AN VIII.
Par les citoyens CHAZET et GASSICOURT
À PARIS, Chez BARBA, au théâtre Montansier.
PERSONNAGES. ACTEURS. §
- FINOT, valet niais, le citoyen Brunet.
- MADAME COCASSE, madame Barroyer.
- BARBE, sa fille, madame Mengozzi.
- PLAISANTIN, tuteur de Barbe, le citoyen Dubois.
- DOUBLE-SENS, maître maçon, le citoyen Alexandre.
- TAXE, vérificateur des contributions, le citoyen Guibert.
- GRAPIN, notaire, le citoyen Volanges.
SCÈNE PREMIÈRE. §
FINOT.
1 2Ce que c’est que de nous ! Moi, ancien portier de monsieur de Bièvre, valet chez madame Cocasse ! C’est pourtant mon talent pour les calembourgs qui m’a valu ça. Feu monsieur Cocasse les aimait comme une bête ; moi, je lui ai fait aimer encore davantage, de façon que toute la maison en fait à présent, et les plus mauvais sont les plus bons. Eh ben, dans le commencement, monsieur Cocasse ne voulait pourtant pas prendre de valet : mais, comme il allait toutes les semaines passer une quinzaine de jours à la campagne, ceux qui venaient, ne pouvant parler à personne, écrivaient sur la muraille avec du charbon. Quand il a vu que tout le monde lui "faisait des noirceurs" comme ça, il m’a pris à son service. Le pauvre cher homme est mort bien riche, sans avoir marié sa fille qui ne demandait pas mieux : mais ça ne tardera pas, et je crois que c’est aujourd’hui que ça se décide. Pourvu que monsieur Plaisantin, son tuteur, ne la donne pas à ce vilain monsieur Double-Sens qu’elle ne peut pas souffrir ! J’aimerais mieux qu’elle épousît pour mari ce jeune-homme qui demeure en face de chez nous, et pour qui elle "a de la pente". En attendant, arrangeons le déjeuner : des tasses d’un côté, des verres de l’autre. Madame Cocasse veut être devant un plat : eh ben, elle sera en face de monsieur Double-Sens. Monsieur Plaisantin ne boit que de l’eau ; le voilà.
Et puis, le pain et le vin ; car ici on n’aime pas le pain "sans levain". Et puis, mademoiselle Barbe à ste place-ci ; elle m’a bien dit : Finot, mon ami, tâche de mettre mon prétendu de côté : c’est ce que j’ai fait. Mon Dieu ! Mon Dieu ! Que c’est bien arrangé ! Maintenant, faut avertir. La compagnie ! C’est fait.
SCÈNE II. Madame Cocasse, Plaisantin, Double-Sens, Barbe, Finot. §
PLAISANTIN.
Allons, plaçons-nous ; on ne parle jamais mieux d’affaires que lorsqu’on est dans son assiette.
DOUBLE-SENS.
L’avis est aussi bon qu’agréable ; mais pouvons-nous nous repaître d’autre chose que des regards de mademoiselle Barbe ?
FINOT.
Un moment : avant de vous mettre à table, il faut que je vous donne une nouvelle.
PLAISANTIN.
Laquelle ?
FINOT.
Un journal dit que, depuis les bals masqués, on ne reconnaît plus les chiens à Hambourg.
MADAME COCASSE.
Et pourquoi ?
PLAISANTIN.
6Tenez, goûtez de ce jambon, et, si vous le trouvez tendre, vous direz que vous êtes arrivés à "bon port".
DOUBLE-SENS.
7Vous parlez-là comme un "homme de l’art".
Mais on a eu tort de tuer ce porc.
PLAISANTIN.
Pourquoi donc ?
BARBE.
Je voudrais de la bierre.
PLAISANTIN.
10Allons, trêve d’équivoque, Madame Cocasse, "notre Barbe grandit" ; il est temps de la marier, et voilà monsieur Double-Sens qui ne demande pas mieux que d’être votre gendre.
DOUBLE-SENS.
Je l’avoue, depuis longtemps les appas de mademoiselle Barbe ont battu le briquet sur l’amadoue de mon cœur.
BARBE.
