Par T. Corneille
A PARIS,
Chez LOUIS BILLAINE, au Palais
au second Pilier de la grand’ Salle, à la
Palme, & au grand Cesar
M. DC. LXVI.
AVEC PRIVILEGE DU ROI.
Édition critique établie par Khanam Ramzan dans le cadre d'un mémoire de master 1 sous la direction de Georges Forestier (2000)
Introduction §
Au cours du XVIIe siècle, le théâtre français connaît des transformations considérables. Si la tragédie et la comédie constituent aux yeux de la postérité les deux genres par excellence du théâtre classique, un nouveau genre, la tragi-comédie, a fortement marqué cette période. Les dramaturges tels Hardy, Rotrou, Du Ryer, de Scudéry, Boisrobert, Quinault ou Thomas Corneille pratiquèrent longtemps ce genre. D’origine italienne, la tragi-comédie fait son apparition en France dans la seconde moitié du XVIe siècle. Destinée à un public populaire, elle se caractérise dans la première moitié du siècle par son aspect irrégulier : les coups de théâtres, les déguisements, la diversité des lieux sont très fréquents sur scène. La tragi-comédie est à son apogée dans les années 1630-1640 ; elle connaît un succès bien supérieur à la tragédie et à la comédie. Théâtre de l’action, les représentations très animées avec des combats, des duels et des affrontements réjouissent les spectateurs de l’époque. Mais à partir des années 1660, la tragi-comédie se décline petit à petit pour disparaître complètement vers 1670 et laisser place à un nouveau genre, la tragédie héroïque. Ptolomée de Charenton et Faramond de Lapoujade en 1672 sont ainsi les deux dernières tragi-comédies du siècle. Après Antiochus, en 1666, aucune tragi-comédie ne sera jouée à l’hôtel de Bourgognes. La tragédie et la comédie sont très prisées du public : cette même année, Racine écrit Alexandre le Grand, Corneille Agésilas et Molière le Misanthrope et Le médecin malgré lui.
La tragi-comédie a connu une importante évolution tout au long du siècle : les pièces de Hardy et de Rotrou sont bien différentes de celles de Quinault et de Thomas Corneille. Avec l’établissement des bienséances et de la règle des trois unités à partir des années 1640, le genre caractérisé jusqu’à présent par son aspect irrégulier connaît un renouvellement total.
Destinées à un public plus raffiné, les pièces doivent respecter les valeurs morales des spectateurs. Les scènes violentes et obscènes si fréquentes dans la première moitié du siècle tendent à disparaître. La tragi-comédie devenue régulière, présente des similitudes de plus en plus importantes avec la tragédie. Certes, les coups de théâtre et les péripéties sont toujours présents sur scène mais les dramaturges insistent davantage sur les sentiments des héros ainsi que sur leurs traits psychologiques. Les déguisements des personnages sont remplacés par les déguisements des sentiments. « La tragi-comédie nous met devant les yeux de nobles aventures entre d’illustres personnes menacées de quelque grande infortune, qui se trouve suivie d’un heureux evenement » définit Chappuzeau en 1674. Ainsi, parfois seul le dénouement heureux à la fin de la pièce permet de distinguer une tragi-comédie de la tragédie. Dans sa thèse consacrée à l’œuvre de Thomas Corneille, Gustave Reynier répertorie les pièces du dramaturge et les classe selon différentes catégories. Or Antiochus, tragi-comédie régulière est classée avec les tragédies et fait l’objet d’une même étude. Cette confusion montre à quel point ce genre a connu des variations tout au long du siècle.
Chapitre premier : présentation §
Repères biographiques §
La biographie de Thomas Corneille est étroitement liée à celle de son illustre frère, Pierre Corneille. Mais si ce dernier est, de l’avis général, « le Père du théâtre français », son frère dont le nom n’a pas été retenu par la postérité, est pourtant avec Timocrate l’auteur du plus grand succès du XVIIe siècle.
Thomas Corneille est né le 20 août 1625 à Rouen, rue de la Pie. Il est issu d’une famille de la petite bourgeoisie de robe : son grand-père était commis au greffe du parlement de Rouen. Son père, à sa naissance est maître particulier des eaux et forêts, dans la vicomté de Rouen. Marthe le Pesant, sa mère, est la fille d’un avocat.
Thomas est âgé de cinq ans lorsque son frère, Pierre Corneille, fait jouer sa première comédie, Mélite, en 1630, par la troupe des comédiens du prince d’Orange de passage à Rouen. Son goût pour le théâtre se manifeste très tôt : il écrit déjà des pièces pour son école et participe même à un concours où il remporte le prix du miroir d’argent. Le 27 janvier 1637, à la suite du succès immense que rencontre Pierre Corneille au théâtre, notamment avec Le Cid, leur père est anobli. À sa mort, en 1639, Pierre Corneille devient le tuteur de son frère, alors mineur. Il se charge de compléter son éducation et décide de lui apprendre l’espagnol, la langue de Caldéron, qui lui sera fort utile pour la suite.
Thomas Corneille fait des études de droit à l’université de Caen pour être avocat, mais à peine a-t-il passé sa licence qu’il se lance dans le monde du théâtre. Il fait représenter en 16471 à l’Hôtel de Bourgogne sa première comédie, Les Engagements du hasard, traduction libre d’une pièce de Caldéron. La pièce reçoit un accueil très favorable du public. Pierre Corneille qui est alors très célèbre dans les sociétés mondaines présente son frère à l’Hôtel de Rambouillet. L’année suivante, Thomas Corneille fait jouer une seconde comédie, Le Feint Astrologue2, qui a autant de succès. Le jeune dramaturge, alors âgé de 25 ans se marie et épouse en 1650, Marguerite de Lampérière, qui n’est autre que la sœur de Marie de Lampérière, épouse de Pierre Corneille ; les deux ménages vivent dans deux maisons contiguës. Cette même année, le dramaturge présente Don Bertrand de Cigarral, comédie imitée de l’espagnol Franscisco de Rojas. En concurrence avec Scarron et Boisrobert, il écrit ainsi une série de comédies qui auront presque toutes autant de succès. Nous pouvons citer Le Geôlier de soi-même, représenté en 1655 et souvent appelé Jodelet Prince car le rôle y était tenu par le célèbre acteur comique ou encore Le Baron d’Albikrac, en 1668.
Après l’échec de sa Pertharite en 1651, Pierre Corneille renonce au théâtre et ne fait jouer aucune pièce nouvelle pendant sept ans. Thomas Corneille qui n’a alors écrit que des comédies va faire représenter sa première tragédie ou plutôt tragi-comédie, Timocrate en 1656. L’intrigue compliquée que présente la pièce a ravi tout Paris : le Roi et la Cour se déplacent au Marais au lieu d’attendre que la troupe viennent la représenter. Jouée 80 fois consécutivement, Timocrate est le plus grand succès du siècle. Le dramaturge jouit à présent d’une excellente réputation. En 1662, les deux frères quittent Rouen pour venir s’installer à Paris. Ils sont logés pendant deux ans par le Duc de Guise à qui Thomas Corneille avait dédié Timocrate. A la mort de ce dernier, les deux ménages vont habiter la rue des Deux-Portes. En plus des bénéfices tirés de ses pièces, Thomas Corneille reçoit une gratification de 1000 livres de la part du Roi de 1664 à 1666, tandis que son frère en reçoit 2000. Certaines de ses tragédies, comme Camma en 1661 et Ariane en 1672 eurent un grand succès. La première attira tant de spectateurs qu’il fallu jouer un jour supplémentaire dans la semaine, le jeudi, en plus du dimanche, mardi et vendredi.
En 1675, avec la collaboration de Donneau de Visé, il met en scène deux pièces à grand spectacle, Circé et L’Inconnu, très applaudies du public : le Roi et la cour se déplacent une nouvelle fois pour la représentation de Circé. En 1679, La Devineresse est jouée plusieurs mois d’affilée : les spectateurs apprécient les « effets spéciaux » utilisés.
À partir de 1681, parallèlement à sa carrière de dramaturge, Thomas Corneille est également journaliste au Mercure Galant, dont il est co-propriétaire et co-directeur avec son ami De Visé. Tous deux racontent dans le journal mondain les nouvelles de la Cour et de Paris.
Cette même année, les deux frères se séparent. Pierre Corneille va s’installer rue d’Argenteuil, son frère, juste à coté, rue du Clos-Georgest. Mais la bonne entente qui avait uni les deux ménages pendant si longtemps prend fin le premier octobre 1684, avec la mort du « grand Corneille ». Le 2 janvier 1685, Thomas Corneille est reçu par Racine à l’Académie française pour occuper le fauteuil de son frère. Tous deux font dans leurs discours l’éloge du grand dramaturge.
En 1687, Perrault, à la suite de la lecture de son poème « le siècle de Louis Le Grand », déclenche la fameuse querelle des anciens et modernes. Thomas Corneille participe à cette querelle en prenant le parti de Perrault et s’opposant ainsi à Racine et Boileau, partisans des Anciens. L’un des chefs de fil des modernes n’est autre que Fontenelle, le neveu du dramaturge.
Thomas Corneille qui fréquente à présent de moins en moins les salons et les sociétés mondaines va renoncer presque complètement au théâtre pour se consacrer aux questions du langage. Ainsi, il publie en 1687 Notes sur les remarques de Vaugelas. L’auteur de Timocrate devient à présent un véritable érudit, à l’aide de quelques savants et artistes il écrit le Dictionnaire des termes d’art et de Science qui est censé concurrencer le Dictionnaire de Furetière, alors exclut de l’Académie française. Quelques années après, Thomas publie une édition critique des Remarques de Vaugelas. La même année, il achève de publier Métamorphoses et Pièces choisies d’Ovide, traduites en vers français et dédiés au Dauphin. En 1701, il fait partie de l’Académie des inscriptions. En 1709, devenu aveugle, le courageux érudit publie son dernier ouvrage, le Dictionnaire universel géographique et historique. Epuisé par tant d’années de travaux, il s’éteint le 8 décembre 1709.
