LA RECOMMANDATION
COMÉDIE.
CINQUANTE-HUITIÈME PROVERBE.

M. DCC. LXXI. Avec Approbation et Privilège du Roi.

de CARMONTELLE.

. §

 

À Paris, chez Sébastien JORRY, vis à vis le Comédie Française, chez Le JAY, rue Saint Jacques, près celle des Mathurins.

PERSONNAGES §

  • MONSIEUR DE LA BRUYERE, Conseiller d’État.
  • MADAME DE LA BRUYERE.
  • LA COMTESSE DE SAINT-LÉGER.
  • MONSIEUR DUMONT.
  • LE GRAND, valet de chambre de Madame La Bruyère.
La Scène est chez Madame la Bruyère.

SCÈNE PREMIÈRE. Madame de La Bruyère, Monsieur de la Bruyère. §

MADAME DE LA BRUYÈRE lisant, un mouchoir à la main.

Qui est là ?... Ah, c’est vous, Monsieur.

MONSIEUR DE LA BRUYÈRE.

Dans quel état vous voilà ?

MADAME DE LA BRUYÈRE.

Vous me voyez dans le plus grand attendrissement.

MONSIEUR DE LA BRUYÈRE.

Quoi toujours avec vos romans.

MADAME DE LA BRUYÈRE.

Oui, celui-ci est charmant !

MONSIEUR DE LA BRUYÈRE.

Bon ; c’est toujours la même chose.

MADAME DE LA BRUYÈRE.

Vous le croyez, et vous n’en avez peut-être jamais lu.

MONSIEUR DE LA BRUYÈRE.

Pardonnez-moi, autrefois, au Collège ; mais c’est du temps perdu.

MADAME DE LA BRUYÈRE.

Je ne trouve pas cela. Quand des gens vraiment vertueux éprouvent des malheurs qu’ils pourraient faire cesser, s’ils étaient capables de renoncer à l’honneur, à la vertu ; ces situations sont si intéressantes, si touchantes, que je voudrais connaître ces malheureux, pour pouvoir les consoler, adoucir leurs maux , les partager ; ce désir est une jouissance délicieuse !

MONSIEUR DE LA BRUYÈRE.

Vous n’avez pas besoin de ces livres-là, pour jouir de toute la délicatesse, de toute la sensibilité de votre âme.

MADAME DE LA BRUYÈRE.

À quoi bon me flatter ? Je suis bien-aise que vous ayez bonne opinion de moi, certainement ; mais convenez que vous seriez fâché de me voir de l’orgueil ?

MONSIEUR DE LA BRUYÈRE.

Je ne vous en crois pas capable.

MADAME DE LA BRUYÈRE.

Et moi, je craindrais d’être toute prête d’en avoir, étant louée par vous.

MONSIEUR DE LA BRUYÈRE.

Pourquoi ne pas louer ce qu’on aime ; pourquoi ne pas lui rendre justice ?

MADAME DE LA BRUYÈRE.

Ah, parce que lorsque l’on aime , on peut s’aveugler sur l’objet de son amour, et en lui supposant une perfection aussi grande, on peut l’empêcher d’acquérir la véritable. Quand on est bien content de soi, on est bien près de mériter de ne plus l’être.

MONSIEUR DE LA BRUYÈRE.

Pourquoi cela ?

MADAME DE LA BRUYÈRE.

Mon Dieu, l’on est si récompensé de faire le bien ; on goûte une si grande satisfaction, qu’il n’y a pas un grand mérite à s’en occuper.

MONSIEUR DE LA BRUYÈRE.

C’est pousser trop loin le scrupule : lorsque les autres en jouissent, c’est toujours bien fait, n’importe quel en est le principe.

MADAME DE LA BRUYÈRE.

Vous parlez en homme d’État, ainsi chacun de nous fait son métier.

MONSIEUR DE LA BRUYÈRE.

Vous faites bien celui d’une femme qui mérite l’estime et l’amour de son mari.

MADAME DE LA BRUYÈRE.

