un Romain, un Consul appelle l’Etranger,Et met Rome en péril afin de se vanger ?
C’est cette guerre civile entre marianistes et syllaniens qui porte le coup fatal au régime : luttes intestines qui dépassent l’affrontement du Jeune Marius et de Sylla. Marius se présente comme le successeur de son père au consulat comme à la tête des armées :
Et de mon pere mort devenu successeur,Pour vanger mon amour, j’imite sa fureur.Sylla revient d’Asie enflé d’heur et de gloire,Tout mon party s’ébranle au bruit de sa victoire (vers 61-64) .
Quant à Sylla, c’est bien au père que va sa haine au travers du fils :
Je pouvois écouter cette haine invincibleQui rend avec mon sang le vostre incompatible (vers 1309-1310)
ou encore au vers 1313 : « haine hereditaire » .
Après six ans de luttes fratricides, les institutions ont pu se maintenir mais non l’esprit et les valeurs. Avant même sa disparition, le consul a déjà perdu tout pouvoir. Non content d’affirmer sa suprématie militaire, Sylla donne des ordres à Marius, a envoyé Pompée à Rome... tandis que Marius ne prend aucune décision au nom de son pouvoir. Le consul est dépossédé d’une partie de son pouvoir, quant aux acteurs politiques de la République, le Sénat et le deuxième consul ; ils sont totalement absents. Les structures du régime sont perverties, sa destruction se concrétise par la mort de l’un et la dictature de l’autre.
Prendre le pouvoir... §
Historiquement, la mort du consul a laissé le pouvoir vacant, se pose alors le problème de sa succession et de la légitimité de son successeur. F. Hinard21 raconte que constatant cette vacance du pouvoir, Sylla propose au Sénat d’instituer une dictature. Le Sénat lui accorde les pleins pouvoirs. Plutarque indique juste : « Il se déclara dictateur » dans la Vie de Sylla (LXVIII) . Le Sénat intervenant ou pas, la dictature intervient toujours comme conséquente à la mort du consul.
Or, à la lecture du Jeune Marius, une constatation s’impose : point besoin de Sénat, point besoin d’attendre la vacance du pouvoir. Marius est toujours présent quand Sylla organise son pouvoir. Il affirme à plusieurs reprises sa volonté, avec un crescendo. Il le dit d’abord à Pison :
Je veux, (et ce dessein possede tout mon cœur)Rétablir hautement le nom de Dictateur (vers 949-950) ,
puis à Pompée au vers 1008 :
Je m’en vay prendre au Camp le nom de Dictateur.
Cela devient un coup d’État. Cette déclaration ne serait qu’une menace sans effet si elle n’était appuyée par des actes et des décisions précises. Car il ne suffit pas de déclarer prendre le pouvoir pour le détenir. S’organise alors la montée vers la dictature.
Tout d’abord, en s’efforçant que ce titre vienne couronner un état de fait que Pompée ne peut qu’admettre, au vers 1010 :
Non, puisque vous avez tout le pouvoir qu’il donne.
Seul le consul pourrait contester ce pouvoir mais Marius lui-même ne peut que constater :
Qu’ayant sceu parvenir jusqu’à la Dictature,Tes sermens violez, et mon espoir trompéSeroient le digne essay d’un pouvoir usurpé (vers 1294-1296) .
La reconnaissance de ce fait est marquée dans la récurrence du terme : « tyran » qui intervient 7 fois à propos de Sylla (sur 10 fois) dans la tragédie. Le tyran en français d’après les définitions données par Furetière dans son Dictionnaire est « celui qui use de violence et de cruauté » mais aussi « celui qui s’est emparé par la violence de la puissance souveraine » . Or, dans les premières scènes, le terme est employé au premier sens signifiant déjà la cruauté comme trait de caractère de Sylla. Il prend peu à peu le second sens au fur et à mesure de ses déclarations. Son utilisation dès le vers 34 est significative, c’est une des premières caractérisations du personnage et déjà la cruauté et la volonté de pouvoir sont suggérées. Les lecteurs ne peuvent être surpris devant le comportement de ce personnage qualifié de tyran à plusieurs reprises.
