DÉCORATION DU IIe ACTE.
L’Art et la Nature ont également part à ce qui fait la décoration de cet acte. Cette grande montagne qui a paru dans le premier, s’abîme d’une manière aussi surprenante qu’elle s’était élevée, et laisse paraître en sa place un Jardin rempli de berceaux, de fontaines, de plantes, de fleurs, de vases, sur lesquels sont des Enfants montés sur des cygnes qui jettent de l’eau. On y voit encore d’autres vases de porcelaine, de terre ciselée, et de marbre blanc. Les ornements en sont d’or, et ces vases sont remplis d’orangers, d’arbres fruitiers, et de fleurs naturelles.
SCÈNE PREMIÈRE. Palémon, Florise, Dorine, Astérie. §
FLORISE.
Allez rejoindre votre Maître,
Et nous laissez ici travailler en repos.
PALÉMON.
C’est me chasser un peu mal à propos.
Comme nouveau venu, peut-être
850 J’ai droit de vous dire trois mots.
ASTÉRIE.
Ma Soeur, quand il en dirait quatre,
Je crois qu’il n’en serait que mieux.
Pourquoi de votre sérieux
Ne vouloir jamais rien rabattre.
855 Il faut rire, autrement les jours sont ennuyeux.
PALÉMON.
Vous avez le goût bon, ma chère,
La joie est toujours de saison.
DORINE.
Je le crois d’humeur...
PALÉMON.
Je le crois d’humeur... À tout faire.
Badin, tant qu’il est nécessaire,
860 Même un peu plus que de raison.
ASTÉRIE.
Il faudra faire connaissance,
Après, ne soit point en souci ;
Les plaisirs semblent naître ici,
On les y trouve en abondance.
865 Mais qui t’a découvert qu’au Palais de Circé
Ton Maître parmi nous s’était laissé conduire ?
PALÉMON.
Quand dans le Char il s’est placé,
Je n’étais qu’à vingt pas, et venais pour l’instruire
Du départ de l’Objet dont son coeur est blessé.
870 Silla vers ce Palais a déjà pris sa route ;
Pour en donner avis je suis vite accouru.
DORINE.
Quoi, presque en un moment ?
PALÉMON.
Quoi, presque en un moment ? Sans doute,
Circé sortait du Char lorsque ici j’ai paru.
Comme mon Maître est du sang de Borée,
875 Pour tous ceux de sa suite il a des Vents Follets,
Qui pour les transporter où tendent leurs souhaits,
Sont une voiture assurée.
L’un d’eux d’un vol léger m’a mis dans ce Palais.
ASTÉRIE.
Pour ton Maître Silla va n’être plus à craindre,
880 Il est d’autres appas qui toucheront son coeur.
PALÉMON.
Je doute qu’à changer on le puisse contraindre.
Silla seule lui plaît, et malgré sa rigueur
Il chérit trop les feux pour les laisser éteindre.
DORINE.
Ce n’est pas avec nous qu’il doit faire le fier.
885 Pour confondre l’orgueil, le réduire aux prières,
Nos Herbes sont à craindre, et les âmes altières
Trouvent ici peu de quartier.
PALÉMON.
Faites de votre mieux, mon Maître a des lumières
Qui le rendront aussi Sorcier
890 Que vous pourrez être Sorcières.
ASTÉRIE.
Puisque tu nous braves pour lui,
Tu n’as qu’à l’avertir qu’il songe à se défendre.
PALÉMON.
J’y cours. Si vous voulez le forcer à se rendre,
Travaillez-y dès aujourd’hui,
895 Et garder seulement d’être prises sans prendre.
SCÈNE II. Florise, Dorine, Astérie. §
DORINE.
Je ne sais s’il croit qu’au besoin
Son Maître contre nous aura de quoi suffire ;
Mais de nous épargner il ne prend guère soin.
FLORISE.
En badinant voilà ce qu’on s’attire.
900 Le grand plaisir de vous être fait dire
Qu’on ne vous craint ni de près, ne de loin !
Pour moi, qui me suis mise à composer un Charme
Pour guérir un Mari de son ombre jaloux,
Je pense avoir fait mieux que vous.
