Thomas Corneille
M. DC. LVII.
AVEC PRIVILEGE DU ROY.
Édition critique établie par Nathalie Tunc sous la direction de Georges Forestier (2004-2005)
Introduction §
Thomas Corneille a connu de son vivant de grands succès, mais le temps et la réputation de son frère, Pierre Corneille, l’ont fait disparaître de nos mémoires. Pourtant, plus qu’un auteur à la mode, Thomas Corneille a été un auteur talentueux, reconnu par ses pairs. Nous avons décidé de nous intéresser à son genre de prédilection, la comédie à espagnole, et plus particulièrement aux Illustres ennemis qui présentent une histoire peu ordinaire et une certaine originalité. Cette pièce n’est pas restée dans les mémoires, contrairement à la version de Scarron. Elle a pourtant eu du succès du vivant de Thomas Corneille et ne présente aucun des aspects farcesques de la pièce de Scarron. Malgré les critiques faites à son encontre, nous pensons que les Illustres ennemis sont plus aboutis que les pièces écrites par Scarron et Boisrobert sur le même sujet et nous allons essayer d’en convaincre le lecteur.
Thomas Corneille naît à Rouen le 20 août 1625, son frère aîné, Pierre Corneille, a alors 19 ans. Thomas fait ses études au collège de Jésuites de Rouen comme son frère, c’est là qu’il commence à écrire : il est récompensé au concours des Palinods de Rouen en 1641 pour sa Poésie. Il quitte le collège vers 1642 pour faire des études de droit à Caen et devient avocat en 1649, suivant les traces de son frère auquel il voue une véritable admiration. Pierre, devenu son tuteur après la mort de leur père en 1641, prend une part active dans son éducation, le guidant dans ses choix, lui apprenant l’espagnol et l’initiant au théâtre. En 1647, Thomas écrit sa première pièce, une comédie, Les Engagements du hasard, qui est jouée à l’Hôtel de Bourgogne, probablement grâce à leur ami Floridor ; Thomas ne la publie que quatre ans plus tard, avec des modifications. Il se marie en 1650 avec la sœur de la femme de Pierre, Marguerite de Lampérière, avec laquelle il a trois enfants. Pierre et Thomas partagent pendant vingt-cinq ans la même maison et la même domesticité. En 1655, Thomas se détourne de la comédie pour s’essayer à la tragédie (Pierre, malade, n’écrit plus de tragédies depuis l’échec de Pertharite en 1653, lui laissant la place). Sa première tragédie, Timocrate, est le succès du siècle : tragédie romanesque, elle est jouée au Marais. Pendant plus de six mois, plus de quatre-vingts représentations successives sont données. D’après l’abbé Desfontaines, le public la redemandait toujours et ce sont les acteurs qui s’en seraient lassés les premiers. Loret rapporte dans la Muze historique que le roi et la Cour se sont déplacés et ont félicité l’auteur (16 décembre 1656), sans attendre que la pièce soit jouée à la cour.
L’année 1662 marque un tournant dans sa vie : les deux frères s’installent à Paris ; Pendant trois ans environ, Thomas n’écrit plus pour le théâtre ; il semble qu’il se soit occupé, avec Pierre, de recouvrer son titre de noblesse : le roi avait fait supprimer les lettres de noblesse accordées depuis 1634, celles de leur père datant de 1637, ils s’en trouvaient démunis. Ils obtiennent satisfaction en 1669. Récupérant le titre d’écuyer et son fief, ainsi que ses privilèges, Thomas peut continuer à signer Corneille de l’Isle, habitude qu’il a prise dès sa jeunesse, pour se différencier de son frère.
Entre 1669 et 1672, les pièces de Thomas n’ont pas toujours du succès, jusqu’à Ariane, l’une de ses œuvres les plus connues. Après la mort de Molière en 1673, il est sollicité par la troupe et écrit pour elle de nombreuses pièces dont Circé : jouée du 17 mars 1675 jusqu’au 15 octobre, cette pièce à machines a rapporté d’énormes recettes, plus que le Misanthrope. Parmi les succès de la troupe, nous pouvons noter L’Inconnu qui est repris jusqu’en 1746 et la mise en vers du Festin de Pierre de Molière.
À partir de 1678, Thomas écrit de nouveau pour l’Hôtel de Bourgogne qui crée le Comte d’Essex, un succès. Il rédige alors quelques poèmes lyriques dont Bellérophon (qui est repris jusqu’en 1728) et, l’un de ses derniers succès, La Devineresse, dont l’histoire est fondée sur l’affaire des poisons, et qui est jouée au moment du procès de La Voisin. partir de 1681, il dirige le Mercure galant en collaboration avec Donneau de Visé, son fondateur, ajoutant le journalisme à ses activités. Il prend parti pour les Modernes lors de la querelle des Anciens et des Modernes, mais ne monte pas sur le devant de la scène, laissant la place à son neveu Fontenelle. Il est élu à l’Académie française à la mort de son frère, Pierre, en 1684 et Racine prononce le discours de réception, le 5 janvier 1685. Lui-même accueille son neveu Fontenelle à l’Académie en 1691. En 1694, il est élu à l’Académie des Inscriptions et des Belles Lettres. Obligé de se livrer à de la lexicographie, il devient progressivement aveugle et finit sa vie dans l’isolement et la gêne financière. Il se retire aux Andelys en 1708 et y meurt le 8 décembre 1709.
