Chez TOUSSAINCT QUINET, au Palais, sous la montée de la Cour des Aydes.
M. DC. L.
AVEC PRIVILEGE DU ROY.
Édition critique établie par Sonia Naudin dans le cadre d'un mémoire de master 1 sous la direction de Georges Forestier (2003-2004)
Introduction §
Auteur tombé assez rapidement dans l’oubli et redécouvert depuis peu1, Brosse est surtout connu pour avoir écrit Les Songes des hommes esveillez. Ce dramaturge n’est cependant pas l’auteur d’une seule pièce : il compte à son actif deux autres comédies, une tragi-comédie et une tragédie, qui ont été plus délaissées par la critique.
Biographie §
La liste des pièces composées par Brosse est donc la suivante :
- – La Stratonice ou le malade d’amour, tragi-comédie jouée en 1642 et publiée en 1644.
- – Les Innocents coupables, comédie jouée en 1643 et publiée en 1645.
- – Les Songes des hommes esveillez, comédie jouée en 1644 et publiée en 1646.
- – Le Turne de Virgile, tragédie jouée en 1645 et publiée en 1647.
- – L’Aveugle clair-voyant, comédie jouée en 1648 ou 1649 et publiée en 1650.
En revanche, Les Anagrammes à la Reine (1660), qui ont longtemps figurées parmi les œuvres de Brosse, ont en réalité été écrites par son homonyme le Révérent Bénédictin Brosse, comme l’a démontré Georges Forestier2. Il en va de même pour Le Curieux impertinent ou Le Jaloux (1645), que certains dictionnaires de théâtre du XVIIIe siècle3 lui attribuaient, et qui a en fait été composé, à l’âge de treize ans, par son jeune frère (parfois appelé Brosse le jeune). L’existence de ce frère cadet, mort prématurément, est d’ailleurs le seul élément biographique réellement avéré que nous possédions au sujet de cet auteur : c’est Brosse lui même qui nous l’apprend dans la préface du Curieux Impertinent rédigée par ses soins. L’épître de La Stratonice ou le malade d’amour, dans laquelle il espère que les auxerrois réserveront un bon accueil à sa pièce, laisse supposer que Brosse serait originaire d’Auxerre. D’ailleurs, les autres informations que l’on pensait détenir à propos de ce dramaturge provenaient principalement du témoignage de l’abbé Lebeuf, auteur des Mémoires concernant l’histoire de la ville d’Auxerre. Celui-ci nous apprenait qu’un fils de chapelier nommé N… Brosse, décédé en 1651, avait écrit une tragédie et diverses œuvres à caractère religieux. Ces maigres renseignements se sont malheureusement révélés sujets à caution4. Le nom même de notre auteur n’est pas établi avec certitude puisqu’il signe ses écrits tantôt Brosse, tantôt La Brosse5. On peut donc constater que le dramaturge n’a pas usurpé sa réputation d’« auteur énigmatique »6. Le mystère est d’autant plus grand qu’aucun de ses contemporains ne semble avoir parlé de lui, mis à part une brève allusion que l’abbé d’Aubignac fait dans sa Pratique du théâtre7 à l’« auteur de la Stratonice » à qui il aurait conseillé de ne pas composer une pièce de théâtre à partir de ce sujet. En revanche, comme le remarque Pierre Pasquier8, Boisrobert, dont la comédie Les Apparences trompeuses est une adaptation de la comedia de Calderón Peor está que estaba qui avait déjà été reprise par Brosse, une dizaine d’années plus tôt, sous le titre Les Innocents coupables, ne mentionne nulle part, semble-t-il, le nom de notre auteur. De même, Quinault, qui reprendra le sujet de La Stratonice dans sa pièce du même nom en 1660, ne fait aucune allusion à Brosse. Mais on ne peut évidemment pas affirmer qu’ils aient eu connaissance de ces pièces, dont on ignore d’ailleurs l’accueil que leur réserva le public.
Représentation de la pièce §
Une seule pièce de Brosse semble ne pas être totalement tombée dans l’oubli : il s’agit de L’Aveugle clair-voyant. En effet, Lancaster9 nous apprend que cette comédie a été traduite en allemand en 1663 et en 1669, avant d’être reprise par Marc-Antoine Legrand au XVIIIe siècle. Cet auteur-comédien va réduire la pièce en un acte et la faire représenter par sa troupe en 1716. On peut donc supposer que le public n’a pas réservé un trop mauvais accueil à la dernière pièce de Brosse.
La date de la représentation §
La page de titre de L’Aveugle clair-voyant nous fournit également quelques précisions sur les premières représentations de la comédie. On y apprend en effet qu’elle a été « représentée sur le théâtre Royal devant leurs majestez ». Le « théâtre Royal » désignant le théâtre de l’Hôtel de Bourgogne dans la première moitié du XVIIe siècle, nous savons désormais où la pièce a été créée. Cette indication nous permettrait-elle, également, de lever les doutes concernant l’année de la première représentation de L’Aveugle clair-voyant ? On ignore en effet si cette pièce fut jouée en 1648 ou en 1649. Dans son livre intitulé Le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, Sophie Wilma Deïerkauf-Holsboer affirme, en se basant sur cette information, que la comédie a été représentée pour la première fois en 1648 :
Ce renseignement nous permet de déterminer la date probable de la création de cette pièce à l’Hôtel de Bourgogne. La famille royale a en effet été absente de Paris pendant presque toute la durée de la Fronde et il est inconcevable qu’elle aurait tranquillement assisté au cours d’un très bref séjour dans la capitale perturbée à une représentation théâtrale à l’Hôtel de Bourgogne. La première de L’Aveugle clairvoyant a donc été donnée avant le début de la Fronde en 164810.
Cependant, cet argument peut être retourné. On peut en effet voir une stratégie politique dans le fait d’assister à une représentation théâtrale pendant une période où l’autorité royale est remise en cause. Ce serait un moyen de montrer au peuple et aux opposants du régime que la famille royale n’est pas inquiétée par les affrontements11 qui troublent Paris. L’hésitation concernant l’année de création de la pièce subsiste donc.
Les acteurs §
Quoi qu’il en soit, en 1648 comme en 1649, la composition de la troupe de l’Hôtel de Bourgogne reste la même. Elle comprend onze membres : Zacharie Jacob, dit Montfleury et sa femme Jehanne de la Chappe, Claude Deschamps, sieur de Villiers et sa femme Marguerite Béguin, Josias de Soulas dit Floridor, François Chastelet dit Beauchasteau et sa femme Magdeleine du Pouget, André Boiron dit Baron et sa femme Jehanne Anzoult, Nicole Gassot, et Pierre Hazard12. On ne sait malheureusement rien de la distribution des rôles de L’Aveugle clair-voyant. On peut cependant se laisser aller à quelques suppositions. L’acteur de Villiers, connu pour son talent comique, jouait habituellement les rôles de valet (il est le créateur du célèbre rôle de Philippin). On peut donc penser qu’il aurait pu jouer le rôle de Sylvestre, valet rusé et plein de verve. En outre, la scène 5 de l’acte V, dans laquelle Lidamas et Cléanthe parlent pendant une dizaine de vers de La Suite du Menteur de Corneille, gagnerait en intérêt si l’un des deux rôles était tenu par Floridor. Ce dernier jouait en effet le rôle principal, celui du « menteur », dans la pièce de Corneille à sa création pendant la saison 1644-1645. Le comique de la scène serait ainsi renforcé puisque les spectateurs verraient l’acteur commenter l’un de ses rôles précédents, s’il incarne le personnage de Lidamas, ou feindre l’ignorance quant au succès de la pièce dont il était le protagoniste, si Floridor joue le rôle de Cléanthe. Il est aussi fort probable que l’actrice qui jouait le rôle de Lucille, la servante de Mélice, incarnait en même temps un autre personnage (peut-être était-elle aussi Nérine, l’autre suivante de la pièce ? ). En effet, son rôle est peu fourni : elle n’est présente que dans six scènes et ne prononce que cinquante-huit vers dans toute la pièce. Mais surtout, c’est le seul personnage de la comédie qui ne revient pas au dénouement. Dans le théâtre du XVIIe siècle, comme le dit Jacques Scherer, « la plus importante [des traditions du dénouement] consiste à rassembler le plus grand nombre de personnages possible pour la fin de la pièce. Il semble que la troupe veuille se montrer au grand complet »13. Il est vrai que les auteurs négligeaient parfois de faire reparaître sur scène les personnages qui n’avaient pas eu une grande importance dans l’intrigue. Mais peut-être était-ce aussi parce qu’il jouait en même temps un autre rôle, plus conséquent, dans la même pièce.
Le décor §
Le décor dans lequel les acteurs évoluent pose problème lui aussi. L’Aveugle clair-voyant se situe à une période charnière, entre l’époque pré-classique et le classicisme, où il n’« exist[e] pas de système déterminé de décor » : le décor multiple du début du siècle, réduit à un petit nombre de compartiments, subsiste toujours, tandis que le décor unique commence à s’imposer14. La mise en scène de la pièce nécessite sans aucun doute un décor intérieur mais une hésitation porte sur le nombre de chambres exposées à la vue du spectateur. Lancaster15 pense que deux pièces sont représentées. Cette affirmation supposerait la mise en place d’un décor à compartiments à moins que le décor ne change pendant un entracte, ce qui d’après Jacques Scherer était peu fréquent16. Cependant, nous pensons que l’action de la pièce se déroulait dans un décor unique. En effet, l’intrigue de la comédie n’impose absolument pas la présence d’un compartiment supplémentaire. En outre, si l’on observe les entrées et les sorties des personnages tout au long de la pièce, on s’aperçoit que Brosse respecte la règle classique de la liaison des scènes : la scène n’est jamais vide, les personnages qui y entrent s’ajoutent à ceux qui étaient déjà en place, il est donc certain que les acteurs restent dans la même salle d’un bout à l’autre de chaque acte. Nous pouvons néanmoins noter que, dans les deux cas évoqués ci-dessus, L’Aveugle clair-voyant respecte l’unité de lieu. Celle-ci était en effet, dans cette première moitié du XVIIe siècle, entendue « au sens large » : « l’histoire de l’unité de lieu entrera dans une deuxième époque lorsque cette unité sera considérée comme excluant la représentation de lieux trop éloignés les uns des autres, mais comme comprenant celle de lieux assez voisins pour qu’on puisse passer rapidement et sans faire un véritable voyage, de l’un à l’autre »17. Cependant, Brosse ne se montre pas toujours aussi respectueux de toutes les règles de la dramaturgie classique.