905 C’était un éternel vacarme,
Je l’apaise, et rejoins l’Épouse avec l’Époux.
ASTÉRIE.
La paix ainsi par moi n’aurait pas été faite :
Et comme des Jaloux de tous temps on a ri,
Pour faire crever le Mari,
910 J’aurais rendu la Femme si coquette,
Que rien n’aurait jamais guéri
Les visions de son âme inquiète.
Après tout, qui voudrait de près y regarder,
C’est bien aux Maris à gronder,
915 Si quelquefois de tendres flammes
S’allument dans nos jeunes coeurs.
Que ne sont-ils les Galants de leurs Femmes ?
On n’en chercherait point ailleurs.
DORINE.
Tous les Maris n’ont pas tant de délicatesse,
920 Et j’en sais de moins scrupuleux,
Qui des Galants qui vont chez eux
Ménageant l’utile tendresse,
N’ont besoin de notre pouvoir
Que pour être sans yeux, quand il faut ne rien voir.
ASTÉRIE.
925 Que direz-vous d’un tas de Belles
Qui donnent le champ libre à cent regards errants.
Et qui pour voir leur Cour grossit de Soupirants,
Me font à tous moments pour elles
Faire des Charmes différents ?
930 Encor tout de nouveau j’en ai deux de commande
Pour reblanchir des Lis effacés par les ans.
À moins qu’avec nous l’on s’entende,
L’âge fait de vilains présents
Dont la beauté n’est pas bonne marchande.
FLORISE.
935 Ce sont là des emplois légers,
Les miens sont de plus d’importance.
Un Brave qui n’a pas une entière assurance,
Quand il s’agit d’affronter les dangers,
A mis en moi son espérance.
940 Pour le garantir de l’effroi
Qui rend des plus hardis la valeur étouffée,
J’ai promis de le rendre Fée.
Étant invulnérable, il trouvera de quoi
S’acquérir les honneurs du plus brillant Trophée ;
945 Et pour comblez ses voeux, Circé... Mais je la vois.
SCÈNE III. CIRCÉ, Florise, Dorine, Astérie. §
CIRCÉ.
Allez dire au Prince de Thrace,
Que s’il veut me parler, je vais l’attendre ici.
Et vous, par qui la joie en tous lieux trouve place,
Préparez quelques Voix dont la douceur efface
950 Les chagrins que lui cause un amoureux souci.
Florise et Astérie rentrent.
DORINE.
Quand pour favoriser l’ardeur qu’il a de plaire
À l’Objet inhumain qui confond son espoir,
Vous employez votre pouvoir,
S’il m’est permis de ne rien taire,
955 Je crains bien qu’en vous laissant voir,
Vous-même n’empêchiez ce que vous pensez faire.
Vos yeux n’eurent jamais un si brillant éclat,
Pour le Prince déjà ma pitié s’en alarme.
Tout ce qu’a la Beauté de fin, de délicat...
CIRCÉ.
960 Tout de bon, trouves-tu que mes yeux...
DORINE.
Tout de bon, trouves-tu que mes yeux... C’est un charme.
CIRCÉ.
Te parais-je touchante ; et si dans cet état
À quelque coeur altier je vais livrer combat,
Penses-tu que je le désarme ?
DORINE.
N’en doutez point ; pour moi je ne le cache pas.
965 Quand mes plus tendres voeux offerts à quelque Belle,
M’auraient par cent serments soumis à ses appas,
Dès que je vous verrais, je serais infidèle.
CIRCÉ.
J’ai l’affront cependant (et tu m’en vois rougir)
Que le Prince m’ait vue, et ne m’est point aimée.
970 L’ardeur de le toucher a beau me faire agir,
Silla seule en est estimée ;
Silla l’occupe tout, et s’il pousse un soupir,
C’est Silla qui l’arrache à son âme charmée.
Je l’ai quitté d’abord pour lui donner le temps
975 De réfléchir sur ma rencontre ;
Mais en vain à ses yeux de nouveau je me montre,
Le nom de ce qu’il aime est tout ce que j’entends ;
Et quand Silla par moi devrait être effacée,
Silla plus que jamais règne dans sa pensée.
