De Mr de La Calprenède
Chez ANTOINE DE SOMMAVILLE, au Palais
en la Galerie des Merciers, à l’Écu de France
, 1642
Édition critique établie par Camille Loiseau dans le cadre d'un mémoire de master 1 sous la direction de Georges Forestier (2010)
Introduction §
Au cours du xviie siècle et jusqu’au xviiie siècle, le succès de La Calprenède ne s’est pas démenti. Ses tragédies et ses tragi-comédies, prisées par le public, louées par les plus importants personnages de l’époque ont connu de véritables succès. Quant à ses romans, ils ont apporté une reconnaissance posthume à l’écrivain dont la seule évocation du nom est devenue l’emblème du roman héroïque. Aujourd’hui, La Calprenède est devenu une personnalité incontournable de l’histoire littéraire de la première moitié du xviie siècle ; aussi, doit-il être considéré dans toute son œuvre. Nous tenterons dans cette introduction de percevoir sa tragédie Phalante comme représentative des enjeux propres à l’auteur mais aussi comme le reflet des évolutions littéraires du début du xviie siècle. Éditée en 1641, au seuil de sa maturité, un an tout juste avant qu’il ne publie son premier roman, la pièce signe un tournant dans la création de l’auteur ; Phalante est aussi un témoin des goûts de l’époque, de l’émergence de nouveaux genres littéraires, de la remise en question de certains autres et de la quête d’un idéal littéraire qui, par la mimesis, cherche à développer un art singulier.
Biographie de La Calprenède §
Ses origines périgourdines §
Gautier de Costes est né au château de Toulgou à Salignac en 1609, au sein d’une famille de magistrats sarladais. Salignac se situe à quelques kilomètres de Sarlat, au sud-est du Périgord. Ses parents, Pierre de Costes et Catherine du Verdier-Genouillac eurent dix enfants dont Gautier était l’aîné. Parmi eux, ils eurent deux filles prénommées toutes deux Catherine ; Jean de Costes, capitaine d’une compagnie d’infanterie et mort à vingt-huit ans ; Nicolas de Costes auteur d’un traité de six cent quatorze pages sur les devoirs du bon prêtre. On sait peu de choses de l’enfance de Gautier si ce n’est qu’il était suivi par un précepteur et fut inscrit par ses parents dès l’âge de trois ans à la confrérie du Très Saint Sacrement. Cette confrérie devait préserver l’Église catholique pour éviter le retour des guerres de religions. Ses parents, pourtant protestants, ont été les parmi premiers membres et Pierre, le père de Gautier, en fut nommé « baille » en 1620. La famille de Costes, fortement ancrée dans le Périgord noir, a laissé plusieurs traces de son passage dont certaines remarquables. Antoine de Coste de La Calprenède, le cousin de Gautier et conseiller au Présidial de Sarlat fit construire en 1653, à l’emplacement d’une demeure noble détruite lors d’un épisode de la Fronde à Eyrignac, un manoir dont les jardins sont aujourd’hui classés Monument historique. Si l’on ne peut rencontrer que des ruines du château de Toulgou où est né notre auteur, on peut, à Salignac-Eyvigues, admirer les jardins du Manoir d’Eyrignac. Le petit-fils d’Antoine de Costes avait commencé à créer ces jardins qui ont été augmentés et modifiés jusqu’au xixe siècle. Détruits par un incendie, ils ont été replantés selon les goûts du xviie siècle par les descendants de la famille de La Calprenède. Cette famille habite toujours le manoir dont les jardins sont ouverts au public mais le nom de La Calprenède a aujourd’hui disparu. C’est dans une des salles à manger de ce manoir que l’on peut admirer le seul portrait qui nous reste de Gautier de Costes1. Si une partie de la famille de La Calprenède est restée plusieurs générations en Périgord, Gautier n’y fera pas sa vie comme ses proches l’avaient pourtant prévu. Son précepteur lui reconnaît des prédispositions intellectuelles et ses parents le destinent à une carrière de juriste en Périgord. Ces derniers l’envoient étudier la magistrature à l’université de Toulouse espérant qu’il reviendra en Périgord exercer le même métier que ses ancêtres.
L’arrivée à Paris ou la naissance de l’écrivain §
Gautier nourrit, pendant ses années d’études, un fort intérêt pour les armes et la littérature chevaleresque. Gautier de Costes s’est adonné à plusieurs de ses vocations dans le même temps. Simultanément cadet puis officier au régiment des gardes et auteur son engagement militaire se percevra dans son écriture. Beaucoup de ses biographes, comme Maupoint ou Leris, lui prêtent un tempérament fiévreux et une imagination fertile qui lui auraient inspiré ses romans2. Vers 1632, alors qu’il a environ vingt-deux ans, il décide d’aller à Paris pour embrasser la carrière des armes. Membre de la Société d’Art et d’histoire de Sarlat et du Périgord Noir, Jean-Jacques Despont explique que c’est à cette époque qu’il a commencé à se faire appeler « La Calprenède », en français, « charmille », calpre signifiant le charme en occitan. Il est vrai que Gautier de Costes a souvent été accusé de s’être donné des noms alors qu’il ne possédait pas les terres éponymes mais le nom de La Calprenède aurait en réalité été associé aux Costes antérieurement en raison d’un hôtel qu’ils possédaient à Sarlat. À Paris, Gautier de La Calprenède entre en qualité de cadet au Régiment des gardes sous Louis XIII où bientôt il deviendra officier. Ce dernier grade ne s’obtient alors que si l’on est d’une maison reconnue par le roi, ce qui était le cas de la famille de Costes, noblesse de robe périgourdine. Maupoint3, parmi d’autres, raconte qu’il composa, alors qu’il était cadet, un roman intitulé Silvandre et qu’avec l’argent gagné de son impression, il s’acheta des habits étranges. Quand on lui demandait de quelle étoffe il était vêtu, il répondait : « c’est du Silvandre » ; d’autres rapportent qu’alors qu’il venait de faire donner La Mort de Mithridate, il aurait répondu : « c’est du Mithridate. » La Calprenède était certainement, comme on le rapporte souvent, plein de verve et de certains traits d’orgueil mais pour servir ce portrait, des anecdotes ont été inventées. Ses romans sont son œuvre de maturité, il semble donc peu probable qu’il ait commencé par là, d’autant qu’on ne connaît aujourd’hui aucun roman intitulé Silvandre qui aurait été composé par La Calprenède, alors qu’on a conservé tous ses écrits. Il est plus plausible que sa première création ait été une tragédie écrite alors qu’il était cadet au régiment des gardes : la Mort de Mithridate, jouée en 1635 à l’Hôtel de Bourgogne. Cette pièce sera cédée en 1636 au libraire Antoine de Sommaville qui l’imprimera la même année. L’acte notarial stipule que l’auteur résidait alors, entre deux campagnes militaires, rue Tireboudin, à l’Image Saint-Sauveur4. Le sujet de cette tragédie sera repris par Racine en 1673 dans son Mithridate. C’est entre 1632, date de son arrivée à Paris, et 1635 que Gautier de Costes s’est rapproché de la reine et des dames de la cour. Pierre Niceron, Duckett fils et d’autres, rapportent cette histoire : quand il venait à la cour, La Calprenède amusait les dames et servantes de la reine. Anne d’Autriche aurait demandé un jour à ses femmes de chambre ce pourquoi elles n’effectuaient pas leurs tâches correctement. « [Elles répondirent] qu’il y avoit dans la première salle de son appartement, un jeune homme qui contoit les histoires du monde les plus amusantes, et qu’on ne pouvoit s’empêcher de l’écouter : cela donna à la reine la curiosité de le voir et de l’entendre, et elle en fut si contente, qu’elle lui donna une pension5. » Il est attesté qu’il y a eu une rencontre similaire entre la reine et notre auteur. Certains de ses contemporains racontent que lors de cette rencontre, La Calprenède aurait lu une partie de La Mort de Mithridate à la reine qui l’aurait beaucoup appréciée et que c’est cette lecture qui l’aurait décidée à donner une pension à l’auteur. Si ce n’est peut-être pas lors de cette première rencontre que la reine a pu en juger, elle semble en effet avoir aimé la pièce et l’avoir fait savoir à l’auteur. L’épître dédicatoire de cette pièce adressée à la reine prouve qu’elle était une protectrice de l’auteur et a apprécié cette pièce :
Ma vanité n’est peut-estre pas excusable dans la creance que j’ay, que ceste Tragedie n’a point dépleu à vostre Majesté. Mais outre l’honneur que j’ai eu de l’entendre assez souvent de sa bouche, je puis dire sans mentir, que le peu de reputation qu’elle a euë, ne peut naistre que de l’estime qu’elle en a faite, et qu’elle ne pouvoit passer pour absolument mauvaise, apres l’approbation du meilleur jugement du monde.6
Cette pièce semble avoir été appréciée par d’autres. Dans son Au Lecteur La Calprenède écrit que des impressions en circulaient illégalement avant qu’il ne cède l’œuvre au libraire Antoine de Sommaville. Quant à Grenaille, il reconnaît dans La Mort de Mithridate « un chef d’œuvre au jugement des habiles7 ».
Les années d’écriture §
Un écrivain est né qui a su bien s’entourer. La Calprenède a trouvé une protectrice et non des moindres en la personne d’Anne d’Autriche. Gautier de Costes a fait représenter sa première pièce à l’Hôtel de Bourgogne qui semble-t-il a eu assez de succès pour être éditée par un des trois plus importants libraires de la place de Paris, Antoine de Sommaville. S’ensuivent les années d’écriture durant lesquelles il continue à exercer le métier des armes. À partir de 1635, la France entre en guerre contre l’Espagne, ce qui n’empêche pas notre auteur, alors qu’il combat, de donner en 1636 une tragi-comédie, Bradamante, puis en 1637, Le Clarionte ou le sacrifice sanglant. La même année, est donnée, à l’Hôtel de Bourgogne, sa tragédie Jeannne, reine d’Angleterre. Curieusement, c’est Antoine de Sommaville qui se charge de rédiger ici une épître dédicatoire à l’abbé d’Armentière annonçant la mort de La Calprenède. Il est très possible que La Calprenède ait été à ce moment à l’armée et que la nouvelle de sa mort ait circulé. Antoine de Sommaville a semble-t-il profité de cette occasion pour obtenir le privilège du roi en l’absence de l’auteur. D’ailleurs, c’est la seule œuvre de l’auteur qui ait été cédée pour neuf ans à un libraire. En 1637, quand il publie Le Comte d’Essex, La Calprenède évoque cette mésaventure dans son avis au lecteur :
Pardonnez les fautes de l’Impression comme celles d’une miserable Jeanne d’Angleterre que j’ay faite d’autres fois […] c’est une Tragedie que j’avois cherement aymée, mais par malheur elle fut jouée et imprimée en mon absence […] et l’Imprimeur sur quelques legeres apparences m’a fait passer pour mort dans son Epistre, quoy que Dieu mercy, je ne me sois jamais mieux porté.
Bien que cette tragédie soit cédée par privilège à Augustin Courbé, le dramaturge reviendra vers Sommaville qui l’avait pourtant fait passer pour mort. En dépit du caractère orgueilleux et du tempérament gascon que beaucoup lui prêtent, La Calprenède parait ici être fidèle envers son entourage et donnera souvent et longtemps des preuves d’amitié à ses amis. Il existe une lettre de lui à Mademoiselle de Scudéry, datée du 12 septembre 1661, dans laquelle il propose de veiller sur Madame la Surintendante alors que son mari, Fouquet, vient d’être condamné. Revenons à sa tragédie Le comte d’Essex. Il est le premier à avoir pris pour sujet l’injustice subie par ce personnage historique, avant que Thomas Corneille et Claude Boyer s’inspirent de sa pièce respectivement en 1677 et 1678. La mort de Mithridate dont s’est inspiré Racine et Le Comte d’Essex repris par Corneille puis Boyer sont considérées aujourd’hui comme les deux meilleures pièces de l’auteur. La dédicace de sa deuxième pièce à la princesse de Guéménée est intéressante :
Vous eustes la bonté d’appuyer les commencements d’un jeune Cadet sortant des Gardes encore chancelant, et foible de la famine d’Allemagne, vous lui donnastes un courage qu’il n’avoit point receu de son naturel.
Cette épître dédicatoire nous apprend deux choses. D’abord que La Calprenède était protégé par la princesse de Guéménée, dame de la cour de Louis XIII qui, comme Anne d’Autriche, était connue pour être en opposition avec le cardinal de Richelieu. Ensuite, qu’il a en effet combattu en Allemagne pendant la guerre de Trente Ans. En 1638, La Calprenède donne Édouard, tragi-comédie, cette fois dédicacée au duc d’Angoulême qui a lui aussi combattu en Allemagne, ce qui semble les avoir rapprochés. Il se plaint au duc de ne pouvoir exercer ses deux professions qu’imparfaitement. En effet, ses deux vocations étaient parfois pesantes pour l’auteur mais aussi il était certainement en train de se rendre compte que depuis qu’il avait écrit ses deux pièces à succès, La mort de Mithridate et Le comte d’Essex, il n’était pas parvenu à se renouveler. Guy Snaith écrira d’ailleurs au sujet de ses œuvres : « he was repeating himself8. » En 1638 toujours, il donne La Mort des enfants d’Hérode, ou la suite de Marianne qu’il dédicace au cardinal de Richelieu alors qu’il est protégé par deux de ses opposantes et est lui-même connu comme méprisant l’autorité du Cardinal :
Vous aurez raison de desdaigner un devoir que je vous rends si tard, et de mescognoistre celuy qui semble s’interesser si peu dans les obligations que tout ce royaume vous a. Il est vray Monseigneur que je parois mauvais François9.
C’est en 1640 qu’il fait jouer la tragédie qui nous intéresse, Phalante. Nous ne savons malheureusement pas dans quel théâtre. L’absence d’avis au lecteur et de dédicace nous empêche de connaître si la pièce a eu du succès et nous n’avons aucune information non plus sur le lieu de sa représentation. En 1641, il donne Herménigilde, sa seule tragédie en prose car, à partir de 1640, plusieurs auteurs expérimentent le mode d’écriture de la tragédie. Puget de la Serre comme d’Aubignac feront plusieurs tragédies en prose. Ainsi, d’Aubignac écrira : « les Règles du théâtre ne sont pas fondées en autorité, mais en raison. Elles ne sont pas établies par l’exemple, mais sur le jugement naturel10. » Cette tragédie aura pu orienter l’auteur vers un autre mode d’écriture puiqu’il passe à cette époque à l’écriture romanesque peut-être par goût, peut-être parce que son écriture théâtrale s’essouffle comme le pense Guy Snaith, peut-être encore (et surtout), parce que le théâtre est moins rentable que le roman. En effet, quand pour ses meilleures pièces de théâtre, La Calprenède peut toucher jusqu’à 250 livres, pour les seules troisième et quatrième parties de son premier roman, il obtient 4000 livres11.
Le roman : reconnaissance et maturité §
Selon les propos de Georges Molinié, La Calprenède est le précurseur du roman héroïque12. Ses romans « d’amour et d’exploits » laissent transparaître son goût pour les armes et les valeurs de courage qui l’accompagnent. Il saura faire du roman autre chose que ce qu’en font les écrivains « précieux ». Si, bien sûr, ses romans sont empreints de galanterie et ponctués de conversations amoureuses, c’est l’action qui sera mise en avant et dominera. En cela, il se démarque de son époque en sachant trouver les qualités romanesques parfois omises par la littérature galante. Ainsi, c’est avec le roman que l’auteur passera à la postérité. Il trouve aussi la reconnaissance immédiate de ses contemporains dont certains sont des plus prestigieux, nous le verrons par la suite. C’est en 1642 que La Calprenède publie le premier volume de son premier roman, Cassandre. Ce dernier connaîtra plusieurs éditions et sera traduit en italien dès 1652 par Maiolino Bisaccioni, puis en anglais en 1676 à Londres par Charles Cotterell. De 1647 à 1658, La Calprenède publie son plus célèbre roman : Cléopâtre. En 1648, à trente-huit ans, alors qu’il vient d’entamer l’écriture de son chef d’œuvre, il épouse Madeleine de Lyée, dame de Saint-Jean-de-Livet et du Coudray qui a alors entre vingt-huit et trente ans. Veuve de Jean de Vieux-pont, seigneur de Compant en premières noces et en secondes noces d’Arnoul de Braque, seigneur de Vaulont et de Château-Vert, elle est connue sous le nom de Délie dans les salons. Selon le contrat de mariage est passé à Paris le 6 décembre 164813, La Calprenède demeurait alors au Marais du Temple, rue de Perche, sur la paroisse de Saint-Nicolas-des-Champs mais aussi « ordinairement dans sa maison de Toulgoud, près Sarlat, pay de Périgord14. » Notons ici que La Calprenède, s’il n’a pas suivi la carrière que son entourage lui réservait, est resté proche de sa famille, fidèle à ses origines périgourdines et est souvent revenu en Périgord. Certains prétendent que Madeleine de Lyée l’aurait épousé avec pour terme du contrat qu’il devait finir sa Cléopâtre mais cette affirmation n’est pas attestée15. En tout cas, Cléopâtre est l’œuvre de La Calprenède qui a le plus fait réagir ses contemporains en bien comme en mal, signe de son succès. Boileau est l’un des détracteurs de l’auteur ; il critique généralement ses romans par comparaison à l’Astrée d’Honoré d’Urfé : « au lieu que d’Urfé de bergers très frivoles avait fait des héros de romans très considérables, ces auteurs, au contraire, des héros les plus considérables de l’histoire firent des bergers très frivoles16. » Madame de Sévigné, plus élogieuse, écrit à sa fille au sujet de ce roman : « le caractère m’en plait beaucoup plus que le style. Pour les sentiments, j’avoue qu’ils me plaisent et qu’ils sont d’une perfection qui remplit mon idée sur la belle âme. Vous savez aussi que je ne hais pas les grands coups d’épée. » Plus tard : « Je n’ose pas vous dire que je suis revenue à Cléopâtre, à ce La Calprenède, et que, par le bonheur que j’ai de n’avoir point de mémoire, cette lecture me divertit encore. »17 Si la Harpe pense qu’il y a des conversations trop longues dans ce roman, il trouve aussi que c’est le meilleur qu’ait écrit l’auteur et retient particulièrement le personnage d’Artaban. En effet, la force de ce personnage est d’être passé à la postérité dans l’expression : « fier comme Artaban. » La Calprenède dédie son chef d’œuvre au Grand Condé dont il s’inspire. Une lettre datée du 17 février 1657 écrite par ce prince à l’auteur traduit ce lien particulier qui semble être aussi fait de reconnaissance :
C’est ainsi que vous vous plaisez à faire des choses qui ne tiennent pas du commun des gens ; témoins que vous avez de faire quelque ouvrage pour moy, à quoy j’ai peine à croire […]. Ainsy vous n’aurez qu’à travailler sur les mémoires que vous pourrez avoir, et s’il y en a quelques-uns qui vous manquent, me les faisant connoistre, aussitôt je vous les envoyeray. […] je ne suis pas d’humeur à mettre en oubly ce que M. de la Calprenède a fait pour moy18.