Ce que vous me dites-là est très flatteur pour moi ; mais, avant de me décider, je demanderai le temps de réfléchir.
PLAISANTIN.
13 14C’est trop juste ; il ne faut rien brusquer. Feu monsieur Cocasse, votre père, disait souvent : Ma fille sera jolie ; mais ce n’est pas tout d’avoir un "corbeau", un "cordelier" ; il faut avoir un "corsage" ; et, pour plus de sûreté, il faut mettre promptement cette sagesse entre les mains d’un mari.
BARBE.
Un moment : je sais que mon père avait disposé de ma main dans son testament, et je ne puis consentir à aucun mariage, avant de connaitre ses intentions.
PLAISANTIN.
16C’est tout naturel ; mais ce testament ne se trouve pas, et, dans cet embarras, il faut pourtant un "débouché".
DOUBLE-SENS.
Vous y êtes.
PLAISANTIN.
Qu’est-ce à dire ? Une bouteille vide.
FINOT.
17Ça ne se peut pas, puisqu’elle est avec la lettre et le cachet de monsieur Cocasse ; tenez, voyez-vous la "lettre-de-cachet" ?
PLAISANTIN.
Vois plutôt toi-même, imbécile !
FINOT, regardant.
Dam ! Monsieur, je vois ben qu’il y a quelque chose là-dedans ;
C’est un rouleau de papier.
MADAME COCASSE.
Ah ! Mon Dieu ! Est-ce que mon mari a mis son "esprit en bouteille" ?
PLAISANTIN, lisant.
« Ceci est mon testament ». Ah ! Ah ! Ah !
DOUBLE-SENS.
Je reconnais bien là mon ami Cocasse : il avait toujours le petit mot pour rire.
FINOT.
Il faut lire "le nouveau testament".
PLAISANTIN.
J’y consens.
« Pour qu’on ait plus d’agrément à lire mes dernières volontés, je les ai mises en vers ».
PLAISANTIN, lisant.
19 20« Voulant "faire ma barbe"... la plus heureuse femme du monde, je désire qu’elle épouse un homme-de-lettres comme moi, qui ne parle jamais qu’en pointes, qui soit la pure farine des plaisants, et qui puisse donner "leçon" à ses confrères ; et, pour s’assurer s’il a le mérite que je lui desire, je laisse ci-joints trois calembourgs qu’il sera tenu de deviner, avant de signer le contrat par lequel je donne à ma fille trente mille livres... »
PLAISANTIN, reprenant.
22« Trente-mille livres en mariage, à moins que celui qu’elle choisira ne soit un "antidote", et ne laisse l’argent à ma veuve. De plus, j’exige qu’il explique l’inscription qu’on trouvera sur "une pierre, dans ma cave ».
DOUBLE-SENS.
Je suis impatient de me caver, pour voir cette inscription.
PLAISANTIN.
Je suis curieux de voir aussi ce que veut dire le défunt. Descendons à la cave, et ne cherchons pas "en vain". Viens-tu, Barbe ?
BARBE.
Je vous remercie, mon oncle ; en fait d’inscription, je n’y entend, pas grand’chose.
DOUBLE-SENS.
Ah çà ! Mais, comment descendrez-vous à la cave ?
PLAISANTIN.
Eh ! Parbleu ! Par l’escalier.
DOUBLE-SENS.
C’est fort bien, mais l’escalier est parti.
PLAISANTIN.
Comment cela ?
DOUBLE-SENS.
Je viens de le voir "en marches".
FINOT.
Ah ben ! Je suis sûr qu’il sera parti avec les oignons, car je les ai vus en "bottes".
DOUBLE-SENS, à Plaisantin.
23Vous ne me retiendrez pas longtemps, parce qu’il faut que j’aille au faubourg Saint-Germain.
DOUBLE-SENS.
Pourquoi donc ?
FINOT.
Parce qu’il n’y en a plus.
DOUBLE-SENS.
J’y ai passé encore ce matin.
FINOT.
25Je vous dit que j’en suis sûr, puisque je le tiens de quelqu’un qui vient de "la Vallée".
SCÈNE III. §
BARBE, seule.
