OTHON
TRAGÉDIE

M. DC. LXV. Avec PRIVILÈGE DU ROI.

Pierre Corneille

Extrait du privilège du Roi §

Par grâce et privilège du Roi donné à Paris le dernier octobre 1664 signé par le Roi en son conseil GUITONNEAU, il est permis à Guillaume de Luyne Marchand libraire de faire imprimer une pièce de théâtre, de le composition du sieur Corneille, intitulée Othon ; pendant sept ans, et défenses sont faites à tous autres de l’imprimer, à peine de dix mille livres d’amende confiscation des exemplaires, et tous dépens dommages et intérêts, comme il est plus long porté par les dites lettres.

Registré sur le livre de la Communauté des libraires, le 28 novembre 1664.

Signé E. MARTIN. Syndic.

Et le dit Luyne a fait part pour moitié du présent privilège à Thomas Jolly, et Louis Billaine, devant l’accord fait entre eux.

Les exemplaires ont été fournis.

Achevé d’imprimer le 5 février 1665.
À Paris, Chez GUILLAUME DE LUYNES, Libraire-juré, au Palais de la Salle des Merciers, à la Justice.

AU LECTEUR §

Si mes amis ne me trompent, cette pièce égale ou passe la meilleure des miennes. Quantité de suffrages illustres et solides se sont déclarés pour elle, et si j’ose y mêler le mien, je vous dirai que vous y trouverez quelque justesse dans la conduite, et un peu de bon sens dans le raisonnement. Quand aux vers, on n’en a point vu de moi que j’ai travaillé avec plus de soin. Le sujet est tiré de Tacite, qui commence ses histoires par celle-ci, et je n’en ai encore mis aucune sur le théâtre à qui j’ai gardé plus de fidélité, et prêté plus d’invention. les caractères de ceux que j’y fais parler y sont les mêmes que chez cet incomparable auteur, que j’ai traduit tant qu’il m’a été possible. J’ai tâché de faire paraître les vertus de mon héros en tout leur éclat, sans en dissimuler les vies non plus que lui, et je me suis contenté des les attribuer à une politique de Cour, où quand le souverain se plonge dans les débauches, et que sa faveur n’est qu’à ce prix, il y a presse à qui sera de la partie. J’y ai conservé les événements, et pris la liberté de changer la manière dont ils arrivent, pour en jeter tout le crime sur un méchant homme, qu’on soupçonna dès lors d’avoir donné des ordres secrets pour la mort de Vinius, tant leur inimitié était forte et déclarée. Othon avait promis à ce Consul, d’épouser sa fille s’il le pouvait faire choisir, à Galba son successeur, et comme il se vit Empereur sans son ministère, il se crut dégagé de cette promesse, et ne l’épousa point. Je n’ai pas voulu aller plus loin que l’Histoire, et je puis dire qu’on a point encore vu de pièce, où il se propose tant de mariages pour n’en conclure aucun. Ce sont intrigues de Cabinet qui se détruisent les unes les autres. J’en dirai devantage, quand mes libraires joindrant celle-ci aux recueils qu’ils ont fait de celles de ma façon qui l’ont précédée.

ACTEURS §

  • GALBA, empereur de Rome.
  • VINIUS, consul.
  • OTHON, sénateur romain, amant de Pautine.
  • LACUS, préfet du Prétoire.
  • CAMILLE, nièce de Galba.
  • PLAUTINE, fille de Vinius, amante d’Othon.
  • MARTIAN, affranchi de Galba.
  • ALBIN, ami d’Othon.
  • ALBIANE, soeur d’Albin, et dame d’honneur de Camille.
  • FLAVIE, amie de Plautine.
  • ATTICUS, soldat romain.
  • RUTILE, soldat romain.
La scène est à Rome dans le Palais Impérial.

ACTE I §

SCÈNE I. Othon, Albin. §

ALBIN

Votre amitié, Seigneur, me rendra téméraire,
J’en abuse, et je sais que je vais vous déplaire ;
Que vous condamnerez ma curiosité :
Mais je croirais vous faire une infidélité
5 Si je vous cachais rien de ce que j’entends dire
De votre amour nouveau sous ce nouvel empire.
On s’étonne de voir qu’un homme tel qu’Othon,
Othon, dont les hauts faits soutiennent le grand nom,
Daigne d’un Vinius se réduire à la fille,
10 S’attache à ce consul, qui ravage, qui pille,
Qui peut tout, je l’avoue, auprès de l’empereur,
Mais dont tout le pouvoir ne sert qu’à faire horreur,
Et détruit, d’autant plus que plus on le voit croître,
Ce que l’on doit d’amour aux vertus de son maître.

OTHON

15 Ceux qu’on voit s’étonner de ce nouvel amour
N’ont jamais bien conçu ce que c’est que la cour.
Un homme tel que moi jamais ne s’en détache,
Il n’est point de retraite ou d’ombre qui le cache,
Et si du souverain la faveur n’est pour lui,
20 Il faut, ou qu’il périsse, ou qu’il prenne un appui.
Quand le monarque agit par sa propre conduite,
Mes pareils sans péril se rangent à sa suite,
Le mérite et le sang nous y font discerner ;
Mais quand le potentat se laisse gouverner,
25 Et que de son pouvoir les grands dépositaires
N’ont pour raison d’état que leurs propres affaires,
Ces lâches ennemis de tous les gens de coeur
Cherchent à nous pousser avec toute rigueur,
À moins que notre adroite et prompte servitude
30 Nous dérobe aux fureurs de leur inquiétude.
Sitôt que de Galba le sénat eut fait choix.
Dans mon gouvernement j’en établis les lois,
Et je fus le premier qu’on vit au nouveau prince
Donner toute une armée et toute une province :
35 Ainsi je me comptais de ses premiers suivants.
Mais déjà Vinius avait pris les devants ;
Martian l’affranchi, dont tu vois les pillages
Avait avec Lacus fermé tous les passages ;
On n’approchait de lui que sous leur bon plaisir ;
40 J’eus donc pour m’y produire un des trois à choisir.
Je les voyais tous trois se hâter sous un maître
Qui, chargé d’un long âge, a peu de temps à l’être,
Et tous trois à l’envi s’empresser ardemment
À qui dévorerait ce règne d’un moment.
45 J’eus horreur des appuis qui restaient seuls à prendre,
J’espérai quelque temps de m’en pouvoir défendre :
Mais quand Nymphidius dans Rome assassiné
Fit place au favori qui l’avait condamné,
Que Lacus, par sa mort, fut préfet du prétoire,
50 Que pour couronnement d’une action si noire
Les mêmes assassins furent encor percer
Varron, Turpilian, Capiton, et Macer,
Je vis qu’il était temps de prendre mes mesures,
Qu’on perdait de Néron toutes les créatures,
55 Et que demeuré seul de toute cette cour,
À moins d’un protecteur j’aurais bientôt mon tour.
Je choisis Vinius dans cette défiance,
Pour plus de sûreté j’en cherchai l’alliance,
Les autres n’ont ni soeur ni fille à me donner,
60 Et d’eux sans ce grand noeud tout est à soupçonner.

ALBIN

Vos voeux furent reçus ?

OTHON

Oui, déjà l’hyménée,
Aurait avec Plautine uni ma destinée,
Si ces rivaux d’état n’en savaient divertir
Un maître qui sans eux n’ose rien consentir.

ALBIN

65 Ainsi tout votre amour n’est qu’une politique,
Et le coeur ne sent point ce que la bouche explique ?

OTHON

Il ne le sentit pas, Albin, du premier jour,
Mais cette politique est devenue amour.
Tout m’en plaît, tout m’en charme, et mes premiers scrupules
70 Près d’un si cher objet passent pour ridicules.
Vinius est consul, Vinius est puissant,
Il a de la naissance, et s’il est agissant,
S’il suit des favoris la pente trop commune,
Plautine hait en lui ces soins de sa fortune,
75 Son coeur est noble et grand.

ALBIN

Quoi qu’elle ait de vertu,
Vous devriez dans l’âme être un peu combattu.
La nièce de Galba pour dot aura l’empire,
Et vaut bien que pour elle à ce prix on soupire.
Son oncle doit bientôt lui choisir un époux.
80 Le mérite et le sang font un éclat en vous,
Qui pour y joindre encor celui du diadème…

OTHON

Quand mon coeur se pourrait soustraire à ce que j’aime,
Et que pour moi Camille aurait tant de bonté,
Que je dusse espérer de m’en voir écouté,
85 Si, comme tu le dis, sa main doit faire un maître,
Aucun de nos tyrans n’est encor las de l’être,
Et ce serait tous trois les attirer sur moi,
Qu’aspirer sans leur ordre à recevoir sa foi.
Surtout de Vinius le sensible courage
90 Ferait tout pour me perdre après un tel outrage,
Et se vengerait même à la face des dieux
Si j’avais sur Camille osé tourner les yeux.

ALBIN

Pensez-y toutefois, ma soeur est auprès d’elle,
Je puis vous y servir, l’occasion est belle,
95 Tout autre amant que vous s’en laisserait charmer,
Et je vous dirais plus, si vous osiez l’aimer.

OTHON

Porte à d’autres qu’à moi cette amorce inutile,
Mon coeur tout à Plautine est fermé pour Camille.
La beauté de l’objet, la honte de changer,
100 Le succès incertain, l’infaillible danger,
Tout fait à tes projets d’invincibles obstacles.

ALBIN

Seigneur, en moins de rien il se fait des miracles.
À ces deux grands rivaux peut-être il serait doux
D’ôter à Vinius un gendre tel que vous,
105 Et si l’un par bonheur à Galba vous propose…
Ce n’est pas qu’après tout j’en sache aucune chose,
Je leur suis trop suspect pour s’en ouvrir à moi,
Mais si je vous puis dire enfin ce que j’en crois,
Je vous proposerais, si j’étais en leur place.

OTHON

110 Aucun d’eux ne fera ce que tu veux qu’il fasse,
Et s’ils peuvent jamais trouver quelque douceur
À faire que Galba choisisse un successeur,
Ils voudront par ce choix se mettre en assurance,
Et n’en proposeront que de leur dépendance.
115 Je sais… Mais Vinius que j’aperçois venir…

SCÈNE II. Vinius, Othon. §

VINIUS

Laissez-nous seuls, Albin, je veux l’entretenir.
Je crois que vous m’aimez Seigneur, et que ma fille
Vous fait prendre intérêt en toute la famille.
Il en faut une preuve, et non pas seulement
120 Qui consiste aux devoirs dont s’empresse un amant.
Il la faut plus solide, il la faut d’un grand homme,
D’un coeur digne en effet de commander à Rome,
Il faut ne plus l’aimer.

OTHON

Quoi ! Pour preuve d’amour…

VINIUS

Il faut faire encor plu; Seigneur, en ce grand jour,
125 Il faut aimer ailleurs.

OTHON

Ah ! Que m’osez-vous dire ?

VINIUS

Je sais qu’à son hymen tout votre coeur aspire ;
Mais elle, et vous, et moi, nous allons tous périr,
Et votre change seul nous peut tous secourir.
Vous me devez, Seigneur, peut-être quelque chose,
130 Sans moi, sans mon crédit qu’à leurs desseins j’oppose,
Lacus et Martian vous auraient peu souffert ;
Il faut à votre tour rompre un coup qui me perd,
Et qui si votre coeur ne s’arrache à Plautine,
Vous enveloppera tous deux en ma ruine.

OTHON

135 Dans le plus doux espoir de mes voeux acceptés
M’ordonner que je change ! Et vous-même !

VINIUS

Écoutez,
L’honneur que nous ferait votre illustre hyménée
Des deux que j’ai nommés tient l’âme si gênée,
Que jusqu’ici Galba qu’ils obsèdent tous deux
140 A refusé son ordre à l’effet de nos voeux.
L’obstacle qu’ils y font vous peut montrer sans peine
Quelle est pour vous et moi leur envie et leur haine,
Et qu’aujourd’hui de l’air dont nous nous regardons,
Ils nous perdront bientôt si nous ne les perdons.
145 C’est une vérité qu’on voit trop manifeste,
Et sur ce fondement, Seigneur, je passe au reste.
Galba vieil et cassé, qui se voit sans enfants,
Croit qu’on méprise en lui la faiblesse des ans,
Et qu’on ne peut aimer à servir sous un maître
150 Qui n’aura pas loisir de le bien reconnaître.
Il voit de toutes parts du tumulte excité,
Le soldat en Syrie est presque révolté.
Vitellius avance avec la force unie
Des troupes de la Gaule et de la Germanie,
155 Ce qu’il a de vieux corps le souffre avec ennui,
Tous les prétoriens murmurent contre lui,
De leur Nymphidius l’indigne sacrifice
De qui se l’immola leur demande justice ;
Il le sait, et prétend par un jeune empereur
160 Ramener les esprits, et calmer leur fureur.
Il espère un pouvoir ferme, plein, et tranquille,
S’il nomme pour César un époux de Camille ;
Mais il balance encor sur ce choix d’un époux,
Et je ne puis, Seigneur, m’assurer que sur vous.
165 J’ai donc pour ce grand choix vanté votre courage,
Et Lacus à Pison a donné son suffrage ;
Martian n’a parlé qu’en termes ambigus,
Mais sans doute il ira du côté de Lacus,
Et l’unique remède est de gagner Camille,
170 Si sa voix est pour nous, la leur est inutile,
Nous serons pareil nombre, et dans l’égalité,
Galba pour cette nièce aura de la bonté.
Il a remis exprès à tantôt d’en résoudre,
De nos têtes, sur eux, détournez cette foudre ;
175 Je vous le dis encor, contre ces grands jaloux
Je ne me puis, Seigneur, assurer que sur vous.
De votre premier choix quoi que je doive attendre,
Je vous aime encor mieux pour maître que pour gendre,
Et je ne vois pour nous qu’un naufrage certain,
180 S’il nous faut recevoir un prince de leur main.

OTHON

Ah ! Seigneur, sur ce point c’est trop de confiance,
C’est vous tenir trop sûr de mon obéissance ;
Je ne prends plus de lois que de ma passion,
Plautine est l’objet seul de mon ambition,
185 Et si votre amitié me veut détacher d’elle,
La haine de Lacus me serait moins cruelle.
Que m’importe après tout, si tel est mon malheur,
De mourir par son ordre ou mourir de douleur ?

