[Par le sieur de Brécourt]
M. DC. LXXIV. AVEC PRIVILEGE DU ROY.
Édition critique établie par Marie-Astrid Lechat sous la direction de Georges Forestier (2006)
Introduction générale §
Après la mort de Molière en 1673 la comédie semblait être hantée par sa mémoire. Non seulement ses pièces continuèrent pour quelques années à constituer le principal élément dans le répertoire de ses compagnons, mais aussi on chercha à ramener ses personnages sur la scène comme le firent Brécourt (dans L’Ombre de Moliere), Champmeslé (dans Les Fragmens de Moliere), ou encore Thomas Corneille, à la demande d’Armande Béjart, veuve de Molière, il est vrai, avec la réécriture en vers du Festin de Pierre. Beaucoup d’autres auteurs imitèrent Molière et sa mémoire était si forte que Dufresny fit déclarer par un personnage de son Négligent en 1692 qu’il était difficile d’écrire une comédie car elle serait considérée soit comme une imitation médiocre de Molière soit comme une pièce qui, ne l’ayant pas imité, serait par conséquent sans valeur. Néanmoins, beaucoup s’y essayèrent et tentèrent d’associer à la fois imitation et innovation.
Comme il était difficile d’accepter le fait qu’après février 1673 il n’y aurait plus de nouvelles comédies écrites de la main de Molière, les trois auteurs cités plus haut cherchèrent à capitaliser sa popularité dans des pièces écrites en son honneur, reproduisant de célèbres scènes qu’il avait composées ou rendant possible la représentation d’une œuvre interdite. Assez étrangement, ce fut la troupe rivale, celle de l’Hôtel de Bourgogne, qui chercha la première à rappeler sa mémoire.
C’est ainsi qu’en mars 1674 Guillaume Marcoureau, sieur de Brécourt, produisit pour la première fois à l’Hôtel de Bourgogne L’Ombre de Moliere, pièce qu’il espérait voir être une « espèce de table » des comédies de Molière et donc largement inspirée de ses pièces et de ses personnages. Dans cette optique, la pièce est quelque peu incomplète mais elle rappelle bon nombre de pièces majeures et montre que Brécourt les admirait grandement. La seconde pièce qui rend hommage à Molière requiert encore moins d’esprit inventif : il s’agit des Fragmens de Moliere de Charles Chevillet, sieur de Champmeslé, qui fut probablement composée à la fin de l’année 1674 après la représentation et la publication de L’Ombre. Le fait que Le Festin de Pierre n’avait pas été publié à ce moment-là encouragea Champmeslé à reproduire quelques unes de ses scènes, en prenant soin d’éviter celles qui avaient fait scandale en 1665.
Pourquoi rendre hommage à Molière ? §
Les conditions et les enjeux historiques : la concurrence entre les troupes et la querelle causée par la mort de Molière §
De fait, une telle entreprise de la part de comédiens de l’Hôtel de Bourgogne, la troupe rivale de celle de Molière, peut surprendre, car la concurrence entre les troupes était, au XVIIe siècle, virulente et se trouva renforcée à la mort de Molière.
Du vivant de Molière, trois troupes étaient en compétition : la troupe de l’Hôtel de Bourgogne, ou Troupe royale, celle du Marais, les « petits comédiens », et celle de Molière au Palais Royal, appelée la Troupe du roi depuis 1665. À la mort de Molière en 1673, La Grange, comédien et régisseur de la troupe (qui a laissé un précieux registre où il a consigné les événements marquants et tenu les comptes de la compagnie), regroupa les comédiens autour d’Armande Béjart, veuve de Molière, et assura la fusion avec le Marais. Désormais il n’y avait plus que deux troupes en compétition : celle de l’Hôtel de Bourgogne et celle qui résultait de la fusion des compagnons de Molière avec le Marais et qui se produisit désormais au Théâtre Guénégaud.
Or à la mort de Molière une querelle débuta entre les troupes pour savoir qui pouvait reprendre son répertoire. On sait que la plupart des comédies de Molière connurent un grand succès et que sa mémoire hantait toujours la comédie à cette période-là. Ses pièces demeuraient à l’affiche des théâtres et le public prenait plaisir à venir revoir les personnages et les intrigues qui l’avaient tant fait rire. Il y avait donc beaucoup d’intérêt pour chaque troupe à reprendre ce répertoire pour attirer le plus grand public possible et faire recette. Mais qui pouvait prétendre posséder légitimement son répertoire ? Il y avait ceux qui se disaient ses héritiers, c’est-à-dire les compagnons de Molière, et ceux qui estimaient, comme leurs rivaux, que Molière n’appartenait à personne. Or le répertoire de Molière n’était pas la propriété de ses successeurs et c’est pourquoi l’Hôtel de Bourgogne se réserva le droit de représenter toutes ses pièces qui étaient désormais, parce que publiées, du domaine public.
Par ailleurs, La Grange entendait conserver pour ses compagnons le répertoire et l’esprit de Molière. Les deux troupes possédaient alors quasiment le même répertoire comique. Il s’agissait donc d’innover pour attirer le public tout en lui donnant à voir ce qui lui plaisait. C’est dans ce contexte de compétition et d’âpres luttes opposant les troupes rivales que l’on peut comprendre la démarche de Brécourt et de Champmeslé. L’heure était à la concurrence et c’était à celui qui saurait tirer profit du succès de Molière à son avantage propre et à celui de sa troupe. Ces auteurs cherchèrent donc à capitaliser sa popularité dans des pièces écrites en son honneur. Si la démarche honorifique pouvait sembler réelle au départ, elle ne deviendrait ici plus qu’un prétexte pour faire ressurgir plusieurs personnages de Molière, ou reproduire de célèbres scènes qu’il avait composées, les uns et les autres étant bien connus du public et encore très présents dans sa mémoire. Ainsi, les deux auteurs étaient-ils d’emblée presque assurés du succès de leur pièce : ils ne pouvaient être accusés de plagiat, puisque leur démarche honorifique les légitimait, et l’attente et le plaisir des spectateurs seraient satisfaits. Brécourt le certifie lui-même dans le prologue de sa comédie comme pour assurer sa démarche et faire comprendre son intention au public :
Allez, Oronte, quelque chose que ce soit, le seul sentiment qui vous l’a fait entreprendre, vous doit assurer de la eüssite de vostre Ouvrage ; et rien n’est plus honneste à vous, que de montrer au Public avec quelle justice vous estimiez un si grand Homme1.
De plus, il était bon pour un auteur comique d’associer son nom à celui de Molière, la référence en matière de comédie. On pourrait y voir aussi une sorte de revendication : le désir d’être reconnus comme de véritables auteurs comiques en montrant que, s’ils n’étaient pas Molière, ils étaient capables d’écrire du Molière.
Un rapport personnel de ses deux auteurs à Molière ? §
Cependant, on ne peut évaluer la démarche de ces deux auteurs sur les seuls enjeux historiques, car ce serait réduire leur volonté honorifique à la simple recherche de profit personnel et cela amoindrirait leur désir de rendre mémoire à cet illustre comédien dramaturge. Il faut considérer leurs rapports personnels avec Molière.
En ce qui concerne Brécourt, ce lien personnel est évident puisqu’il a été comédien de la troupe de Molière. Même s’il n’y resta que deux années, Brécourt faisait partie des excellents comédiens de la troupe et des amis de Molière. Il put donc admirer de près aussi bien le comédien que le dramaturge et apprécier son style, sa verve, son succès à plaire et à divertir le public tout en corrigeant les vices de son siècle. Par la suite, s’il quitta la Troupe du Roi pour la Troupe royale de l’Hôtel de Bourgogne, cela n’empêcha pas Brécourt de continuer à admirer ce grand homme qui avait su « révolutionner » la comédie et mettre ce genre à l’honneur. C’est cette admiration que Brécourt cherche à montrer dans son prologue même si celui-ci contient sans aucun doute une dimension rhétorique. Il commence d’abord, à travers le personnage d’Oronte, par redire son amitié pour ce grand homme :
Vous sçavez que j’estimois Moliere ; et cette Piece n’est autre chose qu’un Monument de mon amitié que je consacre à sa mémoire2.
Il continue ensuite en dressant un portrait élogieux de Molière pour prouver la constance de son éthos, dans sa vie privée comme dans sa vie d’auteur et de comédien :
Il estoit dans son particulier, ce qu’il paroissoit dans la Morale de ses Pièces ; honneste, judicieux, humain, franc, généreux ; et mesme, malgré ce qu’en ont crû quelques Esprits mal faits, il tenoit un si juste milieu dans de certaines matières, qu’il s’éloignoit aussi sagement de l’excés, qu’il sçavoit se garder d’une dangereuse médiocrité. Mais la chaleur de nostre ancienne amitié m’emporte, et je m’apperçoy qu’insensiblement je ferois son Panegyrique, au lieu de vous demander quartier ; j’ay plus besoin de grace, que sa mémoire de loüanges3.
Par une pirouette rhétorique, Brécourt rappelle donc que Molière n’a pas besoin de cette petite « bagatelle » pour que sa mémoire soit louée, et montre ainsi qu’il ne peut soutenir la comparaison avec ce grand dramaturge. Il ne veut d’ailleurs pas parler, à propos de L’Ombre, de pièce ou de comédie, il leur préfère les notions de « petit ouvrage », ou de « chose » qu’il a, dit-il, « dédiée à la seule mémoire de son ami ». Mais par cette fausse modestie, Brécourt laisse suggérer le contraire de ce qu’il écrit, peut justifier sa démarche en la plaçant uniquement sur le mode de l’éloge à un grand homme, et s’assurer ainsi l’assentiment du public.
Néanmoins, si l’hommage n’est qu’un moyen pratique pour s’attirer les bonnes grâces des spectateurs et de l’opinion, l’admiration de Brécourt pour Molière est sincère et le portrait qu’il esquisse prouve qu’il a bien compris ce grand homme et son œuvre.
Connaître le rapport que Champmeslé aurait pu avoir avec Molière est beaucoup moins aisé car il ne fut jamais membre de la Troupe du Roi. Néanmoins, Molière étant le grand auteur comique, il ne pouvait pas ne pas remarquer l’engouement général qui se manifestait pour ses comédies, de son vivant même, mais aussi encore après sa mort. Lui-même fut forcé de se mettre « à la mode » lorsqu’il écrivit des comédies pour plaire au public et répondre à ses attentes et à ses exigences. C’est pourquoi, avec les Fragmens de Moliere, ce n’était pas la première fois que Champmeslé s’inspirait de Molière. On peut prendre pour exemple Les Grisettes (1671). Mais il faut avant tout replacer le contexte pour expliquer les raisons d’une telle influence.
À partir des années 1660 et jusque dans les années 1670, quand les grands comédiens virent que Molière attirait la foule au Petit-Bourbon, puis au Palais-Royal, Villiers, Poisson et le fils de Montfleury fournirent l’Hôtel de Bourgogne d’un répertoire de petites comédies et de farces pour concurrencer la Troupe du Roi, ce que certains leur reprochèrent :
On vit tout à coup, écrit Gabriel Guéret, ces comédiens graves devenir bouffons, et leurs poètes héroïques se jeter dans le goguenard4.
D’autres, comme Robinet, s’indignèrent, au cours de la querelle de L’Ecole des femmes, de voir l’unique et incomparable Troupe royale obligée de « renoncer »5 à la tragédie pour représenter des bagatelles et des farces. C’est d’ailleurs Raymond Poisson qui entreprit de lutter à armes semblables avec Molière. En face de Sganarelle, il dressa le personnage de Crispin.
Champmeslé rejoignit les Comédiens du Roi en 1670. La rivalité demeurait forte avec la troupe de Molière et tout était bon, même les intrigues, pour concurrencer ses adversaires et avoir la préférence. La Troupe royale chercha donc à se fournir un répertoire complet tant dans le genre tragique que dans le genre comique pour être la référence et avoir l’exclusivité du public. Elle avait déjà obtenu la Champmeslé, la meilleure actrice de tragédie, et l’interprète préférée de Racine, et cinq de ses acteurs étaient parmi les plus en vue de l’époque. Villiers, Poisson, Hauteroche, Brécourt et Champmeslé fournissaient à l’Hôtel une bonne partie de son répertoire. C’était un avantage pour la troupe d’avoir Brécourt qui avait joué sous l’autorité de Molière, mais aussi Champmeslé, « comédien qui réunissait les talents de la représentation et de la composition », comme le notera Maupoint6, au siècle suivant.
Et de fait, Champmeslé commença sa carrière d’auteur après son entrée à l’Hôtel de Bourgogne, et sa première pièce fut une comédie en trois actes, Les Grisettes. Or cette pièce s’inspirait en grande partie des sujets et des personnages moliéresques. Selon Lancaster7, elle trouve probablement sa source dans l’acte III de George Dandin, mais imite, en tout cas, largement les Précieuses ridicules dont elle reprend le schéma. De fait, il s’agit d’un bourgeois qui désire marier ses deux filles à des hommes de leur propre classe, mais celles-ci sont décidées à n’avoir que des amants gentilshommes. Lorsque Champmeslé édita la pièce pour la seconde fois en 1671, il la réduisit en un acte et changa le titre en : Les Grisettes ou Crispin Chevalier. On retrouvait, dans le titre, le personnage de Crispin que Poisson avait opposé au personnage de Sganarelle, et Lancaster estime que ce changement était probablement dû au désir de Champmeslé d’imiter davantage Les Précieuses ridicules et de donner une plus grande unité à sa pièce.
Cet exemple parmi d’autres prouve que Champmeslé connaissait bien les œuvres de Molière, qu’il les appréciait et qu’il ne pouvait s’empêcher de s’en inspirer pour la composition de ses propres comédies. On peut comprendre alors sa démarche, lorsqu’il composa, après la mort de Molière, Les Fragmens : il rendait hommage au grand dramaturge chez qui il avait abondamment puisé. Cependant, la démarche honorifique est quelque peu amoindrie par le fait qu’il profita de ce que Le Festin de Pierre n’avait pas été publié pour reproduire des fragments de la pièce interdite. Il offrit ainsi en exclusivité à l’Hôtel de Bourgogne des scènes reprises intégralement au Festin de Pierre, encadrées par des scènes de sa propre composition, sans que l’on puisse l’accuser de plagiat puisque son intention était honorable. Dans le jeu des rivalités et de la concurrence la Troupe royale y trouva un avantage non négligeable.