Thomas Corneille a parfaitement su s’adapter aux goûts successifs de ses contemporains et s’est essayé avec succès à plusieurs genres : les comédies espagnoles (inspirées surtout de Pedro Calderón de la Barca et de Francisco Rojas de Zorilla) représentent l’essentiel de sa production ; dès 1656, il se met à la tragédie, s’inspirant de son frère et de Racine ; puis il crée des pièces à machines. Entre 1650 et 1682, il écrit jusqu’à deux pièces par an (mis à part les années 1662 à 1665 où il cherche à recouvrer son titre de noblesse), c’est sa période la plus féconde. Dans l’ensemble, sa carrière a été couronnée de succès, malgré quelques échecs importants.1
Thomas Corneille n’est pas resté dans les mémoires, si ce n’est pour une adaptation en vers du Festin de Pierre de Molière qui a été jouée jusqu’au milieu du XIXe siècle tout en étant attribuée à Molière. Il a pourtant été l’un des auteurs de théâtre les plus reconnus de son époque et certaines de ses œuvres étaient encore jouées au XVIIIe siècle. Connu pour son esprit fin, il s’adaptait facilement au goût changeant de ses contemporains. C'est l’une des raisons de ses succès et peut-être aussi la raison pour laquelle il fut oublié au profit de son frère. À une époque où les critiques à l’encontre des pièces de théâtre étaient fréquentes, Thomas Corneille n’a pas eu de détracteurs et cette absence de publicité a sûrement aussi contribué à son oubli. Notre pièce, les Illustres ennemis, ne semble pas avoir bénéficié d’une grande postérité : après 1662, elle ne figure plus que dans les éditions des œuvres complètes de Thomas Corneille et la pièce que Scarron écrivit sur le même sujet est aujourd’hui plus connue. En revanche, elle a été éditée à deux reprises et traduite en italien ; elle semble donc avoir eu un certain succès au XVIIe siècle (même si la version italienne a été attribuée à son frère Pierre, plus connu en dehors de la France, le fait de changer l’auteur ayant sûrement permis de réaliser une meilleure vente).
Bien que la comédie soit souvent considérée comme un genre mineur, en raison de son absence dans les écrits d’Aristote, Thomas Corneille, avec les Illustres ennemis, montre qu’elle peut aussi être noble, grâce aux qualités de ses personnages et de son écriture, aux valeurs abordées et au respect des bienséances. On peut y voir également un tournant dans la carrière de Corneille : en effet, deux ans plus tard, il va écrire sa première tragédie, Timocrate, qui fut le succès du siècle, avec plus de quatre-vingts représentations (c’est-à-dire qu’elle fut jouée plus de six mois d’affilée). Si Thomas a attendu que son frère, Pierre, se retire de la scène pour écrire des tragédies, il semble qu’il s’y soit préparé à travers l’écriture de ses comédies.
La création de la pièce §
Il y a eu divergences d’opinions sur le lieu de la représentation. Plusieurs auteurs affirment que les Illustres ennemis ont été représentés en alternance avec la pièce de Boisrobert à l’Hôtel de Bourgogne, tandis que celle de Scarron était jouée au théâtre du Marais2. Toutefois, Deierkauf-Holsboer et Lancaster soutiennent que ce sont les pièces de Scarron et de Boisrobert qui ont été jouées à l’Hôtel de Bourgogne en 1654 et les Illustres ennemis au théâtre du Marais en 1655. Ils se fondent notamment sur les Nouvelles nouvelles du 9 février 1663 de Donneau de Visé, sur les dates de parution des pièces et sur l’épître de Scarron3. Il est fort probable que si les pièces de Scarron et de Boisrobert ont été éditées en 1655, c’est qu’elles ont été finies avant celle de Corneille, publiée en 1657. De plus, dans son épître, Scarron mentionne les pièces de ses deux rivaux, ainsi que les « obstacles à surmonter », et notamment des « Dames sans pitié » qui ont pris parti pour la pièce de Boisrobert. Tallemant des Réaux écrivit à ce sujet quelques années plus tard :
Celle de Corneille n’estoit pas si avancée ; mais les deux autres estoient achevées. Les Comédiens vouloient jouer celle de Scarron la premiere : Mme de Brancas, à qui Boisrobert le dit, pria le prince d’Harcourt […] de leur en parler. Le Prince menaça les Comediens de coups de baston, s’ils faisoient cet affront à l’Abbé, qui, contant cette aventure, disoit : « Ma foy, le prince d’Harcourt a pris cela héroï-comiquement »4.
Par ailleurs, Boisrobert insiste beaucoup sur la protection dont sa pièce a bénéficié, mais ne mentionne ni Scarron, ni Corneille. Ceci est probablement dû aux dates de parution très proches pour Scarron et Boisrobert, tandis que Corneille ne publie que deux ans plus tard : il n’a plus à craindre de concurrence.
Deierkauf-Holsboer nous apporte un élément déterminant dans le Théâtre du Marais5 : en étudiant les minutes des notaires, elle a en effet pu reconstituer la composition de la troupe du Théâtre du Marais en 1654 et une partie de leurs activités. En 1653, la troupe ne fait plus beaucoup de recettes. L’aménagement de la salle, depuis les loges jusqu’à la machinerie, appartient aux comédiens ; s’ils quittent le Théâtre, ils devront le remettre en état et donc tout démonter ; les propriétaires récupéreraient ainsi leur jeu de Paume, mais ceux-ci ne sont plus à la mode et la location ne leur rapporterait plus autant. Les propriétaires décident donc de placer une nouvelle hypothèque sur le théâtre en empruntant directement aux comédiens. C'est la comédienne Madeleine Lemoine, dite La Beaupré, qui prête cet argent. Les propriétaires veulent également racheter aux comédiens leurs parts des décors et du théâtre, ce qui leur permettrait d’avoir un théâtre à louer si la troupe les quitte. Six des sept comédiens acceptent ; le seul à refuser est Pierre Regnault Petit Jehan, dit Laroque, le directeur de la troupe.