Sa légitimité s’appuie dans un premier temps sur un fait accompli auquel s’ajoute l’usurpation du pouvoir et le parjure. Les « sermens violez » participent de cette prise de pouvoir. Sylla change sur le mariage de sa fille et bien au-delà sur les termes d’un traité qui scellait la paix. La violation de la promesse est déjà un acte de tyran, personnage sans parole et qui en change selon ses intérêts propres. La violation du serment est un acte réprouvé par les dieux. Non seulement Sylla cherche sa légitimité dans la puissance et la violence des déclarations et des armes mais il ne craint pas non plus de se montrer sacrilège et même blasphémateur, affirmant que Jupiter est bien trop occupé pour se préoccuper des parjures :
Et ce Dieu que l’on fait le vengeur du sermentAbsout l’ambitieux aussi bien que l’Amant (vers 921-922) .
Sylla utilise tous les moyens possibles. Pour que l’état de fait soit irréfutable, il ne faut pas laisser le temps de la réaction, dès la scène 4 de l’acte III, c’est-à-dire une scène après la victoire de Pompée, Sylla annonce à Pison sa décision de rétablir la dictature et, une scène plus tard, il l’annonce à Pompée. Il a suffi de moins d’un acte depuis son entrée en scène. C’est donc immédiatement que la décision de changer de régime est prise. Il utilise l’usurpation du pouvoir, la trahison, le parjure et la dissimulation. Or souligne Machiavel22 « tuer ses concitoyens, trahir ses amis, n’avoir point de foi, de pitié, de religion » permet de parvenir et de se maintenir au pouvoir. La monarchie est ici comprise au sens étymologique de pouvoir personnel d’un seul. Faut-il y voir une influence de Machiavel ? Peut-être mais n’oublions pas que si les thèmes ont été repris dans les tragédies du siècle, ce n’est jamais ouvertement car la monarchie décrite par Machiavel ne peut être considérée dans la France monarchique du XVIIe siècle que comme une tyrannie.
À tout cela s’ajoute en plus la lâcheté de Sylla qui ordonne à sa fille de trahir Marius en refusant son hymen et qui insiste par exemple au vers 840 :
Epargne-moy l’affront de paroistre infidelle.
Malgré la différence des circonstances, nous retrouvons la même méthode dans Britannicus où Néron demande à Junie au vers 671 (Acte II, scène 3) :
De son bannissement prenez sur vous l’offense.
Il s’agit pour les deux tyrans d’éviter de paraître criminel pour ne pas risquer de réactions de la part du héros (Sylla vient d’être vaincu par Marius) , et pour décharger leur responsabilité sur une jeune fille sur laquelle ils ont autorité comme père pour Sylla et comme « geôlier » pour Néron. L’un comme l’autre sont tyranniques dans leurs propos avant de l’être en provoquant la mort du héros, et ces ordres annoncent implicitement celle-ci.
Enfin derniers traits de caractère nécessaire pour s’imposer dictateur : la cruauté et une passion du pouvoir supérieure à n’importe quelle autre, une libido dominandi démesurée. Cruel, Sylla l’est lorsqu’il n’hésite pas à condamner l’un des deux héros et à laisser le choix à sa fille. La situation dans laquelle est placée Cécilie rejoint celle de Pulchérie dans Héraclius. Phocas tyran usurpateur du trône d’Orient ne sachant pas qui entre Héraclius et Martian est son fils et qui est le fils de l’empereur Maurice assassiné demande à Pulchérie, fille de ce même empereur :
Trouve ou choisis mon fils, et l’épouse sur l’heure ;Autrement si leur sort demeure encore douteux,Je jure à mon retour qu’ils périront tous deux (Acte V scène 4) .
Pulchérie se trouve confrontée à un choix cruel : l’inceste ou l’entrée dans la famille du meurtrier de son père ou la mort de ses deux amants. Le pouvoir du tyran se manifeste par le droit de vie et de mort qu’ils peuvent et veulent exercer sur les héros. Sylla menace la vie des deux héros reconnaissant que :
Mon nouveau rang demande un nouveau sacrifice ;Il faut que l’un me serve et que l’autre perisse,De l’un je veux l’hymen, et de l’autre la mort (vers 1177-1179) .
Quant à la libido dominandi, elle va de pair avec un incommensurable orgueil, une démesure dans les propos et une très grande ambition. Son orgueil et son ambition se montrent dans certains propos comme lorsqu’il ordonne à sa fille aux vers 864-865 :
[...] n’aime, ne hay, n’espere,Qu’autant qu’à ma grandeur il sera necessaire
et il n’accepte ni que Marius s’élève au-dessus de lui par son geste généreux ni que Pompée par sa victoire ait acquis une force et une aura militaires importantes. Ainsi le pouvoir est pris par la force des ordres et des tromperies. La dictature une fois établie, il lui faut en garantir la longévité et la stabilité et s’y maintenir.