Introduction §
L’Ombre de Moliere de Guillaume Marcoureau, sieur de Brécourt, fut représentée pour la première et dernière fois à l’Hôtel de Bourgogne en mars 1674. Elle fut reprise ensuite au Théâtre Guénégaud, le 23 septembre 1682, par la Comédie-Française créée en 1680. Brécourt composa cette comédie en un acte et en prose juste après la mort de Molière, lui rendant ainsi hommage, et contribua à populariser l’idée d’un Molière défenseur de la morale des honnêtes gens et ennemi des outrances. Il dresse d’ailleurs en ce sens un portrait de celui-ci dans son prologue :
La maniere dont il paroît dans ma Comédie, le represente naturellement comme il estoit, c’est à dire comme le Censeur de toutes les choses déraisonnables, blâmant les sottises, l’ignorance, et les vices de son siecle8.
Cela lui permet aussi d’expliquer sa démarche et de montrer en quoi il admirait ce grand acteur dramaturge. Le 12 avril 1674 Brécourt obtient un privilège du roi et le premier achevé d’imprimer date du 2 mai 1674 : la pièce est d’abord éditée à Paris chez Claude Barbin, puis elle est jointe aux éditions des Oeuvres de Molière qui apparaissent en 1675 et en 1682. L’éditeur admit que ce n’était pas une pièce de Molière mais tint qu’elle méritait d’apparaître dans la collection parce qu’elle chantait ses louanges et introduisait plusieurs de ses personnages.
Dans son épître dédicatoire au duc D’Enguien, Brécourt souhaite que sa comédie « soit une espèce de table » pour les œuvres de Molière et justifie ainsi son procédé de faire défiler dans sa pièce bon nombre des personnages de quelques comédies de Molière avec leurs caractères et leurs attributs comiques. La pièce devient, en ce sens, un véritable ballet de personnages moliéresques.
Brécourt place la scène dans les Champs Elysées, c’est-à-dire les Enfers romains où séjournent les morts. L’ombre de Molière y rencontre plusieurs personnages types dont il a fait la satire, et qui viennent se plaindre du sort qu’il leur a réservé dans ses comédies. On assiste donc au procès de Molière devant la Cour de Pluton où chaque plaignant vient demander justice et réparation, accusant Molière de la mauvaise presse qu’il leur a faite. Après s’être défendu lui-même, Pluton l’honore en lui donnant une place entre Térence et Plaute, deux figures majeures de la comédie durant l’Antiquité romaine.
Cette pièce est originale car, si dans l’intrigue Pluton doit rendre un jugement sur Molière, à travers lui Brécourt rend lui-même son propre jugement sur les comédies de Molière et sur son théâtre qui, dit-il, « nous a servy longtemps d’une divertissante et profitable Ecole9 ».
Qui était Brécourt ? §
Guillaume Marcoureau, sieur de Brécourt, naquit le 10 février 1638 à Paris et y mourut le 28 mars 1685. Il était fils du comédien Pierre Marcoureau, sieur de Beaulieu et de Marie Boulanger. Un annaliste de spectacle a prétendu qu’il était Hollandais de nation et qu’un nommé Filandre, chef d’une troupe de comédiens de campagne, ayant trouvé au jeune Brécourt de la disposition pour jouer la comédie, lui fit apprendre le français et le garda quelques temps. Lemazurier10 considère à juste titre que l’anecdote est peu vraisemblable, mais qu’« heureusement il n’importe pas qu’elle soit éclaircie ». Ce que l’on sait avec plus de certitude, c’est qu’ayant embrassé de très bonne heure la carrière du théâtre – dès l’âge de 12 ans il débuta avec ses parents dans la troupe du dit Filandre – il joua la comédie en province pendant quelques années, dans différentes troupes qui la parcouraient.
Arrivé à Paris, il se fit connaître d’abord sur la scène du Marais, où il entra à Pâques 1659, avant de passer dans la troupe de Molière, le 10 juin 1662 avec La Thorillière, où il fut regardé dès lors comme l’un des meilleurs acteurs de sa troupe. Il épousa Etiennette des Urlis, comédienne du Théâtre du Marais, le 18 décembre 1659. Il joua le rôle d’Alain dans la première représentation de L’Ecole des femmes, le 26 décembre 1662. Il s’illustra aussi en tenant un rôle dans L’Impromptu de Versailles. Mais il ne resta pas longtemps. Les anecdotes sont nombreuses sur les raisons de son départ de la troupe. La plus répandue est la suivante : on dit de lui qu’il mettait facilement la main à l’épée et si cela lui valut, au cours d’une chasse au sanglier à Fontainebleau en 1678, les félicitations de Louis XIV, cela lui attira à plusieurs reprises des difficultés et notamment, quelques années plus tôt, la blessure mortelle qu’il infligea à un cocher l’obligea à s’enfuir en Hollande où il alla diriger la troupe des comédiens du duc d’Orange. Mais, rentré en grâce en 1664, à la suite du rôle qu’il joua dans une affaire politique, il retourna à Paris et entra à l’Hôtel de Bourgogne pour y trouver, notamment, des rôles plus en rapport avec ses dons de tragédien. D’autres prétendent, et c’est le cas notamment au XVIIIe siècle avec Beauchamps (1735), qu’il s’était brouillé avec Molière mais on ignore la cause de leur brouillerie.
Lors de la réunion des troupes en 1680, Brécourt fut conservé, et joua encore pendant un peu plus de quatre années. Il partagea, à la Comédie Française, avec Rosimond, les rôles de Molière. Il se rompit, dit-on, une veine par les efforts qu’il fit en représentant à la cour le principal rôle de sa comédie de Timon, et mourut des suites de cet accident à la fin de mars 1685.
En tant qu’acteur, il excellait aussi bien dans le genre comique que le genre tragique. On a gardé plusieurs anecdotes dont celle de Louis XIV qui, charmé de son jeu dans le rôle d’Alain de L’Ecole des femmes, ne put s’empêcher de dire : « Cet homme-là ferait rire des pierres11 ! » Il joua les seconds rôles de la tragédie, et beaucoup de rôles comiques de différents genres.
Il parut en qualité d’auteur dès 1660, mais Lemazurier prétendit qu’ « il se fit bien plus de réputation en jouant dans les pièces des autres qu’en risquant les siennes au théâtre ». Cela explique en partie le fait que ses pièces soient tombées dans l’oubli et qu’il ne soit pas passé pour un grand auteur. Néanmoins, il composa plusieurs pièces, et principalement des comédies, dont La Feinte mort de Jodelet (1660), Le Grand benêt de fils (1664), La Noce de village et Le Jaloux invisible (1666), L’Infante salicoque, ou les Héros de Roman (1667), L’Ombre de Moliere et Les Régals des cousins et des cousines (1674), Les Apartements et La Cassette (1683), et enfin Timon, repris sous le titre Les Flatteurs trompés, ou l’ennemy des faux amis (1684). A propos des comédies qu’il fait jouer, Lemazurier explique qu’elles « n’ajoutent rien à sa réputation : elles sont du genre le plus bas et le plus trivial ; aussi personne ne lui en disputa-t-il la propriété. On sait cependant qu’elles eurent du succès ».
On connaît, selon Alan Howe, l’origine du pseudonyme de Brécourt grâce à « un accord du 5 avril 1647 qui dévoile la dérivation du surnom Brécourt, adopté par Guillaume Marcoureau. « Grâce à cet acte, on peut déduire que Marcoureau prend son nom professionnel de l’ancien hôtel de Brécourt, à l’enseigne du Petit-Saint-Jean, situé rue d’Arbre-Sec, propriété que possédaient en division son père, Pierre Marcoureau, dit Beaulieu, et ses cousins, enfant de Jeanne Marcoureau, sa tante12 ».
L’intrigue et sa source. §
Dans sa dédicace au duc d’Enguien, Brécourt affirme, on l’a vu, le souhait que sa comédie soit considérée comme une « espèce de table » des comédies de Molière et son désir va être satisfait, de façon incomplète certes, mais au détriment de l’action de la pièce. De fait, il compose une intrigue qui lui permet de faire ressurgir, comme dans un ballet, quelques uns des grands personnages moliéresques. La pièce ne comporte donc pas de véritable action ni d’enjeu réel. Il n’y a pas non plus de pierres d’attente à poser pour le spectateur et qu’il faudrait satisfaire dans le dénouement. De ce fait, il n’y a pas de dénouement à proprement parler puisqu’il n’y a aucun nœud à délier.
Tout l’enjeu de la pièce est de savoir si l’on peut honorer légitimement Molière. L’action est donc très simplifiée : il s’agit du procès de l’ombre de Molière devant Pluton, et plus exactement de son jugement dernier, pour juger non pas sa vie et ses actions sur Terre, mais son œuvre dramatique, et pour déterminer si l’on peut le louer comme un illustre poète et auteur dramatique. Tout, dans cette pièce, est orienté vers la question de l’hommage à rendre au grand dramaturge défunt. Non seulement c’est cette volonté de lui rendre hommage qui pousse Brécourt à composer cette petite comédie, mais encore dans l’intrigue même de sa pièce il met en jeu cette question, en la posant au public, comme pour légitimer sa démarche, puisque finalement la seule question que pose L’Ombre et qui importe est celle-ci : est-il légitime d’honorer Molière ? Brécourt met en question son propre travail devant le spectateur et l’incite à entrer, lui aussi, dans cette réflexion. La question est rhétorique car, d’emblée, le spectateur sait que la réponse sera affirmative. Mais le dramaturge le fait participer pour qu’il parvienne lui-même jusqu’à cette évidence. Et l’action de la pièce progresse en ce sens, c’est-à-dire de façon à montrer que Molière est un honnête homme13 digne de louanges et que « son théâtre nous a servi longtemps d’une divertissante et profitable école14 » en condamnant les outrances et les vices de son siècle et en les ridiculisant sur la scène. Minos, l’un des juges des Enfers, le confirme déjà avant même que l’audience ait lieu et que le jugement soit rendu :
C’est son arrivée icy qui cause cette Audiance, qui sans doute ne sera pas sans difficulté. Chacun prétend avoir sujet de se plaindre de luy ; Luy prétend n’avoir offensé personne ; Au contraire, de la maniere dont il parle, il semble que tout le monde luy soit obligé, et mesme il en donne d’assez bonnes raisons, et voilà qui est embarrassant15.
Minos semble donc déjà prendre parti pour Molière, en d’autres termes l’accusé, d’où son embarras, puisqu’un juge doit être impartial et objectif et ne doit pas baser son jugement sur un sentiment et une intuition personnels. Avant même le début du procès, Molière s’est donc déjà attiré la sympathie de l’un des juges pourtant réputé pour son extrême sévérité et l’impartialité sans appel de ses décisions. Cela augure bien pour l’issue du procès. En outre, Brécourt annonce, dès la scène III, le dénouement heureux de la pièce, comme pour démontrer que son évidence ne vient pas du fait qu’il s’agit d’une comédie mais du fait que Molière est incontestablement digne de louanges et d’éloges. Ainsi lorsque Pluton demande à Minos où il a laissé Molière avant que le procès ne débute, celui-ci répond :
Dans l’Allée des Poëtes, où il a trouvé l’Esprit de Térence et de Plaute, avec qui il se divertit16.
C’est la place même que Pluton conférera à Molière, une fois justice rendue à la dernière scène, pour l’honorer. Voici le poème que Brécourt dédie à la mémoire de Molière à travers la bouche du dieu Pluton :
Mais il est temps de prononcerEn quel endroit je doy placerTon Ombre avecque ta Memoire.Que la Posterité t’en choisisse le lieu ;Et tandis qu’elle ira travailler à ta Gloire,Entre Térence et Plaute occupe le milieu17.
L’hommage à Molière est donc d’emblée présenté comme une évidence, et il devient un prétexte commode pour faire défiler les personnages moliéresques. Le procédé est original car il permet de confronter sur la scène le créateur à ses œuvres. Brécourt ne fait pas allusion à toutes les comédies de Molière, car il serait trop long et trop fastidieux pour le spectateur de voir défiler tous ses personnages les uns après les autres, et l’action de la pièce, déjà presque inexistante, piétinerait et disparaîtrait totalement. Brécourt doit donc faire un choix et présenter les personnages qui reflètent l’ensemble de son œuvre et, en même temps, des personnages dont la seule apparence et le simple langage doivent faire rire le spectateur. En effet, puisqu’il n’y a pas de véritable intrigue, ni d’action réelle, Brécourt doit combler le manque en insistant sur le côté plaisant et divertissant de sa pièce pour conserver son public et garder son attention. Il prend néanmoins la peine d’annoncer et de justifier le fait que son ouvrage n’est pas exhaustif : lorsque Caron dresse la liste de tous les plaignants, sorte de rappel de l’ensemble des comédies de Molière, « des Prétieuses, des Bourgeoises, des Marquis ridicules, des Femmes sçavantes, des Avares, des Hypocrites, des Jaloux, des Cocus, et des Medecins », sans oublier le Limousin Pourceaugnac, Pluton s’écrit :
En voila trop pour un jour : Qu’il n’en vienne qu’une partie18.
Ainsi, sans présenter sur scène tous les personnages de Molière, Brécourt parvient néanmoins à présenter l’ensemble de son œuvre ou, du moins, à y faire allusion en nommant tous les types qu’il a créés.