Comment ne serais-je pas occupée de plaire à l’homme que j’aime et que j’estime le plus ? Notre bonheur commun dépend de nous ; vous pensez assez solidement pour fuir les gens frivoles, légers ou perfides ; comment ne les haïrais-je pas, et comment pourrais-je les craindre ? L’amour ne se trouve pas toujours avec l’estime ; mais quand ils sont réunis, rien ne peut détruire un attachement de cette espèce.

MONSIEUR DE LA BRUYÈRE.

Je suis bien-aise de vous voir cette façon de penser.

MADAME DE LA BRUYÈRE.

Si vous étiez capable de quelques goûts passagers, je vous plaindrais ; parce que les remords ne vous en laisseraient pas jouir tranquillement. On n’est point jaloux de ce qu’on estime véritablement.

MONSIEUR DE LA BRUYÈRE.

Vous me charmez ! Je ne vous ferai point de ces protestations, ridicules souvent ; parce qu’on ne peut pas répondre d’une faiblesse quand on est homme ; mais ces remords dont vous me parlez, m’effrayent si fort, que je me crois au-dessus de danger.

MADAME DE LA BRUYÈRE.

Ayez de la confiance en moi, et nous nous aimerons toujours.

MONSIEUR DE LA BRUYÈRE.

Dites une estime réciproque, une amitié durable nous réunira sans cesse ; le passage de l’amour à l’amitié sera insensible, et l’habitude du bonheur l’établira si vivement en nous, que rien ne pourra le détruire.

MADAME DE LA BRUYÈRE.

Vous me charmez chaque jour de plus en plus, oui...

SCÈNE II. Madame de la Bruyère, Monsieur de la Bruyère, La Comtesse, Le Grand. §

LE GRAND.

Madame la Comtesse de Saint-Léger.

MONSIEUR DE LA BRUYÈRE.

Que veut cette femme ?

MADAME DE LA BRUYÈRE.

Elle aurait été bien surprise, si elle nous avait entendus.

LA COMTESSE.

Madame, je suis désespérée de ne m’être pas trouvée chez moi, lorsque vous m’avez fait l’honneur d’y venir.

MADAME DE LA BRUYÈRE.

Il est vrai, Madame, qu’on ne vous trouve guère.

LA COMTESSE.

1

Oui, je sors beaucoup , pour Monsieur de la Bruyère ; on ne le voit nulle part, et depuis Fontainebleau, je ne l’ai pas rencontré une seule sois.

MONSIEUR DE LA BRUYÈRE.

2

Cependant la semaine dernière à Versailles...

LA COMTESSE.

Eh mon Dieu oui, à propos, je ne sais ce que je dis. Madame, comment vous trouvez-vous de ce temps-là ?

MADAME DE LA BRUYÈRE.

Mais, Madame, assez bien.

LA COMTESSE.

Vous êtes bienheureuse, pour moi il y a des jours où je suis anéantie et si cela dure... À propos, Madame, aimez-vous toujours les tragédies ?

MADAME DE LA BRUYÈRE.

Oui, Madame, et beaucoup.

LA COMTESSE.

3

Vous en allez avoir une nouvelle, à et qu’on m’a dit, qui sera admirable ; j’ai fait louer une loge, parce que je n’en ai pas à ce spectacle-là, je ne le puis souffrir ; je ne vais qu’à l’Opéra et aux Italiens ; mais pour cette pièce-là, je veux absolument la voir : si vous n’aviez pas de loge, et que vous voulussiez...

MADAME DE LA BRUYÈRE.

Ma belle-soeur aura la sienne , Madame ; mais je ne vous en suis pas moins obligée de votre offre.

LA COMTESSE.

C’est qu’on entend parler pendant huit jours d’une pièce nouvelle, et quand on n’est pas au fait, cela ennuie à mourir. Les livres nouveaux par la même raison, me mettent au désespoir ; c’est la même chose.

MADAME DE LA BRUYÈRE.

Quoi, Madame, vous n’aimez pas la lecture ?

LA COMTESSE.

Pardonnez moi, assez, quand je travaille surtout, cela me distrait ; mais autrement cela fait perdre trop de temps : j’ai toujours du monde , je sors beaucoup et on ne peut pas suffire à tout ce que l’on a à faire. D’un autre côté mes voyages de Versailles...

