LA COMTESSE D'ORGUEIL
COMÉDIE

Par T.CORNEILLE.

A ROUEN, et se vend
A PARIS, chez GUILLAUME
DE LUYNE, au Palais,
Dans la salle des Merciers à la Justice.
M.DC.LXXI.
AVEC PRIVILEGE DU ROY.

Édition critique établie par Thierry Simoncello dans le cadre d'un mémoire de master 1 sous la direction de Georges Forestier (2008-2009)

Introduction §

Cependant toute la gloire du moi, ainsi démentie par la faiblesse de l’homme au sein de l’univers, pourrait trouver refuge dans le désir même que la gloire inspire, s’il était prouvé que ce désir fût noble.1

À un moment de l’histoire du théâtre où le genre comique est un peu en reflux, paraît sur la scène de l’Hôtel de Bourgogne une pièce de Thomas Corneille intitulée La Comtesse d’Orgueil. Cette comédie à l’espagnole dont on sait seulement qu’elle est créée en 1670 et dont l’intrigue est fondée sur l’opposition psychologique de deux frères ne semble pas connaître le succès avant le siècle suivant. Or, quelques années avant, en 1668, la pièce Le Baron d’Albikrac, elle aussi d’inspiration espagnole, est une réussite, à tel point que presque tout le monde la connaissait d’une manière ou d’une autre. Le plus étonnant dans le croisement des destins de ces deux pièces, c’est qu’elles avaient une intrigue quasiment identique. Il semble qu’il soit plus facile d’expliquer l’échec d’une pièce comme La Comtesse d’Orgueil que le triomphe du Baron d’Albikrac, notamment à la lumière du contexte historique et théâtral. En effet, la mode de la comédie à l’espagnole qui a fait les beaux jours de plusieurs dramaturges dont Thomas Corneille date des années 1650 et n’entre plus dans les attentes du public. Dans la décennie 1660, le genre comique commence à être moins représenté au profit de la tragédie et, surtout, la concurrence d’une personne comme Molière n’aide en rien la réussite des pièces des dramaturges des autres théâtres. Il nous semble donc que tous les éléments soient réunis pour faire en sorte qu’une comédie à l’espagnole jouée en 1670 ne soit pas un très grand succès pour son auteur. Toutefois, Thomas Corneille avait réussi à adapter la pièce au goût du public français en la disposant en cinq actes et en supprimant tout élément espagnol. Seule était conservée l’intrigue qui opposait un riche et fourbe marquis à son pauvre frère dans la conquête d’une jeune femme. Finalement, comment expliquer que deux pièces si proches aient eu une fin si différente ? Nous pouvons supposer que les pièces concurrentes, jouées au même moment ont une part de responsabilité à ce sujet. Ajoutons aussi les goûts d’un public exigeant voire capricieux dont l’intérêt pour le théâtre se situe plus dans le plaisir et le divertissement que dans le fait de voir couronner une nouvelle fois un dramaturge qu’il connaît déjà2.

Aspects de la vie de Thomas Corneille §

Fils d’un maître particulier des eaux et forêts à Rouen, Thomas Corneille naît en 1625. Il suit ses études au collège des jésuites de Rouen avant de rentrer à l’université de Caen afin d’étudier le droit et à terme de devenir avocat. Son père meurt en 1639 et c’est ainsi que Pierre Corneille, son aîné de dix-neuf ans, devient son tuteur. L’auteur du Cid prend son rôle de guide au sérieux ; c’est notamment grâce à lui que Thomas apprend l’espagnol, qui lui sera tant utile dans sa carrière, et qui lui donne le goût du théâtre. En 1647, Thomas Corneille fait représenter Les Engagements du hasard, comédie reprise de Calderón, à l’Hôtel de Bourgogne avec l’appui du comédien Floridor, grand ami de la famille Corneille. La pièce est appréciée du public. Sa carrière d’auteur dramatique lancée, il propose deux nouvelles comédies au public du théâtre de l’Hôtel de Bourgogne : Le Feint Astrologue en 1648 et Don Bertrand de Cigarral et 1650 qui sont toutes deux des réussites. Entre temps, Thomas s’est marié avec la sœur de la femme de Pierre, Marguerite de Lampérière avec qui il aura trois enfants, les deux familles s’installant dans la même maison à Rouen. En 1651, Thomas Corneille reprend une pièce d’Antonio de Solis qu’il intitule L’Amour à la mode.

L’année 1653 marque un léger tournant dans la carrière de Thomas Corneille avec Le Berger extravagant suivant la mode de l’époque pour des comédies pastorales. La même année, il essuie son premier échec au théâtre avec Le Charme de la voix. Le succès des Illustres ennemis en 1654 s’explique notamment grâce aux relations de Thomas avec des dames influentes qui n’hésitent pas à mettre sa pièce en avant plutôt que celles de Scarron ou Boisrobert inspirées aussi de la même œuvre de Rojas. En 1655, Thomas Corneille se tourne une nouvelle fois vers Calderón, qui deviendra son auteur fétiche, pour composer Le Geolier de soy-mesme dont le grand succès a été dû à la participation de Jodelet. Il s’agit là de la dernière pièce du premier cycle dans la carrière de Thomas Corneille, entièrement consacré aux comédies.

Le retrait de Pierre Corneille de l’activité théâtrale parisienne en 1653 va entraîner un changement de direction dans la carrière de Thomas Corneille. En effet, dès lors, il y a une place à prendre sur la scène tragique, considérée comme supérieure au comique. Les comédies ne constituaient qu’un choix par défaut pour ne pas entrer sur le terrain de son frère ; le problème résolu, Thomas écrit sa première tragédie qui est jouée en 1656 au théâtre du Marais3. Il s’agit de Timocrate, sans doute le plus grand succès théâtral du XVIIe siècle, resté à l’affiche pendant six mois de suite. Informé de la réussite de la pièce, le roi se déplace au Marais pour voir la pièce. Le public parisien voit même la troupe rivale de l’Hôtel de Bourgogne se mettre à jouer la pièce à son tour, certaine de faire de bonnes recettes avec cette affiche. Ce succès s’explique en partie car la pièce est le type même de la tragédie galante, très appréciée à l’époque, avec ses sentiments raffinés, ses thèmes habituels dont l’amante ennemie, le prince déguisé et sa fin heureuse4. Cet épisode permet d’assurer la réputation de Thomas Corneille. S’en suivent, dans les années suivantes, quelques tragédies comme Bérénice, La Mort de Commode ou encore Darius que le public goûte plus ou moins.

Pour être agréable aux « Grands Comédiens » qui n’avaient pas d’auteur comique de grande valeur, Thomas Corneille change une nouvelle fois de théâtre et retourne à l’Hôtel de Bourgogne. Cependant, précisons que ce retour est parallèle à l’embauche des meilleurs comédiens du Marais afin de convaincre l’auteur de Timocrate. Selon les modalités proposées en premier lieu à Pierre par Fouquet pour son retour au théâtre, Thomas fait représenter deux nouvelles tragédies que sont Stilicon, créée en 1659, et Camma, datant de 1660. Les deux pièces rencontrent un franc succès et ce, malgré la cabale du Marais pour faire tomber Stilicon. Le retour à la comédie se fait par Le Galant doublé que l’on joue seulement quelques fois avant la création de Camma. De 1660 à 1662, se succèdent Pyrrhus, roi d’Epire, Maximian et Persée et Démétrius que Gustave Reynier juge comme l’œuvre la plus faible de Thomas Corneille5.

À Paris depuis 1662, les frères Corneille se séparent pour habiter chacun de leur côté. Cette période reste comme un arrêt temporaire de Thomas Corneille en ce qui concerne la composition de pièces. En effet, il s’agit d’un moment où il semble plus préoccupé par l’affaire des lettres de noblesse qui vise à supprimer tous les titres accordés en Normandie depuis trente-quatre ans. L’anoblissement du père rentrant dans le délai couvert par la mesure, les Corneille se retrouvent sans un titre précieux à leurs yeux. Finalement, ils récupèrent le titre sur ordre du roi quatre ans plus tard, ainsi que leurs terres. On ne sait pas précisément laquelle de ses terres a incité Thomas à signer « Sieur de Lisle » ; signature dont Molière se moquerait dans L’Ecole des femmes6. En 1668, le Baron d’Albikrac va connaître un énorme succès, à tel point que la pièce sera jouée jusque deux siècles plus tard régulièrement. En 1669 et 1670, La Mort d’Hannibal et La Comtesse d’Orgueil passent sur la scène de l’Hôtel de Bourgogne. En 1672, Thomas Corneille part à la campagne et rédige la tragédie Ariane sur le modèle racinien, le tout en quarante jours ; c’est, d’ailleurs, en partie de cette pièce que Racine s’inspirera pour Phèdre7. Théodat suit à la fin de l’année mais n’obtient qu’une faible réussite.

L’année 1673 marquée par la mort de Molière devient aussi l’occasion pour Thomas Corneille de changer une nouvelle fois d’horizon au théâtre. L’ancienne troupe de Molière et les comédiens du Marais lui proposent par l’intermédiaire de De Visé de lui écrire des pièces afin d’enrichir son répertoire centré sur les seules pièces de Molière. Les trois premiers essais : Le Comédien-poète, La Mort d’Achille et Don César d’Avalos ne sont que peu concluants. C’est ainsi que Thomas et la troupe décident de se tourner vers les pièces à machines8 qui avaient un grand succès depuis 1647 ; Circé est représentée pour la première fois le 17 mars 1675. Le succès est tel que les spectateurs donnent de l’argent en plus afin de pouvoir entrer dans la salle ou obtenir les places qui les intéressent9. Fort de ce succès, le plus jeune des frères Corneille compose la comédie de l’Inconnu avec De Visé et Le Triomphe des dames en 1676 qui reconstitue un tournoi entre chevaliers. Les bénéfices des deux pièces sont satisfaisants. C’est en 1677 que Thomas Corneille procède à la mise en vers du Festin de Pierre que Molière avait écrit. Cette forme de la pièce rencontre un succès plus net que la première. La même année, Racine ayant décidé de renoncer au théâtre, Thomas Corneille accepte d’écrire une nouvelle tragédie intitulée Le Comte d’Essex. Même si la troupe de Guénégaud tente de faire tomber la dernière pièce de Thomas, le succès qu’elle a rencontré face au public montre l’échec de la vengeance. À la suite de cet épisode, Thomas accepte de devenir collaborateur de Lully10 en remplacement de Quinault provisoirement disgracié à la cour. Leur tentative d’opéra avec Psyché en 1678 décourage Thomas. Le roi réussit à le convaincre de renouveler l’expérience, ce qu’il fait avec Bellérophon, entreprise pour laquelle il sera aidé par Quinault. La pièce que l’on joue en 1679 attire le public mais Thomas cède définitivement sa place à Quinault en 1680. Peu avant, à la fin de 1679, Thomas Corneille s’associe une nouvelle fois avec la troupe de Guénégaud dans le but de créer une pièce basée sur l’affaire des poisons11, profitant de l’arrestation de la Voisin, accusée d’être une empoisonneuse. Selon De Visé12, La Devineresse s’inscrit comme l’un des plus prodigieux succès du XVIIe siècle ; David Collins confirme les dires de De Visé en plaçant La Devineresse comme celle ayant fait la meilleure recette pour son auteur de tout le siècle avec cinq mille six-cents francs de bénéfices13. Ce sera aussi le dernier vrai succès de Thomas Corneille en tant qu’auteur dramatique. Ses dernières pièces, écrites de 1691 à 1695 sont des demi-échecs ; parmi elles, on retrouve La Pierre philosophale, L’Usurier, Le Baron des Frondières, Bradamante et Les dames vengées, comédie qui connaît malgré tout un succès éphémère.

Le fait que les dernières pièces de Thomas Corneille ne suscitent plus l’engouement que ses œuvres avaient dans le passé peut aussi s’expliquer par sa collaboration active au Mercure galant de De Visé à partir de 1677, dont il devient l’associé le 18 janvier 168214. Cette entreprise lui prend beaucoup de temps, mais elle lui permet, grâce au succès de la gazette, d’améliorer sa situation dans les réseaux mondains de manière considérable ainsi que de faire un profit intéressant, notamment si l’on pense au mariage de sa fille Marthe au cours duquel il dépense beaucoup15. Il cesse de s’investir dans la gazette en 1700, bien qu’elle soit toujours très en vogue.

En 1684, Pierre Corneille décède, laissant libre son siège à l’Académie. En toute logique, Thomas est élu à la place de son frère le 2 janvier 1685 à l’unanimité. À cette occasion, il prononce un discours incluant un éloge pour son défunt frère. Racine, qui préside alors l’Académie, répond par un éloge vibrant de Pierre Corneille. Il prend d’ailleurs cette nouvelle occupation très au sérieux : il a une grande importance dans les travaux réalisés pour le dictionnaire de 1672. En ce sens, il est considéré comme académicien modèle. En 1688, Thomas Corneille prend part à la fameuse querelle des Anciens et des Modernes16 et se positionne en faveur des Modernes, notamment pour défendre son neveu Fontenelle très engagé dans la discorde depuis son arrivée à l’Académie. Jusqu’en 1694, les attaques sont vives entre les deux camps, opposant en particulier Thomas Corneille et La Bruyère. L’affaire finit par s’essouffler d’elle-même. Peu avant, en 1690, Furetière publie son propre dictionnaire17 sans passer par l’Académie. Il en est finalement exclu. Les académiciens tentent de faire mieux que l’ouvrage de Furetière en associant au Dictionnaire de l’Académie un autre Dictionnaire des termes des arts et des sciences, confié à Thomas Corneille et qui paraît en 1694. Dans les dernières années de sa vie, il continue d’aller aux séances de l’Académie, mais se consacre aussi à des projets personnels comme la traduction des Métamorphoses d’Ovide ou de certains textes d’Esope. Cependant, la dernière grande occupation de sa vie reste la rédaction du Dictionnaire universel géographique et historique qui lui prend tout son temps de 1694 à 1708. Il réussit à terminer l’ouvrage bien qu’il soit devenu aveugle et qu’il ait eu recours à un lecteur personnel pour travailler. L’argent obtenu par avance de l’éditeur lui permet de rembourser l’emprunt contracté pour le mariage de sa fille. En 1704, l’Académie lui donne le titre de vétéran, créé spécialement pour lui et on allège toutes ses charges à l’Académie. En 1706, sa femme meurt et il décide d’aller finir sa vie seul dans sa maison aux Andelys en 1708. Fontenelle est l’un des seuls à aller lui rendre visite régulièrement. C’est le 8 décembre 1709 qu’il meurt. Le mois suivant, De Visé rédige de lui un portrait élogieux dans le Mercure galant.

Situation de la comédie à la fin des années 1660 §

Situation générale §

La décennie qui va de 1660 à 1670 constitue une période durant laquelle la comédie se place comme le genre majeur sur le théâtre, même si, sur la fin, vers 1668, la tendance semble évoluer du côté de la tragédie qui finit par compter quelques pièces de plus par an que la comédie18. L’année 1670 compte trente-trois comédies pour trente-neuf tragédies. Ceci marque la lente descente du genre comique jusqu’aux années 1680. Cependant, les années qui précèdent représentent une période faste pour un genre qui a connu bien des évolutions et des traitements au cours du siècle. La réussite comique dans les années 1660 est en grande partie due au succès de Molière et de ses œuvres. En effet, avec Molière, c’est un renouveau qui s’instaure pour la comédie. S’appuyant sur un effet mimétique vis-à-vis du réel, son théâtre paraît plus vraisemblable aux yeux du public qui, dès lors, devient plus attentif pendant toute une représentation19. Bien plus que cela, Molière a une conception propre du personnage de comédie à qui il va donner des traits distinctifs permettant de l’identifier ; il ne s’appuiera pas seulement sur un type comique comme c’était le cas auparavant. Ces caractéristiques propres peuvent aussi bien se situer au niveau moral, physique ou encore langagier20 augmentant ainsi la vraisemblance du spectacle et donc la facilité d’écoute du spectateur. Tout ceci au service d’un but idéologique précis, résumé par la formule castigat ridendo mores, corriger les mœurs par le rire21. Molière se base sur la société contemporaine pour sélectionner les vices qu’il veut traiter dans ses pièces. Cela nous explique une partie des résistances qu’il a dû subir durant sa carrière. Nous pouvons, par exemple, penser aux dévots qui ont réussi à faire interdire les représentations du Tartuffe de 1664 à 1669 car étant visés par Molière. Cette querelle dépasse largement le simple cadre des dévots en traitant aussi la question de la moralité du théâtre, et le problème de la représentation du sacré au sein de quelque chose de profane. C’est dans ce climat chargé en querelles et débats que Molière va imposer sa vision de la comédie et à redorer l’image d’un genre qui était vu comme forcément inférieur à la tragédie, et ce, depuis la Poétique d’Aristote. Molière, qui a fait évoluer l’entreprise comique en en « désencombrant l’horizon »22 (n’oublions pas qu’une grande partie des formules de comédies sont de lui, notamment la comédie-ballet), reste finalement l’auteur qui a le plus marqué cette période, bien que d’autres comme Montfleury ou encore Poisson aient fait représenter des comédies à la même période. Toujours est-il que ce sont les pièces de Molière, leur originalité, mais aussi les querelles qu’elles ont entraînées qui ont permis de redonner au public le goût de la comédie, ce qui a été profitable aux autres auteurs comiques de l’époque dont Thomas Corneille avec Le Baron d’Albikrac en 1668.

Finalement, malgré le retour de la tragédie à la toute fin des années 1660, le genre comique continue de bien se porter jusqu’aux environs de l’année 1680. Le déclin de cette période est entraîné par une atmosphère pesante en France en raison des guerres internes, externes, des conflits sociaux et religieux.

La Comtesse d’Orgueil et la comédie à l’espagnole §

Avant de se lancer dans l’analyse des sources à proprement parler, il convient de s’intéresser au type de comédie auquel elles appartiennent et à celui qui en découle en France. Les sources de La Comtesse d’orgueil sont œuvres de dramaturges espagnols du Siècle d’Or ; on peut ainsi dire que ce sont des comedias. Ce terme de comedia mérite qu’on s’y attache car il n’est pas l’exacte traduction de « comédie » en français. Selon Jean Sentaurens23, le mot peut à la fois désigner l’opposé de la tragédie, une représentation ou un poème dramatique. C’est ce troisième sens qui nous intéresse particulièrement car il permet d’expliquer la différence de concept entre la « comédie » au sens français et de comedia. L’élément dominant que nous devons prendre en compte dans cette définition est sans aucun doute la mixité de ton que l’on rencontre dans ces pièces. En effet, cette variété entre comique et tragique existe par reflet de la réalité faite de mélange. Il s’agit donc d’un souci de paraître naturelle aux yeux du public ; les comedias ne sont donc pas nécessairement comiques24. Cependant, la comedia n’est pas dénuée de règles. Elle est toujours composée de trois journées qui correspondent chacune à une sorte d’acte, le lieu et le temps sont modulables au gré du dramaturge. On accorde de l’importance simplement à ce que l’action domine sur les autres éléments de la pièce. Ceci peut expliquer pourquoi ce sont souvent des pièces avec des rebondissements et de nombreuses péripéties, c’est pour cette raison que Michel Gilot et Jean Serroy affirment que le romanesque, avec ses situations à rapprocher de la tragi-comédie, fait partie des caractères essentiels de la comedia25. Par ailleurs, le personnel dramatique est propre au genre. Le type du valet comique dit gracioso en reste le plus représentatif et le plus connu ; il constitue la face bouffonne et grotesque de la pièce26 qu’il conviendra d’étudier plus longuement dans le développement consacré au rapport avec les sources. Dans la comedia, il n’est donc pas question d’unité de temps et de lieu comme c’est le cas chez nous depuis que les théoriciens se sont mis d’accord sur ces questions théoriques. En d’autres termes, les principales différences entre ces deux types de comédie se situent dans le respect des règles classiques ou non (que se soit les trois unités ou bien la règle de l’unité de ton). Il faudra s’intéresser à la façon dont Thomas Corneille a procédé pour gommer ces différences et les faire rentrer dans le moule du système comique français.

La spécificité de ce modèle comique ne se limite pas aux aspects théoriques que nous venons d’aborder. Comme l’explique Alexandre Cioranescu, la comedia transmet une philosophie de la vie relative à l’identité27. Cette conception de la vie relève de l’esthétique baroque puisqu’elle est fondée sur le fait qu’il existe une duplicité, une relativité voire une inconsistance de la vérité. Ainsi, la dualité présente dans toute vérité se retrouve à un niveau plus large dans la pièce de théâtre. C’est en vertu de cette conception baroque que la comedia se pose comme le point d’inflexion entre deux pôles opposés, notamment au niveau des registres, mais aussi au niveau de l’identité des personnages. On verra donc se développer les thèmes de l’hypocrisie, de la tromperie, du déguisement dans les comedias car ils sont porteurs de cette conception double de la vérité et de la vie humaine. Quant à l’intrigue des comedias, on se rend compte que très souvent elle repose sur l’opposition de deux galants qui s’affrontent pour conquérir la fille courtisée, et à l’arrière-plan on retrouve une fille déshonorée, des duels et des morts28. Elle met en application le principe de vie baroque dans le sens où elle ne prend pas la tentative de conquête juste pour elle-même  ; elle met en évidence la difficulté pour un personnage à tenir son rang et en même temps à jouer à l’amant. On y voit bien toute la difficulté qu’il y a à accorder aux valeurs sociales, morales avec la passion naissante. La complexité d’un ordre intérieur, doublée d’un système de relation entre les personnages, basée sur un système précaire suggère un monde instable où chaque action n’a pas toujours les suites souhaitées29. À la différence de la comédie à l’italienne, ici, dans les comédies à l’espagnole, les événements n’arrivent pas au hasard, « tout le romanesque est dans les âmes »30, ce sont les buts poursuivis par les personnages qui créent ce romanesque dont le public est friand. Dernière caractéristique relative au modèle de vie baroque, l’inconstance revêt souvent un rôle important dans les intrigues de comedias31. On peut la retrouver sous des formes diverses en fonction de l’histoire, et du personnage porteur. Cette inconstance devient peu à peu une caractéristique de l’homme et surtout du galant de comedia qui peut d’un acte à l’autre passer de la timidité à l’audace ou de la fidélité à la trahison, ce qui participe aux péripéties et aux coups de théâtres. Tellement appréciée par le public français, l’inconstance devient le nec plus ultra des modèles de personnages et le marqueur d’un changement de goût dans la société qui était jusque là bornée à un amour plus proche de la tradition.

En ce qui concerne l’histoire de la comedia sur le sol français, c’est l’influence qu’elle a eue sur nos comédies que l’on retiendra. Dans un premier temps, on ne suit pas le modèle espagnol bien qu’il plaise au public. Ensuite, plutôt que de simplement traduire les pièces espagnoles, les dramaturges s’attachent à les adapter pour les rendre régulières. Les spécialistes du théâtre donnent même plus de mérite à celui qui réussit à tirer une pièce non régulière vers le haut. La phrase de La Mesnardière, citée par Alexandre Cioranescu, résume bien l’idée : « les œuvres espagnoles ne sont pas assez régulières pour apporter de l’honneur à ceux qui les ont inspirées »32. Finalement, malgré les réticences et les critiques, la comedia va servir de base à de nombreuses adaptations durant le XVIIe siècle. Ces adaptations ont pu se faire sous des formes diverses en raison de la nature de la comedia. Alexandre Cioranescu indique que « la comedia ignore les inhibitions et traite sur un pied d’égalité les sujets historiques, mythologiques ou sacrés, la vie courtisane ou pastorale, les jeux du hasard et les astuces des amoureux, la grossièreté du gracioso et le drame du salut »33. Cela explique donc pourquoi les comedias ont pu donner en France aussi bien des comédies que des tragi-comédies, voire, parfois, des tragédies ; elles ont une différence de nature par rapport à la comédie de France dans le sens où la matière qu’elles exploitent pour leurs intrigues est beaucoup plus large qu’en France et correspond donc à un panel comprenant différents genres.

Pour ce qui est des adaptations en elles-mêmes, on en un compte un nombre élevé et d’importance relative selon les cas. La première d’entre elles n’est autre que La Bague de l’oubli de Rotrou, représentée pour la première fois en 1629, et tirée de La sortija del olvido de Lope de Vega. Rotrou, dans la suite de sa carrière, reprend douze autres fois des œuvres espagnoles. Cette matière espagnole n’est pas sans apporter une certaine nouveauté dans la façon de concevoir des comédies, que la source soit issue du théâtre ou non. Dans cette optique, Le Cid semble être représentatif. C’est par ce goût du romanesque espagnol que Pierre Corneille donne à son public une pièce qui sort de l’ordinaire avec une structure ne correspondant pas aux habitudes et règles prônées par les doctes. On y rencontre un contraste entre « la joie de vivre, la jeunesse des personnages (…) et le traquenards du hasard ou du destin »34 qui inscrit l’œuvre dans une lignée tout espagnole où la pièce n’est qu’un moyen de résoudre les réseaux d’oppositions qui y sont représentés. Il s’agit là de l’exemple le plus célèbre de l’influence espagnole au théâtre.

Moins connus, certains auteurs de théâtre ont tellement pratiqué l’influence espagnole qu’ils ont fini par créer une sorte de mode. Ils deviennent en quelque sorte des professionnels de l’adaptation. Parmi eux d’Ouville, Boisrobert, Scarron35, Quinault et, bien sûr, Thomas Corneille. Selon Cioranescu, durant la période 1640-1668, plus de la moitié des comédies qui ont été jouées sont reprises de modèles espagnols. Il s’agirait de soixante-douze imitations si l’on va de 1629 à 167336. Somme toute, nous parlons là de la période qui a été le plus sous l’influence ibérique de tout le siècle. Sans nul doute, le goût du public pour ce type de spectacles a donné aux auteurs l’envie de se plonger dans le théâtre et la littérature venants de l’autre côté des Pyrénées. C’est, d’ailleurs, avec un tel argument que Cioranescu justifie l’intérêt de Thomas Corneille pour le théâtre espagnol. À ce propos, il dit ceci : « Il est évident, en tout cas, qu’il cherche le succès ; son intérêt pour le théâtre espagnol ne s’explique pas autrement. Pour être sûr qu’il trouve ce qu’il cherche, il le prend là où le succès a déjà été prouvé »37. Bien qu’il soit possible de nuancer le propos, le calcul des pièces de Thomas Corneille venant de l’imitation du théâtre espagnol semble lui donner raison. On compte pas moins de huit pièces de ce type entre 1649 et 1660 ainsi que quatre comédies de 1669 à 1685 dont font partie Le Baron d’Albikrac et La Comtesse d’Orgueil. Parmi ses modèles, Calderón, Rojas, Aragón et Moreto occupent des places de choix.

En somme, durant toute une période, le théâtre d’influence espagnole a connu un grand succès en France. Il convient désormais d’étudier les mécanismes de l’adaptation au goût français par les dramaturges d’une littérature qui n’était pas destinée à ce public. À ce sujet, nous pouvons ajouter que la qualité de l’adaptation mais aussi celle du modèle sont les facteurs essentiels de la réussite d’une comédie à l’espagnole en France. Nous ne débattrons pas ici de la qualité d’un texte source. Nous allons seulement évoquer brièvement les techniques auxquelles ont recours les dramaturges lorsqu’il s’agit de rendre un texte espagnol conforme aux exigences du public français. Tout d’abord, précisons les rapports qu’entretient la comedia avec le lieu, le temps et l’action. Pour ce qui est du lieu, il s’agit dans la plupart des cas de Madrid dans son ensemble ; c’est-à-dire que l’on peut d’un moment à un autre se déplacer dans cet espace. En quelque sorte, la comedia respecte l’unité de lieu seulement si on la comprend dans son sens large. En effet, il est clair qu’au sens strict ce n’est pas le cas : d’un acte à l’autre, voire d’une scène à l’autre, l’action peut se déplacer d’un point de la ville à un autre. En ce qui concerne le temps, nous pouvons dire qu’il se cale sur le déroulement de l’action. Cette dernière peut nécessiter autant de temps qu’il convient au dramaturge ; il n’y a pas de contrainte à ce niveau pour les dramaturges. Précisons que l’intervalle de temps entre les actes est lui aussi très variable. Quant à l’action elle-même, elle se divise en deux composantes et démarre toujours par une péripétie. La fin de la pièce comporte souvent des mariages mais elle n’est pas forcément heureuse. Il y a une sorte de « justice poétique 38 » dans laquelle les actions des personnages entraînent une bonne ou une mauvaise fin selon si elles étaient louables ou critiquables. C’est souvent le dernier acte d’un personnage qui définit sa ligne de conduite et donc sa fin. Pour C.-V. Aubrun, il y a un « ars bene moriendi39 », un art de bien finir pour le personnage de comedia. Finalement, nous avons pu nous rendre compte que le théâtre espagnol ne répond pas très bien aux exigences de régularité connues sur le sol français. Toute la construction d’une pièce espagnole de cette époque repose sur une action tirée de sources qui peuvent être diverses, comme la pastorale, les livres de chevalerie, la Bible, le roman40, etc. qui contiennent de nombreuses péripéties et complications. Ainsi, le mot d’ordre du dramaturge espagnol est plus le spectaculaire que l’illusion voulue par les doctes français. D’ailleurs, la structure du spectacle construit autour de la pièce en Espagne le montre bien. Il s’agit de casser cette illusion41. Pour les auteurs français qui veulent adapter ces pièces, il faut engager le processus inverse de créer l’illusion de vérité en faisant entrer la matière dans les règles établies dans ce but. L’adaptation de ces pièces résulte surtout de la simplification et de l’accélération de l’action afin qu’elle soit unique et qu’elle tienne dans un temps raisonnable. On s’en tient souvent à la journée bien que la comedia ne soit pas aussi stricte que la comédie à ce sujet. Au niveau du lieu, certains dramaturges gardent Madrid car le dépaysement leur plaît, tout comme au public42. Celui qui veut adapter une comedia doit aussi gommer, en partie au moins, tous les usages qui semblent trop espagnols et les adapter aux coutumes françaises43. En somme, en plus de simplifier l’action afin de faire rentrer les pièces dans les règles, il convient d’adapter les détails aux habitudes françaises. Nous pouvons remarquer que changer la nature de pièces pleines de quiproquos, rebondissements en pièces régulières dénature quelque peu la visée d’origine dans laquelle elles étaient écrites. Tous les changements de situations, d’états connus par un personnage au cours d’une intrigue ne sont qu’une autre manière de montrer que chaque action a une incidence et que le destin du personnage est la résultante de toutes ses actions. La fin consiste donc à mettre le personnage en position de responsable ; nous y voyons la partie psychologique et finalement instructive de la comedia espagnole.

Création et destin de la pièce §

Aucun document n’apporte la date précise de création de la pièce. Sophie Wilm Deierkauf-Holsboer précise simplement qu’elle s’inscrit dans un cycle de pièces jouées à l’Hôtel de Bourgogne en 1670 comprenant quatre comédies et Bérénice de Racine44. Pour ce qui est du destin de la pièce sur la scène de l’Hôtel de Bourgogne, il n’est pas possible de conclure de manière sûre. Les documents disponibles ne donnent, en effet, pas les mêmes informations quant à l’appréciation du public. Lancaster45 ne fait qu’une simple allusion aux représentations des siècles suivants ; cependant, il précise que la pièce a connu un grand succès. De son côté, Sophie Wilma Deierkauf-Holsboer46 souligne que le public a beaucoup apprécié la pièce. Cependant, Gustave Reynier47 affirme que la pièce a connu l’échec dès son arrivée sur le théâtre. Ainsi les témoignages contradictoires de ces études ne nous permettent pas de conclure sur l’opinion du public au sujet de La Comtesse d’Orgueil, la recette qu’elle a engendrée, la réputation qu’elle a eue. Il semble, cependant, que dans sa période de création la pièce n’ait pas connu le succès et que sa bonne réputation auprès du public soit faite bien plus tardivement. Par ailleurs, voici la liste des acteurs qui jouaient à l’Hôtel de Bourgogne au moment de la création de la pièce en 1670 : la troupe était composée de Floridor, sa femme, Hauteroche, Belleroche et sa femme, Brécourt et sa femme, Beauchasteau, Dennebault, Lafleur, Champmeslé et sa femme48. Faute de documents plus précis, nous ne pouvons pas affirmer avec certitude quel acteur jouait quel rôle.

La Comtesse d’Orgueil et ses sources §

Résumé §

Acte I §

Lyse, la suivante de la comtesse d’Orgueil, apprend à Carlin, le valet de marquis de Lorgnac, que sa maîtresse est absente de chez elle depuis un mois. Carlin fait la cour à Lyse bien qu’il se soit déjà promis à Virgine, la suivante d’Olympe. Carlin explique qu’il sert le marquis afin d’être utile à son frère, le chevalier qui, bien que noble, ne possède aucun bien. Il doit l’aider à conquérir Olympe en mettant Virgine au courant. Le marquis se plaît à raconter que son frère n’a pas d’argent car il le hait (sc. 1). Le marquis apprend que Lyse vient de la part de la comtesse d’Orgueil : elle voudrait le rencontrer. Lyse lui fait croire que la comtesse a été impressionnée de la voir. Lyse part avertir sa maîtresse (sc. 2). Le chevalier croise son frère avec Carlin. Le marquis montre un grand mépris à son égard, notamment en ce qui concerne son manque d’argent et sa gueuserie alors que le chevalier tente d’expliquer qu’il n’en est pas moins noble. Selon le marquis, c’est cet argument qui doit servir à son frère pour combler Olympe, la fille d’Anselme, riche bourgeois de la ville. Le chevalier explique que son rang pourrait compléter la fortune d’Anselme et qu’il est bel et bien épris d’Olympe. Le marquis propose son aide afin de faire réussir l’alliance (sc. 3). Carlin pense que son soutien n’est pas sincère. Arrive Oronte, l’amant de de la nièce d’Anselme, Lucrèce (sc. 4). Oronte va se marier avec Lucrèce. Cependant, Anselme veut attendre le retour de la comtesse d’Orgueil, qui est la sœur d’Oronte, pour célébrer le mariage. Voyant l’arrivée de Lucrèce et d’Olympe, le chevalier décide de partir avec Carlin afin de ne pas être confronté à elle (sc. 5). Olympe apprend à Oronte qu’elle et sa cousine ont dû écouter le discours de galants et que cela ne lui plaît guère (sc. 6). Virgine vient apprendre à Olympe que son père la destine à un marquis. Celle-ci trouve étrange de ne pas être consultée dans cette affaire et explique qu’elle donne beaucoup de crédit à l’esprit d’un homme. Oronte fait part des moqueries que le marquis suscite et vante les mérites du chevalier qu’Olympe à déjà vu. Il lui semble qu’il manque d’esprit. Elle décide de parler au marquis pour le connaître avant de s’engager et charge Virgine de le faire venir le soir même à sa fenêtre. Oronte doit se renseigner plus en détails sur le marquis (sc. 7).