VINIUS

Seigneur, un grand courage à quelque point qu’il aime,
190 Sait toujours au besoin se posséder soi-même.
Poppée avait pour vous du moins autant d’appas,
Et quand on vous l’ôta vous n’en mourûtes pas.

OTHON

Non, Seigneur ; mais Poppée était une infidèle,
Qui n’en voulait qu’au trône, et qui m’aimait moins qu’elle.
195 Ce peu qu’elle eut d’amour ne fit du lit d’Othon
Qu’un degré pour monter à celui de Néron.
Elle ne m’épousa qu’afin de s’y produire,
D’y ménager sa place au hasard de me nuire.
Aussi j’en fus banni sous un titre d’honneur,
200 Et pour ne me plus voir, on me fit gouverneur.
Mais j’adore Plautine et je règne en son âme,
Nous ordonner d’éteindre une si belle flamme,
C’est… Je ne l’ose dire. Il est d’autres Romains,
Seigneur, qui sauront mieux appuyer vos desseins ;
205 Il en est dont le coeur pour Camille soupire,
Et qui seront ravis de vous devoir l’empire.

VINIUS

Je veux que cet espoir à d’autres soit permis,
Mais êtes-vous fort sûr qu’ils soient de nos amis ?
Savez-vous mieux que moi s’ils plairont à Camille ?

OTHON

210 Et croyez-vous pour moi qu’elle soit plus facile ?
Pour moi, que d’autres voeux…

VINIUS

À ne vous rien celer,
Sortant d’avec Galba, j’ai voulu lui parler,
J’ai voulu sur ce point pressentir sa pensée.
J’en ai nommé plusieurs pour qui je l’ai pressée.
215 À leurs noms, un grand froid, un front triste, un ?il bas,
M’ont fait voir aussitôt qu’ils ne lui plaisaient pas ;
Au vôtre elle a rougi, puis s’est mise à sourire,
Et m’a soudain quitté sans me vouloir rien dire.
C’est à vous, qui savez ce que c’est que d’aimer,
220 À juger de son coeur ce qu’on doit présumer.

OTHON

Je n’en veux rien juger, Seigneur ; et sans Plautine
L’amour m’est un poison, le bonheur m’assassine ;
Et toutes les douceurs du pouvoir souverain
Me sont d’affreux tourments, s’il m’en coûte sa main.

VINIUS

225 De tant de fermeté j’aurais l’âme ravie,
Si cet excès d’amour nous assurait la vie ;
Mais il nous faut le trône, ou renoncer au jour,
Et quand nous périrons, que servira l’amour ?

OTHON

À de vaines frayeurs un noir soupçon vous livre,
230 Pison n’est point cruel et nous laissera vivre.

VINIUS

Il nous laissera vivre et je vous ai nommé !
Si de nous voir dans Rome il n’est point alarmé,
Nos communs ennemis qui prendront sa conduite
En préviendront pour lui la dangereuse suite.
235 Seigneur, quand pour l’empire on s’est vu désigner,
Il faut, quoi qu’il arrive, ou périr ou régner.
Le posthume Agrippa vécut peu sous Tibère,
Néron n’épargna point le sang de son beau-frère,
Et Pison vous perdra par la même raison,
240 Si vous ne vous hâtez de prévenir Pison.
Il n’est point de milieu qu’en saine politique…

OTHON

Et l’amour est la seule où tout mon coeur s’applique.
Rien ne vous a servi, Seigneur, de me nommer,
Vous voulez que je règne, et je ne sais qu’aimer.
245 Je pourrais savoir plus, si l’astre qui domine
Me voulait faire un jour régner avec Plautine,
Mais dérober son âme à de si doux appas,
Pour attacher sa vie à ce qu’on n’aime pas !

VINIUS

Eh bien, si cet amour a sur vous tant de force,
250 Régnez, qui fait des lois peut bien faire un divorce,
Du trône on considère enfin ses vrais amis,
Et quand vous pourrez tout, tout vous sera permis.

SCÈNE III. Plautine, Othon, Vinius. §

PLAUTINE

Non pas, Seigneur, non pas ; quoi que le ciel m’envoie,
Je ne veux rien tenir d’une honteuse voie,
255 Et cette lâcheté qui me rendrait son coeur
Sentirait le tyran et non pas l’empereur.
À votre sûreté, puisque le péril presse,
J’immolerai ma flamme et toute ma tendresse,
Et je vaincrai l’horreur d’un si cruel devoir,
260 Pour conserver le jour à qui me l’a fait voir.
Mais ce qu’à mes désirs je fais de violence
Fuit les honteux appas d’une indigne espérance,
Et la vertu qui dompte et bannit mon amour
N’en souffrira jamais qu’un vertueux retour.

OTHON

265 Ah Que cette vertu m’apprête un dur supplice !
Seigneur, et le moyen que je vous obéisse ?
Voyez, et s’il se peut, pour voir tout mon tourment,
Quittez vos yeux de père, et prenez-en d’amant.

VINIUS

L’estime de mon sang ne m’est pas interdite,
270 Je lui vois des attraits, je lui vois du mérite,
Je crois qu’elle en a même assez pour engager,
Si quelqu’un nous perdait, quelque autre à nous venger.
Par là nos ennemis la tiendront redoutable,
Et sa perte par là devient inévitable.
275 Je vois de plus, Seigneur, que je n’obtiendrai rien,
Tant que votre ?il blessé rencontrera le sien,
Que le temps se va perdre en répliques frivoles,
Et pour les éviter j’achève en trois paroles.
Si vous manquez le trône il faut périr tous trois ;
280 Prévenez, attendez cet ordre à votre choix,
Je me remets à vous de ce qui vous regarde :
Mais en ma fille et moi ma gloire se hasarde,
De ses jours et des miens je suis maître absolu,
Et j’en disposerai comme j’ai résolu.
285 Je ne crains point la mort, mais je hais l’infamie
D’en recevoir la loi d’une main ennemie,
Et je saurai verser tout mon sang en Romain,
Si le choix que j’attends ne me retient la main.
C’est dans une heure ou deux que Galba se déclare,
290 Vous savez l’un et l’autre à quoi je me prépare,
Résolvez-en ensemble.

SCÈNE IV. Othon, Plautine. §

OTHON

Arrêtez donc, Seigneur,
Et s’il faut prévenir ce mortel déshonneur,
Recevez-en l’exemple, et jugez si la honte…

PLAUTINE

Quoi, Seigneur, à mes yeux une fureur si prompte ?
295 Ce noble désespoir si digne des Romains,
Tant qu’ils ont du courage, est toujours en leurs mains,
Et pour vous et pour moi fut-il digne d’un temple,
Il n’est pas encor temps de m’en donner l’exemple.
Il faut vivre, et l’amour nous y doit obliger
300 Pour me sauver un père, et pour me protéger.
Quand vous voyez ma vie à la vôtre attachée,
Faut-il que malgré moi votre âme effarouchée
Pour m’ouvrir le tombeau hâte votre trépas,
Et m’avance un destin où je ne consens pas ?

OTHON

305 Quand il faut m’arracher tout cet amour de l’âme,
Puis-je que dans mon sang en éteindre la flamme ?
Puis-je sans le trépas…

PLAUTINE

Et vous ai-je ordonné
D’éteindre tout l’amour que je vous ai donné ?
Si l’injuste rigueur de notre destinée
310 Ne permet plus l’espoir d’un heureux hyménée,
Il est un autre amour dont les voeux innocents
S’élèvent au-dessus du commerce des sens.
Plus la flamme en est pure et plus elle est durable,
Il rend de son objet le coeur inséparable,
315 Il a de vrais plaisirs dont ce coeur est charmé,
Et n’aspire qu’au bien d’aimer et d’être aimé.

OTHON

Qu’un tel épurement demande un grand courage !
Qu’il est même aux plus grands d’un difficile usage !
Madame, permettez que je die à mon tour
320 Que tout ce que l’honneur peut souffrir à l’amour
Un amant le souhaite, il en veut l’espérance,
Et se croit mal aimé s’il n’en a l’assurance.

PLAUTINE

Aimez-moi toutefois sans l’attendre de moi,
Et ne m’enviez point l’honneur que j’en reçois.
325 Quelle gloire à Plautine, ô ciel, de pouvoir dire
Que le choix de son coeur fut digne de l’empire,
Qu’un héros destiné pour maître à l’univers
Voulut borner ses voeux à vivre dans ses fers,
Et qu’à moins que d’un ordre absolu d’elle-même
330 Il aurait renoncé pour elle au diadème !

OTHON

Ah ! Qu’il faut aimer peu pour faire son bonheur,
Pour tirer vanité d’un si fatal honneur !
Si vous m’aimiez madame, il vous serait sensible
De voir qu’à d’autres voeux mon coeur fût accessible,
335 Et la nécessité de le porter ailleurs
Vous aurait fait déjà partager mes douleurs.
Mais tout mon désespoir n’a rien qui vous alarme,
Vous pouvez perdre Othon sans verser une larme,
Vous en témoignez joie, et vous-même aspirez
340 À tout l’excès des maux qui me sont préparés.

PLAUTINE

Que votre aveuglement a pour moi d’injustice !
Pour épargner vos maux, j’augmente mon supplice,
Je souffre, et c’est pour vous que j’ose m’imposer
La gêne de souffrir, et de le déguiser.
345 Tout ce que vous sentez, je le sens dans mon âme,
J’ai mêmes déplaisirs comme j’ai même flamme,
J’ai mêmes désespoirs, mais je sais les cacher,
Et paraître insensible afin de moins toucher.
Faites à vos désirs pareille violence,
350 Retenez-en l’éclat, sauvez-en l’apparence,
Au péril qui nous presse immolez le dehors,
Et pour vous faire aimer montrez d’autres transports.
Je ne vous défends point une douleur muette,
Pourvu que votre front n’en soit point l’interprète,
355 Et que de votre coeur vos yeux indépendants
Triomphent comme moi des troubles du dedans.
Suivez, passez l’exemple, et portez à Camille
Un visage content, un visage tranquille,
Qui lui laisse accepter ce que vous offrirez,
360 Et ne démente rien de ce que vous direz.

OTHON

Hélas ! Madame, hélas ! Que pourrai-je lui dire ?

PLAUTINE

Il y va de ma vie, il y va de l’empire,
Réglez-vous là-dessus. Le temps se perd, Seigneur,
Adieu, donnez la main, mais gardez-moi le coeur,
365 Ou si c’est trop pour moi, donnez et l’un et l’autre,
Emportez mon amour et retirez le vôtre ;
Mais dans ce triste état, si je vous fais pitié,
Conservez-moi toujours l’estime et l’amitié,
Et n’oubliez jamais quand vous serez le maître,
370 Que c’est moi qui vous force et qui vous aide à l’être.

OTHON, seul.

Que ne m’est-il permis d’éviter par ma mort
Les barbares rigueurs d’un si cruel effort !

ACTE II §

SCÈNE I. Plautine, Flavie. §

PLAUTINE

Dis-moi donc, lorsque Othon s’est offert à Camille,
A-t-il paru contraint ? A-t-elle été facile ?
375 Son hommage auprès d’elle a-t-il eu plein effet ?
Comment l’a-t-elle pris, et comment l’a-t-il fait ?

FLAVIE

J’ai tout vu, mais enfin votre humeur curieuse
À vous faire un supplice est trop ingénieuse ;
Quelque reste d’amour qui vous parle d’Othon,
380 Madame, oubliez-en, s’il se peut, jusqu’au nom.
Vous vous êtes vaincue en faveur de sa gloire,
Goûtez un plein triomphe après votre victoire :
Le dangereux récit que vous me commandez
Est un nouveau combat où vous vous hasardez.
385 Votre âme n’en est pas encor si détachée,
Qu’il puisse aimer ailleurs sans qu’elle en soit touchée.
Prenez moins d’intérêt à l’y voir réussir,
Et fuyez le chagrin de vous en éclaircir.

PLAUTINE

Je le force moi-même à se montrer volage,
390 Et regardant son change ainsi que mon ouvrage,
J’y prends un intérêt qui n’a rien de jaloux,
Qu’on l’accepte, qu’il règne, et tout m’en sera doux.

FLAVIE

J’en doute, et rarement une flamme si forte
Souffre qu’à notre gré ses ardeurs…

PLAUTINE

Que t’importe ?
395 Laisse-m’en le hasard, et sans dissimuler
Dis de quelle manière il a su lui parler.

FLAVIE

N’imputez donc qu’à vous si votre âme inquiète
En ressent malgré moi quelque gêne secrète.
Othon à la princesse a fait un compliment
400 Plus en homme de cour qu’en véritable amant.
Son éloquence accorte enchaînant avec grâce
L’excuse du silence à celle de l’audace,
En termes trop choisis accusait le respect
D’avoir tant retardé cet hommage suspect.
405 Ses gestes concertés, ses regards de mesure
N’y laissaient aucun mot aller à l’aventure,
On ne voyait que pompe en tout ce qu’il peignait,
Jusque dans ses soupirs la justesse régnait,
Et suivait pas à pas un effort de mémoire,
410 Qu’il était plus aisé d’admirer que de croire.
Camille semblait même assez de cet avis,
Elle aurait mieux goûté des discours moins suivis,
Je l’ai vu dans ses yeux, mais cette défiance
Avait avec son coeur trop peu d’intelligence.
415 De ses justes soupçons ses souhaits indignés
Les ont tout aussitôt détruits, ou dédaignés.
Elle a voulu tout croire, et quelque retenue
Qu’ait su garder l’amour dont elle est prévenue,
On a vu par ce peu qu’il laissait échapper
420 Qu’elle prenait plaisir à se laisser tromper,
Et que si quelquefois l’horreur de la contrainte
Forçait le triste Othon à soupirer sans feinte,
Soudain l’avidité de régner sur son coeur
Imputait à l’amour ces soupirs de douleur.

PLAUTINE

425 Et sa réponse enfin ?

FLAVIE

Elle a paru civile,
Mais la civilité n’est qu’amour en Camille,
Comme en Othon l’amour n’est que civilité.