Celle-ci hésite à renouveler son bail, ignorant si le théâtre va continuer à attirer du monde. C'est de nouveau Madeleine Lemoine qui intervient : elle le loue en janvier 1654. Toutefois, le théâtre reste inoccupé jusqu’en mars 1654. Plusieurs comédiens quittent la troupe qui ne comprend désormais plus que quatre acteurs : Pierre Regnault Petit Jehan, Germain Clérin sieur de Villabé, Madeleine Lemoine et Jeanne le Clerc. Ils quittent Paris pour la province et ferment le théâtre. Ils reforment la troupe du Marais à Nantes, en s’associant à la troupe dirigée par le mari de Madeleine Lemoine (ils sont séparés), Nicolas Lion, pour un an à compter du 1er avril 1654. Nous ignorons ce qu’a fait la troupe jusqu’en décembre 1654 où elle commande à Denis Buffequin des machines pour la représentation de l’Andromède de Pierre Corneille. Les représentations de cette pièce s’achèvent le jour de Pâques 1655 et la troupe se dissout, Nicolas Lion et ses acteurs repartent pour la province.
Laroque engage immédiatement de nouveaux acteurs, la troupe se compose donc en avril 1655 de : Pierre Regnault Petit Jehan, dit Laroque (directeur), Madeleine Lemoine, dite la Beaupré, Julien Bedeau, dit Jodelet, François Bedeau, dit l’Espy, François Juvenon, dit La Fleur, Jean Simonin, dit Chevalier, Noël Le Breton, sieur de Hauteroche, Claude Jannequin, sieur de Rochefort, Madeleine Desurlis, femme de Claude Jannequin, François Serdin, Catherine Bourgeois, femme de François Serdin, Jehan Loseu, sieur de Beauchesne, Estiennette Desurlis et Catherine Desurlis.
Grâce aux Nouvelles nouvelles de Donneau de Visé, Deierkauf-Holsboer établit que les Illustres ennemis sont la première pièce créée par cette troupe le 1er avril 1655.
Nous n’avons pas trouvé de documents concernant la réception et le succès de la pièce ; toutefois, les Illustres ennemis ont été imprimés dans tous les recueils des œuvres complètes de Thomas Corneille, y compris les recueils non-autorisés ; deux éditeurs se sont partagés la première impression, nous donnant à penser que cette pièce s’est bien vendue ; nous avons également trouvé à l’Arsenal une impression de la pièce seule, « selon la copie imprimée à Paris en 1661 », nous pensons qu’il s’agit d’une impression illégale du recueil publié en 1661 (même présentation, mêmes erreurs d’impression). De plus, les Illustres ennemis ont été joués pendant environ six mois, puis ont laissé leur place au Geôlier de soi-même, autre pièce de Corneille, elle aussi écrite en concurrence avec Scarron (pour l’Hôtel de Bourgogne). Nous pensons donc que cette pièce a eu un succès certain à l’époque, mais qu’elle a été oubliée au profit de la pièce de Scarron, plus drôle, reprise à la Comédie française en 1692. La pièce de Boisrobert semble également avoir été éclipsée par la version de Scarron.
Pourquoi ces trois auteurs ont-ils choisi la même pièce ? La raison de leur choix demeure un mystère. Cependant la rumeur prétend que Corneille et Scarron auraient eu l’idée en même temps et que Boisrobert, après avoir entendu dans un salon une lecture du travail de Scarron, lui aurait volé l’idée6. Cette histoire est toutefois contredite par plusieurs auteurs7 qui se fondent sur la préface de Scarron : « L’Escolier de Salamanque donna dans la veuë à deux Escrivains de reputation en mesme temps qu’à moy. Ces redoutables Concurrens ne m’empescherent point de le traitter ».
Lancaster8 pense que c’est le théâtre du Marais qui aurait demandé à Corneille d’écrire cette pièce, sachant que Scarron et Boisrobert adaptaient une pièce de Rojas pour le théâtre de l’Hôtel de Bourgogne. Les similitudes entre les pièces de Scarron et de Boisrobert lui font penser que Boisrobert avait lu une partie du travail de Scarron et qu’il avait commencé à écrire après lui, tandis que Corneille n’en aurait connu que le titre. Outre les ressemblances entre L’Escolier de Salamanque et Les Généreux ennemis, il se fonde sur les dates auxquelles les pièces ont été jouées, ainsi que sur leurs lieux de représentations.
Synopsis §
État des lieux au début de la pièce §
Famille des Guzmans : Famille de Don Sanche :
Enrique & Don Lope & Cassandre Don Alvar & Jacinte
(frères et sœur) (frère et sœur)
Don Lope aime Jacinte, un amour secret dont Enrique et Alonse (un ami des deux familles) sont pourtant informés.
Cassandre aime Don Alvar, mais celui-ci, ayant disparu au cours d’un naufrage deux ans auparavant, est considéré comme mort ; elle a donc accepté d’épouser Fernand, malgré le mépris de ce dernier, qui n’a accepté que par peur d’Enrique : le mariage doit avoir lieu dans deux jours. Tout le monde ignore les sentiments qui la lient à Don Alvar.
La pièce s’ouvre sur un entretien d’Enrique avec Alonse.
Résumé §
Acte I : Enrique avoue avoir fait bastonner Don Sanche, car celui-ci se moquait du mariage de sa sœur, Cassandre, avec Fernand, affirmant qu’il n’était pas un assez bon parti. Enrique demande à Alonse de convaincre Don Sanche que le responsable de son agression est Don Lope, afin de mettre fin à son idylle avec Jacinte (personne en ville ne connaît le nom de l’agresseur) (1)9. Alonse accepte afin d’aider les amants (2).