Une comédie originale §
Les rares écrits18 consacrés à L’Aveugle clair-voyant n’ont pu que constater l’originalité de cette comédie19. En effet, la pièce n’est pas l’adaptation d’une œuvre antérieure même si, comme nous le verrons plus tard, Brosse a été influencé par deux comédies de Corneille. Ce fait est suffisamment rare dans les années 1630-1660 pour être souligné. Pendant cette période où la comédie à l’espagnole triomphe en France, la plupart des pièces étaient des adaptations, quand ce n’était pas de simples traductions, des comedias de Lope de Vega, Calderón et autres auteurs espagnols de la fin du XVIe et du début du XVIIe siècle.
Cependant l’originalité de la pièce de Brosse ne tient pas seulement au fait qu’elle ne soit pas tirée d’une autre œuvre : elle s’écarte également du schéma traditionnel de la comédie par certains côtés.
Le non respect de l’unité d’action §
Ainsi, si les unités de temps et de lieu sont respectées, L’Aveugle clair-voyant fait une entorse à l’unité d’action. D’après Jacques Scherer « on dit, à partir de 1640 environ, que l’action d’une pièce de théâtre est unifiée » lorsque, notamment, « on ne peut supprimer aucune des intrigues accessoires sans rendre partiellement inexplicable l’intrigue principale »20. Or, dans la dernière comédie de Brosse, deux intrigues, l’une concernant le couple Lidamas-Olimpe et l’autre le couple Mélice-Thélame, progressent parallèlement sans jamais interférer l’une avec l’autre. L’adaptation de Legrand prouve d’ailleurs l’indépendance de ces deux actions l’une par rapport à l’autre puisque, pour réduire sa pièce en un acte, il va simplement supprimer l’intrigue dont Mélice et Thélame sont les protagonistes, sans rendre « inexplicable » aucun point de l’action concernant Lidamas et Olimpe. Le seul point commun entre ces deux intrigues est que, dans chacune d’elle, les jeunes gens se heurtent au même personnage-obstacle : Cléanthe. Cléanthe et son valet Sylvestre sont d’ailleurs les seuls protagonistes communs aux deux actions, puisque les personnages de l’une, suivantes comprises, ne rencontrent jamais ceux de l’autre, excepté à la dernière scène de l’acte V, où la tradition veut que tous les acteurs de la pièce soient présents sur scène. Les personnages ne parlent même pas les uns des autres, mis à part deux brèves allusions : l’une faite par Olimpe sur la complicité possible de la sœur de Lidamas21, l’autre faite par Mélice sur le fait que Lidamas a acheté le silence de Sylvestre22.
En outre, chacune des deux intrigues dispose de sa propre exposition et de son propre dénouement. Ainsi, l’exposition de l’intrigue concernant le couple Lidamas-Olimpe occupe les scènes 1 et 2 de l’acte I, tandis que l’exposition de l’action ayant Mélice et Thélame comme protagonistes se fait à la scène 3 de l’acte I23. On peut d’ailleurs noter l’effort fourni par Brosse pour varier ces deux expositions et, de cette façon, éviter la monotonie. En effet, la scène 1 appartient au type banal de l’exposition entre la maîtresse, Olimpe, et sa suivante, Nérine. La scène 2 met Olimpe et Nérine en présence de Lidamas, l’amant de la jeune veuve. Dans les deux cas, malgré les inquiétudes, le ton est calme et mesuré. En revanche, la scène 3 s’ouvre sur la colère de Cléanthe contre sa fille désobéissante. Les deux héros s’opposent à propos de Thélame, l’amant de la jeune fille. Le ton est emporté de part et d’autre et la scène se termine par cette explosion de colère de Cléanthe :
Taisez-vous indiscrette, insolente, effronteeMa bonté cede enfin vous l’avez surmontee,Allez, retirez-vous, & ne me parlez plusD’un homme dont le bien consiste en ses vertus24,
De la même manière, le dénouement de chacune des deux intrigues n’intervient pas au même moment. Celle concernant Mélice et Thélame s’achève à la fin de l’acte IV par la promesse de Cléanthe de marier les deux jeunes amoureux dès le lendemain25, alors que la deuxième action ne se dénoue qu’à la fin de l’acte V : le conflit entre le père et le fils est éclairci dès la scène 7, où Cléanthe accepte l’union d’Olimpe et de Lidamas26. La dernière scène de l’acte V n’apprend donc rien de plus au spectateur, si ce n’est qu’une fois réitérées les promesses de mariage des quatre jeunes gens, on annonce également l’union de Sylvestre, valet de Cléanthe et de Nérine, suivante d’Olimpe. Le dénouement n’est donc pas tout à fait conforme à la règle classique27 puisqu’il est scindé en plusieurs parties. De plus, tout n’y est pas éclairci : Cléanthe demande à plusieurs reprises28 comment Lidamas et Olimpe ont découvert que son aveuglement était feint, mais la pièce s’achève avant qu’il n’ait réellement découvert la trahison de Sylvestre. Les exigences de rapidité et de complétude ne sont donc pas vraiment respectées.
Il apparaît, dans ces diverses remarques, que l’intrigue concernant Mélice et Thélame est moins développée que celle ayant pour héros Lidamas et Olimpe. Cependant elle a une importance non négligeable : en faisant ressortir les défauts de Cléanthe, dont le principal est l’avarice, elle permet d’empêcher que ce personnage ne devienne une victime. Grâce à elle, Cléanthe n’attire pas exclusivement toute la sympathie du public. Sans elle, Cléanthe, pauvre père trahi par son fils, aurait pu susciter la pitié du spectateur, émotion contraire au rire. En outre, le dénouement de la pièce aurait pu paraître injuste, voire immoral, puisqu’il aurait récompensé la trahison d’un fils envers un père exemplaire.
Les personnages §
La peinture que Brosse fait du personnage de Cléanthe constitue d’ailleurs un nouvel écart par rapport à la comédie traditionnelle. Le lecteur est d’emblée frappé par le caractère inhabituel de ce dernier. Cléanthe est veuf, rival de son fils en amour et avare29 : au vertueux et noble Thélame, il préfère comme gendre, dans un premier temps, le riche « Rustique l’aisnay », personnage dont la simple évocation du nom laisse pressentir la basse extraction et le ridicule. Comme le faisait d’ailleurs remarquer Georges Forestier, Cléanthe est « un père pourvu de tous les éléments négatifs d’un barbon – les mêmes exactement que ceux d’Harpagon – » mais qui est pourtant « rendu plus sympathique que ses enfants et [qui] s’incline de bonne grâce devant la victoire de la jeunesse »30. C’est que, s’il présente tous les traits caractéristiques du vieillard ridicule, Cléanthe est aussi pourvu de qualités qui font habituellement défaut au type du barbon : la ruse ainsi que le plaisir du jeu et la capacité à bien jouer son rôle31. Sa finesse d’esprit va d’ailleurs lui permettre de tromper la jeunesse pendant la majeure partie de la pièce, si bien que les personnages aveugles, ceux qui ne perçoivent pas les tours qu’on leur joue, vont être les jeunes gens, et non les vieillards comme à l’accoutumée.
En outre, il est accompagné de plusieurs autres types de personnages qui ne sont pas les plus couramment représentés dans le théâtre du XVIIe siècle. En effet, et ceci est encore révélateur de la perspective particulière donnée aux rapports entre les personnages, le valet rusé qui déclenche les rires, s’attirant ainsi la bienveillance du public, est du côté du personnage-obstacle, ce qui contribue à attirer vers Cléanthe la sympathie habituellement réservée uniquement aux jeunes amoureux. Jean Emelina remarque que l’usage de valets « efficaces » au service de l’opposant fait partie des « cas exceptionnels » :
Régulièrement, un même principe préside à l’emploi des serviteurs dans l’action : à jeune maître amoureux, serviteur actif et efficace ; à vieux maître hostile ou à rival ridicule, serviteur falot qui partage leurs déconvenues, ne les aide en rien ou passe dans l’autre camp32.
Cette spécificité mise à part, Sylvestre est doté de tous les défauts et qualités habituels du valet de comédie : il est cupide, couard, ivrogne et glouton33, mais il a aussi la verve et la puissance comique que l’on prête à ceux de sa condition au théâtre, comme le montre sa réponse au soufflet donné par son maître :
Quoy ? sans vous informer si l’on craint le SoleilEt si l’on ayme moins le temps clair que le sombre,Vostre main met ainsi les visages à l’ombre,Sans trancher du sçavant, ny sans passer pour folJe puis d’oresnavant la nommer parasol34.
On peut également noter qu’au dernier acte de la pièce Sylvestre se rapproche encore un peu plus du valet de comédie conventionnel puisqu’en trahissant son maître35, il renverse le rapport de force et fait triompher la jeunesse.
Un autre personnage apparaît peu souvent dans les pièces de théâtre du XVIIe siècle : il s’agit de la veuve. Jacques Scherer en souligne d’ailleurs la rareté :
Une seule situation de famille permet à l’auteur dramatique de montrer une héroïne indépendante : c’est le veuvage ; mais on s’en sert peu, car les obstacles sont nécessaires au théâtre36.
La liberté d’action dont dispose Olimpe grâce à sa condition de veuve était indispensable à Brosse : il fallait que la jeune femme puisse, à sa guise, rompre ses engagements et venir séjourner dans la maison de son amant, choses qu’une jeune fille étroitement surveillée n’aurait jamais pu faire sans que l’intrigue ne devienne extrêmement compliquée. La seule contrainte susceptible de modérer l’indépendance de la jeune femme est celle de la société et c’est Nérine qui se fait l’écho de cette voix quand elle rappelle à sa maîtresse que sa réputation est en jeu et qu’on pourrait lui reprocher son inconstance37.
À coté de ces personnages atypiques ou peu représentés, nous retrouvons des caractères conventionnels. En effet, Mélice correspond tout à fait au type de la jeune fille tel que le définit Roger Guichemerre :
Toutefois les jeunes filles timides et obéissantes sont rares dans notre comédie. Comme dans les pièces espagnoles dont nos auteurs s’inspirent, les jeunes filles se montrent en général hardies et entreprenantes. Plus énergiques que les jeunes gens, souvent amoureux transis ou adorateurs respectueux, ce sont elles qui mènent l’intrigue et qui, par leurs stratagèmes, réussissent à conquérir de haute lutte l’homme qu’elles veulent épouser38.