En 1667, un abrégé de Cléopâtre est publié à Paris par le libraire imprimeur Joly. Giovanni Battista édite en 1697, à Venise, une traduction italienne de Cléopâtre par Maiolino Bisaccioni. En 1700, l’œuvre est traduite en allemand et éditée à Hambourg. En 1769, à Amsterdam, une certaine Madame D. fait un abrégé qu’elle intitule Les Amans illustres, ou la Nouvelle Cléopâtre. Enfin, en 1789, Benoist Pierre Vincent écrira un nouvel abrégé publié à Paris. Ces divers abrégés et traductions, illustrent la reconnaissance posthume accordée au chef-d’œuvre de l’auteur.
En 1650, La Calprenède devient gentilhomme ordinaire de la Chambre du Roi. Le 19 août de la même année, sa femme accouche de leur fille unique, Jeanne Élisabeth qui épousera en 1669 son cousin, Arnaud de Coustin de Bourzolles. Ils n’auront aucun enfant et après eux, s’éteindra la branche cadette de la famille de Costes. En mars 1655, La Calprenède acquiert le fief du Grand-Saint-Martin où sa femme fondera la chapelle de Vatimesnil. Ainsi, nous pourrons retrouver notre auteur sous le nom de Gautier, seigneur de Costes, de La Calprenède, de Toulgou et de Vatimesnil en référence à ses origines et à ses terres. Durant cette période, il semble que La Calprenède s’essaie aussi à la poésie puisqu’il est publié dans la première partie de L’eslite des bouts-rimez de ce temps en 1655 aux côtés de Boisrobert, Desmarests ou encore Benserade19. En 1659, il revient vers le théâtre pour donner sa tragi-comédie Béllissaire à l’Hôtel de Bourgogne. Cette pièce est la seule des ses œuvres qui ne sera jamais imprimée. Le roman, Les nouvelles ou les divertissements de la Princesse Alcidiane imprimé en 1660 est tantôt attribué à l’auteur, tantôt à sa femme. Pourtant, il est signé du pseudonyme de sa femme, Délie, qui en a écrit plusieurs autres et sous différents noms. L’auteur avait par ailleurs des liens avec la plus célèbre des romancières contemporaines, Madeleine de Scudéry. Tallement des Réaux raconte plusieurs anecdotes sur leurs entrevues dans des salons qui illustrent l’orgueil gascon dont notre auteur est souvent taxé20. Antoine Adam affirme que Mademoiselle de Scudéry a imité La Calprenède pour ses descriptions romanesques. En 1661, l’auteur commence à publier son dernier roman, Faramond. En 1663, le registre tenu par La Grange, comédien de la troupe de Molière, indique que ce dernier a commandé une pièce à La Calprenède contre huit cents livres qu’il lui a avancées21. Cette commande est preuve du succès de La Calprenède, puisque Molière, déjà auteur de plusieurs grands succès et reconnu par le Roi, fait appel à La Calprenède, sûr que son œuvre plaira au public du théâtre du Marais. Mais La Calprenède mourra la même année avant d’honorer cette prestigieuse commande. Les circonstances de la mort de La Calprenède sont floues, Louis Moréri le fait même mourir par erreur en 1661. Dans toutes les versions, sa mort est accidentelle. La gazette de l’époque tenue par Loret répercute les divers accidents qui lui sont arrivés cette année là en rentrant de Normandie où sa femme possédait quelques terres :
L’illustre de la Calprenède,Dont l’excellent esprit possèdeDes talens rares et charmansPour les vers et pour les Romans :Et qui d’ailleurs est fort brave homme,Ou plutôt brave Gentilhomme,Ces jours passés en un cadeauContenant maint objet fort beau,Voulut par un coup de justesseMontrer aux dames son adresse.Mais, soit que le fatal canonDe son fusil crevât, ou non,(L’on ne m’a pas dit la chose)La poudre audit canon enclose,Qui s’emflâma, qui s’emporta,Droit au visage lui sauta ;Et par cette triste avanture,Outragea si fort sa figure,Que l’assemblée avec douleurDéplora son triste malheur.Ce fut au Château de MonflaineQue cette disgrace inhumaineParvint à cet homme important,Mais qui n’en mourra pas pourtant.22
La gazette reprend ses mésaventures, le 21 octobre :
Comme il faut qu’à la mort tout cede,L’excellent Sieur de Calprenede […]A succombé sous cette ParqueEt de Caron passé la Barque.Enfin par la rigueur du sortCet admirable Auteur est mort.Mais personne ne peut débattreQue sa Cassandre et CléopatreCheres merveilles de nos jours,Malgré sa mort vivront toujours.Pour son Faramond c’est dommageQu’à son incomparable ouvragePour le plaisir du genre humain,Il n’ait mis la derniere main.Mais on m’a dit que Sommaville,Un des Libraires de la Ville,Qui tient sa boutique au Palais,Fut sur ses chevaux de relaisChez le mort recueillir les restesDes amours, intrigues, et gestes,Que cet esprit, rare et fécondA laissé dudit Faramond,Avec maint instructif mémoire,Pour conclusion de l’HistoireDe ce roman illustre et finDont chacun voudra voir la fin.23
Gautier de Costes de La Calprenède est donc mort accidentellement, probablement des suites de sa blessure causée par un fusil quelques jours avant le 21 octobre 1663. Son Faramond, qu’il n’aura pas pu terminer sera donc récupéré par Sommaville et continué par un admirateur, Pierre Dortigue de Vaumorière. Vice-recteur de l’académie d’Hédelin, abbé d’Aubignac, on le retient principalement pour avoir continué ce roman. La gazette que nous venons de citer, témoin du goût de l’époque, prouve encore combien La Calprenède était apprécié par ses contemporains pour ses romans et pour son théâtre, selon les termes élogieux employés par Loret : « L’excellent Sieur de Calprenède /Si renommé dans l’univers, /Pour sa prose, et pour ses beaux vers. »
Les différents constituants de la pièce24 §
Résumé de l’intrigue §
Hélène, reine de Corinthe, refuse l’amour de Philoxène qui a été élevé avec elle. Ce dernier croit que c’est la possession récente du trône qui rend Hélène distante. Phalante, un prince étranger dépossédé de son royaume, vient plaider la cause de Philoxène auprès de la reine. Celle-ci est tombée amoureuse de l’intercesseur et commence à lui avouer sa passion lors de cette première entrevue. Le prince étranger est lui aussi amoureux de la reine mais il décide de ne le révéler à personne car il ne veut pas devenir le rival de son ami. Il est alors déchiré entre amour et amitié. La tragédie se noue au rythme auquel se resserre ce dilemme. Hélène et Phalante se rencontrent à nouveau dans un bois. La reine se rend compte au fil de leurs entrevues que Phalante ne veut pas s’unir à elle. Dès lors, elle se désespère et commence à regretter son penchant. Philoxène apprend alors de manière détournée la passion de la reine pour Phalante. Fou de jalousie, il provoque son ami en duel. Ce dernier refuse le combat mais sort sa lame dans le but de se défendre et, par maladresse, Philoxène tombe sur l’épée. Mortellement blessé, il interprète ce signe des dieux comme la preuve de l’innocence de Phalante. Philoxène exonère son ami de toute faute devant son père Timandre. Phalante, seul dans un bois, est prêt à se suicider pour venger son ami et le rejoindre dans la mort. Il reçoit alors une lettre de la reine lui apprenant qu’elle est mourante. Elle s’est empoisonnée, trouvant son aveu indigne de sa position. Il retourne auprès d’elle pour lui avouer finalement sa passion avant de se poignarder. La reine rend son dernier souffle à ses côtés.
La pièce, scène par scène §
Acte I, scène 1 : La pièce s’ouvre sur une tirade de Philoxène, prince de Corinthe, qui déclare son amour à Hélène, reine de Corinthe. Hélène le presse avec virulence de cesser ses déclarations. Philoxène, amoureux d’elle depuis l’enfance, s’il se présente comme son vassal, croit mériter cet amour. Il semble le plus valeureux et le plus fidèle amant de la reine. Philoxène pense que la gloire récente du trône a rendu la reine détachée des préoccupations de s’unir à un mari.
Scène 2 : Cette scène, très courte, annonce l’arrivée de Phalante, prince étranger. Alors qu’Hélène est troublée par cette venue, Philoxène semble au contraire soulagé de le voir.
Scène 3 : Au cours de cette scène, nous apprenons que Phalante a été forcé par la guerre de quitter ses terres mais qu’il est très apprécié à Corinthe où il a été accueilli. Il vient plaider la cause de son ami Philoxène auprès de la reine. Se développe ici le thème de l’alter ego : Phalante semble partager les maux que subit son ami. Hélène loue l’amitié de Phalante pour Philoxène mais affirme que ce dernier doit guérir car elle ne l’aime pas. Hélène hésite ici à révéler sa passion à Phalante puis lui avoue, à mi-mot, qu’elle l’aime. Devant l’incompréhension de Phalante elle devient plus explicite. Phalante est stupéfait et Hélène part, troublée, en lui demandant de réfléchir.
Scène 4 : Hélène est prise de profonds remords. Elle songe à sa couronne, à ses aïeux, à son honneur et regrette de ne pas s’être tuée plutôt que d’avoir révélé son amour. De plus, elle est convaincue que Phalante ne l’aime pas. Aminte, une de ses demoiselles, tente de la rassurer, en vain. Hélène entrevoit la funeste issue de sa passion.
Acte II, scène 1 : Timandre, père de Philoxène, s’enquiert de l’état de Phalante qui semble profondément triste. Le prince explique qu’il ne fait que partager la souffrance de son ami Philoxène. Ce dernier veut se suicider, refusant d’être la cause des maux de Phalante. Timandre rappelle qu’il a été le régent d’Hélène et dénonce l’ingratitude de celle-ci envers son fils. Phalante promet d’essayer à nouveau de convaincre Hélène. Il demande à rester seul pour y réfléchir.
Scène 2 : Arbante, serviteur confident de Phalante, rejoint son maître et tente de lui faire dire les raisons de ses souffrances. Phalante le chasse pour rester seul.
Scène 3 : Phalante, seul dans un bois, déplore un secret qu’il ne peut révéler à personne : il aime Hélène. Perdu, il s’adresse aux cieux et au soleil et énonce son dilemme : être fidèle à son amitié et renoncer à l’amour ou trahir cette amitié pour assouvir sa passion. Dans les deux cas, Phalante ne pourra être heureux. Le dilemme est complexe car il sait maintenant qu’Hélène l’aime en retour. Il songe un instant à trahir son amitié mais se ravise rapidement. La reine entre dans le bois, accompagnée de Cléone, une de ses demoiselles.
Scène 4 : Le trouble et la confusion s’emparent de Phalante et d’Hélène en présence l’un de l’autre. Hélène déclare à nouveau son amour à Phalante mais dit aussi sa gêne et sa honte. Elle lui demande de lui répondre. Celui-ci s’excuse d’être si surpris et lui dit seulement combien l’aveu de cet amour lui est cher. Sur ce, Cléone annonce l’arrivée d’Arate et Cléomède, deux seigneurs de Corinthe. Phalante est soulagé par cette interruption.
Scène 5 : Arate et Cléomède viennent prévenir Hélène qu’elle est attendue à un conseil. Hélène prie Phalante d’y assister aussi.
Acte III, scène 1 : Philoxène, suspicieux, demande à Cléone si Hélène est amoureuse de Phalante. Cléone confirme ses soupçons. Elle ajoute qu’elle pense que Phalante n’est pas insensible aux charmes de la reine.
Scène 2 : Phalante, dans la chambre d’Hélène, affirme l’impossibilité de leur union. Il dit ne pas mériter cet intérêt ; il montre combien il est touché par cet amour mais énonce son dilemme. Son seul espoir reste que la reine fasse le bonheur de Philoxène. Hélène est dépitée. Phalante tente de démontrer à la reine qu’elle cesserait de l’aimer s’il trahissait son ami. Hélène est de plus en plus irritée et voudrait éloigner Philoxène, seul obstacle à cette union selon elle. Les deux personnages expriment tour à tour leurs sentiments. Alors que le rythme du dialogue s’emballe, Phalante coupe court à leur conversation et sort.
Scène 3 : Hélène, seule, condamne sa passion et veut revenir à la raison pour oublier Phalante. Elle tente de le mettre en accusation mais elle est rapidement rattrapée par la passion et se trouve incapable d’y renoncer.
Scène 4 : Philoxène vient trouver Hélène et lui demande les raisons de sa tristesse. Il lui déclare à nouveau sa passion et rappelle sa place à Corinthe et son mérite. Irritée par tant d’insistance, elle le menace. Lui songe à se suicider pour la laisser en paix. Il finit par évoquer l’amour qu’elle porterait à un autre. Elle le chasse en lui déclarant qu’en effet elle aime Phalante.
Acte IV, scène 1 : Cléomède et Arate, au conseil, louent le bon gouvernement de la reine et lui annoncent que le peuple réclame un prince de son sang pour assurer sa succession sur le trône de Corinthe. Timandre, le père de Philoxène, souligne les intérêts qu’elle aurait à se marier. Hélène accepte et congédie Arate et Cléomède en les assurant d’une réponse prochaine.
Scène 2 : Hélène retient Timandre qui espère toujours qu’elle s’unira à son fils. Hélène, loin de répondre aux attentes de l’ancien régent, se plaint du comportement de Philoxène. Elle lui dit qu’il a menacé Phalante et lui demande à de protéger ce prince. Timandre ne voit dans la conduite de son fils que l’effet de la passion.
Scène 3 : Philoxène, seul, évoque son amitié bafouée et décide de se venger de Phalante.
Scène 4 : Phalante, rejoint par Philoxène, demande à Arbante de les laisser seuls. Philoxène, hors de lui, provoque Phalante en duel. Ce dernier ne comprend pas, il rappelle à Philoxène leur amitié et refuse de lever son arme contre lui préférant mourir. Philoxène prononce le nom d’Hélène et Phalante tente de prouver son innocence. Philoxène ne voulant rien entendre, Phalante, espérant lui faire recouvrer la raison, l’entraîne dans un bois pour s’expliquer avec lui.
Scène 5 : Arbante est rentré au palais. Il se trouve en compagnie de Timandre et Cléomède qu’il vient d’informer de l’entrevue de Philoxène et Phalante. Prévenu par Hélène, Timandre comprend le péril de la situation et s’élance avec Cléomède à la poursuite de son fils.
Scène 6 : Philoxène est à terre, mourant. Phalante relate brièvement la mésaventure qui vient de se produire : son ami est tombé accidentellement sur son épée. Philoxène reconnaît là la leçon des dieux. Il demande pardon à Phalante de l’avoir accusé à tort et l’enjoint de s’unir à Hélène. Quant à Phalante, il veut se suicider, incapable de se pardonner son crime.
Scène 7 : Arbante, Cléomède et Timandre arrivent sur le lieu du duel et découvrent Philoxène à terre. Timandre veut d’abord venger son fils. Alors que Phalante l’encourage, Philoxène l’en empêche et le supplie d’aimer Phalante comme un fils. Timandre ne peut s’y résoudre mais Cléomède coupe court à ces débats pensant qu’il est possible de sauver Philoxène. Timandre rentre au palais avec Arbante et Cléomède qui emportent le blessé.
Acte V, scène 1 : Phalante, seul, évoque le souvenir de son ami et de son crime. Il s’adresse à Philoxène et se prépare à le rejoindre. Rattrapé par le souvenir de sa passion qu’il tente pourtant d’oublier, il songe un instant à s’unir à Hélène, comme l’en avait autorisé Philoxène. Très vite, il se reprend et se figure à nouveau l’horreur de son crime.
Scène 2 : Arbante et Aminte interrompent le monologue de Phalante. Aminte vient lui apporter une lettre de la reine. Phalante y apprend que la reine, mourante, demande à le voir une dernière fois. Il part lui dire adieu.
Scène 3 : Hélène, dans sa chambre, vient de prendre du poison. Elle est entourée d’Arate et Cléomède qui rappellent à la reine son devoir et condamnent son geste qui entraîne ses sujets avec elle. Ils tentent de la faire revenir à la raison et Cléomède évoque la possibilité de prendre un antidote. Hélène ne veut rien tenter, elle se juge indigne de sa position de reine et pense que les Corinthiens doivent espérer un meilleur gouvernement.