Don Lope se rend chez Jacinte pour lui proposer son bras afin de venger l’affront fait à son père, mais celle-ci refuse : seul l’offensé peut réparer l’offense (3 et 4). L’arrivée de Don Sanche et d’Alonse les oblige à se cacher. Ils entendent ce dernier proposer à Don Sanche de faire de l’offenseur son gendre, arguant qu’il s’agit d’un malentendu et que cet homme est trop bien placé à la cour pour que l’on puisse s’en prendre à lui (5). Jacinte sort de sa cachette pour affirmer à son père qu’il peut compter sur elle ; indécis, celui-ci part demander conseil à ses amis (6). Don Lope reproche alors à Jacinte son infidélité et elle lui reproche son incompréhension (7).
Acte II : Don Lope se plaint à sa sœur des rigueurs de l’honneur et de la perte de sa bien-aimée, mais celle-ci admire la résolution de Jacinte (1) qui les interrompt pour leur apprendre qu’elle a renoncé à épouser l’offenseur car, d’après Alonse, il s’agirait de Don Lope. Or tous les trois savent que c’est faux et Jacinte refuse de se servir de ce stratagème pour épouser l’homme qu’elle aime : ce serait contraire à l’honneur. Don Lope décide alors de retrouver lui-même le coupable pour s’innocenter et lui permettre d’épouser Jacinte (2).
Cassandre apprend à Jacinte qu’elles sont dans la même situation, obligées toutes les deux d’épouser un homme qu’elles n’aiment pas. Elle lui fait alors le récit de ses malheurs : son amour pour Don Alvar, le naufrage, le mariage prévu avec Fernand (3). Flore, la suivante de Cassandre, annonce à ce moment-là l’arrivée de cet amant naufragé (4) que Jacinte reconnaît : il s’agit de son frère, Don Alvar. Cassandre lui avoue s’être fiancée, le croyant mort. Comme l’honneur lui interdit de rompre ses fiançailles, elle refuse de revoir Don Alvar qui part, préférant continuer à passer pour mort aux yeux de son père s’il ne peut épouser Cassandre (5).
Acte III : Don Sanche avoue à Don Ramire, l’un de ses amis, qu’il n’a jamais eu l’intention de laisser Jacinte épouser l’offenseur. Son ami lui apprend que son fils est vivant et il décide de lui écrire une lettre pour lui expliquer la situation (1). Don Sanche annonce à Jacinte de façon confuse qu’il a été désabusé et part (2). Blanche, la suivante de Jacinte, est persuadée qu’il sait que Don Lope est innocent, mais Jacinte craint qu’il ne veuille se venger au mépris de sa promesse (3). Elle part donc annoncer à Cassandre que son père a changé d’avis (4).
Cassandre, malgré les conseils de Flore, ne peut se résoudre à rompre avec Fernand (5). Don Alvar essaie de la convaincre, mais échoue : l’honneur avant tout. Enrique apparaît alors et Cassandre fuit, demandant à Don Alvar d’empêcher « cet homme » de le suivre, sans lui dire de qui il s’agit (6). Les deux hommes sortent de scène pour se battre (7). Don Lope entre à ce moment là sur scène : Cassandre lui fait part de son inquiétude pour les combattants que l’on entend, sans pour autant les nommer. Elle sort, laissant son frère intervenir (8). Celui-ci aide Don Alvar qui se bat seul contre trois « braves » qui, reconnaissant Don Lope, s’enfuient (9). Enrique (qui n’est toujours pas identifié) est considéré comme mort. Don Lope cache Don Alvar, mais apprend du prévôt qu’il a tué son frère (10). Il le révèle à Don Alvar qui refuse de se faire un ennemi de l’homme qui lui a sauvé la vie et décide de le fuir plutôt que de l’affronter (11).
Acte IV : Alonse annonce à Don Lope qu’Enrique est vivant, chez lui. Ce dernier, pris de remords, a libéré Cassandre de sa promesse de mariage. Alonse pense pouvoir le persuader d’admettre sa faute et d’innocenter son frère pendant sa convalescence (1).
Don Alvar apprend à Don Lope qu’il n’est pas digne de l’affronter car son nom a été souillé. Ils deviennent amis le temps de rendre son honneur à Don Alvar (2). Blanche les interrompt : elle vient chercher Don Lope que Jacinte veut voir (3). Celui-ci résume la situation à Don Alvar, sans lui donner de nom : il a rendez-vous avec son amante, mais le père s’oppose à leur relation, il craint pour la vie de son amie. Don Alvar décide de l’accompagner pour les protéger en cas de besoin (4).
Blanche conduit Don Lope à Jacinte, laissant Don Alvar dans l’entrée, (5) où son père, Don Sanche, le découvre. Il veut lui raconter son malheur mais tient à ce que ce soit Jacinte qui lui apprenne le nom de l’offenseur et part la chercher. Don Alvar comprend alors que c’est sa sœur que Don Lope aime (6). Celui-ci quitte la maison tandis que Don Alvar reste, lui assurant qu’il ne risque rien car il connaît le maître des lieux (7).
Son père et Jacinte arrivent et apprennent à Don Alvar ce qui s’est passé. Jacinte est inquiète car son frère est informé du rendez-vous avec Don Lope et craint qu’il ne se méprenne. Don Sanche leur annonce alors qu’il a envoyé des assassins pour se venger. Ne pouvant supporter une telle lâcheté, Don Alvar court aider son ami (8).