DORINE.
980 J’avais cru qu’exprès avec lui
Vous aviez suspendu le pouvoir de vos Charmes.
CIRCÉ.
Non, Dorine, et par là je juge de mon ennui.
Si mes yeux sont de sûres armes,
Pour l’attaquer j’en ai cherché l’appui.
985 Ils n’ont pu rien ces yeux à qui je dois la gloire
De m’assujettir tous les coeurs ;
Ils m’ont sur Mélicerte obtenu la victoire,
Lui pour qui, si je l’en veux croire,
Cette même Silla n’eut jamais de rigueurs ;
990 Et le Prince de Thrace aurait seul l’avantage
De ne pas soupirer pour moi ?
Non, non, il me viendra soumettre son hommage ;
C’est une indispensable loi
Dont il n’est rien qui le dégage.
995 Mon Art de sa fierté sera victorieux.
Je viens de m’en servir pour être plus aimable,
Et c’est de là que vient cet éclat redoutable
Que tu vois briller dans mes yeux.
Non que le Prince à tel point m’ait charmée,
1000 Que la douceur d’en être aimée
Ait de quoi plus longtemps mériter mes désirs.
Ses peines seulement à mon coeur seront chères,
Et je mettrai tous mes plaisirs
À lui voir perdre des soupirs
1005 Que j’aurai rendus nécessaires.
DORINE.
Et dans cet imprévu revers
Que deviendra l’amoureux Mélicerte ?
CIRCÉ.
Qu’il reprenne ses premiers fers,
Ils le pourront consoler de ma perte.
1010 Pourquoi, quand par le temps l’amour est abattu,
Opposer la constance au dégoût qui l’accable,
Et ne pas s’affranchir, par un choix agréable,
De la ridicule vertu
D’aimer ce que le coeur ne trouve plus aimable ?
1015 D’abord pour Mélicerte, il le faut confesser,
Tout mon plaisir était de le voir s’empresser
À me venir expliquer sa tendresse.
Ses soins ne pouvaient me lasser.
Je sens qu’enfin ce plaisir cesse ;
1020 C’est assez pour permettre à l’amour de cesser.
DORINE.
Ainsi se piquer de constance,
N’est pas une vertu propre à nos jeunes ans ?
CIRCÉ.
Sans te dire ce que je pense
De ces feux tendres et constants
1025 Dont tu veux prendre la défense,
Je m’en tiens à l’expérience.
Tout plaisir ne l’est plus, s’il dure trop longtemps.
L’habitude d’aimer porte à l’indifférence ;
Et si jamais deux coeurs en amour sont contents,
1030 C’est seulement lorsqu’il commence.
DORINE.
Si l’amour en naissant charme tous nos désirs,
Il est malaisé... Mais, Madame,
Mélicerte...
CIRCÉ.
Mélicerte... Il lui va coûter quelques soupirs,
S’il vient me parler de sa flamme.
SCÈNE IV. Circé, Mélicerte, Dorine. §
MÉLICERTE.
1035 Enfin vous voilà de retour,
Vous, ma Princesse, en qui je vis plus qu’en moi-même.
Je vous avais perdue. Hélas ! Qu’un demi-jour
À passer sans voir ce qu’on aime,
Est un dur supplice à l’amour !
1040 Depuis que vous êtes rentrée,
En vain j’ai fait deux fois le tour de ce Palais.
Toujours votre retraite a trompé mes souhaits,
Vous ne vous êtes point montrée.
Consolez-m’en, de grâce, et puisque tous mes soins
1045 Regardent celui de vous plaire...
CIRCÉ.
J’avais cherché ce lieu pour rêver sans témoins,
Laissez-m’en la douceur, elle m’est nécessaire
Contre certain chagrin que j’attendais le moins.
MÉLICERTE.
De cet accueil que faut-il que j’augure ?
1050 L’orage est prêt à s’élever ;
De la Foudre déjà j’entends le sourd murmure,
Madame...