MONSIEUR DE LA BRUYÈRE.

Mais là, Madame, n’auriez-vous pas le temps de lire pendant vos semaines ?

LA COMTESSE.

Non vraiment , j’écris que c’est affreux ! Et puis j’ai commencé un ouvrage charmant, je ne saurais le quitter ; j’ai déjà fini un fauteuil... Madame , il faut que je vous dise comment il est.

MADAME DE LA BRUYÈRE.

Voyons, Madame, parce que je veux faire un meuble.

LA COMTESSE.

Oh, il faut que vous fassiez le mien. Imaginez , Madame, un fond... Je ne peux pas vous bien dire... Ce n’est pas jaune, ce n’est pas blanc ; c’est soufre pâle, ou paille ; ou c’est paille : un ruban couleur de noisette et bleu, qui entoure un faisceau de roses, qui fait la bordure ; le milieu, des pavots et des lys, avec des grenades et des instruments de musique.

MADAME DE LA BRUYÈRE.

Cela doit être superbe !

LA COMTESSE.

Vous imaginez bien ?

MONSIEUR DE LA BRUYÈRE.

Et vous vous assoirez sur des instruments de musique ?

LA COMTESSE.

Oui vraiment. Mais à propos, vous avez raison, cela est absurde ! Allons me voilà dégoûtée de mon meuble, je ne l’achèverai pas. Ah ça, je m’en vais voir Madame votre soeur.

MADAME DE LA BRUYÈRE.

Eh bien, passez par ici.

LA COMTESSE.

Voulez-vous bien, Madame ?

MADAME DE LA BRUYÈRE.

Sans doute, c’est plus court.

LA COMTESSE.

Ah, mon Dieu ! J’oubliais, j’ai une affaire à vous, Monsieur de la Bruyère ; c’est, même ce qui m’a fait sortir de bonne heure ; parce que plus tard je craignais de ne pas vous trouver.

MONSIEUR DE LA BRUYÈRE.

Voulez-vous bien me dire ce que c’est ?

LA COMTESSE.

C’est une persécution ; mais vous n’en ferez que ce que vous voudrez.

MONSIEUR DE LA BRUYÈRE.

Pourquoi ? Si cela vous intéresse, je serai charmé...

LA COMTESSE.

Vraiment cela m’intéresse beaucoup ; c’est-à-dire comme cela ; c’est mon oncle qui me tourmente pour faire placer le fils de son receveur, un joli sujet, il est là dans votre antichambre.

MONSIEUR DE LA BRUYÈRE.

Voulez-vous que je le fasse entrer ?

LA COMTESSE.

Fi donc ! Mon oncle prétend que vous avez des Bureaux ; j’ai son mémoire quelque part, voyons dans mon sac ; bon ! Je l’ai laissé chez moi. Enfin je lui dirai que je vous en ai parlé ; m’en voilà quitte.

MONSIEUR DE LA BRUYÈRE.

Mais si je pouvais...

LA COMTESSE.

Non, je ne veux pas vous tourmenter davantage là-dessus. Madame, vous voulez donc bien que je passe par là ?

MADAME DE LA BRUYÈRE.

Pour cela sûrement.

LA COMTESSE.

Je reviendrai par ici, ainsi je vous verrai en sortant.

MADAME DE LA BRUYÈRE.

Je l’espère bien.

LA COMTESSE.

Où voulez-vous donc aller, Monsieur de la Bruyère ? Ah ça, je dirai à mon oncle que cela ne se peut pas ; me voilà débarrassée. Restez donc là, je vous prie.

MONSIEUR DE LA BRUYÈRE.

Puisque vous le voulez...

LA COMTESSE.

Sans doute, sans doute.

SCÈNE III. Monsieur de la Buyère, Madame de la Bruyère. §

MADAME DE LA BRUYÈRE.

Voilà un homme bien recommandé.

MONSIEUR DE LA BRUYÈRE.

Comment voulez-vous que cela soit autrement, avec une femme comme celle-là ?