Création et accueil de la pièce §
Antiochus, dédié au Duc de Guise est joué pour la première fois le 9 janvier 1666, chez le Duc de Créqui en l’honneur du mariage du Marquis de Roure. La pièce ensuite représentée à l’Hôtel de Bourgogne le 25 mai connaît un succès considérable. Pour en témoigner, nous pouvons citer la lettre en vers de Robinet, datant du 29 mai c’est-à-dire quelques jours après la première représentation. L’auteur fait l’éloge de la pièce et en profite aussi pour présenter le sujet ainsi que les comédiens :
Je vis Mardi l’Antiochus,Et je veux que comme à Malchus,Quelque Pierre m’ôte une oreille,Si ce n’est pas une merveille.C’est un chef-d’œuvre assurément,Où tout se trouve également.Et depuis que dessus la Scene,Je vais voir de diverse veine,Et qu’elle a produit de nouveau,Je n’ai rien vû qui fut plus beau.Au reste, la Troupe Royale,Dans cette belle Piéce étale,Toute sa pompe, et tout son art ;Et toute flatterie à part,Chacun y soutient à merveille,La gloire du jeune Corneille,Oui ; Floridor, d’Antiochus,Et Monfleury de Séleucus,Expriment si bien les tendresses,Que les ames les plus tigresses,Voudroient prendre part aux soucis,Tant du père comme du fils,La Des- Œillets, sur ma parole,D’Arsinoé fait bien le rôle,Dedans l’intrigue du portrait,Qui certes, me plaît tout-à-fait,D’autre part aussi, Hauteroche,Pourroit toucher un cœur de roche,Quand de Tigrane son amant,Il représente le tourment !Pour d’Ennebaut la jeune Actrice,Dans le rôle de Stratonice,Qui veut épouser Séleucus,Et que son fils Antiochus,Aime d’un amour qui l’embrase,Elle vous réduit à l’extase,Par ses appas, et ses discours :Et sçait dans de feintes amoursEn inspirer de véritables,Par ses charmes de plus aimables,Enfin pour ne rien oublier,De ce que je dois publier,Poisson et Brécourt confidentes,Font des mieux, et sont très-brillantes.3
Plan de la pièce §
ACTE I §
Scène 1 : A l’occasion de son mariage avec Stratonice, Séleucus, roi de Syrie, offre à son fils Antiochus une partie de son royaume, la Phénicie. Par ce geste de générosité, il espère guérir le prince qui se meurt d’un mal mystérieux. Mais dans cette scène d’exposition, Antiochus qui s’entretient avec Tigrane son favori, refuse l’offre de son père. Tigrane qui évoque avec beaucoup d’enthousiasme les préparatifs du mariage du roi, prévu dans la soirée, s’étonne de voir le prince si triste et réservé. Celui-ci qui désire s’éloigner quelque temps de la cour demande à Tigrane d’aller voir son père et lui demander la permission de partir.
Scène 2 : Dans un long monologue, le prince exprime toute sa douleur : partagé entre deux sentiments, l’amour pour Stratonice et le respect envers son père, Antiochus préfère mourir plutôt que de dévoiler son secret à quelqu’un. Cette tristesse est d’autant plus forte que le prince vient de perdre le portrait de la princesse qu’il admirait en cachette à l’écart de tous.
Scène 3 : Stratonice vient voir Antiochus pour l’informer de l’inquiétude du roi à son sujet. Elle pense que le chagrin du prince vient du fait qu’il se sent écarté du trône. Celui-ci indigné par de tels propos jure du contraire.
Scène 4 : Phénice, la confidente de Stratonice fait remarquer à sa maîtresse la confusion du prince en sa présence. La princesse après quelques hésitations finit par lui avouer son amour pour Antiochus. Elle évoque sa première rencontre avec ce dernier dans la cour de son père Démétrius. Elle jure cependant de respecter sa parole et d’honorer Séleucus.
Scène 5 : Séleucus vient voir Stratonice pour lui informer des préparatifs du mariage qui doit bientôt les unir tous les deux. Il est cependant préoccupé par l’état de santé de son fils qui semble s’affaiblir de plus en plus. Aussi demande-t-il à sa fiancée d’aller voir le prince pour connaître les maux de son chagrin.
ACTE II §
Scène 1 : Arsinoé, la nièce du roi, vient de trouver la boîte contenant le portrait de Stratonice oubliée par Antiochus dans le jardin. Elle confie à Barsine, sa confidente, ses soupçons à l’égard du prince. Pour connaître la vérité elle décide de le tester en plaçant sous ses yeux la fameuse boîte. Avant son arrivée la princesse remplace le portrait de Stratonice par le sien.
Scène 2 : Comme Arsinoé l’avait supposée, le prince à la vue de la boîte est tout confus et troublé. Il prie sa cousine de lui remettre le précieux objet. Celle-ci convaincue de son amour pour Stratonice lui rend son trésor.
Scène 3 : Stratonice vient de nouveau voir le prince pour connaître les raisons de son départ, elle le prie de se confier à elle et de lui faire-part de ses soucis. Le prince après un long moment d’embarras finit enfin par lui avouer son secret : sans citer son nom, il lui remet la boîte qu’il vient de recevoir d’Arsinoé, en témoignage de son amour pour la princesse. Celle-ci persuadée de découvrir son portrait est fortement surprise et déçue en ouvrant la boite. Troublée, elle quitte le prince en emportant avec elle le portrait d’Arsinoé. Antiochus, lui, ignore cette confusion.
Scène 4 : Tigrane à son tour veut empêcher Antiochus de partir, mais en vain. Tous deux vont voir le roi.
ACTE III §
Scène 1 : Séleucus qui ne comprend pas la décision de son fils souhaite avoir des explications. Celui-ci refuse de se confier et le prie de le laisser partir.
Scène 2 : Le roi demande à Stratonice les raisons de ce départ. Celle-ci en guise d’explications lui remet le portrait qu’elle vient à l’instant de recevoir des mains d’Antiochus : le prince est malheureux car il est amoureux de la princesse Arsinoé. Séleucus qui croit enfin découvrir le secret de son fils en est tout heureux.
Scène 3 : Tigrane dont le mariage était prévu avec Arsinoé est ébranlé par cette nouvelle. D’autant plus que le roi lui somme de céder Arsinoé à son fils. Antiochus qui vient de découvrir son erreur est désemparé.
Scène 4 : Persuadé que le prince est amoureux d’Arsinoé. Tigrane, sur un ton pathétique, reproche à Antiochus de ne pas avoir respecté son amitié d’autant plus que le prince connaissait l’amour de son confident pour Arsinoé. Antiochus essaie de le persuader du contraire mais en vain. Celui-ci, par désespoir, veut se suicider
Scène 5 : Arsinoé, qui ne comprend pas pourquoi le roi veut la marier à Antiochus, vient le voir pour éclairer la situation. Le prince finit enfin par évoquer l’échange du portrait, responsable de tous ces malentendus.
Scène 6 : Tigrane qui ignore tout de la vérité se désespère. Arsinoé fidèle à son amour rassure le malheureux amant et lui promet de tout arranger.
ACTE IV §
Scène 1 : Stratonice, convaincue que son amour n’est pas partagé par Antiochus, exprime sa tristesse dans des stances.
Scène 2 : Sa confidente vient lui apprendre qu’Arsinoé, fidèle à Tigrane, refuse d’épouser Antiochus. Stratonice envie la jeune princesse et admire son caractère.
Scène 3 : Tigrane vient voir Stratonice pour lui faire-part de son désarroi : le roi pour obliger Arsinoé d’épouser son fils demande à Tigrane de renoncer publiquement à la princesse. Il prie Stratonice de réagir en sa faveur.
Scène 4 : Antiochus seul face à Stratonice lui déclare enfin son amour. Celle-ci, si elle feint au début d’être choquée par de tels propos, finit par avouer à son tour sa passion au prince. Elle lui rappelle cependant que sa main est destinée à son père à qui elle a donné sa parole.
Scène 5 : Antiochus dévoile aussi son secret à Arsinoé et lui reproche d’avoir substitué le portrait.
ACTE V §
Scène 1 : Le roi fait venir sa nièce une dernière fois pour la persuader de renoncer à Tigrane et d’épouser son fils. Après l’avoir longuement écoutée, la princesse lui apprend enfin la vérité : La femme pour qui se meurt son fils n’est autre Stratonice.
Scène 2 : Dans un monologue douloureux, le roi, bouleversé par cette nouvelle, ne sait que penser : partagé entre son amour pour Stratonice et son affection pour son fils dont il admire la vertu et le respect, le roi doit faire un choix douloureux. Finalement, sa tendresse pour son fils l’emporte.
Scène 3 : Le roi qui doute encore des propos d’Arsinoé préfère s’en assurer lui-même et interroge son fils sur les sentiments qu’il éprouve pour Stratonice. Celui-ci nie toute passion pour la princesse.
Scène 4 : le roi apprend à Stratonice qu’elle est aimée d’Antiochus. Celui-ci pour prouver le contraire est prêt à épouser Arsinoé.
Scène 5 : Le roi ému par tant d’estime de la part de son fils le félicite. Il lui cède Stratonice et le fait couronner roi de Syrie.
Chapitre II : une œuvre méconnue §
Des sources à la pièce §
Les sources §
Thomas Corneille a tiré le sujet de sa pièce de l’histoire ancienne. Il cite dans sa préface trois auteurs anciens : Plutarque4, Valère Maxime5, et Appien6. Tous trois racontent dans leurs œuvres l’histoire d’Antiochus, amoureux de sa belle-mère, Stratonice.