Je tremble que ce maudit Double-Sens ne remplisse les conditions imposées par le testament de mon père. Si j’étais assez heureuse pour en prévenir Taxe, mon jeune voisin ! Il m’aime ; et, sous prétexte de parler à ma mère de ses contributions, il m’a promis de venir ce matin : il faut absolument qu’il imite le jargon à la mode. Pour l’y déterminer, le meilleur moyen est de ne lui parler moi-même qu’en pointes. Le voici, commençons.
SCÈNE IV. Taxe, Barbe. §
TAXE.
Je bénis le sort qui m’a fourni un prétexte pour venir à vos pieds. Il est donc vrai que mes soins ont su vous toucher. Qu’il est doux quand on s’aime !...
BARBE.
Quand "on sème", on doit "recueillir".
TAXE.
Votre lettre, cette lettre charmante, sera toujours gravée au fond de mon cœur.
BARBE.
De votre cœur ? Mais je m’y croyais "gravée avant la lettre".
TAXE.
Quel accueil ! Quel discours ! Amant plein d’ardeur, j’espérais vous trouver amante.
TAXE.
Quel jeu cruel ! Ne puis-je savoir pourquoi vous me tenez un pareil langage ?
BARBE.
Pour vous décider à l’adopter, c’est celui de votre rival ; c’est le seul qui plaise à ma mère, à mon oncle, et sachez que mon père, par son testament, exige que je donne ma main à celui dont le langage, rempli d’équivoques, sera le plus bizarre.
TAXE.
Ah ! Je suis perdu ! Le langage de la nature est le seul que je sache employer, et je parle toujours d’après mon cœur. Je n’ai jamais connu cet art fatigant de jeux de mots, qui est quelquefois le travers d’un homme d’esprit, mais qui, plus souvent, est l’esprit d’un sot : cet art qui avilit notre langue, dénature les expressions, force le sens ; et, multipliant les énigmes et les calembourgs, ne nous laisse que l’heureuse ressource de ne pas les comprendre.
BARBE.
Enfin, m’aimez-vous ?
TAXE.
En pouvez-vous douter ?
BARBE.
Eh bien ! Abjurez un moment le bon sens et la raison, puisque c’est le seul moyen de m’obtenir. Un bon peintre, mon ami, fait quelquefois des caricatures : voyons, essayez avec moi. Tenez, supposez que je sois ma mère, et que je vous surprenne. « Comment, citoyen ? Vous avez l’audace de parler d’amour à ma fille, avant de vous être adressé à moi » ?
BARBE.
À merveille ! Continuons : « Monsieur, un pareil procédé me donne beaucoup d’humeur ».
BARBE.
« Vous n’aurez jamais mon consentement ».
BARBE.
De mieux en mieux ! Pour le coup, je crois que vous m’aimez ; car vous perdez l’esprit pour moi. Voici ma mère : du courage.
SCÈNE V. Les mêmes, Madame Cocasse. §
MADAME COCASSE.
Que vois-je ? Un homme avec ma fille !
TAXE.
N’est-ce point Madame Cocasse que j’ai l’honneur de saluer ?
MADAME COCASSE, avec aigreur.
Oui, citoyen.
TAXE, à Barbe.
On ne m’a point trompé, Madame, en me disant que je trouverais ici un beau port de mère.
MADAME COCASSE.
30Il est jovial : monsieur est sans doute fourbisseur, puisqu’il sait faire des "pointes".
TAXE.
Non, madame ; je suis contrôleur des contributions.
MADAME COCASSE.
Directes ?
TAXE.
Et indirectes.
BARBE.
Monsieur n’en impose pas.
TAXE.
31Au contraire, je suis chargé des réclamations ; et, quoique mes fonctions soient bien multipliées, je ne manque pas de "mémoire" : voici le vôtre.
MADAME COCASSE.
Vous l’avez sans doute trouvé juste ?
TAXE.
Oui, Madame, c’était une faute dans la "distribution des rôles".
MADAME COCASSE.
Des rôles ? Vous savez, je le vois, remplir le vôtre, et réparer les erreurs.
TAXE.
Rien de plus facile ; mais j’ai besoin des papiers dont vous voyez la note.
MADAME COCASSE.
Je vais vous les remettre ; mais souffrez auparavant que je vous remercie et vous félicite de votre enjouement : ordinairement, les gens de votre état sont tristes.