Dernière scène : Phalante et Cléone découvrent la reine sur son lit, mourante. Hélène dit à Phalante qu’il est responsable de sa mort et, sur un ton de reproche, elle ajoute qu’elle ira voir Philoxène aux enfers pour l’assurer de la fidélité de son ami. Elle voudrait que Phalante reconnaisse sa vertu et ne conserve pas l’image d’une reine rabaissée. Alors, Phalante, s’adresse d’abord à Philoxène et aux dieux avant d’avouer sa passion à la reine. Il regrette seulement de ne pouvoir subir un double châtiment alors qu’il a causé la mort des deux êtres qui comptaient le plus pour lui. Hélène le supplie de la tuer avec sa dague. Il refuse et se tue. Hélène dit adieu à ses sujets et rend son dernier souffle.
Tableaux de présence des personnages dans la pièce §
Le premier tableau comporte deux entrées : le nom des personnages et les actes et scènes. La colonne de droite totalise le nombre de scènes dans lesquelles chaque personnage est apparu. Au vu des seules trois premières lignes qui représentent les trois personnages principaux, nous constatons qu’au moins un de ces trois personnages est toujours présent sur scène. La scène 5 de l’acte IV qui compte seulement dix-huit vers constitue la seule exception. Ainsi, les personnages sont prodigués selon le terme employé par Scherer. Phalante, le héros exemplaire et personnage éminemment tragique, est présent la moitié des scènes. Hélène, l’héroïne galante, est présente 13 scènes sur 24. Quant à Philoxène, héros de second ordre, il est présent neuf scènes sur 24. Ainsi, l’auteur respecte une règle plus tard énoncée par l’abbé d’Aubignac :
Les principaux personnages doivent paraître le plus souvent et demeurer le plus longtemps qu’il est possible sur scène25.
Phalante a deux monologues, le premier à l’acte II et le second à l’acte V. Ses deux monologues encadrent celui d’Hélène à l’acte III et celui de Philoxène à l’acte IV. Ainsi, à chaque acte son monologue. L’acte I manque à l’appel car l’auteur pense sans doute que l’action n’est pas encore assez avancée pour que le spectateur puisse apprécier les épanchements des héros. Quatre monologues : ni trop, ni trop peu car ils arrivent justement aux moments où les héros ressentent des passions violentes et contradictoires. Clément dira en 1748 :
[Le monologue] n’est supportable dans le poème dramatique que dans le cas où le personnage est agité de divers sentiments [parce qu’alors] les passions qui se croisent et se combattent [en font] un véritable dialogue26
Notons que l’acte IV comporte plus de scènes que les autres actes. Les scènes sont moins longues et le rythme s’accélère, mimant la rapidité du renversement. En effet, c’est à cet acte que se produit le dénouement, comme nous l’étudierons dans la partie sur l’avancée de la tragédie.
Persos | A.1, sc.1 | sc.2 | sc.3 | sc.4 | A.2, sc.1 | sc.2 | sc.3 | sc.4 | sc.5 | A.3, sc.1 | sc.2 | sc.3 | sc.4 | A.4, sc.1 | sc.2 | sc.3 | sc.4 | sc.5 | sc.6 | sc.7 | A.5, sc.1 | sc.2 | sc.3 | sc.4 | TOTAL |
HEL | * | * | * | * | * | * | * | * | * | * | * | * | * | 13 | |||||||||||
PHAL | * | * | * | * | * | * | * | * | * | * | * | * | 12 | ||||||||||||
PHILOX | * | * | * | * | * | * | * | * | * | 9 | |||||||||||||||
TIMAN | * | * | * | * | * | 5 | |||||||||||||||||||
CLEOM | * | * | * | * | * | * | 6 | ||||||||||||||||||
ARATE | * | * | * | 3 | |||||||||||||||||||||
ARB | * | * | * | * | * | * | 6 | ||||||||||||||||||
CLEONE | * | * | * | * | 4 | ||||||||||||||||||||
AMINTE | * | * | * | * | 4 | ||||||||||||||||||||
HUISS | * | 1 |
Le second tableau étudie les personnages en fonction de leur prise de parole dans la pièce. Phalante paraît ici incontestablement le héros de cette tragédie. à lui seul, il prononce plus du tiers des alexandrins de cette pièce et lorsqu’il prend la parole, c’est généralement pour s’exprimer plus longuement que les autres personnages de la pièce. Hélène suit Phalante de près et ces deux personnages prononcent à eux deux les deux tiers des vers de la pièce.
Personnages | Nombre de vers prononcés | Nombre de prises de parole | Nombre de prises de parole>15 vers |
HELENE | 512 | 53 | 8 |
PHALANTE | 658 | 61 | 10 |
PHILOXENE | 290 | 37 | 7 |
TIMANDRE | 115 | 13 | 3 |
CLEOMEDE | 40 | 9 | 1 |
ARATE | 37 | 3 | 2 |
ARBANTE | 22 | 8 | 0 |
CLEONE | 34 | 9 | 1 |
AMINTE | 8 | 5 | 0 |
HUISSIER | 1 | 1 | 0 |
TOTAL | 1 716 |
Les sources de Phalante §
Nous nous attacherons dans ces pages à établir une étude comparée entre Phalante et sa source. Comme le signale Lancaster27, un seul Phalante a précédé le nôtre, celui de Jean Galaut, édité à Toulouse en 161128. Galaut a lui-même puisé son inspiration dans un roman anglais de Philip Sidney, L’Arcadie de la comtesse de Pembrok29 écrit à la fin du xvie siècle. La Calprenède, d’après Lancaster30, n’a certainement eu aucune connaissance de l’œuvre anglaise et s’est inspiré uniquement de Galaut pour écrire son Phalante. En effet, les éléments de l’Arcadie qui sont aussi dans Phalante de La Calprenède se trouvent systématiquement dans celui de Galaut ; c’est pourquoi ici nous ne comparerons notre pièce qu’avec celle de Galaut. Selon Alan Howe qui a fait l’édition critique de Phalante de Jean Galaut, l’auteur a été un écrivain très inégal. Aucune de ses pièces n’a connu la postérité et il juge même que Phalante ne serait pas la meilleure d’entre elles. Reste à savoir comment notre auteur a pu prendre pour modèle cette œuvre si méconnue et apparemment médiocre. L’explication la plus plausible se trouve dans la fréquentation commune aux deux auteurs de l’université de droit de Toulouse. La Calprenède, lorsqu’il s’y trouvait vers 1630, s’intéressait déjà à la littérature et lisait certainement les rares pièces qui y paraissaient alors. Entre 1553 et 1640, seules trois pièces ont paru en librairie à Toulouse : une édition des Tragédies de Garnier, La Guisiade de Pierre Mathieu et la pièce de Galaut. C’est alors que le Phalante de Galaut aura retenu l’attention de La Calprenède.
Inventaire des similitudes entres les deux œuvres §
Les ressemblances entre ces deux œuvres ne se bornent pas à la reprise d’un même sujet fictif mais sont dans les détails des caractères des personnages et dans les ressorts qui permettent l’avancée de la pièce. Phalante est amoureux d’Hélène mais choisit l’amitié chez Galaut comme chez La Calprenède et il se fait déjà chez Galaut l’intercesseur de Philoxène auprès de la reine. Celle-ci est également très courtisée chez Galaut et vient d’obtenir le trône de Corinthe après que le père de Philoxène a été son régent. Le très long monologue lyrique de Phalante à la fin de la pièce de Galaut aura certainement fait forte impression sur son successeur qui fait à deux reprises monologuer Phalante en employant les mêmes ressorts lyriques et pathétiques. Quelques exemples précis tirés des textes eux-mêmes montreront encore mieux combien La Calprenède s’est inspiré de sa source :
– L’amour de Philoxène pour Hélène remonte à l’enfance dans les deux pièces. « Je luy tastois le sein de ma main enfantine », (G. v. 9731) et « Je vous ay dedié mes premières années », (La C. v. 49).
– Philoxène pense que le gouvernement de Corinthe éloigne Hélène de la préoccupation de se marier : la « Magesté [rend] son port plus hautain, et plus fier son langage », (G. v. 109, 110) ; « mon cœur ne changea point mais le votre changea, / Si-tost que sous vos lois Corinthe se rangea », (La C. v. 66, 67).
– Dans les deux pièces et pour les mêmes raisons, des sujets de la reine lui suggèrent le mariage : « pour le repos de toute la Province, /Il vous faut entre tous choisir un jeune Prince », (G. v. 231, 232) ; « Enfin ce sont les vœux de toute la province, / Vos fideles sujets vous demandent un prince », (La C. v. 1019, 1020).
– Lors d’un dialogue entre Hélène et Philoxène, Hélène, en colère, réplique : « Parlés-moy pour Phalant comme il a faict pour vous », (G. v. 1146) ; « vous auriez eu des traitements plus doux, / En me parlant pour luy comme il parle pour vous », (La C. v. 1113, 1114).
– Le père de Philoxène apprenant que son fils est avec Phalante part à sa recherche dans les deux œuvres et en dernières paroles, implore les dieux: « Dieux donnés-moy des ailes », (G. v. 1203) ; « Grands Dieux ! Guidez mes pas », (La C. v. 1262).
– La culpabilité de Phalante est double chez Galaut comme chez La Calprenède. D’abord, celle d’avoir tué son ami par accident puis celle d’avoir causé la mort de la reine. Dans son ultime monologue de 148 vers, du vers 1492 à la fin, Phalante commence par évoquer un fleuve infernal. Chez Galaut c’est l’Achéron, v. 1494 et chez son successeur, le fleuve Léthé, v. 1376.
La Calprenède reprend donc de nombreuses données déjà présentes chez Galaut, voire même certains vers. Il s’inspire aussi d’autres éléments dramatiques de structure développés quelques décennies auparavant par Galaut : le dilemme tragique de Phalante était déjà une des principales qualités de l’œuvre de Galaut ; l’importance donnée aux monologues ; le fil tragique qui est très simple et se concentre sur les histoires d’amour et d’amitié infortunées ; l’amour comme agent de destruction de tous les personnages. Si, au regard de cette première comparaison, La Calprenède semble n’avoir pas beaucoup modifié l’œuvre de son prédécesseur, il effectue en réalité des changements dans le caractère des personnages, la structure de l’œuvre et sur des épisodes qu’il omet ou modifie.
Le travail de réécriture, l’adaptation au goût classique
Entre le Phalante de Galaut et celui de La Calprenède, presque un demi siècle s’est écoulé et l’ère classique a commencé à poindre. Il s’agit pour La Calprenède de suivre les goûts et les règles de son temps. Il laisse de côté l’intervention surnaturelle de l’Ombre, le rêve prophétique, le fantôme et les incantations, trop loin de la vraisemblance exigée alors, trop baroques. Si Phalante prend pour confidents « Les Dieux, les bois, les fleurs, et les choses sans ame », v. 1641, La Calprenède rejettera tous les autres motifs pastoraux développés chez Galaut. L’allusion à « la dolente Echo », v. 1537, la description du héros sauvant une « bergerotte » poursuivie par « trois satyres monstrueux », v. 1237-1281 sont laissés de côté par l’auteur préclassique. Il ne reprend pas non plus la totalité du premier acte de Galaut et entre plus rapidement dans l’action dans un souci d’unification de l’action :
Le plus bel artifice est d’ouvrir le Théâtre le plus près possible de la catastrophe. […] Il faut prendre l’action à son dernier point et, s’il faut ainsi dire, à son dernier moment32.
Ainsi, avant le début de la pièce, Hélène et Phalante se sont déjà rencontrés et leur passion fait partie des prémisses à la pièces, alors que la première rencontre des deux héros fait l’objet de la scène 4 de l’Acte II chez Galaut. L’exposition de Galaut est alors beaucoup plus longue puisque sa pièce commence plus loin de la catastrophe. Les unités de temps et de lieu sont également mieux respectées par La Claprenède, bien que sa pièce soit loin d’être exemplaire sur ce plan. Jean Galaut fait s’écouler semble-t-il plusieurs jours entre certains actes, voire plus. Il est impossible de le déterminer avec exactitude. Aux vers 1069, 1070 de la pièce de Galaut nous pouvons lire : « Quant à ton cher Phalant, […]/ Il y a quelque temps qu’il s’en alla d’ici. » Le Phalante de La Calprenède peut donner à penser qu’une seule journée ne suffit pas à ses personnages pour qu’ils puissent connaître ces nombreux revirements et déplacements mais il y a un véritable souci d’unification des actions et du temps dans lequel elles se déroulent. Peut-être s’agit-il de deux jours mais consécutifs. Quant aux lieux, ils ne sont pas toujours bien définissables chez Galaut mais nous pouvons compter : le palais, une pièce dans le palais et une forêt à l’extérieur. Si l’on retrouve ces trois lieux dans la pièce de La Calprenède et qu’ainsi cette unité encore est imparfaite, il a fait un effort d’unification de ces lieux. La forêt de Galaut est devenue un bois chez La Calprenède, ce qui signifie que les lieux dans lesquels évoluent les personnages sont contigus. Ainsi, ils peuvent s’y rendre rapidement sans gêner la vraisemblance. Surtout, le héros, Phalante, ne part pas, comme c’est le cas chez Galaut, au loin dans la forêt où Hélène le recherchera et trouvera la mort. Ici, d’ailleurs, elle meurt avant le héros, alors que chez La Calprenède, la reine expire après lui. La Calprenède rejette également toutes les actions violentes contenues dans la pièce de son prédécesseur. Il exclut ce que d’Aubignac nomme : « les histoires d’horreur et les cruautés extraordinaires. » Timandre ne meurt pas sur le corps de son fils, Hélène ne se suicide pas avec une dague déjà couverte du sang d’un autre et Phalante ne se crève pas les yeux. Il faut noter surtout que, par respect pour la bienséance, La Calprenède épargne aux yeux du spectateur le duel entre Philoxène et Phalante. Ainsi, les héros ne sont pas représentés se précipitant l’un sur l’autre. De manière générale les personnages sont anoblis dans la pièce de La Calprenède en comparaison avec celle de Galaut. Il fait de Philoxène un héros plus patient, au cœur plus noble, qui disculpe son ami avant de mourir ; Hélène est une reine plus fière qui ne se tue pas par amour seulement mais aussi parce qu’en se laissant aller au désespoir, elle a déshonoré son peuple ; Phalante est plus sensible à l’amour d’Hélène.
Les tableaux de présence, témoins des changements de structure33
Personnages | A.1, sc.1 | A.1, sc.2 | A.1, sc.3 | A.2 | A.3, sc.1 | A.3, sc.2 | A.4, sc.1 | A.4, sc.2 | A.4, sc.3 | A.4, sc.4 | A.5, sc.1 | A.5, sc.2 | A.5, sc.3 | A.5, sc.4 | A.5, sc.5 | TOTAL |
HELENE | * | * | * | * | * | 5 | ||||||||||
PHALANTE | * | * | * | * | * | * | 6 | |||||||||
PHILOXENE | * | * | * | * | * | 5 | ||||||||||
TIMOTHEE | * | * | * | 3 | ||||||||||||
EURILAS | * | * | 2 | |||||||||||||
LEON | * | * | * | * | 4 | |||||||||||
MELISSE | * | 1 | ||||||||||||||
CARIE | * | * | * | * | 4 | |||||||||||
OMBRE | * | 1 |
Notre tragédie compte 24 scènes contre 15 pour celle de Galaut. Neuf scènes de plus et seulement 76 vers supplémentaires. La Calprenède a donc eu le souci non d’allonger la pièce en multipliant les scènes mais de dynamiser l’avancée de l’action et de mieux en équilibrer les actes. En effet, le classicisme réclame une certaine égalité de longueur entre les différents actes, ce qui n’est absolument pas une préoccupation pour Galaut : preuve en est son acte II, exempt de découpage. L’entrée de Phalante au milieu de cet acte n’engendre pas la création d’une nouvelle scène alors que chez La Calprenède, chaque entrée ou sortie d’un personnage s’accompagne d’un changement de scène. De cette manière ses actes sont mieux répartis et mieux rythmés.
Sur les 15 scènes de la pièce de Galaut, 11, soit plus des deux tiers, sont réservées aux trois personnages principaux. À la différence de La Calprenède qui rend ses personnages principaux quasi omniprésents, comme nous l’avons précédemment étudié, Galaut n’hésite pas à faire disparaître Phalante à la fin de la scène 2 de l’acte III et ce, pendant quatre scènes, soit tout l’acte IV. Lorsqu’il rentre, à l’acte V, Phalante fait le récit des aventures qui lui sont arrivées à l’extérieur de Corinthe. Chez La Calprenède, le héros est très présent pour le plus grand plaisir des spectateurs d’alors qui aiment à observer ces héros qu’ils admirent tant et qui les enthousiasment. Le genre épidictique est de ce fait évité : il n’y aura aucun véritable récit venant raconter ce que les héros font hors de scène car ils évoluent continuellement sous les yeux des spectateurs.
Quant aux personnages, si Philoxène, Hélène, Phalante et Timandre (Timothée chez Galaut) ont les mêmes fonctions chez les deux dramaturges, les personnages secondaires changent. Eurilas, Léon, Mélisse, Carie et l’Ombre ne demeurent pas chez l’auteur préclassique. Mélisse et Carie, les deux « damoiselles » chez Galaut sont nommées Cleone et Aminte « demoiselles de la Reyne » par La Calprenède. Les demoiselles de la reine n’ont plus les mêmes fonctions chez La Calprenède puisque, par exemple, chez Galaut, c’est Mélisse qui se charge de convaincre la reine de prendre un mari alors que cette requête est exprimée par un grand nombre de personnages et beaucoup plus loin, dans la pièce de La Calprenède. Hélène a déjà dialogué plusieurs fois avec Phalante et Philoxène ce qui fait prendre plus d’importance à cette scène à l’issue de laquelle la reine est pressée par son peuple de s’unir à un mari alors qu’elle repousse Philoxène et semble rejetée par Phalante. Quant à Aminte, chez La Calprenède elle conserve la même fonction de confidente qui rassure Hélène que Carie chez Galaut.