Ainsi, Mélice va-t-elle inventer toutes sortes de ruses pour pouvoir continuer à voir Thélame, son amant, sans que son père ne s’en aperçoive et éviter d’épouser « Rustique l’aisnay ». Elle ira même jusqu’à demander à Thélame de l’enlever, l’amour lui faisant perdre tout jugement39.
Conformément aux dires de Roger Guichemerre, Thélame se montre beaucoup moins ingénieux que sa maîtresse. Dès qu’il peut parler librement, ses plaintes emplissent la scène40 et il ne cherche ni ne trouve aucune ruse : c’est Mélice qui lui indique où se placer et comment agir pour sortir d’une pièce sans se faire remarquer du soi disant aveugle. On retrouve également chez lui « l’honneur sourcilleux »41 des jeunes hommes, hérité des comedias espagnoles. Il doit en effet se retenir de se venger des coups que Cléanthe lui a donné alors même qu’il croit que le père de Mélice pensait battre son valet42. Cependant, le jeune homme se montre plus ferme vis-à-vis du projet d’enlèvement que lui propose Mélice : il refuse le plan proposé par la jeune fille. Thélame va ainsi se distinguer des autres jeunes gens de la pièce par sa vertu : non seulement il refuse de perdre l’honneur de sa maîtresse, mais c’est aussi le seul protagoniste de la pièce à ne pas mentir, si ce n’est par omission (Thélame cache quand même sa présence à Cléanthe à plusieurs reprises). C’est d’ailleurs la vertu de Thélame et non les ruses de Mélice qui va finalement permettre le mariage des deux jeunes gens, Cléanthe, confronté aux fourberies de ses enfants, appréciant enfin « les nobles sentimens » du jeune homme à leur juste valeur43.
L’autre jeune premier de la pièce, Lidamas, est en quelque sorte l’opposé de Thélame. Rusé44, il va inventer toutes sortes de stratagèmes pour pouvoir épouser Olimpe qui est pourtant promise à son père. Il est donc bien loin d’être un modèle de vertu. Il a également des traits de caractère propres aux jeunes hommes des comédies du XVIIe siècle. Ainsi il se montre très jaloux et ne peut supporter qu’Olimpe s’entretienne longtemps avec son père, même en sa présence. C’est pourquoi à la scène 4 de l’acte II, sur l’injonction du jeune homme, Nérine va prendre la place d’Olimpe et se faire courtiser par Cléanthe. Il est aussi sujet aux traditionnels emportements de la jeunesse et va menacer de tuer Sylvestre qui avait tenté de le séparer d’Olimpe en le calomniant45.
Les rôles des deux suivantes, Lucille et Nérine, sont les moins développés de la pièce. Leur maîtresse étant soit expérimentée (c’est le cas d’Olimpe qui est veuve) soit ingénieuse et audacieuse (pour ce qui est de Mélice), elles n’ont généralement pas besoin de leurs conseils. En outre, elles n’ont pas la verve des servantes que Molière mettra en scène. Leur rôle se trouve donc essentiellement réduit à celui de confidente et, par conséquent, les deux domestiques s’effacent dès qu’elles ne sont plus seules à seules avec leurs maîtresses. L’importance de leur rôle augmente épisodiquement pour les besoins comiques d’une scène46. Cependant, Brosse n’a pas cherché à tirer des effets comiques de la mise en parallèle des amours des maîtres et des valets ainsi que de leur manière respective de faire la cour à leur maîtresse, comme c’était fréquemment le cas dans les comédies du XVIIe siècle. En effet, nous n’assistons pas aux entretiens de Sylvestre et de Nérine qui se déroulent la plupart du temps en dehors de la scène, « dans la chambre prochaine ». Au mieux, nous surprenons quelquefois une métaphore « galante »47 de Sylvestre qui débute ou clôt un tête à tête amoureux et que le valet laisse échapper en sortant ou en retournant sur scène.
On peut noter un dernier écart par rapport à la tradition sur les personnages de la pièce en général : les valets et les suivantes ne servent pas de « bouc[s] émissaire[s] mor[aux] »48 dans cette comédie. Dans sa Pratique du théâtre, publiée en 1657 mais dont la rédaction fut commencée bien avant cette date, l’abbé d’Aubignac écrit :
(…) quand nous disons que les principaux personnages doivent toujours agir, il ne faut pas entendre le héros et l’héroïne, qui bien souvent souffrent le plus et font le moins ; car à l’égard de la continuité de l’action, les principaux acteurs sont ceux qui conduisent l’intrigue du théâtre, comme sont un esclave, une suivante ou quelque fourbe…49
Au contraire, les personnages de condition de L’Aveugle clair-voyant sont actifs, comme nous l’avons vu, et prennent leur destin en main : ils sont eux-mêmes les instigateurs des différentes fourberies et, la plupart du temps, ils inventent les ruses sans l’aide de leurs domestiques50. On peut voir dans ce dernier point l’influence du Menteur et de La Suite du Menteur51 de Pierre Corneille.
Influence de Corneille et de la dramaturgie espagnole §
Dans l’avant-dernière comédie de Corneille, c’est Dorante, le personnage de condition qui multiplie les mensonges devant son valet, Cliton, qui ironise sur le vice de son maître et se montre parfois moins immoral que lui sur ce sujet52. C’est d’ailleurs ce qui fera dire à Corneille dans son Examen de La Suite du Menteur que l’insuccès de cette pièce est peut-être dû au fait « que ce n’est que le valet qui fait rire, au lieu qu’en l’autre les principaux agréments sont dans la bouche du maître »53.
L’influence du Menteur et de la Suite du Menteur54 sur la comédie de Brosse est indéniable. Comme le remarque Lancaster, en parlant de L’Aveugle clair-voyant :
The source is unknown, but a few suggestions may have been received from the Menteur and its Suite55.
En effet, dans ces trois pièces, on prend plaisir à mentir. Il est vrai que dans Le Menteur, contrairement à L’Aveugle clair-voyant où chacun essaie de tromper l’autre, ce défaut semble ne toucher que le héros de cette comédie. Cependant, dans un article consacré au Menteur de Corneille, Alain Lanavère56 remarque que la pièce aurait pu tout aussi bien se nommer « Les Menteurs », les personnages ayant « presque tous quelque pente à l’insincérité ». Il ajoute également que Dorante est « peu différent au fond des autres personnages » mais qu’il « sait mieux et plus qu’eux mentir ». Brosse semble donc avoir poussé à l’extrême ce qui commençait à poindre chez Corneille : ses personnages sont tous, Thélame excepté, des menteurs aussi doués que Dorante et semblent tous, ou presque, avoir répondu au plaisant appel qui clôt la comédie de Corneille :
Vous autres qui doutiez s’il en pourrait sortir,Par un si rare exemple apprenez à mentir57.
En effet, si les ruses de Lidamas, Olimpe et Mélice échouent pendant les quatre premiers actes, ce n’est pas parce qu’elles sont mal construites ou parce que les jeunes gens ne dissimulent pas bien la vérité58, mais parce qu’elles sont toutes basées sur un présupposé inexact : l’aveuglement de Cléanthe.
Du Menteur de Corneille, L’Aveugle clair-voyant emprunte également le dénouement. Tout comme Dorante qui prétend ne pas avoir été dupe de la ruse de Clarice et de Lucrèce, qui se faisaient passer l’une pour l’autre59, Lidamas et Olimpe font mine d’avoir toujours su que Cléanthe était aveugle.
Quant à La Suite du Menteur, son influence est indubitable, puisque cette pièce est mentionnée au sein même de la dernière comédie de Brosse : Cléanthe est surpris par Lidamas en train de lire la pièce et ce dernier fait ensuite à son père l’éloge de cette « poësie »60. On trouve, de plus, quelques points communs entre ces pièces. Outre le fait qu’elles se déroulent toutes les deux en province, le personnage de Mélice, la fille de Cléanthe dans L’Aveugle Clair-voyant apparaît également dans La Suite du Menteur. Dans l’une et l’autre pièce, la jeune fille, rusée et peu soucieuse de son honneur, adopte le comportement typique des femmes des comedias espagnoles61.
Le déguisement §
D’autres éléments, présents à la fois dans les deux pièces de Corneille et dans celle de Brosse, se rattachent plus largement à la dramaturgie des comedias espagnoles. Il en va ainsi pour le déguisement, et plus particulièrement pour le déguisement verbal qui repose uniquement sur le discours du personnage. Ainsi, dans sa thèse intitulée L’Esthétique de l’identité dans le théâtre français (1550-1680) : le déguisement et ses avatars, Georges Forestier déclare :
L’examen des sources de nos pièces révèle, en effet, que si des comedias sont à l’origine de comédies à déguisement d’apparence (…), cette influence est beaucoup plus sensible pour les pièces à déguisement verbal. Le théâtre espagnol préfère dans l’ensemble le jeu rhétorique au jeu visuel – plutôt l’apanage des Italiens – à moins que le personnage déguisé ne soit un bouffon62.
Soulignons toutefois le caractère particulier des déguisements de L’Aveugle clair-voyant. Les deux déguisements principaux, ceux sur lesquels repose l’action de la pièce, ne sont pas dus au changement d’identité, de condition ou de sexe de l’un des personnages, comme c’est fréquemment le cas dans le théâtre du XVIIe siècle. Nous sommes plutôt confrontés à un changement d’état. En effet, Cléanthe n’a pas deux personnalités distinctes : il est toujours le père de Lidamas et de Mélice et il montre son autorité paternelle en interdisant à cette dernière d’épouser Thélame. Cependant, il diffère légèrement de la personne qu’il était avant de partir pour Dunkerque puisqu’il contrefait l’aveugle. Il apparaît donc à ses enfants plus vulnérable et plus facile à tromper. De la même manière, Olimpe est toujours la jeune veuve qui s’est engagée auprès de Cléanthe, mais elle n’est plus tout à fait la même jeune femme puisqu’un soi-disant accident l’a défigurée. L’avantage de ce type de déguisement est qu’il évite les reproches d’invraisemblance formulés par certains théoriciens du XVIIe siècle. Ainsi, La Mesnardière63, dans sa Poétique, critique l’invraisemblance de certains déguisements physiques où le personnage déguisé n’est pas reconnu par son amant(e) ou par ses parents.
Toutefois, la pièce met également en scène des déguisements plus « traditionnels », faisant intervenir un changement d’identité. Ainsi, Nérine prend la place d’Olimpe, à la scène 4 de l’acte II, et se fait passer pour sa maîtresse auprès de Cléanthe. L’auteur a soin de nous préciser dans la scène précédente que ce déguisement est tout à fait plausible puisque la voix de Nérine ressemble tant à celle d’Olimpe qu’à les « ouïr parler on prend l’une pour l’autre » (v. 526).