PLAUTINE

Et n’a-t-elle rien dit de sa légèreté,
Rien de la foi qu’il semble avoir si mal gardée ?

FLAVIE

430 Elle a su rejeter cette fâcheuse idée,
Et n’a pas témoigné qu’elle sût seulement
Qu’on l’eût vu pour vos yeux soupirer un moment.

PLAUTINE

Mais qu’a-t-elle promis ?

FLAVIE

Que son devoir fidèle
Suivrait ce que Galba voudrait ordonner d’elle,
435 Et de peur d’en trop dire et d’ouvrir trop son coeur,
Elle l’a renvoyé soudain vers l’empereur.
Il lui parle à présent. Qu’en dites-vous, Madame,
Et de cet entretien que souhaite votre âme,
Voulez-vous qu’on l’accepte, ou qu’il n’obtienne rien ?

PLAUTINE

440 Moi-même à dire vrai je ne le sais pas bien.
Comme des deux côtés le coup me sera rude,
J’aimerais à jouir de cette inquiétude,
Et tiendrais à bonheur le reste de mes jours
De n’en sortir jamais, et de douter toujours.

FLAVIE

445 Mais il faut se résoudre et vouloir quelque chose.

PLAUTINE

Souffre sans m’alarmer que le ciel en dispose.
Quand son ordre une fois en aura résolu,
Il nous faudra vouloir ce qu’il aura voulu.
Ma raison cependant cède Othon à l’empire,
450 Il est de mon honneur de ne m’en pas dédire ;
Et soit ce grand souhait volontaire ou forcé,
Il est beau d’achever comme on a commencé.
Mais je vois Martian ?

SCÈNE II. Martian, Flavie, Plautine. §

PLAUTINE

Que venez-vous m’apprendre ?

MARTIAN

Que de votre seul choix l’empire va dépendre,
455 Madame.

PLAUTINE

Quoi, Galba voudrait suivre mon choix ?

MARTIAN

Non, mais de son conseil nous ne sommes que trois,
Et si pour votre Othon vous voulez mon suffrage,
Je vous le viens offrir avec un humble hommage.

PLAUTINE

Avec ?

MARTIAN

Avec des voeux sincères et soumis,
460 Qui feront encor plus si l’espoir m’est permis.

PLAUTINE

Quels voeux, et quel espoir ?

MARTIAN

Cet important service,
Qu’un si profond respect vous offre en sacrifice…

PLAUTINE

Eh bien, il remplira mes désirs les plus doux ;
Mais pour reconnaissance, enfin, que voulez-vous ?

MARTIAN

465 La gloire d’être aimé.

PLAUTINE

De qui ?

MARTIAN

De vous, madame.

PLAUTINE

De moi-même ?

MARTIAN

De vous, j’ai des yeux, et mon âme…

PLAUTINE

Votre âme en me faisant cette civilité
Devrait l’accompagner de plus de vérité.
On n’a pas grande foi pour tant de déférence,
470 Lorsqu’on voit que la suite a si peu d’apparence.
L’offre sans doute est belle et bien digne d’un prix,
Mais en le choisissant vous vous êtes mépris ;
Si vous me connaissiez, vous feriez mieux paraître…

MARTIAN

Hélas ! Mon mal ne vient que de vous trop connaître,
475 Mais vous-même après tout ne vous connaissez pas,
Quand vous croyez si peu l’effet de vos appas.
Si vous daigniez savoir quel est votre mérite,
Vous ne douteriez point de l’amour qu’il excite.
Othon m’en sert de preuve, il n’avait rien aimé,
480 Depuis que de Poppée il s’était vu charmé ;
Bien que d’entre ses bras Néron l’eût enlevée,
L’image dans son coeur s’en était conservée,
La mort même, la mort n’avait pu l’en chasser ;
À vous seule était dû l’honneur de l’effacer,
485 Vous seule d’un coup d’?il emportâtes la gloire
D’en faire évanouir la plus douce mémoire,
Et d’avoir su réduire à de nouveaux souhaits
Ce coeur impénétrable aux plus charmants objets.
Et vous vous étonnez que pour vous je soupire !

PLAUTINE

490 Je m’étonne bien plus que vous me l’osiez dire.
Je m’étonne de voir qu’il ne vous souvient plus
Que l’heureux Martian fut l’esclave Icélus,
Qu’il a changé de nom sans changer de visage.

MARTIAN

C’est ce crime du sort qui m’enfle le courage.
495 Lorsqu’en dépit de lui je suis ce que je suis,
On voit ce que je vaux voyant ce que je puis.
Un pur hasard sans nous règle notre naissance ;
Mais comme le mérite est en notre puissance,
La honte d’un destin qu’on vit mal assorti
500 Fait d’autant plus d’honneur quand on en est sorti ;
Quelque tache en mon sang que laissent mes ancêtres,
Depuis que nos Romains ont accepté des maîtres,
Ces maîtres ont toujours fait choix de mes pareils
Pour les premiers emplois et les secrets conseils.
505 Ils ont mis en nos mains la fortune publique,
Ils ont soumis la terre à notre politique :
Patrobe, Polyclète, et Narcisse, et Pallas,
Ont déposé des rois, et donné des États.
On nous élève au trône au sortir de nos chaînes,
510 Sous Claude on vit Félix le mari de trois reine,
Et quand l’amour en moi vous présente un époux
Vous me traitez d’esclave, et d’indigne de vous !
Madame, en quelque rang que vous ayez pu naître,
C’est beaucoup que d’avoir l’oreille du grand maître.
515 Vinius est consul, et Lacus est préfet,
Je ne suis l’un ni l’autre, et suis plus en effet,
Et de ces consulats, et de ces préfectures
Je puis quand il me plaît faire des créatures ;
Galba m’écoute enfin, et c’est être aujourd’hui,
520 Quoique sans ces grands noms, le premier d’après lui.

PLAUTINE

Pardonnez donc, Seigneur, si je me suis méprise,
Mon orgueil dans vos fers n’a rien qui l’autorise,
Je viens de me connaître, et me vois à mon tour
Indigne des honneurs qui suivent votre amour.
525 Avoir brisé ces fers fait un degré de gloire
Au-dessus des consuls, des préfets, du prétoire,
Et si de cet amour je n’ose être le prix,
Le respect m’en empêche et non plus le mépris ;
On m’avait dit pourtant que souvent la nature
530 Gardait en vos pareils sa première teinture,
Que ceux de nos césars qui les ont écoutés
Ont tous souillé leurs noms par quelques lâchetés,
Et que pour dérober l’empire à cette honte
L’univers a besoin qu’un vrai héros y monte.
535 C’est ce qui me faisait y souhaiter Othon :
Mais à ce que j’apprends ce souhait n’est pas bon.
Laissons-en faire aux dieux, et faites-vous justice,
D’un coeur vraiment romain dédaignez le caprice,
Cent reines à l’envi vous prendront pour époux,
540 Félix en eut bien trois, et valait moins que vous.

MARTIAN

Madame, encore un coup, souffrez que je vous aime,
Songez que dans ma main j’ai le pouvoir suprême,
Qu’entre Othon et Pison mon suffrage incertain,
Suivant qu’il penchera, va faire un souverain.
545 Je n’ai fait jusqu’ici qu’empêcher l’hyménée
Qui d’Othon avec vous eût joint la destinée,
J’aurais pu hasarder quelque chose de plus ;
Ne m’y contraignez point à force de refus.
Quand vous cédez Othon, me souffrir en sa place,
550 Peut-être ce sera faire plus d’une grâce ;
Car de vous voir à lui ne l’espérez jamais.

SCÈNE III. Plautine, Lacus, Martian, Flavie. §

LACUS

Madame, enfin Galba s’accorde à vos souhaits,
Et j’ai tant fait sur lui que dès cette journée
De vous avec Othon il consent l’hyménée.

PLAUTINE

555 Qu’en dites-vous, Seigneur ? Pourrez-vous bien souffrir
Cet hymen que Lacus de sa part vient m’offrir ?
Le grand maître a parlé, voudrez-vous l’en dédire,
Vous qu’on voit après lui le premier de l’empire ?
Dois-je me ravaler jusques à cet époux ?
560 Ou dois-je par votre ordre aspirer jusqu’à vous ?

LACUS

Quel énigme est-ce-ci, Madame ?

PLAUTINE

Sa grande âme
Me faisait tout à l’heure un présent de sa flamme ;
Il m’assurait qu’Othon jamais ne m’obtiendrait,
Et disait à demi qu’un refus nous perdrait.
565 Vous m’osez cependant assurer du contraire,
Et je ne sais pas bien quelle réponse y faire.
Comme en de certains temps il fait bon s’expliquer,
En d’autres il vaut mieux ne s’y point embarquer.
Grands ministres d’état, accordez-vous ensemble,
570 Et je pourrai vous dire après ce qui m’en semble.

SCÈNE IV. Lacus, Martian. §

LACUS

Vous aimez donc Plautine, et c’est là cette foi
Qui contre Vinius vous attachait à moi ?

MARTIAN

Si les yeux de Plautine ont pour moi quelque charme,
Y trouvez-vous, Seigneur, quelque sujet d’alarme ?
575 Le moment bienheureux qui m’en ferait l’époux
Réunirait par moi Vinius avec vous.
Par là de nos trois coeurs l’amitié ressaisie,
En déracinerait, et haine, et jalousie ;
Le pouvoir de tous trois par tous trois affermi
580 Aurait pour noeud commun son gendre en votre ami,
Et quoi que contre vous il osât entreprendre…

LACUS

Vous seriez mon ami, mais vous seriez son gendre.
Et c’est un faible appui des intérêts de cour
Qu’une vieille amitié contre un nouvel amour.
585 Quoi que veuille exiger une femme adorée,
La résistance est vaine ou de peu de durée,
Elle choisit ses temps, et les choisit si bien,
Qu’on se voit hors d’état de lui refuser rien.
Vous-même êtes-vous sûr que ce noeud la retienne
590 D’ajouter, s’il le faut, votre perte à la mienne ?
Apprenez que des coeurs séparés à regret
Trouvent de se rejoindre aisément le secret.
Othon n’a pas pour elle éteint toutes ses flammes,
Il sait comme aux maris on arrache les femmes,
595 Cet art sur son exemple est commun aujourd’hui,
Et son maître Néron l’avait appris de lui.
Après tout je me trompe, ou près de cette belle…

MARTIAN

J’espère en Vinius, si je n’espère en elle,
Et l’offre pour Othon de lui donner ma voix,
600 Soudain en ma faveur emportera son choix.

LACUS

Quoi, Vous nous donneriez vous-même Othon pour maître ?

MARTIAN

Et quel autre dans Rome est plus digne de l’être ?

LACUS

Ah ! Pour en être digne, il l’est, et plus que tous,
Mais aussi pour tout dire il en sait trop pour nous.
605 Il sait trop ménager ses vertus et ses vices ;
Il était sous Néron de toutes ses délices,
Et la Lusitanie a vu ce même Othon
Gouverner en César, et juger en Caton.
Tout favori dans Rome, et tout maître en province,
610 De lâche courtisan il s’y montra grand prince,
Et son âme ployant, attendant l’avenir.
Sait faire également sa cour et la tenir.
Sous un tel souverain nous sommes peu de chose.
Son soin jamais sur nous tout à fait ne repose,
615 Sa main seule départ ses libéralités,
Son choix seul distribue États et dignités,
Du timon qu’il embrasse il se fait le seul guide,
Consulte et résout seul, écoute et seul décide,
Et quoique nos emplois puissent faire du bruit,
620 Sitôt qu’il nous veut perdre, un coup d’?il nous détruit.
Voyez d’ailleurs Galba, quel pouvoir il nous laisse,
En quel poste sous lui nous a mis sa faiblesse.
Nos ordres règlent tout, nous donnons, retranchons,
Rien n’est exécuté dès que nous l’empêchons ;
625 Comme par un de nous il faut que tout s’obtienne,
Nous voyons notre cour plus grosse que la sienne,
Et notre indépendance irait au dernier point,
Si l’heureux Vinius ne la partageait point,
Notre unique chagrin est qu’il nous la dispute.
630 L’âge met cependant Galba près de sa chute,
De peur qu’il nous entraîne il faut un autre appui,
Mais il le faut pour nous aussi faible que lui.
Il nous en faut prendre un qui satisfait des titres
Nous laisse du pouvoir les suprêmes arbitres.
635 Pison a l’âme simple et l’esprit abattu,
S’il a grande naissance, il a peu de vertu ;
Non de cette vertu qui déteste le crime,
Sa probité sévère est digne qu’on l’estime,
Elle a tout ce qui fait un grand homme de bien,
640 Mais en un souverain c’est peu de chose, ou rien,
Il faut de la prudence, il faut de la lumière,
Il faut de la vigueur adroite autant que fière,
Qui pénètre, éblouisse, et sème des appas…
Il faut mille vertus enfin qu’il n’aura pas.
645 Lui-même il nous priera d’avoir soin de l’empire,
En saura seulement ce qu’il nous plaira dire,
Plus nous l’y tiendrons bas, plus il nous mettra haut,
Et c’est là justement le maître qu’il nous faut.

MARTIAN

Mais, Seigneur, sur le trône élever un tel homme,
650 C’est mal servir l’État, et faire opprobre à Rome.

LACUS

Et qu’importe à tous deux de Rome et de l’État ?
Qu’importe qu’on leur voie ou plus, ou moins d’éclat ?
Faisons nos sûretés et moquons-nous du reste.
Point, point de bien public, s’il nous devient funeste,
655 De notre grandeur seule ayons des coeurs jaloux
Ne vivons que pour nous, et ne pensons qu’à nous.
Je vous le dis encor, mettre Othon sur nos têtes,
C’est nous livrer tous deux à d’horribles tempêtes.
Si nous l’en voulons croire, il nous devra le tout,
660 Mais de ce grand projet s’il vient par nous à bout,
Vinius en aura lui seul tout l’avantage,
Comme il l’a proposé, ce sera son ouvrage,
Et la mort, ou l’exil, ou les abaissements,
Seront pour vous et moi ses vrais remerciements.