Acte II §

Après avoir conclu un accord avec le marquis pour un mariage avec Olympe, Anselme vante les mérites de sa fille. Le choix du marquis pour gendre est fort honorable pour sa famille. Le marquis explique qu’il a devancé son frère pour la demande en mariage. Les deux hommes décident finalement de signer un dédit. Anselme explique au marquis qu’il doit se charger de la noce de sa nièce Lucrèce avec Oronte qui se fera en la présence de la comtesse d’orgueil. Un duc tenterait de courtiser la comtesse, ce qui rend le marquis jaloux (sc. 1). Carlin rentre chez Anselme et demande à parler au marquis seul à seul (sc. 2). Carlin lui apprend qu’une marquise est passée chez lui mais que ne le trouvant pas, elle se laissera courtiser par un abbé. Ensuite, le marquis se vante d’avoir réussi à faire céder Anselme en sa faveur. Il précise qu’il lui a parlé en son propre nom pour désespérer son frère. Carlin est outré de la conduite du marquis. Il est déjà trop tard car le dédit signé engage dix mille écus à celui qui annule (sc. 3). Virgine demande à parler au marquis. Olympe l’attend le soir même sur son balcon afin de s’entretenir (sc. 4). Virgine fait l’éloge de sa maîtresse au marquis. Ce dernier profite de l’occasion pour faire des compliments à la suivante qui s’en va juste après car elle a entendu du bruit signalant l’arrivée de quelqu’un (sc. 5). Il s’agit du chevalier qui se rendait chez le marquis. Celui-ci apprend à son frère qu’Anselme a accepté la demande. Le marquis tente de faire partir le chevaleir plus loin ; mais il vient de voir Olympe paraître sur son balcon (sc. 6). Olympe charge sa cousine d’occuper son père pendant qu’elle s’entretient avec le marquis et promet de lui en faire le portait ensuite (sc. 7). Virgine tente de faire comprendre à sa maîtresse que le marquis reste quelqu’un d’important et qu’il n’a pas tous les défauts qu’on lui donne. Selon elle, Oronte le méprise car il ne veut pas voir Olympe acquérir un rang plus élevé que celui de Lucrèce (sc. 8). Le chevalier déclare son amour à Olympe, croyant qu’Anselme à accepté sa demande. Olympe, croyant qu’il s’agit du marquis, insiste sur le fait que cet amour est nouveau. Le chevalier semble surpris car il a passé beaucoup de temps à la suivre, chose dont Olympe ne semble pas se rappeler. Virgine déclare que celui qu’elle pense le marquis n’est qu’un sot. Olympe explique au chevalier qu’elle est préoccupée par un autre amour. Ce à quoi il répond en disant qu’il est déçu mais qu’il accepte sa décision. Finalement, le chevalier se rend compte qu’Olympe le prend pour son frère. Il lui demande donc son avis sur lui-même. Celle-ci raconte qu’elle le trouve idiot. Le chevalier manifeste discrètement sa déception, puis du bruit vient interrompre la conversation (sc. 9). Le marquis arrive avec Carlin et ses domestiques. Le marquis tente de faire partir son frère qui refuse, ayant pris connaissance de la traîtrise de son aîné. Le chevalier provoque donc le traître en duel. Celui-ci s’enfuit alors qu’Olympe et Virgine pensent que le chevalier est le lâche. Olympe avoue son inquiétude à propos du duel car elle aime le marquis.

Acte III §

Oronte apprend à Lucrèce qu’il doit partir pour quelques jours. Il est inquiet pour Olympe à propos de son probable mariage avec la marquis. En effet, celui-ci à dit à Oronte que la comtesse attendait sa visite alors qu’il ne la connaît pas ni ne l’a jamais vue (sc. 1). Oronte demande à Olympe de prendre soin de Lucrèce pendant son absence (sc. 2). Lucrèce fait le résumé à Olympe des défauts qu’Oronte prête au marquis. Olympe tente de le défendre. Elle propose que Lucrèce le juge sur sa prochaine visite et commence à lui raconter ses exploits contre son frère (sc. 3). Virgine avertit Olympe que le frère du marquis, le chevalier, vient lui rendre visite. Olympe rechigne à le recevoir puis accepte. Virgine se dirige vers la pièce d’à côté pour bloquer Anselme au cas où il compterait venir (sc. 4). Le chevalier vient féliciter Olympe de son prochain mariage avec son frère. Il annonce aussi de manière douce et discrète son amour déçu et son départ prochain de Paris (sc. 5). Olympe le trouve fort agréable et charmant bien qu’elle désapprouve son attitude passée. Elle ne comprend pas pourquoi le chevalier croit qu’elle le méprise puisqu’elle ne lui avait jamais parlé auparavant. Lucrèce conclue en disant qu’il doit aimer quelqu’un d’autre (sc. 6). Carlin annonce la venue du marquis à Olympe. Ce sera l’occasion pour Lucrèce de le juger (sc. 7). L’entretien permet de voir la grossièreté, l’intolérance à l’amour ainsi que le côté ridicule du marquis. Olympe et Lucrèce apprennent que le rendez-vous de la veille s’est passé avec le chevalier. Le marquis explique la machination au sujet du mariage avec Olympe. Le marquis fait la cour à Lucrèce et montre du mépris pour Anselme. Olympe ne se montrant pas intéressée par le marquis, celui-ci décide de l’épouser pour la faire enrager (sc. 8). Malgré l’arrivée d’Anselme, le marquis garde son comportement ridicule. Les deux hommes sortent afin de discuter de la dot du mariage (sc. 9). Olympe déclare que le chevalier lui plaît et se lamente de devoir épouser le marquis à cause du dédit. Virgine songe à un stratagème pour annuler ce mariage mais ne le dévoile pas (sc. 10).

Acte IV §

Lucrèce apprend au chevalier qu’Olympe l’aime aussi et qu’il y avait erreur sur la personne. On s’apprête à jouer un tour au marquis. On l’a prévenu que la comtesse l’attend chez elle. Or, il s’agira de Virgine. Elle devra faire croire au marquis qu’elle souhaite l’épouser afin qu’il rompe le dédit et paie les dix mille écus, laissant le chevalier se marier avec Olympe (sc. 1). Virgine paraît vêtue en comtesse. Lucrèce craint que le marquis la reconnaisse. Lyse ajoute qu’elles ne se ressemblent pas du tout. Selon Virgine, le marquis ne le remarquera pas (sc. 2). Carlin vient avertir Virgine que le marquis arrive. Ce dernier pense que la comtesse rentre de voyage simplement pour lui. Lucrèce et le chevalier sortent par la porte de derrière (sc. 3). Le marquis se vante auprès de Lyse d’avoir quitté trois marquises pour rendre visite à la comtesse (sc. 4). Carlin avertit le marquis que la comtesse a de l’esprit ce qui le ravit car il pense en avoir davantage (sc. 5). Le marquis complimente la fausse comtesse en lui disant qu’il l’imaginait comme elle est. Le marquis fait la cour à Virgine. Il veut se marier au plus vite. Virgine décide de programmer la noce au lendemain. Lyse vient avertir la fausse comtesse qu’un duc, ami d’Oronte, veut la voir. Elle refuse de le recevoir et détourne la conversation au sujet d’Oronte et de Lucrèce en expliquant qu’elle n’aime pas les bourgeois. Virgine rajoute qu’Olympe est pire que Lucrèce car elle n’a pas de bien. Selon elle, tout le monde se moque d’un campagnard qui projette de sa marier avec elle alors qu’elle est malade, n’a rien et à mauvais caractère. Carlin demande à son maître comment il compte faire pour se décharger des dix mille écus et épouser la comtesse. Oronte arrive ; on fait donc croire au marquis qu’elle doit se cacher car la comtesse n’est venu que pour lui seulement. Oronte est surpris de trouver le marquis en arrivant. Le marquis, parlant de la comtesse, fait d’elle un portrait qui ne correspond pas, ce qu’Oronte trouve étrange (sc. 7). Anselme vient saluer son futur gendre. Lyse demande discrètement au marquis de faire partir Anselme (sc. 8). Le marquis refuse de parler à Anselme dans la maison de la comtesse de son engagement avec Olympe. Or, le vieillard évoque cette affaire. Le marquis a donc peur que la comtesse ait entendu la conversation. Carlin l’avertir qu’elle arrive en pleures (sc. 9). Le marquis lui explique qu’il s’est engagé pour empêcher son frère de le faire mais qu’il peut faire annuler le dédit et se marier avec elle à la place d’Olympe. Virgine accepte et précise qu’elle peut payer l’annulation si besoin est. Virgine feint de s’inquiéter qu’Olympe tente de séduire le marquis quand il viendra annuler le contrat. Le marquis propose de laisser la place à son frère et promet de ne pas trahir la comtesse (sc. 10).

Acte V §

Anselme a fini par être dégoûté du marquis et semble apprécier le chevalier qu’il va rencontrer. Olympe reste inquiète bien que Virgine tente de la rassurer grâce au tour (sc. 1). Carlin vient avertir Olympe et Virgine que le marquis n’est plus jaloux de son frère puisqu’il est amoureux de la comtesse. Forte du prochain succès du tour, Olympe accepte que Virgine se marie avec Carlin (sc. 2). Lucrèce vient avertir Olympe que son père et le chevalier sont d’accord pour un prochain mariage. On attend son avis (sc. 3). Virgine craint de rencontrer le marquis en habit de suivante, ce qui mettrait la machination au grand jour. Carlin lui rétorque qu’il ne verra rien car elle a bien joué son rôle ; cela lui a plu de la voir dans cette noble position (sc. 4). Le marquis voit Virgine mais ne comprend pas qu’elle n’est qu’une suivante. Elle lui fait croire qu’elle est venue déguisée afin de savoir si Olympe tente de le charmer. Le marquis essaie d’obtenir un baiser de Virgine (sc. 5). Anselme n’apprécie pas que le marquis veuille la suivante à la place de sa fille. Le marquis accepte d’annuler le contrat et demande à Virgine de faire venir Olympe pour annuler le mariage. Il explique discrètement qu’il s’agit d’un tour pour tromper le vieillard (sc. 6). Il pense savoir qu’Anselme se vante d’être riche alors que l’argent fait partie de l’héritage de Lucrèce. Anselme ne comprend pas de quoi le marquis veut parler (sc. 7). Le marquis avoue qu’il méprise le statut d’Olympe autant que sa personne. Anselme et le marquis déchirent le dédit. Le marquis n’accepte pas qu’Anselme commande Virgine qu’il croit comtesse. Cela surprend le vieillard (sc. 8). Anselme propose officiellement au chevalier de devenir son gendre. Le marquis est ravi du choix car il pensait à lui quand il avait proposé un nouveau prétendant. Lucrèce apprend à tous que la comtesse veut se marier avec le marquis. Anselme révèle le statut de Virgine qui n’est qu’une simple servante. Le marquis n’y croit pas et demande des explications (sc. 9). Oronte vient annoncer l’arrivée de la comtesse d’Orgueil et la possibilité du mariage avec Lucrèce. Le marquis veut le surprendre en faisant venir Virgine. Elle demande à être mariée à Carlin et avoue sa condition de servante ainsi que le tour joué au marquis. Ce dernier est furieux contre Carlin ; il maudit son frère et Olympe avant de quitter la pièce. Anselme propose de payer les futurs mariages (sc. 10).

Trois comédies en une §

Plusieurs documents qui permettent de rétablir l’histoire de l’écriture de La Comtesse d’Orgueil et les sources utilisées par Thomas Corneille sont à notre disposition. Premièrement, en ce qui concerne les textes sources, nous disposons de trois documents. Alexandre Cioranescu49 affirme, dans son développement sur les comédies à l’espagnole de Thomas Corneille, que La Comtesse d’Orgueil tire son histoire de la pièce El Señor de noches buenas de Álvaro Cubillo de Aragón. Il s’agit de l’information qui se retrouve le plus souvent dans les études sur la comedia ou sur Thomas Corneille. C’est ce que remarque Henry Carrington Lancaster50. Il ajoute que cette idée reçue n’est que partiellement exacte puisque l’intrigue de la pièce de Thomas Corneille ne correspond à celle de Cubillo de Aragon que dans les trois premiers actes. Les deux derniers proviennent donc d’un autre texte. Il note la ressemblance troublante de la pièce avec Le Baron d’Albikrac à ce niveau. Thomas Corneille a donc pu utiliser l’une de ses propres pièces pour construire la fin de celle-ci. Cependant, dans son travail, Lancaster ne fait que proposer une hypothèse sans pour autant avoir tous les éléments en main pour affirmer quel texte est à la base des deux derniers actes. Dans cette optique, l’étude des sources de la pièce par Joseph F. Privitera51 apporte des informations supplémentaires. Il commence par confirmer l’idée de Lancaster selon laquelle les trois premiers actes sont bien issus de El Señor de noches buenas de Cubillo. Il ajoute que ceux qui comme Von Schack52 ont voulu que cette pièce espagnole soit la source de toute celle de T. Corneille se sont trompés. Selon lui, il y a donc bien une source pour les trois premiers actes et une autre pour les deux derniers qu’il identifie clairement comme El Lindo Don Diego de Á. Moreto. Il finit par nous donner les proportions d’influence des deux pièces. Sur trente-quatre scènes, vingt viennent de chez Moreto et douze de chez Cubillo de Aragon. Les deux tiers des trois premiers actes sont inspirés de la pièce de Cubillo de Aragon avec quatorze scènes. Pour la pièce de Moreto, on compte six scènes soit un tiers des trois premiers actes, mais surtout les actes quatre et cinq entiers53. Selon Privitera, ce sont ces statistiques qui permettent d’affirmer que la pièce El Lindo Don Diego de Moreto est la source principale de La Comtesse d’Orgueil alors que El Señor de noches buenas de Cubillo de Aragon n’en est que la source secondaire. Il semble important de préciser que ces statistiques ne sont pas les seules informations qui prouvent cela. En effet, la consultation de l’ouvrage de Georges Forestier sur la génétique théâtrale54 permet de confirmer ce qu’avance Privitera. La théorie développée dans cet ouvrage s’appuie sur le fait que la fin des comédies reprend toujours le même schéma, à savoir le dénouement nuptial. Ainsi, le dramaturge base son intrigue sur le dénouement en remontant petit à petit vers les événements du début de l’intrigue. C’est cette utilisation du dénouement de la pièce comme base qui permet d’affirmer dans notre cas que la pièce de Moreto est la source principale utilisée par Thomas Corneille. Il a donc pris en référence cette pièce pour créer son dénouement et remonter vers le début en créant un lien avec la pièce de Álvaro Cubillo de Aragón au cours du troisième acte. Finalement, plus que de simples statistiques, c’est le texte théorique de Georges Forestier sur le sujet qui permet de poser El Lindo Don Diego de Moreto comme source principale et El Señor de noches buenas de Álvaro Cubillo de Aragón comme source secondaire.

El Lindo Don Diego de Moreto §

Au sujet de cette pièce qui date de 1662, malheureusement, peu d’éléments d’analyse sont disponibles. Nous avons réussi à trouver une analyse très sommaire au début de l’édition de la pièce utilisée comme référence55 dont nous allons révéler le trait principal. Tout d’abord, la pièce se fonde sur une classe de personnages appelés los lindos56. La traduction française qui pourrait correspondre serait « les beaux ». Par déduction, cette catégorie s’applique à celle des marquis en France. Beaucoup de pièces espagnoles du siècle d’or traitent de sujets dont les protagonistes appartiennent à cette classe. Dans l’ouvrage de Charles Vincent Aubrun, nous trouvons un résumé de l’action dont nous proposons ici les grandes lignes :

Deux soeurs rusées et volontaires, leurs cousins (l’un discret et prudent, l’autre vaniteux) sont les personnages principaux. Une soubrette se fait passer pour une comtesse veuve et reçoit pour mission de séduire et donc d’éliminer le sot, qui tombe dans le piège. Il ne reste plus au père qu’à écarter le maladroit et ainsi à consentir aux mariages voulus par les deux jeunes filles.57

Certes, le résumé est succinct, mais il nous permet déjà de voir les éléments qui ont attiré l’attention de Thomas Corneille et qu’il a réutilisés dans sa propre pièce. En accord, avec la théorie développée précédemment et qui considère El Lindo Don Diego comme la source principale de La Comtesse d’Orgueil, c’est la fin de la pièce de Moreto qui va nous intéresser. Le dénominateur commun des deux pièces n’est autre que la ruse du déguisement de la servante en comtesse qui constitue le moment fort, la clé de voûte de l’action dans les deux cas. La fin véritable chez Moreto n’est en fin de compte qu’anecdotique puisqu’elle suit un schéma classique de dénouement nuptial après effacement de l’obstacle. Au sujet des personnages, ils ne semblent pas correspondre à ceux de Thomas Corneille, mais le faible développement sur le sujet ne permet pas de conclure sur ce point. En somme, Thomas Corneille aura puisé sa matière principale chez celui qui a été prêtre à la cour de Philippe IV. Notons que les remarques de C.-V. Aubrun sur le théâtre de Moreto, à savoir que les conflits dans ses pièces viennent d’une inadaptation des hommes à la société, ainsi que, très souvent, le « caractère » d’un personnage tourne au comique en devenant un « entêtement ridicule58 » semblent adéquats pour notre cas, en particulier si l’on pense au personnage du marquis de Lorgnac dont la croyance d’être admiré par tous et la haine de la gueuserie en font bel et bien un personnage entêté et ridicule.

El Señor de noches buenas de Álvaro Cubillo de Aragón §

À l’inverse, il existe plus de travaux sur cette pièce que sur la précédente. Nous précisons que notre développement sera en majeure partie fondée sur la thèse de Elena Elisabetta Marcello59. Voici pour commencer les informations préliminaires concernant El Señor de noches buenas. La pièce a été créée à Grenade à une date inconnue, puis représentée à Madrid le premier juin 1634 et le 22 avril 1635. Elle aurait été écrite entre 1630 et 1632. Il s’agit de l’une des pièces les plus connues de son auteur. Selon E. E. Marcello, la pièce évoque son temps puisqu’il y est question du roi de l’époque, à savoir Gustavo Adolfo II60.

À la différence des pièces françaises, le titre a ici une importance vraiment considérable. En effet, il n’est que la résultante de la fin de l’action au cours de la troisième journée ainsi que la marque de l’utilisation répétée d’expressions comme « a buenas noches » (dans l’ignorance), « dejar a buenas noches » (laisser dans le doute et l’ignorance) ou encore « quedrase a buenas noches »61 (ne pas vouloir voir la réalité) qui ont une importance considérable dans la fin de la pièce (le titre est basé sur un jeu de mots qui sera prononcé par le marquis). En effet, le titre désigne le personnage inventé par Porcia et qui sera l’excuse pour retarder puis annuler son mariage avec le marquis. Ce dernier aura l’occasion de croiser le fameux seigneur sans comprendre qu’il s’agit de son frère. Dans la pièce de Cubillo comme dans celle de Thomas Corneille, le titre est celui du personnage qui sert de feinte pour éviter un mariage. La seule différence réside dans le fait que dans la pièce espagnole le personnage n’existe pas et est assumé par le rival du marquis, à savoir le héros ; alors que dans la pièce française, c’est un personnage secondaire, une servante (Virgine) qui joue le rôle d’un personnage bien réel mais qui n’apparaît jamais sur la scène. Notons, par ailleurs, que l’excuse invoquée n’est pas la même dans les deux pièces : les deux personnages qui servent de prétextes influent de manière différente sur l’annulation du mariage avec le marquis.

Après avoir insisté sur quelques détails, il convient de proposer un résumé précis62 de l’action de la pièce afin de pouvoir, par la suite, voir les changements opérés par Thomas Corneille.

Première journée §

Première séquence : Les serviteurs décrivent et annoncent leurs maîtres.

(v. 1-120) : Roberto, serviteur du marquis, commente avec Copete la situation de pauvreté d’Enrique, le frère du marquis. Ils comparent aussi les qualités et les défauts de leur maître respectif : si l’un (Enrique) est pauvre mais fidèle et courageux, l’autre (le marquis) est riche mais stupide, dédaigneux et lâche.

Deuxième séquence : Les frères face à face. La beauté de Porcia. La ruse se profile.

(v. 121-192) : Les deux frères arrivent sur scène et leurs action confirment les dires de leurs serviteurs. L’aîné est très ennuyé par Enrique car il a perdu au jeu contre lui. Il le dédaigne et l’écrase, malgré tout le respect et la loyauté que lui manifeste son frère. (v. 190-341) : Enrique demande à Carlos de présenter sa proposition de mariage à Marcelo, le père de Porcia, femme que l’on loue pour sa beauté et sa discrétion, confiant dans le fait que l’antipathie que son frère lui manifeste, ainsi que la possibilité de le faire partir de Valence le pousseront à l’aider pour une fois. Après avoir écouté et accepté la demande de son frère, le marquis Carlos lui demande que Copete reste avec lui pour l’aider. (v. 342-388) : Le gracioso exprime de manière bouffonne son aversion pour le marquis. (v. 389-426) : Seul avec son serviteur, le marquis confie son intention de vérifier les qualités de Porcia et, si elles sont conformes à son goût, de la demander en mariage pour lui-même.

Troisième séquence : L’amour. Porcia et Dorothea. Le mariage.

(v. 427-512) : Porcia et Dorotea, cousines, discutent à propos de la nature de l’amour et de la prétention de Porcia qui désire découvrir et expérimenter les vertus de ses prétendants. À ce propos, la jeune fille manifeste son irritation pour la façon dont Enrique la courtise, pendant tout ce temps, il ne lui a jamais parlé ; alors que Dorotea, qui défend le pauvre galant, lui démontre la discrétion et la galanterie de ce dernier ainsi que de sa grande nécessité. (v. 513-598) : Aldonza, suivante, avertit les demoiselles du fait que le marquis négocie son mariage avec Porcia, et celle-ci est décidée à vérifier la discrétion du futur marié en lui donnant rendez-vous pendant la nuit au niveau de la haie du jardin.

Quatrième séquence : La confiance et les confidences d’Enrique.

(v. 599-698) : Enrique confie à son ami Leonardo, prétendant de Dorotea, et à Copete ses espérances de la bonne réussite de l’intervention du marquis. Le scepticisme avec lequel l’écoutent ses amis n’arrive pas, cependant, à le contrarier.

Cinquième séquence : La confiance trompée.

(v. 699-737) : Tous trois rencontrent le marquis et Marcelo qui sortent de leur entrevue et leurs dires aboutissent à une confusion. (v. 738-782) : Enrique, sans connaître toute la vérité, se réjouit de la réussite de la demande en mariage, sous le regard suspicieux de Copete et la joie de Leonardo, qui est sur le point d’officialiser son mariage avec Dorotea.

Sixième séquence : Le rendez-vous nocturne. La révélation.

(v. 783-961) : Comme il avait l’habitude de le faire toutes les nuits silencieusement, Enrique arrive au Balcon. La demoiselle, le prenant pour le marquis Carlos, reste satisfaite de sa tendresse et de sa galanterie, mais en l’appelant, elle lui révèle indirectement la méprise.

Septième séquence : L’escarmouche.

(v. 962-997) : En voyant arriver le marquis au rendez-vous, Enrique est convaincu de sa trahison et se lance dans un combat contre lui.

Journée II §

Première séquence : L’amour de Leonardo et Dorotea.

(v. 998-1095) : Dorotea et Leonardo parlent d’un amour qui surpasse les difficultés et s’étonnent que Porcia considère courageux et sage celui qui a toujours montré de grandes preuves d’entêtement et de lâcheté. Avant de quitter sa bien aimée, Leonardo l’informe qu’il accompagnera Enrique qui quitte Valence, durant deux ou trois jours.

Seconde séquence : Les félicitations pour le mariage de Porcia.

(v. 1096-1119) : Marcelo et sa fille se félicitent du mariage et se dépêchent de faire les préparatifs.

Troisième séquence : Encore des félicitations. La discrétion du marquis.

(v. 1119-1167) : En tête à tête avec Dorotea, Porcia reçoit aussi de sa cousine les félicitations pour son choix et son soudain coup de foudre. Dorotea fait l’éloge du langage discret et galant du futur mari de sa cousine.

Quatrième séquence : Enrique dit au revoir à Porcia.

(v. 1168-1323) : Obligé par son frère de partir en Flandre, Enrique dit au revoir à Porcia, en la félicitant pour ses prochaines noces. Celle-ci lui révèle qu’elle est malheureuse car son amour est sans retour, tandis que Dorotea tente de la convaincre que c’est elle l’objet de l’amour d’Enrique. Au moment de son départ définitif, Enrique reçoit des compliments de la part de Dorotea.

Cinquième séquence : Porcia rencontre le marquis. La déception.

(v. 1324-1499) : Enfin, Porcia a l’occasion de parler avec son fiancé et s’étonne que celui-ci n’ait pas les qualités tant vantées jusqu’alors. En effet, le marquis, durant la rencontre, fait preuve de grande vanité et de grossièreté.

Sixième séquence : Les frères se quittent. La révélation.

(v. 1500-1559) : En écoutant une conversation entre les frères, Porcia découvre la raison de son erreur.

Septième séquence : Les amants, Porcia et Enrique, se déclarent leur amour. La ruse de Copete : le départ.

(v. 1560-1783) : Porcia déclare son amour à Enrique quand celui-ci dit au revoir depuis le balcon, qui a été le témoin de son malheureux amour. Ensemble, ils décident de résoudre cet imbroglio. Ils planifient, avec l’aide de Leonardo et Copete, de feindre le départ d’Enrique, qui se cacherait dans la maison de son ami. Les amants se donnent rendez-vous durant la nuit.

Journée III §

Première séquence : Les trois couples se quittent.

(v. 1784-1841) : Les couples (Porcia et Enrique, Dorotea et Leonardo, Copete et Aldonza), complices de la ruse, se quittent dans la nuit.

Deuxième séquence : Des essais pour retarder le mariage. La ruse d’Aldonza : l’« erreur » du marquis.

(v. 1842-1981) : Porcia essaie de retarder le mariage auprès de son père qui s’étonne de l’inconstance de sa fille. C’est avec art qu’Aldonza met en doute la virilité du marquis, faute impardonnable pour un futur époux.

Troisième séquence : La rencontre avec le marquis. Les doutes se confirment. La ruse de Porcia : Don Enrique du Coin (Don Enrique del Rincón).

(v. 1982-2155) : L’arrivée du fiancé permet à Marcelo de vérifier les erreurs du futur gendre : il prouve ainsi, non seulement son entêtement, mais aussi son dégoût envers les femmes. Pour retarder la cérémonie, Porcia trouve comme excuse l’absence de son cousin, un certain « Enrique del Rincón, seigneur des Bonnes Nuits ». Le marquis accepte.

Quatrième séquence : Nouvelle rencontre nocturne des couples.

(v. 2156-2189) : Le soir, les amants se rencontrent sur le balcon pour discuter de l’évolution des événements.

Cinquième séquence : Promenade de nuit.

(v. 2190-2219) : Après avoir laissé leurs compagnes, Enrique, Leonardo et Copete se racontent leurs sentiments pendant qu’ils prennent le chemin du retour.

Sixième séquence : Rencontre avec le marquis. La ruse de Copete : Enrique del Rincón.

(v. 2220-2344) : Les trois complices se heurtent au marquis qui pour la première fois rôde vers le balcon de Porcia. Pour ne pas se faire reconnaître et pour sortir de l’embarras, Copete présente Enrique comme étant le fameux cousin de Porcia.

Septième séquence : Enrique rentre dans la maison de Porcia pendant la nuit.

(v. 2345-2355) : Enrique, selon ce qui a été dit, entre de nuit dans la maison de Porcia, sans savoir que le marquis, qui le croit Enrique del Rincón, l’a vu.

Huitième séquence : Le marquis fait irruption dans la maison de Porcia.

(v. 2356-2434) : Bien qu’il soit tard, le marquis se présente chez Marcelo pour convenir du mariage.

Neuvième séquence : Le dénouement.

(v. 2435-2486) : L’arrivée de Porcia puis celle de ses complices révèle la tromperie. On décide ainsi de planifier les mariages d’Enrique et Porcia, de Leonardo et Dorotea, et de Copete et Aldonza.

Les contraintes §

Nous avons vu que Thomas Corneille tire sa pièce d’une origine espagnole dont il doit adapter la matière aux goûts et aux règles du théâtre français et de son public. Pour ce faire, il est dans l’obligation de se plier aussi bien aux contraintes théoriques que matérielles. Nous allons voir ici dans quelle mesure la pièce est rendue conforme à ces contraintes. Nous notons, par ailleurs, que pour ce qui est du temps, la pièce ne pose aucun problème puisque les sources, et notamment le pièce de Cubillo, tiennent en vingt-quatre heures avec une nuit dans ce laps de temps.

Le décor §

Une question importante dans ces conditions se pose en ce qui concerne le décor et sa structure. Comment Thomas Corneille va-t-il représenter sur scène une pièce dans laquelle se déroulent des scènes de rue et diverses scènes d’intérieur (chez la comtesse et chez Anselme ? Il nous faut, tout d’abord, écarter l’idée du changement de décor à vue qui, bien qu’en vogue dans les années 1660, ne convient pas vraiment au style de notre pièce car c’est une manipulation qui entretient de meilleures relations avec les pièces à machines. À en croire D. A. Collins63, Thomas Corneille respecte l’unité de lieu dans toutes ses comédies, sauf dans Don Bertrand de Cigarral. C’est donc bien le cas pour La Comtesse d’Orgueil. Il faut donc que la pièce comporte un décor unique du début à la fin et qui réunisse tous les endroits précis où les scènes se déroulent. En clair, le décor en question doit pouvoir accueillir la maison de la comtesse, ainsi qu’une sortie à l’arrière, la maison d’Anselme comprenant la chambre d’Olympe à l’étage avec un balcon et un cabinet, la rue. En outre, il faudra situer ces lieux au cœur de la ville. Pour satisfaire à toutes ces conditions, nous proposons un décor qui convient et qui se rapproche de ce qu’il a pu être lors de la création de la pièce. Ce décor se compose, d’abord, d’un panneau à l’arrière qui représente la ville de Paris où se déroule l’action. Sur un côté est disposée la maison de la comtesse, alors qu’en face nous retrouvons celle d’Anselme. Dans cette disposition les personnages au centre de la scène sont dans la rue ; ceux qui arrivent des côtés et derrière les maisons donnent l’illusion de venir d’un endroit quelconque de la ville. À ce stade, le décor ne résout qu’une partie des difficultés liées à la représentation. Comment à la fois montrer ce qu’il se passe dans la rue et dans les maisons ? La première réponse concerne le balcon. Pour les scènes de dialogue entre un personnage de la rue et un personnage de la maison, il suffit de créer une fenêtre d’où peut sortir le personnage accédant ainsi au balcon de l’étage. Le dernier point à éclaircir n’en reste pas moins le compliqué. Etant donné que les moments où l’action principale passe de la rue à l’intérieur d’une maison et inversement ne se situent pas forcément entre les actes, ce qui auraient finalement permis de faire un changement de décor à chaque acte et de respecter l’unité de lieu dans son sens large, une autre solution doit être trouvée. Cette solution est expliquée par Pierre Pasquier dans son édition du Mémoire de Mahelot64. Il s’agit en fait du décor à compartiments adapté à la comédie à l’espagnole. Au lieu d’ouvrir un grand espace de la scène qui était caché derrière un compartiment, on exploite des éléments de taille plus réduite comme une porte, un bout d’une chambre, ce qui permet de voir ce qu’il s’y passe. Selon Pierre Pasquier, cette technique revient dans de très nombreuses comédies à l’espagnole, devenant ainsi un morceau, une scène obligée que l’on baptise « scène de cabinet ». En somme, il faut utiliser les compartiments dans de petits espaces, limitant la perte de l’illusion pour le public. Tout cela peut être appliquée à La Comtesse d’Orgueil, notamment pour la chambre d’Olympe située à l’étage dont les personnages communiquent avec d’autres à l’extérieur, puis entre eux à l’intérieur ; ainsi que le cabinet situé derrière. Ce type de décor semble ne pas être très en vogue en 1670 ; cependant, comme dans notre cas, il est toujours utilisé car des comédies espagnoles sont encore adaptées.

L’intrigue §

À en croire le résumé des deux pièces ainsi que la thèse d’Elena Marcello, l’intrigue consiste bien en une adaptation simple des deux pièces sources. Les trois premiers actes de La Comtesse d’orgueil correspondent parfaitement à ceux de la pièce El Señor de noches buenas de Cubillo, comme nous l’avons constaté. L’élément principal dans l’adaptation française réside dans le remplacement de la ruse de la pièce de Cubillo par celle de Moreto. En effet, dans la pièce de Cubillo la ruse consiste à feindre l’attente d’un cousin pour officialiser le mariage avec le marquis. Le héros profite de l’occasion pour se déguiser en ce cousin et rejoindre Dorotea. Les voyant, le marquis va se plaindre au père de la jeune fille ce qui entraînera l’annulation du mariage avec le marquis, remplacé par un autre avec Enrique, le jeune frère du marquis. Dans la pièce française, c’est la notion d’argent qui est centrale : la ruse de Virgine consiste à attirer l’attention du marquis pour qu’il rompe un contrat de mariage et qu’il paie cette annulation, car Anselme ne semble pas contre le fait de laisser sa fille se marier avec le chevalier à la place du marquis. En fait, le déguisement permet d’annuler la différence de patrimoine entre les deux frères, l’aîné payant pour son cadet sans le savoir. Par ce moyen, le marquis finit par faire ce qu’il n’a jamais voulu faire pour son frère, allant jusqu’à se moquer de lui à cause de son manque de moyens. On peut donc dire que l’adaptation faite par Thomas Corneille consiste à utiliser l’intrigue de la pièce de Cubillo, El Señor de noches buenas, à savoir la traîtrise d’un frère aîné à son cadet et qui consiste à demander une jeune fille en mariage pour lui-même au lieu de le faire pour son frère, et d’y ajouter un contrat de mariage nécessitant un paiement pour l’annuler. Dans ce contexte, il est obligatoire d’incorporer une ruse qui aura pour but d’amener la marquis à rompre ce contrat en détournant son attention d’Olympe, ce qui laisserait la place libre pour le chevalier.

Cette adaptation montre bien que certains éléments thématiques ont un rôle central dans la dramaturgie de la pièce ainsi que dans la psychologie des personnages.

La bienséance §

Plusieurs scènes de la pièce mettent en jeu cette notion qui est centrale dans l’esthétique théâtrale de l’époque.

Tout d’abord en ce qui concerne les combats sur scène, l’une d’entre elles montre un début d’affrontement entre les deux frères65 rapidement avorté. En effet, plusieurs paramètres expliquent pourquoi cette situation s’arrête seulement après quelques échanges verbaux. Premièrement, la lâcheté du marquis le pousse à fuir et à appeler à l’aide. Ensuite, par pur respect des règles, Thomas Corneille s’arrange pour que, si combat il y a, ce dernier se passe en dehors de la scène. Enfin, la position de la scène dans la structure de la pièce : l’échange se passe juste avant la fin de l’acte, ce qui permet un récit de ce qui ce sera passé au lieu de le montrer directement. On notera quand même que c’est la première raison (la lâcheté du marquis) qui justifie dramaturgiquement les deux autres ; cette lâcheté fournit un prétexte qui permet de respecter ce principe important qu’est la bienséance.

La bienséance entre aussi en jeu lorsque la pièce donne à voir sur scène des personnages potentiellement amoureux. Afin de ne pas choquer les bonnes mœurs, les deux personnages ne sont pas laissés seuls en scène. Nous retrouvons cette configuration entre le chevalier et Olympe, au moment où le chevalier vient féliciter Olympe pour son futur mariage avec son frère et que, finalement, elle se rend compte qu’elle avait pris le chevalier pour le marquis66. Le chevalier expose aussi sa situation personnelle et exprime son désespoir quant à sa relation impossible avec celle qu’il aime. Pour éviter toute ambiguïté, le personnage de Lucrèce, cousine d’Olympe, est présent sur scène en tant que chaperon mais aussi de conseiller. En effet, Lucrèce permet par ses questions de calmer la tension amoureuse qui se dégage du chevalier, mais aussi d’aller plus loin d’en l’explication afin qu’elle et Olympe en apprenne plus sur l’histoire du chevalier. À la scène suivante, Lucrèce montre à sa cousine que le chevalier semble ne pas correspondre à l’idée qu’elles s’en étaient faite et qu’il est plus touchant. Cette fonction de garantie de la bienséance (qui comme dans l’exemple précédent peut être associée à d’autres fonctions) est assurée par les suivants dans la scène de séduction de la fausse comtesse par le marquis durant le stratagème qui lui est joué67. Le marquis et Virgine (déguisée en comtesse) ne sont pas laissés seuls par Carlin et Lyse, ce qui assure au public que rien de choquant ne pourrait se passer (nous rappelons que, dans l’esprit du marquis, la comtesse l’aime et qu’il est possible qu’il se marie avec elle). Ces deux personnages servent donc ici au respect d’une contrainte importante, mais aussi au niveau dramaturgique à influencer le marquis pour qu’il rompe le contrat avec Anselme.