En outre, certains déguisements sont également imposés aux personnages. En effet, Thélame et Lidamas, respectivement à la scène 2 de l’acte II et à la scène 3 de l’acte IV, sont contraints par Cléanthe, leur prétendue victime, à endosser le rôle de Sylvestre : ils ne peuvent en aucun cas révéler leur présence, puisque se serait en même temps avouer qu’ils cherchent à duper l’« aveugle », et doivent endurer la colère du maître contre son valet trop insolent.
Plusieurs caractéristiques rapprochent les déguisements que nous venons de mentionner. Ainsi, ils sont tous découverts, excepté bien entendu le déguisement de Cléanthe, à l’instant même où ils sont mis en œuvre. Cette particularité vient du fait que dans la dernière pièce de Brosse, les personnages se contentent d’affirmer qu’ils sont autres, se satisfont d’un simple déguisement verbal64, alors qu’ils devraient également paraître physiquement déguisés. Par exemple, Olimpe aurait dû porter un masque pour cacher qu’elle n’était qu’illusoirement défigurée, masque qui aurait d’ailleurs été parfaitement justifié dans sa situation. Mais le fait qu’elle croit Cléanthe aveugle a pour conséquences qu’elle ne déguise que son discours. Il en va de même pour Nérine qui, à visage découvert, tente de se faire passer pour sa maîtresse. Quant à Thélame et Lidamas, ils veulent, sans se cacher, faire croire à Cléanthe qu’ils ne sont pas dans la salle où il se trouve lui-même. Georges Forestier a d’ailleurs remarqué toute l’ambiguïté que pouvaient avoir certaines scènes de L’Aveugle clair-voyant, du fait que les personnages ne déterminent leurs actions qu’en fonction de la feinte cécité de Cléanthe. Il prend pour exemple la scène 5 de l’acte I, où Olimpe raconte à Cléanthe la façon dont elle a été défigurée :
L’originalité – et l’intérêt – de la scène, dont l’ambiguïté devait être beaucoup plus nette à la représentation, est déjà largement sensible à la lecture : deux personnages « normaux » cherchent à se persuader mutuellement qu’ils ne le sont plus, que l’intégrité de leur personne a été entamée ; rencontre de deux apparences mensongères qui, c’est là que réside le tour de force de Brosse, ne sont précisément pas apparentes. Face à face, deux déguisements sans déguisement65.
Le jeu de rôle §
Nous avons vu que tout le monde, ou presque, se déguise dans L’Aveugle clair-voyant au moins à un moment ou à un autre, si ce n’est tout au long de la pièce. Or, le processus de déguisement provoque un autre phénomène : le dédoublement de la personne. Chaque personnage déguisé est en effet amené à jouer un rôle. Cependant, le principe du jeu de rôle dépasse le concept de déguisement pur et simple et peut également s’appliquer aux dissimulations de pensée. En effet, Mélice, aux actes III et IV, joue le rôle de la fille obéissante66. De la même manière, Lidamas imite l’attitude du fils vertueux pendant toute la pièce. Sylvestre, quant à lui, affectera, pendant les quatre premiers actes, d’être un valet corrompu devant les enfants de son maître, puis jouera le rôle du valet fidèle devant Cléanthe dans le dernier acte. Diverses remarques confèrent d’ailleurs aux personnages le statut de comédiens. Par exemple, avant « d’entrer en scène », de commencer à tromper Mélice et Thélame, Cléanthe demande discrètement à Sylvestre de bien s’« acquitt[er] du róle qu’ [il] jou[ë] » et son valet lui répond : « Si j’y manque d’un mot, couvrez-moy les deux jouës »67. Le dédoublement du personnage s’accompagne, en outre, d’un dédoublement du spectateur. Georges Forestier déclare ainsi :
Quelle que soit la manière dont il est déguisé, le personnage concerné se voit pourvu d’un rôle qui se surajoute à son rôle de base. Tout personnage déguisé joue donc, volontairement ou non, consciemment ou non, un rôle devant un autre personnage, au moins, qui se trouve ainsi dans une position de spectateur, et qui est amené à réagir devant le jeu du comédien. Il peut être pris par le jeu et se trouver ainsi victime de l’illusion ; il peut être mis dans la confidence et devenir complice de l’illusion dont sont victimes les autres personnages.68
Pendant les quatre premiers actes, Lidamas, Olimpe, Mélice, Thélame et Nérine sont à la fois les spectateurs et les victimes des rôles joués par Cléanthe et son complice, Sylvestre. Puis c’est au tour de Cléanthe, une fois son déguisement découvert (acte V), de devenir la victime du jeu des autres personnages, Lidamas, Olimpe et Sylvestre s’alliant pour le mettre en défaut. Les personnages, devenus véritablement les doubles des spectateurs « réels », à partir du moment où ils ont les mêmes informations qu’eux, vont même se laisser aller à commenter le jeu des autres, à souligner les passages ou ceux-ci font preuve de virtuosité. Ainsi, Cléanthe félicitera Sylvestre, à la fin d’une scène où ils ont joué un tour à Mélice et Thélame, par ces mots : « Au reste tu m’as pleu dans ta naïveté »69. De la même manière, Lidamas admirera l’habileté de son père, en déclarant en aparté : « Qu’il dissimule bien, & qu’il abonde en ruses »70. On assiste enfin à un dédoublement du rôle du dramaturge puisque les personnages, déjà acteurs et spectateurs, conçoivent également la trame de leurs ruses et recherchent l’originalité. Cette exigence est affirmée à deux reprises. Lidamas l’exprime tout d’abord en ces termes :
Nerine dont la voix imite tant la vostre,Qu’à vous ouïr parler on prend l’une pour l’autre,Me fournit un moyen facile & non communPour esloigner de vous cet Amant importun71.
Puis c’est au tour de Cléanthe :
Mon esprit occupé dans un dessein si beauM’en fournit un moyen agreable & nouveau72.
On se plaît, en outre, à mettre en évidence la part de jeu dans l’expression de tel ou tel sentiment. Par exemple, Lidamas rapporte à Olimpe ce qu’il a raconté à son père à propos de l’« accident » de la jeune veuve, en soulignant son jeu d’acteur : « Doncques d’une voix triste, Olimpe, mon cher pere, / N’est plus, luy dis-je lors, en estat de vous plaire »73. Le même procédé se retrouve dans une tirade de Cléanthe, quand il commente l’accueil que lui ont réservé ses enfants à son retour : « On accourt m’accueillir en se moüillant les yeux »74 ; ou encore dans une réplique de Sylvestre lorsqu’il raconte à Cléanthe la fausse confidence qu’il a faite à Nérine au sujet de l’infidélité de Lidamas : « J’ay feint que j’en faisois un important secret »75.
Le plaisir du jeu §
On ne se lasse donc pas de répéter que tout ceci n’est qu’un jeu, mais on montre également que l’on prend du plaisir à jouer. En effet, même si Cléanthe utilise aussi son déguisement pour se venger et donner une leçon aux jeunes gens76, c’est d’abord pour vérifier l’exactitude des rapports que ses amis lui ont fait sur les agissements de Mélice et de Lidamas77 qu’il contrefait l’aveugle. Cependant, dès l’acte I, le peu de vertu de ses enfants lui est révélé : à la scène 3, Mélice finit par avouer qu’elle reçoit avec bonheur les visites de Thélame et, à la scène 4, quand Sylvestre lui rapporte ce que Lidamas lui « a tant dit à l’oreille », Cléanthe ne doute plus de la rivalité amoureuse qui l’oppose à son fils78. L’unique but de la feinte du vieillard devient donc de poursuivre son stratagème pour savoir jusqu’où ses enfants et leurs amants peuvent aller79. Cela donne au déguisement de Cléanthe l’une des finalités dégagées par Georges Forestier : la tromperie80. Voici la définition qu’il en donne :
Comme on vient de le voir, héros et héroïnes ont presque toujours une bonne raison de tromper. Aussi reste-t-il peu de cas (…) où une motivation plus explicite ne se superpose pas à la tromperie. Non que la tromperie soit une motivation gratuite. C’est toujours une motivation qui sert à réaliser autre chose, mais on a l’impression que le plaisir de tromper est près de l’emporter sur la nécessité de se déguiser81.
Georges Forestier ajoute également que la tromperie est liée au thème du passe-temps, du divertissement, « thème fréquent dans la comédie du deuxième tiers du XVIIe siècle »82. À plusieurs reprises, la notion de plaisir du jeu est mise en avant dans L’Aveugle clair-voyant. Ainsi, Cléanthe, à la scène 5 de l’acte I, veut « donn[er] plaisamment une fin qui réponde à ce commencement »83. La tirade de Sylvestre, à la scène 2 de l’acte V est également très éloquente à ce sujet. Le valet, qui a avoué à Lidamas la feinte cécité de Cléanthe, lui propose ensuite de jouer quelque tour au faux aveugle :
Cependant vous & moy, prenons la hardiesseDe faire à cét aveugle entre nous quelque piéce,Si vous donnez croyance aux avis d’un valet,Vous aurez un plaisir qui ne sera pas laid ;Joint qu’il est à propos que par quelque industrieTout vostre procedé passe en galanterie,Il faut que vostre pere entre en un sentimentQue vous n’ignoriez pas son feint aveuglement,Et que les libertez prises en sa presenceN’estoient que des essays d’user de patience84 [.]
Deux motivations sont exprimées ici par Sylvestre : le plaisir dans un premier temps, puis la volonté de faire passer les méfaits de Lidamas et d’Olimpe pour des « galanteries ». Aucune de ces deux finalités ne semblent avoir une plus grande importance que l’autre, la notion de plaisir étant même énoncée avant l’autre motif. Sylvestre semble vouloir joindre l’utile à l’agréable. Lidamas, Olimpe et Sylvestre vont ainsi jouer une série de petites saynètes visant à persuader Cléanthe qu’ils étaient au courant de sa ruse depuis le début. La notion de plaisir est encore réaffirmée à la dernière scène de la pièce où Cléanthe enjoint les autres personnages à « laiss[er] la feinte à part » et « à tir[er] de vrais plaisirs, de véritables causes »85.
Le jeu sur le réel et l’illusion §
Cléanthe, dans les vers que nous venons de citer, oppose les feintes et les plaisirs illusoires qu’elles engendrent à la réalité et ses « vrais plaisirs ». Il met ainsi en évidence le jeu sur le réel et l’illusion, l’être et le paraître qui était présent pendant toute la pièce, notamment à travers les mensonges et les déguisements.