SCÈNE VI. Les mêmes, Finot. §
FINOT.
Madame, sans vous interrompre, si vous vouliez cesser votre conversation pour m’écouter, je vous rendrais compte de ma commission.
MADAME COCASSE.
Voyons, qu’y a-t-il ?
FINOT.
Je sors de ce notaire où ce que vous m’avez envoyé ; mais c’est fini, je n’y retourne plus.
MADAME COCASSE.
Comment cela ?
FINOT.
33Sûrement ; c’est qu’ils sont malhonnêtes comme tout dans cette maison-là. Je vois de l’écriture sur la loge du portier : je me mets à épeler : p, a, r, par, l, é, s, lés, parlez ; v’là cet autre qui m’interrompt brusquement : allez à l’étude, mon ami, qu’il me dit, "allez à l’étude". C’est-il un opprobre, ça, pour un homme comme moi, qu’a balayé deux ou trois colléges, et qu’a même eu un prix...
MADAME COCASSE.
Tu as eu un prix, toi ?
FINOT.
Oui, madame.
MADAME COCASSE.
Où donc ?
FINOT.
34Pardi ! Où on les distribue, dans la "salle aux prix". Enfin, v’là qu’on me conduit dans une classe où il y a des écoliers qui griffonnent. Je demande monsieur Grapin : on me dit qu’il va venir chez madame, tout-à-l’heure ; mais je ne conseille pas à madame de se servir de cet homme-là.
BARBE.
Pourquoi ?
FINOT.
C’est que ce n’est pas un notaire, c’est un auteur.
MADAME COCASSE.
Un auteur.
MADAME COCASSE.
L’imbécile !
Monsieur, je vais chercher mes papiers.
Viens, ma fille.
BARBE, à Taxe.
Ne vous impatientez pas.
MADAME COCASSE.
Je reviens dans l’instant.
MADAME COCASSE, à part.
Il est vraiment aimable.
Bien fâchée de vous laisser seul.
FINOT.
Oh ! Monsieur ne s’ennuiera pas ; je vas lui tenir compagnie.
TAXE.
37C’est bien désagréable que, pour avoir ses papiers en règle, il faille toujours être "par chemin".
SCÈNE VII. Finot, Taxe. §
FINOT, à part.
J’ai vu sûrement cette figure-là sur un visage de ma connaissance.
TAXE.
Mais je crois que c’est Finot, mon ancien commissionnaire.
FINOT.
38Ne me parlez pas de ce temps-là, Monsieur ; toujours au coin de la rue, j’étais un homme "borné" ; c’est bien autre chose à-présent.
TAXE.
Tu es donc mieux ?
FINOT.
Pardine ! Je le crois ; Monsieur Cocasse m’a fait beaucoup de cadeaux.
Tenez, voilà une montre qu’il m’a donnée.
TAXE.
Elle est fort jolie ; mais comment s’est-il défait d’un pareil bijou ?
FINOT.
39 40Oh ! Quand il me l’a donné, il n’en avait plus besoin, parce qu’il partait pour Évreux ; et comme il allait se trouver là dans le département de "l’Eure"...
TAXE.
Oui, oui ; mais comment fais-tu pour être si propre ?
TAXE.
Comment cela ?
TAXE.
N’as-tu pas demeuré chez un botaniste ?
FINOT.
Oui, monsieur, et j’en suis sorti, parce que je n’y faisais pas de progrès.
TAXE.
Comment cela ?
FINOT.
Pendant six mois j’ai toujours resté sur la même plante.
TAXE.
Laquelle donc ?
FINOT.
Sur la "plante des pieds".
TAXE.
Tu devines sans doute ce qui m’a conduit ici ?
FINOT.
Parguène ! C’est le fiacre qu’est là-bas.
TAXE.
Tiens, voilà de quoi boire à ma santé.
TAXE.
Allons au fait. Je suis venu pour expliquer l’inscription d’une certaine pierre que feu ton maître avait trouvée et déposée dans sa cave.
FINOT.
Qn’appelez-vous une pierre ? Il y a bien cinq morceaux qui font tout juste le patron de monsieur Cocasse.