L’ordre d’apparition des personnages n’est donc pas anodin puisqu’il correspond à l’idée que Brécourt se fait de l’œuvre de Molière. Cette idée, il la présente à la scène III par l’intermédiaire de Minos qui informe Pluton du cas qui doit être traité dans ce procès. On peut suivre ainsi la liste de tous les plaignants qui vont défiler :
Il y avoit autrefois là-haut un certain Homme qui se mesloit d’écrire, à ce qu’on dit ; mais il s’estoit rendu si difficile, que rien ne luy sembloit parfait. Il se mit d’abord à critiquer les façons de parler particulières ;
- –Brécourt annonce l’arrivée de la Précieuse, de la comédie des Précieuses ridicules–
En suite il donna sur les habillemens ;
- –il s’agit, bien sûr, de l’accoutrement ridicule du Marquis de Mascarille, dans la même comédie–
De là il attaqua les mœurs,
- –Brécourt choisit là le personnage le plus ridicule et le plus bouffon : le Cocu du Cocu imaginaire–
et se mit inconsidérément à blâmer toutes les sottises du monde :
- –Il s’agit ici, pour Brécourt, de présenter un échantillon varié de différents types de personnages. Il amène ainsi sur scène Nicole, du Bourgeois gentilhomme, qui prend ici l’office du valet bouffon pour divertir le public et suspendre l’action un moment. De fait, elle n’est pas nécessaire à l’action puisqu’elle ne vient pas se plaindre de Molière et sa seule revendication est de pouvoir continuer à rire tout son saoul sur toute chose, comme elle sait si bien le faire. C’est le type même du personnage qui se moque de tout et qui ne prend rien au sérieux, pas même la mort. Apparaissent ensuite Pourceaugnac, de Monsieur de Pourceaugnac, et Mme Jourdain, du Bourgeois gentilhomme également–
Il ne pût jamais se résoudre à soufrir tous les abus qui s’y glissoient. Il dévoila le mystere de chaque chose, fit connoître publiquement quel intérest faisoit agir les Hommes, et fit si bien enfin, que par les lumières qu’il en donnoit, on commençoit de bonne-foy à trouver presque toutes les choses de la vie un peu ridicules. Il n’y eut pas jusqu’à la Medecine mesme qui n’eut part à sa Censure ;
- –apparaissent alors les quatre médecins de L’Amour médecin–
et ce fut une des choses qu’il toucha le plus souvent, et sçeut si bien reüssir en cette matiere, que pour peu qu’il l’eut traittée encore, il y auroit eu lieu de craindre pour les Medecins qu’ils n’eussent accomply pour une seconde fois quelque petit Bannissement de six cens années19.
Ainsi, plus qu’une véritable action, la pièce présente une succession de petits tableaux où l’ombre de Molière est sans cesse confrontée à l’un des personnages qu’il a créés. L’action piétine, puisque pour les trois premiers plaignants, la Précieuse, le Marquis et le Cocu, Molière ne prend pas la peine de répondre ni de se défendre. Tout se succède donc sans lien apparent et le spectateur peut être tenté de se « lasser de tout cecy » avec Pluton car Brécourt n’exploite pas assez les attributs des personnages pour créer une véritable situation comique, un échange cocasse, un quiproquo ou une attitude ridicule. Il semble, en effet, ne chercher qu’à montrer, à donner à voir ces personnages sur la scène plutôt qu’à tirer parti de leurs traits et de mettre en valeur leur discours. Plusieurs personnages sont d’avantage présents sur scène pour faire de la figuration, se montrer, que pour faire avancer l’action. On comprend mieux alors pourquoi les répliques manquent de saveur, pourquoi Molière ne répond rien jusqu’à l’arrivée de M. de Pourceaugnac et pourquoi les personnages donnent une idée incomplète des satires de Molière. Néanmoins, s’il n’y a pas d’intrigue à proprement parler, la pièce fait preuve d’une grande unité. Unité d’action, malgré la grande diversité des personnages qui défilent sur la scène, puisque les quatorze scènes présentent le seul procès de Molière, et parce que tout est fait en fonction de l’hommage à rendre à Molière. Cependant, Lancaster estime pour sa part que l’unité d’action n’est pas respectée20, sans doute parce que l’extrême variété des personnages qui défilent, sans qu’il y ait un lien logique entre eux, mis à part le fait qu’ils viennent se plaindre contre Molière, introduit sur la scène quantité de thèmes différents et nouveaux tout au long de la pièce. L’unité de temps est, en revanche, incontestable puisque la pièce commence peu avant le lever de Pluton et s’achève sur le carillon qui annonce son coucher. Tout se passe donc en « un seul jour », comme le dit Pluton lui-même. Enfin, unité de lieu puisque la scène a lieu dans la salle du tribunal des Champs Elysées où Pluton rend sa justice.
À propos du lieu, on remarque au passage le choix du lieu mythologique, les Enfers de l’Antiquité romaine. Arrêtons-nous un instant sur ce lieu et ses habitants. Les Enfers, royaume des morts que Pluton a reçu en partage du monde, est un lieu souterrain où descendent les âmes après la mort pour y être jugées et recevoir le châtiment de leurs fautes ou la récompense de leurs bonnes actions. Des fleuves sombres et limoneux parcourent les Enfers comme le Styx et l’Achéron. De vagues ombres s’étendent à perte de vue le long de ces fleuves : ce sont les âmes de ceux qui ont cessé de vivre que Mercure amène par groupes sans cesse renouvelés. Elles attendent le moment de passer à l’autre bord. Une seule barque remplit cet office, la barque de Caron, personnage représenté à la scène I avec sa rame. De l’autre côté de l’eau se trouve un carrefour dit le Champ de Vérité. Deux routes s’en détachent : l’une pour pénétrer dans les profondeurs du Tartare, séjour de la Douleur et du Châtiment où sont précipitées les âmes injustes et criminelles, l’autre pour conduire aux Champs Elyséens, le séjour heureux des âmes vertueuses. En plaçant la scène directement dans les Champs Elysées, Brécourt nous offre une preuve de plus de l’inévitable hommage qu’il faut rendre à Molière, et montre que, quoiqu’il arrive, il finira nécessairement par être honoré et récompensé par Pluton. Près du trône de Pluton, dans la salle où il rend sa justice, siègent trois juges qui demeurent sous son contrôle : Eaque, Rhadamanthe et Minos qui jugent aux Enfers tous les hommes. Leurs décisions sans appel sont exécutées par Némésis, déesse de la vengeance. Les âmes des bons, des sages et des vertueux, désignées par les trois juges, prennent la route des Champs Elysées, lieu de délices et de printemps perpétuel. Ses prés sont arrosés par les eaux du Léthé, fleuve qui possède une propriété souveraine : l’oubli. En boire, c’est oublier les peines et les chagrins de l’existence pour jouir d’une félicité totale. Dans ce territoire sont réunis tous les charmes et les plaisirs, et il est impossible d’espérer mieux pour reprendre une vie éternellement heureuse, remplissant l’âme de joie et de béatitudes.
Les accessoires requis pour la représentation sont, d’après le Mémoire de Mahelot, « un trône, trois tabourets, une fourche, une rame, des cloches, des baguettes, des robes de médecins21 ».
Les caractères et leur original moliéresque. §
Brécourt réintroduit donc sur la scène des personnages moliéresques avec leurs traits et leurs attributs comiques que le public connaît bien. Comparer les similitudes et les différences de chacun d’eux avec son original, permet aussi de voir comment ces personnages étaient considérés au XVIIe siècle, ce qui diffère parfois de la conception que l’on peut en avoir aujourd’hui. Si Brécourt cite parfois directement le texte de Molière, et cela principalement dans le rôle de Mme Jourdain, il se contente, dans l’ensemble, de reproduire les attitudes des types que Molière a attaqués. Les attitudes et les attributs de chaque personnage sont indispensables pour permettre de les reconnaître sans avoir à les présenter. C’est pourquoi, Pluton exige ceci :
Faites-les moy paroistre sous les mesmes figures qu’ils avoient en l’autre Monde, afin de les mieux discerner22.
La Prétieuse23, sans être annoncée, est distinguée par son langange pompeux, plutôt dans le style d’un orateur pédant et grandiloquent que dans celui de Magdelon et Cathos, les précieuses ridicules de Molière, même si Brécourt reproduit le célèbre propos de Cathos sur « la forme enfoncée dans la matière ». L’attribut de ce personnage est donc, selon Brécourt, le langage et c’est ainsi que la Précieuse est présentée : à la question de Pluton qui désire savoir qui est cette ombre qui vient d’entrer, Caron répond : « Vous l’allez reconnoître à son langage24 ». Sa première réplique est trufée d’adjectifs pompeux, de périphrases et de grands mots pour désigner les choses les plus banales et les plus triviales. On peut citer, pour exemple, la référence au « sens auriculaire » pour parler de l’oreille, la périphrase « sombres Habitations » pour désigner les Enfers, et les « éloquentes articulations de nos clameurs » pour mentionner les revendications des Précieuses. A Pluton qui « n’y entend goute », Caron désigne ce langage comme le « franc précieux ». Or, chez Molière le langage grandiloquent n’est pas l’attribut principal de ses précieuses. Si elles tiennent parfois un discours précieux, Molière ne le présente que par petites touches et non pas de façon si excessive. Il s’agit avant tout de deux bourgeoises qui se piquent de galanterie et de noblesse et mènent en ce sens le train de vie des dames de condition : elles ne cherchent qu’à s’entourer de gentilshommes et refusent tout commerce avec les bourgeois. Leur préciosité est un tout et se traduit tant dans l’habillement, que dans l’attitude et aussi, certes, dans le langage ridicule qu’elles emploient surtout avec leurs serviteurs pour parler de choses tout à fait banales. Et ainsi, par exemple :
Marotte Voilà un laquais, qui demande, si vous êtes au logis, et dit que son maître vous veut venir voir.
Magdelon Apprenez, sotte à vous énoncer moins vulgairement. Dites : “Voilà un nécessaire qui demande ; si vous êtes en commodité d’être visible.”
Marotte Dame, je n’entends point le latin, et je n’ai pas appris comme vous, la filofie dans le Grand Cyre25.
Un peu plus loin Magdelon parle du « conseiller des Grâces » pour parler du miroir, en priant Marotte de n’en pas salir la glace « par la communication de son image » ; ou encore, à la scène IX, elle demande à Almanzor de leur « voiturer les commodités de la conversation » pour désigner des sièges.
Brécourt met donc l’accent sur les quelques passages des Précieuses ridicules où elles tiennent un discours absurde pour en faire l’attribut absolu de sa précieuse. Son discours est si absurde et si obscur que Molière ne prend pas la peine de répondre à son accusation, jugeant que « cette matière est indigne de luy26 ».
Le Marquis de Mascarille qui réfère seulement aux attaques sur son habillement et sa voix – Brécourt mentionne en didascalie son « ton de faucet » – donne, selon Lancaster, une idée incomplète de la satire de Molière. De fait, comme pour la Précieuse, Brécourt met l’accent uniquement sur un seul aspect du personnage, mais pas des moindres, son accoutrement ridicule. Il montre en fait la particularité principale du marquis ridicule, personnage qui revient souvent dans les comédies de Molière, et qui a souvent cet attribut-là que le public connaît bien. C’est l’un des personnages de la cour que Molière prend pour cible, notamment dans L’Impromptu de Versailles, quand il répond à Mademoiselle Molière, lassée de toujours voir représenter des Marquis :
Oui, toujours des marquis. Que diable voulez-vous qu’on prenne pour un caractère agréable de théâtre ? Le marquis d’aujourd’hui est le plaisant de la comédie, et comme dans toutes les comédies anciennes on voit toujours un valet bouffon qui fait rire les auditeurs, de même, dans toutes nos pièces de maintenant, il faut toujours un marquis ridicule qui divertisse la compagnie.
Le Marquis ne se présente d’ailleurs pas comme le Marquis de Mascarille mais comme « un de ces Marquis » que Molière a tourné en ridicule. « Mascarille » ne figure pas non plus dans le nom du personnage, excepté dans la liste des acteurs, et ainsi Brécourt ne fait pas référence à un marquis en particulier mais à tous les marquis ridicules satirisés par Molière. Pourtant, Brécourt ne le fait pas entrer sur scène avec ses rubans, ses plumes et ses « grands canons », ce qui l’oblige à préciser qui est le personnage que le spectateur, comme l’ombre de Molière, peut ne pas reconnaître. Mais dès lors qu’il a été présenté, l’entretien tourne immédiatement sur la question de son habillement. Molière veut savoir ce qu’il a fait des « grands canons » qu’il lui a donnés, ce à quoi le marquis répond :
Ils sont restez à la Porte, qui estoit trop étroite pour les faire passer27.
La réplique cocasse montre bien que le marquis porte les rubans et les fanfreluches avec excès, à tel point qu’il ne peut plus passer les portes, mais Brécourt n’exploite pas d’avantage ce trait qui pourrait créer une situation éminemment comique et divertir le public. Au lieu de cela, le marquis se contente de demander justice pour ses rubans, ses plumes, sa perruque, sa calèche et son faucet que Molière a joués publiquement. Bien sûr le spectateur peut y voir un écho à la scène IX des Précieuses ridicules où Mascarille montre son habit à Magdelon et Cathos avec force détails et commentaires comiques :
Mascarille Que vous semble de ma petite-oie ? La trouvez-vous congruante à l’habit ?
Cathos Tout à fait.
Mascarille Le ruban est bien choisi.
Magdelon Furieusement bien. C’est Perdrigeon tout pur.
Mascarille Que dites-vous de mes canons ?
Magdelon Ils ont tout à fait bon air.
Mascarille Je puis me vanter au moins qu’ils ont un grand quartier plus que tout ceux qu’on fait.
Magdelon Il faut avouer que je n’ai jamais vu porter si haut l’élégance de l’ajustement.
Mascarille Attachez un peu sur ces gants la réflexion de votre odorat.
Magdelon Ils sentent terriblement bon.
Cathos Je n’ai jamais respiré une odeur mieux conditionnée.
Mascarille Et celle-là ?
Magdelon Elle est tout à fait de qualité ; le sublime en est touché délicieusement.
Mascarille Vous ne me dites rien de mes plumes, comment les trouvez-vous ?
Cathos Effroyablement belles.
Mascarille Savez-vous que le brin me coûte un louis d’or ? Pour moi j’ai cette manie, de vouloir donner généralement, sur tout ce qu’il y a de plus beau.
Magdelon Je vous assure que nous sympathisons vous et moi ; j’ai une délicatesse furieuse pour tout ce que je porte ; et jusqu’à mes chaussettes, je ne puis rien souffrir qui ne soit de la bonne ouvrière.
Le spectateur du XVIIe siècle, semble donc ne retenir du marquis que sa mise ridicule, c’est-à-dire son habit où se mêlent plumes, rubans et fanfreluches avec démesure, excès de préciosité et manque de goût. Une fois cela montré, le marquis est vite renvoyé.