Acte V : Don Lope fait à Cassandre le récit du combat. Le mariage avec Fernand est bien annulé. Cassandre pense qu’Alonse saura convaincre Enrique d’avouer sa faute et que tout s’arrangera aussi pour son frère (1). Jacinte paraît, sachant que son frère va venir demander réparation à Don Lope, elle exige de lui le serment qu’il ne se battra pas contre son sauveur, dont Don Lope ignore toujours l’identité. Les deux femmes se retirent, laissant seuls Don Lope et Don Alvar (2).
Don Alvar révèle alors à Don Lope les liens qui l’unissent à Jacinte: il sait que son ami n’est pas l’offenseur de son père mais, n’ayant pu trouver un autre coupable, il doit quand même le combattre à cause de l’opinion publique. Don Lope lui demande que ce soit à cause de son amour pour Jacinte, et non pour un crime qu’il n’a pas commis, Don Alvar lui avoue alors son amour pour Cassandre (3). Celle-ci intervient pour empêcher le duel mais Don Alvar exige le nom du coupable ou le sang de Don Lope qui préfère se battre plutôt que de dénoncer son frère (4).
Don Sanche les interrompt : il sait que Don Lope est innocent, Enrique a avoué et demandé pardon. Don Alvar lui apprend alors qu’il est responsable de la blessure de ce dernier, et que par conséquent, il était vengé sans le savoir. Don Lope avoue à Don Sanche son amour pour Jacinte (5). Don Sanche accepte leur amour, d’autant plus qu’il sait ce que celle-ci a fait pour lui. Jacinte donne aussi son accord. Don Alvar avoue alors à son père son amour pour Cassandre, qui lui offre sa main. (6)
Les sources et leurs adaptations §
La pièce de Zorilla Rojas, publiée en 1640, Obligados y Ofendidos y gorrón de Salamanca (Obligés et offensés, ou l’Ecolier de Salamanque) a donné lieu à trois adaptations entre 1654 et 1655 en France : celle de Scarron, L’Escolier de Salamanque ou les Généreux ennemis ; celle de Boisrobert, Les Généreux ennemis ; et celle de Thomas Corneille, Les Illustres ennemis. Si Scarron et Boisrobert reprennent assez fidèlement leur source, Corneille au contraire, s’en éloigne. En effet, il puise également dans deux pièces plus tardives de Calderón : Amar después la muerte (Aimer par delà la mort, on le trouve aussi traduit sous le titre Aimer après la mort) et El Pintor de su deshonora (Le Peintre de son déshonneur).10
Les versions de Boisrobert et de Scarron §
Nous garderons les noms des personnages de Corneille pour éviter les confusions.
Chez Scarron §
La pièce se passe à Tolède. Don Lope est surpris dans la chambre de Jacinte par Don Sanche et refuse de l’épouser à cause du manque de fortune de la jeune fille. Don Alvar n’a pas disparu dans un naufrage, mais il est écolier et prétend être à Salamanque ; en réalité, il est à Tolède et fait la cour à Cassandre. Il affronte Enrique lors d’une embuscade tendue par ce dernier (estimant que Don Alvar n’était pas digne de sa sœur) et le tue. Là encore, Don Lope aide Don Alvar face aux hommes qui accompagnaient Enrique; ils se lient ainsi d’amitié mais doivent s’affronter à cause de la mort d’Enrique. Ayant accompagné Don Lope chez lui, à la suite d’une convocation de Jacinte, Don Alvar apprend l’offense faite par Don Lope à sa famille et décide de l’affronter le lendemain. Toutefois, Don Alvar passe la nuit en prison, accusé du meurtre d’Enrique ; il y croise l’un des spadassins qu’Enrique avait engagés. Cet homme l’innocente, par admiration pour l’épéiste, et lui apprend que Don Lope doit mourir dans une embuscade, organisée par Don Sanche, le lendemain. C'est l’occasion pour Don Alvar de payer sa dette. Il tue l’un des agresseurs et les deux hommes mettent les assassins en fuite. Les protagonistes arrivent alors sur scène pour le dénouement : les deux hommes sont quittes, ils ne se battront pas car Enrique était dans son tort quand il a attaqué Don Alvar ; Don Lope accepte d’épouser Jacinte, ayant reconnu les qualités de sa famille et accepte également que Don Alvar épouse sa sœur.
Le dénouement et l’histoire sont plus simples, il y a plus de scènes comiques et violentes, et les scènes de prison sont maintenues, alors que Corneille les a supprimées, ainsi que de nombreux épisodes secondaires. Toutefois, la mort d’Enrique rend le dénouement invraisemblable dans la mesure où Cassandre épouse le meurtrier de son frère. Il a cependant développé avec soin les personnages de ses valets, un des points forts de sa pièce, qu’il n’a pas emprunté à Rojas.
Chez Boisrobert §
La scène se passe à Lisbonne. L’histoire est semblable à celle de Scarron, mais il y a des nuances : Don Lope n’a pas le temps de faire sa demande en mariage quand Don Sanche le surprend dans la chambre de Jacinte. Don Alvar est soldat à Cascayes et non écolier, mais là encore il est en ville pour courtiser la sœur de Don Lope. Le déroulement de la pièce est identique, sauf en ce qui concerne le dénouement. Don Lope est un comte florentin, qui a dû fuir Florence pour avoir offensé un duc qui le poursuit. C'est cet homme qui lui tend l’embuscade et c’est lui que Don Alvar tue lors de l’affrontement. De plus, Enrique n’est pas mort des suites de ses blessures. La situation est donc moins tragique que chez Scarron. Le réel problème vient plutôt de la différence de statut social entre la famille de Don Lope et celle de Don Alvar. Le roi supprime l’obstacle en nommant Don Sanche président de son grand conseil des Indes.