Les plaintes de Philoxène sont principalement adressées à Léon, gentilhomme mais aussi confident de Philoxène chez Galaut, alors que chez La Calprenède, il les exprime ainsi que son désarroi directement aux autres héros et à son père. Ainsi, les confrontations entre les personnages principaux sont multipliées et le personnage de Léon devient inutile. Par exemple, alors que Phalante et Hélène n’ont que deux scènes en commun chez Galaut, ils en ont quatre chez son successeur, c’est à ces moments que le spectateur est renseigné sur les désirs et sentiments de Philoxène et ces entrevues entre héros renforcent la tension tragique. Chez Galaut, le gentilhomme Eurilas est le confident du père de Philoxène, Timothée. Le père et le fils ont donc chacun leur confident qui vont se rejoindre à la scène 3 de l’acte V pour découvrir leurs seigneurs morts sur scène, passage qui n’existe pas chez La Calprenède. Celui-ci supprime finalement les personnages de Léon, Eurilas mais aussi de l’Ombre dont nous avons déjà parlé et ajoute un Huissier, rôle à l’utilité contestable au demeurant. Il ajoute aussi Arbante, confident de Phalante, personnage qui n’existait pas chez Galaut et particulièrement intéressant34. Il ajoute aussi Arate et Cléomède, deux seigneurs de Corinthe. Ces deux derniers personnages ne sont pas des confidents comme l’étaient les gentilshommes chez Galaut mais simplement des seigneurs qui réagissent aux actions des héros : ils sont la voix du peuple de Corinthe et annoncent à la reine que le peuple réclame qu’elle se marie ; accourent à la suite de Philoxène lorsqu’ils croient ce dernier et Phalante en danger ; supplient la reine de ne pas se suicider à l’acte V en lui demandant de songer à ses sujets qui devront la suivre.
Caractère et fonctions des personnages §
Les personnages ou « Acteurs », comme ils sont nommés au début de l’œuvre, sont présentés dans un ordre bien précis qui constitue une hiérarchie sociale. La reine de Corinthe est donc nommée en premier, avant le prince Phalante qui est pourtant le héros de cette tragédie. Pour visualiser dès maintenant la pièce d’un point de vue plus structurel, les personnages seront ici présentés par ordre d’apparition.
Philoxène, l’incarnation de l’obstacle §
Ce personnage se trouve être tout à la fois l’incarnation de l’obstacle et l’élément déclencheur du dénouement. Héros de second ordre, il est amoureux d’Hélène depuis l’enfance et sa peine grandit à mesure que la reine le rejette. Il subit un châtiment sévère au cours de cette pièce mais il n’est pas celui pour qui le spectateur espère ou craint le plus car il empêche l’union des deux héros. Hélène le considère ainsi comme l’obstacle à écarter (v. 824) : « Cet importun me nuit, je sçauray m’en défaire. » Philoxène le reconnaît lui même à l’acte IV, scène 6 (v. 1327) : « Car j’estois criminel en mettant quelque obstacle. » C’est Phalante qui, paradoxalement, en voulant aider son ami le fait haïr de la reine et des spectateurs (v. 522) : « Tu le rends odieux au lieu de l’assister. » Ce personnage est intéressant et utile d’abord parce qu’il constitue le principal obstacle à l’union d’Hélène et de Phalante ; ensuite parce que c’est lui qui déclenche le dénouement à l’acte IV, scène 4 lorsqu’il attaque Phalante. Fou de jalousie, son statut d’amant rejeté par Hélène se transforme en celui d’ennemi furieux de Phalante. C’est dans ce rôle qu’il retient toute l’attention des spectateurs. C’est le seul personnage de la pièce à subir une telle métamorphose. Alors qu’il semblait être la figure inamovible de cette pièce, son évolution fait naître simultanément la surprise et la terreur chez le spectateur. Ce dernier ne s’attendait pas à voir se transformer si radicalement ce personnage méprisé par Hélène pour son « ambition trop douce et trop petite » (v. 152). Cette surprise est un élément indispensable à la tragédie selon Aristote pour conserver l’intérêt du public. Pari réussi ici car le spectateur ne s’attendait pas à voir naître la fureur chez ce personnage présenté comme faible et dépendant des autres personnages de la pièce. Dès la scène 2 de l’acte I, Philoxène dira à Phalante (v. 85) : « Ma vie est en vos mains et j’attens tout de vous. » Pourtant, Phalante ne parviendra pas à aider son ami et c’est paradoxalement Philoxène qui sera un élément moteur pour la tragédie. Ce dernier permet également au spectateur de ressentir la terreur, autre élément indispensable à la tragédie selon La Poétique d’Aristote. Quand Philoxène, furieux et incontrôlable, s’attaque injustement à Phalante, le public craint pour le héros. Ce changement de comportement est source d’ironie tragique dans la pièce. Alors que se développe largement le thème de l’alter ego tout au long de la tragédie, la figure exemplaire de ce motif, Phalante, est attaquée par son ami. Celui qui respecte l’amitié au point de renoncer à son propre bonheur se voit ici trahi par son alter ego. Le pardon final de Philoxène à Phalante redonne au personnage de Philoxène de l’humanité et le rend plus héroïque.
Hélène, l’héroïne galante §
Jeune et belle reine de Corinthe, elle rejette Philoxène car elle est amoureuse de Phalante. Si on ne connaît pas l’âge de la reine, on peut penser qu’elle est très jeune. Avec la noblesse, la jeunesse constitue une des premières qualités d’une héroïne, surtout lorsqu’elle doit déclencher, comme c’est le cas ici, la passion des personnages masculins qui l’entourent.
Le personnage d’Hélène partage certains traits de caractère avec celui de Didon qui, elle aussi, a accueilli avec bonté un prince étranger en difficulté (Énée) avant de lui offrir l’hospitalité. Elles ressentent de la même manière un violent amour pour le prince qu’elles recueillent et à qui elles se livrent car leur passion leur a également enlevé le souci de la gloire. Didon se donne à Énée dans une grotte, quant à Hélène, elle avoue son amour à Phalante oubliant son devoir de reine. Finalement, toutes deux se suicideront parce que leur amant ne veut (ne peut) pas les épouser. Si Didon se suicide par désespoir lorsqu’Énée la quitte pour suivre son destin, Hélène ne se suicide pas directement par simple désespoir amoureux mais parce qu’elle s’est mise en danger, en tant que reine, en avouant son amour à Phalante. Cela dit, la passion reste l’élément déclencheur du désespoir qui mènera au suicide.
Au cours de la tragédie, Hélène est simultanément héroïne, amante et reine. Ces deux derniers statuts créent des contradictions internes chez ce personnage : comment peut-elle gouverner sa Cité étant elle-même sous l’empire de la passion ? L’issue de la pièce laisse entendre que les deux fonctions d’amante et de reine sont inconciliables. Elle en témoigne elle-même dès le premier acte (v. 284-304) :
J’ay failly, j’ay failly, mon front mesme m’accuse. […]Je devois maintenir cette Majesté haute,Conserver l’asseurance à ce front couronné, […]Je devois estouffer une naissante flame, […]Je devois pour le moins me faire violence,Cacher un feu honteux, mourir dans mon silence, […]Que sçay-je si desja cette estrange ouvertureAura fait à ma gloire une mortelle injure ?
La passion ne fait pas bon ménage avec l’art de gouverner dans Phalante et c’est par le biais de ce personnage que la pièce prend des allures politiques. C’est en partie la responsabilité du trône de Corinthe et le souvenir de ses aïeux qui la culpabilisent d’avoir avoué son amour. C’est aussi par le biais ce personnage que l’État entier est engagé dans le dénouement. Quand la reine se suicide la ville, laissée à elle même, peut perdre la paix qui y régnait grâce à Hélène et certains de ses proches se trouveront forcés de se tuer pour suivre leur reine. Rappelons ici que le fait politique n’arrive qu’incidemment et que c’est le fait amoureux qui est le point de départ de la tragédie et se répercute sur le statut royal de l’héroïne.
Après avoir présenté son statut d’amante en contradiction avec celui de reine, il est impératif de s’interroger sur son statut d’héroïne en tant que tel. Reprenons d’abord la définition d’héroïne donnée par le Furetière ou le dictionnaire de l’Académie : « femme qui possède les qualités d’un héros35. » Si l’on compare Hélène à Phalante, il est aisé de voir rapidement que malgré son statut d’héroïne qui voudrait qu’elle partageât avec lui son caractère admirable, il n’en est pas ainsi. Bien sûr, elle possède de nombreuses qualités parce qu’elle ne punit pas Philoxène par amour et par respect pour son père Timandre et parce qu’elle ressent de la culpabilité. Cependant, elle ne peut rivaliser avec la dévotion dont fait preuve Phalante qui renonce à son bonheur pour celui d’autrui. La reine met même sa cité en péril lorsqu’elle se suicide. Phalante, lui, voudrait pouvoir se condamner lui-même plutôt que de faire encourir quelque peine à autrui. Il faut cependant reconnaître qu’elle n’est pas dénuée de courage en ce qu’elle exerce sur elle-même un jugement sévère. Elle songe à sa position de reine, à ses aïeux, à son honneur et c’est cela qui la culpabilise (v. 1529-1534) :
Et par des laschetés dont le remords m’accable,Du rang que j’ay tenu, je me rends incapable :Celle qui du devoir a fait si peu d’estat, […]Est indigne à jamais de porter la Couronne
Toutefois, ce n’est pas seulement la culpabilité morale qui la conduit à se suicider mais aussi le désespoir d’une femme qui a été rejetée. C’est parce que Phalante ne lui donne pas de preuve de son amour qu’elle se voit déshonorée et songe à son devoir. Elle n’est pas aussi admirable que le héros Phalante qui lui, se suicide uniquement par devoir et qui s’est toujours puni de la moindre pensée égoïste depuis le début de la pièce. Elle est donc loin de l’héroïsme dans ses qualités masculines. Le siècle, en effet, n’est pas prêt à admettre des « idées unisexe36 ». « Affecter les vertus d’un autre sexe, c’est une espèce d’usurpation, qui n’est permise qu’avec beaucoup de tempérament et de sobriété37 » affirme Du Bosc. Ce dernier explique clairement que dans la tragédie classique, la femme ne peut pas être admirée si elle se fait l’égal de l’homme. Autrement dit, si Hélène avait été aussi vertueuse que Phalante et avait fait preuve d’autant de courage que ce héros, ce dernier n’aurait pas pu vraisemblablement la considérer comme aimable. Noémie Hepp pense que ce qui peut faire de la femme une héroïne est principalement sa capacité à bien aimer : « retenons donc l’amour pour un homme unique, ou l’amour de Dieu, ou encore le passage de l’un à l’autre comme une valeur sûre de l’héroïsme féminin38. » En effet, cette définition semble corroborer la vision qu’a La Calprenède de son héroïne. En se suicidant, après n’avoir aimé qu’un seul homme, elle passe directement de l’amour de Phalante à la dévotion aux dieux. Son amour pour Phalante côtoie déjà le divin à la dernière scène, alors qu’elle est proche de la mort (v. 1601, 1602) : « […] jamais peut estre une plus saincte flame, / Ny de plus beaux desseins n’allumerent une ame. » Donc, Hélène aime bien selon la définition de Noémie Hepp mais elle est aussi le centre de l’amour des deux héros masculins et en tant que telle, le centre de la tension. Au détriment de la première signification d’héroïne, égale du héros, Hélène est une héroïne en ce qu’elle passe de l’amour humain pour un seul homme à la mort et qu’elle est un personnage central dans l’œuvre.
Cléone, personnage duplice §
Demoiselle de la reine, son rôle va beaucoup plus loin que celui de simple confidente. En effet, c’est elle qui assure Philoxène que la reine est amoureuse de Phalante. Ainsi, elle fait naître la surprise chez le spectateur qui ne s’attendait pas à ce que ce personnage, si proche de la reine, forme cette sorte d’alliance avec Philoxène. Elle ne se rend certainement pas compte de l’impact de sa révélation sur la suite des événements, puisqu’elle se montrera profondément touchée à l’issue de la pièce et prononcera ces mots en découvrant l’état de la reine (v. 1558) : « Ah ! je meurs. » Elle s’évanouit certainement à ce moment.
Huissier §
Il faut s’interroger sur le rôle mineur de ce personnage. Il ne prononce qu’un demi vers à la scène 2 de l’acte I pour annoncer l’arrivée de Phalante. De plus, le personnage n’est pas nommé dans la liste des acteurs. Sa présence doit être considérée comme une maladresse de l’auteur car il fait clairement doublon. Son demi vers pourrait très bien être prononcé par un autre personnage. Aminte, par exemple, pourrait sans difficulté se charger de cette réplique.
Phalante, le héros tragique §
Jeune prince étranger, il est recueilli par la reine car son pays est occupé par des guerres. Ami de Philoxène, il est aussi amoureux d’Hélène. Tout au long de la pièce, il est déchiré entre amitié et amour. À chaque fois qu’il rencontre Hélène, il plaide la cause de Philoxène alors que lui même est amoureux d’elle. Le dilemme de Phalante semble impossible à résoudre mais il choisit l’amitié plutôt que l’amour mettant de côté son propre bonheur. Il exprime clairement ce choix à la fin de la pièce (v. 1655, 1656) :
Car j’ay pour le servir trahy mon sentiment,Sacrifiant ma vie à son contentement.
Phalante, comme le suggère déjà le titre, est le véritable héros de cette pièce. La Calprenède choisit, selon le terme de Jacques Scherer, de « prodiguer » son héros qui est présent la moitié des scènes et à qui il offre deux longs monologues lyriques représentant ainsi l’exaspération de la souffrance du héros. La Calprenède exploite au maximum toutes les capacités de ce personnage pour faire naître l’émotion du spectateur. En effet, Phalante est le personnage qui appelle le plus la pitié. De plus, c’est autour de Phalante que se noue la tragédie puisque c’est à lui que se présente le dilemme.
Lorsqu’il crée le personnage de Phalante, La Calprenède semble influencé par celui d’Énée. Hélène les compare dès l’acte I (v. 319-322) :
Pourquoy pour le salut de cette infortunée,N’avez-vous de nos bords destourné cét Enée,Qui desja dans mon ame à ma confusion,Allume un plus grand feu que celui d’Ilion.
Si la fin des deux héros est différente, Phalante et Énée ont certaines caractéristiques communes. Tous deux sont de vaillants princes forcés de quitter leurs terres et sont tombés amoureux de la reine qui les recueille. Cette comparaison avec Énée renforce la représentation paroxystique du héros dans cette pièce. Phalante en héros incontesté est aimé de tous les personnages qui l’entourent mais aussi des spectateurs. Hélène, dès le premier acte explique le charme de Phalante, l’enchantement qu’il produit sur son entourage, comme un effet de ses innombrables qualités et de sa vertu : « Mon ame […] Faisoit réflexion à tant de qualitez, / Et d’actes de vertu dont vous nous enchantez. » Phalante, est le personnage particulièrement exemplaire. Il est irréprochable à tous points de vues. Hélène évoque sa valeur dès leur première entrevue à la scène 2 de l’acte I : « Car après les grandeurs qu’il eust dans sa province, / Ma cour est un exil pour un si brave prince. » Elle ajoute plus loin qu’il possède « un cœur si genereus » (v. 145) ; il fait aussi preuve d’un « généreux courage » (v. 340) et d’une « haute vertu » (v. 341) selon Timandre. Par amitié et compassion, Phalante plaide une cause qui va à l’encontre de ses intérêts personnels. Enfin, à l’acte V, il se condamne lui-même en se suicidant alors que son ami l’avait enjoint d’écouter ses sentiments et de vivre avec la reine. Phalante est un héros irréprochable qui réunit à lui seul toutes les vertus dans lesquelles aiment à se reconnaître les spectateurs de l’époque et il se trouve que ce héros souffre tout au long de la pièce. Cette équation va créer inévitablement un sentiment de pitié chez le spectateur chaque fois que ce personnage se trouvera en difficulté. Pour Aristote, la pitié est un des sentiments essentiels à la tragédie et La Calprenède joue particulièrement avec ce ressort émotif à travers le personnage de Phalante qu’il rend continuellement malheureux. Ses monologues délibératifs, acte II, scène 3 et au commencement de l’acte V sont prétextes à de longues lamentations lyriques. Quand Phalante balance entre ce qu’il doit à son ami et son propre bonheur, il évoque largement ses peines. Il souffre plus encore dans le second monologue car il a plusieurs objets de souffrance. Sur lui pèsent la culpabilité d’avoir tué un ami, le poids du dilemme entre amour et amitié et la honte de penser parfois à choisir son propre bonheur. Il est à ce moment dans l’exaspération de la souffrance. Seul, « retiré de la Cour et du bruit » il s’adresse à son ami mort qu’il se prépare à suivre. Les antithèses viennent renforcer le pathétique de la scène : « regrets, justes regrets […] / Que vous m’estes cruels me paroissans si doux », s’exclame t-il (v. 1387 et 1389). Le jugement trop sévère qu’il porte sur lui-même, topos du héros tragique à cette époque, est preuve de sa qualité. Au cours de cette pièce, à travers ses multiples souffrances, il gagne la dénomination de « héros tragique ». Il meurt, toujours en véritable héros, songeant que deux personnes meurent à cause de lui alors que lui ne peut mourir qu’une seule fois. Le topos de la belle mort est ici développé et Phalante paraît d’autant plus héroïque qu’il meurt songeant encore à autrui. Il provoque, par sa grandeur d’âme et sa dignité, la pitié et l’admiration du spectateur. Ainsi, Phalante, est, plus que le personnage éponyme de cette pièce, l’incontestable héros tragique.