CIRCÉ.
Madame... Je ne sais ce qui peut arriver ;
Mais qui n’a jusqu’ici demandé qu’à rêver,
Ne vous a pas fait grande injure.
MÉLICERTE.
1055 Me le demandez-vous, quand vos désirs contents
Renfermaient votre joie au plaisir de m’entendre
Plus je cherchais à vous faire comprendre
Jusqu’où...
CIRCÉ.
Jusqu’où... Chaque chose a son temps ;
Puisque vous l’ignorez, je veux bien vous l’apprendre.
MÉLICERTE.
1060 Ainsi je ne suis plus ce trop heureux Amant,
Dont l’amour semblait seul être digne du vôtre.
Vous allez oublier son tendre emportement,
Et ce qu’il eut pour vous de flatteur, de charmant,
Vous le sentirez pour un autre.
CIRCÉ.
1065 L’amant qui veut empêcher
Un changement qui l’irrite,
S’y prend mal de reprocher
Que pour un autre on le quitte.
Sans se montrer alarmé
1070 De la peur qu’on ne préfère
Un rival plus estimé ;
Qu’il trouve toujours à plaire,
Il sera toujours aimé.
MÉLICERTE.
Je suis pour vous toujours le même,
1075 Toujours la même ardeur vous répond de ma foi ;
Mais que peut penser cet amour extrême,
À moins que votre coeur ne soit toujours pour moi ?
CIRCÉ.
S’il est vrai que malgré l’outrage
Qu’en recevront vos feux jaloux,
1080 L’intérêt de mon coeur à vous quitter m’engage,
S’agissant de me faire un sort heureux et doux,
À qui de mon coeur, ou de vous,
Dois-je déférer davantage ?
MÉLICERTE.
Ah, puisque vous étiez capable de changer,
1085 Pourquoi m’avoir tiré de mes premières chaînes ?
Le poids m’en paraissait bien léger ;
Et ravi que l’Amour m’en eût voulu charger,
J’ignorais qu’en aimant il pût être des peines.
M’enlevant en ces lieux, vous m’avez malgré moi
1090 Fait à Silla manquer de foi...
CIRCÉ.
Vous lui pouviez être fidèle ;
Mais c’est un feu facile à rallumer
MÉLICERTE.
Que je cesse de vous aimer !
Ah ! Plutôt....
CIRCÉ.
Ah ! Plutôt.... Non, suivez l’amour qui vous appelle.
1095 Silla vaut ce retour ; elle est jeune, elle est belle,
Sait mieux que moi l’art de charmer,
Et je ne suis plus rien auprès d’elle.
MÉLICERTE.
Faites donc que les Dieux affaiblissent ces traits
Qui nous offrent en vous leur plus brillante image.
1100 Rien n’est capable ailleurs d’attirer mes souhaits ;
Et comme un nouveau charme à qui tout doit hommage
Semble aujourd’hui de vos attraits
Avecque plus de force étaler l’avantage,
J’ai pour vous plus d’amour que je n’en eus jamais.
CIRCÉ.
1105 C’est trop ; en attendant des réponses plus claires,
Songez qu’aux Importuns je sais ce que je dois,
Et que mes volontés étant ma seule loi,
Ce n’est pas le moyen d’avancer ses affaires,
Que de s’obstiner avec moi.
MÉLICERTE.
1110 Madame...
CIRCÉ.
Madame... Allez, et craignez ma vengeance,
Si vous osez mériter mon courroux.
MÉLICERTE.
Ciel, à quoi me réduisez-vous,
S’il faut aimer sans espérance
De recevoir jamais un traitement plus doux ?
SCÈNE VI. Glaucus, Circé, Palémon Dorine. §
CIRCÉ.
Et bien, Prince ? Avez-vous trouvé dans mon Palais
Les merveilles qu’on en publie,
Et l’heur d’y pouvoir vivre en paix
1150 Peut-il mériter qu’on oublie
Qu’il soit ailleurs des biens à flatter les souhaits ?
GLAUCUS.
Ce qui s’offre à mes yeux passe toute croyance.