Là encore, le dénouement et l’histoire sont plus simples que chez Corneille. Les scènes comiques et de combat sont également plus présentes, et on y retrouve les scènes de prison, absentes chez Corneille. Il faut toutefois noter qu’Enrique ne meurt pas et que le personnage du duc florentin est une invention intéressante, puisqu’elle permet la création d’un obstacle et rend possible un dénouement heureux et plus vraisemblable, et qu’ainsi Cassandre n’épouse plus le meurtrier de son frère.
La pièce de Thomas Corneille §
La pièce de Thomas Corneille est la plus éloignée de Rojas, grâce aux apports des deux pièces de Calderón : Amar después la muerte (Aimer par delà la mort) et El pintor de su deshonora (Le Peintre de son déshonneur).
De Amar después la muerte, il reprend l’essentiel de l’acte I : la nature de l’insulte faite à Don Sanche ; la proposition d’Alonse d’épouser l’offenseur ; l’obéissance de Jacinte, qui refuse de partager sa honte avec Don Lope et malgré son amour pour lui ; la volonté de l’amant d’avoir pour dot la vengeance du père. Ces données ne proviennent que de la première journée ; Corneille ne puise rien dans les deux autres journées de la pièce.
De El pintor de su deshonora, il reprend les scènes de confrontation de Cassandre et de Don Alvar dans l’acte II et dans l’acte III (directement tirées des scènes 8, 9, 10, 22 de la 1re journée), l’idée du naufrage, de la mort supposée de l’amant et du nouvel engagement de Cassandre. En revanche, dans cette pièce, Cassandre est mariée. Les autres scènes dans lesquelles elle apparaît servent de raccord et d’explication. Là encore, Corneille ne se sert que de la première journée.
La pièce de Rojas présente trois inconvénients : des événements mal liés, des épisodes vulgaires et familiers, ainsi qu’un contraste entre les scènes réalistes et familières et les scènes tragiques, tout cela n’a pas sa place dans la comédie au style élevé voulue par Corneille. Ce dernier va donc limiter les apports de Rojas. Grâce aux pièces de Calderón, il peut réduire à une seule embûche l’acte III (l’envoi des assassins par Don Sanche et l’aide de Don Alvar) et ôter les épisodes trop familiers (la prison et les détails de la vie estudiantine). Il modifie également la nature de l’insulte sous l’influence de Calderón : ce n’est plus le refus de Don Lope d’épouser Jacinte qui crée l’offense. L’intrigue est ainsi moins concentrée dans la pièce et elle est rendue plus décente (Jacinte reste une jeune fille pure, contrairement au personnage de Rojas qui apparaît sur scène dévêtu à deux reprises et qui se réfugie chez son amant). L’invention d’un faux offenseur rend la situation de Jacinte moins humaine et aide à relever la comédie, empreinte dès lors de ressorts tragiques. Corneille élève également le style : supprimant la préciosité des répliques, il rend ses dialogues plus naturels et plus touchants. Il se défait aussi des éléments farcesques et bouffons. Les contrastes entre les scènes disparaissent donc de sa comédie, rendue plus homogène. En revanche, il suit de très près Rojas pour les scènes 9 à 11 de l’acte III et 2 à 8 de l’acte IV. Il s’agit des scènes de confrontation entre Don Alvar et Don Lope, avec toutefois une nuance lors de la rencontre entre Jacinte et Don Lope aux scènes 5 à 8 de l’acte IV : ils croisaient Don Sanche qui reprochait à son fils sa lâcheté, car celui-ci refusait de se battre contre un homme qu’il avait promis de protéger pour la soirée. Enfin, s’il accepte un combat sur scène, Corneille s’interdit d’y faire mourir l’un de ses personnages, qu’il s’agisse d’un assassin ou d’Enrique, qui survit à son combat contre Don Alvar, alors que Rojas le faisait tuer.
Corneille garde donc en vie l’offenseur, comme Boisrobert. Il change de nombreux éléments sous l’influence de Calderón et retire de la scène la violence. Il augmente le rôle d’Enrique qui est plus coléreux et irraisonnable. Don Sanche a le même sens de l’honneur mais la raison de sa colère est moins profonde. Don Lope et Don Alvar sont des nobles conventionnels, mais sans les défauts de leurs personnages respectifs chez Rojas et Scarron11.
Corneille met en avant un esprit de sacrifice et de résignation, mais va peut-être trop loin dans cette voie. S’il a bien adapté à la société française les discours de ses personnages et l’attitude des jeunes filles, il a conservé des situations qui correspondaient à la mentalité espagnole : monter un guet-apens pour tuer un homme sur une rumeur ; vouloir combattre en duel, toujours à cause d’une rumeur, un homme à qui on doit la vie et qui vous doit la vie ; accepter d’épouser un homme qui a offensé son père ; tout cela n’était pas possible dans les mœurs françaises et allait à l’encontre de la vraisemblance. Sa pièce paraît donc être un mélange réussi des trois pièces, mais à laquelle il manquerait des qualités humaines que Rojas avait données à ses personnages principaux12.
La question du genre §
Les pièces de Scarron et de Boisrobert sont intitulées « tragi-comédie », pourquoi les Illustres ennemis font-ils exception ? Est-ce parce qu’il s’agit d’un genre passé de mode ? S’agit-il d’une « comédie héroïque », comme la nomme Pierre Corneille, ou bien réellement d’une comédie ? L’étude des personnages et des règles d’unité nous permet d’apporter une réponse à ces questions.