Séleceus, roi des hautes provinces d’Asie, a épousé la jeune et belle Stratonice, fille de Démétrius, roi de Macédoine. Mais le prince Antiochus, fils de Séleucus tombe amoureux de la reine. Par respect et honneur pour son père, il dissimule sa passion coupable et en tombe malade. Il reste ainsi étendu sur son lit et se laisse mourir « en s’abstenant de boire et de manger, et ne faisant compte de chercher remède à son mal, feignant avoir quelque maladie intérieure et secrète dans le corps7 ». Le roi, inquiet de voir son fils dépérir ainsi, fait appel à son médecin personnel, Erasistrate. Celui-ci ayant remarqué qu’Antiochus ne souffrait d’aucune maladie physique, finit par conclure que son état s’expliquait par un amour refoulé. Aussi, pour savoir de qui Antiochus est amoureux, le médecin se montre très habile : il prend discrètement son bras et chaque fois qu’une personne entre dans la pièce, il vérifie son pouls. Or à l’arrivée de Stratonice le médecin remarque un vif changement, « à savoir que la parole et la voix lui faillait, le visage lui devenait rouge et enflammé, qu’il lui jetait à tous des œillades et puis lui prenait une sueur soudaine, son pouls se hantait et se haussait8… » Erasistrate découvre ainsi la vérité. Avec beaucoup de finesse, il en informe le roi. Celui-ci, qui a beaucoup d’affection pour son fils, décide aussitôt de divorcer de Stratonice et de la marier à son fils. Il lui cède aussi sa couronne et le fait proclamer roi de Syrie.
L’habileté et la finesse du médecin Erasistrate ont rendu cette fable très célèbre. Mais les trois historiens, en particulier Valère-Maxime, insistent surtout sur l’indulgence et l’affection de Séleucus pour son fils, Antiochus. Le père, qui fait preuve de beaucoup de générosité, se sacrifie pour le bonheur de son fils.
Comme la plupart des dramaturges de son époque, Thomas Corneille apporte certaines modifications aux données historiques, qui s’expliquent tant par le respect les règles de bienséances que les besoins de la structure dramatique.
Les influences §
L’histoire d’Antiochus est très célèbre à l’époque classique. De nombreux dramaturges ont traité ce sujet jusqu’au XIXe siècle sous forme de tragi-comédie, comédie9, comédie héroïque10 ou encore ballet11 et opéra-comique12. Pour notre étude nous nous intéresserons uniquement aux pièces écrites avant 1666, c’est-à-dire antérieures à Antiochus. Nous essayerons de voir à travers un travail de comparaison, les influences que ces dernières ont pû jouer dans la structure dramatique de la pièce.
Au XVIIe siècle, c’est Gillet de la Tessonnerie qui s’intéresse le premier à cette fable en publiant en 1642, Le Triomphe des cinq passions. Il consacre l’acte III de sa pièce à la passion d’Antiochus pour Stratonice. Le dramaturge, qui reste fidèle à l’Histoire en attribuant aux personnages les mêmes fonctions et caractères modifie cependant la fin : à un dénouement originellement heureux, il substitue une fin tragique. Ainsi, lorsque le médecin Erasistrate découvre la vérité, Antiochus, par sentiment de culpabilité se suicide :
Je succombe, et perdant la lumière du jour,Je meurs du seul regret d’avoir eu de l’amourCar comment veoir mon père après un si grand crime,Et comment appaiser le courroux qui l’anime…13
Rappelons que Gillet de la Tessonnerie blâme dans sa pièce les passions humaines. Au nombre de cinq, l’honneur, l’ambition, la jalousie, la haine et l’amour, le dramaturge les étudie une par une et en montre les conséquences néfastes. Aussi, par souci moral, Gillet de la Tessonnerie modifie la fin en remplaçant le mariage arrangé par un suicide.
En 1644, Brosse reprend le même sujet dans La Stratonice ou le Malade d’Amour. Mais, contrairement à son prédécesseur, qui consacrait un acte assez court à l’histoire d’Antiochus, il offre une pièce en cinq actes fort réussie. Il est le premier a apporté beaucoup de nouveauté aux données historiques. Tout d’abord, en faisant partager par Stratonice les sentiments amoureux qu’éprouve Antiochus. Celle-ci avoue ainsi à sa confidente, tout comme la Stratonice de Thomas Corneille, son amour pour le prince :
Tu peux avoir raison t’offencer de ma flame,Mais respecte celuy qui l’allume en mon ameNe me condamne pas, ou condamne les Dieux,Et la nature aussi qui m’ont donné des yeux ;14
Le dramaturge renouvelle le sujet en ajoutant le personnage de Thamire, fille de Meesappe, roi de Theffalie. Le mariage de cette princesse est prévu avec Antiochus, mais ce dernier amoureux de Stratonice tombe malade et perd la raison. Dans sa folie, feinte ou réelle, nous ne pouvons le savoir, le prince répète sans cesse le nom de Thamire, ce qui laisse croire à tous que le prince se meurt d’amour pour elle. Stratonice qui pensait que le prince partageait son amour en est fortement déçue. Elle en informe Thamire :
Quand le Roi vostre père envoya par écritL’hymen que l’on receut aux charges qu’il offrit ;Vous savez qu’ Idam on apporta votre imageAfin qu’on vous connut au moins sous un ombrage ;Bien que l’on ne vous vit en ce petit tableau,Que comme le Soleil lors qu’on le voit dans l’eau ;Vous ne laissates pas d’inspirer de la flamme,Dans le cœur d’Antiochus et de charmer son ame,Mais avecques tant d’heur, que ce portrait fatal,Le força doucement d’aymer l’original,Depuis qu’il s’est montré triste, pensif, farouche15…
Le personnage de Thamire ressemble étrangement à celui d’Arsinöé. Nous retrouvons en effet dans ce passage, le thème du portrait qui fera croire à tous qu’Antiochus est amoureux d’elle. Le jeu de quiproquos provoqué par la substitution de portrait chez Thomas Corneille rappelle un autre passage de Brosse : Stratonice et Thamire, après s’être regardées dans un miroir pour savoir qui des deux est la plus belle pour mériter l’amour d’Antiochus, vont voir ce dernier et lui demandent de choisir. Celui-ci après une longue hésitation se retourne vers Stratonice et dit : « Thamire, c’est son nom »16.
Stratonice très surprise répond alors :
Reconnoissez par là donc, je ne suis pas Thamire,Decouvrez-luy vos feux, au lieu de me les dire,C’est elle, et non pas moy, qui vous les a causez.
Dans la pièce de Thomas Corneille, le prince fait la même confusion ; en croyant donner à Stratonice son portrait par preuve d’amour, il lui tend sans le savoir le portrait d’Arsinöé. Le dramaturge qui a écrit sa tragi-comédie 22 ans après, avait assurément lu la pièce de Brosse.
En 1657, Du Fayot reprend le sujet avec La Nouvelle Stratonice. Le dramaturge revient en partie à la donnée primitive : Stratonice est la femme de Séleucus et non plus sa fiancée, contrairement à la pièce de Brosse. Amoureuse elle aussi du prince, elle fait preuve cependant de beaucoup plus de réserve. Elle suit en effet les sages conseils de sa confidente Licofronne qui l’avertit ainsi :
Aimez donc Antioque, aimez-le en belle-mèreMais en aimant le fils, n’offensez pas le Pere.17
Du Fayot reprend aussi le personnage du médecin, qui a pour nom Litrate. Ce dernier utilise le même stratagème au dernier acte pour apprendre la douloureuse vérité au roi. Quant au personnage d’Antiochus (Antioque) il joue un rôle aussi tragique que le héros de Thomas Corneille. A la scène II de l’acte II, après un long monologue douloureux, Antiochus, pour mettre fin à sa souffrance sort un poignard et décide de se suicider. Son confident, Terpandre, arrive à temps et l’en empêche. Antiochus lui confie alors pour la première fois son secret. Ce dernier lui propose de s’éloigner quelque temps de la cour et lui conseille ainsi de passer trois mois à Laodice. Thomas Corneille reprendra dans sa pièce le thème de l’éloignement mais dans l’ordre inverse : c’est Antiochus qui prend la décision de quitter la cour, à la grande surprise de Tigrane qui ignore le véritable motif.
L’originalité du dramaturge consiste à ajouter un épisode, basé sur un déguisement de personnage, avec un arrière fond politique.18 Quinault s’inspire de cette nouveauté pour écrire deux ans plus tard Stratonice. Il ajoute le personnage de Barsine, femme ambitieuse qui veut gagner l’amour de Seleucus dans l’espoir d’être un jour reine. Le dramaturge renouvelle la fable en une véritable pièce romanesque. En effet, Il s’écarte complètement des textes anciens : Stratonice et Antiochus s’aiment réciproquement mais n’osent pas se l’avouer. La princesse, en présence du prince, feint de le haïr, celui-ci adopte le même comportement même si en secret, il se meurt d’amour pour elle. Quinault, auteur par excellence de la tragédie galante avec Thomas Corneille, utilise le thème de la feinte, alors très à la mode dans les tragi-comédies. Ce déguisement des sentiments domine toute la pièce. Mais si Antiochus se laisse mourir ainsi ce n’est pas seulement par respect pour son père comme c’est le cas chez Thomas Corneille, mais surtout parce qu’il se croit haït de Stratonice. Quinault s’écarte ainsi complètement de la version historique.
« J’ai cru devoir abandonner le sujet de Stratonice qui me plaisait fort seulement à cause que M. Quinault était plus avancé de 200 vers que moi et je n’ai rien fait en ce rencontre que ce que je m’imagine qu’un autre ferait pour moi dans une pareille occasion », écrira Thomas Corneille dans une lettre datée du premier décembre 1659. Il ne reviendra sur ce sujet que sept ans plus tard. Mais si le dramaturge est le dernier à traiter ce sujet sous forme de tragi-comédie, il fait cependant preuve d’une grande invention.