Tout brille ici partout d’un éclat sans pareil,
Et par plus de magnificence
1155 L’illustre Fille du Soleil
Ne pouvait soutenir l’honneur de sa naissance
CIRCÉ.
Je puis à ce Jardin ajouter des beautés
Capables de toucher votre âme.
Naissez, Berceaux, et par vos raretés
1160 Charmez si bien ses yeux, qu’il se plaise...
Un berceau s’élève tout à coup, soutenu par des statues de bronze qui le ferment, et en sont comme les supports. Il est embelli d’un bassin avec un jet d’eau ; et environné de plusieurs grenouilles, sur lesquelles il y a de petits Enfants assis.
GLAUCUS.
Charmez si bien ses yeux, qu’il se plaise... Ah, Madame,
Perdez cet obligeant souci ;
Il n’en faudrait pas tant pour me charmer ici.
Un seul bien...
CIRCÉ.
Un seul bien... Quel qu’il soit, s’il est en ma puissance,
Parlez je ne réserve rien.
GLAUCUS.
1165 Après une telle assurance,
Quel bonheur est le mien ?
Oui, Madame, de vous dépend ce que j’espère.
C’est dans votre Palais que mon coeur satisfait
Peut n’avoir plus aucuns souhaits à faire,
1170 J’y jouirai d’un heur parfait ;
Et si de vos bontés rien n’empêche l’effet,
Point de félicité qui puisse ailleurs me plaire.
Charmé, dégagé de souci,
Vous me verrez, par d’éternels hommages,
1175 Tâcher de mériter les heureux avantages
Que je puis rencontrer ici.
DORINE à Circé.
Il vous aime, en voilà d’assez clairs témoignages.
CIRCÉ.
Dorine, tout va bien, le Charme a réussi.
À Glaucus.
Sans m’expliquer votre reconnaissance,
1180 Dites-moi seulement ce que je suis pour vous.
GLAUCUS.
Prendre pitié d’un feu dont les charmes trop doux
Ont trouvé mon coeur sans défense.
Tout ce que du Ciel en courroux
Peut la plus sévère vengeance,
1185 C’est de faire qu’on aime avecque violence,
Sans être aimé de qui peut tout sur nous.
CIRCÉ.
Cet amour sur votre âme a-t-il assez d’empire,
Pour vous faire immoler à sa naissante ardeur...
GLAUCUS.
Quoi, vous doutez des transports qu’il m’inspire
1190 Ah, si vous ne pouvez pénétrer dans mon coeur,
Croyez ce que mes yeux s’empressent de vous dire.
Voyez-les tout remplis de ce brûlant amour
Qui cherche par eux une voie
À pouvoir se montrer au jour.
1195 J’ai su que Silla vient dans ce charmant séjour.
Daignez l’y retenir ; pourvu que je la voie,
Tous les plaisirs pour moi vont être de retour.
Vivre avec elle ici, me comblera de joie.
Malgré ses indignes mépris,
1200 Mes soins fortifiés du secours de vos Charmes,
Forceront sa rigueur à rendre enfin les armes.
Souffrez l’espoir que j’en ai pris ;
Si vous êtes pour moi, ma flamme est sans alarmes.
CIRCÉ.
J’ai cru qu’ayant à faire choix...
1205 Songez-vous que peut-être...
SCÈNE VII. Glaucus, Circé, Astérie, Palémon Dorine. §
CIRCÉ.
Songez-vous que peut-être... Approchez, Astérie,
Est-on prêt à chanter ?
ASTÉRIE.
Est-on prêt à chanter ? Oui, Madame.
CIRCÉ.
Est-on prêt à chanter ? Oui, Madame. La voix
M’a toujours fort touchée. Écoutons, je vous prie,
Vous me direz le reste une autre fois.
DIALOGUE de SYLVIE et de TIRCIS, qui se chante.
TIRCIS.
Pourquoi me fuyez-vous, ô Beauté trop sévère,
1210 Quand d’un si tendre amour j’ai le coeur enflammé !
SILVIE.
Je fuis ce que je sens qui commence à me plaire ;
Si je vous écoutais, vous pourriez être aimé.