Le Cocuimaginaire « n’essaye pas, dit Lancaster, d’imiter le personnage de Sganarelle28, il se contente de porter plainte contre Molière pour avoir révélé les secrets de sa vie conjugale et, par conséquent, d’avoir privé les maris de leur sentiment innocent de sécurité29 ». Le cocuage est l’un des nombreux thèmes abordés par Molière dans ses comédies, mais malgré la longue tirade du Cocu, qui montre bien que certains maris, comme Sganarelle, s’affolent inutilement et sont victimes des apparences parce qu’il portent en eux la phobie du cocuage, comme l’exprime l’expression « Cocus de Pere en Fils », Molière ne semble, encore une fois, pas éprouver le besoin de se justifier. Est-ce pour prouver au spectateur que Molière n’a pas besoin de se défendre face à des personnages qui se condamnent eux-mêmes par leurs propos, et par conséquent qu’il a eu raison de ridiculiser, ou est-ce parce que Brécourt se contente de faire paraître ces personnages, qui accomplissent chacun leur petite prestation, au détriment de l’action ? Quoiqu’il en soit, Brécourt fait ainsi répondre Molière à Pluton qui lui demande ce qu’il a à dire là-dessus :
Rien ; je passe condamnation pour les Cocus, et j’ay trop mal reüssy dans cette affaire pour me pouvoir défendre. Quelque soin que j’aye pris de faire horreur du Cocuage, j’avouë de bonne-foy que c’est un vice dont je n’ay pû corriger mon siècle.30
Nicole est aisément et principalement reconnaissable à son irrépressible rire. C’est le personnage type de la servante truculente et audacieuse qui ne se gêne pas pour dire haut et fort ce qu’elle pense de ses maîtres et de leur comportement. Elle est à mettre sur le même plan que le personnage de Dorine dans Tartuffe. Cependant, ce n’est pas cet aspect-là que montre Brécourt puisqu’elle entre sans maître. L’accent est porté sur son rire communicatif, comme l’indique la didascalie « riant à gorge déployée », qui fait écho à l’acte III, scène I, du Bourgeois gentilhomme où Nicole se moque de la mise ridicule de M. Jourdain et ne parvient pas à réprimer son rire durant toute la scène. Là encore Brécourt ne présente qu’un aspect du personnage, mais peut-être est-ce encore la vision qu’en garde le public du XVIIe siècle. Dans l’économie de la pièce, elle prend ici le rôle, décrit par Molière, du valet bouffon qui fait rire les auditeurs. Son personnage est comique, et bouffon à la fois, car elle se moque de tout, même de sujets graves tels que la mort dont elle vient donner une vision plaisante et positive.
C’est que, dit-elle à Molière, vous m’avez appris à me moquer de tout : Et puis franchement je ne suis pas trop fâchée d’estre icy, et je ne trouve point que la Mort soit si dégoûtante que l’on se l’imagine31.
Comme elle offense Pluton en se moquant de lui et de son Royaume, il n’est pas nécessaire pour Molière de répliquer, et on lui fait quitter la scène de force.
Pourceaugnac est reproduit avec plus d’exactitude dans sa simplicité provinciale et rurale. C’est un personnage également ridicule qui fait rire tous ceux qui le voient à cause de ses manières rustres et de sa physionomie qui semble détoner avec le bon ton parisien. De fait, dans Monsieur de Pourceaugnac, avant même son entrée en scène, Nérine s’exclame : « Ah ! comme il est bâti ! » Puis, à peine arrivé dans la rue, les badauds se mettent à rire et à se moquer de lui. Sbrigani attire l’attention sur sa mine et sa physionomie ridicules en décalage total avec le bon ton. « Pour moi, dit Pourceaugnac, j’ai voulu me mettre à la mode de la cour pour la campagne. […] L’habit est propre et riche, et il fera du bruit ici »32. Il n’est pas besoin de préciser ce que ces propos contiennent comme double sens et comme dimension ironique et satirique, le bruit dont il est question ayant déjà été produit par le rire des badauds. Sbrigani fait aussi allusion à la rustrerie de ses manières en rappelant ironiquement « la grâce avec laquelle il mange son pain ». Brécourt rappelle tous ces éléments de la personnalité de Pourceaugnac à travers les répliques, elles aussi ironiques, de Molière qui l’a « déterré du fond du Limousin » et a rendu son nom immortel au point que « dés qu’il arrive en France quelqu’un qui ait tant-soit-peu de son air, de ses gentillesses, et de ses petites façons de faire, fut-ce un Prince, ne dit-on pas, voila un vrai Pourceaugnac ? » Là non plus il n’est pas besoin de traduire l’ironie de Molière, le double sens de ses propos est assez évident. Molière manipule donc habilement Pourceaugnac en satisfaisant tellement sa vanité que c’est lui qui doit finalement lui demander pardon, pour l’avoir accusé injustement. Le retournement de situation est assez plaisant puisqu’il était dans la position du plaignant au départ. Il quitte donc la scène pour aller boire avec son « Cousin l’Assesseur » et son « Neveu le Chanoine » quelques « Verres d’Oubly », probablement puisés dans le Léthé, pour ne plus se souvenir du passé.
Mme Jourdain est, pour sa part, identifiable à son discours abrupt, son habitude d’inverser ses phrases comme, par exemple « J’aurois beau me plaindre, beau me plaindre j’aurois », et sa façon de faire rimer ses répliques sans que cela ait un quelconque rapport avec le dialogue :
Moliere Madame Jourdain est un peu en courroux.
Me Jourdain Oüy, Jean Ridoux.
Pluton Courage. Hé bien, qu’avez-vous à me dire ?
Me Jourdain Oüy, qu’avez-vous à me frire33 ?
Brécourt, plus que pour les autres personnages, reprend quelques répliques qu’elle tient dans Le Bourgeois gentilhomme et notammant son expression « j’ai la tête plus grosse que le point, et si elle n’est pas enflée », ou encore la réponse comique qu’elle donne à Molière qui lui demande comment elle est ici : « Sur mes pieds comme une Oye ». Cependant, il paraît étonnant de faire de Mme Jourdain un personnage ridicule, elle qui passe pour la voix de la raison et de la sagesse face à la folie bouffonne de M. Jourdain. Est-elle considérée ainsi au XVIIe siècle ? Certes, le personnage est comique, dans Le Bourgeois gentilhomme, lorsqu’elle parle d’elle à la troisième personne, « Madame Jourdain se porte comme elle peut », inverse ses phrases, « Oui vraiment, nous avons fort envie de rire, fort envie de rire nous avons », et donne à entendre son langage prosaïque et son discours abrupt en opposition avec le discours galant que tient Dorante. Or, ces procédés, elle ne les emploie qu’avec Dorante pour se moquer de lui qui essaye de tromper et de cajoler les gens par de belles paroles. D’ailleurs, lorsque Mme Jourdain parle d’elle à la troisième personne, c’est pour pasticher Dorante qui s’adresse à elle avec cette même troisième personne : « Et Madame Jourdain que voilà, comment se porte-t-elle ? » De même lorsqu’elle répond à Dorante qui lui demande comment se porte sa fille, « elle se porte sur ses deux jambes », c’est pour montrer son agacement et le fait qu’elle n’est pas dupe de ses minauderies et de l’attention hypocrite qu’il lui porte. Brécourt porte donc à l’excès ses procédés langagiers qu’elle emploie consciemment pour se moquer des façons et des cajoleries hypocrites de la noblesse. Il est néanmoins vrai qu’à chaque fois qu’elle prend la parole, dans la comédie de Molière, elle adopte un ton acerbe pour tout critiquer, et cela avec raison, et que son discours terre à terre et prosaïque détone avec le langage galant et précieux que tiennent M. Jourdain et Dorante, l’un de façon ridicule, l’autre avec hypocrisie. Mais ce n’est pas pour autant que le lecteur contemporain la considère come un personnage ridicule, alors qu’il semble en aller tout autrement pour le spectateur du XVIIe siècle. Ainsi l’on voit, à travers la présentation de ces différents personnages que la perception que l’on peut en avoir évolue avec le temps. Cela peut venir du fait que le public de l’âge classique est avant tout spectateur et auditeur, tandis que nous sommes, nous contemporains, avant tout des lecteurs et que nous n’avons pas eu le privilège de voir l’interprétation originale des personnages moliéresques. Ainsi, nous nous forgeons diverses interprétations à partir de plusieurs hypothèses, sans savoir vraiment laquelle est véritable.
Les quatre médecins, qui sont un écho direct à ceux de L’Amour médecin, sont présentés simplement comme des accusateurs. C’est contre eux que l’ombre de Molière dirige toute son énergie et ainsi un véritable dialogue peut s’ouvrir comme il l’annonce d’emblée à l’ouverture de la scène :
Ha, voicy de mes Gens. Ecoutons les parler, et puis nous répondrons34.
Tout se passe comme s’il avait fallu attendre la scène XIII pour que le sujet soit enfin digne de Molière. Pluton s’exclame même : « Ah ! voici une Conversation raisonnable celle-cy. » De fait, c’est à eux qu’il répond le plus abondamment et c’est seulement à leurs accusations qu’il éprouve le besoin de se défendre et de se justifier. Brécourt se fait le successeur de Molière dans la satire qu’il dresse contre les médecins. Leur présentation est comique et les condamne aussitôt car, avant même leur apparition sur la scène, Pluton les désigne comme ceux qui « ont augmenté le nombre de ses Sujets », leur en devant ainsi « une ample reconoissance ». Les médecins sont donc ici, comme chez Molière, présentés comme ceux qui donnent la mort par leur incapacité et leurs mauvais remèdes ainsi que par leurs tergiversations incessantes autour d’une même maladie, chacun l’interprétant et l’expliquant d’une façon différente, le malade finissant par mourir pendant leur querelle, faute d’avoir été soigné à temps. M. Tomès, l’un des quatre médecins de L’Amour médecin, se vante même de ceci devant son confrère qui lui explique qu’il « faut toujours garder les formalités » :
Pour moi, j’y suis sévère en diable, à moins que ce soit entre amis ; et l’on nous assembla un jour, trois de nous autres, avec un médecin de dehors, pour une consultation, où j’arrêtai toute l’affaire, et ne voulus point endurer qu’on opinât, si les choses n’alloient dans l’ordre. Les gens de la maison faisoient ce qu’ils pouvoient et la maladie pressoit ; mais je n’en voulus point démordre, et la malade mourut bravement pendant cette contestation35.
Et il ajoute plus loin qu’ « un homme mort n’est qu’un homme mort, et ne fait point de conséquence ; mais une formalité négligée porte un notable préjudice à tout le corps des médecins » ! Molière, dans sa pièce est catégorique et virulent dans ses attaques à leur égard et fait dire à Lisette « qu’il ne faut jamais dire : “Une telle personne est morte d’une fièvre et d’une fluxion sur la poitrine” ; mais : “Elle est morte de quatre médecins et de deux apothicaires.” »
Brécourt reprend de façon plaisante et originale toutes les attaques de Molière, puisque Pluton fait l’éloge des médecins et de tous leurs procédés, mais le spectateur comprend bien la dimension ironique et satirique de ses propos puisque c’est pour augmenter le nombre des morts aux Enfers ! Ainsi, aux médecins qui lui démontrent leur « obéissance et fidélité », Pluton répond :
J’en suis persuadé. L’Opium, l’Emétique, et la Saignée, m’ont rendu témoignage que vous m’avez fidellement servy36.
Comme Molière, Brécourt accuse la médecine « d’imposture et de Charlatanerie », ce à quoi Pluton répond avec humour : « C’est donc quelqu’un qui la connoît » ! L’accusation étant grave, et le sujet si important, il est nécessaire pour Molière de justifier le bien fondé de sa satire. Néanmoins, Brécourt prend soin de préciser que Molière ne prétend pas « se déchaîner » contre le « grand art de la Medecine », car il en « adore l’étude », en « révère la judicieuse pratique », mais il « en abhorre et déteste le pernicieux et meschant usage qu’en font par leur négligeance des Fourbes ignorans, que la seule Robe fait appeller Medecins ; et ce n’est qu’à ceux qui abusent de ce nom » qu’il va répondre. Molière condamne donc ceux qui abusent de leur robe, les querelles des uns envers les autres à propos des diagnostics et des traitements, ce qui prouve bien leur ignorance, leurs remèdes et leurs drogues plus à même de faire mourir que de guérir, la légèreté avec laquelle ils jouent avec la vie de leur malade pour « hazarder effrontément toutes les épreuves que leur suggèrent leurs ambitieuses imaginations », et, enfin, il donne l’exemple concrêt d’un malade qu’un médecin a précipité dans la mort. Or, devant les arguments de celui-ci Pluton, qui défendait les médecins, ne peut que donner raison à Molière. Lui-même connaît les effets néfastes de leur médecine, mais s’en accomodait puisque cela servait ses intérêts. C’est ainsi qu’il fait pencher la balance du côté de Molière et, « pour faciliter l’affaire », il préfère « relâcher de ses intérests » et consentir que les médecins lui envoient « quelques millions de Morts moins qu’à leur ordinaire ». Les médecins refusant le verdict, Pluton souffle sur leurs ombres pour les faire disparaître et termine la scène en rendant hommage à Molière par un petit Poème.
L’intertextualité dans L’Ombre de Moliere §
Brécourt fait aussi référence, dans une moindre mesure, aux Fâcheux de Molière, à l’opéra de Quinault, ainsi qu’à sa tragédie en musique, Alceste. L’allusion aux Fâcheux est évidente à la scène VI lorsque Pluton parle du « plus fâcheux de tous nos Morts. Un chasseur ». Or, dans Les Fâcheux, Molière présente le personnage du chasseur « qui ne parle à tout le monde que de gaulis, de gigots, de pieds, de croupe, et d’encolure ».
Il dirige également une satire contre Quinault, notamment à la scène II, où il est représenté par le personnage du poète Doucet qui se lamente sur sa place parmi les ombres. Il s’agit peut-être, selon Lancaster37, d’une allusion au fait que ce dramaturge, bien que toujours vivant, ne contribue plus beaucoup à la création dramatique puisqu’il ne compose pour aucune scène, excepté celle de l’opéra. D’où l’idée, lancée par Brécourt, que son Génie erre parmi les ombres et n’est pas reconnu. En outre, Brécourt rappelle, par le choix du nom « Doucet », un trait de caractère bien connu de Quinault qui passait, disait-on au XVIIe siècle, « pour la douceur même ». Fournel montre que la réplique, « Helas, Caron ! helas ! » est une reprise de son Alceste. Quinault est accusé d’avoir fait des héros grecs « de forts jolis Garçons » et ceux-ci semblent, dans son son œuvre, « dignes d’un divertissement de carnaval », critique que semble apprécier Boileau, ajoute Fournel.