Ce jeu est d’ailleurs accentué par l’alternance de scènes où les personnages jouent un rôle et de scènes où ils se montrent tels qu’ils sont en réalité. Par exemple, Cléanthe entre deux scènes où il joue l’aveugle devant l’un de ses enfants, laisse tomber le masque quand, seul ou avec Sylvestre, il s’indigne des fourberies de Mélice, Thélame, Lidamas et Olimpe.
En outre, il faut également relever l’ambiguïté de certains couples de scènes. En effet, les personnages sont parfois conduits à jouer une scène qu’ils avaient auparavant vécue. Ainsi, à la scène 1 de l’acte V, Lidamas menace de tuer Sylvestre parce que celui-ci l’a brouillé avec sa maîtresse :
Lasche & perfide autheur d’un raport qui m’offence,Tu ne te peux soustraire à ma juste vengeanceSans mettre en contrepoids ma naissance & ton rang,Pour laver ton forfait je verseray ton sang,
Il réitérera ses menaces, à la scène 7 du même acte, au cours d’une des « pièces » jouées à Cléanthe, où cette fois, théâtralement, il fera mine de les mettre à exécution :
Le perfide qu’il est par un motif couvert,Craint de desavoüer un rapport qui me perd.Mais puisque par l’effet d’un respect qui le touche,La verité ne peut s’apprendre de sa bouche,Puissamment transporté de mon juste dessein,Je m’en la vay chercher jusque dedans son sein.(Il feind de luy vouloir donner un coup de poignard. Cleanthe luy retient le bras.)
De la même manière, le réel s’assimile presque à l’illusion, le vrai et le faux en viennent presque à se confondre, lorsque Sylvestre clame son innocence devant les accusations de Cléanthe. À l’acte I, scène 4, il est effectivement innocent quand Cléanthe lui reproche de ne pas lui avoir tout dit :
CLEANTHELidamas t’aura dit quelqu’autre chose encorQue tu me veux celer en faveur de son Or.Mais poursuis.SYLVESTRESi ma dague estoit bien émouluëJ’ouvrirois [à] vos yeux ma poitrine veluë.C’est tout, [ou] jamais Vin n’entre dedans mon corps,Et cela c’est vouloir passer au rang des morts86.
Mais à l’acte V, scène 4 c’est avec tout autant d’assurance qu’il clame son innocence, bien qu’il soit, cette fois, coupable :
CLEANTHEAucun d’eux ne sçait mon stratageme ?SYLVESTREJe demeure confus à cét interrogatIl me frappe à l’honneur je vous le dis tout plat.Il semble à vous ouyr, que je sois la gazette,Mais pour vos interests j’ay la gueule muette87.
Enfin, l’ambiguïté culmine au dernier acte puisque la pièce s’achève dans la déréalisation la plus complète : Cléanthe qui croyait avoir (et qui a effectivement) trompé tout le monde en vient à douter et finit par se demander si ce n’est pas lui, finalement, la victime de l’illusion88.
Les divers procédés que nous venons d’étudier, ont encore une autre incidence : les déguisements, les jeux de rôle, les diverses remarques d’ordre métatextuelles, l’ambiguïté entre le vrai et le faux rompent et dénoncent l’illusion théâtrale. Le jeu devient apparent à certains moments ; ces personnages qui incarnent eux-mêmes des personnages, qui deviennent donc des acteurs, renvoient le spectateur à ce qu’il a devant les yeux, à la représentation théâtrale à laquelle il assiste. Les scènes qui mettent en évidence le jeu de rôle « se donnent à lire comme image symbolique de l’activité théâtrale »89.
Ces divers éléments renforçant le jeu entre le réel et l’illusion participent de la « dramaturgie de l’ambiguïté » que l’on retrouve dans tout le théâtre comique de Brosse, comme le montre d’emblée les titres paradoxaux qu’il donne à ses comédies.
« La Dramaturgie de l’oxymore » §
Dans les années 1640-1650, l’engouement pour la comédie à l’espagnole va favoriser une autre mode : celle des pièces à titres paradoxaux car, comme le remarque Georges Forestier, « même si les titres des pièces espagnoles de l’époque ne sont pas particulièrement paradoxaux, les paradoxes figurent au premier rang des jeux de " conceptisme " dont sont remplies les comedias »90. Ce phénomène est très important puisqu’il se retrouve dans les trois comédies de Brosse, qui privilégient d’ailleurs une utilisation particulière du paradoxe : l’oxymore91, c’est-à-dire une « contradiction dont les deux membres s’excluent l’un l’autre de manière absolue »92.On ne peut pas en effet être à la fois aveugle et clairvoyant. Pour Georges Forestier toute la comédie est « une simple dramatisation de l’oxymore » :
Dans L’Aveugle clairvoyant, l’oxymore constitue au contraire la donnée fondamentale d’où découle toute l’action de la pièce . Elle est de bout en bout incarnée par le même personnage, et jusqu’au dernier acte, aucune des victimes de l’illusion n’a conscience de l’être93. »
Dans L’Aveugle clair-voyant, Cléanthe est le maître du jeu, et c’est lui qui crée intentionnellement l’illusion dont ses enfants et leurs amants seront les victimes. On retrouve donc l’opposition entre l’être et le paraître que nous avons déjà évoquée : si Cléanthe peut-être à la fois aveugle et clairvoyant, c’est que l’une de ces caractéristiques n’est qu’une apparence, tandis que l’autre renvoie à la réalité. On peut noter que Cléanthe exprime verbalement l’oxymore lorsqu’il dit : « Je suis Aveugle enfin, & ne vy jamais mieux »94.
L’Ironie §
Cependant, c’est par une autre figure de rhétorique que Brosse rappelle constamment au spectateur l’écart entre le réel et l’illusion : l’ironie. Il convient tout d’abord de distinguer « ironie dramatique » et « ironie verbale », toutes deux présentes dans L’Aveugle clair-voyant :
Tout déguisement qui n’établit pas un mystère crée une situation d’ironie dramatique au détriment de la victime du déguisement, le spectateur étant plus informé que le personnage. Cette ironie dramatique se double d’ironie verbale quand le personnage déguisé s’exprime en jouant sur sa double identité, la vraie et la fausse95.
Liée à l’écart de savoir qui existe entre le personnage et le spectateur, l’ironie va pendant les quatre premiers actes être principalement le fait de Cléanthe. D’ailleurs, il suffit que ce dernier soit présent sur scène pour que soit créée une situation d’ironie dramatique. Cependant, dans L’Aveugle clair-voyant, celle-ci est presque toujours accompagnée d’ironie verbale : le vieillard truffe son discours de paroles à double entente, que le public seul (et Sylvestre) comprend véritablement. Pour les autres personnages, les paroles de Cléanthe n’ont qu’un seul sens. Pour reprendre les termes de Georges Forestier, le destinateur de l’ironie est Cléanthe, son destinataire le public principalement, et les cibles sont les enfants de Cléanthe et leurs amants. Cet état de fait crée bien entendu une complicité entre Cléanthe et les spectateurs, ce qui n’est pas étranger à la sympathie que l’on ressent pour ce personnage96. Ainsi, le vieillard ne cesse d’utiliser la forme la plus courante de l’ironie : l’antiphrase. Il qualifie, par exemple, Lidamas de « bon fils » lorsqu’il est seul avec Sylvestre (I, 4, v. 311) ou s’extasie à plusieurs reprises sur la beauté des vertus d’Olimpe et de Mélice. À l’acte II, scène 4, il déclare à Olimpe qu’il l’aime pour ses vertus et non pour sa beauté97, et à l’acte III, scène 3, il loue l’obéïssance de sa fille :
Que je doy rendre au Ciel de graces & de vœuxDe vous trouver si soupple à tout ce que je veux98 !
Cependant, si Cléanthe est celui qui ironise le plus de manière consciente, d’autres personnages soit font des remarques ironiques sans le savoir, soit pensent à tort que leur ironie n’est pas perçue par le personnage auquel ils font face. Ainsi, l’acte II se clôt brillamment par cette remarque d’Olimpe :
Certes si je pouvois l’estimer aujourd’huyJe me declarerois plus aveugle que luy99.
La jeune veuve se retrouve la cible de l’ironie dont elle est elle-même le destinateur : abusée par Cléanthe, elle est effectivement, à ce moment de la pièce, « plus aveugle que luy ». Le plaisir du spectateur se trouve sans aucun doute augmenté par le fait qu’aucun des personnages présents sur scène ne comprend le double sens contenu dans la phrase d’Olimpe, cette dernière étant seule avec Nérine qui est tout aussi ignorante qu’elle. À l’acte V, scène 4, Cléanthe devient aussi la victime de sa propre ironie lorsqu’il dit à Sylvestre, qui vient de le trahir (scène 2) : « Miroir des bons valets, & des vrays confidents » (v. 1447). À la scène 4 de l’acte II, Nérine emploie également ce trope, quand, se faisant passer pour Olimpe, elle dit à Cléanthe qui croit parler à sa fiancée :
Vous me faites rougir par trop de complaisance,Fist le Ciel que vos yeux aussi bons qu’autrefois100 […]
Cependant, le maître de maison, nullement aveugle, voit tout et sait tout. C’est pourquoi, non seulement il comprend l’ironie du discours de Nérine, mais il renchérit encore en répondant par des paroles tout aussi équivoques :
Madame, c’est assez, croyez que je vous vois,101
Le même procédé se retrouve dans la tirade de Mélice à la scène 3 de l’acte III. En effet, la jeune fille, qui vient d’écrire sous les yeux de son père le contraire de ce qu’il lui dictait, lui dit avant de partir :
La pieté m’oblige, & le Ciel me convieD’obeïr à celuy duquel je tiens la vie,Tousjours de vos desirs je hasteray l’effectAvec tout le plaisir & le soing que j’ay fait,102
L’ironie peut encore être employée consciemment de façon à ce que l’interlocuteur la remarque. Cette utilisation est visible au cinquième acte où la supercherie de Cléanthe est révélée aux autres personnages qui veulent désormais faire croire à l’aveugle qu’ils n’ont jamais été dupes de sa feinte. Olimpe en use ainsi à la scène 6 de l’acte V quand elle fait remarquer à Cléanthe qui vient de l’empêcher de tomber :
Je puis apres le trait que vous venez de faireConclure encor qu’Amour vous guide & vous esclaire.Et qu’en tous vos besoins, sensible & pourvoyant,Quand il luy plaist d’Aveugle il vous rend clair-voyant.103
Le double sens des paroles d’Olimpe est parfaitement perceptible pour son interlocuteur puisque Cléanthe qualifie le discours de la jeune veuve de « suspect ».