Les règles de bienséances §
En intitulant sa tragi-comédie Antiochus, Thomas Corneille veut rester fidèle à l’Histoire. Il reprend les mêmes personnages historiques et confère à Antiochus et à Seleceus les fonctions et les caractères originels. Le dramaturge précise dans sa préface : « Je me suis particulièrement attaché à donner à Antiochus le caractère de ce profond respect qui l’empescha de recevoir personne dans sa confidence… » Mais si les deux personnages masculins conservent les mêmes traits, il n’en est pas de même pour le personnage de Stratonice, auquel le dramaturge a apporté certaines modifications. Les textes primitifs précisent que Stratonice est mariée à Seleceus et est déjà mère d’un enfant lorsque Antiochus tombe amoureux d’elle. Thomas Corneille est obligé, par respect des bienséances externes, de modifier ces donnés. « La scène ne donne point les choses comme elles ont été mais comme elles devaient être », précise d’Aubignac dans la pratique du théâtre. Thomas Corneille, en représentant l’amour incestueux de Stratonice et de Seleucus, risquerait fortement de scandaliser les spectateurs. C’est pourquoi, il décide de faire de Stratonice non la femme de Seleucus, mais sa fiancée. Dans la scène d’exposition, Antiochus évoque le mariage qui doit unir son père et la princesse :
Je sçai que Seleucus adore Stratonice,Qu’il ne vit que pour elle, et que jamais l’AmourNe prit tant d’interest aux pompes d’un grand jour ;19
Avec l’établissement des règles de bienséances, les dramaturges doivent ainsi éviter de choquer les valeurs chrétiennes du public. Marmontel fait une distinction intéressante entre les convenances et les bienséances : « Les convenances, relatives aux personnages regardent les usages les mœurs du temps et du lieu d’action, les bienséances, relatives aux spectateurs, regardent l’opinion et les mœurs du pays et du siècle où l’action est représenté20 ».
Cet amour incestueux au sein de la triade père, fils et belle-mère est présente dans Phèdre, tragédie écrite en 1677 par Racine. Dans cette pièce dont le sujet est puisé chez Euripide et Sénèque, le dramaturge, conscient de la situation malséante que pouvait produire la représentation de l’amour incestueux de Phèdre pour son beau-fils Hippolyte, prend le soin de préciser certains éléments. Ainsi, Phèdre, amoureuse d’Hippolyte dès le premier jour, lui avoue sa passion une fois seulement qu’elle a appris la mort de son mari. Juste après s’être confié à Oenone, sa nourrice, elle apprend par Panope le décès de son mari. Un serviteur vient lui apprendre cette nouvelle :
Je voudrais vous cacher une triste nouvelleMadame. Mais il faut que je vous la révèleLa mort vous a ravi votre invincible époux21 ;
Phèdre se croyant veuve déclare alors sa passion à son beau-fils. Mais lorsque Thésée, son époux est de retour, celle-ci, prit de remords après un tel crime se suicide. Il est intéressant de remarquer que Racine est l’un des seuls dramaturges de son époque à ne pas avoir modifié la donnée primitive. En effet, dans les textes antérieurs à la pièce de Racine, Phèdre n’est pas mariée mais seulement fiancée à Thésée : Gilbert dans Hypolite ou le Garçon insensible en 1646 et Bidar dans Hippolyte en 1675 modifient les textes anciens par respect des bienséances. Pradon, grand concurrent de Racine en fera de même dans Phèdre et Hippolyte, pièce jouée deux jours après celle de Racine22. En traitant un sujet historique, les dramaturges, soucieux des valeurs morales du public doivent ainsi très souvent apporter des modifications aux données historiques. A noter toutefois que les bienséances tolèrent le suicide qui est pourtant rigoureusement interdit par l’Eglise. Considéré comme un acte de courage chez les Romains et les Grecs, le suicide est très souvent représenté sur scène au XVIIe siècle. Selon l’Abbé Morvan de Bellegarde, « il ne faut jamais y répandre le sang de personne, mais on y peut verser le sien, quand on y est porté par un beau désespoir ; c’était une action consacrée chez les Romains23 ». Dans notre pièce, il est évoqué à deux reprises : tout d’abord par le personnage d’Antiochus, qui est prêt à mourir par amour pour Stratonice, et par Tigrane qui songe à se donner la mort par désespoir, à l’acte IV.
Une tragi-comédie romanesque §
Les romans de la Calprenède et surtout de Mlle de Scudéry, Artamène, le Grand Cyrus et Clélie, alors très en vogue, inspirent beaucoup de dramaturges qui n’hésitent pas à représenter sur scène les intrigues et les péripéties des héros des romans. Comme Quinault, auteur de sept tragi-comédies galantes, Thomas Corneille suit la mode de son époque et réserve dans son œuvre une place primordiale à l’amour, à la préciosité et au romanesque.
Le romanesque de l’action §
Thomas Corneille transforme une anecdote ancienne en une véritable pièce romanesque. Tout en respectant ses sources, le dramaturge ajoute des éléments nouveaux à l’histoire. Notons tout d’abord la suppression du fameux médecin Erasistrate et l’introduction de deux nouveaux personnages entièrement fictifs, Arsinoé et Tigrane. Thomas Corneille a sans doute suivi les conseils d’Aubignac qui déconseille le sujet d’Antiochus en raison des difficultés que représente la situation : « Et ce fut l’advis que je donnay a celuy qui vouloit travailler sur les Amours de Stratonice et d’Antiochus : car le seul incident considérable, est l’adresse du Médecin qui fit passer devant les yeux de ce Prince malade depuis longtemps, toutes les Dames de la Cour, afin de juger par l’émotion de son poulx celle qu’il aimoit et qui causoit sa maladie ; Et j’estime qu’il est très difficile de faire un Poëme dramatique, dont le héros soit toujours au lict, ny de représenter cette circonstance ; car si Antiochus est encore au lict le matin, il faudra bien travailler pour le faire agir dans le même jour. De mettre aussi la Scène dans la chambre d’un malade, ou devant sa porte, cela ne seroit guère raisonnable24… »
Ainsi Thomas Corneille juge plus sage de supprimer le personnage d’Erasistrate. L’originalité du dramaturge consiste à remplacer ce personnage par celui d’Arsinoé, une jeune et belle princesse à qui il confère la même habileté. En effet, tout comme Erasistrate qui avait pris le bras du prince pour vérifier son pouls à l’arrivée de sa belle-mère, Arsinoé, pour connaître le secret du prince, place sous ses yeux la boîte contenant le portrait de Stratonice. Le prince est bien sûr tout ému et troublé à la vue de cet objet. Arsinoé procède de la même façon que le médecin pour dévoiler la vérité au roi : Erasistrate fait croire dans un premier temps au Roi que son fils est amoureux de sa propre femme. Ce dernier, heureux de découvrir la cause de la maladie de son fils prie le médecin de céder sa femme au prince mourant. Erasistrate lui demande alors s’il était capable de faire le même sacrifice, s’il s’agissait de sa femme, Stratonice. Ce dernier jure aussitôt que pour sauver son fils il céderait non seulement sa femme mais aussi son royaume. Arsinoé utilise la même ruse au dernier acte, lorsque le roi la somme d’épouser son fils :
Stratonice vous charme, et vous sentez pour elleTout ce qu’un rare Objet attend d’un cœur fidèleDans cét excez d’amour, prest à la posseder,Si le Prince l’aimoit, la pourriez- vous ceder ?Je répons de me vaincre, asseurez-m’en l’exemple.25
Enfin, c’est un personnage clef de l’action puisqu’elle sera à à l’origine de la substitution du portrait qui entraînera toute une série de quiproquos chez les personnages.
Le romanesque des sentiments §
Le dramaturge introduit un deuxième personnage fictif, Tigrane, qui est l’ami et le favori du prince Antiochus. Il se sert de ce nouveau personnage pour créer une intrigue secondaire. En effet, au couple Stratonice-Antiochus, vient s’ajouter le couple Arsinöé-Tigrane. La substitution du portrait entraîne des malentendus au sein de ces quatre personnages, ce qui rend l’intrigue encore plus complexe.
Enfin, Thomas Corneille apporte des changements concernant le caractère de Stratonice. En effet, alors que les textes anciens ne nous informent de rien sur les sentiments de la Reine à l’égard du prince, le dramaturge décide de lui donner un rôle beaucoup plus romanesque, celui de la princesse amoureuse. Thomas Corneille prend ainsi certaines libertés avec l’Histoire pour construire l’action de la pièce.
Nous pouvons remarquer qu’Antiochus présente quelques analogies avec les pièces antérieures. Certes, Thomas Corneille s’est inspiré de ses prédécesseurs pour composer sa tragi-comédie, cependant il faut noter que la pièce offre quelque originalité. En effet, le dramaturge, tout en respectant les données historiques propose à son public une pièce moderne à la mode de son époque. Cette nouveauté s’explique tout d’abord par le choix des personnages. Arsinoé qui joue le rôle du médecin Erasistrate apporte une certaine fraîcheur au texte : jeune, belle et rusé, c’est elle qui doit apprendre la triste vérité au roi. De plus, les quiproquos, provoqués par la substitution de portrait permettent au dramaturge d’insister sur les sentiments. L’intérêt porté à la psychologie des protagonistes explique ainsi la modernité de la pièce. Thomas Corneille, grâce à ses talents de dramaturge renouvelle ainsi un sujet légendaire.