Timandre, le père et le poids moral §
Père de Philoxène, il constitue lui aussi un obstacle à l’union de Phalante avec Hélène puisqu’il tente d’unir son fils à cette dernière. Régent de la jeune reine avant qu’elle ne monte seule sur le trône, c’est cet ancien lien qui retient l’héroïne d’agir et de punir Philoxène à l’acte III. Hélène s’adressant à Timandre à la scène 2 de l’acte IV (v. 1078-1080) :
Mais sans vostre respect je m’en sçaurois vanger.C’est vous seul que j’estime et que je considere,Et la faute du fils je la pardonne au père
Il constitue pour Hélène un rappel de son devoir. Timandre a une profonde considération pour Phalante qu’il perçoit comme son propre fils. Ainsi, le tragique est renforcé lorsqu’il découvre son fils à terre, tué par Phalante.
Cléomède, porte parole des Corinthiens §
Seigneur de Corinthe, il est comme Arate le porte parole du peuple de Corinthe. Ce sont ces seigneurs qui demandent à la reine de se marier pour offrir à la population un futur souverain. Aussi, ce sont eux qui tentent de la dissuader de se suicider songeant au sort de l’État. Écho de la voix du peuple, Cléomède est aux côtés de Timandre lorsqu’il découvre le corps de Philoxène. Il réagit alors comme certainement l’aurait fait le peuple lui-même en observant la scène (v. 1328) : « Dieux, le triste spectacle ! »
Aminte, la confidente §
Demoiselle de la reine et confidente. Elle tente, plus prosaïque que les personnages de haut rang, de trouver des points positifs à la passion d’Hélène à la scène 4 de l’acte I. Elle a pour rôle de permettre à l’héroïne de révéler ses sentiments au moyen d’un dialogue. Fidèle à sa maîtresse, c’est elle qui remet la lettre de la reine à Phalante au dernier acte.
Aminte, tout au long de la pièce, est un soutient pour Hélène, à la différence de Cléone, l’autre demoiselle de la reine. Cette dernière, si elle est plus impliquée qu’Aminte dans l’avancée de l’intrigue, est aussi moins fidèle à Hélène en révélant à Philoxène la passion de la reine.
Arbante, le confident §
Ce statut de « confident » laisse présager que c’est grâce à lui que le public va obtenir des informations sur les sentiments du héros. L’importance d’Arbante se trouve plutôt dans ce que Phalante ne lui révèle pas. Ce dernier, voulant cacher son amour pour Hélène ne révèlera ce secret à personne, pas même à son confident. À la scène 2 de l’acte II, alors qu’Arbante veut connaître les raisons de la tristesse de son maître, Phalante refuse de lui parler. Ce non dit permet de renforcer la tension autour de Phalante et de piquer la curiosité du spectateur. Phalante paraît d’autant plus malheureux, donc plus charmant pour le spectateur de l’époque, parce qu’il n’a personne à qui confier sa souffrance. Le seul véritable rôle de ce confident sera de prévenir Timandre qu’il a laissé Phalante et Philoxène dans le bois à l’acte IV, scène 5.
Arate, porte parole des Corinthiens §
Seigneur de Corinthe. Il a le même statut et un rôle similaire à celui de Cléomède. Cependant, ces deux personnages ne font pas doublon : ils ne sont pas trop de deux pour représenter le peuple qui entoure les héros et le poids de celui-ci sur la reine.
Au vu de cette présentation par ordre d’apparition dans la pièce, nous pouvons observer que les protagonistes sont parmi les premiers personnages à entrer en scène. D’Aubignac, écrira à propos de l’arrivée des héros sur scène :
Les spectateurs d’abord les désirent voir, et tout ce qui se dit ou se fait auparavant leur arrivée leur donne plus d’impatience que de plaisir, et souvent est compté pour néant39.
Phalante, témoin de l’émergence des règles classiques §
Nous verrons dans ces pages en quoi l’auteur respecte les normes de la dramaturgie classiques qui se construisent dans la décennie 1630-1640 et s’inspire de la littérature qui l’entoure. Nous étudierons l’avancée de l’action de l’exposition au dénouement avant de nous arrêter sur les influences du Cid et de la galanterie dans Phalante.
Une longue exposition, mêlée à l’action §
Phalante débute in medias res. Pas d’insinuation, la pièce commence par un dialogue déjà très animé entre Hélène et Philoxène. Le dialogue passionné constitue déjà une ébauche d’action mais renseigne parallèlement le spectateur sur les éléments déjà acquis de la situation. En incorporant les éléments de l’exposition à l’action, La Calprenède rend la présentation des éléments d’information plus dynamique et ramasse déjà l’action au plus proche du dénouement comme le conseillera d’Aubignac dans sa Pratique du théâtre. Cette présentation du sujet débute avec le commencement de la tragédie mais il est très difficile de délimiter exactement sa fin. L’auteur réalise une exposition qui a la qualité de paraître moins artificielle, puisque naturellement incorporée au dialogue, mais qu’il est difficile de borner. Cependant, et de manière artificielle, nous dirons que celle-ci s’étend du début de l’acte I à la scène 5 de l’acte II. L’exposition s’étale à tel point que l’auteur s’est beaucoup éloigné de l’idéal classique qui voudrait qu’elle soit « courte40 ». De même, Boileau, dans son Art Poétique souligne que le sujet n’est jamais assez tôt expliqué : « Inventez des ressorts qui puissent m’attacher. / Que dès les premiers vers l’action préparée / Sans peine du sujet m’applanisse l’entrée41. » Même Corneille dans son troisième Discours affirme que l’exposition doit se terminer au premier acte, ce qui est loin d’être le cas pour Phalante. Cela dit, il faut concéder à La Calprenède que si son exposition est un peu trop diluée, elle possède la qualité de délivrer des données claires. Les informations sont réparties à différents moments de la pièce, de façon à ce que le spectateur ait le temps de les intégrer pleinement. Dans cet intervalle d’un acte et cinq scènes, l’auteur délivre au spectateur les éléments afférents à la qualité et à la position de chaque personnage ; aux différents liens qui unissent les personnages principaux : l’amour ou l’amitié ; au le lieu de l’action : Corinthe, dans le palais de la reine ; à la préparation d’un conseil. En ce qui concerne les relations des personnages entre eux, il est étonnant de constater que le public découvre que Phalante est amoureux de la reine seulement à l’acte II, scène 3. La Calprenède donne cette information primordiale très tard au public certainement pour ménager la curiosité de celui-ci mais aussi sa surprise. Une autre surprise se cache dans cette exposition. À la fin de l’acte I, scène 1, le spectateur a toutes les raisons de penser que si Hélène n’aime pas Philoxène, c’est parce que la préoccupation du trône l’occupe entièrement. En réalité, le spectateur apprend à la scène 3 du même acte qu’elle rejette Philoxène parce qu’elle est amoureuse de Phalante. L’auteur sait ménager ainsi l’effet de surprise et pique la curiosité du spectateur. Après avoir reçu tous les renseignements, ce dernier est avide de connaître les réponses aux questions posées par l’exposition. Phalante va-t-il succomber à la tentation de s’unir à Hélène ? Phalante et Philoxène vont-ils réussir à faire pencher la reine en faveur d’un mariage avec Philoxène ? Phalante va-t-il parvenir à cacher sa passion à tous ? Qua va-t-il se passer au conseil ? Autant d’interrogations qui ont toutes un lien et qui, sans dénaturer l’unité d’action, nous le verrons en conclusion de cette partie, renforcent la curiosité et l’attention du spectateur.
Le nœud tragique : étude du dilemme §
Une fois l’exposition terminée, toutes les données semblent réunies pour que la tragédie se noue autour des deux grands thèmes de la passion et de l’amitié. Ces deux sentiments sont ici confrontés pour donner naissance au dilemme tragique énoncé par Phalante lors de son premier monologue, acte II, scène 3 :
Cet amour qui déja tient mon ame captive,Si je ne suis aymé ne veut pas que je vive.On m’ayme, et dans ce bien qui me doit conserverJe rencontre la mort au lieu de me sauver.
En d’autres termes, Phalante exprime le fait qu’il mourrait s’il n’était pas aimé d’Hélène mais que, paradoxalement, le fait qu’Hélène soit amoureuse de lui le conduit également à la mort. Cette contradiction nait de l’amitié qu’il voue à Philoxène. C’est ainsi que l’amitié rentre en confrontation avec la passion pour s’y lier parfaitement et former le nœud (v. 540-542) :
Quoy tu pourras trahir un amy qui t’adore,Et sans considerer ta vie et ton honneur,Tu pourras sur sa perte establir ton bon-heur ?
Cette question n’attend pas de réponse mais renvoie à son incapacité à trahir son alter ego. Phalante explique ce choix par l’antériorité (v. 1648) : « Mais avant mon amour j’avois donné ma foy. » Philoxène et Phalante se sont liés d’amitié avant que ce dernier ne tombe amoureux de la reine. Aussi, l’amitié et par extension Philoxène, fait-elle ici directement obstacle à la passion. Cependant, si Phalante choisit l’amitié, il ne cessera de balancer entre ces deux sentiments. Ce dilemme est d’autant plus cruel et pathétique que Phalante doit délibérer seul. Il pèse tour à tour les deux possibilités et démontre ainsi que chacune d’entre elles le conduit irrémédiablement à sa perte. Il met donc en avant l’impossibilité d’accéder au bonheur qui est pourtant le but recherché par la délibération. Au sein de cette délibération, Phalante devient son propre obstacle et s’en désespère (v. 515) : « Ah ! Phalante, ennemy du salut de Phalante. » Ce dilemme ne nait pas d’un obstacle extérieur mais intérieur que Phalante est seul à s’opposer. De cette manière la tragédie reste nouée car Phalante sera inéluctablement malheureux ; Philoxène ne pourra pas accéder à l’amour car Hélène en aime ni pour le moment y renoncer ; Hélène ne pourra pas non plus accéder à l’amour car Phalante choisit l’amitié et son honneur est entaché par son aveu. Au dilemme qui constitue le noyau du nœud de l’action, s’ajoute principalement un autres fil qui vient le resserrer : le fil politique. La reine en avouant sa passion a mis sa position en péril, ce qu’elle déplore dès le début de la pièce (v. 272) : « Dignité de mon Sceptre indignement blessée. » Une requête renforcera le poids politique qui pèse déjà sur la reine. Au début de l’acte IV, les Corinthiens, par les voix d’Arate et de Cléomède réclament qu’Hélène se marie pour assurer sa succession sur le trône. Ainsi, le fait politique se lie parfaitement au fait amoureux qui domine cette pièce.
Ainsi, ce duel permet de répondre à la question que Phalante s’était posée plus tôt dans la pièce (v. 523, 524) : « Les interests d’autruy deffendent-ils les nostres, / Et se doit-on haïr pour bien aymer les autres ? »
Le dénouement §
Le tragique n’est pas dans le malheur réel et imprévu, qui nous vide aussitôt de pensées, mais au contraire dans le malheur attendu, dont on entend les pas, qui arrivera, qui est déjà arrivé, qui fera son entrée comme un acteur42
Depuis le premier acte, plusieurs éléments présagent le dénouement. Hélène, déjà à l’acte I, avait pressenti la funeste issue de la tragédie (v. 130-131) :
Cent tristes visions, cent songes que j’ay faits,
Menacent cest amour d’une funeste issuë
L’auteur prépare plus visiblement encore le dénouement à l’acte III, scène 1 quand Cléone confirme les soupçons de Philoxène sur l’amour que porte la reine à Phalante. Dès l’instant où Philoxène détient cette information, la tragédie ne peut que se diriger vers un dénouement funeste au sein duquel Philoxène jouera peut-être le premier rôle. L’issue tragique est préparée en amont, le spectateur l’attend et peu même deviner qui l’initiera mais il continu de craindre et d’espérer car certains éléments doivent encore être éclaircis. D’Aubignac nomme ce suspense « l’attente agréable43». En effet, l’auteur laisse encore un peu de répit à ses personnages, il ménage ses effets. Hélène tente d’empêcher l’issue tragique en menaçant Philoxène et en prévenant Timandre de l’état de désespoir de son fils. Cette tension justement dosée entre la perspective d’une sombre issue et l’espoir péripétie qui transforme le sort des personnages constitue une des qualités de la pièce. C’est à la scène 4 de l’acte IV que le dénouement « fera son entrée » selon les termes d’Alain. C’est lors de cette scène que Philoxène finit de se métamorphoser en héros furieux et menace son ami Phalante. De ce duel, point de non retour de la tragédie, découlent deux catastrophes : Philoxène est blessé à mort par Phalante et le sentiment de culpabilité que ce dernier éprouve pour avoir mortellement blessé son ami le conduira au suicide. Éliminer Philoxène, c’est pourtant éliminer un obstacle au bonheur d’Hélène et Phalante. L’élimination de cet obstacle permet à La Calprenède de conserver toute l’attention du spectateur lors du dernier monologue de Phalante qui hésitera, une dernière fois, à s’unir à Hélène mais son sentiment de culpabilité l’en empêchera. La conclusion de la pièce ne se trouvera pas encore à ce moment puisque le duel ne suffit pas à entrainer toutes les catastrophes. Un second dénouement vient se superposer au premier grâce à l’arrivée d’une lettre d’Hélène à la scène 3 de l’acte V (v. 1475-1480) :
Si tout ce que j’ay faict n’a pû vous esmouvoir,Souffrés à mon trespas que je me satisface,Et que vous demandant le bon-heur de vous voir,Pour la derniere fois j’obtienne ceste grace ;Je n’attens plus que vous pour partir de ce lieu,Que je ne puis quitter sans vous dire un adieu
C’est lors de ce second dénouement que le spectateur apprend que la reine est en train de mourir. La forme de la lettre permet qu’à la surprise de l’annonce du suicide corresponde la surprise que procure le changement de métrique. Cette lettre est écrite en rimes croisées alors que les alexandrins sont en rimes plates dans la tragédie. Ainsi, l’auteur signale ici clairement la seconde péripétie. Pour le personnage d’Hélène, le dénouement vient du désespoir et de la honte de s’être détournée de son devoir de reine. Elle s’empoisonne pour des raisons politiques. L’unité du dénouement n’est donc pas parfaitement respectée ici car la seule péripétie du duel n’a pas suffi à entraîner tous les personnages vers leur fin tragique. Cependant, l’héroïne meurt des suites des mêmes maux que les deux autres héros de cette pièce : des affres de la passion qui constituent le fil principal de l’action et dont le fait politique est dépendant. L’ultime entrevue entre Phalante et Hélène permet à l’auteur de satisfaire les attentes du public et de renforcer le pathétique du dénouement. Phalante, alors qu’il s’apprête à se tuer et que la reine s’est empoisonnée, lui avoue à son tour qu’il l’aime. La scène particulièrement pathétique se termine par la mort des deux héros. Le sort de tous les personnages de la pièce se trouve enfin scellé soit par le duel, soit par le suicide la reine. Il faut relever un fait important au sein de cette tragédie des passions, c’est qu’aucun des personnages ne meurt directement à cause de la passion mais plutôt de ses conséquences.
Au vu de l’avancée de la tragédie, nous pouvons conclure que l’auteur respecte le précepte énoncé par Corneille : « [l’action] que le Poète choisit pour son Sujet doit avoir un commencement, un milieu, et une fin. » Ces trois moments sont le support d’une action simple et linéaire. Par sa simplicité, la pièce de La Calprenède concorde avec la pensée de d’Aubignac :
Tous les Sçavants en l’Art nous apprennent que les fables Polymiythes, c’est-à-dire chargées d’un grand nombre d’incidens, ou sont vicieuses, ou ne sont pas des meilleures44.
Unité aussi car une intrigue principale est énoncée, à laquelle se subordonnent des intrigues secondaires. Le fait amoureux est le principal qui entre en conflit avec la fidélité amical et le fait politique. La question centrale demeure : les personnages vont-ils parvenir à se faire aimer les uns des autres ? La question de la fidélité amicale apparaît avec le personnage de Phalante et entre en tension avec la passion à laquelle elle s’oppose. Quant au poids politique il n’arrive que secondairement avec le personnage de la reine et est subordonné aussi à la question de l’amour. Les personnages sont tous liés par la haine ou l’amour. L’intérêt n’entre pas en jeu. L’absence de péripétie jusqu’au quatrième acte contribue à la simplicité et à la linéarité de l’action. Le premier véritable retournement de situation se produit seulement avec le dénouement et tout ce qui y conduit est connu auparavant. à l’exception de la figure de Philoxène qui se transforme, les personnages restent relativement fidèles à eux-mêmes, même s’ils s’assombrissent au fil de la tragédie. D’emblée, la reine montre des prédispositions à haïr Philoxène et à aimer Phalante ; dès l’exposition, Phalante présente une grande dévotion vis à vis de son ami ; et dès la première scène, Philoxène montre son désir fiévreux d’être aimé par la reine. Là encore l’unité et la simplicité de l’action sont pleinement respectées par notre auteur. Quant à l’unité de temps et de lieu nous avons eu l’occasion d’en parler auparavant et nous aurons encore l’occasion de les évoquer plus loin.
