ACHILLE ET POLIXÈNE
TRAGÉDIE EN MUSIQUE
representée par l’Academie royale de musique.

M. DC. LXXXVIII.

Imprimé à Paris, et on les vend À ANVERS, chez HENRY van DUNWALT, Livbraire ua Marcgé aux Oeufs, aux trois moines.

ACTEURS DU PROLOGUE. §

  • MERCURE.
  • MELPOMÈNE, Muse de la Tragédie.
  • TERPSICORE, Muse de la Musique.
  • THALIE, Muse de la Comédie.
  • Troupe de Génies qui suivent Melpomène.
  • Troupe de Génies qui suivent Terpsicore.
  • Troupe de Genies qui fuivent Thalie.
  • JUPITER.

ACTEURS DE LA TRAGEDIE. §

  • ACHILLE. Roi de Thessalie.
  • PATROCLE, Ami d’Achille.
  • DIOMÈDE, L’un des Chefs de l’Armée des Grecs.
  • VÉNUS.
  • Les GRÂCES, les AMOURS, et les PLAISIRS qui suivent Vénus.
  • ARCAS, confident d’Achille.
  • TROUPE DE CHEFS, et de SOLDATS GRECS.
  • AGAMEMNON, roi de Mycene, et d’Argo, Chef de tous les Grecs.
  • PRIAM, roi de Troie.
  • ANDROMAQUE, veuve d’Hector fils de Priam.
  • POLIXÈNE, fille de Priam.
  • BRISÉIS, princesse prisonnière d’Achille.
  • JUNON.
  • LA HAINE.
  • LA DISCORDE.
  • LA FUREUR.
  • L’ENVIE.
  • SUITE DE LA DISCORDE.
  • Troupe de TROYENS.
  • Troupe de TROYENNES.
  • Troupe de THESSALIENS.

PROLOGUE §

Le théâtre représente un lieu propre à donner des spectacles, et qui peut convenir à la Tragedìe et à la Comédie ; ce lieu n’a plus n’a plus la magnificence qu’il paraît avoir eu autrefois, il est même presque détruit et ruiné. On y voit Melpomène, Terpsicore et Thalies sans aucune suite. Mercure descend du Ciel.

Mercure, Melpomène, Terpsicore, Thalie, Mercure. §

MERCURE.

Savantes Soeurs, arbitres de la scène,
Quel accident funeste a fait cesser vos jeux ?
Je ne vois plus ici votre appareil pompeux,
Et je ne reconnais qu’a peine,
5 Thalie et Melpomène ;.
Et vous dont les charmants concerts,
En ces lieux autrefois, raisonneront dans les Airs ;
Quel trouble, ou quelle indifférence
Cause aujourd’hui votre silence ?

MELPOMÈNE.

10 Ignorez vous que le plus grand des rois
Étendant chaque jour ses conquêtes
Et signalant son bras, par de nouveaux exploits
A négligé nos plus superbes fêtes.

THALIE.

Depuis ce fatal moment,
15 Nos Spectacles privés de leur magnificence,
Ne sauraient plus avoir l’éclat et l’agrément
Qu’ils ne devaient qu’à sa présence,

TERPSICORE.

La tristesse règne en ces lieux,
Nous rougissons de ne pouvoir lui plaîre ;
20 Hélas ! Ne saurions-nous rien faire
Digne de paraître à ses yeux.

MELPOMÈNE, THALIE, TERPSICORE.

Hélas ! Ne saurions-nous rien faire
Digne de paraître à ses yeux ?

MERCURE.

Terminez vos regrets que votre douleur cesse.
25 Dans vôtre sort Jupiter s’intéresse,
Et veut ici revoir, dès ce même moment
Un spectacle charmant,
Ou’un changement favorable
Redonne à ces tristes lieux
30 Tout ce qu’ils ont est d’aimable?’
C’est l’ordre irrévocable
Du souverain des Dieux.
Ce lieu désert se détruit reprend tout d’un coup sa première magnificence.

MELPOMÈNE.

Vous, secourables Génies,
Nécessaire à nos jeux,
35 Hâtez-vous, secondez nos voeux ;
Venez, et prêtez-nous vos grâces infinies.

MELPOMÈME, TERPSICORE.

Animez d’une ardeur nouvelle
Venez remplir nos desseins,
Et faites que nos plaisirs
40 Doivent leur charme à votre zèle.

CHOEUR DE GÉNIES.

Animez d’une ardeur nouvelle
Nous venons remplir vos désirs,
Nous nous flattons que vos plaisirs
Devront leur charme à notre zèle.

THALIE.

45 Vous qui savez si bien, par une heureuse adresse
Calmer les noirs chagrins, bannir les soins fâcheux,
Favorisez mes soeurs, et mêlez dans leur quelques traits de votre allégresse.

MELPOMÈNE, THALIE, TERPSICORE.

Que nos jeux vont avoir de charmes !
Tous nos chants vont inciter l’Amour.
50 Venez tous, rendez-lui les armes,
Il est doux dans cet heureux séjour.
Que nos jeux vont avoir de charmes !
Tous nos chants vont inspirer l’Amour.
Ce n’est plus le temps des alarmes,
55 Les Plaisirs sont enfin de retour.
Que nos jeux vont avoir de charmes !
Tous nos chants vont inspirer l’Amour.

MERCURE.

Jupiter va paraître,
Redoublez vos efforts pour plaire à votre Maître.

LE CHOEUR.

60 Jupiter va paraître.
Redoublons nos efforts pour plaire à notre Maître.
Dans ce moment Jupiter paraît dans son char.

JUPITER.

Il ne manque aux apprêts de la fête nouvelle,
Que Mercure a fait préparé,
Que le choix du Héros qu’on y doit célébrer,
65 Le soin de le choisir auprès de vous m’appelle.
Renouvelez dans vos jeux
Le souvenir de l’invincible Achille,
Et rappelez dans une Cour tranquille,
L’Histoire et les combats de ce guerrier fameux.

MELPOMÈNE, THALIE, TERPSICORE.

70 Renouvelons dans vos jeux,
Le souvenir de l’invincible Achille,
Et rappelons dans une Cour tranquille.
L’Histoires et les combats de ce guerrier fameux.

JUPITER.