Thomas Corneille et son œuvre §
Un auteur à la mode de son époque §
La galanterie qui s’épanouit après 1650 envahit les salons et les sociétés mondaines. La « Carte de Tendre » de Mlle de Scudéry est célèbre dans tout Paris. Les précieuses sont si à la mode que Somaize leur consacre un dictionnaire. Les frères Parfaict remarquent que : « La Cour de France [est] devenue le modele de la galanterie. Les poetes saisirent cette circonstance pour prendre une nouvelle route ; ils crurent devoir diminuer quelque chose de la severité de la Tragédie et pour en faire un spectacle plus riant aux yeux du public, ils rendirent l’amour le maitre dominant de la société. Ils prirent la plupart de leurs sujets de leurs Poèmees dramatiques dans les romans de Mlle de Scudéry et dans ceux de M. de la Calprenede qui étaient encore à la mode. »
Thomas Corneille, auteur par excellence de la tragédie galante, jouit à son époque d’une grande réputation auprès des précieuses. Il a longtemps fréquenté les sociétés mondaines, en particulier le salon de Mme de Deshoulières. Avec Quinault, le dramaturge fait partie des poètes qui bénéficient du soutien et de l’estime des « belles dames ». Il a été ainsi le protégé de la comtesse de Noailles, de la comtesse de Fiesque et, de la duchesse de Montpensier, considérées comme de véritables précieuses. Il participe même, toujours avec Quinault, à une sorte de tournoi littéraire, organisé par la comtesse de Brégy où l’on doit répondre à cinq questions d’amour. La préciosité qui est une véritable culture sociale et mondaine a fortement marqué la littérature de l’époque. L’esthétique précieuse consiste avant tout à plaire, tant par les paroles que les gestes. Ainsi, on recherche avant tout un langage raffiné et délicat utilisé autant sur scène que dans les salons.
Antiochus est une tragi-comédie qui respecte fidèlement les normes établies par le courant galant. Thomas Corneille reprend dans sa pièce le vocabulaire alors très à la mode des romans de la Calprenede et de Mme de Scudéry. Les termes d’honnêteté, de civilité et de respect reviennent souvent dans la bouche des personnages. Les expressions comme « feux, flammes, ardeurs beautés… » sont sans cesse répétées par les amants. Quant à la célèbre formule « ce je ne sais pourquoi » propre au langage précieux, elle est souvent employée dans notre pièce. Enfin, les soupirs, caractéristiques de l’amour précieux sont très fréquents dans notre texte : ils permettent d’exprimer les sentiments amoureux. Les amants qui ne peuvent avouer leur passion poussent de longs soupirs. Antiochus et Stratonice adoptent la même attitude lorsqu’ils se retrouvent seuls l’un face à l’autre :
Antiochus : Vostre cœur soupire ?
Stratonice : Ce soûpir eschapé
Antiochus : Parlez, que veut-il dire ?
M’apprend-il que mes vœux des vostres secondez…
Stratonice : Que me demandez-vous puisque vous l’entendez ?26
L’esthétique précieuse qui se caractérise par l’emploi d’un langage spécifique tient compte aussi des manières et des gestes. N’oublions pas que les précieuses ont favorisé l’établissement des bienséances. Les personnages doivent respecter un certain nombre de règles. Ainsi, le héros galant doit se montrer courtois et courageux, l’héroïne, elle doit faire preuve de beaucoup de réserve et de pudeur. Nous traiterons le sujet des bienséances dans le prochain chapitre.
Les critiques postérieures reprochent souvent à Thomas Corneille d’avoir suivi la mode de son époque et cherché avant tout à satisfaire son public. Il est vrai que le dramaturge en écrivant Antiochus rend hommage aux précieuses qui l’ont tant soutenu. Mais cette pièce totalement oubliée aujourd’hui est intéressante à étudier car elle permet de voir les goûts des spectateurs du XVIIe siècle car le dramaturge respecte parfaitement les règes établies par les précieuses.
Un style contesté §
Robinet, en faisant l’éloge de la pièce,27 exagère sans doute le succès de la pièce car Thomas Corneille, comme tous les dramaturges de son époque, ne fut pas épargné par les critiques, notamment par Boileau. Dans le Dialogue des héros de Roman, le célèbre poète satirique se moque du personnage d’Antiochus :
PLUTON : il semble qu’il cherche quelque chose. Aura-t’il bientost regardé par tous les coins de cette chambre ? Que cherchés-vous Antiochus ?
ANTIOCHUS : Si vous l’avez trouvé, ne me le faites pas chercher davantage.
PLUTON : Et Quoy ?
ANTIOCHUS : Le recueil où les beautez de ma maîtresse estoient en dépôt, qui me consoloit pendant mon absence, et qui a percé l’asile obscur où je croiyois l’avoir mis en seureté.
PLUTON : Que veux-tu dire ?
DIOGENE : Je vois bien qu’il faut que je vous explique. Ce receuil où les beautez de sa maîtresse étoient en dépôt, c’est son portrait ; qui a percé l’asile obscur où il croyoit l’avoir mis en seureté, c’est sa poche qui est percée, par où il est sorty.
DIOGENE : Voilà d’étranges façons de parler pour dire une poche percée. Ah ! Antiochus, songés aux grandes victoires que vous avez gagnées. Songés à l’occasion qui se présente d’en gagner de nouvelles.28
Boileau, en visant la scène du portrait critique le style précieux, utilisé parfois de manière excessive par le dramaturge. Notons que le malheureux Quinault, très apprécié des dames, fut aussi victime avec Thomas Corneille de ce genre de railleries.
Mais Boileau n’est pas seul à critiquer le style du dramaturge. En effet, Thomas Corneille doit faire face à de nombreuses attaques, parfois très virulentes de la part de ses contemporains : « une monotonie de tournures froidement sentencieuse, (…) une versification flasque et incorrecte, telle est la manière de Thomas Corneille » note avec dureté La Harpe. Quant aux frères Parfaict, ils emploient le terme de « galimathias29 » pour qualifier l’énonciation du dramaturge. Il est vrai que notre texte présente parfois des passages dont la compréhension n’est pas toujours évidente : ainsi dans la première scène de l’acte II, lorsque Arsinoé remplace le portrait de Stratonice par le sien, Thomas Corneille ne consacre que trois vers assez hâtifs à l’explication de cet échange qui est pourtant la clef de voûte de l’intrigue :
C’est exprés que le mien tient la place de l’autre.A moins qu’un tel échange aidast à m’éclaircir,En vain par cét effet j’y croirois reussir.
Par ailleurs, les répétitions sont très nombreuses dans Antiochus : Eliane Fischler30 remarque dans ses travaux consacrés au dramaturge que le mot « amour » est beaucoup plus fréquemment utilisé par Thomas Corneille que par son frère Pierre Corneille ou Racine. En effet, le vocabulaire galant est omniprésent dans notre texte. Enfin nous pouvons noter certaines faiblesses au niveau de l’écriture ; par exemple, le pronom personnel luy est employé beaucoup trop souvent dans le texte :
Luy demander pour luy ce que j’attens de vous.31
Ces nombreuses répétitions révèlent ainsi un style trop hâtif de la part du dramaturge.
Les jugements de la postérité sont très sévères à l’égard du dramaturge : face à la maîtrise et à la clarté de la langue des grands auteurs comme Racine et Corneille, Thomas Corneille est souvent considéré comme un imitateur qui ne possède pas de réel don pour la versification. Les critiques ne lui pardonnent pas les nombreux oublis, incorrections et répétitions présents dans ses pièces. : « Il a écrit trop vite, d’un style trop impersonnel et le temps n’épargne pas ce qu’on fait sans lui32 », juge avec froideur Gustave Michaut.
Mais il ne faut pas oublier que Thomas Corneille est aussi victime de son nom : les critiques comparent la pièce non par rapport à son auteur mais surtout par rapport au talent de son grand frère, Pierre Corneille, considéré comme le père du théâtre français. S’il n’avait pas été le frère de Pierre Corneille, nous verrions en lui ce qu’il a été réellement, un des esprits les plus féconds, les plus souples et les plus ingénieux de son temps (…) Un auteur dramatique très applaudi, qui appliqua au théâtre la même faculté de recherche et de renouvellement dont son frère nous a donné tant de preuves », note avec raison Gustave Larroumet33.
Une dramaturgie exceptionnelle §
Thomas Corneille reconnaît ses insuffisances dans le domaine stylistique et pense comme Molière que « les pièces sont faites pour être écoutées plutost que pour etre lues et même si elles doivent etre lues, elles ne doivent etre lues qu’à la chandelle ». Mais si le dramaturge accorde moins d’importance à la versification, il est cependant remarquable au niveau de la dramaturgie. Il possède de grandes facilités pour la construction de ses intrigues. Or c’est une qualité principale pour un dramaturge de cette époque. Ni ses contemporains ni les critiques postérieurs ne peuvent nier ses talents dans ce domaine. Dans son discours de remerciement prononcé le 8 février 1710, Houdart de la Motte son successeur à l’Académie française remarque avec justesse que : « ce qui le distingue dans les deux genres, c’est qu’il possède souverainement le don de l’intrigue et des situations… » Ainsi, Le triomphe de Timocrate, le plus grand succès du XVIIe siècle s’explique en grande partie par l’intrigue astucieusement menée par le dramaturge et qui avait séduit tant de spectateurs. Dans Antiochus, la situation pathétique des personnages compliquée par de nombreux quiproquos tient en haleine les spectateurs jusqu’à la fin. L’intrigue quoique complexe est habilement maîtrisée par le dramaturge. « C’est presque toujours la situation qui fait le succès au théâtre », affirmera Voltaire34. L’auteur d’Antiochus s’est particulièrement attaché à cet aspect.