Un dernier exemple en fin de pièce nous montre l’importance de la présence d’une tierce personne dans une situation amoureuse68, même si dans le cas présent cela n’aurait pas suffi. La scène qui nous intéresse met en scène le marquis et Virgine ainsi que le valet Carlin. En principe, la seule présence du valet suffirait à assurer le maintien de la bienséance. Or, cela n’empêche pas le marquis de réclamer un baiser de la part de Virgine afin de la motiver pour annuler le contrat de mariage avec Olympe. Le seul événement qui permet d’arrêter le marquis n’est autre que la rentrée d’Anselme sur scène. Cette arrivée coupe le marquis dans son élan, ce qui entraîne une dispute en ce qui concerne le futur mariage. Nous pouvons donc voir qu’ici Thomas Corneille utilise un autre ressort dramatique que celui du personnage tiers pour assurer la bienséance, dans le cas où le public aurait pu croire que la pièce dépasserait le cadre de la bienséance sur scène.

La structure §

Une simple remarque sur la disposition des personnages peut nous faire apprécier le degré de similitude des deux pièces. On retrouve dans chaque cas deux couples d’amants, un vieux père de famille (Anselme et Marcelo), un couple de serviteurs, un riche frère têtu. Les adaptations françaises du marquis, du valet et de la servante présentent des différences notables avec leurs modèles d’origine. Ces traits spécifiques seront abordés pendant l’étude des caractères. Thomas Corneille s’est donc contenté d’adapter des personnages sans modifier le schéma relationnel propre à l’œuvre d’origine.

Le personnage du marquis §

Occupant une place à part dans l’œuvre espagnole, le marquis mérite que nous nous arrêtions un instant sur lui. Ses traits distinctifs en font l’un des premiers ridicules du théâtre du siècle d’or. Voici ceux qui le définissent69 :

  • – Le marquis est têtu. Il s’agit de son défaut majeur ; il se perçoit facilement dans l’opposition de la richesse à la pauvreté.
  • – Il est peureux. Il n’apprécie pas les activités viriles comme combattre les taureaux il montre constamment sa lâcheté au cours de la pièce.
  • – Il est laid. Beaucoup de passages font référence au mauvais aspect de sa silhouette.
  • – Le marquis est égoïste et orgueilleux. Il valorise sans cesse la richesse et la noblesse. Cela l’empêche d’aimer, car il est bloqué par ces conditions préalables au respect de quelqu’un ; il dit d’ailleurs : « Je n’aime personne, / Je n’ai d’amour que pour moi. » (Journée I, v.  185-186).
  • – Sa façon de s’exprimer repose sur des propos frivoles et peu élaborés.
  • – Il est efféminé.

En fin de compte, le personnage du marquis incarne l’archétype du précieux ridicule. Ses défauts ne développent au fur et à mesure que l’œuvre avance. Quelques personnages ignorent ces manques du personnage mais les découvrent quand même au dénouement.

Les thèmes les plus développés §

Parmi les thèmes les plus récurrents, certains revêtent un aspect plus important du fait que leur présence fait avancer la pièce. C’est le traitement de ces thèmes que nous nous proposons d’étudier.

L’amour §

La question des relations amoureuses entre les personnages occupe une part importante dans l’étude thématique des pièces de Thomas Corneille ; Eliane Herz-Fischler considère, d’ailleurs, que ce thème (ainsi que celui de la feinte) est un maître mot dans le théâtre du dramaturge70. La Comtesse d’Orgueil ne déroge pas à la règle, puisque l’amour y occupe une place de premier plan, comme c’est souvent le cas dans les pièces à l’italienne et à l’espagnole.

Dans notre cas, nous pouvons constater que l’amour se manifeste de façons différentes selon la psychologie des personnages. La première façon de l’exprimer, que l’on retrouve souvent dans les comédies, relève du type du coup de foudre. Au troisième acte71, le spectateur se rend compte qu’Olympe tombe amoureuse du chevalier après un simple entretien de nuit à son balcon72, ce qui a pour effet de choquer sa cousine :

Ce n’est que d’hier au soir que tu le peux connoistre,
L’entretien dura peu, tu parlas sans le voir,
Et déja sur ton coeur l’amour a tout pouvoir ? (v. 822-824)
Finalement, Olympe résume elle-même son sentiment :
Voilà ce que sur moy fait l’esprit, c’est mon charme.
Quoy que fiére, par luy ma fierté se desarme,
Et pour estre le prix d’un don si precieux,
Mon coeur n’a pas besoin du conseil de mes yeux (v. 825-828).

Nous sommes en présence d’une sorte d’amour aveugle qu’un bel esprit et un beau discours suffisent à faire naître.

La deuxième forme essentielle d’amour est à mettre en relation avec la galanterie. Cet amour galant est porté par le chevalier car il en respecte les règles de base. Il fait preuve de discrétion, comme nous le montre sa réplique au deuxième acte :

Je brûle dés long-temps pour vos divins appas,
Le respect, il est vray, jusqu’icy m’a fait taire,
Mais je n’en ay pas eu moins d’ardeur de vous plaire,
Et mes yeux ont trahy les ordres de mon coeur
S’ils ne vous ont cent fois parlé de ma langueur.
A vous chercher par tout leur soin estoit extréme,
Au Temple, Dans le ruë, à vostre balcon mesme,
Et les vostres souvent par un regard rendu
Ont semblé m’avertir que j’étois entendu73 (v. 660-668).

La deuxième règle consiste à tout accepter de la part de celle que le galant aime en vertu de son respect pour elle. Au troisième acte, le chevalier va être totalement en accord avec ce principe. Il accepte qu’Olympe ne l’aime pas et lui rend visite seulement pour « prendre part au bonheur de [son] Frere »74. Dans la même scène, il n’ose même pas avouer qu’il est question d’Olympe quand il explique que son amour n’a aucun retour.

Le chevalier va jusqu’à faire passer son propre bonheur après celui d’Olympe ; il s’agit de la troisième marque de l’amour précieux que nous pouvons voir dans l’extrait suivant :

Ah non, quoy qui m’arrive,
Qu’elle ait tout le bonheur dont sa rigueur me prive,
Par là mon desespoir peut estre soulagé,
Et tout ce que je crains c’est d’en estre vangé.
OLYMPE.
Tant de respect gardé fait voir....
LE CHEVALIER.
Adieu, Madame,
A trop d’emportement j’abandonne ma flame,
Et sans doute j’ay tort de mesler mes chagrins
Aux sensibles douceurs de vos heureux destins (v. 909-916).

Finalement, le principe de l’amour galant vécu par le chevalier est énoncé plus tôt par ce dernier au début de la pièce :

LE CHEVALIER.
Sur tout autre devoir l’amour toûjours l’emporte75 (v. 269).

Comme le précise Eliane Herz-Fischler, ce principe est applicable à tous les amoureux du théâtre comique.

Comme très souvent, le traitement de l’amour dans La Comtesse d’orgueil ne se limite pas aux sentiments de deux jeunes gens ; l’attirance des deux héros nécessite au niveau dramaturgique que des obstacles s’opposent à leur union. Ces obstacles qui peuvent être de trois types (naturels, familiaux ou sociaux) ne sont pas nécessairement tous développés dans la même pièce. Dans notre cas, l’obstacle est avant tout familial : c’est le frère aîné du chevalier qui utilise sa position sociale et sa fortune pour parler pour lui-même et non pour le chevalier au père d’Olympe. Le passage suivant montre bien quelles sont ses intentions :

LE MARQUIS.
Tu l’entens. Quel Cerveau !
J’aurois parlé pour luy ?
CARLIN.
Pour qui donc ?
LE MARQUIS.
Pour moy-mesme.
CARLIN.
Ah, le traître ! Quoy donc vous aimez ?
LE MARQUIS.
Moy, si j’aime ?
Point du tout, mais mon Frere ayant ce vilain mal,
Pour le desesperer je me fais son Rival76 (v. 500-504).

Plus que d’être un véritable rival, le marquis décide de demander Olympe en mariage pour marquer sa supériorité vis-à-vis de son frère. Nous y voyons ici un véritable conflit familial et social, qui se dessinait déjà au tout début de la pièce et qui continue au travers de ce thème de l’amour.

L’argent §

Largement développé dans notre pièce, le thème de l’argent est au cœur du l’intrigue, notamment pour ce qui est du rapport entre les deux frères. Il est évident que le personnage qui présente le plus d’intérêt à ce niveau et qui semble se préoccuper de ces questions plus que les autres est sans conteste le marquis. Dès la scène 3 du premier acte, il nous démontre à quel point le domaine financier tient un place de choix dans sa vie. Cette scène contient la première rencontre entre le marquis et le chevalier. C’est l’occasion pour le premier des deux de marquer son mépris pour son jeune frère et de se moquer de sa situation financière :

LE CHEVALIER.
Au moins, si par le droit d’aînesse,
Vous avez de grands biens, j’ay la mesme Noblesse.
LE MARQUIS.
Vous estes Chevalier, mais quand il faut manger,
Vostre Chevalerie est un mets bien leger,
Et souvent la machoire est fort mal occupée,
A qui n’a comme vous que la cape et l’épée.
LE CHEVALIER.
Et la cape et l’épée auront toûjours dequoy
Faire considérer des gens faits comme moy.
Joüissez de vos droits, l’aînesse vous les donne.
Je n’y demande rien (v. 141-150).

Il s’agit là de la première occurrence de la critique du manque d’argent du chevalier par le marquis, critique que le marquis va être amené à reformuler plusieurs fois. En effet, étant l’aîné, le marquis a hérité de la fortune familiale. Il n’a aucun complexe à tout garder et à ne rien donner à son frère. Il semble, d’ailleurs, que plus qu’un motif de raillerie, le manque d’argent du chevalier soit un motif de mépris voire de haine, comme dans les vers suivants où le marquis montre son envie de finir la conversation au plus vite :

LE CHEVALIER.
Toûjours injure sur injure ?
Vous estes mon aisné, je me tais, et j’endure.
LE MARQUIS.
Et bien, n’endurez point, qu’est-ce que vous ferez ?
Vous me chanterez poüille, et vous retirerez,
C’est-là ce que je veux.
LE CHEVALIER.
Grace à vostre injustice,
Me voir et me parler est pour vous un suplice,
J’en suis trop convaincu.
LE MARQUIS.
Ne l’ignorez donc pas.
J’en suis content.
LE CHEVALIER.
Ma peine a pour vous des appas,
Et plus vous connoissez que le malheur m’accable...
LE MARQUIS.
Il est vray, vostre vie est gueuse et miserable,
Mais enfin sans appuy, sans resource, sans bien,
Vous dévriez mourir, et vous n’en faites rien.
Est-ce ma faute ? (v. 129-141)

Ce morceau de conversation nous livre une information importante : la condition sociale et financière prévaut sur les rapports du marquis avec ceux qui l’entourent, et en priorité avec le chevalier. Finalement, comme le chevalier est dans le besoin, il n’a aucune importance aux yeux du marquis qui préfère le voir mourir plutôt que de subir sa présence. Nous pouvons relever d’autres exemples qui montrent de quelle manière la condition financière va influencer sur les rapports du marquis avec un personnage, sur l’idée qu’il s’en fait et, par là, sur le respect qu’il va lui témoigner. Par exemple, la conversation avec Anselme au sujet de la comtesse d’Orgueil en est une démonstration :

LE MARQUIS.
Nous la gouvernerons. Elle est riche ?
ANSELME.
Et tres fort.
Un Vieillard a tout fait pour elle avant sa mort.
Comme sur ses vieux ans il l’avoit épousée,
Avec luy sa fortune à faire fust aisée,
Son revenu, du moins, monte à dix mille escus.
LE MARQUIS.
Dix mille escus de rente !
ANSELME.
Et peut-estre encor plus.
LE MARQUIS.
On fait florés à moins. Peste, quelle Commere ! (v. 463-469)

Ce passage montre bien l’étonnement suivi de l’intérêt du marquis pour la comtesse dès lors qu’il apprend le revenu de la comtesse d’Orgueil.

Un dernier passage nous permet de voir que le rapport du marquis à l’argent est plus compliqué qu’il n’y paraît. On peut se rendre compte qu’à partir d’un certain niveau de revenu, ce n’est plus forcément la seule valeur qui compte pour lui à propos d’un personnage ; en témoigne le passage de la scène 6 de l’acte IV :

CARLIN.
Sans les meubles elle a dix mille écus de rente.
Vous pourriez trouver mieux.
LE MARQUIS.
J’en trouverois cinquante.
Mais l’esprit ? (v. 1317-1319)

Il est clair que dans l’esprit du marquis le fait de posséder beaucoup d’argent et de biens s’impose comme une condition sine qua non à sa bonne entente avec la personne ainsi qu’au respect qu’il lui témoignera. Cependant, on voit clairement apparaître ici que la vivacité d’esprit lui importe quand même. C’est ce critère qui est déterminant pour lui, une fois les conditions de base acquises, comme nous le montre le fait qu’il préfère la fausse comtesse alors qu’elle est censée avoir un bien équivalent à celui d’Olympe.

Cependant, nous devons relativiser notre dernier propos puisqu’un autre critère rentre en ligne compte (en plus du fait qu’il ait demandé Olympe en mariage juste pour contrarier son frère). En effet, le niveau social, à savoir être noble ou non semble influencer la représentation que se fait le marquis de quelqu’un. Dans cette perspective, il se montre intéressé par la comtesse dès l’évocation de son titre (Acte I, scène 2) et explique son dégoût pour les bourgeois dont Anselme et Olympe font partie (Acte I, scène 3 ; v. 166-180).

Plus qu’un simple élément montrant les motivations du marquis, l’argent joue un rôle essentiel dans la construction de l’intrigue, à la différence de la pièce de Cubillo El señor de noches buenas où ce motif n’est pas développé77. Au moment où le mariage du marquis et d’Olympe est envisagé, le véritable obstacle à l’amour du chevalier et d’Olympe n’est plus vraiment limité au marquis lui-même : il aurait été possible de le détourner d’Olympe plus tôt s’il n’y avait pas eu la confusion lors de la scène du balcon. Le contrat passé entre Anselme et le marquis de Lorgnac complique la donne. Il s’agit d’un élément nouveau qui constitue le véritable obstacle que les héros doivent surmonter. C’est ce que résume bien la réplique de Lucrèce à la scène 1 de l’acte IV :

L’obstacle le plus fort vient des dix mille escus.
Il est grand, mais enfin nous ne le craindrons plus,
Si Virgine pour vous poussant le stratagême,
Peut forcer le Marquis à rompre de luy-même (v. 1175-1178).

L’obstacle évolue donc pour passer du marquis lui-même à sa fortune car c’est le manque de moyens du chevalier et d’Olympe qui nécessite la création d’un tour par la servante. L’argent tient donc une place centrale dans la conception de l’intrigue car il s’agit de l’un des thèmes sur lesquels repose la pièce

Le déguisement §

Beaucoup de comédies du XVIIe sont basées sur le principe de la feinte. Le déguisement que nous retrouvons dans La Comtesse d’Orgueil en constitue un sous-ensemble. Il repose sur le concept du personnage qui se fait passer pour un autre, créant ainsi la notion de double identité. L’utilisation de cette ruse sert à tromper quelqu’un pour arriver à ses fins, qu’elles soient louables ou non. Dans notre cas, le motif principal de déguisement de la servante n’est autre que servir l’intérêt des maîtres en dépit du frère extravagant78. À partir de ces éléments, l’utilisation du déguisement pose un certains nombres de questions que nous allons passer en revue.

En premier lieu, il convient de s’arrêter sur la fonction dramaturgique du déguisement dans la structure de La Comtesse d’Orgueil. Au niveau de l’agencement des actes, le déguisement occupe la place centrale de l’acte IV tout en restant influant au dernier acte (notamment parce qu’il est repris d’une pièce de Moreto, El Lindo Don Diego, qui est à la base de ces deux actes). Au moment où l’idée du déguisement et de la tromperie survient, nous sommes dans la situation où le marquis a acquis le mariage avec Olympe en acceptant un contrat avec Anselme obligeant à payer celui qui annulera. Olympe a, de son côté, découvert que celui qu’elle aime n’est pas le marquis mais le chevalier et que celui qui lui est destiné ne lui plaît pas du tout. Dans ces conditions, le déguisement de Virgine pour tromper le marquis et le détourner d’Olympe et ainsi permettre au chevalier de se marier avec elle intervient en premier lieu pour faire avancer l’action et aboutir à un dénouement heureux. Cependant, sous couvert de faire avancer l’action, le déguisement entraîne un certain nombre de complications, ce qui est souvent le cas dans les pièces qui l’utilisent79. Le schéma de la pièce montre que nous sommes ici dans le cas d’une complication par confusion, caractéristique des pièces adaptées à partir de comedias, doublée d’une complication par rebondissement. Ce qui crée un lien entre le déguisement et le rebondissement80 se situe au moment de la rencontre entre Virgine (déguisée en comtesse) et le marquis (Acte IV, scène 6). En effet, la création d’un entretien entre les deux personnages dans la maison de la vraie comtesse nécessite des conditions assez complexes : il ne faut pas qu’Oronte revienne et soit au courant, sans parler du probable retour de la vraie comtesse. La mission est donc compliquée pour Virgine, elle doit à la fois convaincre le marquis qu’une comtesse l’aime afin qu’il annule le dédit avec Anselme ; mais elle doit faire cela assez rapidement pour que personne ne surprenne le stratagème. Comme on pouvait s’y attendre, toutes ces conditions ne sont pas remplies : Oronte, qui était partie sur ordre du roi, revient chez sa sœur (Acte IV, scène 7). À la surprise du marquis, étonné du fait que la comtesse ne veuille pas voir son frère, Carlin doit inventer une excuse que le marquis, crédule, croit d’emblée celle qu’on lui fournit. Cela a pour conséquence de faire rentrer le marquis dans un jeu de tromperie qu’il croit à son avantage.

N’ayant plus le temps de se cacher, le marquis doit entretenir une conversation avec Oronte à propos de la comtesse et de sa présence chez elle. C’est au cours de cette discussion (Acte IV, scène 7) que la complication par confusion81 se met en place. En effet, à force de parler d’une personne qu’ils désignent par le même nom mais qui n’est pas la même, les deux personnages se contredisent en prétendant avoir raison et sans comprendre pourquoi les informations apportées par l’autre leur paraissent inexactes. Les répliques suivantes sont caractéristiques de ce moment de confusion :

LE MARQUIS.
Je ne la connais pas dites vous ? par exemple,
Elle a les cheveux bruns, le nez court, le front ample,
Les sourcils bien taillez, l’air fripon, l’oeil perçant,
Le teint des plus unis, le regard languissant,
La gorge...
ORONTE.
Ce portrait est le plus beau du monde,
Mais si je vous disois que la Comtesse est blonde ?
LE MARQUIS.
Et si je vous disois que j’ay l’oeil de travers,
Le visage de singe, et la mine à l’envers,
L’équipage et l’habit d’un pauvre Gentilhomme,
Vous ne me croiriez pas, mon tres-cher ? C’est tout comme (v. 1401-1410).

En somme, c’est le bonne idée de Virgine d’avoir choisi d’usurper l’identité d’un personnage réel qui engendre une complication par confusion car chacun de deux personnages de la scène 7 de l’acte IV connaît une « version » différente de la comtesse qu’il croit exacte.

Dans un autre ordre d’idées, il est intéressant de voir comment se met en place le rôle de comtesse que joue Virgine ainsi que son rapport à ce rôle82. Une première série d’éléments qui concernent les signes statiques du déguisement doivent retenir notre attention. Nous devons mettre en relation ce qui relève du physique et ce qui relève du nom car, en fin de compte, le deuxième élément permet à celui à qui on joue le tour d’être prédisposé à accepter le premier. Il est aisé de s’en rendre compte, surtout si l’on remarque l’importance que donne le marquis au statut social et à l’argent. Les deux répliques qui suivent montrent bien que la position de la fausse comtesse constitue un facteur déterminant dans la réussite de la tromperie :

VIRGINE.
La Comtesse d’Orgueil seroit assez heureuse
Pour meriter le choix...
LE MARQUIS.
Ouy, ma belle Orgueilleuse,
Mon coeur de tous les coeurs l’inévitable écueil,
Ne veut s’énorgueillir qu’aprés de vostre Orgueil (v. 1303-1308).

Tellement ébloui par le fait qu’une comtesse s’intéresse à lui, le marquis est prêt à accepter presque tout d’elle ; c’est, d’ailleurs, par ce moyen que Virgine va réussir à lui faire annuler le mariage avec Olympe. Sachant cette prédisposition du marquis quant au titre de faux personnage, il accepte sans problème le déguisement de Virgine à un tel point qu’il ne remarque même pas qu’il s’agit d’une personne qu’il a déjà vue. C’est ce dont débattent les personnages à la scène 2 de l’acte IV :

LYSE à Virgine.
Autre embarras, qui peut mettre à bout ton adresse.
Depis hier qu’au Marquis je nommay la Comtesse,
Sur ce qu’il croit pour luy qu’elle brûle en secret,
S’il s’en estoit fait faire à peu prés le portrait ?
Adieu ton étalage en prétendu merite.
Elle est grande, fort blonde, et toi brune et petite.
Quoy qu’elle ait l’air galant, tu l’as plus dégagé.
VIRGINE.
C’est à quoy je répons qu’il n’aura pas songé (v. 1205-1212).

Pour preuve de ce qu’avance Virgine, à sa première rencontre avec elle, le marquis prétends qu’il avait une idée de ce à quoi elle ressemblait, et qu’elle correspond parfaitement à cette idée. Or, le marquis ne savait rien sur la fausse comtesse et ne reconnaît même pas Virgine. Cela montre qu’il s’agit plus d’un compliment et que ce n’est pas spécialement son physique qui l’intéresse. Prédisposé par les informations qu’il a sur elle, il ne fait pas vraiment attention à son apparence. On peut donc dire que c’est en accord avec le principe qui fait qu’au théâtre, un personnage déguisé ne peut pas être reconnu, même si ce sont seulement ces habits qui changent ou ses paroles. Il y a clairement un jeu de la part de Thomas Corneille à ce sujet lorsqu’il fait s’inquiéter ses personnages de la découverte de la tromperie. Par là, il permet aussi à la situation d’être plus vraisemblable.

Le deuxième point à évoquer concerne la relation dramatique entre l’identité fictive et l’identité réelle du personnage déguisé. Nous pouvons considérer qu’aux scènes 7 et 10 de l’acte IV il y a adéquation parfaite entre les deux identités de Virgine : rien ne laisse transparaître au marquis que la comtesse à qui il parle possède des traits qui caractérisent sa véritable identité de servante. Au cinquième acte, Virgine retrouve son état de servant et craint une arrivée du marquis (scène 4) car s’il la voyait dans son habit de suivante, peut-être se douterait-il du tour qu’on lui a joué. À la scène suivante, le marquis arrive et voit Virgine en suivante. Cette dernière, aidée par Carlin, trouve une excuse à ses habits : elle explique que sa jalousie l’a poussée à se faire engager comme servante pour suivre les discussions entre le marquis et Olympe. Bien que le marquis, malgré son étonnement, en reste à croire que Virgine est une comtesse, nous notons là une distorsion entre les deux identités. Les marques vestimentaires laissent bien transparaître la véritable identité du personnage déguisé. À cela s’ajoute la façon dont elle s’exprime dans les dernières scènes ainsi que le traitement que lui réserve Anselme aux scènes 6, 8, 9 et 10 (il s’adresse à elle de façon adéquate vu sa position de maître). Ces marques de distorsion n’empêche pas la réalisation du tour puisque Virgine adapte son discours à ses deux rôles : elle s’exprime en servante à Anselme (ce qui est sa véritable condition ainsi que le rôle que le marquis croit qu’elle joue) et en comtesse au marquis lorsqu’elle s’adresse à lui tout bas. Ces scènes permettent à Virgine de jouer de ses identités au même moment sans que personne ne s’en aperçoive. Cette dernière remarque nous donne l’occasion d’insister une dernière fois sur la crédulité de certains personnages de théâtre qui n’arrivent pas à repérer le déguisement alors que des signes le mette à jour ; cela dénote la puissance du déguisement théâtral qui reste potentiellement véritable pour ceux à qui il s’adresse, par delà les signes extérieurs de vérité.

Les caractères §

Largement débattues au XVIIe siècle, les questions théoriques définissent l’esthétique théâtrale de l’époque. Parmi elles, l’études des caractères vise à regarder avec précision des éléments de détails sur les personnages afin de voir s’ils correspondent au caractère qu’il est censé avoir selon son âge, son sexe, sa condition sociale, son inclination vers le bien ou le mal83. Ces critères définissent donc le caractère que l’on attend d’une personne dans un cas précis. L’enjeu principal d’une telle étude sera de savoir si un personnage respecte la bienséance, c’est-à-dire s’il agit en accord avec ce qu’on attendrait de lui. Ainsi, la question des caractères s’étend sur plusieurs plans, allant jusqu’à celui de la vraisemblance puisque le respect ou non d’un caractère prédéfini influe sur la vraisemblance ou non d’une action, d’une scène voire de la pièce.

Les jeunes amoureux §

Dans cette catégorie, quatre personnages de la pièce peuvent être inclus, à savoir les chevaliers, Olympe, Lucrèce et Oronte. À leur manière, chacun illustre des aspects différents du caractère qu’Aristote attribue à la jeunesse84.

Étant perçu comme le protagoniste de la pièce, le chevalier, bien que déjà en partie étudié, nous intéresse particulièrement. Il illustre parfaitement plusieurs éléments importants chez un personnage jeune. Pour commencer, il ne s’intéresse pas à l’argent à proprement parler. Ce qui ressort de la scène 3 de l’acte I, c’est que le chevalier ne fait pas de l’argent un critère primordial dans son choix amoureux, mais, sachant qu’Anselme, le père d’Olympe, a un grand bien, il ne cache pas que la coïncidence pourrait lui faciliter la vie. En fin de compte, le fait que le chevalier soit noble et Anselme riche donne un argument supplémentaire dans le but fixé du mariage avec Olympe. C’est, d’ailleurs, ce qu’il explique :

Puis que malgré moy mesme on a lû dans mon ame,
Il est vray, mon dessein est de prendre une Femme,
Et comme Anselme est riche, et qu’il manque d’appuy,
Ma naissance m’a fait esperer tout de luy.
La sienne, je l’avouë, est basse et fort commune (v. 173-177).

Le chevalier ne s’intéresse qu’à ces questions de rang et d’argent qu’en tant qu’elles peuvent l’aider à obtenir celle qu’il aime. C’est principalement cela qui le préoccupe réellement durant toute la pièce, ce qui est en accord avec ce que décrit Aristote lorsqu’il explique que les jeunes gens « sont surtout asservis [aux désirs] de l’amour »85. Cette importance de l’amour dans l’œuvre ayant déjà été abordée, nous allons aborder un autre point important, à savoir que le chevalier est un personnage très facile à tromper, qu’il paraît très naïf. Les passages qui nous permettent de voir cela sont contenus dans les scènes 3 et 4 de l’acte I ; on voit le marquis arriver très facilement à convaincre son jeune frère qu’il ira faire la demande de mariage avec Olympe à Anselme pour lui alors que son objectif n’est que de le tromper. Malgré une petite réticence, le chevalier ne refuse pas l’aide proposée par son frère. À la scène suivante, il semble même être totalement convaincu de l’implication du marquis dans la réussite du mariage. Même l’intervention du valet Carlin, qui tente de lui ouvrir les yeux, ne permet pas de le faire douter, en témoigne la réplique suivante :

Ouy, mais me voir sans bien luy donne quelque peine,
Et craignant d’en avoir un jour de l’embarras,
Si mon feu touche Olympe, il ne me nuira pas (v. 234-236).

Pour ce qui est des personnages d’Olympe, Lucrèce et Oronte, ils partagent une caractéristique commune et donnée comme habituelle chez les jeunes par Aristote86. En effet, tous les trois, tout comme le chevalier, montrent un grand intérêt dans leurs relations avec leurs amis ainsi qu’un goût pour la vie en société. La scène 7 de l’acte I dans son ensemble suffit à justifier ce trait de caractère qu’ils ont en commun car on y voit Oronte, Lucrèce et Olympe discuter à propos du marquis, suite à l’annonce faite par Virgine dans laquelle elle expliquait qu’Anselme lui destinait ce dernier pour mari. Au cours de la discussion, Oronte et Lucrèce donnent leur avis sur la situation : Oronte qui connaît le marquis met Olympe en garde contre sa sottise et sa vantardise alors que Lucrèce, à la suite de l’avertissement par Oronte, prend peur pour sa cousine. Finalement, ils décident de mettre en place un entretien entre le marquis et Olympe afin de vérifier les dires d’Oronte car Olympe ne veut pas épouser un sot. Le fait le plus marquant de cette scène reste sans nul doute l’importance que prend cette nouvelle pour Lucrèce et Oronte : ils veulent le meilleur pour leur amie. Chacun fait ce qu’il peut pour glaner le maximum d’informations et aider Olympe, ce que l’échange suivant nous montre :

LUCRECE.
Vous, Oronte,
Rendez-moy du Marquis un plus fidelle compte,
Informez-vous par tout en quelle estime il est.
ORONTE.
Il suffit, vous sçavez si j’y prens interest. (v. 377-380)

D’après tous ces éléments, les personnages que nous venons d’aborder correspondent bien à des traits distinctifs des jeunes, que ce soit le désintérêt pour l’argent, la naïveté, l’importance accordée aux relations amicales. Il est évident que tous ces personnages possèdent des traits qui permettent de donner du relief au caractère et d’en faire un individu unique. Nous ne les avons pas abordés car ils ne correspondent pas aux catégories de traits indispensables pour que le personnage soit vraisemblable et sur lesquels nous nous sommes concentré.

Le Marquis §

Nous possédons peu d’informations sur ce personnage, si ce n’est le fait qu’il possède tous les biens de la famille Lorgnac, étant l’aîné et donc l’héritier légitime. Cependant, il n’est jamais fait allusion à son âge donc il semble difficile de pouvoir l’intégré à la catégorie des jeunes. Toutefois, vu sa situation de recherche d’une femme, il pourrait être intégré soit aux jeunes, soit à une catégorie de personnages caractérisés par la maturité. Malgré tout, le marquis ne possède pas vraiment les traits typiques de l’homme mature que l’on peut résumer par une sorte de caractère intermédiaire relevant de la tempérance87.

Le caractère du marquis s’adapte mieux avec des catégories sociales comme les nobles ou les riches. À ce propos, le marquis possède l’orgueil du riche en ce qui concerne ses biens. La vie est pour lui comme une sorte de classement pour savoir qui possède le plus. Dès le début du deuxième acte (Acte II, scène 1), le marquis fait éclater ce caractère en voulant prouver à Anselme, son futur beau-père, que son bien est meilleur que celui d’Olympe :

ANSELME.
La dépence est petite,
Plus de cent mille escus dont elle seule herite,
Tant en maisons, effets, comme en argent comptant...
LE MARQUIS.
Ma terre de Lorgnac en vaut dux fois autant.
Qu’elle est belle ! grands parcs pour vaches, boeufs, genices,
Grandes foires au Bourg, grandes hautes Justices,
Grands moulins, sans compter de grands fossez pleins d’eau
Qu’on passe en ponts-levis pour entrer au Château (v. 405-412).

Il est intéressant de remarquer à quel point le marquis à recours à l’adjectif « grand » régulièrement pour valoriser son domaine et ainsi le placer au-dessus de celui des autres. Cette volonté de se valoriser relève à la fois du caractère du riche et de celui du noble. Nous sommes ici dans un cas proche de la vanterie attribuée à la noblesse88. Tous ces éléments sont, bien sûr, à mettre en relation avec l’étude du thème de l’argent qui montre à quel point la considération financière importe pour le marquis.

Un dernier aspect du caractère du marquis le rapproche, encore une fois, du comportement que l’on attribue au riche, notamment parce qu’Aristote déclare : « le caractère propre à la richesse est celui d’un homme heureux dépourvu de bon sens »89. C’est ce qui se retrouve dans les paroles d’Oronte à son sujet :

LUCRECE.
Et que vous a-t’il dit ?
ORONTE.
Sottise sur sottise,
Qu’un Abbé luy fait piece avec une Marquise,
Et que ma soeur jaùais le luy pardonnera
S’il néglige à la voir dés qu’elle arrivera.
LUCRECE.
Il connoit la Comtesse ?
ORONTE.
Il se le persuade.
Où l’auroit-il pû voir ? pure fanfaronnade !
Le bon homme luy-mesme en est scandalisé (v. 781-787).

Oronte dénote ici le manque d’intelligence dans le discours du marquis, ainsi que sa crédulité à propos de la comtesse qu’il ne connaît même pas. Cette crédulité va de pair avec son orgueil qui le pousse à croire qu’il est aimé de tout le monde. En somme, ce qui domine dans le caractère du marquis c’est son orgueil et son amour des biens qui le poussent à trahir son frère et qui l’aveuglent à un tel point qu’il est ensuite très facile pour Virgine de mettre au point la tromperie pour empêcher son mariage avec Olympe.

Anselme §

Nous abordons un personnage dont la présence sur scène est moindre que celle des personnages principaux. Son rôle se limite à sa fonction parentale, dans le sens où il décide de l’avenir de Lucrèce et Olympe en ce qui concerne les prétendants au mariage. Il appartient au type de personnage qui constitue l’opposant traditionnel dans la comédie : celui du père qui s’oppose aux vœux amoureux de ses enfants en choisissant lui-même un prétendant. Étant peu présent sur scène, son caractère n’est pas beaucoup développé ; seuls certains traits caractéristiques sont clairement mis en avant et relèvent plus de la vieillesse que de l’opposition aux vœux des jeunes amoureux. Nous insistons ici sur la manière d’agir d’Anselme qui relève essentiellement de l’intérêt du gain qu’Aristote dénote comme une attitude propre à la vieillesse90. De cela ressortent deux éléments principaux : Anselme montre un souci de choisir les prétendants de Lucrèce et Olympe en fonction de ce qu’ils possèdent, il montre aussi un attachement particulier à ce que ces derniers soient des gentilshommes afin de donner un certain rang social aux jeunes filles et donc à sa famille. Cette idée s’illustre dans les rares apparitions du personnage en scène.

Concernant le rapport à l’argent, le passage le plus important n’est autre que la scène 1 de l’acte II dans laquelle Anselme propose de signer un dédit pour être sûr qu’il ne perdra rien quoi qu’il arrive : si le marquis se marie avec sa fille, elle pourra profiter de son bien ; si le mariage est annulé, il récupérera dix mille écus. Finalement, plus qu’un appas du gain, Anselme développe une acceptation à la dépense qui se limiterait aux nécessités, comme le montre la fin de la pièce où il affirme qu’il paiera pour les différents mariages. On se rend compte au fil de la pièce que le problème lié à l’argent est dirigé par le problème sous-jacent du rang social. Pour revenir su la question du dédit, plus qu’une peur de ne rien perdre, il s’agit d’une façon d’obliger un noble à sa marier avec sa fille et être ainsi tranquille pour l’avenir et le rang de sa famille. Nous voyons donc que ces deux questions sont liées, bien qu’il y ait une prédominance de la question sociale, comme nous le montre le passage suivant (Acte IV, scène 1) :

LE CHEVALIER.
Mais par où me flater
Qu’Anselme à son defaut daignera m’écouter ?
Les grands biens de mon Frere auront touché son ame.
LUCRECE.
Ce n’est pas ce qui doit allarmer vostre flâme,
N’ayez point là-dessus l’esprit inquieté,
Tout Gendre luy plaira s’il est de qualité,
Et l’estime d’ailleurs qu’il a pour vous conçeuë,
De nos prétentions facilite l’issuë (v. 1167-1174).