TAXE.
Comment, le patron ?
FINOT.
Oui ; Saint-Pierre.
TAXE.
Mais, enfin, où l’a-t-on trouvée ?
FINOT.
Ah ! C’est une fière "histoire ancienne" : D’abord, c’est un jeudi que je l’ai descendue à la cave.
TAXE.
Tâche de ne pas commencer par la fin.
FINOT.
Savez-vous ce qu’on commence par la "faim" ?
TAXE.
Ma foi, non.
FINOT.
C’est un bon repas.
TAXE.
C’est juste. Revenons à mon affaire.
TAXE.
Oui.
FINOT.
45Belleville, où ce qu’il y a des moulins ? Mais je ne veux pas vous parler des moulins avant, j’en parlerai après.
TAXE.
Oui.
FINOT.
Clignancourt ?
TAXE.
Oui.
FINOT.
Clichy ?
TAXE.
Oui, oui.
FINOT.
Eh ben ! Ce n’est pas là.
TAXE.
Mais, finiras-tu ?
FINOT.
46Vous y êtes. Figurez-vous donc qu’au bas de Montmartre, il y avait un petit sentier qu’allait tout droit, en tournant, jusqu’aux trois moulins et aux fours des plâtriers.
TAXE.
Eh bien ! Achèveras-tu ?
FINOT.
C’est par-là que les jeunes ânes, Monsieur, entraient dans la carrière, et c’est au bas de ce petit sentier que nous avons trouvé la pierre.
TAXE, à part.
Bon ! Je profiterai de ce renseignement.
FINOT.
À propos de sentier, faut que vous sachiez que vous avez un rival.
TAXE.
Un rival ?
FINOT.
Oui, le citoyen Double-Sens, maître maçon, celui à qui appartient les planches que vous voyez contre la maison qui fait le coin.
TAXE.
Qu’importe ?
FINOT.
47Ne vous y fiez pas ; il pourrait bien vous faire des "niches" ; et, sans vous faire des compliments, une bête et lui c’est deux. Quoique ça, je l’ai embarrassé un jour, en lui demandant qu’elle était la plaine la plus élevée, et peut-être bien que ça vous embarrasse aussi.
TAXE.
J’avoue que je ne sais ce que c’est.
FINOT.
Eh bien, c’est la pleine lune.
TAXE.
Dis-moi : est-il bien reçu dans la maison ?
FINOT.
48Certainement, puisque c’est lui qui l’a bâtie ; et je dis : il n’y fait pas froid, puisqu’il l’a bâtie à "chaux".
TAXE.
Eh ! Quelle espèce d’homme est-ce ?
FINOT.
Oh ! Ben jovial. Quand il fait couvrir un bâtiment, il prend toujours les couvreurs les plus gais.
TAXE.
Pourquoi cela ?
FINOT.
49Pour que la joie soit au "comble", et voilà pourquoi il est maintenant dans la cave à chercher cette inscription dont je vous parlais tout-à-l’heure.
TAXE.
Voici quelqu’un.
FINOT.
C’est le notaire.
SCÈNE VIII. Les précédents, Grapin. §
GRAPIN, bégayant.
On m’a dit, monsieur, que je vous trouverais ici.
Et je suis venu en droite ligne.
TAXE.
Non, monsieur, vous êtes venu en "toussant".
GRAPIN, tirant un papier de sa poche.
50Je ne vous demande qu’un quart-d’heure pour lire la "minute".
TAXE.
Vous comptez mal, monsieur ; si je vous écoute un quart-d’heure, vous me lirez "quinze minutes et non pas une".
GRAPIN.
Vous avez, je le sais, beaucoup d’esprit à plaisanter ; mais un contrat sérieux comme celui-ci...
GRAPIN.
Il me semble qu’un mariage est une affaire...
TAXE.
D’état, et souvent une affaire d’honneur.
GRAPIN.
On m’avait bien prévenu que monsieur Double-Sens aimait à rire ; mais je croyais qu’avec un homme de mon caractère, il voudrait bien se contraindre, et parler sérieusement.
TAXE, à part.
Bon ! Il me prend pour mon rival.
Eh bien ! Monsieur, j’écoute.