MADAME DE LA BRUYÈRE.

C’est inconcevable tout ce qu’elle dit. Mais cet homme-là, la croit fort occupée de son affaire.

MONSIEUR DE LA BRUYÈRE.

Sûrement.

MADAME DE LA BRUYÈRE.

Tenez, cela me fait de la peine ; c’est peut-être quelque malheureux qui n’a aucune ressource.

MONSIEUR DE LA BRUYÈRE.

Cela ne serait pas étonnant, il y a tant de gens qui meurent de faim.

MADAME DE LA BRUYÈRE.

Monsieur, si vous pouviez faire quelque chose pour lui.

MONSIEUR DE LA BRUYÈRE.

Mais je ne le connais pas.

MADAME DE LA BRUYÈRE.

C’est peut-être réellement un bon sujet, voyez-le.

MONSIEUR DE LA BRUYÈRE.

Il peut être bon sujet ; mais il faut qu’il sache travailler,

MADAME DE LA BRUYÈRE.

Avez-vous une place à donner ?

MONSIEUR DE LA BRUYÈRE.

Oui, j’en ai une.

MADAME DE LA BRUYÈRE.

Eh bien, parlez-lui, vous jugerez facilement de quoi il est capable. S’il n’avait pas compté sur Madame de Saint-Léger, il aurait trouvé quelqu’un qui l’aurait mieux protégé, ne m’ôtez pas cette satisfaction.

MONSIEUR DE LA BRUYÈRE.

Ah, mon Dieu, de tout mon coeur.

MADAME DE LA BRUYÈRE.

Je voudrais que vous puissiez faire quelque chose pour lui ; quand ce ne serait que pour faire sentir à la Comtesse, que quand on ne fait pas mieux les affaires dont on se charge, on ne devrait pas s’en mêler ; et qu’on y fait plus de tort que de bien.

MONSIEUR DE LA BRUYÈRE.

Je m’en vais le faire entrer.

Il sonne.

SCÈNE IV. Madame de la Bruyère, Monsieur de la Bruyère, Le Grand. §

MONSIEUR DE LA BRUYÈRE.

N’y a-t-il pas quelqu’un là-dedans qui attend Madame de Saint-Léger ?

LE GRAND.

Oui, Monsieur.

MONSIEUR DE LA BRUYÈRE.

Faites-le entrer.

LE GRAND.

Monsieur, donnez-vous la peine d’entrer.

SCÈNE V. Madame de la Bruyère, Monsieur de la Bruyère, Monsieur Dumont. §

MONSIEUR DE LA BRUYÈRE.

C’est de vous, Monsieur, que Madame de Saint-Léger m’a parlé ?

MONSIEUR DUMONT.

Oui, Monsieur.

MADAME DE LA BRUYÈRE, à Monsieur de la Bruyère.

Il a l’air d’un honnête homme.

MONSIEUR DE LA BRUYÈRE.

Oui. Mais, Monsieur, qu’est-ce que vous voudriez avoir ?

MONSIEUR DUMONT.

Est-ce que Madame la Comtesse de Saint-Léger, Monsieur, ne vous a pas donné mon mémoire ?

MONSIEUR DE LA BRUYÈRE.

Non vraiment, elle l’avait oublié.

MADAME DE LA BRUYÈRE.

Si vous en avez un , Monsieur, donnez-le, ou dites vous-même votre affaire.

MONSIEUR DUMONT.

Si Monsieur veut se donner la peine de lire, voilà la copie du mémoire que j’avais fait.

MONSIEUR DE LA BRUYÈRE.

Voyons.

Il lit.

Quoi, c’est vous qui travaillez dans les domaines ?

MONSIEUR DUMONT.

Oui, Monsieur.

MONSIEUR DE LA BRUYÈRE.

On vous avait desservi ?

MONSIEUR DUMONT.

Monsieur....

MADAME DE LA BRUYÈRE.

Dites naturellement ; il est tout simple de se plaindre ; c’est une consolation qu’on ne doit pas se refuser.

MONSIEUR DUMONT.