MARTIAN

665 Oui, notre sûreté veut que Pison domine.
Obtenez-en pour moi qu’il m’assure Plautine,
Je vous promets pour lui mon suffrage à ce prix.
La violence est juste après de tels mépris,
Commençons à jouir par là de son empire,
670 Et voyons s’il est homme à nous oser dédire.

LACUS

Quoi Votre amour toujours fera son capital
Des attraits de Plautine et du noeud conjugal ?
Eh bien ! Il faudra voir qui sera plus utile
D’en croire… Mais voici la princesse Camille.

SCÈNE V. Camille, Lacus, Martian, Albiane. §

CAMILLE

675 Je vous rencontre ensemble ici fort à propos
Et voulais à tous deux vous dire quatre mots.
Si j’en crois certain bruit que je ne puis vous taire,
Vous poussez un peu loin l’orgueil du ministère ;
On dit que sur mon rang vous étendez sa loi,
680 Et que vous vous mêlez de disposer de moi.

MARTIAN

Nous, madame ?

CAMILLE

Faut-il que je vous obéisse,
Moi, dont Galba prétend faire une impératrice ?

LACUS

L’un et l’autre sait trop quel respect vous est dû.

CAMILLE

Le crime en est plus grand, si vous l’avez perdu.
685 Parlez, qu’avez-vous dit à Galba l’un et l’autre ?

MARTIAN

Sa pensée a voulu s’assurer sur la nôtre,
Et s’étant proposé le choix d’un successeur
Pour laisser à l’empire un digne possesseur,
Sur ce don imprévu qu’il fait du diadème
690 Vinius a parlé, Lacus a fait de même.

CAMILLE

Et ne savez-vous point, et Vinius, et vous,
Que ce grand successeur doit être mon époux ?
Que le don de ma main suit ce don de l’empire ?
Galba, par vos conseils, voudrait-il s’en dédire ?

LACUS

695 Il est toujours le même, et nous avons parlé
Suivant ce qu’à tous deux le ciel a révélé.
En ces occasions, lui qui tient les couronnes
Inspire les avis sur le choix des personnes.
Nous avons cru d’ailleurs pouvoir sans attentat
700 Faire vos intérêts de ceux de tout l’État :
Vous ne voudriez pas en avoir de contraires.

CAMILLE

Vous n’avez, vous ni lui, pensé qu’à vos affaires,
Et nous offrir Pison, c’est assez témoigner…

LACUS

Le trouvez-vous, Madame, indigne de régner ?
705 Il a de la vertu, de l’esprit, du courage,
Il a de plus…

CAMILLE

De plus, il a votre suffrage,
Et c’est assez de quoi mériter mes refus.
Par respect de son sang je ne dis rien de plus.

MARTIAN

Aimeriez-vous Othon que Vinius propose ?
710 Othon dont vous savez que Plautine dispose,
Et qui n’aspire ici qu’à lui donner sa foi ?

CAMILLE

Qu’il brûle encor pour elle, ou la quitte pour moi,
Ce n’est pas votre affaire, et votre exactitude
Se charge en ma faveur de trop d’inquiétude.

LACUS

715 Mais l’empereur consent qu’il l’épouse aujourd’hui,
Et moi-même je viens de l’obtenir pour lui.

CAMILLE

Vous en a-t-il prié ? Dites, ou si l’envie…

LACUS

Un véritable ami n’attend point qu’on le prie.

CAMILLE

Cette amitié me charme, et je dois avouer
720 Qu’Othon a jusqu’ici tout lieu de s’en louer,
Que l’heureux contre-temps d’un si rare service…

LACUS

Madame…

CAMILLE

Croyez-moi, mettez bas l’artifice,
Ne vous hasardez point à faire un empereur.
Galba connaît l’empire, et je connais mon coeur,
725 Je sais ce qui m’est propre, il voit ce qu’il doit faire,
Et quel prince à l’état est le plus salutaire ;
Si le ciel vous inspire, il aura soin de nous,
Et saura sur ce point nous accorder sans vous.

LACUS

Si Pison vous déplaît, il en est quelques autres…

CAMILLE

730 N’attachez point ici mes intérêts aux vôtres,
Vous avez de l’esprit, mais j’ai des yeux perçants.
Je vois qu’il vous est doux d’être les tout-puissants,
Et je n’empêche point qu’on ne vous continue
Votre toute-puissance au point qu’elle est venue ;
735 Mais quant à cet époux, vous me ferez plaisir
De trouver bon qu’enfin je puisse le choisir.
Je m’aime un peu moi-même, et n’ai pas grande envie
De vous sacrifier le repos de ma vie.

MARTIAN

Puisqu’il doit avec vous régir tout l’univers…

CAMILLE

740 Faut-il vous dire encor que j’ai des yeux ouverts ?
Je vois jusqu’en vos coeurs, et m’obstine à me taire ;
Mais je pourrais enfin dévoiler le mystère.

MARTIAN

Si l’empereur nous croit…

CAMILLE

Sans doute il vous croira,
Sans doute je prendrai l’époux qu’il m’offrira,
745 Soit qu’il plaise à mes yeux, soit qu’il me choque en l’âme,
Il sera votre maître, et je serai sa femme ;
Le temps me donnera sur lui quelque pouvoir,
Et vous pourrez alors vous en apercevoir.
Voilà les quatre mots que j’avais à vous dire
750 Pensez-y ?

SCÈNE VI. Lacus, Martian. §

MARTIAN

Ce courroux que Pison nous attire…

LACUS

Vous vous en alarmez ! Laissons-la discourir,
Et ne nous perdons pas de crainte de périr.

MARTIAN

Vous voyez quel orgueil contre nous l’intéresse.

LACUS

Plus elle m’en fait voir, plus je vois sa faiblesse.
755 Faisons régner Pison, et malgré ce courroux,
Vous verrez qu’elle-même aura besoin de nous.

ACTE III §

SCÈNE PREMIÈRE. Camille, Albiane. §

CAMILLE

Ton frère te l’a dit, Albiane ?

ALBIANE

Oui, Madame.
Galba choisit Pison, et vous êtes sa femme,
Ou pour en mieux parler, l’esclave de Lacus,
760 À moins d’un éclatant et généreux refus.

CAMILLE

Et que devient Othon ?

ALBIANE

Vous allez voir sa tête
De vos trois ennemis affermir la conquête,
Je veux dire assurer votre main à Pison,
Et l’empire aux tyrans qui font régner son nom.
765 Car comme il n’a pour lui qu’une suite d’ancêtres,
Lacus et Martian vont être nos vrais maîtres,
Et Pison ne sera qu’un idole sacré
Qu’ils tiendront sur l’autel pour répondre à leur gré.
Sa probité stupide autant comme farouche
770 À prononcer leurs lois asservira sa bouche,
Et le premier arrêt qu’ils lui feront donner
Les défera d’Othon, qui les peut détrôner.

CAMILLE

Ô dieux, que je le plains !

ALBIANE

Il est sans doute à plaindre,
Si vous l’abandonnez à tout ce qu’il doit craindre ;
775 Mais comme enfin la mort finira son ennui,
Je crains fort de vous voir plus à plaindre que lui.

CAMILLE

L’hymen sur un époux donne quelque puissance.

ALBIANE

Octavie a péri sur cette confiance.
Son sang qui fume encor vous montre à quel destin
780 Peut exposer vos jours un nouveau Tigellin
Ce grand choix vous en donne à craindre deux ensemble,
Et pour moi plus j’y songe, et plus pour vous je tremble.

CAMILLE

Quel remède, Albiane ?

ALBIANE

Aimer, et faire voir…

CAMILLE

Que l’amour est sur moi plus fort que le devoir ?

ALBIANE

785 Songez moins à Galba qu’à Lacus qui vous brave,
Et qui vous fait encor braver par un esclave,
Songez à vos périls, et peut-être à son tour
Ce devoir passera du côté de l’amour.
Bien que nous devions tout aux puissances suprêmes
790 Madame, nous devons quelque chose à nous-mêmes,
Surtout quand nous voyons des ordres dangereux,
Sous ces grands souverains, partir d’autres que d’eux.

CAMILLE

Mais Othon m’aime-t-il ?

ALBIANE

S’il vous aime ? Ah ! Madame ?

CAMILLE

On a cru que Plautine avait toute son âme.

ALBIANE

795 On l’a dû croire aussi, mais on s’est abusé.
Autrement, Vinius l’aurait-il proposé ?
Aurait-il pu trahir l’espoir d’en faire un gendre ?

CAMILLE

En feignant de l’aimer que pouvait-il prétendre ?

ALBIANE

De s’approcher de vous, et se faire en la cour
800 Un accès libre et sûr pour un plus digne amour.
De Vinius par là gagnant la bienveillance,
Il a su le jeter dans une autre espérance,
Et le flatter d’un rang plus haut, et plus certain,
S’il devenait par vous empereur de sa main.
805 Vous voyez à ces soins que Vinius s’applique
En même temps qu’Othon auprès de vous s’explique.

CAMILLE

Mais à se déclarer il a bien attendu !

ALBIANE

Mon frère jusque-là vous en a répondu !

CAMILLE

Tandis tu m’as réduite à faire un peu d’avance,
810 À consentir qu’Albin combattît son silence,
Et même Vinius, dès qu’il me l’a nommé,
A pu voir aisément qu’il pourrait être aimé.

ALBIANE

C’est la gêne où réduit celles de votre sorte
La scrupuleuse loi du respect qu’on leur porte.
815 Il arrête les voeux, captive les désirs,
Abaisse les regards, étouffe les soupirs,
Dans le milieu du coeur enchaîne la tendresse,
Et tel est en aimant le sort d’une princesse,
Que quelque amour qu’elle ait et qu’elle ait pu donner,
820 Il faut qu’elle devine et force à deviner.
Quelque peu qu’on lui die, on craint de lui trop dire,
À peine on se hasarde à jurer qu’on l’admire,
Et pour apprivoiser ce respect ennemi
Il faut qu’en dépit d’elle elle s’offre à demi.
825 Voyez-vous comme Othon saurait encor se taire,
Si je ne l’avais fait enhardir par mon frère ?

CAMILLE

Tu le crois donc, qu’il m’aime ?

ALBIANE

Et qu’il lui serait doux
Que vous eussiez pour lui l’amour qu’il a pour vous.

CAMILLE

Hélas ! Que cet amour croit tôt ce qu’il souhaite !
830 En vain la raison parle, en vain elle inquiète,
En vain la défiance ose ce qu’elle peut,
Il veut croire, et ne croit que parce qu’il le veut.
Pour Plautine ou pour moi je vois du stratagème,
Et m’obstine avec joie à m’aveugler moi-même.
835 Je plains cette abusée, et c’est moi qui la suis
Peut-être, et qui me livre à d’éternels ennuis.
Peut-être, en ce moment qu’il m’est doux de te croire,
De ses voeux à Plautine il assure la gloire,
Peut-être…

SCÈNE II. Albin, Camille. §

ALBIN

L’empereur vient ici vous trouver,
840 Pour vous dire son choix, et le faire approuver.
S’il vous déplaît, Madame, il faut de la constance,
Il faut une fidèle et noble résistance,
Il faut…

CAMILLE

De mon devoir je saurai prendre soin.
Allez chercher Othon pour en être témoin.

SCÈNE III. Galba, Camille, Albiane. §

GALBA

845 Quand la mort de mes fils désola ma famille,
Ma nièce, mon amour vous prit dès lors pour fille,
Et regardant en vous les restes de mon sang,
Je flattai ma douleur en vous donnant leur rang.
Rome, qui m’a depuis chargé de son empire,
850 Quand sous le poids de l’âge à peine je respire,
A vu ce même amour me le faire accepter,
Moins pour me seoir si haut que pour vous y porter.
Non que si jusque-là Rome pouvait renaître,
Qu’elle fût en état de se passer de maître,
855 Je ne me crusse digne, en cet heureux moment
De commencer par moi son rétablissement :
Mais cet empire immense est trop vaste pour elle,
À moins que d’une tête un si grand corps chancelle,
Et pour le nom des rois son invincible horreur
860 S’est d’ailleurs si bien faite aux lois d’un empereur,
Qu’elle ne peut souffrir, après cette habitude,
Ni pleine liberté, ni pleine servitude.
Elle veut donc un maître, et Néron condamné
Fait voir ce qu’elle veut en un front couronné.
865 Vindex, Rufus, ni moi, n’avons causé sa perte,
Ses crimes seuls l’ont faite, et le ciel l’a soufferte,
Pour marque aux souverains qu’ils doivent par l’effet
Répondre dignement au grand choix qu’il en fait.
Jusques à ce grand coup, un honteux esclavage
870 D’une seule maison nous faisait l’héritage ;
Rome n’en a repris au lieu de liberté
Qu’un droit de mettre ailleurs la souveraineté,
Et laisser après moi dans le trône un grand homme,
C’est tout ce qu’aujourd’hui je puis faire pour Rome.
875 Prendre un si noble soin, c’est en prendre de vous,
Ce maître qu’il lui faut vous est dû pour époux,
Et mon zèle s’unit à l’amour paternelle
Pour vous en donner un digne de vous et d’elle.
Jule, et le grand Auguste ont choisi dans leur sang,
880 Ou dans leur alliance, à qui laisser ce rang ;
Moi, sans considérer aucun noeud domestique
J’ai fait ce choix comme eux, mais dans la république,
Je l’ai fait de Pison, c’est le sang de Crassus,
C’est celui de Pompée, il en a les vertus,
885 Et ces fameux héros dont il suivra la trace
Joindront de si grands noms aux grands noms de ma race,
Qu’il n’est point d’hyménée, en qui l’égalité
Puisse élever l’empire à plus de dignité.