... Et s’y maintenir §
Il y a deux moyens de garder le pouvoir : par un acte de clémence comme Auguste dans Cinna, ou par la contagion des crimes dans la tyrannie comme Néron dans Britannicus. La prise de pouvoir de Sylla rejoint la seconde méthode, et pour se maintenir à ce pouvoir, il n’hésite pas à poursuivre dans sa cruauté. Car comme le constatait Sénèque dans le De Clementia (III, 11, 2) :
Parmi tous les inconvénients de la cruauté, le pire de tous, dirai-je, est qu’il faut persévérer et que tout retour à des pratiques meilleures est impossible, c’est par le crime qu’il faut soutenir le crime.
Ainsi il n’est pas étonnant que Sylla soit entraîné dans toujours plus de crimes. Difficile de ne pas trouver ceci dans les vers 1773-1774 :
Cependant pour combler ses remors et ses crimesIl cherche à s’immoler mille et mille victimes.
Le récit que Pompée horrifié retrace de la fureur sanguinaire de Sylla insiste sur la contagion du crime. Sylla se livre à des meurtres dans la ville de Préneste, la dernière scène nous indique ensuite que Sylla est prêt à partir pour Rome. Il commence par menacer de mort les deux héros puis une ville entière et enfin la ville principale : Rome, la capitale et le symbole de l’État dans son ensemble. Dans ses propos, Pompée associe les crimes et la conscience que Sylla en a : ses remords. Il échappe à ses remords par toujours plus de sang. Et le sang appelle le sang.
De même Agrippine accusera Néron :
Tes remords te suivront comme autant de furies ;Tu croiras les calmer par d’autres barbaries ;Ta fureur s’irritant soi-même dans son cours,D’un sang toujours nouveau marquera tous les jours (Britannicus, Acte V, scène 6, v. 1683-1686) ,
et Burrhus le fait remarquer lui aussi au vers 1344 (Acte IV, scène 3) :
Il vous faudra, Seigneur, courir de crime en crime.
Le coup d’État de Sylla lui permet de partir pour Rome à la dernière scène avec le titre et le pouvoir de dictateur. Il s’est imposé par la violence des sentiments et de ses ordres. Quoique ce pouvoir soit un fait extérieur à la conclusion du siège de Préneste, la mort du consul est ici liée à la soif de pouvoir de Sylla. Cela en fait une tragédie politique.
Le texte de la présente édition §
Il n’existe qu’une seule édition du Jeune Marius, éxécutée en 1670 par Gabriel QUINET. [B.N. Y.f. 6545] , format in 12º.
LE JEUNE MARIUS. / TRAGÉDIE. / Par Monsieur Claude BOYER. / (vignette) / A PARIS, / Chez GABRIEL QUINET, dans la / Gallerie des Prisonniers, à l’Ange Gabriel. / M. DC. LXX. / AVEC PRIVILEGE DU ROY.
Deux exemplaires de la même édition sont aussi disponibles à la bibliothèque de l’Arsenal (la première est une édition collective) , [80 BL 12920, 3] et [RF 5644] .
Pour l’établissement du texte, nous avons suivi la leçon de cette unique édition. Néanmoins, nous avons effectué quelques rectifications pour une meilleure lecture du texte.
- – Nous avons distingué i et u voyelles de j et v consonnes, conformément à l’usage moderne.
- – Nous avons décomposé les voyelles nasales surmontées d’un tilde en voyelle + consonne.
- – Nous avons décomposé la ligature ; en « et » .
- – Nous avons ajouté au vers 1592 l’accent diacritique de « où » relatif pour le distinguer de la conjonction.
- – Nous avons respecté la ponctuation d’origine, sauf lorsqu’elle nous paraissait erronée (cf. liste des rectifications) . La présence de signes de ponctuation faible (virgules, souvent à l’hémistiche..) dans les textes de théâtre répondait à des besoins rythmiques plus que syntaxiques dus à la déclamation sur scène.
- – Nous avons rajouté des traits d’union lorsqu’il manquait dans des phrases interrogatives, ou dans certains mots comme « peut-estre » .. Nous signalons entre autres les vers 180, 430, 859, 913, 1028, 1066, 1147, 1329.
- – Nous avons corrigé quelques erreurs manifestes. (cf. liste des rectifications ci-dessous) .