Consacrez tous vos jeux au plus grand Roi du monde,
75 Formez sur lui tous les Portraits
De vos Héros les plus parfaits,
Sa valeur, sa bonté, sa sagesse profonde,
Vous prêteront d’inimitables traits.

LE CHOEUR.

Consacrons tous nos jeux au plus grand Roi du monde
80 Sa valeur, sa bonté, sa sagesse profonde
Nous prêterons d’inimitables traits,
Consacrons tous nos jeux au plus grand Roi du monde.

ACTE I §

Le théâtre représente l’Île de Tenede, où Achille s’est retiré auprès de ses vaisseaux, depuis sa querelle avec Agamemnon.

SCÈNE PREMIÈRE. Achille, Patrocle. §

PATROCLE.

Non, je ne saurais plus me taire,
Je vous dois un conseil sincère.
85 Ne rougissez-vous point d’un indigne repos ?
Quand les Grecs agités de mortelles alarmes,
Implorent à genoux le secours de vos armes,
Contre Hector, après vous, le plus grand des Héros.
Tantôt ce guerrier terrible,
90 Des Grecs épouvantés, embrase les vaisseaux ;
Tantôt son bras invincible,
Fait rougir de leur sang et la terre et les eaux,
Il court de victoire en victoire,
Chaque jour, le bruit de la gloire,
95 Va remplir l’univers et vole jusqu’à vous,
Des honneurs qu’il obtient, n’êtes vous point jaloux ?

ACHILLE.

Je vois avec plaisir les pertes de la Grèce,
La valeur d’Hector m’a vengé,
Le fier Agamemnon connaîtra sa faiblesse,
100 Et se repentira de m’avoir outragé.

PATROCLE.

De quoi sert à ce Roi coupable
D’avoir osé vous ravir Briséis ?
Son attentat reçoit un digne prix,
1
Et pour lui Briséis paraît inexorable,
105 Quand un rival puissant vient troubler nos amours,
Si l’objet de nos voeux lui résiste toujours,
Est-il de plus douce vengeance
Que de voir ce rival aimer sans espérance ?

ACHILLE.

Connais mieux les raisons de mon juste courroux,
110 Ce n’est point seulement par un dépit jaloux,
Que je refuse aux Grecs un secours nécessaire,
Ils ont marqué trop de mépris pour moi,
Ils m’ont laissé subir la violente loi
De leur chef téméraire.
115 Non, jamais leurs malheurs ne sauraient m’émouvoir.
Leurs vaisseaux embrasés, leurs troupes fugitives ;
Leur camp détruit, tout leurs Rois sans pouvoir,
Leurs corps épars sur ces sanglantes rives
Szraient encor des objets impuissants,
120 Pour surprendre un moment la fureur que je sens.

PATROCLE.

Eh bien ! D’un oeil content regardez nos alarmés,
Mais quand vous nous méritez tous,
Du moins accordez-moi ces armes
Que Vulcain prépara pour vous ;
125 J’irai combattre Hector, et me combler de gloire,
Je remporterai la victoire,
Ou j’expirerai sous ces coups.

ACHILLE.

Qu’oses-tu proposer, Dieux ! Que viens-je d’entendre ?
Je commence à trembler pour la première fois.
130 Quand je songe au combat que tu veux entreprendre.

PATROCLE.

Au nom d’une amitié qui fut toujours si tendre,
Permettez-moi d’imiter vos exploits.
Je connais les périls où mon dessein m’engage,
Tout semble m’annoncer les fers ou le trépas ;
135 Mais si j’en crois mon courage,
Ce superbe ennemi ne triomphera pas.

ACHILLE.

D’une vaine terreur je n’ai plus l’âme atteinte,
Va combattre ; le Ciel prendra soin de ton sort,
Puisque ton coeur est sans crainte,
140 Ton bras ne sera que trop fort.

PATROCLE.

Je cours assurer ma mémoire,
J’ai tous les sentiments et les soins des Héros,
Non, les jours les plus doux passés dans le repos
Ne valent pas un jour marqué part la victoire.

SCÈNE II. §

ACHILLE, seul.

145 Patrocle va combattre ? Et j’ai pu consentir
Qu’il courût aux dangers qui menacent sa vie ?
Ah ! Je devais l’empêcher de partir,
Hélas de quels regrets sa mort serait suivie ?
Si le sort irrité pour accabler mon coeur
150 Le faisait expirer sous le fer d’un vainqueur.
Prévenez justes Dieux, mon désespoir funeste !
Cet ami généreux, est le seul qui me reste,
Conservez ses jours par pitié !
On m’a privé de l’objet que j’adore,
155 Ce serait trop d’horreur de me priver encore
De l’objet de mon amitié.

SCÈNE III. Achille, Diomède. §

DIOMÈDE.

Ne répondrez-vous point aux désirs de la Grèce ?
Il faut qu’en sa faveur votre colère cesse,
Elle ne peut sans vous triompher des Troyens ;
160 En vain nous assiégeons leur Ville,
Nos Dieux sont moins forts que les siens.
Sa prise est réservée à la valeur d’Achille,

ACHILLE.

De quel emploi vous chargez-vous ?
N’espérez pas de fléchir mon courroux,
165 Diomède je veux achever ma vengeance,
Vos Rois et vos Peuples ingrats,
Auraient encor pour moi la même indifférence.
S’ils n’avaient besoin de mon bras.

DIOMÈDE.

Quoi ! Leur prompt repentir ne peut vous satisfaire ?

ACHILLE.

170 Ils ont pris trop de soin d’attirer ma colère.

DIOMÈDE.

Mais, pouvez-vous aimer un si triste séjour,
Et languir en ces lieux dans une vie obscure ?
Vous ! À qui les Destins promettaient chaque jour
Quelque glorieuse aventure.

ACHILLE.

175 Malgré mes cruels déplaisirs,
Le Déesse de Cythère
En faveur de Thétis ma mère
Interrompt mes regrets, et suspend mes soupirs.
Cette charmante déesse
180 Vient en ces lieux tous les jours,
Je vois avec elle sans cesse
Les grâces, les plaisirs, les jeux et les amours ;
Leur présence est d’un grand secours
Contre la plume sombre tristesse.

DIOMÈDE.