CAMILLE

J’ai tâché de répondre à cet amour de père
890 Par un tendre respect qui chérit et révère,
Seigneur, et je vois mieux encor par ce grand choix
Et combien vous m’aimez, et combien je vous dois.
Je sais ce qu’est Pison, et quelle est sa noblesse ;
Mais si j’ose à vos yeux montrer quelque faiblesse,
895 Quelque digne qu’il soit et de Rome et de moi,
Je tremble à lui promettre et mon coeur et ma foi,
Et j’avouerai, Seigneur, que pour mon hyménée
Je crois tenir un peu de Rome où je suis née.
Je ne demande point la pleine liberté,
900 Puisqu’elle en a mis bas l’intrépide fierté ;
Mais si vous m’imposez la pleine servitude,
J’y trouverai comme elle un joug un peu bien rude.
Je suis trop ignorante en matière d’État,
Pour savoir quel doit être un si grand potentat ;
905 Mais Rome dans ses murs n’a-t-elle qu’un seul homme ?
N’a-t-elle que Pison qui soit digne de Rome,
Et dans tous ses États n’en saurait-on voir deux,
Que puissent vos bontés hasarder à mes voeux ?
Néron fit aux vertus une cruelle guerre,
910 S’il en a dépeuplé les trois parts de la terre
Et si pour nous donner de dignes empereurs,
Pison seul avec vous échappe à ses fureurs.
Il est d’autres héros dans un si vaste empire,
Il en est qu’après vous on se plairait d’élire,
915 Et qui sauraient mêler sans vous faire rougir
L’art de gagner les coeurs au grand art de régir.
D’une vertu sauvage on craint un dur empire,
Souvent on s’en dégoûte au moment qu’on l’admire,
Et puisque ce grand choix me doit faire un époux,
920 Il serait bon qu’il eût quelque chose de doux,
Qu’on vît en sa personne également paraître
Les grâces d’un amant et les hauteurs d’un maître,
Et qu’il fût aussi propre à donner de l’amour,
Qu’à faire ici trembler sous lui toute sa cour.
925 Souvent un peu d’amour dans les coeurs des monarques
Accompagne assez bien leurs plus illustres marques.
Ce n’est pas qu’après tout je pense à résister,
J’aime à vous obéir, seigneur, sans contester,
Pour prix d’un sacrifice où mon coeur se dispose,
930 Permettez qu’un époux me doive quelque chose :
Dans cette servitude où se plaît mon désir
C’est quelque liberté qu’un ou deux à choisir.
Votre Pison peut-être aura de quoi me plaire,
Quand il ne sera plus un mari nécessaire,
935 Et son amour pour moi sera plus assuré,
S’il voit à quels rivaux je l’aurai préféré.

GALBA

Ce long raisonnement dans sa délicatesse
À vos tendres respects mêle beaucoup d’adresse ;
Si le refus n’est juste, il est doux et civil.
940 Parlez donc, et sans feinte, Othon vous plairait-il ?
On me l’a proposé, qu’y trouvez-vous à dire ?

CAMILLE

L’avez-vous cru d’abord indigne de l’empire,
Seigneur ?

GALBA

Non, mais depuis consultant ma raison
J’ai trouvé qu’il fallait lui préférer Pison.
945 Sa vertu, plus solide, et toute inébranlable,
Nous fera, comme Auguste un siècle incomparable,
Où l’autre par Néron dans le vice abîmé,
Ramènera ce luxe où sa main l’a formé,
Et tous les attentats de l’infâme licence
950 Dont il osa souiller la suprême puissance.

CAMILLE

Othon près d’un tel maître a su se ménager,
Jusqu’à ce que le temps ait pu l’en dégager.
Qui sait faire sa cour se fait aux moeurs du prince,
Mais il fut tout à soi quand il fut en province,
955 Et sa haute vertu par d’illustres effets
Y dissipa soudain ces vices contrefaits.
Chaque jour a sous vous grossi sa renommée ;
Mais Pison n’eut jamais de charge ni d’armée ;
Et comme il a vécu jusqu’ici sans emploi,
960 On ne sait ce qu’il vaut que sur sa bonne foi.
Je veux croire, en faveur des héros de sa race,
Qu’il en a les vertus, qu’il en suivra la trace,
Qu’il en égalera les plus illustres noms,
Mais j’en croirais bien mieux de grandes actions.
965 Si dans un long exil il a paru sans vice,
La vertu des bannis souvent n’est qu’artifice,
Sans vous avoir servi vous l’avez ramené,
Mais l’autre est le premier qui vous ait couronné.
Dès qu’il vit deux partis, il se rangea du vôtre,
970 Ainsi l’un vous doit tout, et vous devez à l’autre.

GALBA

Vous prendrez donc le soin de m’acquitter vers lui,
Et comme pour l’empire il faut un autre appui,
Vous croirez que Pison est plus digne de Rome,
Pour ne plus en douter suffit que je le nomme.

CAMILLE

975 Pour Rome et son empire, après vous je le crois,
Mais je doute si l’autre est moins digne de moi.

GALBA

Doutez-en, un tel doute est bien digne d’une âme
Qui voudrait de Néron revoir le siècle infâme,
Et qui voyant qu’Othon lui ressemble le mieux…

CAMILLE

980 Choisissez de vous-même, et je ferme les yeux.
Que vos seules bontés de tout mon sort ordonnent,
Je me donne en aveugle à qui qu’elles me donnent.
Mais quand vous consultez Lacus et Martian,
Un époux de leur main me paraît un tyran,
985 Et si j’ose tout dire, en cette conjoncture
Je regarde Pison comme leur créature,
Qui régnant par leur ordre, et leur prêtant sa voix,
Me forcera moi-même à recevoir leurs lois.
Je ne veux point d’un trône où je sois leur captive,
990 Où leur pouvoir m’enchaîne et quoi qu’il en arrive,
J’aime mieux un mari qui sache être empereur,
Qu’un mari qui le soit et souffre un gouverneur.

GALBA

Ce n’est pas mon dessein de contraindre les âmes.
N’en parlons plus, dans Rome il sera d’autres femmes
995 À qui Pison en vain n’offrira pas sa foi :
Votre main est à vous, mais l’empire est à moi.

SCÈNE IV. Galba, Othon, Camille, Albin, Albiane. §

GALBA

Othon, est-il bien vrai que vous aimiez Camille ?

OTHON

Cette témérité m’est sans doute inutile,
Mais si j’osais, Seigneur, dans mon sort adouci…

GALBA

1000 Non, non, si vous l’aimez, elle vous aime aussi.
Son amour près de moi vous rend de tels offices,
Que je vous en fais don pour prix de vos services.
Ainsi, bien qu’à Lacus j’aie accordé pour vous
Qu’aujourd’hui de Plautine on vous verra l’époux,
1005 L’illustre et digne ardeur d’une flamme si belle,
M’en fait révoquer l’ordre, et vous obtient pour elle.

OTHON

Vous m’en voyez de joie interdit et confus.
Quand je me prononçais moi-même un prompt refus,
Que j’attendais l’effet d’une juste colère,
1010 Je suis assez heureux pour ne vous pas déplaire !
Et loin de condamner des voeux trop élevés…

GALBA

Vous savez mal encor combien vous lui devez.
Son coeur de telle force à votre hymen aspire,
Que pour mieux être à vous, il renonce à l’empire.
1015 Choisissez donc ensemble, à communs sentiments,
Des charges dans ma cour, ou des gouvernements,
Vous n’avez qu’à parler.

OTHON

Seigneur, si la princesse…

GALBA

Pison n’en voudra pas dédire ma promesse.
Je l’ai nommé César pour le faire empereur,
1020 Vous savez ses vertus, je réponds de son coeur.
Adieu, pour observer la forme accoutumée,
Je le vais de ma main présenter à l’armée.
Pour Camille, en faveur de cet heureux lien,
Tenez-vous assuré qu’elle aura tout mon bien,
1025 Je la fais dès ce jour mon unique héritière.

SCÈNE V. Othon, Camille, Albin, Albiane. §

CAMILLE

Vous pouvez voir par là mon âme toute entière,
Seigneur, et je voudrais en vain la déguiser,
Après ce que pour vous l’amour me fait oser ;
Ce que Galba pour moi prend le soin de vous dire…

OTHON

1030 Quoi donc, Madame, Othon vous coûterait l’empire ?
Il sait mieux ce qu’il vaut, et n’est pas d’un tel prix,
Qu’il le faille acheter par ce noble mépris.
Il se doit opposer à cet effort d’estime
Où s’abaisse pour lui ce coeur trop magnanime,
1035 Et par un même effort de magnanimité
Rendre une âme si haute au trône mérité.
D’un si parfait amour quelles que soient les causes…

CAMILLE

Je ne sais point, Seigneur, faire valoir les choses,
Et dans ce prompt succès dont nos coeurs sont charmés
1040 Vous me devez bien moins que vous ne présumez.
Il semble que pour vous je renonce à l’empire,
Et qu’un amour aveugle ait su me le prescrire ;
Je vous aime, il est vrai, mais si l’empire est doux,
Je crois m’en assurer quand je me donne à vous.
1045 Tant que vivra Galba, le respect de son âge,
Du moins apparemment, soutiendra son suffrage,
Pison croira régner : mais peut-être qu’un jour
Rome se permettra de choisir à son tour.
À faire un empereur alors quoi qui l’excite,
1050 Qu’elle en veuille la race, ou cherche le mérite,
Notre union aura des voix de tous côtés,
Puisque j’en ai le sang, et vous les qualités.
Sous un nom si fameux qui vous rend préférable,
L’héritier de Galba sera considérable,
1055 On aimera ce titre en un si digne époux,
Et l’empire est à moi, si l’on me voit à vous.

OTHON

Ah ! Madame, quittez cette vaine espérance
De nous voir quelque jour remettre en la balance.
S’il faut que de Pison on accepte la loi,
1060 Rome, tant qu’il vivra, n’aura plus d’yeux pour moi,
Elle a beau murmurer contre un indigne maître,
Elle en souffre, pour lâche, ou méchant qu’il puisse être.
Tibère était cruel, Caligule brutal,
Claude faible, Néron en forfaits sans égal,
1065 Il se perdit lui-même à force de grands crimes,
Mais le reste a passé pour princes légitimes.
Claude même, ce Claude et sans coeur et sans yeux,
À peine les ouvrit qu’il devint furieux,
Et Narcisse et Pallas l’ayant mis en furie
1070 Firent sous son aveu régner la barbarie.
Il régna toutefois, bien qu’il se fît haïr,
Jusqu’à ce que Néron se fâchât d’obéir,
Et ce monstre ennemi de la vertu romaine
N’a succombé que tard sous la commune haine.
1075 Par ce qu’ils ont osé jugez sur vos refus
Ce qu’osera Pison gouverné par Lacus :
Il aura peine à voir, lui qui pour vous soupire,
Que votre hymen chez moi laisse un droit à l’empire.
Chacun sur ce penchant voudra faire sa cour,
1080 Et le pouvoir suprême enhardit bien l’amour.
Si Néron qui m’aimait osa m’ôter Poppée,
Jugez pour ressaisir votre main usurpée,
Quel scrupule on aura du plus noir attentat,
Contre un rival ensemble et d’amour et d’État.
1085 Il n’est point ni d’exil, ni de Lusitanie,
Qui dérobe à Pison le reste de ma vie,
Et je sais trop la cour pour douter un moment,
Ou des soins de sa haine, ou de l’événement.

CAMILLE

Et c’est là ce grand coeur qu’on croyait intrépide ?
1090 Le péril comme un autre à mes yeux l’intimide,
Et pour monter au trône, et pour me posséder,
Son espoir le plus beau n’ose rien hasarder ?
Il redoute Pison ? Dites-moi donc, de grâce,
Si d’aimer en lieu même on vous a vu l’audace,
1095 Si pour vous et pour lui le trône eut même appas,
Êtes-vous moins rivaux pour ne m’épouser pas ?
À quel droit voulez-vous que cette haine cesse
Pour qui lui disputa ce trône et sa maîtresse,
Et qu’il veuille oublier se voyant souverain
1100 Que vous pouvez dans l’âme en garder le dessein ?
Ne vous y trompez plus, il a vu dans cette âme,
Et votre ambition, et toute votre flamme,
Et peut tout contre vous, à moins que contre lui
Mon hymen chez Galba vous assure un appui.

OTHON

1105 Eh bien, il me perdra pour vous avoir aimée,
Sa haine sera douce à mon âme enflammée,
Et tout mon sang n’a rien que je veuille épargner.
Si ce n’est que par là que vous pouvez régner.
Permettez cependant à cet amour sincère
1110 De vous redire encor ce qu’il n’ose vous taire.
En l’état qu’est Pison, il vous faut aujourd’hui
Renoncer à l’empire, ou le prendre avec lui.
Avant qu’en décider pensez-y bien, Madame,
C’est votre intérêt seul qui fait parler ma flamme.
1115 Il est mille douceurs dans un grade si haut,
Où peut-être avez-vous moins pensé qu’il ne faut,
Peut-être en un moment serez-vous détrompée,
Et si j’osais encor vous parler de Poppée,
Je dirais que sans doute elle m’aimait un peu,
1120 Et qu’un trône alluma bientôt un autre feu.
Le ciel vous a fait l’âme et plus grande et plus belle,
Mais vous êtes princesse, et femme enfin comme elle.
L’horreur de voir une autre au rang qui vous est dû,
Et le juste chagrin d’avoir trop descendu,
1125 Presseront en secret cette âme de se rendre
Même au plus faible espoir de le pouvoir reprendre.
Les yeux ne veulent pas en tout temps se fermer,
Mais l’empire en tout temps a de quoi les charmer,
L’amour passe ou languit, et pour fort qu’il puisse être,
1130 De la soif de régner il n’est pas toujours maître.

CAMILLE

Je ne sais quel amour je vous ai pu donner,
Seigneur, mais sur l’empire il aime à raisonner,
Je l’y trouve assez fort, et même d’une force
À montrer qu’il connaît tout ce qu’il a d’amorce,
1135 Et qu’à ce qu’il me dit touchant un si grand choix
Il a daigné penser un peu plus d’une fois.
Je veux croire avec vous qu’il est ferme et sincère,
Qu’il me dit seulement ce qu’il n’ose me taire,
Mais à parler sans feinte…

OTHON

Ah ! Madame, croyez…

CAMILLE

1140 Oui, j’en croirai Pison à qui vous m’envoyez,
Et vous, pour vous donner quelque peu plus de joie,
Vous en croirez Plautine à qui je vous renvoie.
Je n’en suis point jalouse, et le dis sans courroux,
Vous n’aimez que l’empire, et je n’aimais que vous.
1145 N’en appréhendez rien, je suis femme et princesse,
Sans en avoir pourtant l’orgueil, ni la faiblesse,
Et votre aveuglement me fait trop de pitié,
Pour l’accabler encor de mon inimitié.
Elle sort.