L’influence du Cid §
À l’origine d’un immense succès suivi d’une querelle historique, Le Cid ne peut être ignoré par aucun auteur de l’époque. La Calprenède n’échappera pas à son influence. Certaines normes de dialogues sont reprises dans Phalante ; Hélène partage certains attributs de Chimène. C’est ainsi que lors d’un échange animé entre Hélène et Phalante le vers 853 partagé entre les deux héros fait écho à un échange entre Rodrigue et Chimène
Phalante : Je fais ce que je dois.Hélène : Je fais ce que je puis.Rodrigue : Tu le doisChimène : Je ne puis
Les répliques rapides entre les deux amants, qui se partagent des vers pour confondre leurs disputes dans un même dialogue lyrique, sont communes aux deux auteurs. Ces stichomythies marquent une apogée dans les échanges des héros et renforcent considérablement la tension dramatique. Ces jeux oratoires de prises de parole successives très rapide atteignent au lyrisme. Les paroles des personnages forment une seule voix, ce qui semble les unir dans un chant de désespoir. Influencé par Pierre Corneille, La Calprenède a parfaitement su adapter ce procédé au sein de sa pièce.
Les deux héroïnes du Cid et de Phalante partagent une même faiblesse. Les actions des personnages qui les entourent dépassent leurs discours. Toutes deux préfèrent la parole aux actes ce qui rend leurs paroles vaines. Chimène a beau énoncer à de nombreuses reprises qu’elle veut que Rodrigue soit condamné, elle ne sera pas écoutée ; Hélène a beau vouloir empêcher Philoxène d’agir, elle n’y parviendra pas. Chimène dit vouloir se venger de Rodrigue (v. 842) : « Il y va de ma gloire, il faut que je me venge. » Quant à Hélène, elle veut punir Philoxène (v. 981, 982) : « Soyez très-asseuré que je vous feray voir / Et quelle est votre faute, et quel est mon pouvoir. » Chimène implore la justice du roi Don Fernand (v. 647) : « Sire, Sire, justice ! » et Hélène aussi demande à Timandre de faire respecter la justice (v. 1117, 1118) : « Gardez qu’il ne s’attaque à ce Prince estranger / Puis que je le protege, et le sçauray venger. » Les menaces de ces deux héroïnes n’auront aucun effet car elles n’agissent pas par elles-mêmes mais réclament l’aide d’autrui. Ainsi, lorsque Chimène a la possibilité de tuer Rodrigue, elle s’y refuse et quand Hélène, lors de sa dernière entrevue avec Philoxène, pourrait le faire arrêter, elle le laisse partir. Malgré leurs condamnations, elles n’empêchent rien et ainsi, deviennent tributaires de l’action des autres. Ces deux héroïnes ont un autre point commun : elles sont déchirées entre devoir et passion. Bien que Chimène veuille venger son père et punir Rodrigue, elle lâche à sa confidente (v. 810, 811) : « C’est peu de dire aimer, Elvire : je l’adore. / Ma passion s’oppose à mon ressentiment » De la même manière, Hélène quand elle tente d’oublier Phalante pour s’attacher à son devoir, doit avouer (v. 910 et 917) : « Quelque ressentiment dont je sois animée, […] / Je t’ayme tout cruël et tout mécognoissant. »
Nous pouvons aussi concevoir certains liens entre Phalante et le personnage de Chimène en ce que ces deux personnages, tout au long de la pièce, sont déchirés entre deux choix dont aucun ne pourra les conduire au bonheur. Le pathétique naît de la nécessité dans laquelle sont les deux héros de se soumettre au devoir en dépit de leurs sentiments. Le fameux dilemme cornélien est ainsi parfaitement respecté par La Calprenède, le sens du devoir dépasse le sentiment amoureux. Ainsi, l’amour est vaincu et le devoir vainqueur. Cependant, quand Corneille fait s’opposer devoir filial et sentiment amoureux, La Calprenède fait s’opposer la volonté de préserver l’amitié – dont Phalante se fait un devoir– et le sentiment amoureux. L’opposition qu’il crée entre amour et amitié le singularise par rapport à Corneille.
L’émergence de la galanterie §
Dès la fin des années 1630, les salons dits « précieux » et la littérature galante émergent pour acquérir leur pleine visibilité dans les années 1660. Nous allons examiner ici en quoi Phalante, édité en 1641, traduit déjà les prémices d’un « art d’aimer », selon les termes de Delphine Denis.
D’abord, il faut rappeler que le genre galant est loin d’être stabilisé en 1641. Si la carte allégorique rencontre déjà un certain succès, les règles qui définiront la galanterie ne sont pas encore édictées. C’est pourquoi, le personnage de Phalante peut choisir l’amitié plutôt que la passion et affirmer que « l’amour seul est trop foible » (v. 571) ; il peut conserver sa raison devant l’être aimé ; il peut même être traité d’ « ingrat », d’ « insensible » par Hélène tout en paraissant véritablement amoureux aux yeux des spectateurs de l’époque et en paraissant celui qui souffre le plus. De même, Titus, lorsqu’il choisira « la gloire » plutôt que Bérénice, paraîtra empreint d’une froideur inhumaine face à une Bérénice dans une souffrance extrême. Le recul que peuvent prendre ces deux personnages s’explique par le fait que Phalante, comme Titus sont des personnages véritablement tragiques, guidés avant tout par la gloire et l’honneur alors qu’Hélène est un personnage qui s’apparente plus au roman galant. En effet, elle possède déjà de nombreux attributs qui seront ceux des plus grandes héroïnes galantes de la deuxième moitié du xviie siècle. Il faut croire que la galanterie s’attache plus facilement aux personnages féminins, plus passionnés selon Jaulnay, qu’aux masculins. Alors que Phalante semble conserver sa raison tout au long de la pièce, la passion domine le jugement de la reine. C’est cette passion qui la poussera sans qu’elle puisse s’en défendre à avouer son amour à Phalante. Phèdre non plus ne peut pas s’empêcher d’avouer sa passion à Hippolyte bien qu’elle sache ce qui l’attend. Ce Phénomène est expliqué ainsi par Jaulnay :
L’amour […] est trop actif pour compatir avec le Jugement et plus les occasions sont pressantes, moins il est capable de faire des réflexions raisonnables.
C’est pourquoi elle ne semble réaliser qu’a posteriori les suites que peut engendrer cet aveu. Selon elle, l’amour a été « Imperieux par son authorité » (v. 277). Philoxène aussi perd le jugement au contact de la reine : « ce Tyran des Dieux, d’un insolent pouvoir ; / Dans mon aveuglement estouffe mon devoir » (v. 17, 18). Autre topos de la littérature galante, l’amour véritable ne peut pas se cacher et les héros, malgré eux, font voir leurs sentiments. L’amour se traduit alors physiquement. Hélène est régulièrement trahie par des attitudes incontrôlables (v. 235, 236) : « Ainsi, j’en ay trop dit, et vous pouvez connoistre, Ce que ma passion malgré moy fait paroistre. » Phalante, ainsi, a pu observer l’effet de sa présence sur la reine (v. 1435) : « Malgré toy tes beaux yeux ont versé quelques larmes. » Même Phalante qui est pourtant le personnage le plus secret de cette pièce est trahît les traits de sa physionomie (v. 635-638) :
Que vostre Majesté ne trouve point estrange,Si par un tel discours mon visage se change,Et si je fais paroistre en cette occasion,Et mon estonnement et ma confusion.
La difficulté, voire l’incapacité à dire l’amour qui sera développée dans la littérature galante, s’observe déjà dans cette tragédie. Trop puissant, ce sentiment échappe à la parole. Hélène traduit cette difficulté à avouer sa passion à l’acte I, scène 3. Elle demande à Phalante de comprendre qu’elle l’aime sans avoir besoin de rien prononcer (v. 257-259) :
[…] ne me forcez point contre ce que je doy,A vous faire un adveu trop indigne de moy :Lisez-le dans mes yeux
La passion semble modifier les personnages pour les soumettre à des maux douloureux. Philoxène est celui que la passion transforme le plus, nous l’avons relevé plus haut. C’est la jalousie qui domine ce personnage et la métamorphose. Jaulnay affirme que « si la colère ou la jalousie sont causées par l’Amour, elles sont plus fortes que l’Amour mesme ». La reine ressent aussi et à plusieurs reprises une profonde colère envers la froideur de Phalante et envers Philoxène qui fait obstacle à son bonheur. Cependant, si la reine et Phalante sont changés par la passion, ils ne connaissent pas la transformation que subit Philoxène. La souffrance les atteint peu à peu pour les assombrir et les mener au désespoir. Reprenons un vers de Suréna pour exprimer le lien indéfectible qui unit la souffrance à la passion : « Toujours aimer, toujours souffrir, toujours mourir. » L’amour ou plutôt la passion mènerait donc en droite ligne à la souffrance puis à la mort. En effet, la passion, dans Phalante est perçue comme une prémisse à la mort :
Ceux qui peuvent sentir les atteintes mortellesDont vos yeux ont blessé les ames les plus belles, […]Dans la mort seulement treuvent leur guerison
Aussi, les termes « douleur », « peine », « criminel » sont-ils souvent attachés à la passion. Le mot même d’amour semble funeste (v. 243) : « En fin Phalante, j’ayme, ô Dieu ! ce mot me tuë. » La passion est source de souffrance mais aussi de retrait progressif de la société avant le retrait définitif trouvé dans la mort. La chambre de la reine, un des trois lieux de cette pièce, sera un lieu d’élection dans la littérature galante. Le bois aussi constitue un lieu de retraite privilégié dans cette pièce et très employé plus tard dans la littérature galante. La princesse de Clèves, héroïne galante par excellence, se retirera régulièrement à la campagne avant son retrait définitif de la cour. De la même manière, Hélène se retire dans le bois pour mieux songer à Phalante. Elle s’affranchit alors de ses obligations sociales. Le bois permet d’être plus libre qu’au sein d’un palais où tout pourrait lui rappeler son devoir. Phalante, lui aussi recherche la solitude dans ce bois, le seul endroit où, loin de la société, il peut se laisser aller à l’épanchement de ses émotions et à l’aveu de sa passion. Ce lieu de retrait constitue un passage qui mène au retrait définitif qu’est la mort. C’est d’ailleurs là que le dénouement trouvera sa place. L’omniprésence de l’amour mène à une ironie tragique : la solitude s’empare progressivement des héros. Chaque personnage est lié par l’amour ou par l’amitié et pourtant la passion entraine de telles souffrances qu’elle finit par créer des personnages solitaires. Ainsi Hélène se retire dans les bois pour réfléchir, Phalante ne pouvant se confier à quiconque, ne parle de son amour qu’à des arbres, bois et fleurs comme il les nomme à la scène 3 de l’acte II et dans son dernier monologue, il semble dans une retraite proche de la mort, « tout retiré de la cour et du bruict ».
Si certains topoï du roman galant son préfigurés ici, l’écriture de La Calprenède est aussi révélatrice d’une esthétique galante en pleine émergence. Les dialogues entre Hélène et Phalante faits de stichomythies sont empreints de lyrismes et le lexique de la passion est choisi et très fourni, un des traits caractéristique de la galanterie. L’amour est un « Tyran des dieux » (v. 17) et un « Impérieux » dans la bouche d’Hélène. Pour dire l’ampleur de l’amour, impossible à représenter par des mots, de nombreuses métaphores sont utilisées par l’auteur. Ainsi, il devient « un plus grand feu que celui d’Ilion » (v. 322) pour Hélène ou un « funeste flambeau » (v. 1413) pour Phalante.
La question du genre §
Nous nous attacherons ici à l’étude du genre tragique et particulièrement à l’observation des limites de ce genre au sein de la pièce. Si certaines caractéristiques de la pièce comme la mort des héros sont celles attestées de la tragédie, certaines autres témoignent d’une tendance de l’auteur à l’ouverture vers d’autres genres.
Rhétorique délibérative et genre tragique §
Les tragédies de l’auteur que sont Jeanne, reyne d’Angleterre, Le comte d’Essex, La Mort des enfans d’Hérodes et Herménégilde contiennent de vastes procès et relèvent toutes du genre judiciaire. Phalante comme La Mort de Mithridate sont les seules tragédies à faire entorse à cette règle. Alors que la tragédie est incontestablement attachée au genre judiciaire, Phalante, étonnamment, repose sur le genre délibératif. Dans cette tragédie, le nœud se fonde sur un dilemme qui ne peut être résolu que par la délibération de Phalante. Soit, le héros bafoue son amitié pour aller vers la personne qu’il aime, soit il renonce à sa passion pour honorer son amitié. Aussi le nœud repose-t-il entièrement sur le genre délibératif et en cela ce genre domine. Cette délibération a une particularité en ce qu’elle ne nécessite pas la rencontre de plusieurs partis ni la prise de conseils. Phalante délibère seul, face à sa propre conscience. Il est lui-même le principal obstacle à son propre désir. Les délibérations de ce personnage ont pour effet de ménager un certain suspense. Tout repose sur la décision de Phalante et jusqu’au milieu de l’acte III, le spectateur ne peut pas savoir ce qui va faire basculer la pièce vers le dénouement tragique ni de quelle manière le dilemme peut se transformer puisqu’aucun autre parti n’intervient dans les délibérations du héros. Les deux imposants monologues de Phalante ressortissent tous les deux principalement au genre délibératif. Le héros change plusieurs fois de décision au cours du même monologue ce qui rend ces passages très intéressants qui constituent de véritables dialogues entre deux désirs contradictoires du même personnage.
Nous évoquerons brièvement le genre démonstratif, presque absent de la pièce. La seule action qui aurait nécessité l’emploi de ce genre aurait été le récit du duel par un personnage témoin. Le duel étant presque intégralement représenté sur scène, il ne nécessite pas de récit, tout au plus quatre vers de Phalante retracent brièvement ce qui s’est passé hors scène. Aucun discours n’est donc dominé par le genre démonstratif. Cependant, il est évident que de nombreuses fois, des ressorts de ce genre sont employés et particulièrement pour décrire Hélène. Philoxène est très élogieux au sujet de la reine dès la première scène du premier acte. Tout comme le fera Phalante à différents endroits, il loue les qualités de cette reine. Ainsi, nous percevons l’influence de Pétrarque et de l’éloge amoureux mais seulement par touches.
Quant au genre judiciaire, il n’a pas la place que l’on attendrait qu’il tienne au sein d’une tragédie mais il est présent tout au long de la pièce. C’est Hélène qui illustre le mieux ce genre. Elle condamne le comportement de Philoxène durant toute la pièce et particulièrement à l’acte IV. Consécutivement, elle commence à effectuer son propre procès dès la dernière scène de l’acte I, après son aveu. Certains personnages secondaires ont également un rôle judiciaire. À la scène 3 de l’acte V, Arate et Cléomède condamnent la reine de s’être empoisonnée. Elle est selon eux coupable d’abandonner ses sujets et de les pousser à la suivre dans la mort. Mais c’est à la fin de la pièce que le genre judiciaire tient une place prépondérante car il prend le relai du délibératif pour clore la tragédie. Philoxène, Hélène et Phalante, chacun à leur tour, émettent différents procès qui provoquent le dénouement et les catastrophes qui s’ensuivent. Philoxène se fait juge de Phalante, coupable de trahison selon lui. En le provoquant en duel il se fait lui-même l’exécutant de sa propre condamnation. Ensuite c’est au tour de Phalante qui, en raison de la blessure qu’il a infligée à Philoxène, exerce sur lui-même un jugement d’une extrême sévérité. D’abord il se juge coupable du crime de son ami puis de la mort de la reine à la dernière scène. C’est donc la culpabilité qui pousse Phalante à se suicider et ses derniers mots sont (v. 1702- 1704) :
C’est que pour m’acquiter je ne perds qu’une vie,Et qu’ayant fait mourir ma Reyne et mon amy,Je ne puis en mourant les payer qu’à demy.
Ainsi, même en se suicidant, il juge que la punition n’est pas suffisamment sévère et qu’une seule mort ne pèse pas assez lourd au regard des deux morts dont il se juge responsable. Quant à Hélène, elle énonce clairement que ce n’est pas par passion ou désespoir qu’elle se tue mais bien parce qu’elle se juge indigne de ses aïeux et de son trône (rappelons tout de même que c’est la froideur de Phalante qui mène la reine à faire réflexion sur son honneur et sa gloire). Son empoisonnement s’apparente donc aussi à une condamnation. Comme Phalante, elle est à la fois juge et coupable. Comme Phalante et Philoxène, elle est l’exécutante de sa propre condamnation. Si le genre délibératif est central dans la pièce en ce qu’il sert à énoncer le nœud tragique, le dénouement se produit grâce à l’intervention du genre judiciaire. Le genre judiciaire, en servant le dénouement, apothéose de la tragédie, vient subvertir le genre délibératif.