Lucrèce montre bien la prédominance de la question du rang social, de la noblesse dans l’esprit d’Anselme au chevalier qui craignait que son manque de moyens l’aurait desservi dans la conquête d’Olympe. Voici donc les éléments les plus remarquables du caractère de la vieillesse visibles chez Anselme.

Les serviteurs §

Selon ce que dit Eliane Herz-Fischler91, le personnage du servant, du valet tient très souvent un rôle important dans les pièces de Thomas Corneille. Cela correspond à ce qu’explique Jacques Scherer sur l’évolution du simple confident en personnage avec un vrai caractère, une vraie fonction dans l’intrigue au lieu d’un personnage qui n’est là que comme prétexte au rappel de faits passés92. À partir de ces données, nous constatons que La Comtesse d’Orgueil ne s’éloigne pas de ce que l’on peut attendre de l’utilisation de ce type de personnage secondaire. Du fait que le valet, la servante possèdent un vrai statut de personnage actif, il est alors possible de les exploiter de façons différentes dans le schéma de l’œuvre. Eliane Herz-Fischler nous rappelle que Thomas Corneille use de ce type de personnages dans cinq cas93. Il peut avoir une fonction dans l’exposition classique, c’est-à-dire qu’on lui raconte les faits passés ; on peut l’utiliser pour raconter lui même les événements ou bien pour rappeler les intentions des personnages, jouant ainsi un vrai rôle de confident lors de « scènes de confidences » dans laquelle s’opère la suspension d’une pièce et par là une certaine tension dramatique94. Cependant, les cas les plus proches de ceux de Carlin et de Virgine sont à chercher du côté de l’intrigue même. En effet, le personnage secondaire peut devenir un instigateur qui pousse un personnage à agir ou bien un vrai meneur, c’est-à-dire qu’il agit en lieu et place du maître. C’est de ce côté que nous allons chercher pour définir la fonction et le caractère de ces personnages, notamment par le fait qu’ils n’hésitent pas à prendre les initiatives pour les autres.

Concernant Carlin, il convient de préciser d’emblée qu’il remplit, comme on pouvait s’y attendre, une fonction dans l’exposition ; il nous informe sur le conflit qui existe entre les deux frères à propos de leurs biens (I, scène 1). Son caractère se dévoile ensuite dans le fait qu’il reste fidèle à son maître, le chevalier, dans la bonne ou la mauvaise fortune, comme c’est souvent le cas dans les pièces de Thomas Corneille95. Carlin explique lui même à la toute fin de la scène 1 de l’acte I qu’il s’est introduit chez le marquis en feignant d’être maltraité par le chevalier. Ainsi, il a pu instaurer une confiance qui pourra être profitable plus tard à son maître. C’est cette confiance du marquis qui permet à Carlin d’influencer ses actions dans le cadre du tour qui lui sera joué. À la scène 5 de l’acte IV, Carlin insiste lourdement sur la beauté du logis, des meubles de la maison de la comtesse ; il vante aussi les mérites de cette dernière ce qui influence et conditionne le marquis à l’aimer ensuite. C’est donc Carlin qui l’introduit chez elle pour faire réussir le plan. Il agit donc conformément à ce qu’il avait annoncé : il fait semblant de servir le marquis pour mieux servir le chevalier. Il a donc bien un rôle d’instigateur dans le sens où il pousse le marquis à faire ce qu’il faut pour aider le chevalier, en lui faisant croire qu’une comtesse l’aime et qu’il doit la rencontrer. Crédule, le marquis est ensuite charmé par le jeu de Virgine. N’oublions pas qu’à la scène 5 de l’acte V Carlin trouve un prétexte à la présence de la comtesse chez Anselme, vêtue en servante, ce qui a pour mérite de sauver la supercherie. Cependant, le rôle de Carlin ne se limite pas à cela. Il garde certains traits comiques, par exemple dans ses répliques, que nous pouvons mettre en relation avec l’origine espagnole du personnage du gracioso qui se chargeait déjà de cela, bien que Ernest Martinenche affirme que le comique des valets chez Thomas Corneille est adaptée au public français96 : les plaisanteries grossières sont remplacées par des jeux de mots. Cette utilisation de la parole comique du valet s’illustre bien dans l’extrait suivant :

LYSE.
Tu te sens donc pour moy d’amour bien travaillé ?
CARLIN.
Ma foy, je n’en dors point quand je suis éveillé,
Et si ton coeur sensible à la friponnerie... (v. 19-21)

Nous remarquons, par ailleurs, que Thomas Corneille utilise la même plaisanterie dans Les Engagements du hasard en 1689 (Acte I, scène 5), ce qui montre qu’il y a une certaine régularité du caractère comique du valet. Autre élément comique, la création de portraits par le valet vise à parodier une mode très pratiquée dans les salons à l’époque97. Dans notre cas, cette parodie prend la forme de descriptions grotesques des personnages, comme c’est le cas dans le portrait du marquis fait par Carlin à la scène 1 de l’acte I :

Jamais on ne fut sot si methodiquement.
Comme il est de naissance et fort riche, il croit estre
L’homme le plus parfait qu’on ait encor veu naistre,
Et dans cette folie il est persuadé
Qu’on meurt d’amour pour luy dés qu’on l’a regardé.
Aussi fait-il le beau, le plaisant, l’agreable,
Vain s’il en fut jamais, contrariant en diable,
Grand parleur, curieux des affaires d’autruy (v. 40-47).

Nous l’avons dit, c’est la servante Virgine qui a l’idée du tour joué au marquis. Cette action permet de débloquer la situation. Virgine se place donc en meneuse, elle agit et réagit à la place de sa maîtresse pour servir l’amour de cette dernière98. Du même coup, elle attise la curiosité du spectateur puisqu’elle choisit de cacher son dessein à la dernière scène de l’acte III :

VIRGINE.
Attendant son retour,
Il me tombe en l’esprit un assez plaisant tour,
Je cours chercher Carlin.
OLYMPE.
Fais agir ton adresse.
VIRGINE.
Ma frayeur est de voir arriver la Comtesse,
Elle gasteroit tout.
LUCRECE.
Qu’est-ce que tu prétens ?
VIRGINE.
Allons, vous le sçaurez quand il sera temps (v. 1135-1140).

Ce passage met en avant la vivacité d’esprit de Virgine qui se révèle lorsqu’elle joue le rôle de la comtesse. Le dernier acte est l’occasion de montrer son aptitude à se sortir d’une situation difficile, surtout quand le marquis arrive chez Anselme pour rompre le contrat, elle réussit à ne pas éveiller les soupçons ni de l’un ni de l’autre (Acte V, sc. 5-9).

Un dernier élément comique caractérise les personnages secondaires dans le fait qu’ils parodient le langage de leurs maîtres en matière d’amour dans leurs propres relations99. En voici un exemple tiré de la première scène de la pièce où Carlin s’adresse à Lyse :

Et depuis cette nopce oû tu me fis tant boire,
Je me suis si bien mis ta largesse en memoire,
Qu’aussi-tost que la soif commence à me presser,
Pour en guerir plûtost je voudrois t’embrasser. (v. 13-16)

Tous ces éléments permettent de mettre en valeur le fait que les personnages secondaires prennent des places essentielles dans l’œuvre, comme souvent chez Thomas Corneille, bien qu’il soit possible d’être plus réservé en ce qui concerne le personnage de Lyse. Son faible temps de parole ainsi que sa faible présence en scène ne lui permettent pas de jouer un rôle crucial dans l’action ni de développer sa personnalité. Le plus grand intérêt de ce personnage se limite à sa fonction de servante de la comtesse car elle prête la maison de cette dernière pour jouer le tour au marquis. Lyse est donc un personnage secondaire qui garde une fonction secondaire sur le plan de l’action à la différence de Carlin et Virgine qui ont une place de choix dans le déroulement de la pièce.

Note sur la présente édition §

Le texte que nous publions est celui de l’édition originale. L’exemplaire qui a servi de base à la réalisation de cette édition est conservé à la Bibliothèque de l’Arsenal sous la cote GD-7913. Le privilège du roi fut accordé le 21 janvier 1671 et le texte fut achevé d’imprimer le 7 mars 1671 par le rouennais Antoine Maurry et cela aux seuls frais de l’auteur. La pièce fut diffusée à Paris par le libraire Guillaume de Luyne.

Description matérielle §

Il s’agit d’un ouvrage in-12 de XII-120 pages qui se présente de la manière suivante :

[I] : page de titre : LA / COMTESSE / D’ORGUEIL / COMEDIE. / Par T. CORNEILLE. / [fleuron du libraire représentant une corbeille de fleurs] / A ROVEN, Et se vend / A PARIS, / Chez GUILLAUME DE LUYNE, au Palais, / dans la Salle des Merciers à la Justice. / [filet] / M. DC. LXXI. / AVEC PRIVILEGE DU ROY.

[II] : verso blanc.

[III-X] : épître à MONSIEUR DE***.

[XI] : Extrait du Privilege du Roy

[XII] : ACTEURS.

1-120 : le texte de la pièce.

Corrections sur le texte §

Sur la graphie §

Nous avons conservé la graphie de l’édition originale, notamment dans le cas de l’accentuation ou de l’absence d’accentuation. L’usage des tildes qui note la nasalité d’une voyelle en permettant aux imprimeurs de faire des économies d’espace et donc d’argent a été modifié. Nous avons donc rétablie la graphie courante en une voyelle suivie d’une consonne nasale. Par ailleurs, les & ont systématiquement été changées en et.

Nous avons relevé un certain nombre de coquilles orthographiques que nous avons par la suite corrigées dans le texte de la présente édition :

V.425 : « archiqueux » corrigé en « archigueux » ; v.431 : « rieux » corrigé en « rieur » ; v.492 : « chatüan » corrigé en « chahütan » ; v.560 : « St » corrigé en « Si » ; v.1252 : « imagination » corrigé en « imaginative » ; v.1381 : « L’e » corrigé en « Je » ; v.1385 : « l’a » corrigé en « là » ; v.1464 : « m’empescher » corrigé en « mes peschez » ; v.1701 : « droit » corrigé en « droite »100.

Sur la ponctuation §

En ce qui concerne la ponctuation, nous avons respecté celle de l’édition originale sauf dans le cas d’une coquille bien identifiée :

V. 560 : « Si. Elle me connoit ?  » corrigé en « Si elle me connoit ?  »

V. 584 : « Le bon homme éblouy n’a pû me dire, non » corrigé en « Le bon homme éblouy n’a pû me dire non »

V.724 : « D’où vient que tant de soins ne vous ont pû toucher.  » corrigé en « D’où vient que tant de soins ne vous ont pû toucher ?  »

V.887 : « Mais l’absence où je suis, tout prest à recourir » corrigé en « Mais l’absence où je suis tout prest à recourir »

V.1554 : « On luy dira, neant ?  » corrigé en « On luy dira neant ?  »

V.1746 : « Quand vous commanderez se mettront à vos gages ?  » corrigé en « Quand vous commanderez se mettront à vos gages.  »

Sur les personnages §

Nous avons modifié la liste des personnages qui apparaissent en scène lorsque cela était nécessaire et résultait clairement d’une erreur. De plus, nous avons attribué leurs répliques aux personnages qui convenaient :

Acte I, scène 2 : Le personnage de Casquaret est supprimé de la liste, sa réplique au vers 82 est attribué à Carlin.

Acte III, scène 9 : Le personnage de Clarice est supprimé. Il n’avait aucune réplique sur scène.

LA COMTESSE D’ORGUEIL
COMEDIE. §

A MONSIEUR DE ***. §

MONSIEUR,

Vous l’échaperez pour cette fois, & quoy que ce soit à vous que j’en vueille, je vous le laisseray ignorer. Peut-estre le devinerez-vous ; Si cela arrive, vous n’aurez qu’à vous garder le secret, ce sera la mesme chose que s’il n’en estoit rien, & du moins le Public ne sçaura point encor que je vous aye accablé d’une Epistre Dédicatoire. Ce n’est pas que vous vous en puissiez garantir* long-temps, je suis sensible à la gloire, & je m’en fais une si forte de l’amitié dont vous m’honorez, qu’il sera difficile que je me contraigne, & que je ne cède bientost à l’impatience de faire connoistre à tout le monde que vous ne m’en avez pas jugé indigne. Ce qu’il y aura en cela de moins terrible pour vous que pour les autres à qui on s’avise de dédier des livres, c’est qu’on ne le fait presque jamais que pour leur demander des graces qu’ils n’ont aucune envie d’accorder, au lieu que celles que vous m’avez déjà faites de la maniére du monde la plus genereuse, m’obligeant à une entiére reconnoissance, ne vous doivent faire attendre de moy qu’une suite de remerciements. J’auray de ma part cét avantage que si on est le plus souvent embarassé à chercher des flateries qui puissent estre au goust de ceux dont on tâche à gagner l’esprit, je ne le seray que sur le choix des véritez que j’auray à dire de vous. Alors, Monsieur, ne croyez pas que ce soit par la dignité de vos charges que je m’attache à faire valoir ce qui vous rend aussi considerable que vous l’estes. Quoy que l’éclat avec lequel vous avez long-temps paru dans une des plus Augustes Compagnies de France redouble par le nouveau rang où vous venez de monter, c’est à d’autres qu’à vous qu’il faut faire honneur de ces sortes d’élevations, où la fortune a souvent plus de part que la vertu.

Quand on veut dire quelque chose
Des gens* qui plus obscurs que leurs sombres Ayeux
N’ont jamais fait rien dire d’eux,
Outre cent lieux communs dont toûjours on dispose,
5 Leurs emplois & leur rang font des secours heureux
Pour faire ce que l’on propose.
Mais graces à l’éclat des belles qualitez
Dont le Ciel vous a fait ses libéralitez,
On vous voit un mérite extréme ;
10 De ce merite en vous tout parle hautement,
Et pour vous louer dignement
On n’a besoin que de vous-mesme.

Jugez, Monsieur, si ayant l’honneur de vous connoistre autant que je fais, je n’auray pas dequoy puiser abondamment dans cette source. Je m’en fais d’avance une joye des plus sensibles, mais je vous rends trop de justice pour ne pas attendre à la gouster ouvertement, que je sois en pouvoir de vous offrir quelque chose que j’estime plus que cette Comedie. L’approbation qu’elle a receuë au Theatre ne m’éblouit point assez pour ne me la pas laisser toûjours regarder comme une bagatelle à qui on a voulu faire grace, & quel que soit l’empressement* du zele* que j’ay pour vous, il ne sçaurait faire oublier que j’ay besoin pour le satisfaire d’une occasion plus favorable que celle-ci. J’espere, Monsieur, que je seray assez heureux pour la voir naistre dans peu telle que je me la souhaite. Cependant je ne me lasseray point de dire par tout qu’il est rare de trouver un amy qui vous ressemble, & qui sçache unir aussi avantageusement que vous la beauté de l’ame à la force & à la delicatesse de l’esprit. Si je rencontre des incrédules, ils cesseront aisément de l’estre quand j’ajousteray que vous avez la gloire de posseder les bonnes graces d’un des plus Grands Hommes que nous ayons. Son nom suffira pour leur fermer la bouche, & on convient si generalement pour luy des surprenantes & extraordinaires qualitez qui le rendent l’admiration de nostre Siecle, que comme rien ne manque à la justesse de son discernement, c’est un tître incontestable pour prétendre à l’estime de tout le monde, que d’avoir dans la sienne autant de part que vous y en avez. Quelle douceur ce seroit pour moy de m’étendre sur une si illustre matiere s’il m’estoit permis de l’approfondir, ou plûtost s’il y avoit des termes qui fussent de la force des sentiments qui me sont communs là-dessus avec tous ceux qui ont l’honneur de l’approcher.

Vous mesme chaque jour n’estes-vous pas surpris
Des brillantes vertus qu’à nos yeux il étale ?
Qui veut en parler les ravale,
Et l’on n’en peut jamais connoistre assez le prix.
De ses riches Talents le pompeux assemblage
Offre du vray merite une éclatant image,
Dont le charme attirant engage autant qu’il plaist.
De la gloire sur luy tout l’effort se consomme,
Et pour estre tout ce qu’il est
Il faut estre au dessus de l’homme.

Je dis si peu pour ce que je pense qu’il vaut mieux que je me contente d’admirer avec respect ce que je trouve au dessus de toutes sortes d’éloges. Je ne doute point que ce sentiment ne vous fasse approuver mon silence. Je le rompray toûjours avec plaisir quand il s’agira de publier l’ardente passion avec laquelle je suis,

MONSIEUR,
Vostre tres-humble, & tres-obligé serviteur,

T. CORNEILLE.

Extrait du Privilege du Roy. §

Par Grace et Privilege du Roy donné à Paris le 21 Janvier 1671. Signé Par le Roy en son Conseil, VILLET. Il est permis au sieur THOMAS CORNEILLE de faire imprimer une Piece de Theatre de sa composition, intitulée La Comtesse d’Orgueil, pendant cinq années ; Et défences sont faites à tous autres de l’imprimer sans le consentement dudit sieur de Corneille, à peine de Cinq cens livres d’amende, de tous dépens, dommages et interests, comme il est plus amplement porté par lesdites Lettres.

Achevé d’imprimer pour la premiere fois, à Roüen,
chez Antoine Maurry, aux dépens de l’Autheur,
le 7. de Mars 1671.

Et ledit sieur de Corneille a traité de la presente Impression, et de son Privilege, avec Guillaume de Luyne, Libraire juré à Paris, pour en joüir suivant l’accord fait entr’eux.

Les Exemplaires ont esté fournis.

Registré sur le Livre de la Communauté des Imprimeurs et Marchands Libraires de la ville de Paris.

Signé LOUIS SEVESTRE, Syndic.

ACTEURS. §

  • LE MARQUIS de Lorgnac.
  • LE CHEVALIER, Frere du Marquis, Amant* d’Olympe.
  • ORONTE Amant* de Lucrece.
  • ANSELME Frere d’Olympe, et Tuteur* de Lucrece.
  • OLYMPE Fille d’Anselme.
  • LUCRECE Niece d’Anselme.
  • VIRGINE Suivante d’Olympe.
  • LYSE Suivante de la Comtesse d’Orgueil.
  • CARLIN Valet du Marquis.
La Scene est à Paris.
[A, 1]

ACTE I. §

SCENE PREMIERE. §

CARLIN, LYSE.

CARLIN.

Quoy ? te trouver encor & seule & sans maîtresse* ?

LYSE.

J’attens de jour en jour Madame la Comtesse,
Qui depuis près d’un mois absente de Paris
Abandonne à mes soins* la garde du logis.
5 On croit ne point tarder d’abord que* l’on s’engage, [p. 2]
Mais insensiblement on prend goust au voyage,
D’Orleans on veut voir Saumur, Angers, & Tours,
Et le retour ainsi se différe toûjours.

CARLIN.

Tant mieux pour toy, d’avoir liberté toute entiere
10 De prendre du bon temps, & te donner carriere101.
Ah, si pour moi le cœur t’en disoit tant soit peu,

LYSE.

En faut-il douter ?

CARLIN.

Le mien est tout en feu*,
Et depuis cette nopce* où tu me fis tant boire,
Je me suis si bien mis ta largesse102 en mémoire,
15 Qu’aussi-tost que la soif commence à me presser,
Pour en guerir plûtost je voudrois t’embrasser.

LYSE.

Tout de bon ?

CARLIN.

Tout de bon, & s’il t’en faut plus dire,
Ecoute, en te voyant, de quel ton je soûpire*103.

LYSE.

Tu te sens donc pour moy d’amour bien travaillé104 ?

CARLIN.

20 Ma foy, je n’en dors point quand je suis éveillé,
Et si ton cœur sensible à la friponnerie105
Lyse, ma chere Lyse.

LYSE.

Ah, point de brusquerie106.
Et que diroit Virgine à qui tu t’es promis.

CARLIN.

Y107 doit-on regarder de si près entre amis ?

LYSE.

25 Tu n’es point scrupuleux. [p. 3]

CARLIN.

Vois-tu ? j’aime Virgine,
Mais ce qui m’en degouste elle est un peu trop fine*,
Et108 sçait tant de détours, qu’à ce que j’en entens,
Avec elle un Mary passera mal son temps.
Anselme aussi, voyant du trouble en sa famille,
30 L’a depuis peu chassée en dépit de sa Fille.

LYSE.

Olympe en sa disgrace a donc pris grande part ?

CARLIN.

Elle la garde encore au déceu109 du vieillard,
Le temps rajuste tout.

LYSE.

Elle doit t’estre chere.

CARLIN.

Veux-tu de mon amour sçavoir tout le mystere ?
35 Je suis homme d’intrigue*, & tel que tu me vois,
J’entreprens de servir deux Maistres à la fois,
Ou plûtost près de l’un faisant le bon Apostre,
Je tâche à110 le duper pour estre utile à l’autre.

LYSE.

Ton marquis de Lorgnac est le sot* ?

CARLIN.

Justement.
40 Jamais on ne fut sot* si methodiquement.
Comme il est de naissance & fort riche, il croit estre
L’homme le plus parfait qu’on ait encor veu naistre,
Et dans cette folie il est persuadé111
Qu’on meurt d’amour pour lui dès qu’on l’a regardé.
45 Aussi fait-il le beau, le plaisant112, l’agreable113,
Vain* s’il en fut jamais, contrariant114 en diable,
Grand parleur, curieux115 des affaires d’autruy.

LYSE.

Le Chevalier, son Frere, est-il fait comme luy ? [p. 4]

CARLIN.

Comme luy ? Dieu l’en garde, il est son antipode.
50 C’est un homme discret, civil, d’humeur commode,
Poly*, galand*, qui fait les choses comme il faut,
Et dont la gueuserie* est l’unique defaut.

LYSE.

La tache est un peu forte.

CARLIN.

Et d’autant plus qu’il aime.
Estre gueux* en amour est un malheur extrême ;
55 Mais aux beaux yeux d’Olimpe il n’a pu resister,
A Virgine par là j’eus ordre d’en conter.
Pour gagner quelque accès auprès de sa Maitresse
Le Chevalier voulut…

LYSE.

Je comprens la finesse*.
Olympe par Virgine a sçeu sa passion116 ?

CARLIN.

60 Non pas, grace à l’excès de sa discretion,
Depuis deux mois et plus que pour elle il soûpire*,
Il s’est fait remarquer, mais sans vouloir rien dire.
Moy-mesme, il m’a falu faire le reservé.
Cependant tout d’un coup le Frere est arrivé,
65 Ce Diable de Marquis, qui s’en va d’importance
Faire sonner partout son manque de finance.

LYSE.

Peut-il le décrier sans qu’il se fasse tort ?

CARLIN.

Tort ou non, il le hait, & voudroit le voir mort.
Pour détourner ce coup j’ay joüé117 d’artifice.

LYSE.

70 Comment ?

CARLIN.

Du chevalier j’ay quitté le service, [p. 5]
Et cent sujets de plainte au besoin* inventez
Ont esté du Marquis avec joye écoutez.
En moy par cette fourbe118 il a pris confiance,
Et comme j’applaudis à son extravagance,
75 Je suis chez luy le tout, je tranche, ordonne, agis.

LYSE.

Ainsi…

CARLIN.

Prens garde à toy, voicy nostre Marquis.
Le cœur te bat-il point ?

LYSE.

Quelle rare* figure* !

CARLIN.

Et bien ? Fait-il la mode119 ?

LYSE.

Il comble ma mesure*,
Quel attirail de points, de rubans, d’affiquets120 !

SCENE II. §

LE MARQUIS, CARLIN, LYSE.

LE MARQUIS à Carlin montrant Lyse.

80 C’est de moy qu’on te parle ?

CARLIN.

Ouy, Monsieur.

LE MARQUIS.

Bon, Laquais,
A ce prochain121 détour122 que faisoit cette Belle123 ?

CARLIN.

Elle vous regardoit, Monsieur. [p. 6]

LE MARQUIS.

Tant pis pour elle.

CARLIN.

Elle s’en souviendra.

LE MARQUIS.

Je le croy. Celle-cy,
Qui de loin m’envisage, a l’œil bien radoucy124.

CARLIN.

85 Elle vient de la part de certaine Comtesse…

LE MARQUIS.

Diable, il faut l’écouter. Tu nommes ta Maitresse ?125

LYSE.

La Comtesse d’Orgueil.

LE MARQUIS.

D’Orgueil ! le nom est grand.
Vieille ou jeune ?

LYSE.

Elle n’a que vingt ans.

LE MARQUIS.

Bien luy prend.
La jeunesse est mon goust, sans cela point de tendre*126.
90 Avecque127 le Mary quelle mesure* aprendre ?
Est-il accommodant* ?

LYSE.

Elle est veuve.

LE MARQUIS.

Tant mieux.
Les Veuves, la plupart, sont mets delicieux.
Et de quinze à vingt ans il en est d’égrillardes128
Qui donnent au Défunt de terribles* nazardes129.
95 Pour moy, j’en ai tant veu de toutes les façons,
Qu’au besoin* je pourrois en faire des leçons.
Et Fille, & Femme, & brune, & blonde, j’ay beau faire, [p. 7]
Tout m’en veut.

LYSE.

Qui pourroit n’aimer pas130 à vous plaire ?
Un Marquis qu’on fait gloire en tous lieux d’admirer131 ?

LE MARQUIS.

100 J’écarte assez la foule afin de respirer,
Mais toujours malgré moy j’ay quelque soûpirante*.
La Comtesse est jolie* ?

LYSE.

Elle est vostre Servante.

LE MARQUIS.

C'est-à-dire, son cœur en tient déjà pour moy132 ?

LYSE.

Eh, vous pouvez penser…

LE MARQUIS.

J’en ay pitié, ma foy.
105 Vint ans, veusve, & languir ! Viens, conduy moy chez elle
Il faut la voir ; au moins tu me dis qu’elle est belle ?

LYSE

Elle a dans Orleans tout fait mourir d’amour,
Mais vous en jugerez, Monsieur, à son retour.

LE MARQUIS.

Elle n’est pas icy ?

LYSE.

Puis qu’il faut vous le dire,
110 Pour vouloir fuïr le mal quelquefois ou l’empire.
L’autre jour en passant la Comtesse vous vit,
Vostre mine, vostre air, enfin tout la surprit,
Et chez elle d’abord l’amour faisant ravage,
Pour guerir par l’absence elle a fait un voyage,
115 Mais de fiévre en chaud mal133, son cœur par la tombé [p. 8]
Est contraint avec vous de venir à jubé134.
Sa flâme* impatiente en ces lieux la rappelle,
Vous la verrez demain.

LE MARQUIS.

Je me souviendray d’elle.
Seulement du retour prens soin* de m’avertir.

LYSE.

120 Vous viendrez donc ?

LE MARQUIS.

Oüy, va ; je puis m’en divertir
Et selon… mais je voy mon impertinent frere.

LYSE à Carlin.

C’est là le Chevalier ?

CARLIN.

Luy mesme, adieu, ma chere.

LYSE.

Est-il original* qui vaille ton marquis ?

SCENE III. §

LE MARQUIS, LE CHEVALIER, CARLIN

LE CHEVALIER.

Peut-estre que je viens mal à propos135 ?

LE MARQUIS.

Tant pis.
125 Qui vous force à venir ?

LE CHEVALIER.

Vous voyant dans la rüe,    
Passeray-je tout droit sans que je vous salüe ?

LE MARQUIS.

[p. 9]
Salüez-moy de loin, & ne me dites mot.

LE CHEVALIER.

Mais ceux qui me verront…

LE MARQUIS.

Vous prendront pour un sot*,
Que m’importe ?

LE CHEVALIER.

Toûjours injure sur injure ?
130 Vous estes mon aisné, je me tais, et j’endure.

LE MARQUIS.

Et bien, n’endurez point, qu’est-ce que vous ferez ?
Vous me chanterez poüille136, et vous retirerez,
C’est-là ce que je veux.

LE CHEVALIER.

Grace à vostre injustice,
Me voir et me parler est pour vous un suplice,
135 J’en suis trop convaincu.

LE MARQUIS.

Ne l’ignorez donc pas.
J’en suis content.

LE CHEVALIER.

Ma peine a pour vous des appas*,
Et plus vous connoissez que le malheur m’accable…

LE MARQUIS.

Il est vray, vostre vie est gueuse* et miserable,
Mais enfin sans appuy, sans resource137, sans bien,
140 Vous devriez mourir, et vous n’en faites rien.
Est-ce ma faute ?

LE CHEVALIER.

Au moins, si par le droit d’aînesse138,
Vous avez de grands bien, j’ay la mesme Noblesse.

LE MARQUIS.

[p. 10]
Vous estes Chevalier, mais quand il faut manger,
Vostre Chevalerie est un mets bien leger,
145 Et souvent la machoire est fort mal occupée,
A qui n’a comme vous que la cape et l’épée.

LE CHEVALIER.

Et la cape et l’épée auront toûjours dequoy
Faire considerer* des gens* faits comme moy.
Joüissez139 de vos droits, l’aînesse vous les donne,
150 Je n’y demande rien.

LE MARQUIS.

Vous me la baillez bonne140.
Si dans vostre chaumiere141 il vous eust plû rester,
Vostre part de Cadet vous eust fait subsister,
Mais on ne va pas loin avec petite somme.
Vous avez voulu faire icy le Gentil-homme*,
155 Et n’ayant plus dequoy, vous voylà sur le point
D’estre Franc Parasite142, ou de ne disner point.
Gueusez*, servez, volez, ce n’est point mon affaire.

LE CHEVALIER.

J’ay fait quelque dépence, et crû la devoir faire,
Ma gloire estant la vostre, il vous doit estre doux…

LE MARQUIS.

160 Mais Carlin que voicy, mouroit de faim chez vous,
Et s’il n’eust avec moy cherché ses avantages,
C’estoit fait de sa vie ainsi que de ses gages*.

CARLIN.

Sans Monsieur le Marquis j’estois sec143, autant vaut.

LE MARQUIS.

Oyez.

LE CHEVALIER.

Mon peu de bien vous semble un grand defaut,
165 Toûjours sur ce reproche ; et ne peut-il pas estre…

LE MARQUIS.

Mon nom vous fait honneur, on me l’a fait connoistre,
Il pourra vous servir à duper un Bourgeois. [p. 11]
L’alliance d’Anselme est, dit-on, vostre choix ;
Vous muguetez* sa fille, elle a dequoy vous plaire.
170 Et quand ce ne seroit que les grands bien du Père,
Pour qui n’a pas de pain à mettre sous les dents,
C’est un trait de beauté des plus accommodants*.

LE CHEVALIER.

Puis que malgré moy mesme on a lû dans mon ame,
Il est vray, mon dessein* est de prendre une Femme,
175 Et comme Anselme est riche, et qu’il manque d’appuy,
Ma naissance m’a fait esperer tout de luy.
La sienne, je l’avouë, est basse et fort commune.

LE MARQUIS.

Ce n’estoit qu’un maraut*, mais il a fait fortune,
Puis qu’il a du douzain144, il est démaraudé145 ?
180 Sçait-il vostre amour ?

LE CHEVALIER.

Non, c’est un secret gardé,
Mais quand il l’apprendra, vueillez ne pas me nuire,
Forcez-vous…

LE MARQUIS.

Laissez moy cette affaire à conduire146.
Moy parlant, moy faisant la demande pour vous,
Je croy qu’il recevra cét honneur à genoux147.
185 Un Faquin148 qu’on a veu petit Clerc de Notaire,
D’un Cadet de Marquis devenir le Beau-père,
S’allier149 des Lorgnacs, peste* !

LE CHEVALIER.

M’offrir vos soins*,
Vous à qui je déplais !

LE MARQUIS.

M’en déplaisez-vous moins ?
Je vous décrierois bien, mais si je vous décrie
190 J’ay sur mon dos le faix de vostre gueuserie*.
Au moins quand du Bourgeois vous aurez les écus, [p. 12]
Vous batrez en retraite, et ne me verrez plus.
Allez, tout de ce pas, je vay luy faire entendre
Qu’il choisit un brave* homme en vous prenant pour gendre,
195 S’il s’informe du bien, je suis preste à mentir,
Reposez-vous sur moy.

LE CHEVALIER.

Mais…

LE MARQUIS.

Mais sans repartir.
J’agis de là. La fille est de vous fort éprise ?

LE CHEVALIER.

J’ignore encor pour moy quelle estime elle a prise,
Mais vingt fois dans sa ruë elle m’a remarqué.

LE MARQUIS.

200 Vostre amour autrement ne s’est point expliqué ?

LE CHEVALIER.

Le Père estant pour nous, il nous répondra d’elle150.

LE MARQUIS.

Je vous entens, l’argent vous plaist mieux que la Belle,
Et pourvû qu’il vous soit bien et deuëment compté,
Peu vous chaut du reste151.

LE CHEVALIER.

Ah !

LE MARQUIS.

Dites la verité ;
205 Franchement aimez-vous ? car à moins que l’on aime,
Taster du Mariage152 est la misere mesme153,
Et je ne voudrois pas qu’une Fille eust sujet…

LE CHEVALIER.

Non, Olympe est pour moy le plus charmant* objet.
Jamais rien de si beau ne s’offrit à ma veuë, [B, 13]
210 Et de tant de merite on la trouve pourveuë,
Que sa seule conqueste asseurant mon repos,
N’eust-elle aucune dot154, je…

LE MARQUIS.

Voyla de mes sots*.
Pour trois jours de douceur trente ans de gueuserie*,
Mais si vous l’épousez, dites-moy, je vous prie,
215 Cadet, prétendez-vous avoir beaucoup d’enfans ?

LE CHEVALIER.

Peut-on…

LE MARQUIS.

Point de peut-on, car je vous le défens.
La cause est qu’il n’est point de famille nombreuse
Qui presque en moins de rien ne dégenere en gueuse*,
Et quand l’Oncle est Marquis et des plus apparents155,
220 Serviteur aux Neveux156 qui sont degenerants.

LE CHEVALIER.

J’auray soin* que jamais aucune plainte à faire…

LE MARQUIS.

Fort bien, et là-dessus je vay voir le Beaupere.
Carlin.

CARLIN.

Monsieur.
Il luy parle à l’oreille.
J’entens.

LE MARQUIS.

Va, cours, le temps m’est cher.
Si la Marquise vient, qu’on me fasse chercher. [p. 14]

SCENE IV. §

LE CHEVALIER, CARLIN.

LE CHEVALIER.

225 C’est encor un message à faire à quelque belle ?

CARLIN.

Grand mystere toûjours, et toûjours bagatelle.
Mais où diable a-t’il sçeu vostre amoureux secret ?

LE CHEVALIER.

Un Amant* bien épris est toûjours indiscret.
J’ay trop parlé d’Olympe, il aura pû l’apprendre*,
230 Et soupçonné l’amour que ses yeux m’ont fait prendre ;
Mais puisqu’à m’y servir il est si disposé,
Le succez pour mes vœux en sera plus aisé.

CARLIN.

J’en doute, il n’eut jamais pour vous que de la haine.

LE CHEVALIER.

Ouy, mais me voir sans bien luy donne quelque peine,
235 Et craignant d’en avoir un jour de l’embarras,
Si mon feu* touche Olympe, il ne me nuira pas.

CARLIN.

Il est homme pourtant à nous en donner d’une157.
Son cœur est plein pour vous d’une vieille rancune,
Ainsi j’aurois voulu avant qu’il eust parlé,
240 Vostre amour à Virgine eust testé revelé.
Contre ce qu’il eust dit, comme elle a de l’adresse,
Elle auroit préparé l’esprit de sa maîtresse*,
Mais vous m’avez fait taire, et tout estoit perdu
Si j’eusse osé…

LE CHEVALIER.

[p. 15]
Je voy que j’ay trop attendu,
245 Qu’il seroit bon qu’Olympe eust approuvé ma flame*,
Mais je ne sçavois pas qu’on dust lire en mon ame,
Et que de mon secret malgré moy trop instruit,
Le Marquis…

CARLIN.

Pour ou contre, il va faire grand bruit,
Et le Vieillard…

LE CHEVALIER.