OTHON

Que je vois d’appareils, Albin, pour ma ruine !

ALBIN

1150 Seigneur, tout est perdu, si vous voyez Plautine.

OTHON

Allons-y toutefois, le trouble où je me vois
Ne peut souffrir d’avis que d’un coeur tout à moi.

ACTE IV §

SCÈNE I. Othon, Plautine. §

PLAUTINE

Que voulez-vous, Seigneur, qu’enfin je vous conseille ?
Je sens un trouble égal d’une douleur pareille,
1155 Et mon coeur tout à vous n’est pas assez à soi,
Pour trouver un remède aux maux que je prévois.
Je ne sais que pleurer, je ne sais que vous plaindre.
Le seul choix de Pison nous donne tout à craindre,
Mon père vous a dit qu’il ne laisse à tous trois
1160 Que l’espoir de mourir ensemble à notre choix ;
Et nous craignons de plus une amante irritée
D’une offre en moins d’un jour reçue et rétractée,
D’un hommage où la suite a si peu répondu,
Et d’un trône qu’en vain pour vous elle a perdu.
1165 Pour vous avec ce trône elle était adorable,
Pour vous elle y renonce, et n’a plus rien d’aimable ;
Où ne portera point un si juste courroux
La honte de se voir sans l’empire et sans vous ?
Honte d’autant plus grande et d’autant plus sensible,
1170 Qu’elle s’y promettait un retour infaillible,
Et que sa main par vous croyait tôt regagner
Ce que son coeur pour vous paraissait dédaigner.

OTHON

Je n’ai donc qu’à mourir, je l’ai voulu, Madame,
Quand je l’ai pu sans crime, en faveur de ma flamme,
1175 Et je le dois vouloir quand votre arrêt cruel
Pour mourir justement m’a rendu criminel.
Vous m’avez commandé de m’offrir à Camille,
Grâces à nos malheurs ce crime est inutile,
Je mourrai tout à vous, et si pour obéir
1180 J’ai paru mal aimer, j’ai semblé vous trahir,
Ma main par ce même ordre à vos yeux enhardie
Lavera dans mon sang ma fausse perfidie.
N’enviez pas, Madame, à mon sort inhumain
La gloire de finir du moins en vrai Romain,
1185 Après qu’il vous a plu de me rendre incapable
Des douceurs de mourir en amant véritable.

PLAUTINE

Bien loin d’en condamner la noble passion,
J’y veux borner ma joie et mon ambition.
Pour de moindres malheurs on renonce à la vie.
1190 Soyez sûr de ma part de l’exemple d’Arrie,
J’ai la main aussi ferme et le coeur aussi grand,
Et quand il le faudra, je sais comme on s’y prend.
Si vous daigniez, Seigneur, jusque-là vous contraindre,
Peut-être espérerais-je en voyant tout à craindre,
1195 Camille est irritée, et se peut apaiser.

OTHON

Me condamneriez-vous, Madame, à l’épouser ?

PLAUTINE

Que n’y puis-je moi-même opposer ma défense !
Mais si vos jours enfin n’ont point d’autre assurance,
S’il n’est point d’autre asile…

OTHON

Ah ! Courons à la mort,
1200 Ou si pour l’éviter il faut nous faire effort,
Subissons de Lacus toute la tyrannie,
Avant que me soumettre à cette ignominie.
J’en saurai préférer les plus barbares coups
À l’affront de me voir sans l’empire et sans vous,
1205 Aux hontes d’un hymen qui me rendrait infâme,
Puisqu’on fait pour Camille un crime de sa flamme,
Et qu’on lui vole un trône en haine d’une foi
Qu’a voulu son amour ne promettre qu’à moi.
Non que pour moi sans vous ce trône eût aucuns charme,
1210 Pour vous je le cherchais, mais non pas sans alarmes,
Et si tantôt Galba ne m’eût point dédaigné,
J’aurais porté le sceptre, et vous auriez régné :
Vos seules volontés mes dignes souveraines
D’un empire si vaste auraient tenu les rênes,
1215 Vos lois…

PLAUTINE

C’est donc à moi de vous faire empereur.
Je l’ai pu, les moyens d’abord m’ont fait horreur,
Mais je saurai la vaincre, et me donnant moi-même,
Vous assurer ensemble et vie et diadème,
Et réparer par là le crime d’un orgueil
1220 Qui vous dérobe un trône et vous ouvre un cercueil.
De Martian pour vous j’aurais eu le suffrage,
Si j’avais pu souffrir son insolent hommage,
Son amour…

OTHON

Martian se connaîtrait si peu,
Que d’oser…

PLAUTINE

Il n’a pas encore éteint son feu,
1225 Et du choix de Pison quelles que soient les causes,
Je n’ai qu’à dire un mot pour brouiller bien des choses.

OTHON

Vous vous ravaleriez jusques à l’écouter ?

PLAUTINE

Pour vous j’irai, Seigneur, jusques à l’accepter.

OTHON

Consultez votre gloire, elle saura vous dire…

PLAUTINE

1230 Qu’il est de mon devoir de vous rendre l’empire.

OTHON

Qu’un front encor marqué des fers qu’il a portés…

PLAUTINE

A droit de me charmer s’il fait vos sûretés.

OTHON

En concevez-vous bien toute l’ignominie ?

PLAUTINE

Je n’en puis voir, Seigneur, à vous sauver la vie.

OTHON

1235 L’épouser à ma vue, et pour comble d’ennui…

PLAUTINE

Donnez-vous à Camille, ou je me donne à lui.

OTHON

Périssons, périssons, Madame, l’un pour l’autre,
Avec toute ma gloire, avec toute la vôtre ;
Pour nous faire un trépas dont les dieux soient jaloux,
1240 Rendez-vous toute à moi, comme moi tout à vous ;
Ou si pour conserver en vous tout ce que j’aime
Mon malheur vous obstine à vous donner vous-même,
Du moins de votre gloire ayez un soin égal,
Et ne me préférez qu’un illustre rival.
1245 J’en mourrai de douleur, mais je mourrais de rage,
Si vous me préfériez un reste d’esclavage.

SCÈNE II. Vinius, Othon, Plautine. §

OTHON

Ah ! Seigneur, empêchez que Plautine…

VINIUS

Seigneur,
Vous empêcherez tout si vous avez du coeur.
Malgré de nos destins la rigueur importune,
1250 Le ciel met en vos mains toute notre fortune.

PLAUTINE

Seigneur, que dites-vous ?

VINIUS

Ce que je viens de voir,
Que pour être empereur il n’a qu’à le vouloir.

OTHON

Ah ! Seigneur, plus d’empire, à moins qu’avec Plautine…

VINIUS

Saisissez-vous d’un trône où le ciel vous destine,
1255 Et pour choisir vous-même avec qui le remplir,
À vos heureux destins aidez à s’accomplir.
L’armée a vu Pison, mais avec un murmure
Qui semblait mal goûter ce qu’on vous fait d’injure.
Galba ne l’a produit qu’avec sévérité,
1260 Sans faire aucun espoir de libéralité.
Il pouvait sous l’appas d’une feinte promesse
Jeter dans les soldats un moment d’allégresse ;
Mais il a mieux aimé hautement protester
Qu’il savait les choisir et non les acheter.
1265 Ces hautes duretés, à contretemps poussées
Ont rappelé l’horreur des cruautés passées,
Lorsque d’Espagne à Rome il sema son chemin
De Romains immolés à son nouveau destin,
Et qu’ayant de leur sang souillé chaque contrée
1270 Par un nouveau carnage il y fit son entrée.
Aussi durant le temps qu’a harangué Pison
Ils ont de rang en rang fait courir votre nom,
Quatre des plus zélés sont venus me le dire,
Et m’ont promis pour vous les troupes et l’empire.
1275 Courez donc à la place, où vous les trouverez,
Suivez-les dans leur camp, et vous en assurez,
Un temps bien pris peut tout.

OTHON

Si cet astre contraire
Qui m’a…

VINIUS

Sans discourir, faites ce qu’il faut faire,
Un moment de séjour peut tout déconcerter,
1280 Et le moindre soupçon vous va faire arrêter.

OTHON

Avant que de partir souffrez que je proteste…

VINIUS

Partez, en empereur vous nous direz le reste.

SCÈNE III. Vinius, Plautine. §

VINIUS

Ce n’est pas tout, ma fille, un bonheur plus certain
Quoi qu’il puisse arriver, met l’empire en ta main.

PLAUTINE

1285 Flatteriez-vous Othon d’une vaine chimère ?

VINIUS

Non : tout ce que j’ai dit n’est qu’un rapport sincère,
Je crois te voir régner avec ce cher Othon,
Mais n’espère pas moins du côté de Pison.
Galba te donne à lui. Piqué contre Camille,
1290 Dont l’amour a rendu son projet inutile,
Il veut que cet hymen, punissant ses refus
Réunisse avec moi Martian et Lacus,
Et trompe heureusement les présages sinistres
De la division qu’il voit en ses ministres.
1295 Ainsi des deux côtés on combattra pour toi,
Le plus heureux des chefs t’apportera sa foi,
Sans part à ses périls tu l’auras à sa gloire,
Et verras à tes pieds l’une ou l’autre victoire.

PLAUTINE

Quoi, mon coeur par vous-même à ce héros donné
1300 Pourrait ne l’aimer plus s’il n’est point couronné,
Et s’il faut qu’à Pison son mauvais sort nous livre,
Pour ce même Pison je pourrais vouloir vivre ?

VINIUS

Si nos communs souhaits ont un contraire effet,
Tu te peux faire encor l’effort que tu t’es fait,
1305 Et qui vient de donner Othon au diadème,
Pour régner à son tour peut se donner soi-même.

PLAUTINE

Si pour le couronner j’ai fait un noble effort,
Dois-je en faire un honteux pour jouir de sa mort ?
Je me privais de lui sans me vendre à personne,
1310 Et vous voulez, Seigneur, que son trépas me donne,
Que mon coeur entraîné par la splendeur du rang,
Vole après une main fumante de son sang,
Et que de ses malheurs triomphante et ravie
Je sois l’infâme prix d’avoir tranché sa vie !
1315 Non, Seigneur, nous aurons même sort aujourd’hui,
Vous me verrez régner, ou périr avec lui,
Ce n’est qu’à l’un des deux que tout ce coeur aspire.

VINIUS

Que tu vois mal encor ce que c’est que l’empire !
Si deux jours seulement tu pouvais l’essayer,
1320 Tu ne croirais jamais le pouvoir trop payer,
Et tu verrais périr mille amants avec joie,
S’il fallait tout leur sang pour t’y faire une voie.
Aime Othon, si tu peux t’en faire un sûr appui,
Mais s’il en est besoin, aime-toi plus que lui,
1325 Et sans t’inquiéter où fondra la tempête,
Laisse aux dieux à leur choix écraser une tête,
Prends le sceptre aux dépens de qui succombera,
Et règne sans scrupule avec qui régnera.

PLAUTINE

Que votre politique a d’étranges maximes !
1330 Mon amour, s’il l’osait, y trouverait des crimes.
Je sais aimer, Seigneur, je sais garder ma foi,
Je sais pour un amant faire ce que je dois,
Je sais à son bonheur m’offrir en sacrifice,
Et je saurai mourir si je vois qu’il périsse :
1335 Mais je ne sais point l’art de forcer ma douleur
À pouvoir recueillir les fruits de son malheur.

VINIUS

Tiens pourtant l’âme prête à le mettre en usage,
Change de sentiments, ou du moins de langage,
Et pour mettre d’accord ta fortune et ton coeur,
1340 Souhaite pour l’amant, et te garde au vainqueur.
Adieu, je vois entrer la princesse Camille :
Quelque trouble où tu sois montre une âme tranquille,
Profite de sa faute, et tiens l’?il mieux ouvert
Au vif et doux éclat du trône qu’elle perd.

SCÈNE IV. Camille, Plautine, Albiane. §

CAMILLE

1345 Agréerez-vous, Madame, un fidèle service,
Dont je viens faire hommage à mon impératrice ?

PLAUTINE

Je crois n’avoir pas droit de vous en empêcher,
Mais ce n’est pas ici qu’il vous la faut chercher.

CAMILLE

Lorsque Galba vous donne à Pison pour épouse…

PLAUTINE

1350 Il n’est pas encor temps de vous en voir jalouse.

CAMILLE

Si j’aimais toutefois, ou l’empire, ou Pison,
Je pourrais déjà l’être avec quelque raison.

PLAUTINE

Et si j’aimais, Madame, ou Pison ou l’empire,
J’aurais quelque raison de ne m’en pas dédire.
1355 Mais votre exemple apprend aux coeurs comme le mien
Qu’un généreux mépris quelquefois leur sied bien.

CAMILLE

Quoi ? L’empire et Pison n’ont rien pour vous d’aimable ?

PLAUTINE

Ce que vous dédaignez je le tiens méprisable,
Ce qui plaît à vos yeux aux miens semble aussi doux,
1360 Tant je trouve de gloire à me régler sur vous.

CAMILLE

Donc si j’aimais Othon…

PLAUTINE

Je l’aimerais de même,
Si ma main avec moi donnait le diadème.

CAMILLE

Ne peut-on sans le trône être digne de lui ?

PLAUTINE

Je m’en rapporte à vous, qu’il aime d’aujourd’hui.

CAMILLE

1365 Vous pouvez mieux qu’une autre en dire des nouvelles,
Et comme vos ardeurs ont été mutuelles,
Votre exemple ne laisse à personne à douter
Qu’à moins de la couronne on peut le mériter.

PLAUTINE

Mon exemple ne laisse à douter à personne
1370 Qu’il pourra vous quitter à moins de la couronne.

CAMILLE

Il a trouvé sans elle en vos yeux tant d’appas…

PLAUTINE

Toutes les passions ne se ressemblent pas.