Prélude au roman héroïque §
La pièce peut être étudiée comme la préfiguration de la carrière de romancier de La Calprenède. Pour la première fois, l’auteur choisit un sujet fictif comme point de départ de sa pièce, ce qui témoigne de son désir de changement. La Calprenède « s’est distingué entre les auteurs du xviie siècle qui ont composé des romans » affirme le dictionnaire de Louis Moréri dès le début de son article sur La Calprenède. Il est reconnu jusqu’aujourd’hui comme un pionnier et modèle du roman héroïque45. Si son Phalante a des allures romanesques, il ne faut donc pas s’en étonner. Cet élan vers le roman héroïque se trouve principalement dans l’ébauche de duel entre Phalante et Philoxène à l’acte IV, scène 4. Le duel en tant que tel est banni de la scène classique mais la joute oratoire entre les deux héros, presque déjà épique, souligne l’attrait de l’auteur pour les scènes de combats. Philoxène apparaît une épée à la main et tente d’engager Phalante dans un affrontement. L’époque et, à plus forte raison, le genre tragique n’acceptent pas de montrer l’action physique, encore moins celle des héros. Si Phalante, en héros tragique et exemplaire, refuse de tirer son épée, Philoxène, furieux, tire son épée sur scène et veut passer à l’acte. Le dialogue conserve la primauté mais le genre est près de basculer dans la tragi-comédie pour servir le goût épique de notre auteur. Les deux héros sortent alors de scène pour terminer cette action. À la scène 6, nous les retrouvons et Philoxène est blessé. Seul le moment où Phalante a tenu l’épée et s’est défendu a été épargné au spectateur, ainsi, la tragédie n’a pas basculé et ce laps de temps nous est brièvement rapporté par Phalante. Quand Timandre découvre son fils à terre, Phalante est cette fois provoqué en duel par le père. Si ces duels ne se passent pas effectivement sur scène mais hors de scène ou que les héros se contentent de se provoquer oralement, ces passages dénotent du goût prononcé de l’auteur pour le genre épique. Ses romans héroïques lui permettront d’assouvir pleinement ce penchant qui lui vient sans doute de son goût pour le métier des armes et la littérature chevaleresque.
Entre tragédie et tragi-comédie §
La pièce de Phalante s’éloigne souvent du genre tragique pour rejoindre le genre tragi-comique. Jacques Morel commence sa description de la tragi-comédie ainsi : « sujet non historique46 .» Il faut tout de même nuancer cette définition car il arrive que la tragi-comédie s’inspire de sujets historiques mais ayant « un caractère romanesque plus marqué47 ». L’auteur ici, non seulement emploie un sujet non historique mais qui, de plus, est empreint d’un caractère romanesque marqué. Encore, s’il était courant que l’auteur emploie des sujets fictifs, alors ce ne serait pas un argument pour nous mais La Calprenède a principalement écrit sur la base de sujets historiques. Il s’est intéressé entre autres au personnage d’Hérodes et au suicide du roi Mithridate ; il évoque différentes périodes de l’histoire d’Angleterre avec Le comte d’Essex, Édouard ou Jeanne, reine d’Angleterre. Le seul appui historique de Phalante est sa situation : la fameuse ville de Corinthe. Le dramaturge se singularise non seulement à l’intérieur de son œuvre mais il se démarque aussi des goûts de ses contemporains, puisque les tragédies de l’époque sont en effet principalement influencées par des sujets dits « historiques ». Au début des années 1640, il n’y a que deux tragédies sur vingt-deux qui reposent sur un sujet fictif, d’après Lancaster. Ce dernier remet également en cause l’unité de lieu dans la pièce en soulignant que L’injustice Punie, Thomas Morus et probablement Phalante s’étendent sur deux jours. Cette mise en doute doit être réfutée pour plusieurs raisons que nous verrons plus loin mais d’abord et surtout car il n’y a aucun vers témoignant du temps qui passe dans la pièce. Évidemment, le propos de Lancaster n’est pas tout à fait infondé. En effet, l’étude de l’unité de lieux révèle que l’action se déplace beaucoup, à tel point, que les personnages ne peuvent pas parcourir tous ces lieux dans le temps que dure la représentation :
La scène ne devra représenter que des lieux où les personnages peuvent vraisemblablement se rendre pendant le temps que dure l’action48.
Les lieux représentés dans la pièce sont : le bois, la chambre de la reine et une salle dans le palais. Les premières scènes se passent dans la chambre. Au deuxième acte, Phalante et parallèlement la reine se retirent dans un bois avant de s’y rencontrer par hasard. Le palais accueille à nouveau Hélène qui va assister au conseil. à nouveau, la chambre de la reine puis le palais réunissent les différents couples. Le duel entre Phalante et Philoxène se passe dans le bois et d’autres personnages vont les rejoindre. Enfin, la chambre de la reine accueille la scène finale. Les allers et retours entre ces différents lieux sont fréquents et même ils s’effectuent à l’intérieur d’un même acte. L’action demeure malgré cela unifiée et surtout, si l’unité de lieux n’est pas parfaitement respectée, comme c’est d’ailleurs rarement le cas dans la première moitié du siècle, les lieux son contigus. Ainsi, les personnages peuvent s’y rendre « dans le temps que dure l’action », en moins de vingt quatre heures sans problème car le bois est très proche du palais. Notons ici que la tragi-comédie accepte plus aisément que la tragédie la multiplicité de lieux. Les trois lieux de l’action nécessitent de nombreux déplacements pour nos personnages et les mouvements fréquents sont plutôt caractéristiques de la tragi-comédie que de la tragédie.
De plus et surtout, la fin de la pièce est problématique. N’aurait-elle pas pu avoir une issue heureuse ? L’auteur se serait-il laissé le choix jusqu’au cinquième acte entre issue tragique et issue tragi-comique ? En effet, plusieurs éléments prouvent que la dernière scène aurait pu être bien différente. D’abord, Philoxène, blessé et à terre, reconnaît l’innocence de son ami et l’encourage à s’unir à la reine. Ainsi, le principal obstacle à l’union de la reine avec Phalante est évincé. Ce serait, comme nous l’avons étudié précédemment, faire fi de la culpabilité ressentie par Phalante pour avoir tué son ami. Mais, à y regarder de plus près, rien ne prouve que Philoxène meure des suites de sa blessure. Au contraire, le personnage de Cléomède semble envisager qu’il survive (v. 1365, 1366) :
Il n’est plus temps de plaindre, il le faut secourir,Emportons-le chez vous, il peut encor guerir.
Après cette sortie, rien n’indique clairement que Philoxène succombe à sa blessure. Seul Phalante se l’imagine dans la scène suivante. Quant à Hélène qui s’empoisonne à l’acte V, un échange entre elle et Cléomède laisse ouverte la possibilité qu’elle ingère un antidote (v. 1514-1516) :
On peut encore au mal donner quelque remede,Peut estre ce poison n’est pas si violentQu’on n’y puisse apporterHELENE.Helas ! il est trop lent
Et si Philoxène, lors de l’ultime entrevue entre Phalante et Hélène, réapparaissait guéri ? Ainsi, Phalante ne serait plus obligé de se suicider pour venger son ami puisqu’il aurait survécu. Ainsi, Phalante et Hélène pourraient s’unir avec la bénédiction du principal obstacle à leur amour. Hélène pourrait à ce moment ingérer un antidote sans remettre en cause la vraisemblance de cette action, puisque la probable existence de celui-ci a été mentionnée plus haut. Alors, tous les personnages pourraient revenir sur scène pour bénir cette l’union sans que l’exemplarité de Phalante ne soit mise en doute ni que le rôle politique de la reine ne soit entaché. D’ailleurs, Timandre et Philoxène sont les deux seuls grands absents de la dernière scène puisque tous les autres personnages sont présents, sauf l’inutile huissier, comme pour attendre l’issue tragi-comique. Et tous alors pourraient se réjouir de cette union. Philoxène a déjà donné son accord, Timandre aime Phalante comme son fils donc il pourrait très bien ressentir de la satisfaction à cette union, quant aux autres personnages, ils seraient ravis que Phalante soit le nouveau roi de Corinthe. Très tôt dans la pièce, l’auteur laisse entendre que le prince étranger est particulièrement apprécié par les Corinthiens. Timandre, ancien régent, en témoigne lui-même (v. 351, 352 et 358) :
Icy tout vous adore et jamais autre prince,Ne fut plus reveré dans sa propre province […]Les Princes du pays n’ont plus recours qu’à vous
La Calprenède semble s’être laissé une grande liberté pour clore sa pièce et avoir préparé en amont les deux issues. Reste à savoir pourquoi il a préféré l’issue tragique. C’est certainement le contexte de l’époque et son expérience personnelle qui peuvent l’expliquer.
Le choix raisonnable de la tragédie §
La tragédie est mise à l’honneur à partir des années 1640 comme le genre le mieux représentatif des règles classiques, aux dépends de la tragi-comédie. D’Aubignac jugera dans sa Pratique du théâtre que la tragédie est le genre qui a le mieux survécu parmi les genres anciens avant d’ajouter que l’introduction du genre tragi-comique est une disposition fâcheuse prise par ses contemporains49. En 1637, la querelle à propos de la tragi-comédie du Cid a opposé Pierre Corneille à de redoutables adversaires comme Georges de Scudéry. Les sentiments de l’Académie sur Le Cid, bien qu’adoucis par Chapelain, émettent un avis défavorable sur Le Cid et par conséquent sur le genre tragi-comique. Il est donc moins risqué à l’époque de représenter une tragédie, redevenue le genre le plus prestigieux. Au delà du contexte historique, l’histoire personnelle de l’auteur peut expliquer ce choix de l’issue tragique. Deux ans plus tôt, La Calprenède avait vécu un cuisant échec avec sa tragi-comédie, Édouard. Sa dédicace au duc d’Angoulême souligne le désir de l’auteur d’éloigner de lui cet échec : « Je vous offre mon Edoüard […] un ouvrage si mauvais, et le dernier de cette nature que je pretends mettre au jour. » La Calprenède a donc toutes les raisons de ne plus écrire de tragi-comédies.
Il semble donc peu probable que, dans ce contexte, l’auteur ait pu se laisser le choix entre les deux genres en écrivant son Phalante. Cependant, certaines raisons nous font penser qu’il pouvait encore avoir de l’attrait pour la tragi-comédie parce que malgré le contexte historique et littéraire beaucoup de dramaturges continuaient d’en écrire et parce qu’il pouvait encore penser que le succès arriverait par là. Comme le signale Antoine Adam, il reste quelques années de gloire à la tragi-comédie avant la Fronde :
Bien que tenue en moindre estime que le genre rival, elle restait suffisamment goûtée pour que les écrivains comme Rotrou, Scudéry, Du Ryer, Baro, d’Ouville ne se soient pas crus déshonorés de la cultiver50.
Si Le Cid, tragi-comédie, été très décriée, a d’abord obtenu un véritable succès. Son influence était risquée mais elle était peut-être aussi l’assurance du succès. L’auteur ayant repris, comme nous l’avons étudié plus haut, certains éléments stylistiques et dramatiques du Cid, peut-être, sur de cet exemple, sera-t-il allé jusqu’à hésiter à faire de Phalante une tragi-comédie sans pour autant l’oser, finalement.
Note sur la présente édition §
Nous ne connaissons qu’une seule édition de Phalante de La Calprenède, celle-ci a été réalisée par le libraire Antoine de Sommaville qui a fait imprimer l’œuvre en 1641 par Théophraste Renaudot. Notre exemplaire de référence se trouve à la Bibliothèque nationale de France (BNF) sous la cote Yf-520 mais n’est malheureusement pas consultable en version papier du fait de sa trop grande fragilité. Il est néanmoins possible de visualiser cet exemplaire reproduit en microfiche à la BNF sous la cote M-23396 et en version numérique sur Gallica51. Le texte, en alexandrins à rimes plates, a été édité en in-4°, comporte douze cahiers de huit pages chacun, soit en tout quatre-vingt-douze pages foliotées auxquelles s’ajoutent trois pages non foliotées avant le texte de la pièce. Nous reproduisons en tête de notre édition la page de titre mais nous n’avons pas repris les bandeaux qui se trouvent en tête de chaque acte ni les frises qui séparent chaque scène ni encore les lettrines formées avec la première lettre du premier vers débutant chaque acte. Les bandeaux représentent un bouc entouré de deux loups enlacés dans des branchages, les frises représentent des motifs géométriques et les lettrines sont formées de personnages qui, reposant sur la lettre, sont entourés de feuillages.
Le droit d’imprimer le texte a été cédé pour cinq ans au libraire par « privilege du roy » en date du 3 mai 1641 et les impressions ont été réalisées le 12 novembre de la même année selon l’« achevé d’imprimé ». Il semble que l’auteur ait reçu entre 150 et 250 livres tournois pour cette pièce du libraire Antoine de Sommaville52. Ce dernier a exercé de 1620 à 1665 au Palais, galerie des Merciers, à l’Ecu de France. Avec Augustin Courbé et Toussaint Quinet, il est alors le troisième plus important libraire du théâtre français. Il est spécialisé dans l’édition des Belles Lettres, pièces de théâtre, poésie, romans, traductions de poètes latins et italiens. Ce libraire est connu pour avoir pris des initiatives commerciales illicites contre les auteurs, notamment Rotrou ou contre ses collègues comme Sercy ou Courbé53. Il semble n’avoir pas été plus honnête avec La Calprenède, quand il profite d’une rumeur sur la mort de l’auteur pour obtenir un privilège de neuf ans pour la tragédie Jeannne, reine d’Angleterre. Cependant, La Calprenède a continué à travailler ave ce libraire jusqu’à son dernier roman, Faramond dont Sommaville édite les huit premier tomes. L’imprimeur de Phalante est Théophraste Renaudot qui exerçait rue de la Calandre entre les années 1638 et 164454. Il est connu pour son travail fort médiocre, ce qui explique les nombreuses coquilles et les changements de graphie constants qui seront évoqués plus loin dans la note.
Avis au lecteur §
Le lecteur peut être gêné par certaines formes grammaticales, la graphie et la ponctuation du texte. Ces trois aspects ont beaucoup évolué depuis le xviie siècle.
Concernant les formes grammaticales, pouvoir et devoir à l’imparfait dans le texte ont une valeur modale de conditionnel passé. Ils expriment la non réalisation du procès. Ex. : « Et je devois mourir, et me taire en mourant », v. 14. Il faut comprendre : « j’aurais dû mourir.»
Le lecteur peut être surpris par les changements de graphie pour un même mot. Par exemple, « malheur » pourra être orthographié « mal’heur » ou encore « mal-heur », sans oublier la graphie que nous connaissons aujourd’hui ; « lâche » pourra aussi bien être orthographié « lasche ». La richesse de la graphie en ce début de xviie siècle est due aux changements orthographiques en train de se produire. Le français que nous connaissons est à cette époque encore instable. De plus, les cahiers sont souvent répartis entre plusieurs acteurs pour que le travail soit réalisé plus rapidement, ce qui crée des différences. Autre cas de figure qui peut se combiner avec le précédent, ayant utilisé tous les « s » en caractère de plomb pour imprimer les vers précédents, l’imprimeur se trouve forcé d’écrire « yeux » au lieu de « yeus » comme il en avait l’habitude. Certaines graphies peuvent ainsi gêner la compréhension du sens. Par exemple, la terminaison verbale de la deuxième personne du pluriel de l’indicatif est souvent utilisée pour marquer le participe passé et inversement. Ainsi, « -és » marque la deuxième personne du pluriel de l’indicatif et « -ez » le participe passé. Les vers 29, 33 et 34 pour exemple :
Philoxene je sçay ce que vous meritez […]Et je vous rediray puisque vous m’y forcés,Que vous devés guerir si vous vous cognoissés.
Quant aux majuscules, leur usage peut surprendre. Par exemple, « Reyne », « Dieux », « Tyran », « Sort » prennent régulièrement une majuscule alors qu’ils ne sont pas en début de vers et qu’aucune règle typographique de ce genre n’a été fixée sur leur emploi. Ces majuscules marquent en général la déférence ou le soulignement55. Notons que certains mots prennent ou non une majuscule selon le personnage qui les prononce, le moment de la pièce et l’interlocuteur. Par exemple, dans la bouche de Timandre au vers 349, « sort » ne prend pas de majuscule ; en revanche, quand Phalante parle à Hélène de son « Sort » au v. 640, la majuscule vient souligner l’importance de ce mot à ce moment de la pièce. En effet, « Sort » renvoie ici au dilemme qui déchire Phalante, son avenir va se modifier en fonction du choix qu’il fera.
Il en va de même pour la ponctuation. Elle a été scrupuleusement respectée bien que quelques emplois puissent retenir l’attention du lecteur. Au xviie siècle, la ponctuation respectait scrupuleusement les besoins de la mise en valeur de l’effet théâtral, parfois, semble-t-il au détriment de la syntaxe ou de la compréhension intuitive d’une phrase. La ponctuation était destinée à marquer les pauses, les accents, la hauteur de la voix dans la déclamation et la lecture à haute voix56. Il faut penser, en lisant la pièce, que la lecture silencieuse était inconnue pour les textes en vers.
Quelques exemples d’écarts de ponctuation entre de xviie siècle et aujourd’hui qui peuvent gêner la lecture, voire la compréhension du texte pour le lecteur :
v. 972 : « Et donnez par pitié. », les points de suspension plutôt que le point seraient un meilleur témoin du fait que le personnage est ici coupé. Notons que les points de suspension étaient presque inexistants à cette époque.
Bien que « quel » ait aussi une valeur interrogative, au v. 1558 il a cette fois une valeur exclamative mais est suivi d’un point d’interrogation : « Quel estrange spectacle ? » Il est pourtant clair dans le contexte que Phalante ne pose aucune question mais qu’il s’étonne de ce qu’il voit. Cependant, l’auteur, voulant certainement outrer le sentiment d’incompréhension que ressent Phalante à la vue de la reine mourante, a choisit un point d’interrogation au détriment de la logique syntaxique.
Corrections effectuées sur le texte original §
L’œuvre originale été respectée dans l’établissement du texte sous quelques réserves que nous étudierons ici.
Corrections sur toute l’œuvre §
– tous les « & » ont été remplacés par « et ».
– tous les « u » ont été remplacés par des « v » lorsque le sens le nécessitait.
– tous les « i » ont été remplacés par des « j » lorsque le sens le nécessitait. 57
– tous les tildes ont été supprimés pour laisser place à la nasale qu’ils substituaient.