185 C’est pour servir nos ennemis
Qn’on prend ces soins mortels à votre gloire,
Songez que de vous seul dépend notre victoire,
Et que tout notre sort en vos mains est remis,
Faut-il que votre coeur se livre
190 À l’amour de vains plaisir ?
Quelque douceur que l’on goûte à les suivre,
Un héros doit former de plus nobles désirs.

ACHILLE.

La Déesse paraît et déjà sa présence
Donne à ces lieux mille beautés,
195 J’admire ses bienfaits, j’admire sa puissance,
Trop heureux de jouir sur les bords écartés
Des plaisirs innocents qui me l’ont présentée.

SCÈNE IV. Vénus, Achille. §

Vénus paraît en l’air avec l’Amour ; elle est accompagnée des Grâces, et des Plaisirs ; le nuage qui les porte descend jusques au bas du théâtre, ils en sortent tous, et le nuage se va perdre dans les Airs.

VÉNUS.

J’abandonne les Cieux, je descends sur la Terre :
Pour finir de tes maux le déplorable cours,
200 En vain l’injuste sort t’a déclaré la guerre,
Espère tout de mon secours.
Vous, Divinités aimables,
Du plus grand des héros charmés le triste coeur,
Et faites succéder à sa vive douleur
205 Les plaisirs les plus agréables.
La Danse de ce Divertissement a été faite par Monsieur de Lestang.

SCÈNE V. Achille, Les Grâces, les Plaisirs. §

UNE DES GRÂCES.

Grand héros, le Ciel vous est propice,
Vos vertus se font rendre justice,
Tout conspire aujourd’hui.
À finir votre ennui.

UN PLAISIR.

210 Si l’Amour a causé vos alarmes,
Ses faveurs en auront plus de charmes ;
La Danse de ce Divertissement a été faite par Monsieur de Lestang.
Préparez votre coeur
Au plus parfait bonheur.

DEUX GRÂCES ET UN PLAISIR.

Quel mortel osa jamais prétendre
215 Les soins qu’ici nous venons vous rendre ?
Qu’il veut le mériter
N’a qu’à vous imiter.

UNE DES GRÂCES.

C’est pour vous que Vénus nous appelle,
Profitez de notre ardeur fidèle,
220 Vous aurez en ces lieux
Tous les plaisirs des Dieux.

UN PLAISIR.

C’est en vain que la haine et l’envie
Sont d’accord pour troubler votre vie,
Par notre heureux secours
225 Vous en triompherez toujours.

DEUX GRÂCES ET UN PLAISIR.

Puissiez-vous par nos soins favorables
Ne passer que des jours agréables !
Est-il rien de si doux
Que de vivre avec nous ?

SCÈNE VI. Achille, les Grâces, les Plaisirs, Arcas. §

ARCAS.

230 Ô déplorable coup du sort !

ACHILLE.

Je frémis parle !

ARCAS.

Patrocle est mort,

ACHILLE.

Ciel ! Quelle affreuse nouvelle !
Laissez-moi, fuyez de ces lieux,
Vos appas, vos concerts, et tous les soins des Dieux
235 Ne sauraient plus calmer ma tristesse mortelle.

SCENE VII. Achille, Arcas. §

ACHILLE, ARCAS.

Courons venger cet ami que je perds,
Que de sang et de morts tous ces champs soient couverts
Que son fier vainqueur périsse !
Je dois à l’amitié ce juste sacrifice.
240 Mânes de ce guerrier dont je pleure le sort,
Je vous promet une prompte vengeance,
J’en atteste des Dieux la suprême puissance,
Je cours chercher Hector, je cours hâter sa mort.
Dans l’éternelle nuit son ombre va vous suivre.
245 Ou moi-même aujourd’hui je cesserai de vivre,

ACTE II §

Le théâtre représente le Camp des Grecs devant Troie ; cette superbe ville paraît dans l’éloignement.

SCÈNE PREMIÈRE. Agamemnon, Ddiomède. §

DIOMÈDE.

Puisqu’Achille combat, nous allons triompher
Notre victoire est certaine;
Cessez de le haïr, hâtez-vous d’étouffer
Le malheureux amour qui cause votre haine,
250 Vous devez rendre à ce héros
Le charmant objet de sa flamme.

AGAMEMNON.

Ah ! S’il faut à ce prix assurer son repos,
Dieux ! Qu’il en coûtera de tourments à mon âme !

DIOMÈDE.

Si vous pouviez fléchir la cruelle beauté,
255 Dont votre coeur est enchanté,
J’excuserais une injustice
Qui finirait votre sort rigoureux;
Mais je dois condamner un funeste caprice,
Qui vous rend, tout ensemble injuste et malheureux.

AGAMEMNON.

260 Il est vrai que j’attaque un coeur inexorable,
Je ne puis fléchir sa rigueur ;
Mais, comptez-vous pour rien la flatteuse douceur
De rendre un rival misérable ?

DIOMÈDE.

Le malheur d’un rival flatte-t-il votre ennui,
265 Quand vous êtes encor plus malheureux que lui ?
Rappelez votre courage,
Que la raison vous dégage
De vos fatales amours

AGAMEMNON.

Que peut la raison le triste et vain secours
270 Contre les traits vainqueurs d’une beauté cruelle ?
Quand l’amour à nos yeux vient l’offrir tous les jours,
Avec quelques grâces nouvelles.
Ranimons toutefois mon courage abattu,
C’est nourrir trop longtemps une vaine tendresse,
275 Surmontons ma faiblesse,
Par un dernier effort digne de ma vertu.

DIOMÈDE.

Achille est triomphant, je le vois qui s’avance
Suivi de nos soldats, charmés de sa valeur.

AGAMEMNON.

Éloignons-nous, évitons sa présence,
280 Je ne saurais encore répondre de mon coeur.

SCÈNE II. Achille, Chefs et Soldats grecs. §

LE CHOEUR.

La Danse de ce divertissement a été faite par Mr. Pécourt.
Guerrier terrible,
Soyez toujours invincible,
Que vos exploits
Fassent trembler tous les rois.
285 Ciel équitable,
Sois lui toujours favorable
Que son bonheur
Soit égal à sa valeur !
Guerrier terrible
290 Soyez toujours invincible ;
Que vos exploits
Fassent trembler tous les Rois.
Quelle allégresse !
Quel triomphe pour la Grèce !
295 Ses ennemis
Lui seront bientôt soumis.
Guerrier terrible
Soyez toujours invincible ;
Que vos exploits
300 Fassent trembler tous les Rois.