Cette tragédie est entièrement en alexandrins. Cependant les vers 955, 1558 et 1600 ne possèdent que onze syllabes, nous avons corrigé afin de rétablir le rythme métrique, nous renvoyons à leurs notes respectives.
Liste des rectifications §
VERS 49 la / 80 fier / 263 Preneste : / 350 un / 441 denoit / 509 jout / 571 cœut / 593 OÜy / 728 demande / 730 t’a / 887 qu’à / 892 Rome. / 957 vient / 1040 exploits ; / 1043 main ; / 1108 donnne / 1161 denoit / 1190 zelé / 1226 au choix / 1227 screet / 1239 devez / 1272 ma / 1281 sans / 1297 moy / 1304 innnocemment / 1320 secourit / 1468 pouvez / 1497 veur / 1535 une / 1556 contenr / entre 1557-1558 SABINE / 1557 Marcelle / 1564 Seigneur. / 1618 que / 1725 Qu’est-ce. / 1728 comme, /
LE JEUNE MARIUS. TRAGEDIE. §
A Monseigneur colbert. Ministre et secretaire d’Estat23. §
Monseigneur,
Quelque impatience que j’eusse de vous donner des marques publiques de ma reconnoissance au nom de toutes les Muses en general, et de la mienne en particulier, quoy que j’en fusse sollicité par la bonne *fortune de quelqu’une de mes Pieces qui ont precedé celle-cy, j’ay senty mon devoir arresté par une juste defiance et par une crainte respectueuse. Mais enfin ne pouvant plus diferer de satisfaire à ma gratitude, j’ay ramassé toutes mes forces avant que d’entreprendre l’ouvrage que je vous destinois, j’ay pris la Scene la plus magnifique, j’ay choisi un des Heros de l’ancienne Rome, et pour vous le rendre plus agreable, j’ay tâché de le representer avec quelques-uns de ces traits, que nous admirons dans vostre incomparable Heros, Je parle de nostre grand Roy24, qui rassemble en luy seul tout ce que l’Histoire a de plus incroyable et de plus merveilleux. Plein d’une si haute idée, et soustenu par la dignité de mon sujet, je vous ay consacré mon travail avant que de le commencer ; J’ay envisagé toute la gloire que je pouvois attendre de vostre approbation ; J’ay invoqué avec plus de ferveur que jamais le Dieu qui nous inspire, et je me suis dit sans cesse, qu’ayant esté choisi pour estre un des sujets des gratifications du Roy25, je devois soustenir , ou plûtost justifier un choix si honorable. C’est avec ce grand secours, MONSEIGNEUR, que j’ay travaillé assez heureusement : quoy que la *fortune et la cabale se meslent aujourd’huy de faire le bon et le mauvais destin des ouvrages du Theatre26, celuy que je vous ay consacré n’a pas succombé sous leur injustice. Ce n’est que vous, MONSEIGNEUR, que j’ay lieu d’apprehender, quand je l’expose à vos yeux : je sçay que rien n’échape à la penetration de vostre esprit, et que vous possedez le precieux talent de juger finement de toutes choses : Je sçay que c’est de cette idée generale, que vous avez du beau et du parfait que se répandent sans cesse de nouvelles beautez et de nouvelles lumieres sur tous les Arts et sur toutes les Sciences27 : C’est de là que vient ce grand amour que vous avez pour elles, ces soins continuels et cette magnifique protection, dont vous honorez l’empire des belles Lettres, au milieu de ces grandes occupations que vous donnez avec une application étonnante et sans exemple à la premiere Monarchie de la terre. Que j’aurois de choses à dire, MONSEIGNEUR, sur un si vaste sujet, et qu’il seroit doux à une ame reconnoissante comme la mienne de s’abandonner à la loüange de son bienfaicteur ! Mais je sçay trop quelle est la delicatesse de vostre modestie, et avec quelle discretion il faut manier toutes les matieres qui regardent vostre gloire. Agréez au moins, MONSEIGNEUR, que je laisse échaper devant vous une louange qui est dans la bouche de tout le monde.
Je n’entreray point dans le détail et dans la preuve de toutes ces merveilles, le témoignage que le Roy en rend tous les jours par sa propre bouche, vaut mieux que tous nos eloges ; ces glorieuses veritez sont assez confirmées par les solides marques que sa Majesté vous donne continuellement de son estime, et par les nouvelles dignitez dont il recompense vos travaux. Je suis avec un profond respect,
MONSEIGNEUR,
Vostre tres-humble, tres-obeyssant
et tres obligé serviteur,
BOYER.