TIRCIS.
Quoi, toujours, aimable Inhumaine,
Refuser de m’entendre ? Eh de grâce, deux mots.
SILVIE.
1215 L’amour cause de la peine,
Et je veux vivre en repos.
TIRCIS.
Est-il des plaisirs sans tendresses ?
SILVIE.
Est-il de l’Amour sans chagrin ?
TIRCIS.
Par l’Amour tout chagrin cesse.
SILVIE.
1220 Tous les plaisirs par l’amour prennent fin.
TIRCIS.
C’est une erreur ; dans le bel âge,
Il faut aimer pour vivre heureux.
SILVIE.
Ne me dites rien davantage.
TIRCIS.
Soulagez les ennuis de mon coeur amoureux.
SILVIE.
1225 Que vous sert que le mien soupire ?
TOUS DEUX ensemble.
Ah Tarcis ! Unissons nos soupirs.
SILVIE.
Aimons-nous. Douce peine !
TIRCIS.
Aimons-nous. Douce peine ! Agréable martyre !
SILVIE.
Il fait tout mon bonheur.
TIRCIS.
Il fait tout mon bonheur. Il fait tous mes désirs.
TOUS DEUX ensemble.
Pour goûter les plus doux plaisirs,
1230 Ne nous lassons jamais de nous le dire :
Aimons-nous. Douce peine ! Agréable martyre !
SILVIE.
La liberté m’était un lien si doux !
TIRCIS.
Vaut-il ceux que l’Amour offre dans son Empire ?
SILVIE.
Je la perds, c’en est fait.
TIRCIS.
Je la perds, c’en est fait. Vous en repentez-vous ?
SILVIE.
1235 Ce n’est pas de quoi je soupire.
SILVIE.
Ah Silvie ! Ah Tircis !
TOUS DEUX ensemble.
Ah Silvie ! Ah Tircis ! Unissons nos soupirs.
SILVIE.
Aimons-nous. Douce peine !
TIRCIS.
Aimons-nous. Douce peine ! Agréable martyre !
SILVIE.
Il fait tout mon bonheur.
TIRCIS.
Il fait tout mon bonheur. Il fait tous mes désirs.
TOUS DEUX ensemble.
Pour goûter les plus doux plaisirs,
1240 Ne nous lassons jamais de nous le dire :
Aimons-nous. Douce peine ! Agréable martyre !
CIRCÉ.
Vous voyez de quelles douceurs
L’Amour souffre aux Amants la flatteuse espérance,
Quand il prend soin d’unir leurs coeurs.
GLAUCUS.
1245 On oublie aisément ce qu’il eut de rigueurs,
Lorsque cette union en est la récompense.
Par vous avec Silla je la puis espérer.
Vos Charmes n’ont jamais trouvé rien d’impossible ;
Et cette charmante Inflexible
1250 Pour qui l’amour me force à soupirer,
Dès que vous parlerez, aura le coeur flexible.
CIRCÉ.
Si vous n’obtenez que par moi
L’heureux succès que votre amour espère,
Cette douceur aura-t-elle de quoi
1255 Vous assurer ce qui doit seul vous plaire ?
Pour bien goûter le plaisir d’être aimé,
Il faut ne le devoir qu’à l’ardeur de sa flamme.
De Silla qui vous fuit êtes-vous si charmé,
Qu’un autre Objet dont vous toucheriez l’âme
1260 Ne pût de vous être estimé ?
Laissez agir votre mérite.
Il est mille Beautés, qui pour vous rendre heureux,
Se plairont à répondre à vos soins amoureux ;
La gloire à changer vous invite.
GLAUCUS.
1265 Est-il rien de plus rigoureux ?
Quel conseil ! À Silla devenir infidèle !
Silla qu’on ne peut voir sans se faire une loi...
CIRCÉ.
Elle a tout ce qui peut mériter votre foi ;
Mais si vous ne changiez pour elle,
1270 Qu’afin de vous donner à moi,
Heureux par cet amour, auriez-vous tant de quoi
Nommer la Fortune cruelle ?
GLAUCUS.