– tous les « S » ont été remplacés par « s ».
– toutes les espaces superflues ont été réduites, avant une virgule par exemple ; d’autres espaces ont été ajoutées, avant un point d’exclamation par exemple.
– aucune lettrine n’a été conservée ni aucune double majuscule en début de scène ou d’acte.
Liste des erreurs et coquilles §
Dans l’Extraict du privilege du Roy : « Imprimer où faire imprimer » [où>ou]
Dans l’œuvre :
v. 64, « sa naissance ? » [ ?> !]
v. 81, « Qu’il entre, le cruel » [,> ;]
v. 104, « pris en butte. » [.>,]
v. 108, « fortune errante. » [.>,]
v. 110, « que je ne fus jamais, » [,>.]
v. 134, « Peut toucher de son mal celle qui la causé » [la>l’a]
v. 210, « je meure de pitié. » [.> ?]
v. 306, « il dedaigne le prix, » [,> ?]
v. 353, « Vostre vertu d’abord à produit mille effets » [à>a]
v. 386, « Mais c’est vostre malheur qui causeras mes soings » [causeras>causera]
v. 485, « […] la clarté de cieux, » [de>des]
[,>.]
v. 502, « Si l’on ne m’aymois pas […] » [aymois>aymoit]
v. 535, « blessee » > blessée, pour le respect de la rime avec « pensée », v. 536
v. 540, « trahïr » > trahir
v. 587, « deffends toi » > « deffend toi ». Les verbes de la réplique sont à l’impératif et le sujet est commun à tous les verbes. Le « s » n’a donc pas lieu d’être ici puisqu’au xviie siècle, la première personne de l’impératif ne prenait jamais de « s » quel que soit le groupe verbal.
v. 595, « […] pensees » > pensées ; v. 596 « […] adressees » > adressées. Les accents en fin de mot sont conservés partout ailleurs dans l’impression originale.
v. 613, « J’ay fait une basse indigne de mon rang » [basse>bassesse]
v. 657, « […] hnoneur » > honneur
v. 708, « […] eux mesmes » > eux-mesmes
v. 751, « […] ostiner[…] » > obstiner
v. 754, « avez pris. » [.> ?]
v. 758, « plus doux, » [,> ?]
v. 766, « je devois avoir » > « je devois avoir. »
v. 774, « mon cœur. » [.>,]
v. 884, « […] tu m’as haie » [haie>haïe]
v. 898, « […] haït » > hait
v. 926, « Songes à ce que tu fais, r’appelles ta vertu » [songes>songe] ; [r’appelles>r’appelle]. Toute la phrase est à l’impératif. Le contexte suggérant en effet un impératif, nous l’avons rétabli dans toute la phrase (sans « s » à la deuxième personne du singulier au xviie siècle).
v. 996, « […] advantaguex […] » > advantageux
v. 1044, « […] à cogneu […] » [à>a]
v. 1095, « Q’au […] »>Qu’au
v. 1157, « Laissez-moy seul, Arbante ? » [ ?> !]
v. 1458, « ce lasche dessein. » [.> ?]
p. 71 de l’imprimé d’origine « PHILOXEN » > PHILOXENE
v. 1510, « Qui parmy les mortels nous ayt porté la couronne ». « Nous » est supprimé pour le respect de l’alexandrin. Il est peu probable que ce soit La Calprenède qui ait fait cette erreur.
v. 1575, « Par quel traits de constance ou d’inhumanité » [traits>trait]. On choisit ici de rectifier cette erreur d’accord par un singulier et non un pluriel comme cela aurait pu être possible. Seulement, Hélène semble ici confuse et le singulier permet de souligner cette hésitation entre un seul des deux termes qui ont ici une valeur quasi oxymorique.
v. 1613, « […] suprem es » > supremes
v. 1715, « Va rejoindrr […] » > rejoindre
– une erreur est survenue dans la pagination de l’œuvre d’origine : les pages foliotées 100, 101 et 102 devraient porter les numéros 90, 91, 92. Dans la numérisation de l’impression d’origine, une page a été ajoutée par la BNF signifiant la « pagination incorrecte ».
– les trois derniers cahiers sont appelés [K], [L] et [M] mais devraient s’appeler [J], [K] et [L]. Cette erreur n’a pas été modifiée pour que l’on puisse plus facilement se repérer par rapport à l’impression originale.
Relevé des différences et similitudes entre les exemplaires §
L’étude a été effectuée sur la base d’un exemplaire numérisé visualisable sur Gallica et en microfiche. Il a été poinçonné par la Bibliothèque royale qui le possédait. Il existe quatre autres exemplaires de Phalante, tous consultables dans les bibliothèques rattachées à la BNF. Chaque exemplaire dont nous avons connaissance est imprimé en in-4° et ils ont été apparemment tous imprimés à la même date car on retrouve sur chacun d’eux : « achevé d’imprimé le 12. Novembre, 1641. » Deux d’entre eux se trouvent dans des recueils factices créés plusieurs années après l’impression de Phalante par Sommaville. Ces recueils n’ont pas été établis pas l’auteur lui-même et peuvent même dater d’après sa mort. Ils sont un signe de l’intérêt porté aux pièces de La Calprenède. Étudier les différences et similitudes entre les exemplaires nous permet à la fois de répertorier toutes les impressions consultables de l’œuvre mais aussi de voir quel était le niveau d’intervention des personnes présentes lors de l’impression et si l’auteur pouvait intervenir lui-même.
Recueil factice de trois tragédies de La Calprenède consultable à la bibliothèque de L’Arsenal sous la cote 4- BL- 3479 (1) :
Phalante, 1641 ; Jeanne Reyne D’Angleterre 1637 ; Hermenigilde, 1643.
Poinçonné par la bibliothèque de l’Arsenal.
Les erreurs typographiques sont en général similaires à celles de l’exemplaire numérisé.
Cahier D, v. 613 : « basse » a été corrigé par « Bassesse »
v. 657 : « hnoneur » a été corrigé par « honneur »
Pagination : les pages 90 et 91 sont aussi paginées 100 et 101 mais bizarrement, la page 92 est correctement paginée.
Cahiers : les erreurs de numérotation des derniers cahiers sont similaires.
Recueil factice de 5 tragédies et 3 tragi-comédies consultable à la bibliothèque de L’Arsenal sous la cote 4- BL- 3476 (4) :
La mort de Mithridate, tragédie de 1636 ; Le Clarionte ou le Sacrifice sanglant, tragi-comédie de 1637 ; La Bradamante, tragi-comédie de 1637 ; Phalante, tragédie de 1641 ; Le Comte Dessex, tragédie de 1639 ; Edouard, tragi-comédie de 1640 ; La mort des enfants d’Herodes ou la suite de Mariane, tragédie de 1639 et Hermenigilde, tragédie de 1643.
Poinçonné par la bibliothèque de l’Arsenal.
Les erreurs sont identiques au recueil factice mentionné ci-avant.
Exemplaire de Phalante consultable à la bibliothèque de L’Arsenal sous la cote GD- 43796 :
Poinçonné par la bibliothèque de l’Arsenal.
p. 41-42, la page dépasse du livre et a été repliée.
Cahier D, v. 613 : « basse » corrigé par « Bassesse »
v. 657 : « hnoneur » corrigé par « honneur »
Cahier I p. 71 : « Philoxen » a été corrigé par « Philoxene »
Cahier L, v. 1613, « suprem es » a été corrigé par « supremes »
Les pages 90 et 91 sont aussi paginées 100 et 101 mais la page 92 est restée correctement paginée.
Les erreurs de numérotation des derniers cahiers sont similaires.
Exemplaire de Phalante consultable à la bibliothèque de Richelieu sous la cote RF- 6277 (6) :
Poinçonné par la bibliothèque Royale.
Les erreurs son similaires à l’impression qui nous sert de modèle, sauf :
Cahier D, v. 613 : « basse » corrigé par « Bassesse »
v. 657 : « hnoneur » corrigé par « honneur »
Cahier I p.71 : « Philoxen » a été corrigé par « Philoxene »
La collation des différents imprimés prouve que l’impression sur laquelle nous nous basons a été réalisée antérieurement aux quatre autres puisque c’est celle qui contient le plus d’erreurs. On peut ainsi déterminer qu’il y a eu correction sous presse et qu’elles ont toutes effectuées par les imprimeurs eux-mêmes au cours de l’impression. Au xviie siècle la lenteur de l’acte d’impression, page par page, explique ce phénomène. Les imprimeurs avaient le temps de relire les feuilles pendant l’impression et ainsi de corriger les coquilles qui leur apparaissaient. Il n’y a aucune correction de fond pour deux raisons très simples. D’abord, il n’y a qu’une seule édition connue donc l’auteur n’a pas repris son texte. Ensuite, il était rare que les auteurs soient présents lors de l’impression de leur œuvre. Il est évident ici que l’auteur n’était pas présent lors de l’impression et ne pouvait ni guider les imprimeurs ni relire son texte sous presse. S’il avait été là, nous aurions pu trouver des corrections de fond, peut-être moins de coquilles et des choix de graphie plus homogènes. Le plus souvent, lorsque l’auteur cédait son œuvre à un libraire, libre à ce dernier de décider comment il désirait l’imprimer et quel atelier s’en chargerait. L’auteur était alors dépossédé de tous ses droits sur l’œuvre durant une période définie par le privilège, cinq ans dans le cas de Phalante.
S’il n’y a pas d’argument avant le texte lui-même, il en existe un consultable séparément de l’œuvre. Il date de 1641 et on le trouve à la bibliothèque de l’Arsenal sous la cote GD-159816. L’argument a été collé à l’intérieur d’une feuille A4 bleue pliée en deux se présentant alors come un A5. Le titre, le nom de l’auteur et la date d’impression on été écrites à main levée à l’encre sur la première page : Phalente / La Calprenède (1641). La notice bibliographique stipule que l’argument a été réalisé en in-16 Une photocopie de l’impression d’origine est collée à l’intérieur de cette la page :
Hélène, reine de Corinthe, a conçu autant d’amour pour Phalente, prince étranger, qu’elle a d’aversion pour Philoxène, fils du prince Timandre. Tout l’intérêt de cette pièce roule sur la délicatesse de Phalente qui sacrifie son amour à l’amitié qui le lie avec Philoxène. En effet, au lieu de répondre aux tendres empressements de la princesse, il ne lui parle que pour son ami. Mais ses soins ne servent qu’à redoubler l’aversion de la reine, et excitent très-injustement la jalousie de Polixène, qui, sans vouloir écouter la justification de son ami, force son rival à mettre l’épée à la main. Polixène se précipite avec tant de fureur sur le fer de son ami qu’il se blesse mortellement. Il reconnaît enfin son erreur et expire pénétré de son aveuglement. D’un autre côté, les froideurs affectées de Phalente jettent la reine dans un tel désespoir, qu’elle s’empoisonne pour terminer une vie importune. Elle vient, en cet état, se présenter aux yeux de son cruel amant : la vue de la princesse expirante lui cause de cuisants remords ; il se reproche sa faiblesse, qui l’a engagé à entretenir l’infructueux amour de son ami, et empêché de profiter de celui d’une reine adorable ; et, cédant à l’excès de sa douleur, il se frappe, et tombe aux pieds de son amante qui le suit de près.
Il est étonnant d’observer que l’argument de Phalante est indépendant de l’ouvrage lui-même. Certainement l’auteur l’a-t-il réalisé avant d’écrire son œuvre ou pendant son écriture. La Calprenède ne semble pas sûr encore du nom qu’il donnera à ses personnages : « Phalante » est écrit « Phalente » et l’auteur hésite en permanence entre « Polixène » et « Philoxène ». Le document ne délivre aucun renseignement sur l’imprimeur ou le libraire, seule la date, 1641, peut laisser penser que c’est Sommaville qui aurait fait imprimer ce texte séparément de l’impression de la pièce. Peut-être que La Calprenède lui aurait soumis plus tard.
Phalante. Tragédie §
EXTRAICT DU PRIVILEGE DU ROY. §
Par grace et Privilege du Roy, en datte du 3. jour de May 1641. signé par le Roy, en son Conseil le Brun. Il est permis à ANTOINE DE SOMMAVILLE Marchand Libraire à Paris, d’Imprimer ou faire imprimer une piece de Theatre intitulée PHALANTE TRAGEDIE, et ce durant le temps de cinq ans. Et deffence sont faictes à tous autres de quelque qualité et condition qu’ils soient d’en vendre d’autres que celle qu’aura faict imprimer ledit de Sommaville, sur les peines portées pas lesdites lettres.
Achevé d’imprimer le 12. Novembre, 1641.
ACTEURS. §
- HELENE, Reyne de Corinthe.
- PHALANTE, Prince estranger.
- PHILOXENE, Prince de Corinthe.
- TIMANDRE, Pere de Philoxene.
- CLEOMEDE, Seigneur de Corinthe.
- ARATE, Seigneur de Corinthe.
- ARBANTE, Confident de Phalante.
- CLEONE,
- AMINTE, Demoiselles de la Reyne.
ACTE I. §
SCENE PREMIERE. §
PHILOXENE.
HELENE.
HELENE.
PHILOXENE.
HELENE.
SCENE II. §
CLEONE.
HUISSIER.
HELENE.
PHILOXENE.
SCENE III. §
HELENE.
PHALANTE.
HELENE.
PHALANTE.
HELENE.
PHALANTE.
HELENE.
PHALANTE.
[p. 11]HELENE.
PHALANTE.
HELENE.
PHALANTE.
HELENE.
SCENE IV. §
HELENE.
AMINTE.
HELENE.
ACTE II. §
SCENE PREMIERE. §
TIMANDRE.
PHILOXENE.
PHALANTE.
PHILOXENE.
TIMANDRE.
PHALANTE.
PHILOXENE.
SCENE II. §
ARBANTE.
PHALANTE.
SCENE III. §
PHALANTE seul.
SCENE IV §
HELENE.
CLEONE.
PHALANTE.
HELENE.
PHALANTE.
HELENE.
[p. 29]PHALANTE.
CLEONE.
PHALANTE.
SCENE V. §
HELENE.
CLEOMEDE.
PHALANTE.
Fin du second Acte.
ACTE III. §
SCENE PREMIERE. §
PHILOXENE.
CLEONE.
PHILOXENE.
CLEONE.
PHILOXENE.
CLEONE.
PHILOXENE.
CLEONE.
PHILOXENE.
SCENE II. §
PHALANTE.
HELENE.
PHALANTE.
HELENE.
[F, 41]PHALANTE.
HELENE.
PHALANTE.
HELENE.
PHALANTE.
HELENE.
PHALANTE.
PHALANTE.
HELENE.
PHALANTE.
HELENE.
PHALANTE.
HELENE.
PHALANTE.
HELENE.
PHALANTE.
HELENE.
PHALANTE.
HELENE.
HELENE.
PHALANTE.
HELENE.
PHALANTE.
HELENE.
PHALANTE.
PHALANTE.
HELENE.
PHALANTE.
SCENE III. §
HELENE.
SCENE IV. §
PHILOXENE.
AMINTE.
PHILOXENE.
HELENE.
PHILOXENE.
HELENE.
PHILOXENE.
HELENE.
PHILOXENE.
HELENE.
PHILOXENE.
HELENE.
[p. 53]Fin du Troisiesme Acte.
ACTE IV. §
SCENE PREMIERE. §
CLEOMEDE.
ARATE.
TIMANDRE.
HELENE.
TIMANDRE.
SCENE II. §
HELENE.
TIMANDRE.
HELENE.
TIMANDRE.
HELENE.
TIMANDRE.
HELENE.
SCENE III. §
PHILOXENE.
SCENE IV. §
PHALANTE.
PHILOXENE.
ARBANTE.
PHALANTE.
PHILOXENE.
PHALANTE.
PHILOXENE.
[p. 63]PHILOXENE.
PHALANTE.
PHILOXENE.
PHALANTE.
PHILOXENE.
[p. 64]PHALANTE
PHILOXENE.
PHALANTE.
PHILOXENE.
PHALANTE.
PHILOXENE.
PHALANTE.
SCENE V. §
TIMANDRE.
CLEOMEDE.
Courons-y promptement,ARBANTE.
CLEOMEDE.
ARBANTE.
TIMANDRE.
CLEOMEDE.
SCENE VI. §
PHILOXENE blessé à mort et tombant.
PHALANTE.
PHILOXENE.
PHALANTE.
PHILOXENE.
[p. 70]PHALANTE.
PHILOXENE.
SCENE VII. §
ARBANTE.
CLEOMEDE.
TIMANDRE.
PHALANTE.
PHILOXENE.
TIMANDRE.
PHILOXENE.
TIMANDRE.
PHILOXENE.
PHALANTE.
PHILOXENE.
PHALANTE.
TIMANDRE.
CLEOMEDE.
ACTE V. §
SCENE PREMIERE. §
PHALANTE seul.
SCENE II. §
ARBANTE.
PHALANTE.
AMINTE.
PHALANTE.
PHALANTE.
AMINTE.
LETTRE D’HELENE A PHALANTE.
PHALANTE lit.
PHALANTE continuë.
SCENE III. §
ARATE.
CLEOMEDE.
HELENE.
ARATE.
DERNIERE SCENE. §
CLEONE.
CLEOMEDE.
HELENE.
PHALANTE.
HELENE.
ARBANTE.
PHALANTE.
HELENE.
PHALANTE.
HELENE.
ARBANTE.
HELENE.
[p. 92]FIN.
Glossaire §
* Les définitions sont données à la faveur du contexte et ne correspondent qu’aux occurrences notées en fin de définition.
** Les définitions sont empruntées principalement au Furetière, 1690 (F.) et au dictionnaire de l’Académie, 1694 (A.).