La référence à Quinault se poursuit avec l’introduction de la danse et de la musique sur la scène. La danse est introduite dans la première scène avec les deux ombres qui, « en dansant, apportent chacune un morceau de tout ce qui peut former un Tribunal ». Lancaster ajoute, mais cela n’est pas certifié dans le texte, que la musique apparaît à la fin de la pièce où l’on entend « un carillon avec des cloches qui s’accordent avec les violons38 ». Cela n’apparaît pas dans la didascalie, il s’agit peut-être d’un remaniement ou d’un rajout lors des représentations ultérieures à la Comédie Française, mais c’est la seule source qui semble le mentionner. Dans cette version-là, Caron, Pluton et plusieurs ombres prennent part au dialogue, pendant que Radamante et Minos réclament le silence.
La réception de la pièce. §
L’Ombre de Molière a remporté un vif succès auprès du public du XVIIe siècle, comme l’assurent Lancaster et Lemazurier même s’ils nuancent tous deux leur propos. Lemazurier est acerbe dans ses remarques à propos des comédies de Brécourt puisqu’en parlant de leurs succès, il estime que « cela pourrait surprendre si l’on ne se rappelait pas qu’à la même époque le Régulus de Pradon réussissait sur le même théâtre où se jouaient les chef d’œuvre de Corneille et de Racine ». En ce qui concerne L’Ombre de Moliere, il écrit : « On la trouve dans les premières éditions des Œuvres de Molière ; mais, comme elle est bien peu digne d’un pareil honneur, les derniers éditeurs se sont bien gardés d’imiter en cela leur devanciers »39. Ce jugement négatif du début du XIXe siècle prouve encore une fois pourquoi on a retenu si peu d’œuvres et d’auteurs du XVIIe siècle, puisque l’on considère qu’il n’y a pas de grands auteurs autres que Molière, Corneille et Racine. Finalement, cela revient à dire qu’en dehors de ces trois auteurs, point de théâtre.
Lancaster estime pour sa part que l’appréciation de la pièce et son succès sont principalement dus au lien étroit qu’elle noue avec Molière, ce qui est bien assez fort pour lui offrir quelque succès.
La pièce est mentionnée dans Le Mercure Galant d’octobre 1677 parmi plusieurs pièces récemment jouées à la cour. Sa première représentation à la Comédie Française est datée du 23 septembre 1682 et elle est reprise vingt fois entre 1682 et 1698.
Note sur la présente édition §
Présentation du texte §
Nous connaissons onze publications de L’Ombre de Moliere du vivant de l’auteur. La première est éditée chez Claude Barbin à Paris en 1674. La pièce a ensuite été imprimée chez divers imprimeurs suivant la première copie faite à Paris: chez D. Desclassan puis Henry Loyson à Paris en 1674, à Paris en 1681 et 1683 chez des imprimeurs inconnus40, à Amsterdam chez H. Westein en 1692 et à Bruxelles chez G. de Backer en 1694. Ces six publications sont identiques et il n’y a pas de variante avec celle de 1674, mis à part le fait que l’Epître dédicatoire et le Privilège ne figurent pas, que la pagination n’est pas la même et que la graphie et l’orthographe sont parfois modifiées de façon ponctuelle41. Enfin, plusieurs publications ont été réalisées pour des ouvrages regroupant les Œuvres posthumes de Monsieur de Molière: à Paris chez D. Thierry en 1676; à Paris par D. Thierry, C. Barbin et P. Trabouillet en 1682; chez D. Thierry à nouveau en 1682 dans Les Œuvres de Monsieur de Molière, revues, corrigées et augmentées par Ch. Varlet, Sieur de la Grange et Vinot, amis de Molière, avec L’Ombre de Molière (par Guillaume Marcoureau de Brécourt); et, enfin, à Amsterdam chez Jacques Lejeune en 1684. Il n’y a pas non plus de variante avec l’édition de 1674 car il s’agit de fac similé42.
L’édition originale se présente comme suit :
In-12, VIII-98 pages.
[I] : L’OMBRE / DE / MOLIERE / [fleuron du libraire] / A PARIS, / chez CLAUDE BARBIN, sur le / second Perron de la S. Chapelle. / [filet] / M. DC. LXXIV / AVEC PRIVILEGE DU ROY.
[II] : [Verso blanc].
[III-V] : Epître dédicatoire au duc d’Enguien.
[VI-VII] : Extrait du Privilege du Roy.
[VIII] : Acteurs.
1-98 : Texte de la pièce, s’ouvrant sur un Prologue de la page 1à 12 ; suivi d’un rappel du titre en haut de la page de la première scène page 13.
L’achevé d’imprimer est daté du 2 mai 1674.
Bibliothèque nationale de France : Site François-Mitterrand : Rez-de-jardin, Yf 7506, Rés. Yf 3719, Rés. Yf 4180
Établissement du texte. §
En règle générale nous avons conservé l’orthographe de l’édition originale, à quelques réserves près :
- – nous avons modernisé le « ∫ » en « s » et rétabli le « & » en « et » ;
- – nous avons distingué « i » et « u » voyelles de « j » et « v » consonnes, conformément à l’usage moderne ;
- – nous avons corrigé quelques erreurs manifestes (cf. liste de rectifications ci-dessous) ;
- – nous avons respecté la ponctuation d’origine, sauf lorsqu’elle nous paraissait évidemment erronée (cf. liste de rectifications ci-dessous).
Cette comédie est entièrement en prose à l’exception de six vers, trois octosyllabes et trois alexandrins, à la fin de la dernière scène.
Nous avons remarqué une coquille dans la numérotation de la page 93 désignée comme la page 9.
Rectifications §
Nous donnons ci-dessous la liste des erreurs et coquilles, ainsi que leurs corrections pour faciliter le repérage dans le texte, et qui ont été corrigées dans le texte que nous proposons :
Prologue §
Page 6 : represénteront en : représenteront.
Scène première §
Page 19 : ordure corrigé en : ordures / 20 : LeGénie en : Le Génie.
Scène II §
Page 23 : le corrigé en : de, de fort jolis Garçons en : de forts jolis Garçons.
Scène IV §
Page 35 : Cà corrigé en : Çà.
Scène V §
Page 38 : ceChronologiste corrigé en : ce Chronologiste.
Scène VII §
Page 47 : dequoy corrigé en : de quoy.
Scène IX §
Page 55 : assises corrigé en : assise.
Scène XI §
Page 67 : laissé corrigé en : laissée / 69 venez-vous en : venez vous / 70 Camon en : Ça non.
Scène XIII §
Page 77 : le Saignée corrigé en : la Saignée / Page 81 encorejusqu’à en : encore jusqu’à.
Rectifications dans la ponctuation §
Scène II §
Page 23 : [Héros ;] corrigé en [Héros ?].
Scène IV §
Page 34 : [entrer ?] corrigé en [entrer.].
Scène X §
Page 60 : [Ombre leur Partie] corrigé en [Ombre, leur Partie].
À SON ALTESSE SERENISSIME MONSEIGNEUR LE DUC D’ENGUIEN43. §
Monseigneur,
Voicy l’Ombre de Moliere ; c’est une Comédie dont le bonheur sera parfait, [p. IV] si V. A. S. l’honore du moindre coup d’œil. Sans l’autorité que me donne un long usage, je ne hazarderois pas de mettre vostre Illustre Nom à la Teste d’un Livre, lors qu’il va si glorieusement éclater à la Teste des Armées. Alexandre mettoit Homere sous son chevet ; Scipion et Lélie honorerent Térence de leur estime : mais sans le secours de ces Exemples, il suffit de celuy de V. A. S. pour justifier que les Armes et les Lettres n’ont rien d’incompatible, et que [p. V] le Cabinet et le Camp peuvent estre Amis. Souffrez donc, Monseigneur, que les Œuvres de Moliere tiennent quelque rang dans vostre Bibliothèque, et que ma Comedie soit une espece de Table pour les siennes.
DE V.A.S.
Monseigneur,
Le tres-humble et tres-obeïssant Serviteur,
BRECOURT.
ACTEURS. §
- DEUX OMBRES.
- CARON.
- LE POETE.
- PLUTON.
- RADAMANTE.
- MINOS.
- MOLIERE, Poëte Comique.
- LA PRETIEUSE, de la Comedie des Prétieuses.
- LE MARQUIS DE MASCARILLE, de la mesme Comedie.
- LE COCU, du Cocu Imaginaire.
- NICOLE, du Bourgeois Gentilhomme.
- POURCEAUGNAC, de la Comedie de Pourceaugnac.
- MADAME JOURDAIN, du Bourgeois Gentilhomme.
- QUATRE MEDECINS, de la Comedie des Medecins.
- L’ENVIE.
PROLOGUE DE L’OMBRE DE MOLIERE §
Oronte.
Point, vous dis-je ; C’est une raillerie qu’on vous a faite de moy.
Cleante.
Je vous dis que je suis seûr de la chose.
Oronte.
C’est quelqu’un qui a voulu se divertir à mes dépens, vous dis-je.
Cleante.
Ah ! que vous estes reservé !
Oronte.
Mais que vous estes folâtre avec vostre Comedie ! C’est bien à moy à entreprendre de ces ouvrages ? Non, non, Cleante, je me connoy ; et si parmy mes Amis je me laisse aller à produire quelque Epigramme, quelque Madrigal44, ou de semblables bagatelles, croyez que cela ne m’a point donné assez bonne opinion de moy pour entreprendre un [p. 3] Ouvrage que l’on puisse appeller Comédie. C’est un pas, à la vérité, que presque tous les Gens franchissent aisément ; et il semble qu’il suffise d’avoir fait à plusieurs reprises une certaine quantité de médiocres ou de mechans Vers pour se donner avec beaucoup d’impunité le nom d’Autheur ; et sous ce titre, on hazarde librement un assemblage de Caracteres bien ou mal fondez45, d’Incidens amenez à force46, et de Galimatias redoublez, que l’on baptise effrontément du nom de Comédie. Voila par où plusieurs honnestes Gens ont [p. 4] échoüé dans le monde ; et sur leur exemple, je ne hazarderay point, mon cher Cleante, de perdre un peu d’estime que d’autres talens que la Poësie m’ont acquise. Quand on peut faire quelque chose de mieux qu’une méchante Piece, on ne doit point travailler à cet Ouvrage ; et quoy qu’on entreprenne, si l’on ne peut y reüssir parfaitement, il vaudroit encore mieux ne rien faire du tout.
Cleante.
Je vous trouve admirable, Oronte, avec tous ces justes et beaux raisonnemens ! Mais ce qui m’en plaît le plus, c’est [p. 5] de vous voir si bien condamner aux autres une démangeaison dont vous n’avez pû vous défendre. Oüy, morbleu, je vous dis que vous avez fait une Comédie.
Oronte.
Moy ?
Cleante.
Vous l’avez donnée à étudier déja.
Oronte.
Encore ?
Cleante.
C’est une petite Pièce en Prose.
Oronte.
Bon.
Cleante.
Et les Comédiens qui la représenteront, sont cachez là-haut dans vostre Chambre, pour la repéter aujourd’huy. Là, rougissez à present qu’on vous met le doigt sur la Piece. Hé ?
Oronte.
Comment avez-vous sçeu cela ?
Cleante.
Ah ! comment je l’ay sçeu ? Que me donnerez-vous, et je vous le diray ?
Oronte.
Hé, de grace, dites-moy qui m’auroit pû trahir. C’est une chose que je n’ay confiée [p. 7] qu’à mon Frere et à ma Femme.
Cleante.
Socrate se repentit d’avoir dit son secret à la sienne : Mais ce n’est point de la vostre dont j’ay appris cecy ; et pour vous tirer d’inquiétude, sçachez que le hazard, et votre peu de soin, m’ont appris que vous aviez fait une Comédie. Vous connoissez vostre écriture apparamment, puis que je la connoy aussy. Tenez. L’Ombre de Moliere, petite Comedie en Prose. Eh ?
Oronte.
Ah Cleante ! je vous l’avouë, puis que vous le sçavez : Je [p. 8] m’y suis laissé aller ; il est vray, vous tenez mon Ouvrage ; C’est une petite Piece de ma façon, et vous estes trop de mes Amis, pour ne pas vous le dire.
Cleante.
Ah ! je vous suis trop obligé vrayment ; et vous m’avez confié ce secret de trop bonne grace, pour ne vous en pas témoigner ma reconnoissance.
Oronte.
Que vous estes fou ! Donnez donc. C’est une bagatelle que je n’ay pas jugé digne d’entrer dans vostre confidence ; et pour vous le dire franche- [p. 9] ment, c’est l’effet de quelques heures de mélancolie qui m’ont fait griffonner ce petit Ouvrage. Vous sçavez que j’estimois Moliere ; et cette Pièce n’est autre chose qu’un Monument de mon amitié que je consacre à sa mémoire. La maniere dont il paroît dans ma Comédie, le represente naturellement comme il estoit, c’est-à-dire comme le Censeur de toutes les choses déraisonnables, blâmant les sottises, l’ignorance, et les vices de son siecle.
Cleante.
Il est vray qu’il a heureusement joüé toutes sortes de [p. 10] matieres ; et son Theâtre nous a servy longtemps d’une divertissante et profitable Ecole.
Oronte.
Il estoit dans son particulier, ce qu’il paroissoit dans la Morale de ses Pieces ; honneste, judicieux, humain, franc, genéreux ; et mesme, malgré ce qu’en ont crû quelques Esprits mal faits, il tenoit un si juste milieu dans de certaines matieres, qu’il s’éloignoit aussi sagement de l’excés, qu’il sçavoit se garder d’une dangereuse médiocrité. Mais la chaleur de nostre ancienne amitié m’emporte, et je m’apperçoy qu’insensiblement je [p. 11] ferois son Panegyrique, au lieu de vous demander quartier47 ; j’ay plus besoin de grace, que sa mémoire de loüanges. C’est pourquoy, cher Cleante, je vous redemande ma Piece : Mais puis que vous estes icy, honorez-la de vostre attention, et ne la regardez, je vous prie, que comme une chose que j’ay dédiée à la seule mémoire de mon Amy.