Tay-toy, je voy venir Oronte.

SCENE V. §

LE CHEVALIER, ORONTE, CARLIN.

LE CHEVALIER.

250 Enfin donc il n’est rien que l’amour ne surmonte,
Lucrece a pris sur vous un pouvoir absolu,
Et pour elle à l’hymen* vous voyla resolu ?

ORONTE.

J’ay pesté* jusqu’icy contre le mariage,
J’en tremble mesme encor lors que je l’envisage,
255 C’est une marché terrible*, et qui doit estonner,
Cependant au torrent je me laisse entraîner.

LE CHEVALIER.

Le peril en est beau.

ORONTE.

Telle est ma destinée.

LE CHEVALIER.

L’ordre vous en est doux, mais à quand l’hymenée ?
Lucrece vous aimant…

ORONTE.

[p. 16]
Anselme son Tuteur*
260 Attend obstinément le retour de ma Sœur,
Parce qu’elle est Comtesse, il s’est mis à la teste
Qu’il faut pour plus d’éclat qu’elle honore la feste,
Sans cela point de nopce*.

LE CHEVALIER.

Il aime à158 faire bruit.

ORONTE.

A trois jours seulement le delay se réduit.

LE CHEVALIER.

265 Vous croyez donc bien-tost voir icy la Comtesse ?

ORONTE.

Peut-estre dés demain, mais j’aperçois Lucrece,
De grace, pardonnez aux transports* d’un Amant*,
Si je cours où m’appelle un Objet si charmant*.

LE CHEVALIER.

Sur tout autre devoir l’amour toûjours l’emporte.

CARLIN au Chevalier.

270 Olympe est avec elle.

LE CHEVALIER.

Eloignons-nous, n’importe,
Je ne luy veux parler159 qu’après que j’auray sceu
Quel accueil du Vieillard ma flame* aura receu. [p. 17]

SCENE VI. §

ORONTE, OLYMPE, LUCRECE.

ORONTE à Lucrece.

Quoy, sortir sans m’attendre ? Ah, j’ay lieu de m’en plaindre160.

LUCRECE.

Ouy, car je viens de faire une visite à craindre,
275 Et ma Cousine sçait…

OLYMPE.

Que dans tout l’entretien
Vous avez écouté de grands diseurs de rien.
Qu’il est d’impertinents !

ORONTE.

Olympe est difficile.

OLYMPE.

Quoy, d’abord qu'*on vous voit, recourir au doux stile*,
Prodiguer la fleurette*, et vous assassiner,
280 De cent offres d’un cœur qu’on n’a plus à donner ?
Pour moy, je suis un peu delicate161 en merite,
Plus le vray me sçait plaire, et plus le faux m’irrite,
Et comme j’aime en tout qu’on soit de bonne foy,
Les soûpirans d’office162 ont bien-tost fait chez moy.

ORONTE.

285 C’est l’usage du monde, et si toutes les Belles
Traitoient ainsi que vous l’encens de bagatelles,
A quoy seroient réduits nos Galants* du bel air163
Qui par là prés de vous apprennent à parler ?
Pour faire un honneste* homme il n’est point d’autre école,
290 Le beau sexe aux muets fait trouver la parole,
Et par ce qu’à vous plaire ils prennent de soucy, [p. 18]
Tout ce qu’ils ont de rude est soudain adoucy.

OLYMPE.

La douceur s’étend loin.

LUCRECE.

Vous l’avez mandiée*.

SCENE VII. §

OLYMPE, LUCRECE, ORONTE, VIRGINE.

VIRGINE à Olympe.

Enfin c’est tout de bon vous estes mariée.

OLYMPE.

295 Moy, mariée ?

VIRGINE.

Ouy, vous, quel malheur à souffrir ?
M’en voicy hors d’haleine à force d’accourir.
Pour prix d’une nouvelle à mes desirs si chere,
Daignez faire ma paix avecque vostre Père,
Faudra-t’il que de luy je me cache toûjours ?

OLYMPE.

300 Ne t’inquiete164 point, encor deux ou trois jours,
Son chagrin passera, j’en répons.

LUCRECE.

Mais, Virgine,
Appren-nous quel époux mon Oncle luy destine.

VIRGINE.

Un Marquis si charmé, dit-il, de ses appas*,
Qu’il se pendra demain s’il ne l’épouse pas,
305 Le Marquis de Lorgnac.

OLYMPE.

[p. 19]
Quoy, j’en serois aimée ?

VIRGINE.

De vostre Cabinet165, où j’estois enfermée,
Je viens d’entendre tout ; sur mon ame il dit d’or.
Vos attraits* sont pour luy le plus riche tresor,
Le bon homme se rend aux desirs qui le pressent,
310 Et de l’heure qu’il est les articles se dressent.

OLYMPE.

Sans m’avoir consultée ?

VIRGINE.

Eh, pour se marier,
Est-il fille aujourd’huy qui se fasse prier ?
Et puis quand il s’agit du grand nom de Marquise…

OLYMPE.

Fort bien ; chez moy pourtant l’esprit seul est de mise,
315 Et de quelque haut rang que l’on me pûst flater,
Un sot* qui m’en voudroit n’auroit qu’à déconter166.

ORONTE.

Je crains donc bien qu’icy le Marquis ne déconte,
Il donne lieu sans cesse à quelque nouveau conte,
Et sur ce qu’on en dit, ce n’est pas son defaut
320 Que d’avoir eu jamais plus d’esprit qu’il ne faut.
Il croit charmer par tout, fait le beau, l’agreable167.

LUCRECE.

Que vous me faites peur !

ORONTE.

Brusque, dit-on, en diable168.

OLYMPE.

Voilà ce qu’il me faut.

VIRGINE.

Moquez-vous du, dit-on.
Voulez-vous un Epoux sage comme un Caton,
325 Qui prétende en vertu de sa grave* figure* [p. 20]
Qu’on marche par compas169, et parle par mesure* ?

LUCRECE.

Virgine a l’humeur gaye, et pense que…

VIRGINE.

Ma foy,
Bien d’autres là-dessus penseroient comme moye.
Pour devenir Marquise il n’est esprit qui tienne,
330 Le tiltre en plaist toûjours, de quelque part qu’il vienne,
Et d’ailleurs, quelquefois, s’il faut tancher le mot,
Il est avantageux d’estre femme d’un sot*,
Excuse, adresse, fourbe, il n’est rien qu’il ne croye ;
Quoy qu’on fasse, il ne voit que ce qu’on veut qu’il voye,
335 Et se laissant mener, au besoin*, par le nez…

OLYMPE.

C’est par où se prendroient des esprits mal tournez,
Mais quand la vertu seule a pouvoir sur une ame…

VIRGINE.

D’accord, c’est fort bien fait que d’estre honneste* femme,
Mais Dieu vueille du trop preserver tous marys.

LUCRECE.

340 Laissons-là cette fole, et venons au Marquis,
Le connoissez-vous ?

ORONTE.

Non, mais je connois son Frere,
Qui, s’il estoit plus riche, auroit bien dequoy plaire,
Il a l’air si galant* et si particulier,
Qu’on ne peut…

OLYMPE.

Vous voulez parler du Chevalier ?

ORONTE.

345 De luy-mesme.

OLYMPE.

[p. 21]
A sa mine on connoit sa naissance,
Mais l’effet répond mal souvent à l’apparence,
L’air ne fait pas l’esprit ; et je douterois fort
Que le sien fust de ceux…

ORONTE.

Ah, c’est luy faire tort.
D’où vient qu’à ce soupçon vostre cœur s’abandonne ?

OLYMPE.

350 C’est un secret qu’encor je n’ay dit à personne.
Depuis plus de deux mois en cherchant à me voir,
Ce brave* Chevalier a paru m’en vouloir170.
Au Palais pour emplete, au Temple, dans la ruë,
Je le trouve par tout, par tout il me saluë,
355 Mais quoy qu’il ait eu lieu cent fois de m’aborder,
Il n’a jamais plus fait que de me regarder.
Jugez si c’est à tort que je le croy stupide.

ORONTE.

Un excez de respect l’a pû rendre timide,
Et je vous plaindrois peu pour l’hymen* arresté,
360 Si le Marquis avoit mesme stupidité.

OLYMPE.

Quoy qu’on ait fait sans moy, s’il est tel que vous dites,
La puissance d’un Père a ses bornes prescrites,
Et par précaution, avant que171 m’engager,
Luy parlant en secret, je prétens en juger.

LUCRECE.

365 En secret ? Et comment ?

OLYMPE.

Ce soir par ma fenestre.

VIRGINE.

Un premier entretien vous le fera connoistre :
Et si pour son début il n’a tous mots exquis, [p. 22]
Madame, vous voulez refuser un Marquis ?
Ma foy, si vous sçaviez combien…

OLYMPE.

Laisse-moy faire,
370 Et l’attens au moment qu’il quittera mon Père,
Le jour baisse déjà ; si-tost172 qu’il fera nuit,
Dy-luy sous mon balcon qu’il se rende sans bruit.

LUCRECE.

Mais si pour vous donner cette grande nouvelle,
Lors que nous rentrerons, mon Oncle vous appelle,
375 Et qu’à voir le Marquis, dont sans doute il fait cas173

OLYMPE.

J’auray quelque migraine et ne paroistray pas,
Fay ce que je te dis, Virgine.

LUCRECE.

Vous, Oronte,
Rendez-moy du Marquis un plus fidelle compte,
Informez-vous par tout en quelle estime il est.

ORONTE.

380 Il suffit, vous sçavez si j’y prens interest174.

Fin du premier Acte.

[p. 23]

ACTE II. §

SCENE PREMIERE. §

LE MARQUIS, ANSELME.

LE MARQUIS.

N’allez-pas plus avant, Beau-père, il fait trop sombre,
Et quoy que de la nuit mes yeux incaguent175 l’ombre176,
Chez vous de vos vieux ans le cours trop actuel
Doit avoir affoibly le rayon virtuel,
385 Et par là j’aurois peur qu’en marchant, quelque pierre
Vous fist mal à propos177 donner du nez en terre.
Seulement pour demain quand je vous iray voir,
Préparez vostre Fille à faire son devoir.

ANSELME.

Dés mes plus jeunes ans un Chevalier de Malte
390 M’aprit que quand l’honneur qu’on daigne nous faire…

LE MARQUIS.

Alte178.
Votre caducité de trop loin se souvient ;
Si je vous fais l’honneur, le profit m’en revient.

ANSELME.

[p. 24]
Du moins je vous répons d’une fille fort sage,
Modeste, accorte*, douce, à qui, dés son Bas âge
395 Où l’esprit est toûjours de fadaise* remply,
Les Quadrains de Pybrac179 ont donné le bon ply.
Elle les sçavoit tous, sur chacun, bonne glose*.

LE MARQUIS.

Les Quadrains de Pybrac ne font rien à la chose,
Et vostre Fille, estant ce que je me la peins,
400 Ne se mariera pas pour dire des Quadrains.
Est-elle propre ?

ANSELME.

Autant qu’une fille peut l’estre.

LE MARQUIS.

Je vous eusse prié de la faire paroître,
Mais j’ay craint, en suivant ma curiosité180,
Quelque soüillon181 d’habit qui m’en eust dégousté.
405 J’aime l’ajustement182.

ANSELME.

La dépence est petite,
Plus de cent mille escus dont elle seule herite,
Tant en maisons, effets, comme en argent comptant…

LE MARQUIS.

Ma terre de Lorgnac en vaut deux fois autant.
Qu’elle est belle ! grands parcs pour vaches, bœufs, genices,
410 Grandes foires au bourg, grandes-hautes Justices,
Grands moulins, sans compter de grands fossez pleins d’eau
Qu’on passe en ponts-levis pour entrer au château.

ANSELME.

Quand je ne vous verrois pour tout bien que la gloire
D’estre sorty de Gens* renommez dans l’Histoire,
415 Mon choix seroit pour vous, et ne regardant qu’eux… [p. C, 25]

LE MARQUIS.

Ah, que tous les Lorgnacs ont esté belliqueux !

ANSELME.

La Race183 en est celebre, et d’abord qu'*on la nomme…

LE MARQUIS.

Beau-père, ainsi je croy que je suis gentilhomme*,
Hem ?

ANSELME.

De vostre Noblesse on n’est guere en soucy.

LE MARQUIS.

420 Vous avez pensé voir un amoureux transy184,
Mon Cadet qui sans moy, plein d’une sote* flâme*,
Vous auroit demandé vostre Fille pour Femme.

ANSELME.

Vous touchant de si prés, il m’auroit fait honneur,
Et l’on tiendra toûjours sa recherche à bonheur.

LE MARQUIS.

425 Il est gueux*, archigueux.

ANSELME.

Mais son sang* est illsutre ;
Et par tout sa vertu luy donne tant de lustre185,
Que sur ce qu’on en dit…

LE MARQUIS.

Monsieur, on, est un sot*.
Mon Frere fait le doux, le benin*, le cagot186,
A l’oüir, vous diriez qu’il n’est rien plus traitable187,
430 Cependant, entre nous il ne vaut pas le diable ;
C’est un rieur sous cape188, et tous ses beaux semblans,
S’ils amorcent189 quelqu’un, le mettent en draps blancs190.
Dit-on, draps blancs, Beau-père, ou blancs draps ?

ANSELME.

Il n’importe.

LE MARQUIS.

Non, à ce qu’il paroît aux gens* de vostre sorte191,
435 Mais parmy le beau monde où l’on parle correct, [p. 26]
L’arrangement des mots veut un soin* circonspect192.
L’esprit est un grand fonds. Vostre Fille en a-t’elle ?

ANSELME.

Chacun le croit.

LE MARQUIS.

Est-il de ruë, ou de ruelle ?

ANSELME.

Qu’appellez-vous de ruë ?

LE MARQUIS.

Un esprit trop bourgeois,
440 Un esprit dandinant193, de ces Filles sans poids194,
Qui pour tout réponce à ce qu’on leur peut dire,
N’ont qu’un, vous vous moquez, et se mettent à rire.

ANSELME.

Ma Fille, en discourant, pourra vous étonner,
Sur quoy qu’on luy propose elle sçait raisonner,
445 Jamais de bagatelle, ou c’est la faire taire.

LE MARQUIS.

Et vous l’auriez donnée à mon drille* de Frere ?
Quel dommage ! à demain, je verray ce que c’est,
Et de la nopce* ensuite on resoudra l’apprest.
Les clauses du Contrat déjà sont arrétées.

ANSELME.

450 Il suffit qu’entre nous elles soient concertées,
Et qu’un dédit* signé, qui vous répond de moy,
Quoy qui puisse arriver, m’engage vostre foy.
Du reste, un peu de temps est assez necessaire
A qui tout à la fois a deux nopces* à faire.

LE MARQUIS.

455 Deux nopces* !

ANSELME.

D’une Niéce on m’a fait le Tuteur*.
Pour l’épouser, Oronte attend icy sa Sœur,
Demain elle y doit estre.

LE MARQUIS.

[p. 27]
Il differe pour elle ?

ANSELME.

On luy doit cét honneur.

LE MARQUIS.

Et cette Sœur s’appelle ?

ANSELME.

La Comtesse d’Orgueil.

LE MARQUIS.

La Comtesse ! ma foy…

ANSELME.

460 Quoy ? vous la connoissez ?

LE MARQUIS.

Ah, si je la connoy ?
C’est une jeune veufve, aimable, alerte, druë195.

ANSELME.

On le dit, car pour moy je ne l’ay jamais veuë.

LE MARQUIS.

Nous la gouvernerons196. Elle est riche ?

ANSELME.

Et tres fort.
Un Vieillard a tout fait pour elle avant sa mort.
465 Comme sur ses vieux ans il l’avoit épousée,
Avec luy sa fortune à faire fust aisée,
Son revenu, du moins, monte à dix mille escus.

LE MARQUIS.

Dix mille escus de rente !

ANSELME.

Et peut-estre encor plus.

LE MARQUIS.

On fait florés à moins197. Peste*, quelle Commere !

ANSELME.

470 Un Duc aussi, dit-on, cherche fort à luy plaire.

LE MARQUIS.

Un Duc ?

ANSELME.

[p. 28]
Ouy, qui voudroit…

LE MARQUIS.

Je croy qu’il voudroit, mais…

ANSELME.

Elle en est peu touchée.

LE MARQUIS.

Il ne l’aura jamais.

ANSELME.

Le temps…

LE MARQUIS.

Eh, je sçay trop où luy tient l’encloueure198.

SCENE II. §

LE MARQUIS, ANSELME, CARLIN.

CARLIN au Marquis.

Quatre mots à quartier199, Monsieur.

LE MARQUIS à Anselme.

Par avanture200,
475 Beau-pere, vous sçavez comme on rentre chez vous ?

ANSELME.

Si je nuis…

LE MARQUIS.

Preste201 ; icy vous gagneriez la toux,
Bon soir. [p. 29]

SCENE III. §

LE MARQUIS, CARLIN.

LE MARQUIS.

Combien as-tu de poulets202 à me rendre ?

CARLIN.

La Marquise, chez vous, a passé pour vous prendre,
J’ay voulu l’arréter, mais ne vous trouvant pas…
480 C’est donc comme il en fait, fracas contre fracas,
M’a-t’elle dit, dy-luy que puis qu’il me dédaigne,
L’abbé qui luy déplaist va commencer son regne203 ;
J’aurois pû me resoudre à ne l’écouter plus,
Mais…

LE MARQUIS.

Ces diables d’Abbez la pluspart sont courus204.

CARLIN.

485 Eh, n’en médisons point ; certains Abbez novices205
Ne sont pas à courir de méchants benefices206.
Les Belles trouvent là dequoy se régaler,
Bijoux, cadeaux, bombance207, elles n’ont qu’à parler,
L’argent ne couste rien ; mais pour vostre Marquise,
490 Que faire ?

LE MARQUIS.

Une douceur la rendra plus soûmise.

CARLIN.

Je le croy.

LE MARQUIS.

Ce Vieillard qui vient de me quitter,
Tout Chahütan qu’il est, m’a-t’il pû resister ?
Où l’on me voit tout céde.

CARLIN.

[p. 30]
Il se résout à prendre,
Sur vostre bonne foy, le Chevalier pour Gendre ?

LE MARQUIS.

495 Il m’a tout accordé.

CARLIN.

Que vous estes heureux
D’avoir pû vous défaire, à la fin de ce gueux* !
Il l’eust falu nourrir, c’est toûjours vostre Frere,
Que diable auriez-vous fait ?

LE MARQUIS.

Ce que je prétens faire,
Ne le pas secourir du moindre verre d’eau.

CARLIN.

500 Olympe y supléera.

LE MARQUIS.

Tu l’entens. Quel cerveau !
J’aurois parlé pour luy ?

CARLIN.

Pour qui donc ?

LE MARQUIS.

Pour moy-mesme.

CARLIN.

Ah, le traître ! Quoy donc vous aimez ?

LE MARQUIS.

Moy, si j’aime ?
Point du tout, mais mon Frere ayant ce vilain208 mal,
Pour le desesperer je me fais son Rival*.

CARLIN.

505 Si vous luy souhaitez misere sur misere209,
Il veut le Conjungo210, Monsieur, laissez-le faire,
N’est-ce pas, quand luy-mesme il vous en vient prier211,
L’accabler de tous maux, que de le marier ?
Qu’on ait volé, brûlé, causé famine et peste*, [p. 31]
510 Mariez-moy les gens*, ils sont punis de reste :
Mais la pitié vous prend, et tant de charité212
Pour vostre cher Cadet vous tient inquieté ;
Que résolu sur l’heure à vous mettre en ménage,
Il vous plaist d’enrager de crainte qu’il n’enrage.

LE MARQUIS.

515 Pauvre ignorant ! aprens un tour d’homme d’esprit.
J’ay sceu contraindre Anselme à signer un Dédit*,
Qui de dix mille écus tiens la somme assignée
Sur celuy de nous deux qui rompra l’hymenée213.

CARLIN.

Rien que cela ? bon, bon, vous voyla garroté214.

LE MARQUIS.

520 Contre le Chevalier c’est-là ma seureté.
Par ces dix mille écus où son seing215 le condamne,
Anselme pour sa Fille est bridé comme un asne.

CARLIN.

Vous connoit-elle ?

LE MARQUIS.

Non, l’entreveuë à demain,
J’y diray de bons mots si je me mets en train ;
525 Car je croy que je puis, sans peur d’engendrer noise216,
Pousser l’humeur gaillarde217 avec une bourgeoise ?

CARLIN.

Mais vous l’épouserez ?

LE MARQUIS.

Ouy, si le cœur218 m’en dit.

CARLIN.

Comment ?

LE MARQUIS.

Vivent, Carlin, vivent les gens* d’esprit.
Sans tenir jamais rien je promettray sans cesse,
530 Tant qu’enfin la jaunisse219 entraîne la Maîtresse*,
Et que le Chevalier qui n’aura pas le sou220 [p. 32]
S’aille de desespoir faire casser le cou.
Les Turcs le devoient bien eschiner en Candie221.

CARLIN.

Ils ont tort, mais pour luy, que voulez-vous qu’on die222 ?
535 C’est l’ordre, chacun vit le plus long-temps qu’il peut.

LE MARQUIS.

Tay toy, l’on vient à nous. Jour et nuit on m’en veut,
C’est quelque Belle encor.

CARLIN.

Je vay la reconnoistre.

SCENE IV. §

LE MARQUIS, VIRGINE, CARLIN.

VIRGINE.

Carlin.

CARLIN.

C’est toy, Virgine !

VIRGINE.

Ouy, qui cherche ton Maistre.
Vous puis-je dire un mot, Monsieur ?

LE MARQUIS.

Quatre au lieu d’un.
540 La honte vous fait donc choisir le moment brun223,
Et vous venez dans l’ombre en fine* tapinoise224
Eprouver225 si mon cœur aisement s’apprivoise ?

VIRGINE.

Du moins je vous apporte un advis* important,
Ce soir à la fenestre Olympe vous attends.

LE MARQUIS.

[p. 33]
545 Quoy, la Fille d’Anselme ?

VIRGINE.

Elle mesme.

LE MARQUIS.

La chate !
L’honneur de m’épouser terriblement la flate ;
Dés ce soir seul à seul vouloir m’entretenir* ?

VIRGINE.

Vous voyez le balcon, y peut-elle venir ?
La nuict se fait obscure.

LE MARQUIS.

Obscure, ou non, qu’importe ?
550 Cours assembler mes Gens* pour me servir d’escorte,
Carlin, dans un moment, je te rejoins chez moy.

CARLIN

On vous demande seul.

LE MARQUIS.

Quelque badaut226, ma foy.
Tiens-moy preste sur tout cette cotte de maille227
Qui me sert quand de nuit le cas veut qu’on chamaille228.
555 Que sçait-on quelquefois ce qui peut arriver ?
Va viste.

SCENE V. §

LE MARQUIS, VIRGINE.

LE MARQUIS.

Au rendez-vous je sçauray me trouver.

VIRGINE.

Ne vous éloignez point, Monsieur ; à la fenestre
Avec moy tout à l’heure Olympe va paroistre.

LE MARQUIS.

[p. 34]
Tu la peux advertir, je reviens sur mes pas.
560 Si229 elle me connoit ?

VIRGINE.

Qui ne vous connoit pas ?
Un homme dont par tout on parle avec éloge ?

LE MARQUIS.

Il est vray qu’il faudroit estre pis qu’Allobroge.
Je fais bruit230 si jamais aucun Marquis en fit.

VIRGINE.

Vous estes beau, galant*, gratieux231, plein d’esprit.

LE MARQUIS.

565 Tu te connois en gens*. Pour l’esprit, d’ordinaire,
J’en cache la moitié dont je ne sçay que faire,
Sans cela je mettrois tout le monde en defaut.

VIRGINE.

Olympe est donc, Monsieur, tout comme il vous la faut
Vous pouvez pratiquer le haut stile* avec elle,
570 Luy parler serieux, d’un ton grave*.

LE MARQUIS.

Est-tu belle,
Car dans l’obscurité je ne sçaurois sçavoir
Comme ton nez est fait, s’il est ou blanc ou noir ?

VIRGINE.

Vous estes curieux.

LE MARQUIS.

Tu me parois friponne*,
Et comme en certains temps volontiers on raisonne,
575 Si je te connoissois digne de raisonner…

VIRGINE.

J’entens marcher, adieu. [p. 35]

SCENE VI. §

LE MARQUIS, LE CHEVALIER.

LE MARQUIS.

Qui vient m’importuner ?

LE CHEVALIER.

Je vous ay par hazard apperceu dans la ruë,
Je m’en allois chez vous.

LE MARQUIS.

Vous avez bonne veuë,
Je ne vous voyois pas, moy.

LE CHEVALIER.

L’amour est pressant,
580 Et me fait vous…

LE MARQUIS.

Autant en un mot comme en cent.
Vous venez demander l’effet de ma harangue232 ?
Jamais je ne me suis mieux servy de ma langue,
Et j’ay si bien presché233, qu’à l’éclat de mon nom
Le bon homme éblouy234 n’a pû me dire, non.

LE CHEVALIER.

585 Il me donne sa fille ?

LE MARQUIS.

Elle sera Lorgnaque.

LE CHEVALIER.

Quelle gloire !

LE MARQUIS.

Pour vaincre, il suffit que j’attaque.

LE CHEVALIER.

[p. 36]
Que ne vous dois-je point !

LE MARQUIS.

Mon Dieu, je le sçay bien.

LE CHEVALIER.

Si mon sang*

LE MARQUIS.

Laissons-là vos compliments de chien235,
Je n’en veux point.

LE CHEVALIER.

Il faut me taire, mais sans doute…

LE MARQUIS

590 Eloignons-nous d’icy de peur qu’on nous écoute.

LE CHEVALIER.

Puisque mes feux* d’Olympe ont merité la main,
Je voudrois…

LE MARQUIS.

Et bien, quoy ? jaser jusqu’à demain ?
Venez, pour satisfaire à vostre impatience,
Jusqu’au prochain détour je vous donne audience.

LE CHEVALIER bas.

595 Ne vois-je pas quelqu’un qui s’avance au balcon ?
Si c’est Olympe ?

LE MARQUIS.

Enfin me suivez-vous, ou non ? [p. D, 37]

SCENE VII. §

LUCRECE, OLYMPE, VIRGINE.

LUCRECE  dans le balcon.

Je n’entens plus personne.

VIRGINE.

Il ne tardera guere.

OLYMPE à Lucrece.

Cousine, va de grace entretenir* mon Père,
Et l’amuse si bien par ce que je te dis,
600 Que je trouve le temps de parler au Marquis.

LUCRECE.

J’aurois à l’écouter une joye excessive,
Mais pour tes interests il faut que je m’en prive,
Tel qu’il puisse estre, au moins j’en attens le portrait.

OLYMPE.

Repose-t’en sur moy, tu l’auras trait pour trait.

SCENE VIII. §

OLYMPE, VIRGINE.

VIRGINE.

605 N’en déplaise à quiconque a fait la médisance,
Je maintiens le Marquis un Marquis d’importance.
Si ce grand serieux n’est pas dans ce qu’il dit,
C’est qu’il a l’humeur gaye et qu’il se divertit,
Mais quand il veut il parle, et des mieux.

OLYMPE.

[p. 38]
Je souhaite236
610 Qu’il n’ait pas les defauts…

VIRGINE.

Charitez qu’on luy préte237.
Croyez-moy, le mal est qu’à trop l’examiner,
Vous estes prévenuë, et voudrez rafiner ?

OLYMPE.

Mais tu sçais à quel point Oronte le méprise.

VIRGINE.

C’est qu’il enrageroit si vous estiez Marquise,
615 Et qu’il ne sçauroit voir sans en estre jaloux,
Qu’en l’épousant, Lucrece ait moins de rang que vous.

SCENE IX. §

LE CHEVALIER, OLYMPE, VIRGINE.

LE CHEVALIER bas.

J’ay quitté mon Brutal pour chercher ce que j’aime.

OLYMPE.

N’entens tu pas du bruit ?

VIRGINE.

J’écoute, c’est luy mesme.

OLYMPE.

Son retour est bien prompt.

VIRGINE.

L’amour l’a fait voler.

LE CHEVALIER.

620 Mes vœux estant receus je puis enfin parler.
Est-ce vous, belle Olympe ?

OLYMPE.

[p. 39]
Ouy, parlez bas de grace.

LE CHEVALIER.

Un Père de ma flame* authorise l’audace,
Et fort de son adveu je pourrois m’applaudir
Sur le flateur espoir qu’il luy plaist d’enhardir.
625 J’en prens, je vous l’avouë, assez de confiance
Pour ne balancer plus à rompre le silence;
Mais cét adveu, Madame, asseure peu ma foy
A voir tout ce qui doit vous parler contre moy.
Quoy qu’il semble à mes vœux donner pleine victoire,
630 Vous demeurez toûjours arbitre de ma gloire,
Et l’espoir qu’il me souffre est pour moy sans douceur
Si je n’ay merité de toucher vostre cœur.
C’est luy qu’à cet espoir l’amour veut qui consente,
Je ne suis point heureux si vous n’estes contente238,
635 Et le moindre soupir* à vostre ame échapé
Me reproche un pouvoir lâchement usurpé.
Aurois-je le malheur de vous en faire naistre ?

VIRGINE.

Madame, ce début ? hem ? m’y sçay-je connoistre ?

OLYMPE.

Voyons la suite, il peut l’avoir étudié239.
640 L’Amour hait ce qu’il tient d’un secours mandié*,
Et tout autre peut-estre eust tâché de me plaire
Avant que d’employer l’authorité d’un Père.
N’importe, c’est beaucoup pour flater vostre espoir,
Sa parole est donnée, et je sçay mon devoir.

LE CHEVALIER.

645 Si je m’en prévalois vous pourriez vous en plaindre ;
Mais quoy qu’il m’ait promis, vous n’avez rien à craindre.
Pressé de mon amour je ne l’ay fait parler
Que pour estre en pouvoir de vous plus immoler240.
Incertaine autrement s’il agréeroit ma flame*, [p. 40]
650 Vous tiendriez vos vœux renfermez dans vôtre ame,
Mais lors que mon respect vous soûmet son adveu,
Je vous donne plein droit d’ordonner de mon feu*,
Sur luy, sur son espoir vous estes Souveraine ;
Ainsi dites un mot, sa victoire est certaine,
655 C’est de vous qu’il la veut, prest à la refuser
Si vos desirs contraints s’y peuvent opposer.

OLYMPE.

Ce n’est pas grand effort que de se rendre maistre
D’un amour qui ne fait que commencer à naistre.

LE CHEVALIER.

Que commencer à naistre ? Ah, ne le croyez pas.
660 Je brûle dés long-temps pour vos divins appas*,
Le respect, il est vray, jusqu’icy m’a fait taire,
Mais je n’en ay pas eu moins d’ardeur de vous plaire,
Et mes yeux ont trahy les ordres de mon cœur
S’ils ne vous ont cent fois parlé de ma langueur.
665 A vous chercher par tout leur soin* estoit extréme,
Au Temple, dans la ruë, à vostre balcon mesme,
Et les vostres souvent par un regarde rendu
Ont semblé m’avertir que j’étois entendu.

OLYMPE.

Une ardeur si discrete a merité sans doute
670 De me trouver sensible aux soins* qu’elle vous coûte,
Mais ma mémoire en vain* vous cherche sur mes pas.

LE CHEVALIER.

Vous ne m’avez point veu ?

OLYMPE.

Je ne m’en souviens pas.

LE CHEVALIER.

Je m’en estois flaté ; pour moy je vous ay veuë,
Mais cent fois, mais toûjours de tant d’attraits* pourveuë,
675 Que mes brûlants transports* s’augmentant chaque jour, [p. 41]
A peine tout mon cœur suffit à mon amour.
Tout ce qui de mes sens fit d’abord la surprise,
N’eut rien que ma raison aujourd’huy n’authorise.
Sans cesse elle me dit qu’il faut vous adorer,
680 Qu’à l’heur* de vous servir rien n’est à préferer :
Madame, je me pers pour avoir trop à dire.

VIRGINE bas à Olympe.

Pouvez-vous écouter ces fadaises* sans rire ?

OLYMPE.

Tay toy.

VIRGINE.

Ce n’est qu’un sot*, il ne sçait ce qu’il dit.
Il vous plaist donc ?

OLYMPE.

Que trop.

VIRGINE.

Il n’avoit point d’esprit.

LE CHEVALIER.

685 Vous consultez ensemble, helas, qu’en dois-je croire ?
Parlez, resolvez-vous ou ma perte, ou ma gloire ?

OLYMPE.

Vous venez de me peindre un cœur bien enflamé*,
Et quiconque aime ainsi merite d’estre aimé.
Mais si d’un autre amour j’étois préoccupée ?

LE CHEVALIER.

690 Ah, quel desespoir j’aurois l’ame frapée !
J’en mourrois de douleur, mais dans mes déplaisirs241
Vous ne me verriez point contraindre vos desirs.
Je vous l’ay déjà dit ; malgré l’aveu d’un Père
Je renonce à l’espoir si je ne puis vous plaire,
695 Un autre à vostre bien pourroit estre attaché,
Mais ce n’est que de vous que j’ay le cœur touché,
Et quand vous auriez eu le sort moins favorable [p. 42]
Vous seriez à mes yeux également aimable,
Vostre seule personne est tout ce que je voy.

OLYMPE.

700 Ces nobles sentiments obtiennent tout de moy,
Et rien ne sçauroit plus m’obliger à vous taire,
Que quand vous ne seriez que ce qu’est vostre Frere,
Trahy de la fortune ; avec la mesme ardeur
Je voudrois vous donner et ma main et mon cœur.
705 Ny le rang de Marquis, ny tous vos droits d’aînesse…

LE CHEVALIER bas.

Elle croit que je sois le Marquis ? Ah Dieux !

OLYMPE.

Qu’est-ce ?
Nous vient-on écouter ?

LE CHEVALIER.

Non, Madame, achevez.
Voylà les derniers coups qu’il m’avoit reservez,
Je le voy trop, le lâche a parlé pour luy mesme.

OLYMPE.

710 Non, vostre Marquisat ne fait pas ce que j’aime,
Et pour gagner mes vœux sur le choix d’un Epoux,
Vos soins* n’avoient besoin seulement que de vous.

LE CHEVALIER.

Donc à ce que j’aprens vous connoissez mon Frere ?

OLYMPE.

Quoy, vostre Chevalier ? il prétend à me plaire,
715 Et je croy qu’il est bon de vous en advertir
Bien moins par vanité que pour vous divertir.

LE CHEVALIER.

Vous le voyez souvent ?

OLYMPE.

Plus que je ne souhaite,
Il me cherche en tous lieux, passe, revient, s’arréte,
Jour et nuit fait la ronde, et je m’étonne bien [p. 43]
720 Qu’il n’est déja venu troubler nostre entretien.

LE CHEVALIER.

Et ses empressements* ne font que vous déplaire ?

OLYMPE.

Je le dois épargner estant né vostre Frere.

LE CHEVALIER.

Non, vous m’obligerez de ne me point cacher
D’où vient que tant de soins* ne vous ont pû toucher ?
725 Le trouvez vous mal fait ?

OLYMPE.

Sa personne est bien prise,
Si j’en croy ses Amys, dans le monde on le prise,
Mais puis qu’il vous en faut dire la verité,
Il me paroist avoir grande stupidité :
Et comme enfin le cœur a ses secrets suffrages,
730 Eust-il et vostre bien et tous vos avantages,
Si mon Père pour luy disposoit de ma foy,
Mon devoir me seroit une fort dure loy ,
J’irois jusqu’à l’éclat plutost que m’y resoudre242.
Vous ne me dites rien ?

LE CHEVALIER bas.

Ah, Dieux ! quel coup de foudre !

VIRGINE à Olympe.

735 C’est qu’on fait quelque bruit, et qu’il écoute. [p. 44]

SCENE X. §

LE MARQUIS, OLYMPE, LE CHEVALIER, VIRGINE, CARLIN.