Si on le pouvait, sans faire tort à ceux dont on a à se plaindre, je crois que cela pourrait être permis.

MADAME DE LA BRUYÈRE.

Voilà une façon de penser très honnête.

MONSIEUR DE LA BRUYÈRE.

Tenez, Monsieur Dumont, vous aviez une si bonne réputation, que je vous ai fait chercher partout ; je vous ai demandé à Monsieur de la Bonde, il m’a dit qu’il ne savait ce que vous étiez devenu.

MONSIEUR DUMONT.

Je le crois bien, Monsieur ; c’est lui qui m’a perdu.

MADAME DE LA BRUYÈRE.

Et comment cela ?

MONSIEUR DUMONT.

J’avais eu se bonheur de plaire à Monsieur de Rondière chez qui se tient le Bureau...

MONSIEUR DE LA BRUYÈRE.

Il m’a beaucoup parlé de vous, Monsieur de Rondière, c’était ce qui m’avait donné envie de vous avoir.

MADAME DE LA BRUYÈRE.

Laissez-le donc achever, Monsieur.

MONSIEUR DUMONT.

Eh bien, Monsieur de la Bonde a profité de trois jours, que je n’ai pas pu quitter ma mère, qui était à toute extrémité, pour me faire ôter mon emploi.

MADAME DE LA BRUYÈRE.

C’est affreux ! Et est- elle un peu à son aise, Madame votre mère ?

MONSIEUR DUMONT.

Ah, Madame ; c’est là ce qui cause mon désespoir ! Avec mon emploi je l’aidais à vivre, et je comptais en augmentant d’appointements pouvoir mieux la soulager encore, et l’on m’a ôté toutes mes ressources !

MADAME DE LA BRUYÈRE, à Monsieur de la Bruyère.

Monsieur, est-ce que cela ne vous touche pas ?

À Monsieur Dumont.

Et est-elle guérie du moins ?

MONSIEUR DUMONT.

Non, Madame : de cette maladie elle est devenue aveugle, et mon malheur l’a accablée de chagrin. Je vous demande bien pardon de vous exposer tout cela ; mais je ne l’aurais jamais fait, si votre bonté ne m’avait rassuré, sans m’humilier.

MADAME DE LA BRUYÈRE.

J’aime beaucoup votre façon, de sentir, et de penser, Monsieur Dumont.

MONSIEUR DE LA BRUYÈRE.

Et moi aussi, et je vais vous le prouver.

MADAME DE LA BRUYÈRE, à Monsieur de la Bruyère.

Ah, Monsieur, que je vous en aurai d’obligation !

MONSIEUR DE LA BRUYÈRE.

Vous êtes folle. Je suis trop heureux de pouvoir avoir Monsieur Dumont, s’il le veut bien.

MONSIEUR DUMONT.

Monsieur, je suis pénétré de reconnaissance...

MADAME DE LA BRUYÈRE.

Vous lui donnez donc la place que vous avez ?

MONSIEUR DE LA BRUYÈRE.

Non.

MADAME DE LA BRUYÈRE.

Ah, pourquoi ?

MONSIEUR DE LA BRUYÈRE.

Parce qu’elle n’est pas assez bonne ; mais comme mon Secrétaire est vieux et qu’il a besoin de se reposer, voilà la place que je lui offre : il me faut quelqu’un de confiance, et je crois que je ne peux pas mieux choisir.

MADAME DE LA BRUYÈRE.

Ah, Monsieur, vous me faites un plaisir !...

MONSIEUR DE LA BRUYÈRE.

Et je pense même, que pour qu’il puisse continuer de rendre à sa mère tous ses soins, sans se détourner, nous pourrions lui donner ici un logement.

MADAME DE LA BRUYÈRE.

Assurément, j’allais vous le proposer, vous m’avez prévenue.

MONSIEUR DE LA BRUYÈRE.

Je suis charmé que nous ayons eu la même idée.

MADAME DE LA BRUYÈRE à Monsieur Dumont qui s’appuye sur une chaise.

Monsieur Dumont, qu’avez-vous ?

MONSIEUR DUMONT.