DEUX CAPITAINES GRECS.

Venez tous, à l’envie, secondez notre ardeur
Honorez votre heureux défenseur,
Célébrez sa victoire,
Chantez sa valeur et sa gloire,
305 Que tous nos rois
Charmés de ses exploits,
Soient soumis à ses lois !

LE CHOEUR.

Suivons, suivons sans cesse
Ce héros, ce fameux vainqueur
310 C’est à son bras que la Grèce
Doit sa force et son bonheur.
Chantons la valeur et sa gloire
Du héros qui nous a sauvé
Qu’ils jouissent après sa victoire
315 Des honneurs éclatants à lui seul réservés.
Chantons la valeur et la gloire
Du héros qui nous a sauvé.
De ses heureux travaux chérissons la mémoire,
Consacrons-lui des jours qu’il nous a conservés.
320 Chantons la valeur et la gloire
Du héros qui nous a sauvé.

ACHILLE.

Allez, que chacun court où son devoir l’appelle,
Vos soins pour moi feraient trop de jaloux,
Et de mes ennemis la vengeance cruelle
325 Ne pouvant m’accabler retomberait sur vous.

SCÈNE III. Arcas, Priam, Andromaque, Polixène. §

ARCAS.

Venez, marchez, sans défiance,
Les grecs vous ont donné leur foi
Achille est généreux, craignez moins sa présence
Et qu’une juste espérance succède à votre effroi.

SCÈNE IV. Priam, Andromaque, Polixène. §

PRIAM.

330 Restes infortunés du plus beau sang du monde,
Polixène, ma fille et vous, veuve d’Hector,
Mêlez vos pleurs aux miens, et s’il se peut encor
Que tout redouble ici notre douleur profonde.

TOUS TROIS.

Puissions-nous attendrir le coeur
335 De ce superbe vainqueur !

SCÈNE V. Achille, Arcas, Priam, Andromaque, Polixène. §

PRIAM.

Vous voyez, guerrier indomptable
Un roi qui fut longtemps le plus puissant des rois ;
C’est ce même Priam, qui tenait sous ses lois
Des Troyens renommés, l’empire redoutable;
340 C’est lui, que le dernier de vos fameux exploits
Vient de rendre plus misérable,
Qui ne fut heureux autrefois.

ACHILLE.

Le sort ne peut changer l’auguste caractère,
Dont les Dieux vous ont revêtu.
345 Je le respecte en vous, je plains votre vertu,
Je sens expirer ma colère,
Je cesse de haïr mes plus grands ennemis,
Sitôt que je les vois, ou vaincus ou soumis.

ANDROMAQUE.

J’ai perdu mon époux dans un combat funeste,
350 Votre valeur me l’a ravi ;
Mon amour, chez les morts, l’aurait déjà suivi,
Sans les soins que je dois au seul fils qui me reste.
Vous le savez, Dieux que j’atteste!
Au sort de cet enfant, mon sort est asservi ;
355 Je l’ai perdu cet époux que j’adore,
Et pour comble d’horreur, je sais qu’il est encore
Indignement privé, par des ordres cruels
D’un droit, que le trépas donne à tous les mortels :
Souffrez que je le rende aux murs qui l’ont vu naître,
360 Qu’un superbe tombeau fasse du moins connaître
La splendeur de son sang, son sort, et mon amour.
Ce tombeau servira de temple à votre gloire,
Puisque tout l’avenir y verra, quelque jour,
L’histoire de nos maux, et de votre victoire.

ACHILLE.

365 Quels regrets ! Quels tristes accents !
Dieux ! Que la douleur est tendre !
Que ses soupirs sont puissants !
Que je souffre à les entendre !

PRIAM.

Par vos sacrés aïeux ; par le nom de Thétis,
370 Laissez-moi recueillir les cendres de mon fils.
Pour m’accorder la grâce que j’espère,
Souvenez-vous de votre père,
Et songez quel amour il eût toujours pour vous
Je sentais pour mon fils une égale tendresse ;
375 Ah ! Jugez par l’excès de cet amour si doux
Quel doit être aujourd’hui l’excès de ma tristesse.

POLIXÈNE.

Que pourrais-je espérer du secours de mes pleurs,
Si mon père et ma soeur vous trouvent inflexible !
Si vous méprisez leurs douleurs,
380 À mes plaintes, hélas ! Serez-vous plus sensible ?
Sorti du sang des Dieux, imitez leur bonté,
À nos soupirs rendez-vous favorable,
N’augmentez point l’excès de notre adversité
Par un refus impitoyable.

ACHILLE.

385 Que peut-on refuser au pouvoir de vos yeux ?
Vous pouvez tout en ces lieux.
Rassurez-vous calmez la douleur qui vous presse,
Emportez dans vos murs, ce héros glorieux,
Ne craignez point les efforts de la Grèce,
390 J’arrêterai ses desseins furieux :
Suivez l’ardeur qui vous anime,
Rien ne vous troublera dans ce soin légitime :
Je ne vais songer désormais
Qu’à vous donner une éternelle paix.

ACTE III §

Le théâtre représente le quartier d’Achille.

SCÈNE I. §

ACHILLE.

395 C’en est fait, cher Arcas, j’adore Polixène,
Quoiqu’il en coûte enfin, je veux la posséder ;
C’est toi que j’ai choisi, pour aller demander,
Cours à Troie, il est temps de soulager ma peine.

ARCAS.

Son père, à votre amour, voudra-t-il l’accorder ?

ACHILLE.

400 Il sera trop heureux de me donner sa fille,
Et de me voir devenir son époux ;
L’amitié, que ce noeud fera naître entre nous,
Soutiendra désormais son trône et sa famille.

ARCAS.

Juste Ciel ! Des Troyens vous devenez l’appui ?
405 Loin de les accabler, vous voulez les défendre.

ACHILLE.