LE MARQUIS à Carlin.

Allons ?
Pour m’entendre jaser tiens-toy sur mes talons.
Mille jolivetez243 qui dans l’esprit me viennent…
Mon cocher, mes laquais ?

CARLIN.

Ils sont-là.

LE MARQUIS.

Qu’ils s’y tiennent244.

OLYMPE au Chevalier.

Quelqu’un s’avance, adieu, Marquis separons-nous.

LE CHEVALIER à Olympe.

740 C’est mon Frere.

OLYMPE.

Je crains l’insulte245 d’un jaloux,
Je vous l’avois bien dit, qu’il passoit à toute heure.

LE MARQUIS.

Qui va là ?

LE CHEVALIER.

Moy.

LE MARQUIS.

Qui ?

LE CHEVALIER.

Moy.

LE MARQUIS.

[p. 45]
C’est mon Frere, où je meure,
Carlin.

CARLIN.

Qu’il se retire.

LE MARQUIS.

Et s’il fait le mutin* ?

OLYMPE.

Ah, Dieux !

LE CHEVALIER.

Ne craignez rien.

LE MARQUIS.

Jusqu’à demain matin,
745 Je veux estre icy seul, qu’on déloge.

LE CHEVALIER.

Quoy, traistre,
Tu prétens avec moy parler toûjours en maître ?

LE MARQUIS.

Mes Gens*.

LE CHEVALIER.

Tu m’a fourbé246.

LE MARQUIS.

Viste, mes Gens*, à moy,
Main basse247.

LE CHEVALIER.

Quoy, main basse ? Avance, et songe à toy.
Tu recules, infame248.

OLYMPE.

Où me vois-je réduite ?

VIRGINE.

750 Monsieur le Chevalier prend galamment la fuite.

OLYMPE.

Quel brutal ? contre un Frere ?

VIRGINE.

Il se sauve en larron249 ;
Et cependant de jour il fait le fanfaron250,
A le voir, vous diriez que c’est la valeur mesme. [p. 46]

OLYMPE.

Le nombre m’épouvante, et ma peine est extéme.

VIRGINE.

755 Le Marquis est adroit ; comme il l’a relancé !
Ils sont déjà bien loin.

OLYMPE.

S’il faut qu’il soit blessé.

VIRGINE.

Il se ménagera.

OLYMPE.

Retirons-nous, Virgine.

VIRGINE.

Vous vous inquiétez, n’en faites point la fine*.

OLYMPE.

Je crains toûjours pour luy.

VIRGINE.

Vous l’aimez donc ?

OLYMPE.

Helas !
760 Je ne craindrois pas tant si je ne l’aimois pas

Fin du second Acte.

[p. 47]

ACTE III. §

SCENE PREMIERE. §

LUCRECE, ORONTE.

LUCRECE.

Vous vous éloignez donc ?

ORONTE.

La peine m’est cruelle,
Mais il faut obeïr, l’ordre du Roy m’appelle.
Au moins ce qui me rend ce malheur adoucy,
J’espere, à mon retour, trouver ma Sœur icy,
765 Et que tout sera prest pour l’heureux hymenée
Qui doit à vostre sort unir ma destinée.

LUCRECE.

Je crains un long sejour si l’ordre est important ;

ORONTE.

Je prens, pour moins tarder, la porte au mesme instant,
Et j’obtiens, dans trois jours, le bonheur que je presse,
770 Pourveu qu’en arrivant je trouve la Comtesse.
L’amitié qui nous joint la fera se haster.
Olympe cependant pourra se consulter251,
Je crains tout de l’Epoux qu’Anselme luy destine.

LUCRECE.

J’ignore, en le voyant, ce que fera sa mine ; [p. 48]
775 Mais l’ayant cette nuit long-temps entretenu,
Elle veut que d’erreur chacun soit prévenu :
Jamais, s’il l’en faut croire, on n’eut tant de mérite.

ORONTE.

Mais moy-mesme je viens de luy rendre visite.
Vostre Oncle m’a mené luy faire compliment,
780 Et puis que je l’ay veu, j’en parle sçavamment.

LUCRECE.

Et que vous a-t’il dit ?

ORONTE.

Sottise* sur sottise*,
Qu’un Abbé luy fait piece avec une Marquise,
Et que ma Sœur jamais ne luy pardonnera
S’il néglige à la voir dés qu’elle arrivera.

LUCRECE.

785 Il connoit la Comtesse ?

ORONTE.

Il se le persuade.
Où l’auroit-il pû voir ? pure fanfaronnade252 !
Le bon homme luy-mesme en est scandalisé.

LUCRECE.

A cela prest encor a-t’il l’esprit aisé253 ?

ORONTE.

Rien moins, et l’on croiroit qu’il cherche à faire rire. [E, 49]

SCENE II. §

OLYMPE, LUCRECE, ORONTE.

OLYMPE à Oronte.

790 Est-ce une verité que l’on vient de me dire ?
Vous partez ?

ORONTE.

Ouy, Madame, et par l’ordre du Roy.

LUCRECE.

Mais vous m’avez promis…

ORONTE.

Je sçay ce que je doy,
Mon cœur qui vous demeure asseure ma promesse ;
Cependant, belle Olympe, ayez soin* de Lucrece,
795 Tous les moments qu’icy je donne à mon amour
Ne font que differer d’autant plus mon retour,
Ainsi puis qu’il le faut je m’arrache à moy-mesme.

SCENE III. §

LUCRECE, OLYMPE.

OLYMPE.

Le chagrin de l’absence est cruel quand on aime,
Cousine, je te plains.

LUCRECE.

Il doit si-tost cesser,
800 Que je n’auray pas trop le loisir d’y penser.
D’ailleurs, j’ay tant de part à prendre dans ta joye… [p. 50]

OLYMPE.

Tu m’aimes, et je sçay ce qu’il faut que j’en croye.
Mais que t’as dit Oronte ? Il a veu le Marquis.

LUCRECE.

Que sert de te parler, si ton dessein* est pris ?
805 Il te plaist, c’est assez.

OLYMPE.

Mais quoy qu’il m’ait sceu plaire,
Si tu m’ouvrois les yeux…

LUCRECE.

Vois-tu ? je suis sincere,
Et je te dirois plus que tu ne veux sçavoir.

OLYMPE

Quels defauts a-t’il veus ?

LUCRECE.

Tout ce qu’on en peut voir,
Une vanité forte, un esprit ridicule.

OLYMPE.

810 Ah, pour l’esprit, permets que je sois incrédule,
Je m’y connois un peu ; pour quelque vanité
C’est un vice ordinaire aux gens* de qualité*,
Et peut-estre est-il bon, quoy que le monde en cause254,
De croire quelquefois que l’on vaut quelque chose.
815 Si le Marquis se juge un peu d’orgueil permis,
Avec moy, pour le moins, il n’est rien plus soûmis,
C’est un respect si grand, une ardeur si discrete,
Que…

LUCRECE.

T’en voilà coifée255, il t’a dit la fleurette*,
Mais ce qui me confond, c’est de voir qu’un moment
820 Ait produit dans ton ame un si grand changement.
Je veux qu’il ne soit pas ce qu’on le prétend estre, [p. 51]
Ce n’est que d’hier256 au soir que tu le peux connoistre,
L’entretien dura peu, tu parlas sans le voir,
Et déjà sur ton cœur l’amour a tout pouvoir ?

OLYMPE.

825 Voilà ce que sur moy fait l’esprit, c’est mon charme,
Quoy que fiére, par luy ma fierté se desarme,
Et pour estre le prix d’un don si precieux,
Mon cœur n’a pas besoin du conseil de mes yeux.

LUCRECE.

Sans ce rafinement, dy que ce qui t’a prise,
830 C’est la douceur de voir que tu seras Marquise ;
Cousine, un si beau nom couvre bien des defauts.

OLYMPE.

Ah, tu me connois mal.

LUCRECE.

Je sçay ce que tu vaux,
Le faste257 jusqu’icy ne t’a point ébloüie,
Mais le Marquis peut bien…

OLYMPE.

Tu t’en és réjoüie,
835 Soit ; au moins croy tes yeux plûtost qu’un faux rapport ;
Je l’estime, il viendra, tu verras si j’ay tort.
Ce n’est pas seulement son esprit que j’admire,
Son courage l’égale, et l’on n’en peut trop dire.
Si je te pouvois bien dépeindre de quel air
840 Il repoussa son Frere, et le fit reculer…

SCENE IV. §

[p. 52]
OLYMPE, LUCRECE, VIRGINE.

VIRGINE à Olympe.

Madame, une visite où vous ne songiez guere.

LUCRECE à Virgine.

Ce n’est pas le Marquis ?

VIRGINE.

Non, c’est son brave* Frere.

OLYMPE.

Dequoy s’avise-t’il ?

LUCRECE.

Quoy que l’on t’en ait dit,
Tu t’és préoccupée258, il doit manquer d’esprit.

OLYMPE.

845 Sur un pareil defaut quand je luy ferois grace,
Ce qu’il fit hier au soir marque une ame si basse,
Qu’au moins si je m’en tais, il sera malaisé259
Qu’il me trouve à l’estime un cœur bien disposé.

VIRGINE.

De peur que le Vieillard luy-mesme ne l’amene,
850 Je vay vous écouter de la chambre prochaine,
Prenez l’occasion de faire enfin ma paix.

OLYMPE.

J’employeray le Marquis, va, je te le promets260.

SCENE V. §

[p. 53]
LE CHEVALIER, OLYMPE, LUCRECE.

LE CHEVALIER.

Madame, j’ay douté si ce seroit vous plaire
Que venir prendre part au bonheur de mon Frere,
855 Je suis né malheureux, et voy malgré mes soins*
Que souvent j’importune où je l’ay cru le moins.
Mais l’honneur que sur moy fait rejallir sa flame*,
Avecque trop de force a penetré mon ame,
Pour ne m’avoir pas fait à la fin surmonter
860 Le scrupuleux respect qui vouloit m’arréter.
Si d’un pareil devoir l’empressement* vous gêne*,
Au moins daigner songer qu’un beau zéle* m’améne,
Et qu’il ne me faloit qu’avoir le sort plus doux
Pour en rendre l’ardeur moins indigne de vous.

OLYMPE.

865 Je dois trop aux bontez du Marquis vostre Frere
Pour ne pas estimer ce qu’il vous plaist de faire,
Et vous m’avez fait tort quand vous avez douté
Si vous hazarderiez* cette civilité*.
Non que je la merite, et que je deusse attendre
870 Que vous pussiez si-tost songer à me la rendre ;
Mais j’ay quelque lumiere, et sans rien éxiger,
Je sçay ce que je dois à qui veut m’obliger261.

LE CHEVALIER.

Ah, vous ne devez rien, et quoy qu’on puisse faire,
On en est trop payé par l’honneur de vous plaire.
875 Mais helas ! quels devoirs si pressans, si soûmis [p. 54]
Pourroient jamais laisser ce doux espoir permis ?
Vous plaire est une gloire au dessus de toute autre,
Tout merite s’efface à voir briller le vostre,
Et le bonheur d’un seul par ses flateurs appas*,
880 Cause bien des soûpirs* que vous n’entendez pas.

LUCRECE à Olympe.

Est-il stupide ?

OLYMPE.

Non, j’en suis assez contente ;
Mais le Marquis, c’est bien autre chose, il enchante262.
Au chevalier.
J’étois peu préparée à recevoir de vous
Des éloges conceus en des termes si doux,
885 Je les trouve un peu forts.

LE CHEVALIER.

S’ils n’ont rien qui vous touche,
C’est qu’ils perdent leur grace en passant par ma bouche ;
Mais l’absence où je suis tout prest à recourir,
Vous laissera de moy peu de chose à souffrir.

LUCRECE.

Vous nous abandonnez ?

LE CHEVALIER.

Paris m’est trop contraire,
890 Le Ciel depuis long-temps m’y voit d’un œil severe,
Et peut-estre qu’ailleurs j’auray le sort plus doux.

OLYMPE.

Quel malheur assez grand vous éloigne de nous ?

LE CHEVALIER.

Celuy de trop aimer, et de ne sçavoir plaire.

OLYMPE.

La Dame est bien cruelle.

LE CHEVALIER.

Ah Dieux, qu’elle m’est chere !
895 Quoy que ses durs mépris me causent mille maux, [p. 55]
Je n’ay point à m’en plaindre, elle sçait mes defauts,
J’en dois subir la peine, en aimer la justice.

LUCRECE.

Il n’est point de rigueur que le temps ne fléchisse,
Voyez, parlez, pressez, pourquoy vous rebuter.

LE CHEVALIER.

900 Que je presse ! non, non, rien n’est plus à tenter.
L’amour plus de cent fois m’a fait chercher sa veuë,
Je n’en ay parlé qu’une, et cette fois me tuë,
Dans cette seule fois elle m’a fait sçavoir
Tout ce qui porte une ame au plus vif desespoir,
905 Dans cette seule fois elle m’a fait entendre…

OLYMPE.

Cette façon d’agir ne me peut trop surprendre.
Le cœur doit estre libre à se laisser charmer,
Mais on peut sans mépris se défendre d’aimer.

LUCRECE.

Que je luy veux de mal !

LE CHEVALIER.

Ah, non, quoy qui m’arrive,
910 Qu’elle ait tout le bonheur dont sa rigueur me prive,
Par là mon desespoir pour estre soulagé,
Et tout ce que je crains c’est d’en estre vangé.

OLYMPE.

Tant de respect gardé fait voir…

LE CHEVALIER.

Adieu, Madame,
A trop d’emportement* j’abandonne ma flame*,
915 Et sans doute j’ay tort de mesler mes chagrins
Aux sensibles douceurs de vos heureux destins.

SCENE VI. §

[p. 56]
LUCRECE, OLYMPE.

LUCRECE.

Dy tant que tu voudras que ton Marquis l’efface263,
Sa plainte m’a touchée.

OLYMPE.

Il la fait avec grace,
Et sans ce qu’il fit hier qui témoigne un cœur bas,
920 Son esprit, tel qu’il est, ne me déplairoit pas.

LUCRECE.

Il a voulu toûjours épargner ce qu’il aime,
Et d’abord je croyois qu’il parlast de toy mesme264,
Son œil estoit vers toy si tendrement tourné…

OLYMPE.

Sur quelques soins* rendus je l’aurois soupçonné,
925 Mais pour luy quels mépris ay-je laissé paroistre ?

LUCRECE.

Cette nuit au Marquis tu les as fait connoistre.

OLYMPE.

Le Marquis est discret.

LUCRECE.

Ne te répons de rien.

OLYMPE.

Mais avec luy jamais ay-je quelque entretien ?
Il dit qu’il a parlé.

LUCRECE.

Ce n’est pas toy qu’il aime,
930 D’accord ; on le maltraite, et tu ferois de mesme,
Qu’importe quel Objet sa passion ait eu ?

OLYMPE.

[p. 57]
Voicy quelque message.

SCENE VII. §

OLYMPE, LUCRECE, CARLIN,

LUCRECE.

Approche.

OLYMPE.

Que veux-tu ?

CARLIN.

C’est Monsieur le Marquis, Madame, qui m’envoye…

OLYMPE.

Le Marquis ?

CARLIN.

Il est là.

LUCRECE à Olympe.

Tes yeux brillent de joye.

OLYMPE.

935 Qu’il entre.

CARLIN bas.

Elles verront un rare*Original*.

OLYMPE.

Enfin tu vas juger si je m’y connois mal.

LUCRECE.

Je me tais.

OLYMPE.

Le voicy.

LUCRECE.

Quel excez de parure !
Il est tout englouty dedans265 sa chevelure.

OLYMPE.

Que dis-tu de son air ? L’a-t’il galant* et doux ?

SCENE VIII. §

[p. 58]
LE MARQUIS, OLYMPE, LUCRECE, CARLIN.

LE MARQUIS à Carlin.

940 C’est celle-cy ?
à Olympe.
Bon jour, comment vous portes-vous ?

OLYMPE.

Comme ayant eu long-temps toute l’inquietude
Où d’un malheur qu’on craint plonge l’incertitude.
Ce combat impréveu…

LE MARQUIS.

Vous parlez d’hier au soir ?
Ce n’est rien, en courant j’eus belle peur de choir.
945 J’en tenois tout du long faisant la culebute266.

OLYMPE.

De nuit les plus vaillants son sujets à la chute.

LE MARQUIS.

Comment aurois-je fait pour n’estre point vaillant ?
Ce n’est que feu par tout, j’ay le sang* pétillant.
Ta, ta, ta, quand je voy que l’Ennemy recule,
950 Et haye après.

OLYMPE bas.

D’où vient qu’il fait le ridicule ?
Me veut-il éprouver ?

LE MARQUIS.

Je croy qu’en cét instant
Vous avez à me voir le cœur bien palpitant.
Que je taste.

OLYMPE.

[p. 59]
Ah, grands Dieux !

LE MARQUIS montrant Lucrece.

C’est-là vostre Cousine ?

OLYMPE.

Pourquoy le demander ?

LE MARQUIS.

On le voit à sa mine.
955 Elle a le front ouvert, la bouche à l’avenant,
Et visage jamais ne fut plus cousinant267.

LUCRECE à Olympe.

C’est-là ce grand esprit ?

OLYMPE.

Ne me dy rien. J’enrage.
Se peut-il faire…

LE MARQUIS.

Encor un mot de cousinage.
Tout à l’heure en entrant j’ay trouvé deux blondins
960 Qui pour me haranguer268 se sont dits vos Cousins.
Je leur ay de mes Gens* chez eux offert l’escorte,
Baissé la teste en suite, et fait fermer la porte.

LUCRECE.

Ils meritoient de vous plus de civilité*.

LE MARQUIS.

Je hay ces compliments à droit de parenté269,
965 Cent devoirs dans l’abord de peur qu’on se mutine*,
Grand-accueil au Cousin, et tout pour la Cousine.

LUCRECE.

Quoy, vous serez jaloux ?

LE MARQUIS.

Ouy, si je deviens fou.
Jaloux ! Je ne voy pas ny comment ny par ou.
Diable, aprés qu’on m’a veu regarde-t’on personne ?
970 Cét œil perçant ? ce tour de visage ? Ah, friponne* !
Je vous voy me lancer un regard tendre et doux, [p. 60]
Qui fait…
à Olympe.
Vostre Cousine est plus belle que vous.

LUCRECE.

Vous nous déconcertez, cela se doit-il dire ?

LE MARQUIS.

Doive ou non, je m’en ris.

LUCRECE.

Mais pourquoy vous en rire ?
975 Puis qu’enfin vous l’aimez…

LE MARQUIS.

C’est-là la question,
L’amour me cause encor peu d’indigestion270,
Et j’ay le cœur…

LUCRECE.

Nier une flame* advoüée !

OLYMPE.

Il m’en faut éclaircir, sans doute on m’a joüée.
Estes-vous le Marquis ?

LE MARQUIS.

La buse271 !

OLYMPE.

Répondez.

LE MARQUIS.

980 Vous mesme sçavez-vous ce que vous demandez ?

OLYMPE.

Cousine, on me fait piece272.

LUCRECE.

Elle seroit bien forte.

LE MARQUIS.

Si je suis le Marquis ? Ouy, le Diable m’emporte,
Je le suis.

OLYMPE.

Quoy, celuy qu’en qualité* d’Epoux…

LE MARQUIS.

[F, 61]
Celuy qui cette nuit avoit le rendez-vous.
985 Quel rendez-vous ! jamais je n’eus frayeur semblable,
Mon Cadet dégainant a fait d’abord le diable,
Et si je n’eusse pas promptement détalé,
J’en avois tout au moins pour un bras avalé.

LUCRECE à Olympe.

C’est là comme tu dis qu’il a poussé son Frere ?

OLYMPE.

990 A la fin je commence à percer le mystere,
Vous n’avez pû me voir ?

LE MARQUIS.

Il m’avoit prévenu*.
Mais dites, l’avez-vous long-temps entretenu ?
Il vous en a bien dit, car enfin il enrage
D’avoir esté dupé sur vostre mariage.
995 Ayant auprés d’Anselme imploré mon appuy,
Il croyoit fortement que j’eusse agy pour luy ;
Mesme pour me pouvoir divertir de sa flâme*,
Je l’avois asseuré qu’il vous auroit pour femme,
Qu’on approuveroit ses feux*. Vous l’aurez détrompé ?

OLYMPE.

1000 De quel étonnement273 mon esprit est frapé !

LUCRECE à Olympe.

Oronte avoit-il tort ? ton Marquis ?

OLYMPE.

Je le quitte.
Celuy dont je t’ay tant élevé le merite,
Que j’ay crû le Marquis, c’estoit le Chevalier.

LE MARQUIS.

Vous donnez toutes deux dans le particulier,
1005 Parlez haut, si l’amour à l’envy vous talonne,
Vous m’avez vû, le mal n’a plus rien qui m’étonne.
Quand avec le grand mot recevrez-vous ma foy, [p. 62]
Resveuse ?

OLYMPE.

Rien ne presse.

LE MARQUIS.

Et je veux presser, moy.

LUCRECE.

Un Amant* prend toûjours l’ordre d’une maîtresse*.

LE MARQUIS.

1010 Bon pour les non marquis.

OLYMPE.

Ah, ma chere Lucrece,
Quel malheur est le mien ?

LE MARQUIS.

Lucrece est un beau nom,
Est-ce par chasteté que vous l’avez pris ? non,
Vous avez l’œil tourné…

LUCRECE.

Que me voulez-vous dire,

LE MARQUIS.

Qu’une Lucrece en vous… regardez-moy sans rire.
1015 Si, comme il est encor des Tarquins, par hazard
Vous en trouviez quelqu’un, joueriez-vous du poignard ?

LUCRECE.

Je ne vous entens point.

LE MARQUIS.

Vous avez lû l’Histoire,
Coquine, vous riez.

OLYMPE.

Qui l’eust jamais pû croire ?

LE MARQUIS à Olympe.

Mais vous ne riez point, vous ?

OLYMPE.

Moy rire ? et dequoy ?

LE MARQUIS.

[p. 63]
1020 De la voir rire. Elle est grassette.

OLYMPE.

Laissez-moy.

LE MARQUIS.

Je veux…

OLYMPE.

Ne veuillez rien.

LE MARQUIS.

Ah, petite doduë274,
Pour un peu d’embonpoint vous faites l’entenduë275 !
S’il ne faut pour cela que faire voir du gras,
Je m’en vay vous montrer…

LUCRECE.

Ah, ne nous montrez pas.
1025 Mon Dieu, le vilain homme !

OLYMPE.

Où peut estre mon Père ?
Il le faut appeller.

LE MARQUIS.

Nous n’en avons que faire,
Ces bouquins276 du vieux temps ne sont propres à rien.

OLYMPE.

Vous le traitez si mal…

LE MARQUIS.

Je le traite assez bien.
Si le nom de bouquin est un nom qui le choque,
1030 D’où vient qu’il vieillissoit ? c’est pour luy, je m’en moque.

LUCRECE.

Mais quand vous vieillirez…

LE MARQUIS.

Pourquoy vieillir ? les ans
Ne sont faits proprement que pour les sotes* gens*.
Qu’on ait l’air tel que moy, galant*, fin*, le visage [p. 64]
Soustenu d’un brillant…c’est toûjours le bel âge.
1035 Voyez-moy bien, je suis des propres s’il en est.
Mon habit vous plaist-il ?

OLYMPE.

Rien de vous ne me plaist.

LE MARQUIS.

Rien de moy ne vous plaist ? la laide, la mauvaise.

LUCRECE.

L’injurier !

LE MARQUIS.

Je veux que mon habit luy plaise,
Il est bien entendu, chamarré277 haut et bas,
1040 Fort riche en points, pourquoy ne luy plaira-t’il pas ?

OLYMPE.

Qu’il me donne la main ?

LE MARQUIS.

Vous ostant à mon frere,
J’étois fort résolu de n’en vouloir rien faire,
Mais puis que vous sçavez si peu me ménager,
Je vous épouseray pour vous faire enrager.

OLYMPE.

1045 M’épouser ?

LE MARQUIS.

Dés demain.

LUCRECE.

Oüy, si…

LE MARQUIS.

Point de replique.

LE MARQUIS.

Est-elle…

LE MARQUIS.

Contre vous gardez que je me pique278,
Je vous épouserois toutes deux.

LUCRECE.

[p. 65]
Bon cela.

LE MARQUIS à Olympe.

Oh, oh, ma Reine, donc vous en voulez par là.
J’en vay danser de joye.

SCENE IX. §

LE MARQUIS, ANSELME, OLYMPE, LUCRECE.

LE MARQUIS.

Ah, vous voila, Beaupere.
1050 Je croy qu’en vostre temps vous étiez un bon Frere.
Peste*, l’heureux Grison279 ! qu’il est rablu280 !

ANSELME.

Mais vieux,
Et c’est…

LE MARQUIS.

Courrez-vous point quelque fois les bons lieux ?
Vous en avez la mine, et tout vieux que vous estes…

ANSELME.

Pareilles questions n’ont jamais esté faites.

OLYMPE.

1055 Voilà les beaux discours, et les termes choisis
Dont nous régale icy Monsieur vostre Marquis.

ANSELME.

C’est qu’il est gay, ma fille.

LE MARQUIS.

Et gay seul plus que trente.
Je ne vois point icy paroistre de suivante.

ANSELME.

[p. 66]
Ma Fille en avoit une, il l’a falu chasser.
1060 Certains tours trop rusez…

LE MARQUIS.

Je veux la remplacer,
Vous en choisir moy-mesme une drôle, follete,
C’est contre le chagrin une douce recepte,
Et comme vostre Fille a l’air trop serieux,
Ayant où m’égayer, je m’en porteray mieux.

ANSELME.

1065 Ma Fille aura toûjours si grand soin* de vous plaire…

LE MARQUIS.

Est-ce depuis long-temps que vous estes son Père ?

ANSELME.

Que répondre à cela ? je l’ay toûjours esté.

LE MARQUIS.

Toûjours ? quoy mesme avant vostre nativité ?
Le stupide !

ANSELME.

J’entens depuis qu’elle est au monde.

LE MARQUIS.

1070 C’est aussi là-dessus que je veux qu’on réponde.
Quel âge a-t’elle ?

ANSELME.

Elle a…

OLYMPE.

Quarante ans à peu prés.

ANSELME.

Elle raille*.

LE MARQUIS.

Pourtant son teint n’est pas trop frais281.
Le laict de sa nourrice estoit-il bon ?

LUCRECE.

Courage.

LE MARQUIS.

[p. 67]
Pas là l’humeur des gens*

ANSELME.

N’en ayez point d’ombrage*.

LE MARQUIS.

1075 Et sa Mere ? soit dit sans vous desobliger282,
Vous faisoit-elle point quelquefois enrager ?
Un Enfant tient de tout. Elle n’est pas la seule…

OLYMPE à Anselme.

De la Mere il ira jusqu’à la Bisayeule283,
Et si vous l’écoutez, vous courez grand hazard…

LE MARQUIS à Olympe.

1080 Dequoy vous mélez-vous ?

OLYMPE.

Je dois y prendre part,
Et ne pas endurer…

LE MARQUIS.

Vous devriez vous taire,
Voyez, elle fera la leçon à son Père.
Eh, qu’on me la… Suffit, j’y veux mettre la main,
Concluons pour la Nopce*.

ANSELME.

Il est juste.

LE MARQUIS.

A demain.

ANSELME.

1085 La comtesse d’Orgueil qu’on attend à toute heure
Réglera…

LE MARQUIS.

J’ay reglé, l’un rit quand l’autre pleure,
Si vostre Fille est sote*, à son Dam284.

OLYMPE à Anselme.

Jusqu’icy
L’heur* de vous plaire a fait mon unique soucy.
Mais si vous m’ordonniez d’accepter… [p. 68]

ANSELME.

J’ay de l’âge,
1090 Taisez-vous.

LE MARQUIS.

Bon, voilà parler en homme sage.

OLYMPE.

Plûtost que me resoudre…

LE MARQUIS à Anselme.

A croire son dépit
J’aurois dix mille écus portez par le dédit*,
Mais comme il ne faut pas que d’un honneste* Pere…
Dequoy diable vous estre avisé de la faire ?

ANSELME.

1095 C’est un fruit de l’hymen*.

LE MARQUIS.

Je vous en déferay,
Elle a la teste creuse, et j’y remedieray.
Ah, tu m’épouseras, guenonne285.

OLYMPE à Anselme.

Si ma vie
Vous est…

ANSELME.

Encore un coup, taisez-vous.

LE MARQUIS à Olympe.

Je vous prie,
Finirez-vous bien-tost vos lamentables tons ?

LUCRECE.

1100 Mais, mon Oncle, souffrez…

LE MARQUIS.

Voicy l’autre. Sortons,
Beaupere, mon carrosse est là bas, et je pense
Qu’on peut, tout en roulant, se donner audience286.

ANSELME.

[p. 69]
Il vaut mieux qu’icy seul…

LE MARQUIS.

Vous viendrez avec moy.

ANSELME.

J’aurois soin* de calmer…

LE MARQUIS.

Vous y viendrez, ma foy,
1105 Je ne m’étonne pas si la Fille est testuë.
Marchez.

ANSELME.

Ah !

LE MARQUIS le poussant.

Marchez donc, là, quel pas de tortuë !

ANSELME.

Sortiray-je avant vous ?

LE MARQUIS.

Ouy : le maudit Vieillard !
Qu’il aime à contester ! Les Belles, Dieu vous gard.

SCENE X. §

OLYMPE, LUCRECE, VIRGINE.

OLYMPE.

A-t’on jamais parlé de pareille folie ?

LUCRECE.

1110 C’est encor pis cent fois que ce qu’on en publie287.

OLYMPE.

Pour se l’imaginer je le donne au plus fin*.

VIRGINE.

Le bon homme est sorty, je puis paroistre enfin.

OLYMPE.

[p. 70]
Ah, Virgine.

VIRGINE.

Ma foy, j’en suis toute interdite.

LUCRECE.

Mais tu nous le vantois, où donc est ce merite ?
1115 Comment avois-tu pû luy trouver de l’esprit ?

VIRGINE.

Les Foux semblent-ils foux quand on leur aplaudit ?
J’avois bien hier connu m’acquitant du message,
Que son humeur estoit portée au badinage*,
Mais devois-je le croire aussi blessé qu’il est ?

LUCRECE.

1120 Cousine, cependant le Chevalier te plaist ?

OLYMPE.

Je l’avouë.

LUCRECE.

Et c’est toy dont le mépris trop rude
Donne tant de matiere à son inquietude ?

OLYMPE.

J’eusse eu peine à luy croire un esprit aussi doux.

VIRGINE.

Carlin m’avoit appris qu’il soûpiroit* pour vous,
1125 Mais outre qu’il avoit ordre de n’en rien dire,
Sçachant son peu de bien je n’en faisois que rire.

OLYMPE.

L’esprit répare tout, il m’aime, c’est assez.

LUCRECE à Olympe.

Attendant que ses vœux puissent estre exaucez,
Tu peux luy faire dire en secret qu’il espere,
1130 Mais les dix mille écus arréteront ton Père,
Il faudra qu’il les paye en trompant le Marquis.

OLYMPE.

Ah, pour m’en dégager vint mille au lieu de dix.
Moy l’épouser ?

LUCRECE.

[p. 71]
Encor si nous avions Oronte,
Qu’il pust…

VIRGINE.

Il n’est donc plus à Paris à ce conte288 ?

LUCRECE.

1135 Non, il vient de partir.

VIRGINE.

Attendant son retour,
Il me tombe en l’esprit un assez plaisant tour,
Je cours chercher Carlin.

OLYMPE.

Fais agir ton adresse.

VIRGINE.

Ma frayeur est de voir arriver la Comtesse,
Elle gasteroit tout.

LUCRECE.

Qu’est-ce que tu prétens ?

VIRGINE.

1140 Allons, vous le sçaurez quand il en sera temps.

Fin du troisiéme Acte.

[p. 72]

ACTE IV. §

SCENE PREMIERE. §

LUCRECE, LE CHEVALIER, LYSE.

LUCRECE.

Estes-vous satisfait ?

LE CHEVALIER.

Quelle aimable surprise !
Quoy, Madame, à l’espoir Olympe m’authorise ?
Mes vœux sont préferez à ceux de mon Rival* ?

LUCRECE.

L’erreur du rendez-vous a causé tout le mal,
1145 Et la fourbe éclaircie, il ne faut plus vous taire
Qu’autre que vous jamais n’aura droit de luy plaire.
Le respect que pour elle a gardé vostre amour
Meritoit la douceur d’un si charmant* retour.
Tandis qu’à d’autres soins* ce changement l’appelle,
1150 J’ay voulu vous donner cette heureuse nouvelle,
Et vous mander289 icy pour prendre vostre advis*
Sur le tour qu’on s’appreste à joüer au Marquis.
Lyse de ce logis rend Virgine Maîtresse*.

LYSE.

[G, 73]
Vous sçavez que j’attens Madame la Comtesse,
1155 Il faut de l’arrivée essuyer le hazard.

LUCRECE.

Mais quand elle viendroit ce ne seroit que tard.

LYSE.

En tout cas on n’a point à craindre de surprise,
La porte de derriere icy nous favorise :
Vous n’auriez qu’à sortir.

LUCRECE.

J’avois à t’assurer
1160 Que d’Olympe et de moy tu peux tout esperer,
Et que son premier soin* sera de reconnoistre
Le zele* Officieux290 que tu luy fais paroistre.
Voilà ce qui sur tout ma fait venir icy.

LYSE.

Je voudrois que déjà la chose eust reüssi.
1165 Le bon est que dés hier, par un pur badinage*,
Carlin à son Marquis me fist faire message,
Ainsi tout ira bien.

LE CHEVALIER.

Mais par où me flater
Qu’Anselme à son defaut291 daignera m’écouter ?
Les grands bien de mon Frere auront touché son ame.

LUCRECE.

1170 Ce n’est pas ce qui doit allarmer vostre flâme*,
N’ayez point là-dessus l’esprit inquieté,
Tout Gendre luy plaira s’il est de qualité*,
Et l’estime d’ailleurs qu’il a pour vous conçeuë,
De nos prétentions facilite l’issuë.
1175 L’obstacle le plus fort vient des dix mille escus.
Il est grand, mais enfin nous ne le craindrons plus,
Si Virgine pour vous poussant le stratagême,
Peut forcer le Marquis à rompre de luy-mesme.
C’est dequoy divertir Oronte à son retour. [p. 74]

LE CHEVALIER.

1180 Vous aurez cette joye avant la fin du jour.

LUCRECE.

Il ne part point ?

LE CHEVALIER.

Chez vous vous le verrez se rendre.
Les ordres sont changez, on vient de me l’apprendre*.

LYSE.

N’importe, il sera bon que la piece292 ait effet
Avant qu’il sçache rien de ce qu’on aura fait.
1185 Je craindrois son scrupule et sa delicatesse
A voir qu’on se servit du nom de la Comtesse,
Ainsi jusqu’au succez cachez-luy ce dessein*.

LE CHEVALIER.

Mais pour joüer ce rôle…

LUCRECE.

Il est en bonne main,
Virgine a de l’esprit, croyez-moy. Que fait-elle ?
1190 Virgine.

SCENE II. §

LUCRECE, LE CHEVALIER, VIRGINE, LYSE.

VIRGINE.

L’on y va. Voyez si je suis belle.
Ay-je perdu mon temps ?

LUCRECE.

Tu m’ébloüis les yeux.
Quel éclat !

VIRGINE.

[p. 75]
Je feray la Comtesse des mieux.

LUCRECE.

Je crains ta folle humeur, garde-toy bien de rire,
Tu sçais…

VIRGINE.

J’ay veu le loup293, Madame, c’est tout dire
1195 De l’air dont je soûtiens certains tendres soûris
Je broüillerois le tymbre294 aux plus sages Marquis.
Jugez de celuy-cy, sa conqueste m’est deuë.