Madame, je suis si saisi d’étonnement, d’admiration, que tout mon regret est de ne pouvoir pas vous témoigner ma reconnaissance, comme je le désire...

SCÈNE VI. Madame de la Bruyère, Monsieur de la Bruyère, La Comtesse, Monsieur Dumont. §

MONSIEUR DUMONT, allant à la Comtesse.

Ah, Madame la Comtesse !...

LA COMTESSE sèchement à Monsieur Dumont.

Eh bien, pourquoi donc êtes-vous entré ici ?

MONSIEUR DUMONT.

Ah, Madame !... Je ne puis pas parler ....

LA COMTESSE.

Mais, Monsieur, ce n’est pas ma faute si vous n’avez pas réussi, vous demandez une chose impossible, Monsieur de la Bruyère doit vous l’avoir dit, je lui ai donné votre mémoire.

MONSIEUR DUMONT, étonné.

Mais...

LA COMTESSE.

Je vous dis que j’ai fait l’impossible : vous direz à mon oncle, que ce n’est pas ma faute.

MONSIEUR DUMONT.

Je n’y comprends rien : quoi, ce n’est pas à vous, Madame, que je dois le bonheur qui m’arrive ?

LA COMTESSE.

Quel bonheur donc ? Je crains que la tête ne lui ai tourné, il faut le renvoyer. Allons, en voilà assez.

MADAME DE LA BRUYÈRE.

Non, Madame, la tête ne lui a pas tourné ; mais il faut vous avouer ce qui est arrivé.

LA COMTESSE.

Quoi, réellement lui auriez-vous donné l’emploi que je demandais pour lui ? J’en serais charmé; c’est un très honnête garçon à qui je m’intéresse vivement et vous ne sauriez me faire un plus grand plaisir.

MADAME DE LA BRUYÈRE.

La manière dont vous vous y intéressez, Madame, m’a fait faire quelques réflexions et c’est moi qui ai engagé Monsieur de la Bruyère à le voir.

LA COMTESSE.

Madame , je vous en fais tous mes remerciements.

MADAME DE LA BRUYÈRE.

Madame, vous ne nous en devez aucun ; et c’est son mérite qui a déterminé Monsieur de la Bruyère en sa faveur.

LA COMTESSE, à Monsieur de la Bruyère.

Si je n’avais pas su ce qu’il valait, je ne vous en aurais pas parlé non plus. Mon Oncle viendra sûrement vous remercier. À propos, Monsieur de la Bruyère, j’ai à vous solliciter pour moi-même.

MONSIEUR DE LA BRUYÈRE.

Si vous sollicitez aussi bien que pour les autres, vous devez être sûr de réussir.

LA COMTESSE.

Vous plaisantez toujours : mais je vous en prie, écoutez moi. J’ai un échange à proposer au Roi, d’une partie de terre qui pourrait lui convenir en me cédant une autre portion de domaines, qui m’agrandirait et rendrait ma terre bien plus agréable. Me ferez-vous ce plaisir-là ?

MONSIEUR DE LA BRUYÈRE.

C’est une chose à examiner.

LA COMTESSE.

Eh bien, je vous apporterai tous mes papiers un de ces jours.

MONSIEUR DE LA BRUYÈRE.

Ne vous donnez pas cette peine-là. Envoyez-les à Monsieur Dumont ; c’est lui qui a cette partie-là actuellement et si ce que vous demandez est juste, je ne doute pas qu’il ne fasse valoir vos intérêts.

LA COMTESSE.

Monsieur Dumont ? Je ne le connais pas.

MADAME DE LA BRUYÈRE.

Il est pourtant devant vous, Madame ; mon mari le prend pour Secrétaire.

LA COMTESSE surprise.

Quoi, Monsieur ? Ah ! Mais ; j’en suis ravie ! Monsieur Dumont, je vous recommande mon affaire au moins ; j’espère qu’à la considération de mon oncle, vous voudrez bien la rapporter favorablement.

MONSIEUR DUMONT.

Madame, je serai trop heureux de pouvoir vous prouver combien je suis reconnaissant de toutes vos bontés.