Cleante.
Allez, Oronte, quelque chose que ce soit, le seul sentiment qui vous l’a fait entreprendre, vous doit assurer de la reüssite de vostre Ouvrage ; et rien n’est plus honneste à [p. 12] vous, que de montrer au Public avec quelle justice vous estimiez un si grand Homme.
Oronte.
Ne me faites pas rougir davantage, Cleante ; et venez seulement donner vostre avis sur nostre Repétition.
Fin du prologue.
L’OMBRE DE MOLIERE. §
SCENE PREMIERE. §
1e ombre.
Donne, donne-moy ce Balay.
2e ombre.
Je n’en feray rien, c’est à [p. 14] moy à balayer icy : Pluton y va venir, et je veux que tout soit net, et propre comme il faut.
1e ombre.
Oüy, mais je te dispute cet honneur ; cela m’appartient mieux qu’à toy.
2e ombre.
Et par quelle raison ?
1e ombre.
Par la raison que quand j’estois dans l’autre Monde, je me suis si bien acquitté de mon Employ, que je mérite bien en celuy-cy l’honneur de l’exercer encore.
2e ombre.
Et quel mérite avois-tu plus [p. 15] que moy en l’autre Monde ? N’estions-nous pas Laquais tous deux ?
1e ombre.
Oüy, mais il y a Laquais, et Laquais.
2e ombre.
Et qu’as-tu à me reprocher ? N’ay-je pas fidellement servy tous les Maistres à qui j’ay esté ?
1e ombre.
Ay-je manqué en rien, moy, à tout ce que les miens m’ont commandé ? Et quand je servois, par exemple, cet illustre et fameux Tailleur, m’a-t-on jamais veu luy friponner48 la moindre guenille des choses qu’il déroboit ?
2e ombre.
Et quand je servois, moy, mon petit Grison de Procureur, m’a-t-on jamais veu abuser des secrets qu’il me confioit, ny revéler aucune des friponneries qu’il faisoit à ses Parties49 ?
1e ombre.
M’a-t-on veu manquer jamais à la fidélité que j’ay dûë à une Maistresse coquette que je servois, ny avertir son mary que je portois tous les jours des Billets-doux à ses Galans ?
2e ombre.
Et, durant les quatre années que j’ay servy ce fameux Empirique50, m’a-t-on jamais oüy [B ; 17] dire le moindre mot des Poisons qu’il composoit, et de toutes les vies qu’il vendoit par ce moyen au plus offrant et dernier encherisseur ?
1e ombre.
Tout-beau ; Le secret de faire mourir les Gens a quelque rapport avec la Medecine, et nous ne serions pas bien venus à enfiler ce discours. Nous nous échaperions peut-estre à parler contre les Medecins en parlant des Morts. Tu sçais que ces Messieurs sont un peu vindicatifs, et que depuis quelque temps sur tout, nous en avons icy qui ne preschent que la [p. 18] vengeance de ceux qui n’ont pas voulu mourir par leurs mains ; Et s’il arrive que nôtre grand Pluton leur accorde quelque empire en ces lieux, comme ils le prétendent, ils pourroient bien étendre leur colere jusques sur nous, pour n’avoir pas parlé d’eux avec tout le respect qu’ils attendent. C’est pourquoy nous ferons mieux de nous taire.
2e ombre.
A propos, c’est donc pour ces Messieurs que la Feste se fait, et que nous venons tout préparer icy ?
1e ombre.
Je ne sçay si c’est pour d’au- [p. 19] tres, ou pour eux ; mais je sçay bien que Pluton s’y doit rendre bientost pour juger une grande Affaire. C’est pourquoy, si tu m’en crois, au lieu de quereller, et de disputer de nos avantages, nous prendrons chacun un Balay, et nous nettoyerons ensemble, pour avoir plutost fait. Aussi-bien je voy trop d’ordures icy pour un seul Balayeur.
2e ombre.
Tu as raison ; mais j’entens du bruit ; Seroit-ce déja Pluton ?
1e ombre.
Attens : Non, non ce n’est pas luy encore ; c’est Caron [p. 20 ] avec le Génie du Poëte Doucet51. Je croy qu’ils n’auront jamais finy leur querelle.
2e ombre.
A qui en a Caron aussy, de tourmenter incessamment ce pauvre Génie ?
1e ombre.
Il faut bien qu’il luy ait fait quelque chose.
SCENE II. §
Caron.
Que font là ces Coquins ? Allons, tout est-il net ?
1e ombre.
Oüy, Messieurs, et vous pouvez quereller icy fort proprement.
Caron.
Quoy ! tu ne me laisseras pas en repos ? Veux-tu te retirer ?
Le Poete.
Helas, Caron ! helas !
Caron le raillant sur le mesme ton.
Helas, Caron ! helas ! A qui diable en as-tu avec tes piteux helas ?
Le Poete.
Quoy ! me laisser secher ainsy dans les Champs Elysées ! N’as-tu point quelque endroit à me mettre, et doy-je rester parmy les Ombres errantes ?
Caron.
Et où veux-tu que je te fourre, malheureux Génie que tu es ? Veux-tu que je te mette parmy les Poëtes ? Cela est indigne de ton mérite. Que je t’aille nicher aussy parmy des [p. 23] Héros ? Ma foy, tu les as un peu trop bien accommodez52, pour croire qu’ils s’accommodassent de toy.
Le Poete.
Et quel outrage leur ay-je fait ?
Caron.
Ce que tu leur as fait ? Ma foy, tu en as fait de forts jolis Garçons ; et principalement les Héros Grecs ont grand sujet de se loüer de toy. Tu les as si bien barboüillez, qu’ils n’ont plus besoin de masques de Carnaval pour se déguiser.
Le Poete.
Que tu fais le plaisant mal à propos !
Caron.
Tu as raison, mais ce n’est que depuis que nous nous voyons. Ce Faquin, sans me connoistre, m’a si bien traduit en Diseur de bons mots, que l’on me chante en l’autre Monde comme un Opérateur Grotesque, moy qui à force d’entendre des lamentations, dois estre triste comme un Bonnet de nuit sans coëffe. Hé bien, tenez, ne voila-t-il pas encore ? Un Bonnet de nuit sans coëffe ! Depuis que je connoy cet Animal, je ne dis que des sottises. Il me prend envie de te mettre aux mains avec Virgile, il t’ap- [p. C ; 25 ] prendra à me connoistre.
Le Poete.
Helas, Caron ! helas !
Caron.
Encore ? Ma foy, je te bailleray de ma Rame sur les oreilles.
Le Poete.
Peux-tu traitter avec tant de rigueur un Génie qui a passé pour la douceur mesme ?
Caron.
Hé tu n’estois que trop doux, mon Enfant, et un peu de sel t’auroit fait grand bien. Mais je suis las de t’entendre ; nous avons bien d’autres affaires ; Adieu, va te promener. Ne va pas gâter nos belles [p. 26] Allées au moins, ny t’amuser à cueillir nos Lauriers. Ce n’est pas viande pour tes Oyseaux.
Le Poete.
Où veux-tu donc que j’aille ?
Caron.
Promene-toy sur l’Egoust ; et si la faim te prend, on te permet de manger quelques Chardons pour te rafraîchir la bouche.
Le Poete.
Helas, Car…
Caron.
Ah, le Bourreau ! Tu ne sortiras pas ? Allons, Balayeurs, faites vostre charge ; Voicy [p. 27] Pluton ; et cet animal n’a que faire icy.
SCENE III. §
Pluton assis dans son Tribunal.
Ça, il est donc question de rendre justice aujourd’huy. Fay venir l’Accusé, Caron ; et que l’Envie ameine les Complaignans. Nous avons donc bien des [p. 28] affaires, Messieurs ?
Radamante.
Sans-doute, et il nous est arrivé aujourd’huy une Ombre qui nous va bien donner de la besogne.
Minos.
Ce ne sera pas une bagatelle que cette affaire-cy.
Pluton.
Comment ?
Minos.
Je vay vous instruire de tout, afin que vous n’ayiez pas la peine tantost d’interroger les Parties. Il y avoit autrefois là-haut un certain Homme qui se mesloit d’écrire, à ce qu’on dit ; mais il [p. 29] s’estoit rendu si difficile, que rien ne luy sembloit parfait. Il se mit d’abord à critiquer les façons de parler particulieres ; En suite il donna sur les habillemens ; De là il attaqua les mœurs, et se mit inconsidérement à blâmer toutes les sottises du monde : Il ne pût jamais se résoudre à soufrir tous les abus qui s’y glissoient. Il dévoila le mystere de chaque chose, fit connoître publiquement quel intérest faisoit agir les Hommes, et fit si bien enfin, que par les lumieres qu’il en donnoit, on commençoit de bonne-foy à trouver presque [p. 30 ] toutes les choses de la vie un peu ridicules. Il n’y eut pas jusqu’à la Medecine mesme qui n’eut part à sa Censure ; et ce fut une des choses qu’il toucha le plus souvent, et sçeut si bien reüssir en cette matiere, que pour peu qu’il l’eut traittée encore, il y auroit eu lieu de craindre pour les Medecins qu’ils n’eussent accomply pour une seconde fois quelque petit Bannissement de six cens années.
Pluton.
Cela nous auroit fait grand tort.
Minos.
Et c’est son arrivée icy qui cause cette Audiance, qui [p. 31 ] sans doute ne sera pas sans difficulté. Chacun prétend avoir sujet de se plaindre de luy ; Luy prétend n’avoir offensé personne ; Au contraire, de la maniere dont il parle, il semble que tout le monde luy soit obligé, et mesme il en donne d’assez bonnes raisons, et voila qui est embarrassant.
Pluton.
Tu l’as donc veu ?
Minos.
Je viens de l’entretenir il n’y a qu’un moment.
Pluton.
Où l’as-tu laissé ?
Minos.
Dans l’Allée des Poëtes, où [p. 32] il a trouvé l’Esprit de Terence et de Plaute, avec qui il se divertit.
Pluton.
Il faudra entendre les raisons de chacun. Qu’on les fasse venir ; mais faites-les moy paroistre sous les mesmes figures qu’ils avoient dans l’autre Monde, afin de les mieux discerner.
Radamante.
Voicy déja l’Accusé que Caron vous ameine.
Pluton.
Où sont les Complaignans ?
Minos.
L’Envie les doit conduire icy.
SCENE IV. §
Caron.
Je n’y puis plus tenir ; Jamais il ne s’est veu tant d’Ombres en un jour ; et la Porte va rompre si vous n’y donnez ordre.
Toutes les ames
Caron…
Caron.
Entendez-vous comme on m’appelle ? Dés qu’ils ont veu [p. 34] que je faisois entrer cette Ombre, ils ont pensé me dévorer.
Toutes les ames
Caron…
Caron.
On y va. Ordonnez donc ce que vous voulez que je laisse entrer.
Toutes les ames
Caron…
Pluton.
Hé patience. Qui sont-ils tous ces gens là ?
Caron.
Ce sont des Prétieuses, des Bourgeoises, des Marquis ridicules, des Femmes Sçavantes, des Avares, des Hy- [p. 35 ] pocrites, des Jaloux, des Cocus, et des Medecins.
Pluton.
En voila trop pour un jour : Qu’il n’en vienne qu’une partie.
Caron.
J’oubliois encore un Limousin, dont l’esprit est assez matériel pour servir de Corps en un besoin53.
Pluton.
Fais-les entrer selon le rang qu’ils auront à la Porte. Radamante, prens le Rôle54 pour écrire le nom des Complaignans. Çà, qui est celle-cy ?
SCENE V. §
Caron.
Vous l’allez reconnoître à son langage.
La Pretieuse.
Grand Monarque des sombres Habitations, plaise aux Destins que vous prestiez attentivement le sens auriculaire de vostre Justice aux éloquentes articulations de nos clameurs, et que par le triste [37] visage de nostre ame vous puissiez estre pénétré de nos unanimes sentimens.
Pluton.
Quel langage est-ce là ?
Caron.
C’est le franc précieux.
Pluton.
Voila un beau jargon, vrayment. Ecoutons.
La Pretieuse.
La surprenante horreur de nostre accablement coûtera, sans-doute, quelque égarement à la grandeur de vostre ame. Vous voyez à vos genoux une Addition de Pretieuses qui vous en represente le Corps, pour faire pancher [38] en leur faveur l’équilibre de vostre Justice contre le matériel échapement de ce Chronologiste scandaleux. Bien que la vengeance ne soit pas d’une ame du premier Ordre, lors que l’outrage a pris le vif, c’est une foiblesse de se laisser aller aux tendres émulations d’une pitié séduite par les vaines erreurs de l’ostantation.
Pluton.
Ma foy, je n’y entens goute.
La Pretieuse.
La férocité de cet Esprit sauvage a si bien donné la chasse au Gibier de nostre éloquence, que l’indigestion de nos pensées n’ose plus [39] trouver le suplément de nos expressions. Il nous a si bien atteintes du crime d’absurdité, que nous en paroissons presque convaincuës par tout le pied-d’estal du bas Monde. Pardonnez, grand Monarque, si j’ose vous parler si vulgairement, et si toutes nos pensées ne sont pas revestuës d’expressions nobles et vigoureuses.
Pluton.
Hé, il n’y a point de mal à cela ; au contraire, on ne se pique pas icy de beau langage. Dites un peu naturellement vostre affaire, car foy de Dieu d’icy-bas je n’y ay rien compris encore.
La Pretieuse.
Se peut-il faire que vostre noire Majesté ait la forme si enfoncée dans la matiere ?
Pluton.
Ma foy, je ne vous entens pas.
La Pretieuse.
Quoy ! la dureté de vostre Compréhension ne peut estre amolie par le concert éclatant des rares qualitez de vos vertus sublimes ?
Pluton.
Je ne sçay ce que c’est que tout cela, mais j’auray soin de vous rendre justice. Passez sur les aîles de mon Trône.
La Pretieuse.
Quoy, Monarque enfumé ! vous répandrez de vos propres bontez sur le gemissement de nos altercations ?
Pluton.
Cela se pourra bien ; mais laissez-nous un peu travailler à d’autres Jugements. Minos, écrits-la sur le Rôle55, et me fais ressouvenir de tout ce qu’elle a dit. Allons, que répons-tu à cette accusation ?