Contre un peuple abattu, que pourrais-je entreprendre,
Après ce que mon bras vient de faire aujourd’hui ?
Hector seul méritait la gloire
De mourir par mes coups,
410 Le reste des Troyens après cette victoire
Est indigne de mon courroux.

SCÈNE II. §

ACHILLE.

Quand après un cruel tourment,
L’hymen succède
Aux tendre désirs d’un amant,
415 Que le trouble qui précède
Ce bien heureux moment
Est doux et charmant!
Mais, on vient en ces lieux, ma surprise est extrême !
C’est Agamemnon lui-même.

SCÈNE III. Achille, Agamemnon. §

AGAMEMNON.

420 Je ne saurais plus longtemps
Conserver contre vous mes chagrins et ma haine,
Après vos exploits éclatants,
Un mouvement plus doux près de vous me ramène :
Avec les jours d’Hector nos périls sont passés,
425 Troie a perdu la bras qui pouvait la défendre.

ACHILLE.

J’ai fait mon devoir, c’est assez,
Vous n’avez point de grâces à mes rendre :
Je n’ai point crû servir ceux qui m’ont outragé,
Et c’est Patrocle seul que mon bras a vengé.

AGAMEMNON.

430 Votre colère dure encore,
Elle éclate dans vos discours :
Il faut, pour en finir le cours,
Vous rendre la beauté qui vous aime toujours,
Et que votre coeur adore.
435 Venez, charmant objet, revoyez votre amant.

SCÈNE IV. Achille, Briseis, Agamemnon, Diomède. §

ACHILLE.

Ah Ciel ! Ma raison cède à mon étonnement.

AGAMEMNON.

Mes respects, mes soupirs, les marques de ma flamme
N’ont fait qu’allumer son courroux ;
Ses constantes rigueurs m’ont appris que son âme
440 Ne peut brûler que pour vous.

DIOMÈDE.

Jouissez du bonheur que l’amour vous présente,
Que votre ardeur s’augmente
De moment en moment !
Que c’est un plaisir charmant,
445 Après une absence cruelle,
De retrouver sa maîtresse fidèle !

SCÈNE V. Achille, Briséis. §

BRISEIS.

Quel triste accueil, Dieux ! Qu’est-ce que je vois?
Suis-je encor Briseis ? N’êtes-vous plus Achille ?
Pouvez vous me revoir, et demeurer tranquille ?
450 Qu’est devenu l’amour dont vous brûliez pour moi ?
Vous ne répondez point ?...

ACHILLE.

Hélas !

BRISEIS.

Que me veut dire
Ce regard, ce soupir échappé malgré vous ?
Ah ! Que mon destin sera doux,
Si c’est encor pour moi que votre coeur soupire ?

ACHILLE.

455 Ô Ciel ! Que je suis malheureux !
Dans quel temps venez-vous m’accabler de vos larmes ?
Que ne suis-je, à mon gré, le maître de mes voeux !
Je finirais bientôt vos mortelles alarmes
Mais un charme fatal...

BRISEIS.

Perfide c’est assez.
460 Je vois toute mon infortune,
Un autre amour te rend ma tendresse importune,
Je te fatigue enfin par mes soins empressés :
Le bruit de cette amour nouvelle
Était venu jusques à moi,
465 Mais je n’ai pu le croire, et soupçonner ta foi,
J’ai cru ton coeur trop grand, pour n’être pas fidèle.
C’en est donc fait ? Je ne dois plus penser
À l’hymen qui faisait toute mon espérance,
À ce suprême honneur il me faut renoncer,
470 D’un amour si parfait, funeste récompense !
Dieux ! Quelle est ma douleur ! Je cède à son effort,
Cruel, peux-tu la voir avec indifférence ?
Et ne sais-tu pas que ma mort
Suivra de près ton inconstance ?

ACHILLE.

475 Je ne puis entendre
Une plainte si tendre
Je souffre autant que vous, les Dieux m’en sont témoins,
Faut-il vous immoler ma vie ?
Ordonnez, ce sera le plus doux de mes soins
480 De satisfaire à votre envie :
Mais, calmez vos transports, et ne m’affligez plus
Par des reproches superflus.
Vous connaissez mon coeur incapable de feindre,
Je suis moins criminel, que je ne suis à plaindre,
485 Du sort et de l’Amour l’indispensable loi
M’entraîne ailleurs malgré moi.

SCÈNE VI. §

BRISEIS.

Quel amant m’est ravi ! Sa valeur, sa noblesse
L’élèvent au dessus du reste des mortels,
La victoire le suit sans cesse,
490 Et ses moindres vertus méritent des autels,
Dans le haut rang où son destin l’appelle
Il eut été parfait, s’il eut été fidèle.
Mais n’est-il pas quelque moyen
De détourner l’hymen où son coeur se prépare ?
495 Ah ! Faisons que Junon contre lui se déclare,
Elle hait tout le sang Troyen,
Et ne souffrira pas que cet hymen funeste
Sauve un peuple qu’elle déteste,
Puissante Reine des Cieux !
500 Écoutez moi, daignez jeter les yeux
Sur le malheur qui me menace,
Prévenez ma honte et ma mort,
En prenant pitié de mon sort.
Des perfides Troyens vous contrez l’audace ?
505 Mes voeux sont exaucés, Junon descend des cieux,
Et pour me secourir s’approche de ces lieux.
Junon descend sur son char.

SCÈNE VII. Junon, Briséis. §

JUNON.

Calme tes déplaisirs, ne verse plus de larmes,
L’Hymen qui cause tes alarmes
Ne sera jamais achevé
510 En vain Priam croit son pays sauvé,
Son trône doit tomber, et de toute sa gloire
Il ne restera rien qu’une triste mémoire.
Je vais évoquer des Enfers
La Haine, la Fureur, la Discorde et l’Envie,
515 Leur présence sera suivie
De cent prodiges divers.
Sortez de la nuit infernale,
Noires Divinités, vos antres sont ouverts.
Dans le temps que les Divinités sortent des enfers, tout le théâtre est obscurci.

BRISEIS.

L’horreur de leur séjour, se répand dans les airs !

JUNON.

520 Volez, portez par tout votre rage fatale,
Versez dans tous les coeurs votre mortel poison,
Chassez la paix de cette terre,
Et faites y régner la guerre,
La vengeance et la trahison.
525 Versez dans tous les coeurs votre mortel poison.
Junon remonte dans son char.
Poursuivez votre carrière,
Soleil, et rendez-nous votre clarté première.