Il est fréquent de voir au XVIIe siècle des pièces comportant une double intrigue. Nous pouvons citer la célèbre pièce de Racine, Andromaque : l’amour de Pyrrhus pour Andromaque constitue la trame de l’action principale, la passion d’Oreste pour Hermione en forme l’action secondaire. Dans la tragi-comédie de Thomas Corneille, nous retrouvons le même schéma : l’intrigue principale est centrée sur l’amour d’Antiochus et de Stratonice, Tigrane et Arsinoé formant l’intrigue secondaire. Cependant l’action de la pièce est jugée complexe par les critiques en raison des nombreux malentendus provoqués par la substitution du portrait. Certes, certains passages paraissent confus, les personnages étant sans cesse confrontés à de nouveaux obstacles, mais Thomas Corneille s’applique à ne rien laisser au hasard. Chaque détail est subordonné à l’action principale, aucun élément gratuit ni superflu ne vient retarder l’action. Thomas Corneille respecte ainsi l’unité de l’action.
Chapitre III : la structure interne de la pièce §
Les personnages §
Antiochus est une tragi-comédie de palais, elle met donc en scène un personnel dramatique illustre : le héros, Antiochus, est le fils de Séleucus roi de Syrie. Stratonice, fiancée à Séleucus est la fille de Démétrius, roi de Macédoine. Les protagonistes viennent donc tous d’un rang élevé. Les personnages secondaires font aussi partie de la famille royale, puisque Arsinoé nous précise-t-on est la nièce de Séleucus. Son fiancé, Tigrane, est le favori et l’ami du prince Antiochus.
Stratonice et Arsinoé ont chacune une confidente, Phénice et Barsine. On décompte ainsi sept personnages, trois hommes et quatre femmes. Antiochus est un tragi-comédie qui respecte parfaitement les règles de la tragédie, aussi il est intéressant de noter que l’ordre hiérarchique est toujours respecté entre les personnages. Ainsi, lorsque Tigrane s’adresse à son ami Antiochus, il ne l’appelle jamais par son nom, mais par les termes de « seigneur » ou de « prince » en signe de noblesse. Antiochus cependant peut appeler Tigrane par son prénom car il lui est est supérieur. Il en est de même pour les deux princesses. Barsine et Phénice emploient toujours les termes de « madame » ou de « princesse »
Thomas Corneille reprend les trois personnages que lui fournissait l’Histoire : Antiochus, Séleucus et Stratonice. Antiochus incarne le héros malheureux qui ne peut satisfaire son amour. Amoureux de sa future belle-mère, le rival du prince n’est autre que son père Séleucus. Antiochus s’oppose ainsi à deux ordres, le pouvoir royal et le pouvoir paternel.
Le thème de la rivalité entre le père et le fils amoureux d’une même femme est très fréquent au XVIIe siècle : dans La mort d’Achille écrite, Thomas Corneille reprendra le même sujet, tout comme Racine dans Mithridate en 1673. Mais à la différence de ces deux tragédies qui mettent en scène un père jaloux et tyrannique, Seleceus se distingue par sa générosité et son indulgence. Le dramaturge a en effet repris le même caractère que lui proposait l’histoire
Thomas Corneille a ajouté deux nouveaux personnages, Arsinoé et Tigrane. Comme nous l’avons vu précédemment, Arsinoe est seule à connaître le secret du prince. Elle joue donc un rôle très actif dans le déroulement de l’intrigue. Quant à Tigrane, son fiancé, qui est l’ami et le confident d’Antiochus, sa présence permet surtout au dramaturge de créer une double intrigue. Nous traiterons ce point un peu plus loin dans le chapitre portant sur la péripétie.
Arsinoé et Stratonice ont chacune une confidente, Barsine et Phénice. Ces deux confidentes jouent un rôle très important et sont indispensables pour le déroulement de l’action. Rappelons que le théâtre est un espace de double énonciation, aussi le dramaturge se sert d’elles pour apporter de nouvelles informations aux spectateurs. Les conversations entre les confidentes et les princesses permettent ainsi de mieux comprendre l’intrigue. Dans la scène IV de l’acte I, Phénice informe Stratonice des sentiments du prince :
Tandis qu’il vous parloit, ses timides regards,S’il rencontroit vos yeux, erroient de toutes parts,Langissant, interdit, plein d’un desordre extréme,Si j’osois m’expliquer, je dirois qu’il vous aime,35
Dans la première scène de l’acte II, c’est au tour d’Arsinoé, qui apparaît pour la première fois, de nous apprendre par l’intermédiaire de Barsine ses doutes sur le secret du prince :
S’il la fuit, ce n’est pas son chagrin qui l’en presse,Il fuit, il craint des yeux trop sçavans à charmer,Et craindre un bel objet, Barsine, c’est l’aimer.Et que par tant d’appas s’estant laissé charmer36…
Les propos échangés avec les confidentes permettent aussi de déceler la psychologie des personnages et de connaître leurs pensées. Les princesses confient à leurs confidentes ce qu’elles ne peuvent dire aux autres personnages. La pièce est ainsi plus riche car les sentiments des personnages sont exprimés de manière très précise.
Mais si les confidents sont indispensables pour le bon déroulement de l’action, leur présence s’explique aussi par le respect des bienséances. En effet, selon le bon usage, une princesse doit être toujours accompagnée de sa confidente lorsqu’elle se trouve en présence d’un homme Il est intéressant de remarquer l’absence de Phénice à l’acte IV lorsque Stratonice et Antiochus seuls sur scène confient leur amour réciproque.
Les personnages masculins, Séleucus, Antiochus et Tigrane n’ont pas de confident. Mais ceci ne les empêche pas d’exprimer leurs sentiments. À deux reprises, Antiochus et Seleucus, nous font part de leurs souffrances dans un long monologue. En absence de confident, ces personnages peuvent aussi se confier à leurs proches. Ainsi, Séleucus et Tigrane viennent tous deux se livrer à Stratonice et à Arsinoé en leurs faisant part de leurs émotions. Parmi tous ces personnages seul Antiochus refuse toute confession : Tigrane, qui est à la fois son ami et son favori, pourrait être son confident, mais le prince ne dévoile à personne son lourd secret. Ce silence constitue l’intérêt dramatique de la pièce. En effet si Antiochus parlait, la pièce n’aurait plus aucune originalité.
Une tragi-comédie régulière §
La règle des trois unités §
Antiochus est une tragi-comédie régulière qui respecte comme la tragédie, les règles établies par la doctrine classique. Thomas Corneille se plie ainsi aux règles des trois unités et des bienséances qui s’imposèrent après 1640.
L’unité de l’action §
L’action de la pièce est jugée complexe en raison des différents quiproquos causés par la substitution du portrait, cependant, Thomas Corneille respecte parfaitement l’unité de l’action.
L’unité de temps §
Au XVIIe siècle, la durée du spectacle pour une tragédie en cinq actes était de deux heures et demie à trois heures. L’action est supposée durer au maximum 24 heures et au minimum autant que la durée réelle de la représentation.
Antiochus débute dans la matinée avec les préparatifs des festivités du mariage de Seleucus et Stratonice prévu dans la soirée. La pièce s’achève dans l’après-midi. La règle des 24 heures est donc respectée. À noter cependant certaines extensions temporelles qui renvoient les spectateurs dans le passé. Les personnages évoquent parfois des actions qui se sont déroulées antérieurement. Ainsi, Antiochus fait allusion à un exploit réalisé par Tigrane et qui lui a sauvé la vie :
A vous dont l’amitié me fut toûjours si chere,Qu’il n’est rien que la mienne ait encor pû vous taireA vous à qui l’Estat par vos soins conservéDoit avec moi le jour que vous m’avez sauvé.37
L’unité de lieu §
La scène se passe dans le palais du roi Séleucus en Syrie. Ce dernier, un des généraux d’Alexandre le Grand est devenu à sa mort, roi des hautes provinces d’Asie. La règle de l’unité de lieu est respectée, mais comme pour l’unité de temps, certains récits élargissent le cadre établi. Les personnages se remémorent événements qui se sont produits en d’autres lieux. Stratonice rappelle ainsi à sa confidente sa première rencontre avec Antiochus, lorsque celui-ci était venu la chercher dans le royaume de son père en Macédoine.
Le Prince Antiochus chez mon Pere à son tourEn superbe appareil vient charmer nostre cour. […]L’air galant, l’ame noble, un courage élevé,Tout ce qui marque enfin un Heros achevé,Aux Courses, aux Tournois, pour lui toute la gloire,Son adresse par tout sçait traisner la victoire,38
Par ce récit, Stratonice décrit les festivités organisées par son père Démétrius en l’honneur des fiançailles de sa fille la princesse avec Seleucus. Le dramaturge expose sous les yeux des spectateurs un nouveau décor.
Les bienséances §
Les bienséances occupent une place importante dans la dramaturgie classique. Nous avons vu dans notre première partie que le dramaturge, pour ne pas scandaliser son public avait apporté certaines modifications aux sources historiques. Nous allons à présent étudier les bienséances par rapport à la question de l’amour et plus particulièrement de l’expression de la retenue amoureuse, c’est-à-dire les bienséances internes.