Nous pouvons noter un traitement des personnages différents selon les auteurs. Chez Scarron comme chez Boisrobert, les personnages sont passionnés, ils se laissent facilement emporter par leurs émotions. Leur comportement n’est pas celui que l’on attendrait de jeunes gens de qualité : chez Scarron, un noble s’introduit de nuit chez une jeune fille à qui il fait la cour, mais refuse de l’épouser ; Don Alvar ment à son père (chez Scarron et chez Boisrobert), joue son argent au jeu et le perd, il est aussi présenté comme tirant facilement l’épée ; chez Scarron toujours, Jacinte fugue pour rejoindre l’amant qui la repousse ; Don Sanche s’emporte sans laisser à ses enfants le temps de s’expliquer et sans les écouter (chez Scarron et Boisrobert). Cette exagération dans leurs attitudes et l’écart entre leur rang, leurs prétentions à l’honneur et leurs comportements, en font des personnages en partie burlesques, plus conformes à la manière d’écrire de leurs auteurs et plus proches de la farce.
Au contraire, Thomas Corneille a créé des personnages pour qui l’honneur est le plus important et qui agissent en accord avec leurs principes. L’honneur guide chacun de leurs actes : le refus de laisser un homme seul en affronter trois, le refus de mentir ou de dénoncer, la prise de responsabilité et la gratitude dont font preuve les personnages le montrent. Cette attitude est aussi présente chez la gente féminine : en effet, Jacinte refuse d’utiliser le mensonge d’Alonse pour pouvoir épouser l’homme qu’elle aime alors que celui-ci hésitait et aurait accepté ; Cassandre refuse de reprendre la parole donnée à Fernand, même si elle ne l’aime pas, si ce dernier la méprise, et si elle avait autrefois promis sa main à Don Alvar, malgré les supplications de celui-ci.
Le traitement des personnages participe à l’originalité de la pièce de Corneille et l’éloigne un peu plus de celles de Scarron et de Boisrobert. De plus, ses personnages sont plus proches des types de la comédie. Aucun n’est prince, ni membre d’une famille royale, alors que c’est le cas pour les tragi-comédies. On retrouve cette opposition dans les sources espagnoles.
En effet, les sources espagnoles appartiennent au genre de la comedia nueva13 dont Lope de Vega est considéré comme le père-fondateur. Elle mélange le comique et le tragique afin de respecter la variété présente dans la vie ; le temps et le lieu, au service de l’intrigue, ne sont donc pas limités et la pièce est divisée en trois journées ; l’action principale est souvent doublée d’une action secondaire et développe essentiellement les thèmes de l’amour, de la foi, de l’histoire nationale et de l’honneur. Ce genre est très proche de la tragi-comédie où les unités de lieu et de temps ne sont pas respectées et où le comique côtoie le tragique.
Dans les sources espagnoles, les personnages ont aussi parfois un comportement indigne de leur rang (notamment avec les femmes). Le ton peut être grandiloquent et comique ; certaines scènes sont du domaine de la farce (lorsque le père surprend sa fille à moitié nue dans sa chambre, alors qu’il y a un homme sur son balcon, par exemple, dans Obligés et offensés) ; on y trouve aussi une multitude d’événements secondaires et de péripéties associée à un dénouement heureux. Les sources espagnoles s’apparentent donc bien à des tragi-comédies et rejoignent les pièces de Scarron et de Boisrobert, intitulées par ces derniers : tragi-comédie.
Cependant les auteurs français ont également dû adapter leurs pièces aux exigences théâtrales contemporaines et surtout à la règle des trois unités. Les pièces espagnoles se déroulent en effet sur trois journées et dans de multiples lieux. En ce qui concerne la pièce de Rojas, les trois journées se succèdent (les pièces de Calderón sont plus espacées dans le temps, mais nous nous intéresserons surtout aux Obligés et offensés de Rojas, car sa trame est à l’origine des pièces françaises) et les lieux sont très variés : les maisons des deux familles, des rues, une prison et une troisième demeure. Scarron et Boisrobert ont fait le choix de réduire l’action à vingt-quatre heures, mais ont conservé la distribution des lieux. Seule la troisième demeure n’apparaît pas dans leurs pièces. Cette dernière était le lieu de rendez-vous de Don Lope et de Jacinte après la découverte de la vérité par Don Alvar et Don Sanche. Scarron et Boisrobert ont supprimé cette scène, les deux amoureux ne se revoient qu’à la fin de la pièce.
Corneille a préféré supprimer l’épisode de la prison, ce qui lui permet de représenter sur scène trois compartiments dans ou devant lesquels se joue toute la pièce. La seule indication fournie par les didascalies nous apprend en effet la présence d’une chaise chez les Guzmans, mais ne nous donne aucune indication sur les lieux. Les dialogues des personnages nous apprennent que seuls trois lieux sont nécessaires à l’action : la maison de Don Sanche, la maison des Guzmans et la rue. Tous les personnages étant présents sur scène à un moment donné dans chaque maison et un combat à cinq ayant lieu dans la rue, trois compartiments de taille identique devaient occuper la scène. Il est possible que les maisons aient été indiquées par des décors et des barrières qui s’avançaient vers le centre de la scène et que les acteurs jouaient devant le décor de la maison les scènes qui avaient lieu à l’intérieur14.
Corneille réduit lui aussi l’action à vingt-quatre heures : les actes I à III ont lieu de jour, l’acte IV le soir et l’acte V le lendemain. Il n’y a aucune indication sur la durée exacte de la pièce, ni dans les didascalies, ni dans les dialogues. L’acte V s’ouvre sur la réplique de Don Lope : « C’estoit pour m’en donner la funeste nouvelle / Que Jacinte hier au soir m’osa mander chez elle » (vers 1601-1602). C’est la seule information temporelle dont nous disposions. Quant au traitement de l’action, nous avons vu précédemment que Corneille en a modifié un certain nombre d’éléments. Le but de sa pièce est de permettre à deux couples de jeunes gens de se réunir, ce qui est, par excellence, le principe de la comédie à l’espagnole.