Le comique §
Liée à la « dramaturgie de l’ambiguïté », l’ironie contribue également au comique dans L’Aveugle clair-voyant. En effet, comme le souligne Roger Guichemmerre, « la disconvenance (…) entre ce que le personnage croit dire et ce qu’il dit réellement » ou encore le contraste entre ce qu’il dit et ce qu’il pense, provoque chez le spectateur « le plaisir tout intellectuel de mieux comprendre la situation que les protagonistes »104. Clin d’œil adressé au spectateur, l’ironie crée une complicité avec la salle et contribue donc à créer une « esthétique du plaisant »105 dans cette pièce exempte de personnage ridicule.
« L’esthétique du plaisant » §
Ce dernier point est assez rare dans une pièce mettant en scène un vieillard amoureux pour être mentionné. L’absence de personnage ridicule ressort particulièrement si l’on compare notre comédie à celle de Marc-Antoine Legrand. En effet, l’auteur du XVIIIe siècle, dont la pièce se rapproche plus de la farce, a, comme nous l’avons déjà dit, adapté la comédie de Brosse en un acte en faisant disparaître Mélice et Thélame et en les remplaçant par deux personnages intrinsèquement ridicules : une vieille coquette et un médecin prétentieux nommé Lempesé. Dans la pièce de Legrand, Olimpe est rebaptisée Léonor et porte le même nom que la vieille coquette qui est, par ailleurs sa tante. Lidamas, appelé Léandre, n’est plus le fils mais le neveu de Cléanthe, nommé Damon dans la comédie du XVIIIe siècle. Instruit de l’inconduite de sa jeune fiancée qui se laisse courtiser par Lempesé et qui témoigne une vive affection pour Léandre, lui-même censé être en Flandre, Damon décide de feindre l’aveuglement pour percer à jour les manigances des uns et des autres et surtout pour se divertir106. Cependant, avant son départ, Damon avait exigé que Léonor signe un dédit. Celle-ci, souhaitant désormais épouser le neveu sans avoir à payer le dédit, demande à Marin, le valet de « l’aveugle » qu’elle croit avoir réussi à corrompre, de dire à Cléanthe qu’elle a été défigurée107. Lisette, suivante de la jeune Léonor, a ensuite une autre idée et conseille à sa maîtresse de trouver quelqu’un qui, contrefaisant sa voix, se fasse passer pour elle et épouse Damon à sa place. Mais, seule la tante de Léonor, amoureuse de Cléanthe qui lui a jadis préféré sa nièce, se propose et insiste pour se substituer à la jeune fille de trente ans sa cadette108. Elle va bien entendu échouer dans son imitation de Léonor, certes parce que Damon simule la cécité, mais aussi parce qu’elle jouera très mal son rôle109. La ruse elle-même sera d’ailleurs présentée comme absurde : Damon s’en moquera110. Lempesé ne connaîtra lui aussi que des échecs. Par contre, Damon manœuvrera si bien qu’il punira les deux ridicules en les mariant l’un à l’autre, mariage que les principaux intéressés ne découvriront qu’au dénouement.
Au contraire, dans la comédie de Brosse, tous les personnages sont intelligents : l’insistance avec laquelle l’auteur souligne leur adresse à tromper et leur facilité à manier l’ironie en sont des preuves certaines. Il est vrai qu’à deux reprises Brosse nous propose des scènes burlesques. Il s’agit bien entendu de la scène 2 de l’acte II et de la scène 4 de l’acte III où Cléanthe frappe respectivement Thélame et Lidamas en feignant de châtier l’insolence de Sylvestre. On rit alors effectivement des deux jeunes gens mais on ne rit pas tant des personnages en eux-mêmes que de la situation dans laquelle leurs mensonges les ont conduits. Le spectateur, loin de ressentir un véritable mépris pour Thélame et Lidamas éprouve plutôt un amusement admiratif devant l’habileté de Cléanthe et ne peut résister aux plaintes de Sylvestre qui proteste contre la rudesse des coups de son maître tandis qu’un autre les reçoit.
L’outrance présente dans le jeu de Cléanthe est un autre élément du comique. « L’aveugle » et son valet exagèrent en effet parfois les problèmes provoqués par la cécité du maître. Ainsi, à la scène 5 de l’acte I, le jeu de scène accompagnant les vers 533 à 536 ne peut que susciter le rire :
CLEANTHEMadame…SYLVESTREAttendez donc que vous soyez vers elle,Vous ressemblez les chiens de chez Jean de Nivelle,Vous abbayez de loing. Avancez, Alte-là.Tournez-vous autrement, parlez, vous y voila.
Le comique de ce passage est encore renforcé si l’on considère la manière dont Cléanthe fait sa cour à Olimpe après cette laborieuse arrivée :
J’y suis venu, Madame, accompagné d’un Dieu,Amour qui dans mon cœur en souverain presideM’a conduit par la main & m’a servi de guide,Luy seul jusques à vous a pris soin de mes pas111
Après avoir eu toute les peines du monde à parler à Olimpe face à face, Cléanthe lui dit galamment que seul l’Amour l’a conduit vers elle, faisant ainsi de Sylvestre l’incarnation du Dieu ! De la même manière, Cléanthe caricature l’emportement amoureux lorsqu’il embrasse avec ferveur la main de Lidamas pendant une dizaine de vers, tout en déclarant :
Quels transports ? ô Ciel je n’en puis plus.Encor un peu de temps, & j’expire dessus.Chaste albastre animé, belle main que je touche,Tu peux prendre mon cœur, il est dedans ma bouche112.
Brosse tire également un effet comique du déguisement de Cléanthe, visible dans la scène que nous venons d’évoquer. En effet, si l’on rit d’un personnage ridicule, voir un personnage déguisé jouer les ridicules peut provoquer un plaisir supérieur. Ainsi, Cléanthe en embrassant avec ferveur la main de Lidamas se ridiculiserait totalement si le spectateur ne savait pas qu’il joue la comédie.
On peut également souligner la gratuité de certaines scènes qui ne font en aucun cas avancer l’action et qui ne sont réellement présentes que pour faire sourire le spectateur. Il en va ainsi pour le monologue de Lucille (IV, 4). Le seul intérêt dramatique de cette scène est que Lucille laisse échapper la lettre de Thélame. Pourtant, Brosse en profite pour placer une longue réflexion sur le bavardage des femmes, un poncif de la comédie113, qui fait d’ailleurs échos aux vers 878, 1101 et 1128 à 1130, où Sylvestre critique l’indiscrétion féminine. Critique qui peut prêter à rire venant de sa part puisque ce sera lui, finalement, qui révèlera la ruse de son maître à la scène 2 de l’acte V, accusant dans la scène qui suit son « maudis flux de bouche » (v. 1426).
Enfin, le spectateur de L’Aveugle clair-voyant s’amuse aussi des tours qui sont joués aux personnages. Il éprouve un plaisir indéniable à voir les autres se faire duper, plaisir encore accru dans la comédie de Brosse puisque les trompeurs y sont toujours trompés. Ainsi, Lidamas, dont le plan est exposé dès la scène 2 de l’acte I, avant que le spectateur n’ait eu connaissance de la feinte de Cléanthe, apparaît comme celui qui va berner son père. Dès la scène 4 de l’acte I, nous apprenons qu’il n’en est rien et qu’au contraire il va être la dupe. De même, à l’acte V, Cléanthe, qui maîtrisait pourtant totalement la situation pendant les quatre premiers actes, est finalement trompé par Olimpe et Lidamas.
Le personnage de Sylvestre §
Le comique repose aussi sur le personnage de Sylvestre. En effet, si l’ironie des maîtres est source de comique, la verve de Sylvestre est tout aussi efficace. Sylvestre, sur ce point, ne diffère pas du type traditionnel du valet : il utilise un langage pour le moins imagé. Les tours proverbiaux prolifèrent. On peut citer, par exemple, « Vous ressemblez les chiens de chez Jean de Nivelle » (v. 534), « En se pensant brancher le bel oyseau s’engluë » (v. 934) ou encore l’expression « friser la corde » (v. 478). Le discours de Sylvestre regorge en outre de jeux de mots et de métaphores. Il n’y a qu’à voir la manière dont le valet joue avec la métaphore usée « se passer la corde au cou » :
CLEANTHEQuel secret important as-tu donc à m’apprendre ?SYLVESTREQue depuis ce matin j’enrage de me pendre.CLEANTHEDe te perdre meschant, n’és-tu pas yvre ou fou ?SYLVESTREJ’en ay jetté la pierre & lancé le caillou,Sur ce poinct desormais ma volonté s’obstine,Je veux estre pendu, mais au cou de Nerine,Ce gibet me plaist tant, je le dis sans peché,Que je seray ravy de m’y voir attaché114.
Un style plus familier, l’utilisation de mots bas comme « drillez » ou « gueule », l’emploi de mots considérés comme comiques ou burlesques par les dictionnaires de l’époque (voir par exemple les notes concernant les mots « opilee » (v. 261), « moult » (v. 262), « phœnix » (v. 480) ou encore « estocader » (v. 1438) ) achèvent de distinguer le discours de Sylvestre de celui des autres personnages. Son langage est en outre caractérisé par une abondance de paroles et une vivacité certaine. Jean Emelina remarque, à juste titre, qu’« il faudrait aussi tenir compte du débit dans la parole des serviteurs. (…) Le rythme des phrases, les accumulations de termes, les exclamations (…) suffisent à indiquer que l’acteur, qui joue les valets doit, le plus souvent, parler vite »115. Les discours des valets ne sont généralement pas posés et en cela Sylvestre ne dépare pas de ses congénères. Il suffit de se référer à l’un des passages de son monologue (V, 3) pour en être convaincu :
Ce jeu ne me plaist pas, & la main sur la panceJ’enrage de bon cœur aussi tost que j’y pense.Moy n’avoir aujourd’huy rien humé que du vent !Ma foy j’éviteray ce mal d’orénavant.Plustost que de jeusner, j’iray la teste nuë,Estocader du bras les passans dans la ruëMon Maistre me [deusse-t] -il….. il vient à petits pas.116
Il faut en outre imaginer la gestuelle qui accompagne cette tirade (il est probable qu’à la représentation, Sylvestre mimait sa façon d’« estocader » les passants) et l’on conviendra que l’acrobatie verbale accompagne l’acrobatie physique.