Les protagonistes composés en majorité de rois princes et princesses cherchent toujours à se distinguer du reste de la société par un comportement digne des héros. Antiochus étant une tragi-comédie galante, les personnages aussi bien les hommes que les femmes doivent respecter les principes établis par les bienséances. En ce qui concerne la question de l’amour « Il ne faut jamais qu’une femme fasse entendre de sa propre bouche à un homme qu’elle a de l’amour pour lui39 » insiste D’Aubignac. Dans Don Sanche d’Aragon, le personnage D’Isabelle rappelle ce principe à Blanche, sa confidente en lui confiant que son cœur « fait un beau choix sans oser l’accepter
Et nourrit un beau feu, sans oser l’écouterVois par là ce que c’est Blanche que d’être Reine40
Les héroïnes doivent ainsi toujours faire preuve de réserve et de pudeur. Dans notre pièce, Stratonice adopte la même attitude lorsque Antiochus lui déclare son amour :
Prince, n’abusez point d’une pitié trop tendreQui m’a fait dire plus qu’on ne devoit entendre,41
Thomas Corneille respecte aussi le concept de l’amour-estime : selon les bienséances, une princesse doit dans un premier temps estimer et louer les qualités d’un homme avant de l’aimer. Lorsque Stratonice évoque sa première rencontre avec Antiochus dans la cour de son père, elle adopte la même attitude :
Ce cœur trop plein pour luy d’une estime empresséN’en crut ny mon devoir ny ma gloire blesséJ’admirois sans scrupule un Prince si parfait,Je voulois estimer, et j’aimois en effet,42
Une tragi-comédie à double intrigue §
L’exposition §
Antiochus est une tragi-comédie régulière qui respecte la structure habituelle de la tragédie. La structure interne de la pièce permet d’étudier l’exposition, le nœud, et le dénouement. L’exposition doit présenter les personnages et la situation de la pièce. Elle doit « instruire le spectateur du sujet et de ses principales circonstances, du lieu de la scène et même de l’heure où commence l’action, du nom, de l’état, du caractère et des intérêts de tous les principaux personnages43 » Thomas Corneille nous donne toute ces informations dans le premier acte et en particulier dans la première scène de la pièce : Tigrane et Antiochus évoquent le mariage qui doit unir dans la soirée Séleucus et Stratonice. Mais Antiochus est une tragi-comédie à double intrigue aussi, l’exposition est coupée en deux morceaux. Il est très fréquent à cette époque de n’introduire certains personnages qu’au début de l’acte II. Il s’agit ici du personnage d’Arsinoé qui joue un rôle décisif puisqu’elle est à l’origine de cette double intrigue. Notons toutefois que ce nouveau personnage a déjà été cité par Tigrane :
Un respect trop sévère estouffoit mes soûpirs.Niepce de Seleucus, et Fille de son Frere,Le rang d’Arsinoé les forcoit à se taire.Vous avez auprès d’elle authorisé à se taire44.
Thomas Corneille a décidé de faire apparaître ce personnage séparément car elle apporte un nouvel élément, l’échange du portrait.
La péripétie §
Le dramaturge tout en respectant les donnés historiques a composé une pièce romanesque. Le succès de la pièce s’explique probablement par les péripéties qui provoquent un effet de surprise chez les personnages. Concernant la dramaturgie de Thomas Corneille, Eliane Fischler remarque que : « dans les pièces dont la situation de base est simple, il se permet une grande complexité au niveau des relations sentimentales45 ». Ceci est tout à fait vrai pour notre pièce. Antiochus est une tragi-comédie à double intrigue, la péripétie entraîne toute une série quiproquos. Il a ainsi un renversement de situation. Scherer donne une définition très précise de la péripétie : « Il faut en outre que l’événement imprévu soit un changement de fortune c’est-à-dire qu’il modifie non seulement la situation matérielle des héros mais leur situation psychologique ; les sentiments et même les décisions des héros devront être changés par les péripéties46 ».
Bien qu’Antiochus se termine par un dénouement heureux, l’épisode du portrait présente un caractère tragique. Stratonice en remettant au roi le portrait qu’elle vient de recevoir provoque un véritable moment de tension. Les événements qui suivront ne seront pas moins dramatiques. Cet incident provoque un changement radical chez les personnages : mis à part Arsinoé qui domine en quelque sorte la situation puisque c’est elle qui échange le portrait, tous les personnages de la pièce remettent en cause leur amour. La péripétie est un moyen efficace pour introduire une dimension psychologique chez les personnages. La première personne victime de cette mésaventure est bien sûr Stratonice. Se sentant désabusée, la princesse exprime sa tristesse dans une série de stances :
Flatteuse illusion que j’ay trop osé croire,Doux abus de mon cœur par mes désirs trompé,47 […]
Mais si Stratonice se sent trompée dans son amour, Tigrane, quant à lui, remet en cause son amitié. Ce renversement de situation est très pénible pour lui d’autant plus que par respect pour le prince mais surtout par désespoir, il songe à se suicider. De l’ami affectueux et sage, Tigrane, bouleversé par ce malheur touche les spectateurs par son aspect pathétique. Le seul personnage qui semble être satisfait de ce revers est Séleucus qui croit en effet découvrir la cause de la désolation de son fils. Ignorant la cruelle vérité, le bonheur du roi accentue l’atmosphère tragique de la pièce. Cette ironie du sort, puisque Seleucus somme Tigrane de se sacrifier pour le bonheur de son fils alors que c’est lui-même qui devra céder Stratonice, donne à la pièce une dimension tragique.
La péripétie permet au dramaturge d’intensifier l’action en introduisant un contenu psychologique.
La psychologie des personnages §
Des personnages tourmentés §
L’action psychologique verbalisée du théâtre classique s’exprime par le monologue et les stances. Dans notre pièce, le monologue utilisé à deux reprises par le dramaturge permet de connaître les souffrances des deux protagonistes, Antiochus et Séleucus. En effet, Thomas Corneille se sert du monologue pour peindre les sentiments pathétiques de ces deux personnages. Comme nous l’avons vu précédemment, il emploie aussi les stances, qui obéissent à des règles précises. Très utilisées à cette période, les stances, forme lyrique, remplacent très souvent le monologue. En marquant une rupture dans le discours théâtral, elles permettent de se concentrer sur l’expression des pensées et des sentiments du personnage. La Mesnardière estime que : « elles ont de la douceur pour exprimer les Passions tendres ; elles ont des entrecoupures, et des inégalités pour représenter le désordre d’une âme agitée de tempêtes, et leur sens qui recommence à la tête de chaque strophe, et qui admet facilement des pensées toutes contraires à celles qui ont précédé, peut figurer les combats et les divers mouvements d’un esprit irrésolu, qui n’a pas assez de force pour déterminer ses doutes, ni pour se remettre en l’assiette d’où la Douleur l’a fait sortir ». Aussi, le dramaturge, pour insister sur les sentiments confus de Stratonice choisit les stances qui sont très bien appropriées au personnage.
Un héros mélancolique §
Le thème de la mélancolie, très souvent appelé « la maladie d’amour » a fortement marqué la littérature du XVIIe siècle : les héros mélancoliques sont très à la mode, aussi bien dans les romans qu’au théâtre. La mélancolie est un terme médical, mais avant même que les sciences s’intéressent à cette notion, les auteurs anciens tels que Valère Maxime, Plutarque et Appien représentent cette maladie à travers l’histoire d’Antiochus et de Stratonice. Antiochus est en effet l’un des premiers personnages de l’antiquité qui permette d’étudier le thème de la mélancolie dans la littérature : les symptômes sont parfaitement décrit par les textes anciens48. Antiochus est malade car il est amoureux : victime d’une passion illicite, le prince, conscient de son crime ne peut satisfaire cet amour impossible. Ce refoulement va se manifester par un malaise qui se traduit par un mal de vivre. Antiochus renonce ainsi à la vie et se laisse mourir.
D’un point de vue médical, la mélancolie est provoquée par la bile noire qui résulte d’un refroidissement du sang. Selon la définition de Galien, si la bile noire « s’établit dans les conduits d’un des ventricules du cerveau, elle provoque généralement l’épilepsie ; mais si elle prédomine dans la substance du cerveau lui-même, elle engendre cette sorte de folie que nous appelons mélancolie49. » Cette mélancolie est manifestée par deux sentiments spécifiques qui sont la crainte et la tristesse.
Les auteurs qui traitent le sujet d’Antiochus au XVIIe siècle s’attardent longtemps sur cet aspect-là. Ainsi, Gillet de la Tessonnerie et Brosse, conformément aux textes anciens représentent Antiochus allongé sur un lit : le prince est si malade qu’il ne peut quitter sa chambre. Dans la pièce de Brosse il sombre même dans la folie. Mais comme le fait remarquer d’Aubignac50, il est très difficile de représenter un héros dans une telle situation pendant toute la durée de la pièce. Aussi les auteurs comme Du Fayot, Quinaut et Thomas Corneille jugent sage de modifier ce point. Mais si Antiochus n’est plus allongé sur son lit, il n’est pas moins mélancolique. Les dramaturges insistent en effet beaucoup sur l’aspect psychologique du héros. Le héros de Du Fayot, désespéré, est prêt à se poignarder pour mettre fin à ses souffrances. Dans la tragi-comédie galante de Quinaut, le prince se plaint sans cesse d’une fièvre ardente ; au dernier acte, pris de faiblesse, il s’évanouit même aux pieds de Stratonice. Enfin dans notre pièce, la description pathétique que fait Séleucus de son fils renforce l’aspect dramatique de la situation :
La langueur qui le tüe en est le triste effet.Tout à l’heure en mes bras pasmé, plein de foiblesse,Chacun l’a veu ceder à l’ennuy qui le presse,On craint tout pour sa vie51…
Le vocabulaire lié à la maladie est très important. Les termes de « chagrin », « ennui », « gesne », « soins », « transports », « langueurs », « inquietude » et « vapeurs » reviennent sans cesse dans la bouche du personnage. Le héros mélancolique endure ainsi de nombreuses souffrances qui affectent aussi bien le corps que l’esprit. Mais il semble qu’à l’amour, seul l’amour peut porter remède52 : seul son mariage avec Stratonice permet de guérir le prince et de le sauver de la mort.
ANTIOCHUS,
TRAGI-COMEDIE. §
Extrait du Privilege du Roy. §
Par Grace et Privilege du Roy, en datte du dixhuitiéme Février mil fix cens soixante-six, Signé par le Roy en son Conseil, BERTHAULT : Il est permis au Sieur THOMAS CORNEILLE de faire imprimer une Piece de Theatre de sa Composition, intitulée ANTIOCHUS, pendant cinq années : Et deffences sont faites à tous autres de l’imprimer, à peine de tous dépens, dommages et interest, et de trois mil livres d’amendes, et autres peines portées par lesdites Lettres.