LUCRECE.

Mais s’il te reconnoit. J’oubliois qu’il t’a veuë.

VIRGINE.

Il est vray qu’avec luy j’eus hier quelque entretien ;
1200 Mais se voit-on de nuit ? n’en apprehendez rien.
Qu’au besoin* seulement ma Suivante m’observe.

LYSE.

Dame.

VIRGINE.

Je payerai bien, mais j’entens qu’on me serve.

LYSE.

Va, je sçay les respects deus à ta qualité*.

VIRGINE.

Souviens-toy du message entre nous concerté.

LYSE à Virgine.

1205 Autre embarras, qui peut mettre à bout ton adresse.
Depuis hier qu’au Marquis je nommay la Comtesse,
Sur ce qu’il croit pour luy qu’elle brûle en secret,
S’il s’en estoit fait faire à peu prés le portrait ?
Adieu ton étalage en prétendu merite.
1210 Elle est grande, fort blonde, et toy brune et petite.
Quoy qu’elle ait l’air galant*, tu l’as plus dégagé295.

VIRGINE.

C’est à quoy je répons qu’il n’aura pas songé.
Voicy Carlin. [p. 76]

SCENE III. §

LUCRECE, LE CHEVALIER, VIRGINE, LYSE, CARLIN.

LE CHEVALIER.

Et bien ?

CARLIN au Chevalier.

Monsieur ? quittez la place.
Le Marquis, d’un ruban corrige la grimace*.
1215 Il est sur l’escalier où ce coin le retient.

LUCRECE au Chevalier.

Allons trouver Olympe. Adieu, prens garde…296

CARLIN.

Il vient.
Dépeschez.

VIRGINE.

Là dedans j’attendray le message,
A sortir gravement* mon nouveau rang m’engage.
Virgine rentre.

CARLIN.

C’est l’entendre.

LYSE à Carlin.

Il croit donc que par excez d’amour
1220 Pour luy seul la Comtesse est icy de retour ?

CARLIN.

S’il le croit ? a-t’on veu jamais de ridicule
Qui n’eust entr’autres dons celuy d’estre crédule ?
Pour le voir, il croira, si tu veux, qu’à grand frais [p. 77]
La Reine de Congo297 vient icy tout exprés.
1225 Voy dans ces nœuds toufus quel amas de merite.

SCENE IV. §

LE MARQUIS, LYSE, CARLIN.

LE MARQUIS à Lyse.

Qu’en dis-tu ? Suis-je exact ? J’ay promis, je m’acquite.
La Comtesse ?

LYSE.

Je vay l’avertir de ce pas.
Qu’elle en aura de joye !

LE MARQUIS.

Ah, je n’en doute pas.
J’ay quité sans mot dire un Trio de Marquises
1230 Pour venir… Mais encore à diverses reprises
Car j’ay, de ruë en ruë , esté forcé de voir
Vingt carrosses à qui j’ay donné le bon soir.
Pour m’avoir, à l’envy chacun faisoit instance298.

LYSE.

Vous en serez payé largement.

LE MARQUIS.

Je le pense. [p. 78]

SCENE V. §

LE MARQUIS, CARLIN.

LE MARQUIS.

1235 Cette maison est belle.

CARLIN.

Et le meuble ?

LE MARQUIS.

Encor plus.

CARLIN.

La Comtesse a pris soins* d’amasser des escus ;
Il la faut mitonner299.

LE MARQUIS.

Grace à ma destinée,
Je la tiens déjà prise, et toute mitonnée.
Elle m’a veu, suffit.

CARLIN.

Faites bien le transy.
1240 Les Veusves d’ordinaire aiment le radoucy300.
C’est par là qu’on les prend.

LE MARQUIS.

Pour peu qu’elle m’entende,
A moins que d’estre beste il faut qu’elle se rende.

CARLIN.

Beste ? et quoy son esprit fait la nique301 aux plus prompts.
Il est toûjours en l’air, et ne va que par bonds.
1245 Vous en serez charmé.

LE MARQUIS.

S’il a ces avantages,
Nous pourrons elle et moy faire de grands voyages.
Je vay haut quand je veux.

CARLIN.

[p. 79]
La voicy.

LE MARQUIS.

L’air m’en plaist.

SCENE VI. §

LE MARQUIS, VIRGINE, LYSE, CARLIN.

VIRGINE.

Rentrez page.

LE MARQUIS à Carlin.

Du reste il faut voir ce que c’est.

VIRGINE.

Qu’aujourd’huy mon étoile est heureuse !

LE MARQUIS.

Madame,
1250 Je m’étois fait de vous un portrait…Sur mon ame,
C’estoit si bien vostre air qu’à la parole prez
Mon imaginative avoit pris tous vos traits.
Un agréement302 de taille, et certain caractere…
Dieu me damne, je croy que vous me pourrez plaire,
1255 Il entre en vostre corps petit, mais bien troussé303,
Je ne sçay quoy de grand dont je me sens blessé,
Et vos yeux ont sur tout la physionomie…

VIRGINE.

Leur clarté doit pourtant estre bien endormie.
Les Veilles, la fatigue…

LE MARQUIS.

Ah, je suis enchanté.
1260 Que des yeux, la fatigue endorme la clarté.
Voylà ce qui s’appelle un tour beau, grand, facile304. [p. 80]

VIRGINE.

L’enfleure de l’esprit paroist dans le haut stile*.

LE MARQUIS à Carlin.

L’Enfleure !

VIRGINE.

Qu’avec vous je ferois de profit !

LE MARQUIS.

Ah !

VIRGINE.

Vous ne dites rien qui ne soit si bien dit…

LE MARQUIS.

1265 Qu’on me donne deux mois, et je vay vous apprendre*
Ce qu’un autre en dix ans ne seroit pas comprendre.
Mais quand vous le sçauriez autant de bien perdu,
On parle à des lourdauts305, il faut estre entendu.
Dites un mot nerveux306, vous trouverez des asnes…

VIRGINE.

1270 Il est, je l’avouëray, peu d’esprits diaphanes307,
De ces esprits, à jour bien ouverts.

LE MARQUIS.

C’est pitié !
Aussi308 pour la plus part j’en rabats de moitié. 
J’y trouve une épaisseur…

VIRGINE.

Que vous estes à plaindre !

LE MARQUIS.

Si je le suis ? bien plus qu’on ne croit, sans rien feindre
1275 De cent Belles à qui je parois en conter,
Je ne sçache que vous digne de mécouter.
Au lieu qu’en m’admirant les gens* d’esprit s’écrient,
Je ne trouve par tout que des sottes* qui rient,
Point de raisonnement.

VIRGINE.

[p. 81]
Pourquoy les voyez-vous ?

LE MARQUIS.

1280 Qui donc voir ? il faut bien hurler avec les loups309.
On me cherche, on me court, je suis bon, comment faire ?

VIRGINE.

Vous soufrez bien, je pense, à force de trop plaire.

LE MARQUIS.

Si je voulois tenir papier de tous les cœurs…

VIRGINE.

Qu’on vous fait chaque jour paroîstre de langueurs !
1285 Que d’amoureux transports* qui s’échapent !

LE MARQUIS.

Je meure,
Je suis sourd des soûpirs* que j’entens à toute heure.

VIRGINE.

Il en est qui pour vous auroient pû s’enhardir,
Mais puis que l’on connoit que c’est vous assourdir…

LE MARQUIS.

M’assourdir ? non pas vous.

VIRGINE.

Ah !

LE MARQUIS.

Ma belle Comtesse,
1290 Soûpirez* à vôtre aise, et que rien ne vous presse.
Diable, vous n’estes pas à mettre à tous les jours.
Carlin, son mal en moy prend déjà mesme cours.
Mon cœur palpite.

CARLIN.

Ailleurs où trouver qui la vaille ?

VIRGINE.

A dissiper mon trouble en vain* mon cœur travaille.
1295 L’assaut que sa langueur me livre à l’impourvû310[p. 82]
Ah, Monsieur le Marquis, pourquoy vous ay-je vû ?

LE MARQUIS.

Ne vous repentez point, Comtesse de mon ame,
Si vous estes en feu*, je me sents tout en flâme*,
Et pour prix des soûpirs* que j’ay sçeu vous tirer,
1300 Escoutez, je commence à contre-soûpirer311.
Ah !

VIRGINE.

Monsieur le Marquis, voulez-vous que je meure ?

LE MARQUIS.

Non, pourquoy tant souffrir ? guerissez-vous sur l’heure
Et sans mettre avec moy cent soûpirs* bout à bout,
Rognez, taillez, coupez, me voyla prest à tout.

VIRGINE.

1305 La Comtesse d’Orgueil seroit assez heureuse
Pour meriter le choix…

LE MARQUIS.

Ouy, ma belle Orgueilleuse,
Mon cœur de tous les cœurs l’inévitable écueil,
Ne veut s’énorgueillir qu’auprés de vostre Orgueil.

VIRGINE.

Je pourrois vous avoir tout à moy, sans partage ?

LE MARQUIS.

1310 Tout.

VIRGINE.

Il ne faut donc point differer davantage.
L’ordre est donné chez moy de cacher mon retour,
Pour témoin de nôtre heur* ne prenons que l’amour,
L’hymen* peut dés demain nous unir l’un à l’autre.
Ordonnez du Contract, tout mon bien est le vôtre.

LE MARQUIS bas à Carlin.

1315 Carlin, si je conclus, après le mot lâché
Tu diras que de moy je fais trop bon marché ?

CARLIN.

[p. 83]
Sans les meubles elle a dix mille écus de rente.
Vous pourriez trouver mieux.

LE MARQUIS.

J’en trouverois cinquante.
Mais l’esprit ?

CARLIN.

C’est à vous, Monsieur, à vous sonder.

LE MARQUIS.

1320 Les autres avec moy semblent guoguenarder312.
Celle-cy parle juste, est accorte*, et sçait vivre.
à Virgine.
Se promettre n’est rien à moins qu’on ne se livre.
Je m’y resous, demain, tout comme il vous plaira.

VIRGINE.

Mon cher Marquis.

LE MARQUIS à Carlin.

De joye elle se pâmera.

VIRGINE.

1325 Qu’au brillant de mon astre on va porter envie !

LE MARQUIS.

J’en sçay qui creveront.

VIRGINE.

Que j’en seray ravie !

LE MARQUIS.

Garde aussi le poison, si l’on sçait que mon choix…

VIRGINE à Lyse qui rentre sur le Theatre apré en estre sortie un moment.

Qu’est-ce ?

LYSE.

Monsieur le Duc pour la dixiéme fois…

VIRGINE.

Qu’il vienne trente encor, je n’y suis pour personne.

LYSE.

[p. 84]
1330 On a suivy vôtre ordre.

LE MARQUIS.

Il vous trouve mignonne,
Ce Duc ?

VIRGINE.

Malgré l’ardeur de son empressement*

LE MARQUIS.

Vous en voudroit-il concubinalement ?

VIRGINE.

Concubinalement.

LE MARQUIS.

Sans couroux, ma Comtesse.
Vous sçavez que Nature est un peu larronnesse,
1335 Que par tout elle pille, et qu’on voit de nos ans
Plus d’amours concubins qu’il n’en est d’épousants.

VIRGINE.

Le Duc est grand amy de mon frere.

LE MARQUIS.

D’Oronte ?

VIRGINE.

Quoy, vous le cognoissez ?

LE MARQUIS.

Ah !

VIRGINE.

Que j’en ay de honte !

LE MARQUIS.

A certaine Lucrece…

VIRGINE.

Admirez le beau choix.
1340 Un homme comme luy donner dans le Bourgeois !
Si j’eusse pû de vous me priver davantage,
Il eust eû beau presser la fin de mon voyage,
Son hymen* pour six mois m’eust fait fuïr de Paris.
Cette Lucrece est roche, et c’est ce qui l’a pris.
1345 Est-elle belle ? [H, 85]

LE MARQUIS.

Non, c’est un nez…une bouche…
Des yeux…un teinte…Enfin elle n’a rien qui touche,
Vous la verrez.

VIRGINE.

Trop tost, j’en meurs déjà de peur,
Car enfin le bourgeois me fait si mal au cœur…

LE MARQUIS.

Aussi fait-il à moy.

VIRGINE.

Passe encor pour Lucrece,
1350 Son bien repare assez le manque de Noblesse,
Mais il est une Olympe…

LE MARQUIS.

Et bien ?

VIRGINE.

Que t’a-t’on dit,
Lyse ?

LYSE.

Dans son quartier tout le monde s’en rit.
Un Campagnard* fort riche et de bonne famille,
Est si sot* que d’Anselme il épouse la Fille.
1355 Le Voyla bien logé313.

LE MARQUIS.

Comment ?

VIRGINE.

Elle n’a rien.

LE MARQUIS.

Ne dit-on pas qu’Anselme…

VIRGINE.

Ouy, qu’il a quelque bien,
Mais il se fait honneur de celuy de Lucrece,
Il en a la tutelle*, et comme avec adresse
Des grands deniers314 qu’il touche il ébloüit les yeux, [p. 86]
1360 Une Dupe à trouver…

LE MARQUIS.

On en trouve en tous lieux,
Ne nous vantons point, Carlin.

CARLIN.

C’est vôtre affaire.

VIRGINE.

Cette Olympe a d’ailleurs la tache de sa Mere,
Qui tombant du haut mal…315

LE MARQUIS.

Du haut mal ? j’en dit fy.

LYSE.

Cependant de superbe elle a le cœur boufy,
1365 Et selon qu’on la trouve en son humeur verveuse,
On luy voit quelquefois faire la dédaigneuse316.

VIRGINE.

Je plains la pauvre dupe, il faudroit l’avertir.
Ce Mariage est trop…

LYSE.

Comment l’en garantir* ?
Le dédit* est signé d’une fort grande somme.

CARLIN bas au Marquis.

1370 Monsieur, voylà ce tour, disiez vous, d’habile homme.
La Comtesse demain vous épouse en secret,
Mais les dix mille écus, Anselme a vostre fait,
Comment le retirer ?

LE MARQUIS.

Il faut pourtant le faire.

VIRGINE à Lyse.

Quel bruit faisoit-on là ?

LYSE.

Rentrez, c’est vôtre Frere.

VIRGINE.

1375 Oronte ?

CARLIN.

[p. 87]
Adieu la fourbe.

LYSE.

Il monte ; promptement.

LE MARQUIS.

Et quand il la verroit ?

CARLIN.

C’est pour vous seulement
Qu’elle rentre à Paris, voulez-vous qu’il le sçache ?

LYSE au Marquis ;

Suivez viste.

LE MARQUIS.

Il faut donc aussi que je me cache ?

LYSE.

Entrez.

LE MARQUIS.

Il n’est plus temps, il m’a vû, le voicy.

SCENE VII. §

ORONTE, LE MARQUIS, LYSE, CARLIN.

ORONTE.

1380 Ah, Monsieur le Marquis, que faites vous icy ?

LE MARQUIS.

Je venois m’informer si la belle Comtesse…

ORONTE.

Ainsi pour son reourtr mesme desir nous presse.
Lyse, aucun de ses Gens* n’est-il encore venu ?

LYSE.

Non, Monsieur.

ORONTE.

[p. 88]
Un Portier qui ne m‘est pas connû
1385 M’a fait façon là bas quand je t’ay demandée.

LYSE.

Du Duc, et de ses Gens* je me trouve obsedée,
Il vient icy sans cesse, et pour m’en garantir*
Je fais dire souvent que je viens de sortir317.

LE MARQUIS.

Ce Duc n’a pas le goust dépravé ; la Comtesse
1390 Fait bien enrager ceux qui n’aiment pas la presse.
C’est un œil attirant…

ORONTE.

Le Duc lui fait honneur.

LE MARQUIS.

Lui fait honneur ? là là.

LYSE à Oronte.

Quel est-ce bon Seigneur ?
Des contes qu’il me fait je suis toute surprise.

ORONTE.

C’est un fou toûjours prest à dire une sottise*.

LE MARQUIS.

1395 La Comtesse par tout emportera le prix.
Dans sa petite taille elle a l’air si bien pris…

ORONTE.

Petite ?

LYSE à Carlin.

Il va tout perdre318.

ORONTE.

En est-il de plus grandes ?

LE MARQUIS.

Ou diable a-t’il les yeux ? s’il en est ? et par bandes.

ORONTE.

Pour vous, estant Geante, elle auroit plus d’appas*.

LE MARQUIS.

1400 Geante !

ORONTE à Lyse.

[p. 89]
Il parle d’elle, et ne la connoit pas.

LE MARQUIS.

Je ne la connois pas dites vous ? par exemple,
Elle a les cheveux bruns, le nez court, le front ample,
Les sourcils bien taillez, l’air fripon*, l’œil perçant,
Le teint des plus unis, le regard languissant319,
1405 La gorge…

ORONTE.

Ce portrait est le plus beau du monde,
Mais si je vous disois que la Comtesse est blonde ?

LE MARQUIS.

Et si je vous disois que j’ay l’œil de travers,
Le visage de singe, et la mine à l’envers,
L’équipage et l’habit d’un pauvre Gentilhomme*,
1410 Vous ne me croiriez pas, mon tres-cher ? c’est tout comme.

LYSE à Oronte.

Voulez-vous disputer contre un fou ?

ORONTE.

Je le voy,
Ma sœur vous est du moins connuë autant qu’à moy.

LE MARQUIS.

Sçay-je peindre ?

ORONTE.

On n’en peut conserver mieux l’idée,
Mais où l’avez-vous veuë ?

LE MARQUIS.

Où je l’ay regardée.

ORONTE.

1415 Encor, quelle rencontre…

LE MARQUIS.

Il n’importe comment.
Ces Freres curieux parlent si lentement.
Laissez-moy mes secrets, je vous laisse les vôtres.

ORONTE.

[p. 90]
J’admire…

LE MARQUIS.

Admirez donc, vous en verrez bien d’autres.

SCENE VIII. §

ANSELME, ORONTE, LE MARQUIS, LYSE, CARLIN.

ANSELME.

La compagnie est belle.

ORONTE.

Ah, Monsieur.

LE MARQUIS à Carlin.

Où va-t’il ?
1420 Ce diable de Beaupere a l’odorat subtil ?
Il nous sent de bien loin.

ANSELME.

En passant par la ruë,
Le hazard sur vos gens* m’a fait jetter la veuë,
Et c’est d’eux que j’ay sceu que vous estiez icy.

ORONTE.

J’ay receu nouvel ordre.

ANSELME.

Ils me l’ont dit aussi.
1425 Et puisque vous restez, l’affaire qui nous presse
Est de voir arriver Madame la Comtesse.
Qu’en avez-vous appris ?

ORONTE.

Lyse l’attend toûjours,
Mais à certaine amie elle écrit tous les jours,
Et pour m’en informer j’allois passer chez elle. [p. 91]

ANSELME.

1430 Tandis que vous irez, sur quelque bagatelle
Pourrions-nous sans témoins parler mon Gendre et moy ?
Je le trouve à propos.

ORONTE.

Lyse, retire toy.
Vous pouvez tout icy.

LE MARQUIS à Carlin.

Le Beaupere demeure.

LYSE au Marquis.

Monsieur, défaites-nous du Vieillard.

LE MARQUIS.

Tout à l’heure320.
1435 Carlin, s’il va parler ?

SCENE IX. §

ANSELME, LE MARQUIS, CARLIN.

ANSELME.

Comme on ne peut trop tost
Appaiser les debats qui…

LE MARQUIS.

Le reste à tantost,
Serviteur.

ANSELME.

Quatre mots.

LE MARQUIS.

En maison étrangere,
N’en eust-on qu’un à dire, il est bon de se taire.

ANSELME.

[p. 92]
Puisqu’on sçait que pour vous ma Fille…

LE MARQUIS.

On ne sçait rien,
1440 Décampez.

ANSELME.

A quoy bon me pousser ?

LE MARQUIS.

Je sais bien,
A quoy bon m’étourdir, vous ?

ANSELME.

L’avis* est utile.

LE MARQUIS.

Je ne veux point d’avis*.

ANSELME.

Ecoutez.

LE MARQUIS.

L’imbecille !
Faire écoutez les Gens*.

ANSELME.

N’entrez point en couroux ;
Si vous sçaviez…

LE MARQUIS.

Tantost j’iray sçavoir chez vous,
1445 Ne vous suffit-il pas ?

ANSELME.

Peut-estre…

LE MARQUIS.

Allez m’attendre.

ANSELME.

Vous estant tout de mesme offert à moy pour Gendre…

LE MARQUIS.

Tu ne te tairas point, vieux loup-garou321 ?

ANSELME.

[p. 93]
Pourquoy ?
Vous ne vous moquerez d’Olympe ny de moy,
Je ne suis que Bourgeois, mais…

LE MARQUIS.

Qui te le conteste ?

ANSELME.

1450 Chacun vaut ce qu’il vaut, je ne dis pas le reste.
Adieu.

CARLIN au Marquis ;

Qu’il est mutin* !

LE MARQUIS.

Le traistre m’a perdu.

CARLIN.

Je croy que la Comtesse aura tout entendu.

LE MARQUIS.

J’enrage.

CARLIN.

La voicy qui sort toute éplorée322.

SCENE X. §

LE MARQUIS, VIRGINE, LYSE, CARLIN.

VIRGINE.

Ah, Monsieur le Marquis, je suis desesperée.

LE MARQUIS.

1455 Ma Reine, un peu de cœur.

VIRGINE.

Non, laissez-moy mourir.

LE MARQUIS.

Ne vous pressez point tant, j’ay dequoy vous guerir.

VIRGINE.

[p. 94]
Vous ?

LE MARQUIS.

Moy.

VIRGINE.

De ce Vieillard n’estes vous pas le Gendre ?
Olympe…Ah non fatal, que me viens-tu d’apprendre* ?
C’estoit donc vous…

LE MARQUIS.

En vain* je l’ay dissimulé,
1460 Je suis le Campagnard* dont on vous a parlé,
Et pourtant pas trop dupe.

VIRGINE.

Olympe a sceu vous plaire ?
Ah !

LE MARQUIS.

Je n’ay fait le sot* que pour berner mon Frere,
Certain Cadet qu’au monde on voit mince et leger323,
Et qui pour mes peschez n’en veut point déloger.
1465 Charmé de cette Olympe il croit qu’à ma requeste
On tiendroit sa recherche un party fort honneste*,
Mais comme, à le bien prendre, il n’est bon qu’à noyer,
Au diable si pour luy je voulus m’employer,
Loin de cela, craignant qu’il n’obtint ce qu’il aime,
1470 Je courus m’asseurer du party pour moy-mesme.

VIRGINE.

C’est là mon desespoir, qu’une Bourgeoise…

LE MARQUIS.

Non.
En m’offrant au Veillard parlois-je tout de bon ?

VIRGINE.

Mais le dédit* signé…

LE MARQUIS.

Quitte à l’aller reprendre,
Deux mots, et trop heureux encor de me le rendre.

VIRGINE.

[p. 95]
1475 Vous iriez chez Olympe ? ah, ne me quittez pas.
Si l’ardeur de ma flâme* a pour vous quelque appas*,
Pour ne troubler en rien l’heur* de ma destinée,
Avant que voir personne achevons l’hymenée,
Après, s’il faut payer le dédit*, j’ay du bien.

LYSE.

1480 A quoy qu’il puisse aller, pour tous deux ce n’est rien,
Mais, Madame, en payant voulez-vous que l’on dise
Qu’un Marquis d’un Bourgeois soit la dupe ?

VIRGINE.

Quoy, Lyse,
Tu veux donc hazarder*

LE MARQUIS.

Que hazarderez*-vous ?

VIRGINE.

L’amour n’est guere fort quand il n’est point jaloux.
1485 Olympe vous voyant essayera de vous plaire.

LE MARQUIS.

Je sçay sa tache, il faut y rembarquer324 mon Frere.
Ma foy, je riray bien si pour don nuptial
Je le voy regalé d’un broüet325 de haut mal.

VIRGINE.

Mais ne peut-elle pas vous paroistre si belle…

LE MARQUIS.

1490 Rien n’est plus laid.

VIRGINE.

Enfin vous me serez fidele ?

LE MARQUIS.

Le dédit* rendu nul, je suis à vous ce soir,
Touchez, foy de Marquis.

VIRGINE.

Je vis sur cét espoir,
Mais si vous me trompez…

LE MARQUIS.

[p. 96]
Vous tromper ! je n’ay garde.

VIRGINE.

Craignez tout, il n’est rien où je me hazarde*.
1495 Eclat, emportement*, fer, poison.

LE MARQUIS.

J’auroy soin*
En pressant mon retour qu’il n’en soir pas besoin.
Adieu, mon Astre, adieu.
Le Marquis sort.

VIRGINE.

Tout va le mieux du monde.

LYSE.

Auprés de ton Vieillard, pourveu qu’on te seconde,
Les vœux du Chevalier pourront avoir effet.

VIRGINE.

1500 Viens sçavoir avec moy ce qu’Olympe aura fait.

Fin du quatriéme Acte.

[p. I, 97]

ACTE V. §

SCENE PREMIERE. §

OLYMPE, VIRGINE.

VIRGINE.

Demeurez-en d’accord, Madame, quand on aime
On trouve grand plaisir à se gêner* soy-mesme.
Des rebuts du Marquis vostre Père en couroux
Semble estre encor de luy plus dégousté que vous,
1505 Et ce qui doit sur tout flater vostre esperance,
Avec le Chevalier il est en conference.
Cependant on diroit à vos frequents soûpirs*
Que tout se montre icy contraire à vos desirs.

OLYMPE.

Quoy que du Chevalier les vœux puissent me plaire,
1510 Par où te répons-tu qu’ils plairont à mon Père ?
Que sur luy son merite aura mesme pouvoir ?

VIRGINE.

S’il ne l’agréoit pas, l’auroit-il voulu voir ?

OLYMPE.

Je ne vay pas si viste en ce qui m’interesse326.

VIRGINE.

[p. 98]
Ma foy, je me repens d’avoir esté Comtesse,
1515 De n’avoir pas laissé la chose au mesme point.
Vous ne meritez pas…

OLYMPE.

Ne me querelle point.

VIRGINE.

Et le moyen ? N’estoit que je vous considere*
Pour avoir fait ma paix avecque vostre Père,
Vous n’en seriez pas quitte.

VIRGINE.

Au moins tu m’avoüeras
1520 Que de pareils soucis causent de l’embarras.
Le bien pour les Vieillards est une douce amorce327,
A consentir à tout c’est par là qu’on les force,
Le Chevalier en manque.

VIRGINE.

Et celuy du Marquis ?
A ce Frere déjà je le tiens tout acquis.
1525 Imperieux328, fantasque329, et plein d’extravagance
Qui voudroit l’épouser ? Ce seroit conscience,
Et j’en détournerois… S’il me vouloit pourtant
Je prendrois le party d’un cœur assez content,
Et ferois ce me semble, avecque plus d’adresse,
1530 La Marquise à bon jeu, que la fausse Comtesse,
Lors à bon chat, bon rat330 ; s’il vouloit estre sot,
Peut-on pas contenter les gens* sans dire mot ?

OLYMPE.

Tu seras toûjours folle. [p. 99]

SCENE II. §

OLYMPE, VIRGINE, CARLIN.

VIRGINE.

Et bien, quelle nouvelle,
Le Marquis ?

CARLIN.

Ton air fin* luy broüille la cervelle,
1535 Du grand don d’estre beau tout entesté qu’il est
Il voit rire toûjours quand on luy dit qu’il plaist,
Ton serieux le charme, et ce soir il se conte
D’aller, en t’épousant, gagner le nom de Comte.
Son fait331 à retirer le met seul en soucy.

OLYMPE.

1540 Doit-il venir bien-tost ?

CARLIN.

Je le croyois icy.
Il aura sur ses pas trouvé quelque Marquise.

OLYMPE.

Mais par le Chevalier s’il voit la place prise,
N’aura-t’il point d’ombrage* ?

CARLIN.

Il n’en est plus jaloux,
Et cela, grace au bien que l’on a dit de vous.
1545 Madame la Comtesse, outre la gueuserie*,
Vous a donné d’un plat sa matoiserie332,
Si vous ne le sçavez, vous tombez du haut mal.

OLYMPE.

A se rendre credule il n’a point son égal.

CARLIN.

[p. 100]
Ces pretendus defauts peuvent tant sur son ame,
1550 Qu’avec joye à son Frere il vous cede pour Femme.

VIRGINE.

Mais dégagé d’icy, quand il voudra ce soir
Aller chez la Comtesse essayer son pouvoir,
Et qu’au lieu d’y trouver un accueil amiable
On luy dira neant ?

CARLIN.

Ce sera bien le diable.

VIRGINE.

1555 Tu l’iras consoler.

CARLIN.

Peste*, il y feroit chaud.
Il n’est pas toutefois plus méchant qu’il ne faut,
J’en viendray bien à bout, et pourveu que Virgine…

OLYMPE.

Tu prétens l’épouser, et je te la destine.
Jamais en me servant on ne perd avec moy.

CARLIN à Virgine.

1560 Ah, ma chere Comtesse.

SCENE III. §

OLYMPE, LUCRECE, VIRGINE, CARLIN.

LUCRECE à Olympe.

Enfin, réjoüis-toy,                1560
Cousine, dans tes vœux tu n’as rien de contraire,
L’esprit du Chevalier plaist si fort à ton Père,
Que pour l’avoir pour Gendre, au hazard du dédit*, [p. 101]
Si faloit éclater il n’est rien qu’il ne fist.
1565 Ainsi des deux côtez la parole est donnée,
Et c’est de ton aveu333 que dépend l’hymenée,
On t’attend pour cela.

VIRGINE à Olympe.

Courez donc promptement.

LUCRECE.

J’ay déjà répondu de ton consentement.
Mais enfin pour la forme il est bon qu’on te voye,
1570 Viens.

VIRGINE à Olympe.

Vous craignez, je croy, d’en montrer de la joye,
C’est bien fait, vostre honneur par là seroit noircy.

OLYMPE.

Tu ne changeras point.

VIRGINE.

Je vous attens icy,
Allez, sur le grand ouy faites bien la grimace*.

SCENE IV. §

CARLIN, VIRGINE.

CARLIN.

Tu n’oses donc encor…

VIRGINE.

Je suis remise en grace,
1575 Et sans plus de façon, je me montre au Vieillard,
Mais je crains le Marquis.

CARLIN.

C’est une affaire à part.

VIRGINE.

[p. 102]
S’il m’avoit icy veuë en habit de Suivante,
Comme la fourbe alors deviendroit apparente,
Piqué de cet affront, dans son secret dépit,
1580 Penses-tu qu’il voulust renoncer au dédit* ?

CARLIN.

Il tiendroit bon sans doute, et feroit de la peine.

VIRGINE.

Cependant n’ay-je pas dequoy faire la vaine ?
Mon rôle de tantost ne se peut mieux joüer,
Me suis-je démentie334 ?

CARLIN.

Il le faut avoüer,
1585 Tes charmes rehaussez m’ont fort chatoüillé l’ame,
Mais avec ton talent de faire la grand’ Dame,
Quand tu seras à moy, ne va pas t’aviser
De devenir Comtesse, ou de t’emmarquiser.
Il est, sans chercher loin, certains Marquis et Comtes
1590 Qui sur la gaye intrigue* ont les démarches promptes.
Et je n’aimerois pas que s’adressant à toy,
Ma Race de par eux fust plus noble que moy.

VIRGINE.

Le beau raisonnement !

CARLIN.

Quand on craint la disgrace,
Il fait bon…

VIRGINE.

Va là-bas sçavoir ce qui se passe,
1595 Et lors que tu verras le Marquis arriver…
Mais… [p. 103]

SCENE V. §

LE MARQUIS, VIRGINE, CARLIN.

LE MARQUIS à un domestique d’Anselme.

Cours dire au vieillard qu’il me vienne trouver,
Que je pretens icy m’expliquer teste à teste.

VIRGINE à Carlin.

C’est luy, tout est perdu, Dieux !

CARLIN.

Ne fay pas la beste335,
Il se faut comme on peut tirer d’un mauvais pas.

LE MARQUIS.

1600 Me trompay-je, Carlin ?

VIRGINE.

Ne me découvrez pas,
Marquis.

LE MARQUIS.

C’est la Comtesse. Ah, ma chere.

CARLIN à Virgine.

Courage.

LE MARQUIS.

Vous trouvez chez Anselme, et dans cét équipage336 !

VIRGINE.

Je vous aime, et l’amour cause bien du soucy.
Carlin, dy luy pourquoy je me déguise ainsi.

CARLIN.

1605 Monsieur, c’est qu’elle a craint qu’Olympe… Dans son ame.
Si vous connoissiez bien ce que l’amour… Madame,
Vous direz mieux vous-mesme à Monsieur le Marquis… [p. 104]

VIRGINE.

Ne le juge-t’il pas ? J’aurois fait encor pis
Si pour remedier au mal qui me tourmente
1610 Il n’avoit pas suffy de me faire suivante.
Olympe en cherchoit une, et j’ay sans hesiter
Employé mon adresse à me faire accepter.
Restant chez moy sans vous, mon amour en alarmes
Eust de vostre Bourgeoise apprehendé les charmes,
1615 Et pour peu de pitié que son malheur vous fist,
Vous croyant son époux, j’aurois perdu l’esprit.
Icy presente à tout je soûtiendray peut-estre
Les bontez que déjà vous m’avez fait paroistre,
Voyant ce que je fais vous me prefererez.

LE MARQUIS.

1620 J’ay de ravissement337 les sens tous égarez.
Carlin, ay-je le don de charmer les mieux faites ?
Des Comtesse pour moy se changer en soubretes338,
Se resoudre à servir plûtost que hazarder*
Qu’une autre seul à seul puisse me regarder !
1625 Je vaux trop, Dieux me sauve.

VIRGINE.

Ay-je l’heur* de vous plaire
Par ce que vous voyez que l’amour m’a fait faire ?

LE MARQUIS.

Il vous a fait choisir un employ des plus bas,
Mais enfin c’est pour moy, vous ne le perdrez pas.

VIRGINE.

Pourvû que vous rompiez, et qu’Olympe ait la honte…

LE MARQUIS.

1630 Laissez faire, à present la Bourgeoise à son compte,
Mais pour la faire rire, et vous mettre en repos, [p. 105]
Je pretens devant vous luy dire quatre mots,
Elle les entendra.

VIRGINE.

Sur tout sans plus attendre
Déchirons le dédit*.

LE MARQUIS.

Je sçay par où m’y prendre :
1635 Mais pour m’encourager…

VIRGINE.

Ah, point d’emportement*.

LE MARQUIS.

Ma Comtesse.

VIRGINE.

Arrestez.

LE MARQUIS.

Un baiser seulement,
Je vous en tiendray compte, et…

SCENE VI. §

ANSELME, LE MARQUIS, VIRGINE, CARLIN.

ANSELME.

La piece est galante*,
Vous fuyez la Maistresse, et courez la suivante ?

LE MARQUIS.

J’en veux par là. Cassé339, vieux, et prest à mourir,
1640 Vous enragez assez de ne pouvoir courir.

ANSELME.

Continuez340, le jeu commençoit à vous plaire.

VIRGINE à Anselme.

[p. 106]
Ne croyez pas, Monsieur…

ANSELME.

Tay-toy.

LE MARQUIS.

Pourquoy se tayre ?
Je veux qu’elle raisonne, et quand il me plaira
Malgré vous et vos dents elle raisonnera.

ANSELME.

1645 Vous prenez son party d’un air…

LE MARQUIS.

Je veux le prendre,
Qu’en est-il ?

VIRGINE à Anselme.

Si Monsieur…

ANSELME.

Encor ? il faut t’entendre.
C’est depuis un moment qu’on t’a receuë icy,
Et déjà…c’est assez, n’en sois point en soucy.
Rentre.

LE MARQUIS.

Pourquoy rentrer ?

ANSELME.

Rentre te dis-je.

LE MARQUIS.

Ventre.
1650 Gardez de m’échaufer, je ne veux pas qu’elle entre.