GRAPIN, mettant ses lunettes.
Par-devant etc.
Marc-Roch-Luc Grapin, furent présents Jérôme Double-Sens d’une part, et Barbe Cocasse, fille mineure, de l’autre, lesquels, etc. Ladite future apporte une maison...
FINOT.
Elle ne sera jamais assez forte pour cela.
GRAPIN.
Si vous m’interrompez toujours, comment voulez-vous entendre ?
TAXE.
Allons, je serai, comme vous, tout oreilles.
GRAPIN.
Voici une clause essentielle : ladite Barbe, en cas de mort, aura...
FINOT.
Comment, de "mort aux rats" ?
GRAPIN.
Mais attendez donc... Aura pour héritier direct et légitime, le survivant conjoint.
TAXE.
Ah ! Bon !
GRAPIN.
Article vingt.
TAXE.
Mais je croyais que c’était fait ; vous en étiez à "l’article de la mort".
GRAPIN.
Ah ! Je perds patience ; vous mariera qui voudra. Je plains votre femme, si vous lui faites toujours des pointes.
TAXE.
J’espère cependant qu’elle aimera le système des pieuses.
TAXE.
Eh bien ! C’est le cas de prendre la porte.
GRAPIN.
Je la prends.
Vous mériteriez que je me vengeasse par d’aussi mauvais calembours que les vôtres. Voyons quelle est la ville où l’on mange le poisson le plus délicat ?
FINOT.
C’est un port de mer.
GRAPIN.
Un port de mer ! C’est Jérusalem.
TAXE.
Comment ?
GRAPIN.
54Parce que les murailles sont "détruites". Il est authentique celui-là ; il est passé par-devant notaire.
SCÈNE IX. §
TAXE, seul.
Me voilà sûr d’avoir gagné du temps ; voyons quelle sera l’issue de tout ceci.
SCÈNE X. Taxe, Plaisantin. §
PLAISANTIN, entrant.
Ma foi, notre ami Double-Sens est bien près de deviner l’inscription. Mais je croyais madame Cocasse ici. Ah ! Voici le notaire.
Citoyen notaire, soyez le bienvenu.
TAXE, à part.
La bonne méprise !
PLAISANTIN.
Nous allons le marier.
Ma foi, j’ai eu quelque inquiétude.
TAXE.
Quoi donc ?
PLAISANTIN.
Vous me promettez le secret.
TAXE.
Vous ne me connaissez pas.
PLAISANTIN.
Il y a de par le monde un certain Taxe, un jeune homme assez mauvais sujet, dit-on.
TAXE.
Vous le connaissez donc ?
PLAISANTIN.
De réputation ; il demeure ici vis-à-vis, et j’ai su qu’il avait des vues sur ma nièce.
TAXE.
Comment des vues ! Est-ce que ses fenêtres donnent sur cet appartement ?
PLAISANTIN.
Heureusement qu’il n’a point été averti des conditions du testament ; car il se fût présenté pour deviner l’inscription, et il eût fallu l’admettre. Mais vous êtes sans doute pressé de les marier, et je ne veux pas retarder le bonheur de ma nièce.
Finot ? Finot ?
SCÈNE XI. Les mêmes, Finot. §
PLAISANTIN, à Finot.
Préviens Double-Sens que Monsieur l’attend, et monte ici la pierre.
FINOT.
Comment, monte la pierre ? Vous me prenez donc pour une grue.
PLAISANTIN.
Va donc, imbécile !
SCÈNE XII. Barbe, Madame Cocasse, Plaisantin, Taxe. §
MADAME COCASSE.
Citoyen, voilà mes papiers ; je remets mon sort entre vos mains, et voilà ce dont il s’agit.
Expose très-humblement, Gertrude-Félicité Cunégonde, veuve en quatrième noce de Pancrasse-Jérôme Cocasse, qu’ayant été imposée par double emploi au rôle des contributions...
PLAISANTIN.
Comment ! Mais ce n’est pas-là le style d’un contrat de mariage.
MADAME COCASSE.
Et qui vous parle de contrat de mariage ? Il s’agit d’un dégrèvement de contribution que monsieur s’est chargé de me faire obtenir.
PLAISANTIN.