Acteurs. §
ACTE I. §
SCENE PREMIERE. §
MARIUS.
MAXIME.
[p. 2]MARIUS.
MAXIME.
MARIUS.
MAXIME.
MARIUS.
MAXIME.
MAXIME.
MARIUS.
MAXIME.
MARIUS.
MAXIME.
MARIUS.
SCENE II. §
CECILIE.
MARIUS.
CECILIE.
MARIUS.
CECILIE.
MARIUS.
CECILIE.
MARIUS.
CECILIE.
MARIUS.
CECILIE.
MARIUS.
CECILIE.
MARIUS.
CECILIE l’arrestant.
MARIUS.
CECILIE.
MARIUS.
CECILIE.
MARIUS.
CECILIE.
MARIUS.
SCENE II. §
MARCELLE.
CECILIE.
SABINE.
CECILIE.
[p. 14]SABINE.
CECILIE.
SABINE.
CECILIE.
SABINE.
CECILIE.
ACTE II. §
SCENE PREMIERE. §
CECILIE.
MAXIME.
CECILIE.
MAXIME.
CECILIE.
MAXIME.
CECILIE. bas.
MAXIME.
SCENE II. §
MARIUS.
CECILIE.
MARIUS.
CECILIE.
MARIUS.
CECILIE.
MARIUS.
CECILIE.
SCENE III. §
MARIUS.
PISON.
MARIUS.
PISON.
MARIUS.
CECILIE. bas.
MARIUS.
CECILIE.
MARIUS.
CECILIE.
MARIUS.
CECILIE.
MARIUS.
CECILIE.
MARIUS.
CECILIE.
MARIUS.
CECILIE.
MARIUS.
ACTE III. §
SCENE PREMIERE. §
marius.
SYLLA.
MARIUS.
SYLLA.
MARIUS.
SYLLA.
MARIUS.
SYLLA.
MARIUS.
SYLLA.
MARIUS.
SCENE II. §
SYLLA. bas.
CECILIE.
SYLLA.
CECILIE.
SYLLA.
CECILIE.
SCENE III. §
OCTAVE.
SYLLA.
CECILIE.
SYLLA.
CECILIE.
SYLLA.
CECILIE.
SYLLA.
CECILIE.
SYLLA.
CECILIE.
SYLLA.
CECILIE.
SYLLA.
SCENE IV. §
SYLLA.
PISON.
SYLLA.
PISON.
SYLLA.
PISON.
SYLLA.
PISON.
SYLLA.
SCENE V. §
SYLLA continuë.
POMPEE.
SILLA.
POMPEE.
SILLA.
POMPEE
SILLA.
POMPEE.
SILLA.
POMPEE.
SILLA.
ACTE IV. §
SCENE PREMIERE. §
MARCELLE.
POMPEE.
MARCELLE.
POMPEE.
MARCELLE.
[p. 46]POMPEE.
MARCELLE.
POMPEE.
MARCELLE.
POMPEE.
SCENE II. §
CECILIE.
POMPEE.
[p. 48]CECILIE.
POMPEE.
CECILIE.
[p. 49]POMPEE.
CECILIE.
POMPEE.
CECILIE.
POMPEE.
POMPEE.
CECILIE.
POMPEE.
CECILIE.
POMPEE.
CECILIE.
POMPEE.
SCENE III. §
SILLA.
CECILIE.
SYLLA.
CECILIE.
SILLA.
CECILIE.
SILLA.
CECILIE.
SILLA.
CECILIE.
SYLLA.
[p. 55]CECILIE.
SILLA.
CECILIE. en s’en allant.
SCENE IV. §
PISON à SILLA.
SYLLA.
PISON.
SCENE V. §
MARIUS.
SILLA.
MARIUS.
SYLLA.
MARIUS.
SYLLA.
MARIUS.
SCENE VI. §
SYLLA seul à PISON.
ACTE V. §
SCENE PREMIERE. §
MARCELLE.
CECILIE.
MARCELLE.
CECILIE.
MARCELLE.
CECILIE.
MARCELLE.
CECILIE.
MARCELLE.
CECILIE.
[p. 66]MARCELLE.
CECILIE.
SCENE II. §
MARIUS.
CECILIE.
MARIUS.
CECILIE.
MARIUS.
CECILIE.
MARIUS.
CECILIE.
MARIUS.