Note sur la présente édition §
Il n’existe qu’une seule édition de L’Aveugle clair-voyant, publiée en 1650 par Toussainct Quinet. En voici la description :
1 vol., 4 ff. non paginé [I-I bl-VI], 108 p.117 ; in-4°.
[I] : L’AVEUGLE / CLAIR-VOYANT, / COMEDIE. / Representée sur le Theatre Royal / devant leurs Majestez. / (Vignette) / A PARIS, / Chez TOUSSAINCT QUINET, au Palais, sous la montée / de la Cour des Aydes. / M. DC. L. / AVEC PRIVILEGE DU ROY.
[II] : verso blanc.
[III-VI] : épître dédicatoire.
[VII] : extrait du privilège du roi.
[VIII] : les acteurs.
1-108 : le texte de la pièce, précédé d’un rappel du titre en haut de la première page.
Nous avons consulté les exemplaires disponibles à la Bibliothèque nationale, à la bibliothèque de l’Arsenal, à la bibliothèque Mazarine, à la bibliothèque de la Sorbonne et à la bibliothèque Sainte-Geneviève118. À une exception près, nous avons retrouvé les mêmes coquilles dans chacun des exemplaires consultés.
Ainsi nous retrouvons la même erreur de pagination. En effet, la page 79 est numérotée 63 (cahier K) et, à partir du cahier L, la numérotation des pages est décalée d’un cahier (p. 73=81, p. 74=82, etc.) et ce, jusqu’à la fin de la pièce. Toutefois, l’exemplaire de la bibliothèque Mazarine présente une erreur de pagination supplémentaire : la première page du cahier N porte le n° 79 au lieu du n° 89. Cette unique variante est vraisemblablement due à une correction sous presse effectuée au cours du tirage.
En règle générale, nous avons conservé l’orthographe et la ponctuation de l’édition originale, à quelques réserves près :
- – Nous avons, conformément à l’usage moderne, distingué le u et le v, le i et le j.
- – Nous avons supprimé le tilde (ainsi, dans l’épître, démẽt est devenu dément. Les mots suivants ont fait l’objet de la même suppression : surprennẽt (épître), mõ (v. 198), cherchãt (v. 529), appartiẽt (v. 608), cõtrainte (v. 633), prõpt (v. 671), Mõsieur (v. 808), chãbre (v. 974) ).
- – Nous avons remplacé la constrictive labiale ß par ss (ainsi au v. 21 bleßee est devenu blessee. La même substitution a été effectuée sur les mots : languißant (v. 95), permißion (v. 200), dißipant (v. 291), compaßion (v. 320), reüßi (v. 360, 1199), renaißant (v. 367), großier (v. 428), naißance (v. 449), paßion (v. 471, 505, 639), außi-tost (v. 661, 1434), intereßee (v. 702), neceßité (v. 1068), laißé (v. 1132), dißipons (v. 1153), außi (v. 1283, 1299, 1380, 1416, 1418, 1535, 1553), reußy (v. 1284), puißions (v. 1315), reüßir (v. 1405), Aßurez (v. 1409), dißimule (v. 1483), poßible (v. 1495), réüßiray (v. 1568), dißimulez (v. 1633) ).
- – Nous avons aussi ajouté ou retranché certains accents afin de distinguer où relatif et ou conjonctif ainsi que à préposition et a auxiliaire. Ces corrections concernent les vers suivants : où aux vers 247, 1148, 1231, 1235, 1257, 1280, 1452, 1485, 1572, 1579 ; à aux vers 418, 1278, 1328, 1507 ; a aux vers 246, 1256, 1430.
- – Nous avons corrigé certaines fautes d’orthographe, manifestement dues à des coquilles et suppléé à l’omission de certains mots : les (épître p. 2, l. 20), existant un idee (v. 150), Cee (v. 251), j’eu quitté (v. 272), supirer (v. 386), dc (v. 390), genitenr (v. 443), vois (v. 673), quelque’affreux (v. 693), avec (v. 745), veus (v. 1020), ces (v. 1044), longueurl (v. 1076), imposturee (v. 1085), postur (v. 1086), part dedans (v. 1167), traiss (v. 1188), ce (v. 1200), qne (v. 1213), omission du nom de Lucille dans la liste des personnages présents sur la scène du théâtre au commencement des scènes 8 et 9 de l’acte IV, sa (v. 1262), omission du mot je : d’un moyen que treuve (v. 1274), avec (v. 1303), un invisible chaisne (v. 1342), un amour si secrette (v. 1370), meants (v. 1382), avec (v. 1386), essayes (v. 1402), avec (v. 1427), d’eust-il (v. 1439), ce (v. 1441), ses (v. 1466), à l’Escort (didascalie précédant le v. 1511), à lors (v. 1520), encore (v. 1611), c’est (v. 1614).
- – Enfin, nous avons modifié la ponctuation lorsque celle-ci nous paraissait incorrecte même pour le XVIIe siècle : courage, A ce mot. (épître p. 2, l. 8-9), tresors, (v. 228), sien, : (v. 284), cœur (pas de ponctuation) (v. 288), ordonne. Que (v. 385), force (pas de ponctuation) (v. 502), Mais. (v. 553), supportable (pas de ponctuation) (v. 566), peinture (pas de ponctuation) (v. 577), nature (pas de ponctuation) (v. 578), autrefois. (v. 595), Heureuse (pas de ponctuation) (v. 646), doucement, (v. 768), maisons ; (v. 772), bien. (v. 779), Animaux (pas de ponctuation) (v. 1127), outrages (pas de ponctuation) (v. 1241), rigueur (pas de ponctuation) (v. 1292), Tempestes (pas de ponctuation) (v. 1322), presents ?, (v. 1344), rival. (v. 1360), patience (pas de ponctuation) (v. 1402), ruë (pas de ponctuation) (v. 1438), montrer (pas de ponctuation) (v. 1502), tapisserie, (v. 1528), excez. (v. 1553), apprenez.m’en (v. 1562), dire (pas de ponctuation) (v. 1567), meure (pas de ponctuation) (v. 1572), penser, (v. 1598), ordinaire. (v. 1599), aveu, (v. 1626).
- – Nous avons également réduit systématiquement à trois le nombre de points de suspension.
Les rectifications apportées sont signalées entre crochets dans le texte.
Nous avons corrigé la disposition des vers 1683 et 1684 : J’y consens était rattaché au v. 1683 alors qu’il complétait le v. 1684.
Suivant l’usage, nous avons mis les indications scéniques entre parenthèses.
La comédie est entièrement écrite en alexandrins, à l’exception de deux passages en octosyllabes : une lettre de Melice119 et une lettre de Thelame120 lues par Cleanthe (qui comprennent cependant, respectivement, deux et quatre alexandrins).
L’AVEUGLE CLAIR-VOYANT,
COMEDIE.
Representée sur le Theatre Royal devant leurs Majestez. §
A MONSEIGNEUR §
MONSEIGNEUR
LE COMTE
DU DAUGNION121,
LIEUTENANT GENERAL
Pour le Roy aux Villes & Gouvernemens de Broüage, La Rochelle, Païs d’Aulnis, Isles & Citadelles d’Olleron & de Ré. Seul Lieutenant General des Armées Navales de sa Majesté, & Intendant general de la Marine, Navigation & Commerce de France.
MONSEIGNEUR,
Je serois plus Aveugle que celuy que je vous présente, si m’estant proposé de le faire passer pour Clair-voyant : J’empruntois d’autre que de vous de l’esclat, du jour, & des lumieres. Comme je ne croy pas que cette production soit assez puissante pour se soutenir d’elle-mesme, je n’estime pas aussi qu’elle ait si peu de force qu’elle ne puisse entreprendre un voyage de cent lieuës, pour rencontrer où vous estes un Protecteur & un Appuy. Quelques vers que je vous ay desja presentez122 s’estans trouvez à vostre goust, je ne me persuade pas qu’une composition d’un stile de pareille nature vous doive estre desagreable. L’Illustre Comte du Daugnion fait tousjours mesme accueil aux choses qui se ressemblent & qu’on luy offre avec mesme affection ; son obligeante humeur ne se dément jamais, non plus que son courage[.] A ce mot[, ] MONSEIGNEUR, commandez moy de me taire, si vous ne voulez entendre des veritez : Vous possedez parfaitement cette grandeur d’Ame & cette heroïque vertu* qui apprend aux hommes à mespriser le danger, la mort & la fortune*. C’est par ce glorieux oubly de vous mesme que vous avez si souvent donné de la terreur aux ennemis de cét Estat ; c’est par ce noble mespris de la Vie, qu’on vous a pris en tant de meslées pour le Dieu des combats, & qu’un mesme trouble ayant osté la conduitte aux Chefs, & la resolution aux Soldats, il n’est jamais demeuré personne qui osast tourner visage, pour s’assurer si c’estoit un homme qui les faisoit fuïr. Mais à vous figurer par d’autres traits* & pour arriver par degrez au rang que vous tenez aujourd’huy : Si l’on considere vostre Naissance, vous avez avec avantage cette vertu naturelle qui suit le sang, & que nous appelons Noblesse. Si l’on regarde vostre Fortune*, elle est grande, & telle qu’estant moindre elle seroit au-dessous de ce que vous meritez. Si l’on veut connaistre vostre Esprit, il en éblouït beaucoup d’autres de ses lumieres ; si l’on jette les yeux sur vostre Jugement, les évenemens ne [le] surprenent jamais : si l’on s’informe enfin de vos Employs, ils sont importans. Le plus souverain des Monarques qui vous reconnaist pour l’un des plus Illustres sujets de sa Couronne, & peut-estre pour le plus fidelle depositaire d’une partie de sa Puissance, ne vous occupe à rien que de considerable & de glorieux, où tousjours par des actions qui vont jusqu’au prodige, vous soutenez contre toutes sortes de rebelles & de factieux l’Authorité de ce Maistre qui peut tout. Quelque chose que j’aye pû dire, MONSEIGNEUR, il m’en reste à dire davantage, mais comme la Peinture n’a point trouvé jusqu’icy de traits pour bien representer la lumiere, l’Eloquence n’a point inventé de termes pour dignement loüer la vertu* ; J’achéve donc par une impuissance de poursuivre, & par la crainte de vous fascher* par où je satisferois tout le monde, permettez-moy seulement encor un mot, pour vous assurer que je prise plus que toute ma vie le peu de temps que j’ay eu l’honneur d’estre auprés de vous, & pour vous supplier de croire que je suis par naturelle inclination, & par le souvenir de vos biensfaits,
MONSEIGNEUR,
Vostre tres-humble, tres-obeissant
& tres-obligé*serviteur*, BROSSE.