Comment ! J’ai cru que le citoyen était notaire.
MADAME COCASSE.
Point du tout ; le citoyen est vérificateur des impositions, en attendant qu’il soit receveur. Je vous le donne pour homme d’esprit.
PLAISANTIN.
Cela étant, je l’invite à assister à notre séance.
TAXE.
Vous ne pourriez me faire un plus grand plaisir.
SCÈNE XIII ET DERNIÈRE. Tous les acteurs. §
PLAISANTIN.
Asseyons-nous et procédons, car c’est plutôt une "pierre d’attente".
MADAME COCASSE.
Pour faire d’une "pierre deux coups", voyons d’abord les calembours.
PLAISANTIN, tirant un papier de sa poche, et lisant.
Un. Qu’est-ce qui a fait le plus de tort aux marchands de tabac ?
DOUBLE-SENS.
Ce sont les impôts ?
PLAISANTIN.
C’est cela. Deux. Quel est l’animal à quatre pattes, le plus âgé ?
DOUBLE-SENS.
Ne serait-ce pas la cigale ?
TAXE.
Non, non. C’est le mouton.
PLAISANTIN.
Comment cela ?
PLAISANTIN.
C’est juste. Trois. Quelle est la saison que les journalistes redoutent le plus ?
DOUBLE-SENS.
Parbleu ! C’est la saison des orages.
TAXE.
Vous n’y êtes pas ; c’est l’automne.
PLAISANTIN.
Pourquoi ?
TAXE.
À cause de la chute des feuilles.
FINOT.
58Écoutez, que je vous en propose quelqu’un aussi, moi. Savez-vous pourquoi les Juifs aiment beaucoup le nouveau calendrier ?
DOUBLE-SENS.
Non.
PLAISANTIN.
C’est vrai.
FINOT.
Que je vous donne une nouvelle : depuis les enrôlements volontaires, tous les huissiers se sont présentés pour se faire enrôler, mais on les a refusés.
PLAISANTIN.
Eh ! Pourquoi les a-t-on refusés ?
PLAISANTIN.
Allons, allons ; voyons la pierre.
DOUBLE-SENS, examinant les caractères.
Diable !... J’en approche... Mais non...
PLAISANTIN.
Eh bien ?
FINOT.
C’est la pierre infernale.
BARBE.
En quelle langue est l’inscription ?
MADAME COCASSE.
C’est du grec, je pense.
DOUBLE-SENS.
Non, c’est du latin.
FINOT.
Eh bien ! Vous y perdrez votre latin.
TAXE.
Pour moi, je crois que c’est du français.
DOUBLE-SENS.
Allons donc... Une inscription en français ! Fi donc ! C’est une épitaphe, et la voici. Non, je n’y suis pas.
PLAISANTIN, à Taxe.
Qu’en dit, monsieur ?
TAXE.
Qu’il ne s’agit que des avoir épeler pour deviner le sens de cette pierre.
DOUBLE-SENS.
Elle sera pour vous une pierre d’achoppement.
TAXE.
Elle a été trouvée à Montmartre, n’est-il pas vrai ?
FINOT.
Ah ! Mon dieu, oui ! Tout en haut de la butte, en descendant.
TAXE.
Eh bien ! En rapprochant les cinq morceaux, vous allez lire couramment l’inscription :
MONTMARTRE EST LE CHEMIN DES ÂNES.
FINOT.
Eh ben ! Il vous a mis sur la voie.
PLAISANTIN.
C’est, ma foi, vrai.
BARBE.
Il a deviné.
TAXE.
Je crois avoir rempli les conditions du testament ; il ne me reste plus qu’a réclamer les droits qu’il me donne.
PLAISANTIN.
Qu’en pensez-vous, madame Cocasse ?
MADAME COCASSE.
C’est juste.
PLAISANTIN.
Alors, je vous unis.
TAXE.
Quel bonheur !
FINOT.
L’époux de mademoiselle Barbe a de l’esprit et du cœur, et je suis bien aise qu’on n’ait pas donné un "plat à Barbe".
VAUDEVILLE. §
PLAISANTIN.
MADAME COCASSE, à Taxe.
BARBE, à Taxe.
TAXE.
FINOT, au Public.