CECILIE.
MARIUS.
CECILIE.
MARIUS.
CECILIE.
SCENE III. §
CECILIE continuë.
MARCELLE.
CECILIE.
SCENE IV. §
CECILIE.
POMPEE.
CECILIE.
POMPEE.
CECILIE.
POMPEE.
SCENE V. §
SILLA.
CECILIE.
SYLLA. à part.
CECILIE.
SILLA.
POMPEE.
SYLLA.
CECILIE.
SYLLA.
SCENE VI. §
PISON.
SYLLA.
PISON.
SYLLA.
SCENE VII. §
POMPEE.
CECILIE.
POMPEE.
CECILIE.
SCENE VIII. §
SABINE.
CECILIE.
SABINE.
CECILIE.
SCENE IX. §
CECILIE.
MARCELLE.
CECILIE.
MARCELLE.
CECILIE.
SCENE X. §
CECILIE.
POMPEE.
POMPEE.
SCENE DERNIÈRE. §
PISON.
CECILIE.
FIN.
extrait du privilege du roy. §
Par Grace et Privilege du Roy, donné à Paris le 24. jour de Mars 1669. Signé, DALANCE, il est permis à G QUINET, de faire imprimer, vendre et debiter un Livre intitulé le Jeune Marius, Tragedie, durant le temps et espace de sept années, entieres et accomplies, à compter du jour qu’il sera achevé d’imprimer pour la premiere fois, en vertu du present Privilege. Et defenses sont faites à tous autres, de quelque qualité et condition qu’ils soient, d’imprimer ou faire imprimer ladite Piece, sur peine de confiscation des Exemplaires, et de tous dépens, dommages et interests, ainsi qu’il est plus amplement porté par ledit Privilege.
Registré sur le livre de la Communauté des Marchands Libraires et Imprimeurs de cette ville de Paris, le 26.Mars 1669. suivant l’Arrest du Parlement du 8.Avril 1653.
A. SOUBRON, Syndic.
Achevé d’imprimer pour la premiere fois le 28.Mars 1669.
Lexique §
Les citations sont issues du Dictionnaire de FURETIÈRE. Nous avons seulement relevé ici les sens spécifiques au XVIIe siècle. Les références aux vers sont notées entre parenthèses.
Appendice §
Lettre à Madame du 2 février 1669 (vers 54-109)
Par Charles ROBINET.
Tandis que je parle d’EcrisEt d’Ouvrages de beaux Espris,il est bien juste que je dieQuelque mot de la TragédieQui présentement, à l’HÔTEL,Ravit maint notable Mortel,Puisque vraiment on y remarqueInfinité de Gens de marque ;C’est le jeune et grand MARIUS,Poëme si beau que rien plus,Dont Boyer, qui sur le ParnasseDepuis si long-temps tient sa Place,Est le digne et louable Auteur,Et dont vous avez vû, Lecteur,Tant d’autres fameux Dramatiques,Galans, Comiques et Tragiques.C’en est assez dire à son los,Et c’est, je pense, en peu de motsFaire voir, sans nul vain langage,Le mérite de cét Ouvrage,Laissant aux Juges importansDe tous les Ecrits de ce tempsA rendre sur ce leur Sentence,Dessous laquelle, en conscience,Tous les autres aveuglementCaptiveront leur Sentiment.Mais de la TROUPE, je dois direQu’à l’ordinaire l’on admireEn ce Sujet tragique-là ;Que la FLEUR, lequel fait SYLLA,Soûtient trés-bien le CaractéreDe ce Tyran si sanguinaireEt pire qu’un Olibrius ;Que FLORIDOR, de MARIUS,Fait aussi le Rôle à merveille,ID EST, de façon nompareilleEt tout ainsi qu’un rare ActeurDont chacun est admirateur ;Que HAUTE-ROCHE y représente,De maniére encor fort galante,POMPÉE, autre jeune Héros,Et qu’enfin, avec un grand los,DENNEBAUT, leur jeunette ACTRICEEt des cœurs franche tentatricePar ses Attraits délicieux,Fait son Personnage des mieux,Ou bien celui de CÉCILIE,Pour qui beaucoup l’on se soucie,Pour l’étrange embarras d’amourDans lequel, chacun à son tour,Pompée et Marius la mettent.Mais que les Lecteurs me permettentDe trancher tout court là-dessus,afin qu’allans voir MARIUS,Ils ayent ce que le plus je prise :Le doux plaisir de la Surprise.