LA COMTESSE.

Ne parlons pas de cela. Madame, vous ne vous ne voulez donc pas de ma loge pour la pièce nouvelle ?

MADAME DE LA BRUYÈRE.

Madame, sans mes engagements, j’en profiterais avec grand plaisir.

LA COMTESSE.

Je m’enfuis, j’ai tout plein de visites à faire ; je suis charmée d’avoir eu l’honneur de vous trouver. Où allez-vous donc ? Je vous en prie.

MADAME DE LA BRUYÈRE.

Puisque vous me le défendez absolument...

LA COMTESSE.

Vous vous moquez de moi. Allons, Monsieur de la Bruyère, n’allez-vous pas encore vouloir me conduire aussi ?

MONSIEUR DE LA BRUYÈRE.

Mais...

LA COMTESSE.

Non, je veux que vous restiez. Monsieur Dumont, je me recommande à vous. J’espère que vous viendrez nous voir ?

MONSIEUR DUMONT.

Madame , j’aurai l’honneur de vous aller remercier.

SCÈNE VII. Madame de la Bruyère, Monsieur de la Bruyère, Monsieur Dumont. §

MONSIEUR DE LA BRUYÈRE.

Vous étiez là en bonnes mains, Monsieur Dumont.

MONSIEUR DUMONT.

Quoi, Monsieur, est-ce que Madame la Comtesse ne vous avait pas parlé en ma faveur ?

MADAME DE LA BRUYÈRE.

Ah, d’une jolie manière ! Elle vous avait bien recommandé.

MONSIEUR DUMONT.

Je sens bien plus les obligations...

MONSIEUR DE LA BRUYÈRE.

Vous n’en avez qu’à votre mérite. Ne parlons plus de cela. Demain matin, je vous verrai ?

MONSIEUR DUMONT.

Oui, Monsieur, j’aurai cet honneur là. Mais j’ai un scrupule, je crains d’ôter une place à quelqu’un qui vaut sûrement mieux que moi.

MONSIEUR DE LA BRUYÈRE.

Tranquillisez-vous, ce quelqu’un ne sera pas à plaindre, il vous connaît de réputation, et il sera sûrement votre ami.

MADAME DE LA BRUYÈRE.

Nous vous montrerons aussi demain l’établissement de Madame votre mère.

MONSIEUR DUMONT.

Je ne sais si je veille, tant je suis étonné de tout ce qui m’arrive ; mais je suis bien sûr du plaisir que je vais faire à ma mère et de tous les efforts que je ferai pour mériter toute ma vie au tant de bontés.

Il se retire.

SCÈNE VIII. Madame de la Bruyère, Monsieur de la Bruyère. §

MADAME DE LA BRUYÈRE.

Je me suis un peu réjouie de l’embarras de la Comtesse.

MONSIEUR DE LA BRUYÈRE.

Je n’ai pas pû m’empêcher de la renvoyer pour son affaire à Monsieur Dumont.

MADAME DE LA BRUYÈRE.

Oui, dont elle ne savait seulement pas le nom.

MONSIEUR DE LA BRUYÈRE.

Cela m’a diverti, je l’avoue.

MADAME DE LA BRUYÈRE.

Ce qu’il y a de sûr, c’est que voilà une bien bonne journée pour moi.

MONSIEUR DE LA BRUYÈRE.

Je vous réponds que c’est un très bon sujet que cet homme-là.

MADAME DE LA BRUYÈRE.

Je l’aurais juré en le voyant.

MONSIEUR DE LA BRUYÈRE.

Où soupez-vous ce soir ?

MADAME DE LA BRUYÈRE.

Chez ma mère. Y viendrez-vous ?

MONSIEUR DE LA BRUYÈRE.

Un peu tard, et je vous remmènerai.

MADAME DE LA BRUYÈRE.

En ce cas-là, je renverrai mes chevaux. À ce soir, je vais m’habiller. Adieu, Monsieur.

MONSIEUR DE LA BRUYÈRE, en s’en allant.

Vous êtes bien contente.

MADAME DE LA BRUYÈRE.

Oh pour cela oui.