CAMILLE

En effet, vous avez un mérite si rare !

PLAUTINE

Mérite à part, l’amour est quelquefois bizarre,
1375 Selon l’objet divers le goût est différent,
Aux unes on se donne, aux autres on se vend.

CAMILLE

Qui connaissait Othon pouvait à la pareille
M’en donner en amie un avis à l’oreille.

PLAUTINE

Et qui l’estime assez pour l’élever si haut,
1380 Peut quand il lui plaira m’apprendre ce qu’il vaut.
Afin que si mes feux ont ordre de renaître…

CAMILLE

J’en ai fait quelque estime avant que le connaître,
Et vous l’ai renvoyé dès que je l’ai connu.

PLAUTINE

Qui vient de votre part est toujours bienvenu.
1385 J’accepte le présent, et crois pouvoir sans honte
L’ayant de votre main en tenir quelque conte.

CAMILLE

Pour vous rendre son âme il vous est venu voir ?

PLAUTINE

Pour négliger votre ordre il sait trop son devoir.

CAMILLE

Il vous a tôt quittée, et son ingratitude…

PLAUTINE

1390 Vous met-elle, Madame, en quelque inquiétude ?

CAMILLE

Non, mais j’aime à savoir comment on m’obéit.

PLAUTINE

La curiosité quelquefois nous trahit,
Et par un demi-mot que du coeur elle tire
Souvent elle dit plus qu’elle ne pense dire.

CAMILLE

1395 La mienne ne dit pas tout ce que vous pensez.

PLAUTINE

Sur tout ce que je pense elle s’explique assez.

CAMILLE

Souvent trop d’intérêt que l’amour force à prendre
Entend plus qu’on ne dit et qu’on ne doit entendre.
Si vous saviez quel est mon plus ardent désir…

PLAUTINE

1400 D’Othon et de Pison je vous donne à choisir.
Mon peu d’ambition vous rend l’un avec joie,
Et pour l’autre, s’il faut que je vous le renvoie,
Mon amour, je l’avoue, en pourra murmurer,
Mais vous savez qu’au vôtre il aime à déférer.

CAMILLE

1405 Je pourrai me passer de cette déférence.

PLAUTINE

Sans doute, et toutefois si j’en crois l’apparence…

CAMILLE

Brisons-là, ce discours deviendrait ennuyeux.

PLAUTINE

Martian que je vois vous entretiendra mieux.
Agréez ma retraite, et souffrez que j’évite
1410 Un esclave insolent de qui l’amour m’irrite.

SCÈNE V. Camille, Martian, Albiane. §

CAMILLE

À ce qu’elle me dit, Martian, vous l’aimez ?

MARTIAN

Malgré ses fiers mépris mes yeux en sont charmés.
Cependant pour l’empire, il est à vous encore,
Galba s’est laissé vaincre, et Pison vous adore.

CAMILLE

1415 De votre haut crédit c’est donc un pur effet ?

MARTIAN

Ne désavouez point ce que mon zèle a fait.
Mes soins de l’empereur ont fléchi la colère,
Et renvoyé Plautine obéir chez son père.
Notre nouveau César la voulait épouser,
1420 Mais j’ai su le résoudre à s’en désabuser.
Et Galba, que le sang presse pour sa famille
Permet à Vinius de mettre ailleurs sa fille,
L’un vous rend la couronne, et l’autre tout son coeur.
Voyez mieux quelle en est la gloire et la douceur,
1425 Quelle félicité vous vous étiez ôtée
Par une aversion un peu précipitée…
Et pour vos intérêts daignez considérer…

CAMILLE

Je vois quelle est ma faute, et puis la réparer,
Mais je veux, car jamais on ne m’a vue ingrate,
1430 Que ma reconnaissance auparavant éclate,
Et n’accorderai rien qu’on ne vous fasse heureux.
Vous aimez, dites-vous, cet objet rigoureux,
Et Pison dans sa main ne verra point la mienne,
Qu’il n’ait réduit Plautine à vous donner la sienne,
1435 Si pourtant le mépris qu’elle fait de vos feux
Ne vous a pu contraindre à former d’autres voeux.

MARTIAN

Ah ! Madame, l’hymen a de si douces chaînes,
Qu’il lui faut peu de temps pour calmer bien des haines,
Et du moins mon bonheur saurait avec éclat
1440 Vous venger de Plautine, et punir un ingrat.

CAMILLE

Je l’avais préféré, cet ingrat, à l’empire,
Je l’ai dit, et trop haut pour m’en pouvoir dédire,
Et l’amour qui m’apprend le faible des amants
Unit vos plus doux voeux à mes ressentiments,
1445 Pour me faire ébaucher ma vengeance en Plautine,
Et l’achever bientôt par sa propre ruine.

MARTIAN

Ah ! Si vous la voulez, je sais des bras tous prêts,
Et j’ai tant de chaleur pour tous vos intérêts…

CAMILLE

Ah, que c’est me donner une sensible joie !
1450 Ces bras que vous m’offrez faites que je les voie,
Que je leur donne l’ordre et prescrive le temps.
Je veux qu’aux yeux d’Othon vos désirs soient contents,
Que lui-même il ait vu l’hymen de sa maîtresse
Livrer entre vos bras l’objet de sa tendresse,
1455 Qu’il ait ce désespoir avant que de mourir :
Après, à son trépas vous me verrez courir ;
Jusque-là gardez-vous de rien faire entreprendre.
Du pouvoir qu’on me rend vous devez tout attendre.
Allez vous préparer à ces heureux moments,
1460 Mais n’exécutez rien sans mes commandements.

SCÈNE VI. Camille, Albiane. §

ALBIANE

Vous voulez perdre Othon ! Vous le pouvez, madame !

CAMILLE

Que tu pénètres mal dans le fond de mon âme !
De son lâche rival voyant le noir projet
J’ai su par cette adresse en arrêter l’effet,
1465 M’en rendre la maîtresse, et je serai ravie
S’il peut savoir les soins que je prends de sa vie.
Va me chercher ton frère, et fais que de ma part
Il apprenne par lui ce qu’il court de hasard,
À quoi va l’exposer son aveugle conduite,
1470 Et qu’il n’est plus pour lui de salut qu’en la fuite.
C’est tout ce qu’à l’amour peut souffrir mon courroux.

ALBIANE

Du courroux à l’amour le retour serait doux.

SCÈNE VII. Camille, Rutile, Albiane. §

RUTILE

Ah ! Madame, apprenez quel malheur nous menace.
Quinze ou vingt révoltés au milieu de la place
1475 Viennent de proclamer Othon pour empereur.

CAMILLE

Et de leur insolence Othon n’a point d’horreur,
Lui qui sait qu’aussitôt ces tumultes avortent ?

RUTILE

Ils le mènent au camp, ou plutôt ils l’y portent,
Et ce qu’on voit de peuple autour d’eux s’amasser
1480 Frémit de leur audace, et les laisse passer.

CAMILLE

L’empereur le sait-il ?

RUTILE

Oui, Madame, il vous mande,
Et pour un prompt remède à ce qu’on appréhende,
Pison de ces mutins va courir sur les pas
Avec ce qu’on pourra lui trouver de soldats.

CAMILLE

1485 Puisque Othon veut périr, consentons qu’il périsse,
Allons presser Galba pour son juste supplice.
Du courroux à l’amour si le retour est doux,
On repasse aisément de l’amour au courroux.

ACTE V §

SCÈNE PREMIÈRE. Galba, Camille, Rutile, Albiane. §

GALBA

Je vous le dis encor, redoutez ma vengeance,
1490 Pour peu que vous soyez de son intelligence.
On ne pardonne point en matière d’État,
Plus on chérit la main, plus on hait l’attentat,
Et lorsque la fureur va jusqu’au sacrilège,
Le sexe ni le sang n’ont point de privilège.

CAMILLE

1495 Cet indigne soupçon serait bientôt détruit,
Si vous voyiez du crime où doit aller le fruit.
Othon, qui pour Plautine au fond du coeur soupire,
Othon, qui me dédaigne à moins que de l’empire,
S’il en fait sa conquête et vous peut détrôner,
1500 Laquelle de nous deux voudra-t-il couronner ?
Pourrais-je de Pison conspirer la ruine,
Qui m’arrachant du trône y porterait Plautine ?
Croyez mes intérêts si vous doutez de moi,
Et sur de tels garants assuré de ma foi,
1505 Tournez sur Vinius toute la défiance
Dont veut ternir ma gloire une injuste croyance.

GALBA

Vinius par son zèle est trop justifié,
Voyez ce qu’en un jour il m’a sacrifié.
Il m’offre Othon pour vous qu’il souhaitait pour gendre,
1510 Je le rends à sa fille, il aime à le reprendre,
Je la veux pour Pison, mon vouloir est suivi,
Je vous mets en sa place, et l’en trouve ravi,
Son ami se révolte, il presse ma colère,
Il donne à Martian Plautine à ma prière,
1515 Et je soupçonnerais un crime dans les voeux
D’un homme qui s’attache à tout ce que je veux ?

CAMILLE

Qui veut également tout ce qu’on lui propose
Dans le secret du coeur souvent veut autre chose,
Et maître de son âme il n’a point d’autre foi,
1520 Que celle qu’en soi-même il ne donne qu’à soi.

GALBA

Cet hymen toutefois est l’épreuve dernière
D’une foi toujours pure, inviolable, entière.

CAMILLE

Vous verrez à l’effet comment elle agira,
Seigneur, et comme enfin Plautine obéira.
1525 Sûr de sa résistance, et se flattant peut-être
De voir bientôt ici son cher Othon le maître,
Dans l’état où pour vous il a mis l’avenir,
Il promet aisément plus qu’il ne veut tenir.

GALBA

Le devoir désunit l’amitié la plus forte,
1530 Mais l’amour aisément sur ce devoir l’emporte,
Et son feu qui jamais ne s’éteint qu’à demi,
Intéresse une amante autrement qu’un ami.
J’aperçois Vinius. Qu’on m’amène sa fille.
J’en punirai le crime en toute la famille,
1535 Si jamais je puis voir par où n’en point douter ;
Mais aussi jusque-là j’aurais tort d’éclater.

SCÈNE II. Galba, Camille, Lacus, Vinius, Albiane. §

GALBA

Je vois d’ailleurs Lacus. Eh bien, Quelles nouvelles ?
Qu’apprenez-vous tous deux du camp de nos rebelles ?

VINIUS

Que ceux de la marine et les Illyriens
1540 Se sont avec chaleur joints aux prétoriens,
Et que des bords du Nil les troupes rappelées
Seules par leurs fureurs ne sont point ébranlées.

LACUS

Tous ces mutins ne sont que de simples soldats,
Aucun des chefs ne trempe en leurs vains attentats :
1545 Ainsi ne craignez rien d’une masse d’armée
Où déjà la discorde est peut-être allumée.
Sitôt qu’on y saura que le peuple à grands cris
Veut que de ces complots les auteurs soient proscrits,
Que du perfide Othon il demande la tête,
1550 La consternation calmera la tempête,
Et vous n’avez, Seigneur, qu’à vous y faire voir
Pour rendre d’un coup d’?il chacun à son devoir.

GALBA

Irons-nous, Vinius, hâter par ma présence
L’effet d’une si douce et si juste espérance ?

VINIUS

1555 Ne hasardez, Seigneur, que dans l’extrémité
Le redoutable effet de votre autorité.
Alors qu’il réussit, tout fait jour, tout lui cède,
Mais aussi quand il manque, il n’est plus de remède.
Il faut, pour déployer le souverain pouvoir,
1560 Sûreté toute entière, ou profond désespoir ;
Et nous ne sommes pas, Seigneur, à ne rien feindre,
En état d’oser tout, non plus que de tout craindre.
Si l’on court au grand crime avec avidité,
Laissez-en ralentir l’impétuosité,
1565 D’elle-même elle avorte, et la peur des supplices
Arme contre le chef ses plus zélés complices,
Un salutaire avis agit avec lenteur.

LACUS

Un véritable prince agit avec hauteur,
Et je ne conçois point cet avis salutaire,
1570 Quand on couronne Othon, de le regarder faire.
Si l’on court au grand crime avec avidité,
Il en faut réprimer l’impétuosité,
Avant que les esprits qu’un juste effroi balance
S’y puissent enhardir sur notre nonchalance,
1575 Et prennent le dessus de ces conseils prudents,
Dont on cherche l’effet quand il n’en est plus temps.

VINIUS

Vous détruirez toujours mes conseils par les vôtres ;
Le seul ton de ma voix vous en inspire d’autres,
Et tant que vous aurez ce rare et haut crédit
1580 Je n’aurai qu’à parler pour être contredit.
Pison, dont l’heureux choix est votre digne ouvrage,
Ne serait que Pison s’il eût eu mon suffrage :
Vous n’avez soulevé Martian contre Othon
Que parce que ma bouche a proféré son nom,
1585 Et verriez comme un autre une preuve assez claire
De combien votre avis est le plus salutaire,
Si vous n’aviez fait voeu d’être jusqu’au trépas
L’ennemi des conseils que vous ne donnez pas.

LACUS

Et vous l’ami d’Othon, c’est tout dire, et peut-être
1590 Qui le voulait pour gendre, et l’a choisi pour maître,
Ne fait encor de voeux qu’en faveur de ce choix,
Pour l’avoir et pour maître et pour gendre à la fois.

VINIUS

J’étais l’ami d’Othon, et le tenais à gloire
Jusqu’à l’indignité d’une action si noire,
1595 Que d’autres nommeront l’effet du désespoir
Où l’a, malgré mes soins, plongé votre pouvoir.
Je l’ai voulu pour gendre, et choisi pour l’empire ;
À l’un ni l’autre choix vous n’avez pu souscrire ;
Par là de tout l’état le bonheur s’agrandit,
1600 Et vous voyez aussi comme il vous applaudit.