BRISEIS.

La Danse des Furies a été faite par Mr. Lestang.
Favorable Déesse,
J’attends le succès de vos soins.

JUNON.

530 Avant la fin du jour tes yeux seront témoins
De l’effet de ma promesse.

SCÈNE VIII. §

BRISEIS.

Junon pour moi vient de se déclarer,
Elle a fait, à mes yeux, éclater sa puissance,
Je dois tout espérer
535 Se sa divine assistance.
On entend un bruit de haut-bois et de flûtes.
Mais quel bruit harmonieux
Se fait entendre dans ces lieux !
Ah ? Je vois les bergers que l’horreur de la guerre
Avait chassé de cette terre,
540 La trêve les rappelle à leur premier séjour,
Et déjà leurs chansons annoncent leur retour.
Que leurs chants irritent la peine
Et la douleur que je sens !
Fuyons, je ne puis voir leurs plaisirs innocents,
545 Puisqu’ils sont dûs à Polixène.

SCÈNE IX. Troupe de Bergers et des Bergères. §

La Danse de ce divertissement a été fait pas M. P. Cours.

UN BERGER.

Après tant de trouble et de larmes,
Un doux repos succède à nos alarmes,
Bénissons à jamais
Le généreux vainqueur, qui nous donne la paix.

UN BERGER ET UNE BERGÈRE.

550 Cet heureux jour doit nous charmer,
Dans ces champs mille fleurs vont renaître,
Recommençons d’aimer
En les voyant paraître.

TROIS BERGERS.

Cherchons, avec empressement,
555 Ces retraites, ces lieux paisibles,
Que le ciel a fait seulement
Pour le plaisir des coeurs sensibles.

UN BERGER ET UNE BERGÈRE.

Tristes bocages,
Reprenez vos feuillages,
560 Servez nous toujours
D’asile à nos amours.

LE CHOEUR.

2
Tristes bocages,
Reprenez vos feuillages,
Servez nous toujours
565 D’asile à nos amours.

UN BERGER ET UNE BERGÈRE.

Paix adorable,
Soyez toujours durable,
Sans vous, hélas !
Ces lieux n’ont point d’appas.

LE CHOEUR.

570 Paix adorable,
Soyez toujours durable,
Sans vous, hélas !
Ces lieux n’ont point d’appas.
Après tant de troubles et de larmes,
575 Un doux repos succède à nos alarmes,
Bénissons à jamais
Le généreux vainqueur, qui nous donne la paix.

ACTE IV §

Le théâtre représente le magnifique Palais de Priam.

SCÈNE I. §

POLIXÈNE, seule.

Enfin je me vois seule, et je puis sans contrainte,
Faire éclater les divers mouvements
580 Dont mon âme est atteinte,
Et connaître du moins quels sont mes sentiments.
Depuis l’instant fatal où l’invincible Achille
A daigné, par ses soins, soulager notre ennui,
Je suis cent fois moins tranquille,
585 Et je songe toujours à lui.
Serait-ce qu’en effet une indigne faiblesse
Me préviendrait en sa faveur ?
Non, non, je me souviens sans cesse
Des maux que m’a causé sa funeste valeur,
590 Et le vainqueur d’Hector, le vengeur de la Grèce
Ne peut avoir aucun droit sur mon coeur.
C’en est fait je triomphe, et dès ce moment même
Je ne veux plus m’en souvenir.
Puisse, grand Dieux, votre pouvoir suprême
595 Me condamner et me punir !
Si jamais... Ciel ! Que fais-je ? Et quel transport m’inspire ?
Malheureuse, qu’allais-je dire ?
Dois-je un serment pour ne le pas tenir ?
Je souffre trop dans les cruels combats.
600 Qu’il m’en coûte pour me défendre !
Et je trouve mille appas
À me rendre.
Mais, puis-je avouer, sans honte,
Que l’Amour me surmonte ?
605 N’écouterai-je plus ni raison, ni devoir ?
Contre ce Dieu leur force est impuissante ?
Est il un coeur s’exempte
De reconnaître son pouvoir ?
Je lui cède aujourd’hui. Tous mes efforts sont vains.
610 Je ne puis résister à l’ardeur qui m’enflamme ;
Du moins, si l’Amour dispose mon âme,
C’est en faveur du plus grand des humains.

SCÈNE II. Polixène, Andromaque. §

ANDROMAQUE.

Ah ! Ma soeur, savez-vous qu’Achille
Se flatte qu’un hymen tranquille
615 Avant la fin du jour doit vous unir tous deux ?
Souffrirez-vous que ce noeud s’accomplisse ?
Et pouvez-vous, sans injustice,
De ce fier ennemi favoriser les voeux ?
Auriez-vous oublié que sa valeur barbare
620 D’un frère tant aimé pour jamais vous sépare ?
D’un frère la terreur, et l’amour des mortels :
Cette sanglante mort, cette affreuse victoire
Toujours présente à ma mémoire,
A condamné mes yeux à des pleurs éternels.

POLIXÈNE.

625 Est-ce de moi que mon sort doit dépendre ?
Priam seul en peut disposer.

ANDROMAQUE.

Par ce détour croyez-vous m’abuser ?
Non, non, je commence à comprendre
Quels sont vos sentiments secrets,
630 Vos yeux timides et distraits
Ne me les font que trop entendre.

POLIXÈNE.

Que voulez-vous me dire ? Et que soupçonnez-vous ?

ANDROMAQUE.

Que loin de seconder ma haine,
Vous verrez, sans peine,
635 Ce funeste ennemi devenir votre époux.
Vous voulez jouir de la gloire
De triompher de sa fierté,
C’est une agréable victoire
Pour votre vanité.

POLIXÈNE.

640 Quand je vois ce héros digne de mon estime,
Sentir pour moi l’amour le plus parfait,
Est-ce un grand crime
De m’en applaudir en secret ?

ANDROMAQUE.