ANSELME.

Quoy, toûjours vos je veux ?

LE MARQUIS.

Ma foy, j’en suis d’avis*
Qu’un pied plat341 comme vous glose* sur un Marquis.

ANSELME.

[p. 107]
Vous l’estes, et je sçay ce qu’est vostre famille,
Mais d’où vient ce mépris quand vous aimez ma Fille ?
1655 Son hymen* avec vous n’est-il pas résolu ?
Vous le vouliez tantost

LE MARQUIS.

Je veux l’avoir voulu,
Bon pour lors, à présent il me plaist de m’en rire.

ANSELME.

Mais dans ma Fille encor que trouvez-vous à dire ?
N’est-elle pas…

LE MARQUIS.

Elle est tout ce qu’il vous plaira,
1660 Je n’en veux point.

ANSELME.

Demain cette humeur passera.

LE MARQUIS.

Point. Comme il parle doux !

ANSELME.

L’affaire est donc concluë ?

LE MARQUIS.

Ouy, plaignez-vous, pestez*.

ANSELME.

La plainte est superfluë.
Je diray seulement sans plus d’émotion
Que nous avions tous deux la mesme intention,
1665 Et que je ne venois que pour vous faire entendre
Que jamais, moy vivant, vous ne seriez mon gendre.

VIRGINE au Marquis.

L’occasion est belle, au dédit*, promptement.

LE MARQUIS.

Je vous sçay fort bon gré d’enrager doucement.
Sus342, rendez-moy mon fait, voicy le vostre ; viste. [p. 108]
1670 Vostre Madame Olympe où fait-elle son giste343 ?    
Il nous la faut icy, je la veux pour témoin.

ANSELME.

Pour rester quitte à quitte on n’en a pas besoin.

LE MARQUIS.

Non, ce vous semble ; va, fay venir ta Maitresse,
Dépesche.
Bas à Virgine.
Pardonnez, ma divine Comtesse,
1675 Pour duper le barbon il faut vous tutoyer.

VIRGINE.

Vous attendrez fort peu, je vay vous l’envoyer.

SCENE VII. §

LE MARQUIS, ANSELME, CARLIN.

LE MARQUIS.

Ce coup inopiné vous rabatra la hupe.
Franchement vous pensiez que je fusse une dupe,
Et que m’estant laissé bonnement prendre au mot
1680 Avec vous tout de grand j’allois faire le sot* ?

ANSELME.

Quand vous m’auriez tenu…

LE MARQUIS.

Je sçay de vos nouvelles.
Diable, quel maistre Sire avecque ses tutelles* !
Sur ces cent mille escus dont on m’a crû leurrer.
Dites, combien la Niéce a-t’elle à retirer ?

ANSELME.

1685 De quoy me parlez-vous ?

LE MARQUIS.

[K, 109]
On m’a dit le mystere.
Pour la Fille, elle a trop herité de sa Mere.
Tombe-t’elle souvent… Là, vous m’entendez bien ?

ANSELME.

Est-ce donc que ses yeux ne luy servent à rien ?
Tomber !

LE MARQUIS.

Ce vilain mal, puisqu’il faut qu’on s’explique,
1690 En quel temps devient-il plus ou moins domestique ?
Hem ?

ANSELME.

J’ignore à quoy tend ce galimatias*.

CARLIN Au Marquis.

Ne voulant point entendre, il ne répondra pas.

LE MARQUIS.

Voicy sa Geniture344.

SCENE VIII. §

LE MARQUIS, ANSELME, OLYMPE, VIRGINE, CARLIN.

LE MARQUIS.

Approchez, nostre Prude*.

OLYMPE.

Je vous ay dit tantost quelque chose de rude,
1695 Vous en estes choqué, mais si vous estiez prest
A recevoir l’excuse…

LE MARQUIS.

Alte-là, s’il vous plaist,
Tantost, faute d’avoir oüy de moy fleuretes*, [p. 110]
Vous avez fait la folle, et c’est ce que vous estes ;
Mais quand vous auriez eu l’accueil benin* et doux,
1700 Vous parlant d’épouser, je me mocquois de vous.
Outre qu’à droite, à gauche, et devant, et derriere,
Vostre race a l’honneur d’estre fort roturiere,
Vous possedez encor tres personnellement
Tout ce que la laideur peut avoir d’ornement ;
1705 Vous estes sote*, vieille, impertinente, gueuse*,
Sans esprit, sans talent que celuy de grondeuse,
Et le Diable qui loge avecque les Hyboux,
Voulant se marier, ne voudroit pas de vous.
A Virgine bas.
Ma Comtesse.

VIRGINE bas au Marquis.

J’entens.

ANSELME.

Vous ne pouviez mieux dire.

LE MARQUIS.

1710 Qu’elle m’en dise autant, je n’en feray que rire.
On me connoit.

OLYMPE.

Autant ! à vous le beau des beaux !

LE MARQUIS.

Afin de m’adoucir vous direz mots nouveaux,
Point de rapatriement ; cela vaut fait, rupture.

VIRGINE bas au Marquis.

Viste.

LE MARQUIS.

Pour déchirer déployons l’écriture.
1715 Allons, vieux Roquentin345, les armes à la main.

VIRGINE Prenant le billet du Marquis qu’elle déchire.

Donnez-moy, vous seriez d’icy jusqu’à demain.

LE MARQUIS.

[p. 111]
Bon, voyla ton dédit*, Bourgeois.

ANSELME déchirant son billet.

Et voyla comme
Je fais estat du tien, Monsieur le Gentilhomme*.

LE MARQUIS.

La colere vous prend, ne vous contraignez pas,
1720 Enragez à vostre aise, et faites du fracas.
A Olympe.
Fort bien, il vous faloit des Marquis ?

OLYMPE.

Je l’avouë,
J’ay touchant vostre hymen* merité qu’on me jouë.
Mais vous trouverez bon que fort modestement
Je vous fasse à mon tour un leger compliment,
1725 Et ne vous cache plus que si prendre une femme
Est un dessein* fixé que vous ayez dans l’ame,
Vous estes obligé par beaucoup de raisons
D’en aller choisir une aux petites maisons346.
Vous avez le cerveau…

LE MARQUIS.

Tout doux, ma Colombelle,
1730 Je sçay que je vous fais une injure mortelle,
Vous laisser encor Fille347 est un tort des plus grands,
Mais ne vous fâchez point, tout vient avec le temps.
De peur qu’à trop garder ce vieux nom qui vous choque,
Vostre virginité vous presse et vous suffoque,
1735 Demain, je vous amene un Galant* achevé,
Joly, beau.

ANSELME.

J’ay sans vous un Gendre tout trouvé,
Qu’on le fasse venir.

LE MARQUIS.

Ah, voyons donc ce Gendre.
Trois jours après l’hymen* c’est un homme à se pendre.
Et la chere Lucrece, elle n’est point icy ? [p. 112]
1740 Je la cherchois des yeux.

OLYMPE.

Vous met-elle en soucy ?
Virgine, promptement.

LE MARQUIS.

Vous l’appellez Virgine ?

OLYMPE.

Pour Monsieur le Marquis adverty ma Cousine.

LE MARQUIS arrétant Virgine.

Elle l’advertira si je veux. Demeurez.
Vous vous faites servir, ma foy ; vous en aurez
1745 Des valets qui plus hauts que vous de trois estages,
Quand vous commanderez se mettront à vos gages*.

ANSELME.

Il est fort pour Virgine348, et ne sçauroit souffrir*

LE MARQUIS.

Demain, vous en pourrez tout au long discourir.
Bouche close aujourd’huy, Compere.

ANSELME.

Elle est heureuse,
1750 Et tandis que ma Fille est sote*, vieille, gueuse*,
C’est pour elle un sujet d’orgueil…

LE MARQUIS.

Voyla le point,
Vous y touchez du doigt, et ne l’entendez point,
Laissez faire à l’Orgueil, il vous promet miracle.

ANSELME.

Monsieur le Chevalier n’y mettra pas d’obstacle. [p. 113]

SCENE IX. §

ANSELME, LE MARQUIS, LE CHEVALIER, OLYMPE, LUCRECE, VIRGINE, CARLIN.

ANSELME au Chevalier.

1755 Venez, on vous attend pour un ordre assez doux,
J’ay repris ma parole, et ma Fille est à vous.
Donnez-luy vostre main.

LE CHEVALIER.

L’aurois-je pû prétendre349 ?
Quel heur* !

LE MARQUIS.

C’est mon Cadet, bon jour, Monsieur le Gendre,
Je suis ravy du choix, quand je la régalois350
1760 De l’offre d’un Amant*, c’est luy dont je parlois.

LE CHEVALIER.

A l’obtenir pour moy vous avez eu grand zele*.

LE MARQUIS.

Trop heureux de l’avoir quand je ne veux plus d’elle.
Te voila bien, Cadet, tiens-y-toy.

ANSELME.

Je pretens
Que tous trois nous auront sujet d’estre contents,
1765 Et qu’entre nous jamais ny discorde ny guerre…

LE MARQUIS à Anselme.

Et quand il la verra se debatre par terre,
Faire des cris, hurler, rira-t’il bien ?

ANSELME.

[p. 114]
Dequoy ?

LE MARQUIS.

Dequoy ? Le fin* Renard.

ANSELME.

C’est de l’Hebreu pour moy.

LE MARQUIS.

Ne craignez rien, je sçay ce qu’il faut qu’on luy cache,
1770 Ils sont bien assortis, chacun d’eux a sa tache.
Mon Cadet est sans bien, je vous l’ay déjà dit,
Mais…

ANSELME.

Il aime la gloire, et cela me suffit.
Si quelque qualité* peut en luy me déplaire,
Puis qu’il faut parler franc, c’est qu’il est vostre frere.

LE MARQUIS.

1775 S’il ne tient qu’à cela, pour vous rendre content
Je me défraternise351, il en peut faire autant,
Laisser du nom Lorgnac la noblesse en arriere,
Et se faire appeller Monsieur de l’Anselmiere.
La Seigneurie est belle, et bien digne de vous,
1780 Pere Anselme.
A Lucrece.
Le père et la Fille sont fous,
Qu’en dites-vous, ma Belle ? Il vous faut que je pense
Pour les pouvoir souffrir, grand fond de patience ?

LUCRECE.

Vous me croyez peut-estre encor plus folle qu’eux ?

LE MARQUIS.

Vous croire folle ? Ah non, c’est bien assez de deux,
1785 Et d’ailleurs j’ay pour vous…

LUCRECE.

J’en devine la cause,
On m’a dit que je dois vous estre quelque chose
Que vous épouserez la Comtesse.

LE MARQUIS.

[p. 115]
Comment,
Qui vous l’a dit ?

LUCRECE.

Qu’importe à quand l’hymen* ?

LE MARQUIS.

Vrayement ?
La Comtesse ! c’est bien mon amour qu’elle brigue352.

LUCRECE.

1790 Pourquoy non ?

LE MARQUIS.

Demande à nostre vieux Rodrigue
Si la plus miserable accepteroit mon cœur.

ANSELME.

Vous pensez-vous railler* ? Je plaindrois son malheur,
Et si j’en estois crû, quoy que le bien nous tente,
Virgine que voilà qui n’est qu’une Suivante,
1795 Quand vous la voudriez…

LE MARQUIS.

Il est bon, sur ma foy,
Virgine ! le moyen qu’elle voulust de moy ?
Mon bel Ange, parlez, que faut-il que j’en croye ?

VIRGINE.

Jugez-en. [p. 116]

SCENE X. §

ANSELME, ORONTE, LE MARQUIS, OLYMPE, LUCRECE, LE CHEVALIER, VIRGINE, CARLIN.

ORONTE.

Je vous viens faire part de ma joye,
Ma sœur est arrivée enfin selon mes vœux,
1800 Et demain je me vois en estat d’estre heureux.

VIRGINE au Marquis.

Je me cache un moment afin de le surprendre.

ANSELME à Oronte.

C’est d’elle pour l’hymen* que le jour se doit prendre.

ORONTE au Chevalier.

Pour surcroist d’allegresse on m’a là bas appris
Ce que doit vostre amour à Monsieur le Marquis.
1805 S’il daignoit honorer ma Sœur d’une visite,
Elle est civile353, douce, et connoit son merite.

LE MARQUIS.

Vous ne m’apprenez rien, n’en soyez point jaloux,
Je l’ay veuë, et sçavois son retour avant vous.

ORONTE.

Vous l’avez veuë ?

LE MARQUIS.

Hola, qu’on appelle Virgine.
1810 Que j’en vay voir icy qui feront grise mine !

VIRGINE.

[p. 117]
On a besoin de moy, qu’est-ce ?

LE MARQUIS à Oronte.

Ne dites mot.

ORONTE.

D’où vient que…

LE MARQUIS à Oronte.

Nous verrons qui de nous est le sot*.
Motus.

CARLIN au Chevalier.

Garde mon dos, ce n’est plus raillerie*.

LE CHEVALIER.

Va, ne crains rien.

VIRGINE.

Tandis que chacun se marie,
1815 Si j’en faisois autant ?

ORONTE.

Virgine a de l’esprit.

ANSELME.

L’exemple tout d’un coup la met en appetit.

VIRGINE.

J’ay promis en secret, puis-je tenir parole ?

LE MARQUIS.

Vous allez voir à qui.

VIRGINE.

C’est la fin de mon rôle,
Touche, Carlin.

CARLIN.

Mon tout, ma Virgine !

LE MARQUIS.

Maraut*.
A Oronte.
1820 Elle se divertit.

VIRGINE au Marquis.

Je n’ay pas le cœur haut.
Si pourtant vous pouviez vouloir d’une Suivante, [p. 118]
Je suis vostre tres-humble et tres-tendre Servante.

LE MARQUIS.

La Suivante m’a pleu, me plaist, et me plaira.

ANSELME.

Quel est donc ce mystere ?

LE MARQUIS.

Oronte le dira.

ORONTE à Anselme.

1825 Je m’y perds comme vous.

LE MARQUIS à Anselme.

Il veut pousser la piece,
La Virgine est sa sœur, Madame la Comtesse.

ORONTE.

Ma Sœur ?

ANSELME.

Qui nous rendra raison de tout cecy ?
Depuis un an et plus Virgine sert icy,
Après l’avoir chassée on vient de la reprendre,
1830 Et c’est une Comtesse ! y peut-on rien comprendre ?

LE MARQUIS.

Carlin.

CARLIN.

Monsieur.

VIRGINE.

Je puis débroüiller ce cahos354.
Si l’on veut m’écouter j’auray fait en deux mots.
Le Marquis pretendant épouser ma Maitresse
J’ay pour l’en dégouster contrefait* la Comtesse
1835 Et par là luy faisant pour moy tout oublier
J’ay levé tout obstacle aux vœux du Chevalier.

LE MARQUIS.

M’avoir fourbé ?

VIRGINE.

[p. 119]
J’ay tort ; mais Carlin qui me gaste…

LE MARQUIS.

Ah, coquin355, tu mourras.

CARLIN.

Moy ? je n’ay point de haste*.

LE CHEVALIER.

Ce Valet est à moy, point de bruit, s’il vous plaist.

LE MARQUIS.

1840 D’un gibier de bourreau tu prens donc l’interest,
Cadet maudit ; et toy rieuse356 ridicule,
Epouse-le, j’en dois avaler la pillule ;
C’en est fait, je voy bien qu’en pensant l’attraper
Moy-mesme je me suis enfin laisser duper.
1845 Pour un fat357 comme luy qui n’avoit pas la maille,
Cent mille écus sont beaux, il en fera gogaille* :
Mais puisse-t’il se voir plus marqué sur le front
Que cent des mieux tymbrez ensemble ne le sont.
Que le nombre d’enfans vous rendant miserables
1850 Vous fasse chaque jour donner à tous les diables ;    
Puissiez-vous en saize ans en avoir trente-deux
Tous borgnes, tous bossus, tous tortus, tous boiteux ;
Si-tost qu’ils seront grands, que chacun d’eux vous crache,
A toy sur la criniére358, à toy sur la moustache,
1855 Et pour l’achevement d’un malheur consommé,
Qu’ils soient haïs par tout comme je suis aimé.
Il sort.

ORONTE.

Vous en voilà défaits359.

VIRGINE.

Et tout par mon adresse.
Quel present360 fera-t’on à la fausse Comtesse ?
Il m’en faut un de nopce*, et des plus beaux. [p. 120]

ANSELME.

Suy-nous,
1860 C’est moy qui dois payer, et je répons361 pour tous.

FIN.

Glossaire §

Accommodant
« Qui est facile, qui veut bien ce que les autres veulent ».
V. 91
« Ce qui nous fait grand bien » (F).
V. 172
Accorte
Courtoise, complaisante, qui s’accomode à l’humeur des personnes. (Ac)
V. 394, 1321
Amant
« Celuy qui aime d’une passion violente et amoureuse » (F).
Appas
« Charmes, attraits, agrément, ce qui plaist […] Il se dit encore plus particulierement en parlant des attraits et de la beauté des femmes » (Ac).
Apprendre
« Estre informé de quelque chose » (F)
V. 229, 1182, 1458
Enseigner.
V. 1265
Attraits
« Se dit poëtiquement de la beauté » (F).
Avis
Le terme présente le sens courant de « sentiment, opinion » (F)
V. 1151, 1651
« Instruction qu’on donne à quelqu’un de quelque chose qu’il ignore, ou à quoy il ne prend pas garde » (F).
V. 543, 1441, 1442
Au besoin
En cas de nécessité.
V. 71, 96, 335, 1201
Badinage
« Petite folastrerie, divertissement peu serieux » (F).
V. 1118, 1165
Benin
Doux.
V. 428, 1699
Brave
« Excellent en sa profession […] qui fait toutes choses d’une maniere noble et honneste » (F).
V. 194, 352, 842
Campagnard
Provincial, « qui n’est pas habitué à Paris, qui est de quelque Province du Roiaume de France » (R).
Charmant
« Qui plaist extraordinairement, qui ravit en admiration » (F).
V. 208, 268, 1148
Civilité
« Compliment ».
V. 868
« Maniere honneste, douce et polie d’agir, de converser ensemble » (F).
V. 963
Considerer
« Estimer une chose pour sa valeur, pour son merite » (F).
V. 148, 1517
Contrefaire
« Imiter quelque chose, et tâcher à la rendre semblable » (F).
V. 1834
D’abord que
La locution d’abord que est utilisé pour introduire une subordonnée temporelle. Il désigne un point de départ et a donc le même sens que dès que, aussitôt que, ou depuis que.
V. 5, 278, 417
Dédit
« Sorte de retractation » (R).
Dessein
« Projet, entreprise, intention » (F).
Drille
« Terme de raillerie. Fantassin, soldat à pied » (Ac).
V. 446
Emportement
« Mouvement de l’ame qui la fait sortir hors des bornes de la raison » (F).
Empressement(s)
« Mouvement que se donne celuy qui recherche une chose avec ardeur » (Ac), « Soins ardens et pleins de zéle » (R).
Entretenir
« Discourir avec une ou plusieurs personnes » (F). Notons que le verbe s’utilise de manière transitive et non pronominale comme il est d’usage actuellement.
V. 547, 598
Fadaise
« Chose fade, de neant, sottise, bagatelle » (F).
V. 395, 682
Feu
« La passion de l’amour », « l’ardeur » (Ac)
V. 12, 236, 652, 999, 1298
Enflamé : épris d’amour
V. 687
Flâme
« La passion de l’amour » (Ac).
Figure
Personnage.
V. 77
Représentation (R).
V. 325
Fin
« Subtil, delicat, rusé » (F).
Finesse
« Ruse, adresse, artifice » (F).
V. 58
Fleurette
« Qui ne se dit qu’au figuré de certains petits ornements du langage, et des termes doucereux dont on se sert ordinairement pour cajeoller les femmes. C'est un diseur de fleurettes. Il conte fleurettes à cette Dame, c’est à dire, Il luy fait l’amour. » (F).
V. 279, 818, 1697
Fripon
« Ce mot se dit entre amans et amantes, mais toujours en riant et badinant » 
V. 1403
Friponne
« Coquine, fourbe ».
V. 573
« Se dit en riant, lors qu’on parle à une Dame qu’on aime » (R).
V. 970
Gages
« Salaire, Ce que l’on donne aux serviteurs par an, pour payement de leurs services » (Ac).
V. 162, 1746
Galant
Agréable.
V. 51, 343, 564, 939, 1033, 1211
Le terme est utilisé en tant que substantif et signifie « Amant, amoureux » (Ac)
V. 287, 1735
Galante
Le terme est utilisé ici dans une connotation négative qui le met en relation avec la courtisanerie.
V. 1637
Galimatias
« Discours embrouillé et confus qui semble dire quelque chose et ne dit rien » (Ac).
V. 1691
Garantir
« Preserver » (Ac).
Gêner
Tourmenter (Rey)
V. 861, 1502
Gens
Le terme présente le sens courant de « personne ».
« Les domestiques d’un même maistre » (F).
V. 550, 747 (x 2), 961, 1386, 1422
Gentilhomme
« Homme noble d’extraction, qui ne doit point sa Noblesse ni à sa charge, ni aux Lettres du Prince » (F).
Glose
« Explication faite mot à mot et fidélement sur le texte »
V. 397
Gloser
« Trouver à redire. Reprendre. » (R).
V. 1652
Gogaille
« Réjoüissance » (Ac).
V. 1846
Grave
« Serieux, qui agit, qui parle avec un air sage, avec dignité et circonspection »
V. 325, 570
Gravement
« D'une maniere grave et composée » (Ac).
Grimace
« On dit aussi, qu’un habit, qu’un collet font la grimace, pour dire, qu’ils sont mal taillez, mal empesez, qu’ils ne vont pas bien sur le corps » (F)
V. 1214
« On dit fig. Faire la grimace à quelqu’un, pour dire, Luy faire mauvaise mine, mauvais accüeil » (Ac).
V. 1573
Gueuser
Mendier.
V. 157
Gueuserie
Indigence, misere, pauvreté.
V. 52, 190, 213, 1545
Gueux, gueuse
« Mendiant. Homme ou femme qui demande l’aumosne, qui fait mestier de caimander » (Ac).
V. 54, 138, 218, 424, 496, 1705, 1750
Haste
« Empressement, diligence, precipitation » (F).
V. 1838
Hazarder
« Risquer, exposer à la fortune, exposer au peril » (Ac).
V. 868, 1484 (2), 1493, 1623
Heur
« Bonne fortune » (Ac).
Honneste
« Ce qui merite de l’estime, de la loüange, à cause qu’il est raisonnable, selon les bonnes mœurs. On le dit premierement de l’homme de bien, du galant homme, qui a pris l’air du monde, qui sçait vivre » (F)
Le terme est dans ce cas utilisé dans l’expression honneste femme qui « se dit particulierement de celle qui est chaste, prude et modeste, qui ne donne aucune occasion de parler d’elle, ni même de la soupçonner » (F).
V. 338
Hymen
Mariage (F).
Intrigue
« Ce qui se fait par l’adresse et la pratique de certaines personnes qui embrouillent les choses afin d’en profiter »
V. 35
« Signifie quelquefois simplement, Affaire » (F).
V. 1590
Joli, ie
« Mediocrement beau, agreable par sa gentillesse, par ses manieres » (F).
V. 102
Maîtresse
« Celle qui a des domestiques. La femme du mari de quelque logis. »
V. 1, 242, 530
« Celle qui est particulierement aimée de quelque homme. Celle pour qui on a un atachement particulier, soit que cét atachement soit galant, ou sincere » (R).
V. 1009
Mandier
« Chercher avec soin » (R).
V. 293, 640
Maraut
« Terme injurieux qui se dit des gueux, des coquins qui n’ont ni bien ni honneur, qui sont capables de faire toutes sortes de laschetez. » (F).
V. 178, 1819
Mesure
« Ce sont deux silabes. Les grands vers François qu’on apelle Alexandrins sont composez de six mesures » (R)
V. 78, 326
« Se dit figurément en Morale, du menagement des temps, des occasions, et des autres circonstances, qui font reussir, ou qui ruinent toutes les affaires » (F).
V. 90
Mugueter
« Faire le galant, le cajolleur, tascher de se rendre agreable à une Dame » (F).
V. 169
Mutin
« Opiniastre, querelleux, obstiné, testu » (Ac)
V. 743, 1451
Se mutiner
« Refuser d’obeïr, se revolter contre son Maistre, contre son devoir » (F).
V. 965
Nopce
« Mariage » (Ac).
V. 13, 263, 448, 454, 455, 1084, 1859
Ombrage
« Deffiance, soupçon » (Ac).
Original
« Un homme qui est ridicule et singulier en ses manieres, qui fait rire par la nouveauté de ses actions » (F).
V. 123, 935
Peste
« Maladie contagieuse, et ordinairement mortelle » (F)
V. 509
« On s’en sert encore par exclamation et par admiration, et alors c’est une espece d’interjection » (Ac).
Pester
« Monstrer par des paroles aigres et emportées le mescontentement qu’on a de quelque chose » (Ac).
V. 253, 1662
Poly
« Doux, civil, honneste, complaisant, qui pratique de bonne grace tout ce qui regarde l’exterieur de la vie civile » (Ac).
V. 51
Prévenir
Devancer, « anticiper » (R).
V. 991
Prude
« Qui est sage et modeste » (F).
V. 1693
Qualité
« Se dit aussi pour marquer le rang, la condition des personnes »
« Se dit des titres qu’on prend pour plaider, pour agir, pour établir son droit en quelque chose »
V. 983
« Se dit aussi figurément en choses spirituelles et morales. Son esprit a beaucoup de bonnes qualités, il est vif, il est doux, il est ferme, etc. » (F).
V. 1773
Railler
« Ne parler pas serieusement » (Ac)
Raillerie
« Plaisanterie, action de railler » (Ac).
V. 1813
Rare
Singulier.
V. 77, 935
Rival
« Terme relatif, qui se dit de deux personnes qui ont la même pretention: ce qui se dit plus particulierement en gloire, et en amour » (F).
V. 504, 1143
Sang
« Se dit aussi de la parenté, de la race, de la communication qui se fait du sang par la generation » (F)
V. 425, 588
« La plus noble des quatre humeurs qui sont dans le corps de l’animal, et qui entretient sa vie » (F). Ce dernier sens se rapproche de l’acception actuelle de fluide qui circule dans les vaisseaux sanguins.
V. 948
Soin
« Application d’esprit à faire quelque chose »
« On dit, Avoir soin de quelqu’un, pour dire, Pour voir à ses besoins, à ses necessitez, à sa fortune »
V. 187, 794
« On dit, Rendre des soins à quelqu’un, pour dire, Le voir avec assiduité, et luy faire sa cour. Et, Rendre de petits soins à une Dame, pour dire, S'attacher à luy rendre beaucoup de petits services qui luy soient agreables »
V. 670, 712, 724, 924
« Sollicitude, peine d’esprit, soucy » (Ac).
V. 1149
Sot
« Niais, despourveu d’esprit, qui dit et qui fait des impertinences, des actions ridicules » (F).
Sottise
« Action imprudente, niaise, bestise » (F).
V. 781, 1394
Souffrir
« Supporter » (Ac).
V. 1747
Soûpirer
Être amoureux.
V. 18, 61, 1124, 1290
Soûpirs
« Respiration plus forte et plus longue qu’à l’ordinaire, causée souvent par quelque passion, comme l’amour, la tristesse » (Ac).
Soûpirante
Amante.
V. 101
Stile
« Façon particuliere d’expliquer ses pensées, ou d’escrire, qui est differente, selon les Auteurs, et les matieres. Il y a le stile relevé ou sublime, dont on use dans les actions publiques; le stile mediocre ou familier, dont on se sert en conversation; et le stile bas ou populaire, dont on use dans le comique, ou le burlesque » (F).
V. 278, 569, 1262
Tendre
« Tendresse. Penchant. Pante et inclination qui porte à aimer » (R).
V. 89
Terrible
« Qui doit espouvanter, donner de la terreur »
V. 255
« Se dit aussi par exaggeration, de ce qu’on veut traitter de grand, d’extraordinaire, de surprenant » (F).
V. 94
Transports
« Se dit aussi figurément en choses morales, du trouble ou de l’agitation de l’ame par la violence des passions » (F).
Tuteur
« Qui est esleu pour avoir soin de la personne et des biens des enfans qu’un pere ou une mere ont laissé en bas âge » (F)
Tutelle
« C'est une puissance qu’on acorde en Justice au plus proche parent d’un jeune enfant de défendre le bien et d’avoir soin des interêts de cét enfant jusques à ce que cét enfant ait l’âge prescrit par les loix afin de pouvoir gouverner sagement son bien, et ses affaires » (R).
Vain
« Se dit aussi de celuy qui a remporté quelque marque d’honneur qui luy donne de la satisfaction » (F).
V. 46, le terme présente son sens courant actuel de « ce qui est sans fondement, illusoire » aux vers 671, 1294, 1459
Zele
« Affection ardente pour quelque chose » (Ac).

Bibliographie §

Sources §

MORETO, Augustín, El lindo Don Diego, selección, estudio y notas por Eduardo Juliá Martinez, 1966.
CUBILLO de ARAGÓN, Alvaro, Las Muñecas de Marcela. El Señor de noches buenas. Introducción, textos y notas de Angel Valbuena Prat, Madrid, Compañia Ibero-Americana, 1928.

Ouvrages généraux §

Sur le théâtre §

ARISTOTE, La Poétique, texte traduit par J. Hardy, Gallimard, 1996.
CORVIN, Michel [Dir.] , Dictionnaire encyclopédique du théâtre, Bordas, 1990.
LA MESNARDIÈRE, Poétique, éd. Antoine de Sommaville, Paris, 1639.
LARTHOMAS, Pierre, Le Langage dramatique, Paris, A. Colin, 1972.
UBERSFELD, Anne, Lire le théâtre I, II et III, Paris, Belin, 1996.

Sur la période §

ADAM, Antoine, Histoire de la littérature française du XVIIe siècle, Domat, 1948-1952, 5 vol. ; rééd. Del Duca, 1962 ; rééd. Albin Michel, 1996.
BÉNICHOU, PAUL, Morales du grand siècle, Paris, Gallimard, coll. « Folio essais », Paris, 1988.
CHÉDOZEAU, Bernard, Le Baroque, Nathan, 1989.
CIORANESCU, Alexandre, Le Masque et le visage. Du baroque espagnol au classicisme français, Genève, Droz, 1983.
DE VISÉ, Mercure galant, janvier 1710.
FORESTIER, Georges, Introduction à l’analyse des textes classiques, Nathan (coll. 128), 1993.
ROUSSET, Jean, L’intérieur et l’extérieur. Essais sur la poésie et le théâtre au XVIIe siècle, Paris, Librairie José Corti, 1968.
VOLTAIRE, Le Siècle de Louis XIV, LGF, coll. « Bibliothèque classique », 2005.

Sur le théâtre de la période §

DEIERKAUF-HOLSBOER, Sophie Wilma, Le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne 1548-1680, 2 vol., Paris, Nizet, 1968-1970.
FORESTIER, Georges, Esthétique de l’identité dans le théâtre français (1550-1680). Le déguisement et ses avatars, Genève, Droz, 1988.
FORESTIER, Georges, Essai de génétique théâtrale. Corneille à l’œuvre, Paris, Klincksieck, 1996.
FORESTIER, Georges, Passions tragiques et règles classiques. Essai sur la tragédie française, Paris, PUF, 2003
LANCASTER, Henry Carrington, A History of French Dramatic Literature in the Seventeenth Century, Baltimore, Johns Hopkins Press, 1629-1942, 5 part., 9 vol.
MÉLÈSE, Pierre, Le Théâtre et le public à Paris sous Louis XIV : 1659-1715, Droz, 1934.
PARFAICT, Claude et François, Histoire du théâtre françois depuis son origine jusqu’à présent, t.XI, Paris, P. G. Le Mercier et Saillant, 1747, réimpression Slatkine, 1970.
[PASQUIER, Pierre (éd.) ], édition du Mémoire de Mahelot, Paris, Champion, 2005.
SCHERER, Jacques, La Dramaturgie classique en France, Paris, Nizet, (1ère éd. 1950), 2001.
WILEY, W. L., The Hôtel de Bourgogne : another look at France's first public theatre, Chapel Hill, N.C. : University of North Carolina, 1973.

Sur le genre comique §

CONESA, Gabriel, La comédie de l’âge classique, 1630-1715, Paris, Le Seuil, 1995.
CORVIN, Michel, Lire la comédie, Dunod, 1994.
GILOT, Michel et SERROY, Jean, La Comédie de l’âge classique, Belin, Paris, 1997.
GUICHEMERRE, Roger, La Comédie classique en France : de Jodelle à Beaumarchais, PUF, Paris, 1978.
VOLTZ, Pierre, La comédie, Paris, Armand Colin, 1964.

Sur la comedia espagnole et ses adaptations en France §

AUBRUN, Charles-Vincent, La Comédie espagnole (1600-1680), PUF, Paris, 1966.
MARCELLO, Elena Elisabetta, Las comedias de costumbres de Alvaro Cubillo de Aragón. Édition et étude, Thèse de la faculté de Lettres de Castilla-La Mancha, soutenue le 13 décembre 2002.
MARCELLO, Elena Elisabetta, « Una reelaboración dramática: de El Señor de Noches Buenas a El Invisible del Baúl », in La década de oro en la comedia española: 1630-1640, Actas de la XIX Jornadas de teatro clásico Almagro, Edición cuidada por Felipe B. Pedraza Jiménez y Rafael González Cañal, 1996.
MARTINENCHE, Émile, La Comedia espagnole en France de Hardy à Racine, Paris, Hachette, 1900.
VON SCHACK, Geschichte der dramatischen Literatur ud Kunst in Spanien, Frankfurt, 1854.

Sur la langue classique §

Dictionnaires §
ACADÉMIE FRANÇAISE, Dictionnaire, Paris, J-B Coignard, 2 vol., 1694.
FURETIÈRE, Antoine, Dictionnaire universel contenant généralement tous les mots françois tant vieux que modernes et les termes de toutes les sciences et les arts, La Haye et Rotterdam, Arnout et Reinier Leers, 1690.
REY, Alain, Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Dictionnaires Le Robert, 1998.
RICHELET, P., Dictionnaire françois contenant les mots et les choses, plusieurs nouvelles remarques sur la langue françoise… avec les termes les plus connus des arts et des sciences, Genève, J.-H. Widerhold, 2 vol., 1680.
Grammaire, rhétorique §
ARISTOTE, Rhétorique, gallimard, coll. Tel, 1998.
FOURNIER, Nathalie, Grammaire du français classique, Paris, Belin, 1998.
HAASE, A., Syntaxe française du XVIIe siècle, Paris, Delagrave, 1935.
SANCIER-CHÂTEAU, Anne, Introduction à la langue française du XVIIe siècle, Paris, Nathan, 2 vol., 1993.

Ouvrages bibliographiques §

CIORANESCU, Alexandre, Bibliographie de la Littérature française du dix-septième siècle, Paris, CNRS, 1965.
KLAPP, Otto, Bibliographie der französischen Literatur-Wissenschaft, Francfort-sur-le-Main, Vittorio Klostermann.

Travaux consacrés à Thomas Corneille §

COLLINS, David A., Thomas Corneille, protean dramatist, Paris, Mouton & Co, coll. « Studies on French Literature », La Haye, 1966.
FALSKA, Maria, Le Baroque et le classique dans le théâtre espagnol et français du XVIIe siècle. Calderón imité par Thomas Corneille, Lublin, 1999.
FISCHLER, Éliane, La Dramaturgie de Thomas Corneille, Thèse de doctorat, Université de Paris III, 1976.
PRIVITERA, Joseph F., « The Sources of Thomas Corneille’s Comtesse d’Orgueil », Modern Language Notes, vol. 56, nº 3, mars 1941, p. 211-214.
REYNIER, Gustave, Thomas Corneille. Sa vie, son œuvre, Paris, Hachette, 1892.