GALBA

Qu’un prince est malheureux quand de ceux qu’il écoute
Le zèle cherche à prendre une diverse route,
Et que l’attachement qu’ils ont au propre sens
Pousse jusqu’à l’aigreur des conseils différents !
1605 Ne me trompé-je point, et puis-je nommer zèle
Cette haine à tous deux obstinément fidèle,
Qui peut-être en dépit des maux qu’elle prévoit
Seule en mes intérêts se consulte et se croit ?
Faites mieux, et croyez en ce péril extrême,
1610 Vous, que Lacus me sert, vous, que Vinius m’aime,
Ne haïssez qu’Othon, et songez qu’aujourd’hui
Vous n’avez à parler tous deux que contre lui.

VINIUS

J’ose donc vous redire, en serviteur sincère
Qu’il fait mauvais pousser tant de gens en colère,
1615 Qu’il faut donner aux bons pour s’entre-soutenir
Le temps de se remettre et de se réunir,
Et laisser aux méchants celui de reconnaître
Quelle est l’impiété de se prendre à son maître.
Pison peut cependant amuser leur fureur,
1620 De vos ressentiments leur donner la terreur,
Y joindre avec adresse un espoir de clémence
Au moindre repentir d’une telle insolence,
Et s’il vous faut enfin aller à son secours,
Ce qu’on veut à présent on le pourra toujours.

LACUS

1625 J’en doute, et crois parler en serviteur sincère,
Moi qui n’ai point d’amis dans le parti contraire.
Attendrons-nous, Seigneur, que Pison repoussé
Nous vienne ensevelir sous l’état renversé,
Qu’on descende en la place en bataille rangée,
1630 Qu’on tienne en ce palais votre cour assiégée,
Que jusqu’au Capitole Othon aille à vos yeux
De l’empire usurpé rendre grâces aux dieux,
Et que le front paré de votre diadème
Ce traître trop heureux ordonne de vous-même ?
1635 Allons, allons, Seigneur, les armes à la main
Soutenir le sénat et le peuple romain ;
Cherchons aux yeux d’Othon un trépas à leur tête,
Pour lui plus odieux, et pour nous plus honnête.
Et par un noble effort allons lui témoigner…

GALBA

1640 Eh bien, ma nièce, eh bien, est-il doux de régner ?
Est-il doux de tenir le timon d’un empire,
Pour en voir les soutiens toujours se contredire ?

CAMILLE

Plus on voit aux avis de contrariétés,
Plus à faire un bon choix on reçoit de clartés.
1645 C’est ce que je dirais si je n’étais suspecte :
Mais je suis à Pison, Seigneur, et vous respecte,
Et ne puis toutefois retenir ces deux mots,
Que si l’on m’avait crue on serait en repos.
Plautine qu’on amène aura même pensée.
1650 D’une vive douleur elle paraît blessée…

SCÈNE III. Galba, Camille, Vinius, Lacus, Plautine, Rutile, Albiane. §

PLAUTINE

Je ne m’en défends point, Madame, Othon est mort,
De quiconque entre ici c’est le commun rapport,
Et son trépas pour vous n’aura pas tant de charmes
Qu’à vos yeux comme aux miens il n’en coûte des larmes.

GALBA

1655 Dit-elle vrai, Rutile, ou m’en flatté-je en vain ?

RUTILE

Seigneur, le bruit est grand, et l’auteur incertain.
Tous veulent qu’il soit mort, et c’est la voix publique,
Mais comment et par qui, c’est ce qu’aucun n’explique.

GALBA

Allez, allez, Lacus, vous-même prendre soin
1660 De nous en faire voir un assuré témoin,
Et si de ce grand coup l’auteur se peut connaître…

SCÈNE IV. Martian, Galba, Atticus, Vinius, Camille. §

MARTIAN

Qu’on ne le cherche plus, vous le voyez paraître,
Seigneur, c’est par sa main qu’un rebelle puni…

GALBA

Par celle d’Atticus ce grand trouble a fini !

ATTICUS

1665 Mon zèle l’a poussée, et les dieux l’ont conduite,
Et c’est à vous, Seigneur, d’en arrêter la suite,
D’empêcher le désordre, et borner les rigueurs
Où contre des vaincus s’emportent des vainqueurs.

GALBA

Courons-y. Cependant consolez-vous, Plautine,
1670 Ne pensez qu’à l’époux que mon choix vous destine.
Vinius vous le donne, et vous l’accepterez
Quand vos premiers soupirs seront évaporés.
C’est à vous, Martian, que je la laisse en garde :
Comme c’est votre main que son hymen regarde,
1675 Ménagez son esprit, et ne l’aigrissez pas,
Vous pouvez, Vinius, ne suivre point mes pas,
Et la vieille amitié pour peu qu’il vous en reste…

VINIUS

Ah, c’est une amitié, Seigneur, que je déteste,
Mon coeur est tout à vous, et n’a point eu d’amis,
1680 Qu’autant qu’on les a vus à vos ordres soumis.

GALBA

Suivez, mais gardez-vous de trop de complaisance.

CAMILLE

L’entretien des amants hait toute autre présence,
Madame, et je retourne en mon appartement
Rendre grâces aux dieux d’un tel événement.

SCÈNE V. Martian, Plautine, Atticus, Soldats. §

PLAUTINE

1685 Allez-y renfermer des pleurs qui vous échappent.
Les désastres d’Othon ainsi que moi vous frappent,
Et si l’on avait cru vos souhaits les plus doux,
Ce grand jour le verrait couronner avec vous.
Voilà, voilà le fruit de m’avoir trop aimée,
1690 Voilà quel est l’effet…

MARTIAN

Si votre âme enflammée…

PLAUTINE

Vil esclave, est-ce à toi de troubler ma douleur ?
Est-ce à toi de vouloir adoucir mon malheur ?
À toi de qui l’amour m’ose en offrir un pire ?

MARTIAN

Il est juste d’abord qu’un si grand coeur soupire,
1695 Mais il est juste aussi de ne pas trop pleurer
Une perte facile et prête à réparer.
Il est temps qu’un sujet à son prince fidèle
Remplisse heureusement la place d’un rebelle ;
Un monarque le veut, un père en est d’accord,
1700 Vous devez pour tous deux vous faire un peu d’effort,
Et bannir de ce coeur la honteuse mémoire
D’un amour criminel qui souille votre gloire.

PLAUTINE

Lâche, Tu ne vaux pas que pour te démentir
Je daigne m’abaisser jusqu’à te repartir.
1705 Tais-toi, laisse en repos une âme possédée
D’une plus agréable encor que triste idée,
N’interromps plus mes pleurs.

MARTIAN

Tournez vers moi les yeux.
Après la mort d’Othon que pouvez-vous de mieux ?

PLAUTINE, cependant que deux soldats entrent et parlent à Atticus à l’oreille.

Quelque insolent espoir qu’ait ta folle arrogance,
1710 Apprends que j’en saurai punir l’extravagance,
Et percer de ma main ou ton coeur ou le mien,
Plutôt que de souffrir cet infâme lien.
Connais-toi, si tu peux, ou connais-moi.

ATTICUS

De grâce,
Souffrez…

PLAUTINE

De me parler tu prends aussi l’audace,
1715 Assassin d’un héros, que je verrais sans toi
Donner des lois au monde et les prendre de moi ?
Toi, dont la main sanglante au désespoir me livre ?

ATTICUS

Si vous aimez Othon, Madame, il va revivre,
Et vous verrez longtemps sa vie en sûreté,
1720 S’il ne meurt que des coups dont je me suis vanté.

PLAUTINE

Othon vivrait encore !

ATTICUS

Il triomphe, Madame,
Et maître de l’état comme vous de son âme,
Vous l’allez bientôt voir lui-même à vos genoux
Vous faire offre d’un sort qu’il n’aime que pour vous,
1725 Et dont sa passion dédaignerait la gloire,
Si vous ne vous faisiez le prix de sa victoire.
L’armée à son mérite enfin a fait raison,
On porte devant lui la tête de Pison ;
Et Camille tient mal ce qu’elle vient de dire,
1730 Ou rend grâces pour vous aux dieux d’un autre empire,
Et fatigue le ciel par des voeux superflus
En faveur d’un parti qu’il ne regarde plus.

MARTIAN

Exécrable, ainsi donc ta promesse frivole…

ATTICUS

Qui promet de trahir peut manquer de parole.
1735 Si je n’eusse promis ce lâche assassinat,
Un autre par ton ordre eût commis l’attentat,
Et tout ce que j’ai dit n’était qu’un stratagème
Pour livrer en ses mains Lacus, et Galba même.
Galba n’a rien à craindre, on respecte son nom,
1740 Et ce n’est que sous lui que veut régner Othon.
Quant à Lacus et toi, je vois peu d’apparence
Que vos jours à tous deux soient en même assurance,
Si ce n’est que madame ait assez de bonté
Pour fléchir un vainqueur justement irrité.
1745 Autour de ce palais nous avions deux cohortes
Qui déjà pour Othon en ont saisi les portes,
J’y commande, Madame, et mon ordre aujourd’hui
Est de vous obéir, et m’assurer de lui.
Qu’on l’emmène, Soldats, il blesse ici la vue.

MARTIAN

1750 Fut-il jamais disgrâce, ô dieux, plus imprévue !

PLAUTINE, seule.

Je me trouble, et ne sais par quel pressentiment
Mon coeur n’ose goûter ce bonheur pleinement,
Il semble avec chagrin se livrer à la joie,
Et bien qu’en ses douceurs mon déplaisir se noie,
1755 Je ne passe de l’une à l’autre extrémité
Qu’avec un reste obscur d’esprit inquiété.
Je sens… Mais que me veut Flavie épouvantée !

SCÈNE VI. Plautine, Flavie. §

FLAVIE

Vous dire que du ciel la colère irritée,
Ou plutôt du destin la jalouse fureur…

PLAUTINE

1760 Auraient-ils mis Othon aux fers de l’empereur,
Et dans ce grand succès la fortune inconstante
Aurait-elle trompé notre plus douce attente ?

FLAVIE

Othon est libre, il règne, et toutefois, hélas…

PLAUTINE

Serait-il si blessé qu’on craignît son trépas ?

FLAVIE

1765 Non, partout à sa vue on a mis bas les armes,
Mais enfin son bonheur vous va coûter des larmes.

PLAUTINE

Explique, explique donc ce que je dois pleurer.

FLAVIE

Vous voyez que je tremble à vous le déclarer.

PLAUTINE

Le mal est-il si grand ?

FLAVIE

D’un balcon, chez mon frère
1770 J’ai vu… Que ne peut-on, madame, vous le taire,
Ou qu’à voir ma douleur n’avez-vous deviné
Que Vinius…

PLAUTINE

Eh bien ?

FLAVIE

Vient d’être assassiné.

PLAUTINE

Juste ciel !

FLAVIE

De Lacus l’inimitié cruelle…

PLAUTINE

Ô d’un trouble inconnu présage trop fidèle !
1775 Lacus…

FLAVIE

C’est de sa main que part ce coup fatal.
Tous deux près de Galba marchaient d’un pas égal,
Lorsque tournant ensemble à la première rue
Ils découvrent Othon maître de l’avenue ;
Cet effroi ne les fait reculer quelques pas
1780 Que pour voir ce palais saisi par vos soldats,
Et Lacus aussitôt étincelant de rage
De voir qu’Othon partout leur ferme le passage,
Lance sur Vinius un furieux regard,
L’approche sans parler, et tirant un poignard…

PLAUTINE

1785 Le traître, hélas, Flavie, où me vois-je réduite ?

FLAVIE

Vous m’entendez, Madame ; et je passe à la suite.
Ce lâche sur Galba portant même fureur,
"Mourez, Seigneur, dit-il, mais mourez empereur,
Et recevez ce coup comme un dernier hommage,
1790 Que doit à votre gloire un généreux courage."
Galba tombe, et ce monstre enfin s’ouvrant le flanc
Mêle un sang détestable à leur illustre sang.
En vain le triste Othon, à cet affreux spectacle
Précipite ses pas pour y mettre un obstacle,
1795 Tout ce que peut l’effort de ce cher conquérant,
C’est de verser des pleurs sur Vinius mourant,
De l’embrasser tout mort. Mais le voilà, Madame,
Qui vous fera mieux voir les troubles de son âme.

SCÈNE VII. Othon, Plautine, Flavie. §

OTHON

Madame, savez-vous les crimes de Lacus ?

PLAUTINE

1800 J’apprends en ce moment que mon père n’est plus.
Fuyez, Seigneur, fuyez un objet de tristesse,
D’un jour si beau pour vous goûtez mieux l’allégresse,
Vous êtes empereur, épargnez-vous l’ennui
De voir qu’un père…

OTHON

Hélas, je suis plus mort que lui,
1805 Et si votre bonté ne me rend une vie
Qu’en lui perçant le coeur un traître m’a ravie,
Je ne reviens ici qu’en malheureux amant
Faire hommage à vos yeux de mon dernier moment.
Mon amour pour vous seule a cherché la victoire,
1810 Ce même amour sans vous n’en peut souffrir la gloire,
Et n’accepte le nom de maître des Romains,
Que pour mettre avec moi l’univers en vos mains.
C’est à vous d’ordonner ce qui lui reste à faire.

PLAUTINE

C’est à moi de gémir, et de pleurer mon père,
1815 Non que je vous impute en ma vive douleur
Les crimes de Lacus et de notre malheur,
Mais enfin…

OTHON

Achevez, s’il se peut, en amante,
Nos feux…

PLAUTINE

Ne pressez point un trouble qui s’augmente.
Vous voyez mon devoir, et connaissez ma foi,
1820 En ce funeste état répondez-vous pour moi ?
Adieu, Seigneur.

OTHON

De grâce, encore une parole.
Madame.

SCÈNE VIII. Othon, Albin. §

ALBIN

On vous attend, Seigneur, au Capitole ;
Et le sénat en corps vient exprès d’y monter
Pour jurer sur vos lois aux yeux de Jupiter.

OTHON

1825 J’y cours, mais quelque honneur, Albin, qu’on m’y destine,
Comme il n’aurait pour moi rien de doux sans Plautine,
Souffre du moins que j’aille en faveur de mon feu
Prendre pour y courir son ordre ou son aveu
Afin qu’à mon retour l’âme un peu plus tranquille
1830 Je puisse faire effort à consoler Camille,
Et lui jurer moi-même en ce malheureux jour
Une amitié fidèle au défaut de l’amour.