Après un tel aveu je n’ai plus rien à craindre,
645 C’est le dernier malheur que je puis redouter.
Hélas ! Que me sert de me plaindre ?
Personne ne veut m’écouter.
Cher époux, dont l’illustre vie
Fut si digne d’envie,
650 Tout ton sang te trahit pour plaire à ton vainqueur,
Je pleure en vain ta mort, triste effet de tes armes,
Je vois mépriser mes larmes,
Et par ton père, et ta soeur :
Mais, leur exemple au moins ne peut rien sur mon âme,
655 Je sens encor la même flamme,
Et la même douleur.
Le seul espoir dont mon coeur est flatté,
C’est qu’en donnant toujours des pleurs à ta mémoire,
Je rendrai ma fidélité
660 Aussi fameuse que ta gloire.

SCÈNE III. §

POLIXÈNE, seule.

Quel reproche fatal ! Je rougis de l’entendre,
Il me fait souvenir des conseils de Cassandre :
Elle me prédit chaque jour,
Que si jamais mon coeur s’abandonne à l’amour,
665 Ma faiblesse sera suivie
D’éternelles douleurs ;
Elle m’annonce enfin de si cruels malheurs,
Qu’ils pourront me coûter la vie :
N’importe, je ne puis changer de sentiment,
670 Mon coeur est occupé d’un objet trop charmant.
Malgré les conseils qu’on me donne,
D’une plus vive ardeur je me sens enflammer,
Un coeur que le péril étonne
N’est pas digne d’aimer.

SCÈNE IV. Priam, Polixène, Arcas, Suite de Priam et d’Arcas. §

PRIAM.

675 Ma fille, il n’est plus temps de répandre des pleurs,
Voici le jour heureux qui finit nos malheurs ;
Le fier Achille rend les armes
À tes charmes,
Et malgré tous les grecs, jaloux de ton bonheur,
680 Il te donne aujourd’hui son empire et son coeur.

ARCAS.

Princesse, ce héros ne cherche qu’à vous plaire ;
Vous avez en vos mains et la vie et la mort
C’est à vous de régler son sort ;
Il a déjà l’aveu de votre père,
685 Mais, pour assurer son bonheur,
Il veut savoir si votre coeur
À ses tendres désirs
Ne sera pas contraire.

POLIXÈNE.

C’est assez que le Roi m’ordonne d’obéir
690 Je connais mon devoir, je ne le puis trahir.

PRIAM.

Quel changement favorable
Flatte aujourd’hui mes désirs;
Aurais-je cru mon coeur encor capable
De sentir quelques plaisirs ?
695 Malgré ce changement un chagrin légitime
En trouble la douceur, et s’oppose à la paix ;
Mais le soin de l’État et le seul qui m’anime,
Et je préfère à tout le bien de mes sujets.
Vous, que votre sort intéresse
700 Dans cet événement heureux,
Peuples, montrez votre allégresse
Par les jeux les plus pompeux.

SCÈNE V. Polixène, Arcas, Troupe de Troyens et de Troyenne. §

La danse de ce divertissement a été faite par Mr. Pécourt.

UN TROYEN.

Vos beaux yeux, adorable princesse,
Ont détruit les desseins de la Grèce,
705 Un seul de vos regrets a rangé sous vos lois
Un héros dont le nom fait trembler tous ses rois.

LE CHOEUR.

Vos beaux yeux, adorable princesse,
Ont détruit les desseins de la Grèce,
Un seul de vos regrets a rangé sous vos lois
710 Un héros dont le nom fait trembler tous ses rois.

UNE TROYENNE.

Que ne peuvent point vos charmes ?
Tout leur est soumis,
Ils arrachent les armes
À nos ennemis.
715 Que ne peuvent point vos charmes,
Tout leur est soumis.

LE CHOEUR.

Que ne peuvent point vos charmes ?
Tout leur est soumis,
Ils arrachent les armes
720 À nos ennemis.
Que ne peuvent point vos charmes,
Tout leur est soumis.

DEUX TROYENS.

Que l’amour est puissant sur les coeurs :
Il enchaîne
725 Sans peine,
Les plus redoutables vainqueurs.

UNE TROYENNE.

Qu’après une grande victoire
Une guerrier est heureux
S’il sait mêler aux charmes de la gloire
730 Le doux amusement des plaisirs amoureux ?

UNE TROYENNE.

Vous, si longtemps banni de se sacré séjour
Jeux charmants, revenez dans cette auguste cour.

UN TROYEN.

La paix ramène ici l’abondance,
Faites voir votre magnificence,
735 Par vos chants redoublés, célébrez ce grand jour,
Et de votre bonheur rendez grâce à l’amour.

LE CHOEUR.

La paix ramène ici l’abondance,
Faisons voir notre magnificence,
Par nos chants redoublés, célébrons ce grand jour,
740 Et de notre bonheur rendons grâce à l’amour.

ACTE V §

Le théâtre représente l’avenue et le temple d’Apollon.

SCÈNE I. §

ACHILLE.

Ah ! Que sur moi, l’Amour règne avec violence !
Que de transports puissants mon coeur est agité !
Mais j’aperçois la divine beauté
Qui cause mon impatience,
745 Son père l’a conduit, et vient sur ces autels
Entendre et confirmer nos serments mutuels.

SCÈNE II. Achille, Arcas, Polixène, Choeur de Grecs de la suite d’Achille, Choeur de Troyens et de filles troyennes qui suivent Priam et Polixène. §

ACHILLE.

Princesse enfin le Ciel répond à mon attente,
Il assure à mon coeur les plaisirs les plus doux,
Ah ! Que mon sort doit faire de jaloux !
750 Si l’Hymen, dont l’espoir m’enchante
N’est pas un supplice pour vous.
Quoi ! Ce transport ne sert qu’à vous confondre ?
Craignez-vous de me répondre ?
Pourquoi tourner vos yeux de toute part ?
755 N’osez-vous sur moi seul arrêter vos regards ?
Parlez, beauté charmante,
Le don de votre coeur suivra-t-il de votre foi ?

POLIXÈNE.

Hélas ! Plus je vous vois,
Et plus mon trouble s’augmente.

ACHILLE.

760 Puis-je, du moins en ma faveur,
Expliquer ce profond silence ?

POLIXÈNE.

Un héros tel que vous, quand il donne son coeur,
N’est-il pas assuré de la reconnaissance ?