Moliere.
Rien, et cette matiere est indigne de moy.
Pluton.
Hé bien, que quelqu’autre [p. 42] entre donc, on jugera tout ensemble.
Caron.
Allons, que le plus proche de la Porte vienne.
SCENE VI. §
Pluton.
Ça, qui est celuy-cy ?
Le Marquis à Moliere sur un ton de faucet.
Ah parbleu ! mon petit Monsieur, je suis bien-aise [p. 43] de vous trouver icy.
Moliere.
Qui es-tu, toy, pour me parler ainsy ?
Le Marquis.
Je suis un de ces Marquis, mon Amy, que vous tournez en ridicule.
Moliere.
Et où sont les grands Canons56 que je t’avois donnez ?
Caron.
Ils sont restez à la Porte, qui estoit trop étroite pour les faire passer.
Pluton.
Çà, que demandez-vous ?
Le Marquis.
Je demande justice pour [p. 44 ] mes Rubans, mes Plumes, ma Perruque, ma Caleche, et mon Faucet, qu’il a joüez publiquement.
Pluton.
Que répons-tu ?
Moliere chagrin.
Rien.
Pluton.
Aux autres ; passez, on vous jugera à loisir.
Caron à l’entrée de la Porte.
Arrestez donc, vous n’entrerez pas.
Pluton.
Qu’est-ce ?
Caron.
C’est le plus fâcheux57 de tous nos Morts. Un Chasseur [p. 45] qui s’est cassé la teste sur son Cheval Alezan, et qui ne parle à tout le monde que de gaulis58, de gigots59, de pieds, de croupe, et d’encolure.
Pluton.
Fay donc venir qui tu voudras. Je commence à me lasser de tout cecy.
Caron.
Entrez, vous.
Pluton.
Çà, qu’est-ce encore que cette grosse Ombre-cy ?
Caron.
C’est l’Ombre d’un Cocu.
Pluton.
L’Ombre d’un Cocu ? Il [p. 46] faut que ce soit un furieux Corps ! Parle, que veux-tu ?
SCENE VII. §
Le Cocu.
Vous voyez en ma seule Ombre tout le Corps des Cocus ; Vous les voyez icy en moy, dis-je, affligez, outragez, et tout contrits des affronts publics que ce grand Corps a reçeus depuis que [p. 47] malicieusement cet Ennemy juré de nostre repos nous a rendus le joüet de tout le monde. Il n’est presque aucun Mary qui n’ait senty les traits piquans de sa Satyre ; et depuis qu’il s’est meslé d’annéxer le Cocuage à de certains Maris, il se voit peu de Familles où l’on ne soit persuadé de trouver des Cocus de Pere en Fils. Ce soupçon outrageant est devenu par son moyen comme un Titre de Maison ; et il en a excepté si peu de Gens, que si je ne parle pour tout le monde, il ne s’en faut guére du moins. Voila de quoy se plaint nostre [p. 48] Illustre Corps, qui avant sa scandaleuse médisance vivoit dans l’état de la premiere innocence. Chacun vivoit content de sa petite réputation ; Le scandale ne regnoit point publiquement comme il fait ; et si l’on avoit le malheur d’estre Cocu, on avoit du moins la douceur de l’estre en son petit particulier. Mais depuis qu’il a dévoilé les mysteres secrets, ce n’est plus partout qu’une gorge chaude des pauvres Maris. On en va à la moûtarde60, et plusieurs honnestes Gens mesme ont pris en dot le Titre de Cocus en signant leur Contrat de Ma- [E ; 49 ] riage. Si la discretion des Notaires n’estoit grande, quelqu’un de ces Messieurs en pourroit parler avec beaucoup de seûreté. Voila le desordre et le déreglement qu’il a mis en l’autre Monde, dont nous demandons en celuy-cy justice, vengeance, et reparation.
Pluton à Moliere.
Qu’avez-vous à dire là-dessus ?
Moliere.
Rien ; je passe condamnation pour les Cocus, et j’ay trop mal reüssy dans cette affaire pour me pouvoir défendre. Quelque soin que [p. 50] j’aye pris de faire horreur du Cocuage, j’avoüe de bonne-foy que c’est un vice dont je n’ay pû corriger mon siecle.
Pluton.
Minos, mets-le sur le Rôle61. Allez, on va vous écrire. Qu’est-ce ? Qu’y a-t-il de nouveau ?
SCENE VIII. §
Caron.
Je ne sçay d’où nous est venuë encore une plaisante espece d’Ombre : Mais je [p. 51 ] croy, si l’on pouvoit trépasser deux fois, qu’elle feroit mourir de rire tous les Morts d’icy-bas.
Pluton.
Comment donc ?
Caron.
Elle rit de tout, et ne s’afflige de rien, pas mesme d’estre venuë icy à la fleur de son âge.
Pluton.
Cela est de bon sens ; y venir tost ou tard, c’est toûjours y venir ; et comme l’usage de la mort est un peu de durée, on fait bien de s’y accoûtumer de bonne heure. Mais qui est-elle, cette Ombre ?
Caron.
Ce n’est qu’une Servante.
Pluton.
N’importe, fais-la entrer, il faut entendre tout le monde.
Caron.
Allons, la Rieuse, entrez.
SCENE IX. §
Moliere.
Ah ! c’est Nicole.
Nicole riant à gorge déployée.
Hé, oüy, c’est moy. Quand [p. 53] j’ay appris que vous estiez icy, par ma figue, ay-je dit en moy-mesme, il faut que j’aille voir ce pauvre Homme qui m’a tant fait rire en l’autre Monde.
Moliere.
Tu es donc bien-aise d’estre en celuy-cy, Nicole, puis que tu ris si fort ?
Nicole.
C’est que vous m’avez appris à me moquer de tout : Et puis franchement je ne suis pas trop fâchée d’estre icy, et je ne trouve pas que la Mort soit si dégoûtante que l’on se l’imagine.
Pluton.
Et d’où vient que tu t’accommodes si aisément d’une chose que les Hommes trouvent si peu aimable ?
Nicole.
C’est que je ne me souciois guére de vivre.
Pluton.
Quoy ! tu n’estois pas bien-aise de voir la lumiere ?
Nicole.
Non, car je ne faisois tous les jours que la même chose, dormir, boire, et manger ; et il me semble que le plaisir de la vie est de changer quelquefois. A cette heure, voulez-vous que je vous dise, il y a [p. 55 ] une certaine égalité parmy les Morts qui ne me déplaît pas. Je ne voy personne icy qui soit plus grand Seigneur l’un que l’autre ; et j’ay pensé étoufer de rire quand j’ay rencontré en venant mille sortes de Gens qui se desesperoient. Un riche Banquier pâle et maigre, qui endêvoit62 de s’estre laissé mourir de faim. Un Amoureux qui s’est tué pour une Maitresse qui ne l’aimoit point. Un Alchimiste qui enrageoit d’avoir passé sa vie en fumée ; mais, entr’autres choses, des Dames qui pleuroient de me voir assise aupres d’elles. D’autres qui s’affligeoient [p. 56] de n’avoir plus de Toillettes, de Miroirs, et de petites Boëttes. Il n’y a rien de plus plaisant que de les voir sans rouge, sans mouches, et sans cheveux ; avec leur grand front chauve, leurs yeux creusez, et leurs jouës décharnées ; vous les prendriez pour des Caresme-prenans63. Enfin la plus belle et la plus laide se ressemblent comme deux goutes d’eau.
Pluton.
Il n’est pas question de cela. Qu’avez-vous à dire contre l’Accusé ?
Nicole.
Moy ? Par ma figue, je n’ay [p. 57] rien à dire contre luy, c’est une bonne Ombre ; et tenez, Monsieur Pluton, c’est peut-estre la meilleure Piece de vostre Sac64.
Pluton.
Que voulez-vous donc ?
Nicole riant.
Monsieur, je vien vous prier…
Pluton.
Hé ?
Nicole riant.
Je viens vous prier, Monsieur…
Pluton.
Et là, dites donc ?
Nicole riant toûjours.
Je viens vous prier, Mon- [p. 58 ] sieur… de me… laisser… de me laisser… de me laisser…
Pluton la contrefaisant.
Et moy, ma Mie, je vous prie de nous laisser… de nous laisser… de nous laisser… de nous laisser en repos, s’il vous plaist.
Nicole éclatant de rire.
Monsieur, je vous prie… s’il vous plaist… de m’accorder le plaisir… le plaisir de rire tout mon sou, de vous, et de vostre Royaume.
Pluton.
Ostez-moy cette Impudente. Qu’est-ce encore ? Je n’en veux plus entendre ; Qu’on me laisse en repos ; [p. 59] L’Audience est finie, et je vais prononcer65.
Caron.
Hé, c’est l’Ombre de Pourceaugnac, ce brave Limousin ; Elle n’a qu’un mot à vous dire.
Pluton.
Hé bien, qu’il entre. Ah quelle peine ! Ne sera-ce jamais fait ?
SCENE X. §
Pourceaugnac.
Grand Roy des Morts, vous me voyez icy, Député de la part de tous les Limousins trépassez, qui vous demandent qu’il leur soit permis ajourner cette Ombre, leur Partie, par-devant Vous, à trois jours, pour se voir condamner à reparation d’hon- [p. 61] neur envers les Pourceaugnacs passez, presens, et futurs, tant des affronts reçeus, que de ceux qu’ils recevront. A quoy je conclus.
Pluton à Moliere.
Repondez.
Moliere.
Hé Monsieur de Pourceaugnac ! Quel sujet avez-vous de vous plaindre de moy ? Si vous preniez bien les choses, ne me loüeriez-vous pas, au lieu de me blâmer, d’avoir rendu vostre Nom aussy celebre que j’ay fait ? Car dites-moy un peu ; Ne vous ay-je pas déterré du fond du Limousin, et à force de tour- [p. 62 ] menter ma cervelle, ne vous ay-je pas amené dans la plus Illustre Cour du Monde ? Raisonnons un peu de bonne foy ; Ne m’avez-vous pas quelque obligation de vous avoir fait faire un si beau voyage ?
Pourceaugnac.
Hé… oüy.
Moliere.
N’est-ce pas moy qui vous ay fait connoistre ?
Pourceaugnac.
D’accord.
Moliere.
Ne vous a-t-on pas veu avec beaucoup de plaisir ?
Pourceaugnac.
Cela est vray, car chacun rioit dés qu’on me voyoit.
Moliere.
Vous a-t-on jamais banny des Lieux publics ?
Pourceaugnac.
Au contraire, on y donnoit de l’argent pour me voir.
Moliere.
Et enfin n’ay-je pas rendu vostre Nom immortel pour tout vostre Royaume ?
Pourceaugnac.
Et comment immortel ?
Moliere.
Comment ? Hé dés qu’il arrive en France quelqu’un qui ait tant-soit-peu vostre air, [p. 64] de vos gentillesses, et de vos petites façons de faire, fût-ce un Prince, ne dit-on pas, voila un vray Pourceaugnac ? Et n’est-ce pas un honneur considérable pour vous, et pour vostre Province, que vostre Nom quelquefois puisse servir d’une Qualité aux Gens de la plus haute Naissance ?
Pourceaugnac.
Il a quelque raison au fonds66.
Moliere.
Hé, prenons toûjours les choses du bon costé ; n’allons point envenimer les intentions, et croyons tout à nostre avantage : je n’ay jamais rien fait qu’à vostre honneur et [F ; 65] gloire, et serois bien fâché, Monsieur de Pourceaugnac, que les choses eussent tourné autrement.
Pourceaugnac.
Ma foy, apres tout, je pense en effet que j’ay tort de m’estre fâché contre luy. Qui diantre sont les sottes Ombres aussi qui s’avisent de me mettre des fariboles dans la teste ? Allez, vous estes des Bestes : Monsieur est une honneste Ombre, qui a pris la peine de me faire connoistre, et vous ne sçavez pas prendre les choses du bon costé. Monsieur, je suis fâché de tout cecy, et je vous de- [p. 66 ] mande pardon pour les Ombres de Limoge. Je suis vostre Valet, tout à vous, vostre Serviteur, et vostre Amy. Je vay chercher mon Cousin l’Assesseur67, et mon Neveu le Chanoine, afin que nous beuvions ensemble quelques Verres d’oubly68, pour ne nous plus souvenir du passé.
Moliere.
Adieu, Monsieur de Pourceaugnac.
Pluton
Messieurs, il est tard, et je vay lever le Siege.
SCENE XI.[67] §
Me Jourdain tout ésouflée.
Justice, justice, justice, justice, justice.
Pluton.
Qui est-ce encore icy ? Je ne veux plus entendre personne, et je suis las de tant d’impertinentes Plaintes. Pourquoy l’as-tu laissée entrer ?
Caron.
Elle a forcé la Porte.
Pluton.
Pren donc bien garde aux autres, et qu’il n’en entre plus. Je n’ay jamais veu tant de Canailles en un jour. Çà, que demandez-vous ?
Me Jourdain d’un air chagrin et brusque.
Ce que je n’auray pas.
Pluton.
Que vous faut il ? hé ?
Me Jourdain.
Il me faut ce qui me manque.
Pluton.
Quelle nouvelle espece est-ce encore icy ? Dites-nous [p. 69 ] donc ce que vous avez ?
Me Jourdain.
J’ay la teste plus grosse que le poing, et si69 je ne l’ay pas enflée.
Moliere.
Ah ! c’est Madame Jourdain, je la reconnoy : Et comment estes-vous icy, Madame Jourdain ?
Me Jourdain.
Sur mes pieds comme une Oye.
Pluton.
Ah quelle Femme !
Moliere.
Vous venez vous plaindre de moy, n’est-ce pas, Madame Jourdain ?
Me Jourdain.
Ça non ; j’aurois beau me plaindre, beau me plaindre j’aurois.
Pluton.
Encore ?
Moliere.
Madame Jourdain est un peu en courroux.
Me Jourdain.
Oüy, Jean Ridoux.
Pluton.
Courage. Hé bien, qu’avez-vous à me dire ?
Me Jourdain.
Oüy, qu’avez-vous à me frire ?
Pluton.