LES ACTEURS. §
- CLEANTHE Pere de Lidamas & de Melice, Amoureux d’Olimpe.
- OLIMPE Jeune veufve, Amoureuse de Lidamas.
- LIDAMAS Amoureux d’Olimpe.
- MELICE Amoureuse de Thelame.
- THELAME Cavalier*, Amoureux de Melice.
- NERINE Suivante d’Olimpe.
- LUCILLE Suivante de Melice.
- SYLVESTRE Valet de Cleanthe.
Acte I
L’AVEUGLE CLAIR-VOYANT. COMEDIE. §
Scène première §
NERINE
OLIMPE
NERINE
NERINE
OLIMPE
NERINE
OLIMPE
NERINE
OLIMPE
NERINE
OLIMPE
NERINE
OLIMPE
NERINE
OLIMPE
Scène II §
LIDAMAS
LIDAMAS
OLIMPE
LIDAMAS
OLIMPE
LIDAMAS
OLIMPE
LIDAMAS
Scène III §
CLEANTHE
MELICE
CLEANTHE
MELICE
CLEANTHE
Scène IV §
CLEANTHE
SYLVESTRE
CLEANTHE
SYLVESTRE
CLEANTHE
SYLVESTRE
CLEANTHE
SYLVESTRE
Si ma dague estoit bien émouluëCLEANTHE
SYLVESTRE
CLEANTHE
SYLVESTRE
CLEANTHE
SYLVESTRE
CLEANTHE
Scène V §
LIDAMAS
CLEANTHE
OLIMPE
CLEANTHE
OLIMPE
CLEANTHE
OLIMPE
CLEANTHE
OLIMPE
CLEANTHE
LIDAMAS bas à Olimpe.
OLIMPE
CLEANTHE
Fin du premier Acte
Acte II §
Scène première §
THELAME
MELICE
THELAME
MELICE
THELAME
MELICE
THELAME
MELICE
THELAME
MELICE
THELAME
MELICE
THELAME
Scène II §
CLEANTHE
SYLVESTRE
THELAME
MELICE
CLEANTHE
SYLVESTRE
CLEANTHE
MELICE
CLEANTHE
THELAME bas
MELICE
CLEANTHE
SYLVESTRE
CLEANTHE, Il prend Thelame.
SYLVESTRE
CLEANTHE
SYLVESTRE
MELICE
CLEANTHE
CLEANTHE
CLEANTHE
Scène III §
LIDAMAS
OLIMPE
LIDAMAS
OLIMPE
LIDAMAS
Scène IV §
SYLVESTRE
CLEANTHE
SYLVESTRE
CLEANTHE
OLIMPE
CLEANTHE
LIDAMAS, à l’escart.
SYLVESTRE
OLIMPE
CLEANTHE
LIDAMAS bas
NERINE
CLEANTHE
NERINE
CLEANTHE
LIDAMAS bas
NERINE
CLEANTHE
SYLVESTRE
OLIMPE
Scène V §
NERINE
OLIMPE
Fin du second Acte
Acte III §
Scène première §
LUCILLE
MELICE
Scène II §
Melice seule.
Scène III §
SYLVESTRE bas.
CLEANTHE
MELICE bas.
CLEANTHE
MELICE
CLEANTHE
MELICE bas.
CLEANTHE
MELICE
SYLVESTRE
CLEANTHE
SYLVESTRE
CLEANTHE
SYLVESTRE
CLEANTHE
MELICE
SYLVESTRE
MELICE bas.
CLEANTHE
MELICE
CLEANTHE dicte.199
[p. 52]Lettre.
MELICE
CLEANTHE
Lettre.
Cleanthe
Lettre.
CLEANTHE ayant leu.
MELICE
SYLVESTRE
CLEANTHE
MELICE
CLEANTHE
MELICE à l’escart.
Scène IV §
SYLVESTRE
CLEANTHE
SYLVESTRE
Scène V §
CLEANTHE assis vers la table.
SYLVESTRE à Lidamas.
CLEANTHE
LIDAMAS bas.
SYLVESTRE
CLEANTHE frappant Lidamas.
LIDAMAS
CLEANTHE
SYLVESTRE
Si jamais je suis vostre valetCLEANTHE
SYLVESTRE
SYLVESTRE
CLEANTHE
SYLVESTRE
CLEANTHE
Scène VI §
SYLVESTRE
CLEANTHE
Fin du troisiesme Acte
Acte IV §
Scène première §
LIDAMAS
OLIMPE
LIDAMAS
OLIMPE
LIDAMAS
Scène II §
CLEANTHE
OLIMPE
CLEANTHE
OLIMPE
CLEANTHE
OLIMPE
SYLVESTRE
Que je te vay cajoler diablement.CLEANTHE
OLIMPE
CLEANTHE
OLIMPE
CLEANTHE
OLIMPE
CLEANTHE
OLIMPE
CLEANTHE
SYLVESTRE à Nerine
CLEANTHE
LIDAMAS
IlNERINE
OLIMPE
LIDAMAS
Scène III §
NERINE retenant Olimpe.
OLIMPE
NERINE
OLIMPE
NERINE
OLIMPE
NERINE
OLIMPE
NERINE
Scène IV §
LUCILLE tenant une lettre.
Scène V §
SYLVESTRE
CLEANTHE
SYLVESTRE
CLEANTHE
SYLVESTRE
CLEANTHE
SYLVESTRE
CLEANTHE
Lettre.
CLEANTHE Apres avoir leu.
Scène VI §
LUCILLE amassant* la lettre.
MELICE
LUCILLE
Scène VII §
THELAME tenant la lettre de Melice.
MELICE
THELAME
MELICE
Scène VIII §
SYLVESTRE
THELAME
MELICE
Scène IX §
CLEANTHE
MELICE
CLEANTHE
MELICE
CLEANTHE
MELICE
CLEANTHE
MELICE, à Thelame.
CLEANTHE arrestant Thelame.
Vous avez fait un songeMELICE
SYLVESTRE
THELAME
CLEANTHE
THELAME
CLEANTHE
THELAME
CLEANTHE
THELAME
CLEANTHE
THELAME & Melice ensemble.
Fin du quatriesme Acte.
Acte V §
Scène première §
LIDAMAS
Scène II §
SYLVESTRE
LIDAMAS
SYLVESTRE
OLIMPE
SYLVESTRE
LIDAMAS
SYLVESTRE
LIDAMAS
SYLVESTRE
LIDAMAS
SYLVESTRE
LIDAMAS
SYLVESTRE
LIDAMAS
SYLVESTRE
OLIMPE
SYLVESTRE
OLIMPE
SYLVESTRE
LIDAMAS
SYLVESTRE
LIDAMAS
SYLVESTRE
LIDAMAS
SYLVESTRE
LIDAMAS
Scène III §
Sylvestre seul
Scène IV §
CLEANTHE
SYLVESTRE
CLEANTHE
SYLVESTRE
CLEANTHE
SYLVESTRE
CLEANTHE
SYLVESTRE
CLEANTHE
SYLVESTRE
CLEANTHE assis vers une table.
Scène V §
LIDAMAS
CLEANTHE
LIDAMAS
CLEANTHE
LIDAMAS
CLEANTHE
LIDAMAS bas.
CLEANTHE
LIDAMAS
Il est tresCLEANTHE
LIDAMAS
CLEANTHE
LIDAMAS
CLEANTHE à l’[Escart].
LIDAMAS
CLEANTHE
LIDAMAS
Scène VI §
OLIMPE
CLEANTHE
OLIMPE
CLEANTHE
OLIMPE
CLEANTHE
OLIMPE
CLEANTHE bas.
OLIMPE
OLIMPE
CLEANTHE
Lidamas !OLIMPE
CLEANTHE
OLIMPE
Scène VII §
LIDAMAS
SYLVESTRE
LIDAMAS
CLEANTHE bas
OLIMPE
LIDAMAS
CLEANTHE
LIDAMAS
CLEANTHE
LIDAMAS
CLEANTHE
LIDAMAS
CLEANTHE à Sylvestre.
SYLVESTRE
LIDAMAS
CLEANTHE
OLIMPE
CLEANTHE
SYLVESTRE bas.
Scène dernière §
MELICE
CLEANTHE
OLIMPE
CLEANTHE
OLIMPE
CLEANTHE
CLEANTHE
SYLVESTRE
CLEANTHE à Olimpe.
OLIMPE
SYLVESTRE à Nerine.
Fin
Extraict du Privilege du Roy. §
Par grace & privilege du Roy donné à Paris le 10. jour de Novembre 1649. Signé, Par le Roy en son Conseil, Le Brun. Il est permis à Toussainct Quinet Marchand Libraire à Paris, d’imprimer ou faire imprimer, vendre & distribuer une piece de Theatre intitulée, L’Aveugle Clair-voyant, Comedie, du sieur Brosse, pendant le temps de cinq ans entiers & accomplis. Et defenses sont faites à tous Imprimeurs, Libraires & autres, de contrefaire le dit Livre, ny le vendre ou exposer en vente d’autre impression que de celle qu’il a fait faire, à peine de trois mil livres d’amende, & de tous despens, dommages & interests, ainsi qu’il est plus amplement porté par lesdites Lettres, qui sont en vertu du present extrait tenuës pour bien & deuëment signifiees, à ce qu’aucun293 n’en pretende cause d’ignorance.
Achevé d’imprimer pour la premiere fois
le 2. Mars 1650.
Les exemplaires ont esté fournis.
Lexique §
Pour définir le sens des mots, nous avons utilisé les trois dictionnaires de la fin du XVIIe siècle, désignés par les lettres suivantes :
- – A : Dictionnaire de l’Académie française, 1ère édition, 1694.
- – F : Furetière, Dictionnaire universel, 1690.
- – R : Richelet, Dictionnaire français, 1680.
Nous nous sommes également aidés du Lexique de la langue du XVIIe siècle de Gaston Cayrou pour préciser le sens de certains termes.
Nous indiquons en gras les occurrences portant un astérisque dans le texte.
Bibliographie §
Sources §
Œuvres de Brosse §
Toutes les œuvres de Brosse sont accessibles sur le site : http://gallica.bnf.fr
Œuvres du XVIIe siècle §
Autres sources §
Instruments de travail et outils critiques §
Instruments de travail §
Bibliographies §
Dictionnaires §
Accessible sur le site : http://www.lib.uchicago.edu/efts/ARTFL/projects/dicos/