Imprimée aux dépens de l’Autheur.
Et ledit Sieur de Corneille a cédé le present Privilege à Guillaume de Luyne, et Gabriel Quinet, suivant l’accord fait entr’eux. Et ledit Sieur de Luyne et quinet ont fait part dudit Privilege à Thomas Yolly et Loüis Billaine, suivant aussi l’accord fait entr’eux. Registré sur le livre de la Communauté des Libraires le 19 iour de Fevrier 1666. Signé, piget, Syndic. Les Exemplaires ont esté fournis.
Achevé d’imprimer le 6. Iour de Mars 1666.
A Rouen, par L. MAURRI.
ACTEURS. §
- SELEUCUS, Roy de Syrie.
- STRATONICE, fille de Demetrius, Roy de Macedoine.
- ANTIOCHUS, fils de Seleucus.
- ARSINOE, Niepce de Seleucus.
- TIGRANE, Favori de Seleucus.
- PHENICE, Confidente de Stratonice.
- BARSINE, Confidente d’Arsinoé.
- Suite.
ACTE I §
Scene premiere §
ANTIOCHUS
TIGRANE
ANTIOCHUS
TIGRANE
ANTIOCHUS
TIGRANE
ANTIOCHUS
TIGRANE
ANTIOCHUS
TIGRANE
ANTIOCHUS
TIGRANE
ANTIOCHUS
TIGRANE
SCENE II §
ANTIOCHUS.
SCENE III §
ANTIOCHUS
STRATONICE
ANTIOCHUS
STRATONICE
ANTIOCHUS
STRATONICE
ANTIOCHUS
STRATONICE
ANTIOCHUS
STRATONICE
ANTIOCHUS
[p. 10]STRATONICE
ANTIOCHUS
STRATONICE
ANTIOCHUS
SCENE IV §
PHENICE
STRATONICE
PHENICE
STRATONICE
PHENICE
STRATONICE
PHENICE
STRATONICE
PHENICE
STRATONICE
SCENE V. §
SELEUCUS
STRATONICE
SELEUCUS
STRATONICE
SELEUCUS
Ah, tout vous est permis,FIN DU PREMIER ACTE
ACTE II §
SCENE PREMIERE §
BARSINE
ARSINOE
BARSINE
ARSINOE
BARSINE
ARSINOE
BARSINE
ARSINOE
BARSINE
ARSINOE
BARSINE
ARSINOE
BARSINE
ARSINOE
BARSINE
ARSINOE
SCENE II §
ARSINOE
ANTIOCHUS
ARSINOE
ANTIOCHUS
ARSINOE
ANTIOCHUS
ARSINOE
ANTIOCHUS
ARSINOE
ANTIOCHUS
ARSINOE
ANTIOCHUS
ARSINOE
ANTIOCHUS l’empeschant d’ouvrir la boëte.
ARSINOE
SCENE III §
ANTIOCHUS
STRATONICE
ANTIOCHUS
STRATONICE
ANTIOCHUS
STRATONICE
ANTIOCHUS
Si dans ce pouvoir vous trouvez quelqueSTRATONICE
ANTIOCHUS
STRATONICE
ANTIOCHUS
STRATONICE.
ANTIOCHUS
STRATONICE
ANTIOCHUS
Il est vray, je soûpire,STRATONICE
ANTIOCHUS
STRATONICE
ANTIOCHUS
STRATONICE
ANTIOCHUS
STRATONICE
ANTIOCHUS
STRATONICE
ANTIOCHUS
STRATONICE
ANTIOCHUS
STRATONICE
ANTIOCHUS
STRATONICE.
ANTIOCHUS
STRATONICE
ANTIOCHUS
STRATONICE
ANTIOCHUS
STRATONICE
ANTIOCHUS
STRATONICE
ANTIOCHUS
STRATONICE
SCENE IV §
TIGRANE
ANTIOCHUS
TIGRANE
TIGRANE
ANTIOCHUS
FIN DU SECOND ACTE
ACTE III §
SCENE PREMIERE §
SELEUCUS .
ANTIOCHUS.
SELEUCUS
SCENE II §
SELEUCUS.
ANTIOCHUS.
STRATONICE.
SELEUCUS.
ANTIOCHUS.
STRATONICE.
ANTIOCHUS.
SELEUCUS.
ANTIOCHUS.
SELEUCUS.
ANTIOCHUS.
SELEUCUS.
STRATONICE.
ANTIOCHUS.
STRATONICE.
ANTIOCHUS pendant que Seleucus regarde le Portrait.
SELEUCUS
ANTIOCHUS.
SELEUCUS.
ANTIOCHUS.
SELEUCUS.
SCENE III §
SELEUCUS à Tigrane.
SELEUCUS.
ANTIOCHUS.
SELEUCUS.
TIGRANE.
ANTIOCHUS.
SELEUCUS.
ANTIOCHUS regardant le Portrait.
SELEUCUS.
ANTIOCHUS.
STRATONICE.
SCENE IV. §
TIGRANE.
ANTIOCHUS.
TIGRANE.
ANTIOCHUS.
TIGRANE.
ANTIOCHUS.
TIGRANE.
ANTIOCHUS.
TIGRANE.
ANTIOCHUS.
TIGRANE.
ANTIOCHUS.
TIGRANE.
ANTIOCHUS.
SCENE V. §
ANTIOCHUS.
ARSINOE.
TIGRANE.
ARSINOE à Antiochus.
ANTIOCHUS.
TIGRANE.
ARSINOE.
ANTIOCHUS.
ARSINOE.
TIGRANE.
ANTIOCHUS.
ARSINOE.
ANTIOCHUS.
TIGRANE.
ANTIOCHUS.
SCENE VI. §
TIGRANE.
ARSINOE.
TIGRANE.
ARSINOE.
TIGRANE.
ARSINOE.
TIGRANE.
ARSINOE.
TIGRANE.
TIGRANE.
ARSINOE.
TIGRANE.
ARSINOE.
Fin du troisiéme Acte.
ACTE IV. §
SCENE PREMIERE. §
STRATONICE.
SCENE II. §
PHENICE.
STRATONICE.
PHENICE.
STRATONICE.
PHENICE.
STRATONICE
PHENICE
STRATONICE.
PHENICE.
STRATONICE.
SCENE III. §
STRATONICE.
TIGRANE.
STRATONICE.
TIGRANE.
Ah, Madame, il n’en faut point douter,STRATONICE.
TIGRANE.
STRATONICE.
TIGRANE.
SCENE IV. §
STRATONICE.
ANTIOCHUS.
STRATONICE.
ANTIOCHUS.
Je le voy bien, Madame,STRATONICE.
ANTIOCHUS.
STRATONICE.
ANTIOCHUS.
STRATONICE.
ANTIOCHUS.
STRATONICE.
ANTIOCHUS.
STRATONICE.
ANTIOCHUS.
STRATONICE.
ANTIOCHUS.
STRATONICE.
ANTIOCHUS.
STRATONICE.
ANTIOCHUS.
Vostre cœur soûpire ?STRATONICE.
ANTIOCHUS.
STRATONICE.
ANTIOCHUS.
STRATONICE.
ANTIOCHUS.
STRATONICE.
ANTIOCHUS.
STRATONICE.
ANTIOCHUS.
STRATONICE.
ANTIOCHUS.
STRATONICE.
ANTIOCHUS.
STRATONICE.
ANTIOCHUS.
STRATONICE.
ANTIOCHUS.
SCENE V. §
ARSINOE.
ANTIOCHUS.
ARSINOE.
ANTIOCHUS.
ARSINOE.
ANTIOCHUS.
ARSINOE.
ANTIOCHUS.
ARSINOE.
ANTIOCHUS.
ARSINOE.
ANTIOCHUS.
ARSINOE.
Fin du quatriéme acte.
ACTE V. §
SCENE PREMIERE. §
SELEUCUS.
ARSINOE.
SELEUCUS.
ARSINOE.
SELEUCUS.
ARSINOE.
SELEUCUS.
ARSINOE.
SELEUCUS.
ARSINOE.
SELEUCUS.
ARSINOE.
SELEUCUS.
ARSINOE.
SELEUCUS.
ARSINOE.
SELEUCUS.
ARSINOE
SELEUCUS.
ARSINOE.
SELEUCUS.
ARSINOE.
SCENE II. §
SELEUCUS.
SCENE III. §
SELEUCUS.
ANTIOCHUS.
SELEUCUS.
ANTIOCHUS.
SELEUCUS.
ANTIOCHUS.
SELEUCUS.
ANTIOCHUS.
SELEUCUS.
ANTIOCHUS.
SELEUCUS.
ANTIOCHUS.
SELEUCUS.
ANTIOCHUS.
SELEUCUS.
ANTIOCHUS.
SELEUCUS.
ANTIOCHUS.
SELEUCUS.
ANTIOCHUS.
SELEUCUS.
ANTIOCHUS.
SELEUCUS.
ANTIOCHUS.
SELEUCUS.
ANTIOCHUS.
SELEUCUS.
ANTIOCHUS.
SELEUCUS.
SCENE IV. §
STRATONICE.
SELEUCUS.
TIGRANE.
SELEUCUS.
STRATONICE.
SELEUCUS.
STRATONICE.
ANTIOCHUS.
SELEUCUS.
ANTIOCHUS.
SELEUCUS.
ANTIOCHUS.
SELEUCUS.
SCENE V. §
ARSINOE.
ANTIOCHUS.
SELEUCUS.
ANTIOCHUS.
ARSINOE donnant au Roy le Portrait de Stratonice.
SELEUCUS.
ANTIOCHUS.
SELEUCUS.
ANTIOCHUS.
SELEUCUS.
STRATONICE.
SELEUCUS.
ANTIOCHUS.
SELEUCUS.
ANTIOCHUS.
SELEUCUS.
FIN.