Diable soit la Masque70 ; [p. 71] Que l’on me l’oste d’icy, et que d’aujourd’huy personne ne me parle. Je suis las de tous ces Extravagans, et me voila dans une colere que je ne me sens pas. Qu’est-ce encore ? Qu’y a-t-il ? Que veut-on ? Seray-je toûjours troublé, persecuté, accablé d’affaires ? Hé, quelle misere est-ce-cy ? A-t-on jamais veu un Dieu plus fatigué que moy ?
SCENE XII. §
Caron.
Grand Roy…
Pluton marchant en colere.
Non, je croy que tout cet embarras me fera renoncer à mon Empire.
Caron.
Ce sont…
Pluton
Quoy, sans repos !
Caron.
Il y a…
Pluton
Sans plaisir !
Caron.
Ce sont…
Pluton
Sans relâche ! Non, je ne veux plus rien entendre. Que tout soit renversé, bouleversé, sans-dessus-dessous, je n’ecoute personne ; Qu’on ne m’en parle plus.
Caron.
Ce sont des Medecins qui viennent d’arriver, et qui voudroient vous demander un moment d’audiance.
Pluton
Des ?
Caron.
Des Medecins.
Pluton courant se remettre sur son Tribunal.
Des Medecins ! Ho ! qu’on les fasse entrer : Ce sont nos meilleurs Amis ; Qu’ils viennent, qu’ils viennent. D’honnestes Gens, à qui je doy trop pour leur rien refuser. Ils ont augmenté le nombre de mes Sujets, et je leur en dois sans doute une ample reconnoissance. Mais les voicy.
SCENE XIII. §
Moliere.
Ha, voicy de mes Gens. Ecoutons-les parler, et puis nous répondrons.
Pluton
Messieurs, soyez les bien venus. Vous visitez un Prince qui vous honore fort ; je sçay toutes les obligations que je vous ay, et que dans ce vaste Empire des Morts vous pou- [p. 76 ] vez vous vanter avec raison d’y avoir aussy bonne part que moy : Aussy en revanche71 de tout vos bons et fidelles services, je ne pretens pas vous rien refuser. Demandez seulement.
1e Medecin.
Grand Monarque des Morts, vous voyez icy la fleur de vos plus fidelles Pensionnaires.
2e Medecin bredoüillant.
Jamais nous n’avons laissé échaper la moindre occasion de vous donner des marques de nostre obeïssance et fidelité.
Pluton
J’en suis persuadé. L’O- [p. 77] pium, l’Emétique72, et la Saignée, m’ont rendu témoignage que vous m’avez fidellement servy.
3e Medecin.
Nous avons fait nostre devoir.
Pluton
Beaucoup de Gens sont venus icy de vostre part, qui m’en ont assuré.
4e Medecin.
C’est avec plaisir que l’on sert un si grand Monarque.
Pluton
Je vous suis obligé, et j’ay bien de la joye de vous voir. Ce n’est pas que vous ne m’eussiez esté encore un peu [p. 78] necessaires là-haut, et j’ay eu quelque chagrin quand les Parques m’ont dit que vous veniez icy : Mais je m’en suis neantmoins consolé lors que j’ay appris que vous aviez laissé de grands Enfants qui sçavoient assez bien leur mestier, et que mesme il estoit déjà venu icy quelques Morts de leurs Amis, qui en avoient fait une experience fort raisonnable. Mais que souhaitez-vous de moy ?
3e Medecin.
Nous venons vous demander justice d’un Téméraire qui prétend traitter la Medecine d’imposture, et de Charlatanerie.
Pluton
C’est donc quelqu’un qui la connoît ?
4e Medecin.
C’est une rage sans fondement, une simple avidité de tout satyrizer, et une animosité envenimée par la seule envie d’écrire, et de former des Cabales contre nous.
Moliere à part.
Je vous confondray dans peu, superbes Imposteurs.
3e Medecin.
Il s’est mesme déjà glissé jusques dans ces Lieux une médisance secrette qui nous regarde. Tous les Morts semblent se liguer contre nous ; [p. 80] Il leur échape des Satyres piquantes, et des injures calomnieuses contre les Medecins ; et nous venons icy, Grand Monarque, vous remontrer humblement, de la part de nostre Illustre Corps, de quelle importance il est, pour l’accroissement de vostre Empire, que vous reprimiez l’audace et l’insolence de tous ces Morts.
Pluton
On apprendra à vivre à ces Morts-là. J’entens et je pretens qu’on vous regarde comme les plus fermes appuis de mon Estat. Mais qui sont ces Morts-là qui ont l’impudence d’aller gaster vostre Mestier ? [p. 81 ] Nommez, nommez-les moy ; J’en veux faire un bon exemple.
4e Medecin.
C’est un nombre infiny de petits Esprits qui se sont laissez emporter au torrent, et qui n’ont poussé leur Plainte que comme les Echos qui répetent les peines des autres sans les avoir senties. Mais c’est à l’Autheur de nos maux que nous en voulons ; c’est à celuy qui comme un nouveau Caton, s’est venu déchaîner contre nous et qui, apres le mépris évident qu’il a fait de nostre Illustre Corps, a poussé son audace encore jusqu’à nous [p. 82] tourner en Ridicules ; en nous rendant la fable et la risée du Public. C’est cette Ombre, en un mot, cet insolent Fleau de nostre Faculté, dont nous vous demandons une vengeance authentique.
Pluton
Répondez.
Moliere.
C’est donc à moy à qui vous en voulez, Messieurs ? Vous demandez vengeance du mépris que j’ay fait de vostre Illustre Corps : Je vous ay tourné en Ridicules, je vous ay rendus la fable et la risée du Public ? Hé bien, il faut vous répondre, et tracer [p. 83] plus naturellement vos traits, afin de vous bien faire connoistre. Pluton, je jure icy par le respect que je te dois, que ce n’est point contre ce grand Art de la Médecine que je prétens me déchaîner. J’en adore l’étude, j’en révere la judicieuse pratique, mais j’en abhorre et déteste le pernicieux et meschant usage qu’en font par leur négligence des Fourbes ignorans, que la seule Robe fait appeller Medecins ; et ce n’est qu’à ceux qui abusent de ce nom que je vay répondre.
Pluton
Ah ! voicy une Conversa- [p. 84 ] tion raisonnable celle-cy.
Moliere.
Imposteurs ! Qui peut mieux prouver vostre ignorance, et l’incertitude de vos projets, que vos contrarietez perpétuelles ? Vous trouvez-vous jamais d’accord ensemble ? Et jusqu’à vos moindres Ordonnances, a-t-on jamais veu un Medecin suivre celle de l’autre, sans y ajoûter ou diminuer quelque chose ? Quant à leurs opinions, elles sont encore plus diférentes que leurs pratiques. Les uns disent que la Cause des maux est dans les humeurs73 ; Les autres dans le sang. Quelques-uns, par un [ 85 ] pompeux galimathias, l’imputent aux atomes invisibles, qui entrent dans les pores. Celuy-cy soûtient, que les maladies viennent du defaut des forces corporelles : Celuy-là, qu’elles procedent de l’inégalité des élémens du Corps, et de la qualité de l’air que nous respirons, ou de l’abondance, crudité, et corruption de nos alimens. Ah que cette diversité d’opinions marque bien l’ignorance des Medecins ; mais encore plus la foiblesse ou la temérité des Malades qui s’abandonnent aux agitations de tant de vents contraires !
Pluton aux Medecins.
Messieurs, hé ?
Moliere.
Ce qu’ils ont de plus unanime dans leur Ecole, et où ils s’entendent le mieux, c’est que tous tant qu’ils sont vous assurent que dans la composition d’une Medecine, une chose purge le cerceau, celle-cy échauffe l’estomac, celle-là rafraîchit le foye, et font partir un Breuvage à bride abbatuë, comme si dans ce mélange chaque Remede portoit son Etiquette, et que tous n’allassent pas ensemble sejourner au mesme lieu. Il faut que ces Messieurs soient bien [p. 87] assurez de l’obeïssance et de la sagesse de leurs Drogues : Car enfin, si par mégarde l’une alloit prendre le chemin de l’autre, et que la partie qui doit estre échauffée vint par méprise à estre refroidie, voyez un peu où le pauvre Malade en seroit !
Pluton
Messieurs, hé ?
Moliere.
Mais quoy, les Imposteurs abusant de l’occasion, usurpent effrontément une authorité tyrannique sur de pauvres Ames affoiblies et abbatuës par le mal, et par la crainte de la mort. Il pren- [p. 88 ] nent si bien leur avantage de nos foiblesses, que de nostre aveu mesme, dans ce dangereux moment, ils hazardent effrontément aux dépens de nos vies toutes les épreuves que leur suggerent leurs ambitieuses imaginations. Les Scelérats osent tout tenter, sur cette confiance que le Soleil éclairera leurs succés et que la Terre couvrira leurs fautes.
Pluton
Messieurs, hé ?
Moliere.
Il me souvient icy, avec quelque douleur, de la foiblesse d’un de mes Amis qui [H ; 89] s’estoit sottement confié par leurs noires séductions à l’expérience d’un Remede. Deux heures apres l’avoir pris, le Medecin qui l’avoit ordonné, luy en vint demander l’effet, et comment il s’en estoit trouvé. J’ay fort sué, luy répondit le Malade. Cela est bon, dit le Medecin. Trois heures en suite, il luy vint demander comment il s’estoit porté depuis. J’ay senti, dit le Patient, un froid extréme, et j’ay fort tremblé. Cela est bon, suivit le Charlatan. Et sur le soir, pour la troisiéme fois, il revint s’informer encore de l’état où il se trouvoit [p. 90] . Je me sens, dit le Malade, enfler par tout, comme d’hydropisie74. Tout cela est bien, répondit le Bourreau. Le lendemain j’allay voir ce pauvre Malade ; et luy ayant demandé en quel état il estoit : Helas ! mon cher Amy, dit-il, en rendant le dernier soûpir, à force d’estre bien, je sens que je me meurs. Ah ! m’écriay-je alors tout percé de douleur, qu’heureux sont les animaux que la simple Nature sçait guérir sans le secours de leur Consultations ! Que l’Estre brutal75 seroit à souhaiter, quand on devient malade ! Mais aussy qu’il se- [p. 91 ] roit à craindre, s’il se trouvoit autant de Medecins parmy les Bestes, que de Bestes parmy les Medecins !
Pluton
Messieurs ?
Moliere.
Qu’ils se plaignent maintenant de moy, et que ton équité, Grand Monarque, paroisse dans tes Jugemens.
SCENE DERNIERE. [92] §
Caron.
Oh ! je n’y puis plus tenir. Depuis que je conduits la Barque, je n’ay jamais tant veu de Morts pour un jour ; et si vous n’y venez donner ordre, je ne sçay pas ce que nous en ferons.
Pluton
Comment ? Nous avons donc bien des Gens ?
Caron.
Tout créve à la Porte.
Pluton
Puis que nous avons tant de Morts icy-bas, il faut qu’il y ait encore bien des Medecins là- haut. Mais qu’ils attendent à un autre jour, je ne juge d’aujourd’huy, et voicy ma derniere Sentance. Retirez-vous un peu, que je prenne les opinions. Minos, qu’en dis-tu ?
Minos.
Moy ? Que cette Ombre est de bon sens, et qu’elle mérite bien quelque Jugement avantageux.
Radamante.
Il n’y a qu’honneur à juger en sa faveur.
Pluton
J’en demeure d’accord ; mais aussi les obligations que nous avons à ces Messieurs m’embarrassent ; et je croy qu’un Arbitrage conviendroit mieux à cette affaire qu’un Jugement dans les formes. Ne trouvez-vous point à propos de leur proposer un accommodement ?
Minos.
Hé, oüyda ; car il est vray que nous avons quelque mesure à garder avec la Faculté.
Radamante.
Je suis de cet avis.
Pluton
Je m’en vay leur parler. Ça, Messieurs ; Qu’est-ce ? N’y a-t-il pas moyen de vous rapatrier76 ? Je voy de part et d’autre que les raisons peuvent subsister ; D’accord ; mais à les bien peser, entre nous, la Balance panchera de son costé ; et sans l’alliance jurée entre nous, franchement, Messieurs, vous seriez tondus. C’est pourquoy si vous m’en croyez, tâchez de vous accommoder ensemble ; et pour faciliter l’affaire, j’aime mieux relâcher de mes in- [p. 96 ] térests, et consentir que vous m’en envoyiez quelques millions de Morts moins qu’à vostre ordinaire.
Les Medecins.
Quoy ! nostre Ennemy juré ? Non, non…
Pluton
Ho, ho, Messieurs, si vous n’êtes contens, prenez des Cartes. J’y pers plus que vous, et si77 je ne me plains pas.
Les Medecins.
Quoy, Pluton…
Pluton
Quoy ! vos Ombres teméraires m’osent repliquer, moy, qui puis vous faire évanoüir d’un souffle seulement ?
Les Medecins.
Nous demandons justice, justice.
Pluton
Le carillon se fait.
Caron.
Messieurs, Pluton se va coucher ; son Bonnet de nuit l’attend ; Vous avez oüy la retraite. Bon-soir.
FIN.
EXTRAIT DU PRIVILÈGE DU ROY §
Par Grace et Privilege du Roy, donné à Versailles le douziéme Avril 1674. Signé, Par le Roy en son Conseil, le normant : Et scellé du grand Sceau de cire jaune. Il est permis à Claude Barbin, Marchand Libraire à Paris, d’imprimer, faire imprimer, vendre et débiter une Pièce de Theatre, intitulée l’ombre de molière, Comédie en Prose : Et défenses sont faites à toutes Personnes, de quelque qualité et condition qu’elles soient, d’imprimer ou faire imprimer, vendre ny debiter ladite Pièce de Theatre, sans le consentement de l’Exposant, ou de ceux qui auront droict de luy, pendant le temps et espace de cinq années, entieres et accomplies, à compter du jour que ladite Piece sera achevée d’imprimer pour la première fois, à peine contre chacun des contrevenans, de trois mil livres d’amende, confiscation des Exemplaires contrefaits, et [VII] de tous despens, dommages et interests, ainsi que plus au long il est porté esdites Lettres de Privilège.
Registré sur le Livre de la Communauté, suivant l’Arrest de la Cour.
D.Thierry. Syndic.
Achevé d’imprimé pour la premiere fois
le 2 May 1674.