La gloire d’être aimé de vous
Devrait m’être un bonheur sensible,
1275 À remplir mes voeux les plus doux ;
Mais, Madame, l’amour par un charme invincible,
Dispose de nous malgré nous.
Quoique Silla me livre à cent peines secrètes,
Sille seule peut plaire à mon coeur amoureux.
1280 Pour Silla seule il peut former des voeux,
Et toute aimable que vous êtes,
Vous ne pourriez me rendre heureux.
CIRCÉ.
Tremblez de l’aveu que vous faites,
Oser à mon amour préférer d’autres feux !
1285 J’en dis trop, mais Circé n’est pas accoutumée
À contraindre des sentiments.
S’il me plaît de choisir, je n’ai que trop d’Amants ;
Mais lorsque je m’abaisse à souffrir d’être aimée,
C’est vouloir voir ma haine à punir animée,
1290 Que m’opposer d’autres engagements.
Pour de moindres mépris j’ai répandu la honte
Du sort le plus injurieux,
Sur des Rois dont j’ai fait la terreur de ces lieux.
Il faut d’une vengeance aussi juste que prompte,
1295 Étaler la peine à vos yeux.
On voit paraître divers Animaux, Lions,
Ours, Tigres, Dragons, et Serpents.
En Bêtes transformés, pour m’avoir su déplaire,
Voyez-les à regret souffrir encor le jour,
1300 Et si vous dédaignez l’offre de mon amour,
Craignez l’horreur de ma colère.
GLAUCUS.
La menace, Madame, est pour se faire aimer
Un moyen dont je crois le succès un peu rare.
Je l’entends sans m’en alarmer,
1305 Et quoi que ces Objets me fassent présumer
Du sort honteux qu’on me prépare,
L’amour règne en mon coeur, et l’a trop su charmer,
Pour souffrir lâchement que l’effroi s’en empare.
CIRCÉ.
Quoi, jusqu’à me braver vous poussez vos dédains,
1310 Connaissant qui je suis, et ce que je puis faire ?
Encor un coup redoutez ma colère.
À me fléchir vos efforts seront vains,
Si j’écoute l’amour qui la force à se taire.
Je n’ai qu’à dire un mot, et ces fiers Animaux
1315 Fondant sur vous pour venger mon injure,
De l’un d’eux aussitôt vous prendrez la figure.
Vous me regretterez, et pour comble de maux...
GLAUCUS.
Le Ciel pourra détourner l’aventure,
Et les forces dont les Dieux m’ont fait part,
1320 Mettront peut-être obstacle au pouvoir de votre Art.
CIRCÉ.
De la témérité passer à l’insolence !
Prétendre que les Dieux appuyant vos projets...
Ah, c’en est trop, il faut punir cette arrogance,
Fiers Ministres de ma vengeance,
1325 Avancez, il est temps, et je vous le permets.
GLAUCUS.
Et moi, qui sais confondre une injuste puissance,
Je vous défends de vous montrer jamais.
Tous les animaux sont engloutis dans la terre.
CIRCÉ.
Ciel ! Que vois-je ? La Terre s’ouvre,
1330 Et par ces Animaux employés vainement,
Ma faiblesse qui se découvre,
Le laisse triompher de mon ressentiment.
Quoi, voir par son pouvoir mes forces abattues ?
Non, non, animez-vous, immobiles Statues.
Les dix statues de bronze qui servent de supports au berceau commencent à remuer.
GLAUCUS.
1335 De ce que vous pouvez votre Art vous fait trop croire,
J’en saurai contre vous repoussez l’attentat,
Et ces vains Ennemis opposés à ma gloire,
Bien loin de la ternir, en accroîtront l’éclat.
Disparaissez, et sans combat,
1340 Vous perdant dans les airs, cédez-moi la victoire.
Les statues s’envolent, et le berceau fond dans la terre.
Par l’inutile essai qui suit votre courroux,
Si tôt qu’à ses transports ma volonté s’oppose,
Madame, vous voyez ce que j’ai fait pour vous,
1345 Quand j’ai voulu vous devoir quelque chose.