ACHILLE.

C’en est trop ; vos bontés passent mon espérance.

SCÈNE III. Achille, Priam, Polixène, Arbas, Troupe de Grecs, de Troyens et de Troyennes. §

PRIAM.

765 Commençons à jouir en ce jour,
Des plaisirs que la Paix nous ramène,
Les feux de la Haine
Cèdent à ceux de l’Amour.

PRIAM, ACHILLE et POLIXÈNE.

Commençons à jouir en ce jour,
770 Des plaisirs que la Paix nous ramène,
Les feux de la Haine
Cèdent à ceux de l’Amour.

ACHILLE.

Peuples soumis à mes lois,
Secondez les transports de mon âme ;
775 Joignez nos voix,
Pour chanter les beautés de l’objet qui m’enflamme.

PRIAM.

Peuples soumis à mes lois,
Jouissez d’un sort tranquille
Joignez nos voix,
780 Pour chanter les vertus et le bonheur d’Achille.

LE CHOEUR.

La danse de ce divertissement a été faite par Monsieur Lestang.
Que tous ces lieux retentissent
Du nom de ces heureux époux,
Que l’amour et l’hymen les unissent
De leurs noeuds les plus doux.

UN GREC.

785 Ah ! Que vos chaînes sont belles !
Tendres amants, que vous serez heureux,
Seuls, dignes l’un de l’autre, et pleins des mêmes feux,
Également charmés, également fidèles,
Tendres amants, que vous serez heureux.

LE CHOEUR.

790 Tendres Amants, que vous serez heureux !

UN GREC et DEUX TROYENNES.

Chacun de vous connaît le prix de ce qu’il aime
Et lui consacre tous ses voeux ;
Chacun de son amour fait la gloire suprême,
Tendres amants, que vous serez heureux.

LE CHOEUR.

795 Tendres Amants, que vous serez heureux.

PRIAM.

Ne perdons plus de précieux moments,
Allons sur les autels consacrer les serments
D’une paix éternelle.

ACHILLE ET POLIXÈNE.

Ne perdons plus de précieux moments,
800 Allons sur les autels consacrer les serments,
D’une paix éternelle
Et d’un amour tendre et fidèle.

SCÈNE IV. §

BRISEIS.

Que vois-je ? C’en est fait et mon perfide amant
Épouse, en ce moment,
805 Sa nouvelle maîtresse.
Ah ! Junon, est-ce ainsi que tu tiens ta promesse ?
Est-ce ainsi que tu romps ces funestes liens ?
Qui vont causer ma mort, et sauver les Troyens ?
Un juste désespoir m’anime,
810 Mon amour outragé demande une victime,
Courons l’immoler ou périr ;
Si mes transports jaloux me font commettre un crime,
Pour l’expier, je suis prête à mourir.

SCÈNE V. Briséis, Choeur de Grecs, qui sortent en désordre du temple d’Apollon, Arcas. §

LE CHOEUR.

Fuyons, une mort certaine
815 Nous n’avons plus de défenseur.

BRISEIS.

Où courez-vous ? Quelle terreur
Loin de ces lieux vous entraîne ?

ARCAS.

Achille ne vit plus !

BRISEIS.

Ciel ! Quel est son vainqueur ?

ARCAS.

L’indigne ravisseur d’Hélène
820 Par une trahison a terminé son sort.

BRISEIS.

Quoi ? Le traître Pâris est l’auteur de sa mort.

SCÈNE VI. Polixène, Briseis. §

POLIXÈNE.

Dieux ! Quel horrible spectacle !
Le perfide Pâris triomphe sans obstacle ;
Il jouit de son crime et ne permet pas
825 D’embrasser mon époux, même après son trépas,
D’un coup mortel j’ai vu frapper Achille,
J’ai retiré le trait dont il était percé ;
Hélas ! Dans les douleurs dont mon coeur est pressé
Ce trait fatal peut m’être utile.

BRISEIS.

830 Je vais presser nos chefs et nos soldats
De venger le meurtre d’Achille.
Oui, dans mon désespoir, je conduirai leur pas
Sur les remparts de votre ville,
Puisse le juste Ciel se déclarer pour nous !
835 Et puisse aujourd’hui les Troyens périr tous.

SCÈNE DERNIÈRE. §

POLIXÈNE.

Va punir les Troyens, cours hâter la vengeance
D’un héros qu’on vient d’immoler :
Laisse moi seule ici ; Ne viens plus me troubler
Par son odieuse présence.
840 Par ces soins éclatants, va prouver ton amour ;
Poursuis Pâris, fais lui ravir le jour
Au héros que tu perds l’on te fera survivre.
Depuis qu’il ne vit plus, rien ne plaît à mes yeux,
Une sanglante mort va finir, en ces lieux,
845 Les horribles tourments où sa perte me livre,
Ah ! N’est-il pas moins glorieux,
De se venger que de le suivre ?
Mais quels tristes objets viennent s’offrir à moi ?
Dieux ! Quel saisissement ! Quel transport ! Quel effroi !
850 Ah ! Je vois mon époux sur l’infernale rive
J’entends les cris de son ombre plaintive,
Elle m’appelle, elle me tend les bras.
Ciel ! Je vois dans ses yeux éclater sa colère ;
Chère ombre, attends, je vais te satisfaire,
855 S’il ne faut pour te plaire,
Que courir au trépas.
Quel sort d’un amour si tendre !
J’éprouve enfin tous les malheurs
Que Cassandre cent fois, pleine de ses fureurs,
860 Voulut en vain me faire entendre.
Et toi ? Qui teint encor du sang de mon époux,
A passé dans mes mains pour terminer ma vie,
Funeste trait, seconde mon envie,
Que ton secours sera doux,
865 Si tu frappes mon coeur d’une atteinte mortelle,
Il s’avance lui-même au devant de tes coups,
Trop heureux si tu m’es fidèle.
S’en est fait le succès répond à mon attente,
Je n’ai plus guère à souffrir,
870 Je sens que je vais mourir
Et c’est assez pour me rendre contente.
Reçois mon sang après mes pleurs,
Achille, c’est à toi que je me sacrifie...
Sans toi, je déteste la vie...
875 Oui, je le jure... Hélas... Je frissonne... Je meurs.