Limiter les péripéties, les événements secondaires, simplifier l’action à la réunion des amants, ôter les scènes de prison et les scènes grivoises, mettre en avant les bienséances, respecter la règle des trois unités, tout cela concourt à ne pas faire des Illustres ennemis une tragi-comédie qui s’ignore, mais bien une comédie à l’espagnole.
Les caractères §
Les personnages des Illustres ennemis sont inspirés par la comedia espagnole. On y retrouve certains de ses types adaptés par Corneille au goût français.
Les figures d’autorité §
Il s’agit de Don Sanche, le père, et d’Enrique, le frère aîné. Les deux nobles présentent un caractère fort, prompt à la colère et aux remèdes expéditifs : la confrontation entre Alonse et Enrique à l’ouverture de la pièce en est un exemple : Alonse : « Mais on vous aura fait peut-estre un faux rapport / Et de vos sens fougueux croire le fier tumulte… », Enrique : « Dans ces occasions le lâche seul consulte » (I, 1, v. 20-22). Les décisions d’Enrique sont prises sur le vif, dans la colère, et ce dernier refuse de revenir dessus, ni même d’admettre qu’il a tort « Et moy, quoy qu’on murmure et quoi qu’il en puisse eftre, / Seul de mes actions je veux estre le maiftre » (I, 1, v. 69-70). Don Sanche aussi se laisse porter par sa colère et choisit de recourir à des assassins pour se venger « Pourveu qu’on se vange il n’est rien de honteux » (IV, 6, v. 1480), « Par des gens apostez il m’a fait affronter, / […] Son exemple est pour moy le seul exemple à suivre » (IV, 8, v. 1584 et 1586). Tous deux s’abaissent à employer des méthodes réservées aux gens du peuple et dérogent à leur rang.
Ils représentent bien le personnage type de la figure d’autorité de la comedia espagnole, plaçant l’honneur avant tout, prêt à accomplir des actes répréhensibles pour pouvoir se venger, quelles qu’en soient les conséquences, et prêt à sacrifier beaucoup pour cette vengeance, sur une simple rumeur (Don Sanche fait attaquer Don Lope sans avoir la moindre preuve, ni le moindre aveu, car ce qui importe, c’est « l’opinion publique » ), sans pour autant voir que leurs actions vont à l’encontre des convenances et de leur rang.
Les jeunes filles §
Soumises à leur père et à leur frère, elles placent également leur honneur avant tout et sont prêtes à renoncer à leur bonheur pour racheter l’honneur qu’elles ont mis en péril. Notons qu’épouser l’offenseur de son père pouvait être acceptable en Espagne, cela se produit également dans d’autres pièces de cette époque, toutefois, c’était très mal perçu en France. Toutes deux sont vertueuses, bien plus que leurs modèles : dans la pièce de Rojas, le personnage de Jacinte apparaît dévêtu sur scène et a failli être surpris en galante compagnie. Chez Corneille, Jacinte refuse même de se servir de l’erreur de son père, pour pouvoir épouser l’homme qu’elle aime, accusé à tort : lorsque Don Lope lui propose de « [Prendre] l’occasion que le Ciel [lui] presente / De remplir les devoirs et de fille et d’amante », elle s’offusque à l’idée « [d’embrasser] un projet si honteux » (II, 2, v. 569-570 et v. 575). De même, elle refuse de salir l’honneur de Don Lope : « Si j’eusse hier estimé le bonheur d’estre à vous, / Je vous dois aujourd’huy refuser pour époux, / Et ne pas m’exposer à ce reproche infame, / Que le manque d’honneur me rendit voftre femme » (I, 4, v. 235-238).
Les deux jeunes filles placent leur honneur avant tout elles aussi ; Jacinte refuse d’épouser Don Lope, parce que son honneur est entaché ; Cassandre refuse de rompre ses fiançailles pour épouser Don Alvar, à qui elle avait accordé son amour autrefois : « il y va de ma gloire » dit-elle (III, 6, v. 1113). Pour l’une comme pour l’autre, il s’agit avant tout « De faire [leur] devoir, le Ciel fera le reste » (III, 2, v. 618).
Cassandre et Jacinte sont loin des jeunes filles rusées, prêtes à tout pour obtenir le mariage auquel elles aspirent. Corneille s’est ici éloigné de son modèle et a adapté ses personnages féminins à ce qu’on aurait attendu d’elles dans le théâtre français. Le modèle féminin vertueux espagnol est celui des femmes mariées dans la comedia : dans le Peintre de son déshonneur, dont Thomas Corneille s’est inspiré, le personnage de Cassandre est marié, c’est pour cette raison qu’il est aussi vertueux. Le comportement du personnage de Jacinte dans Obligés et offensés montre bien le décalage entre le type de la jeune fille et celui de la femme mariée. Les Jacinte de Scarron et de Boisrobert ont, elles aussi, accepté la présence d’un homme dans leur chambre. Même s’il n’y a pas chez ces deux auteurs d’ambiguïté sur ce qui s’est passé dans la pièce, puisque le rendez-vous a lieu devant les spectateurs et les suivantes, c’est une attitude contraire aux bonnes mœurs. Cette adaptation était donc nécessaire pour le respect des vraisemblances.
Les deux amoureux §
Don Lope et Don Alvar sont loin des personnages débauchés, ou tout du moins noceurs, de Rojas, ils se comportent de façon plus conforme à leur rang, mais ils agissent quand même selon les principes de l’honneur espagnol. Comme son père, Don Alvar est prêt à tuer l’homme qui lui doit la vie et à qui il doit la vie sur une rumeur qu’il sait fausse ; moins emporté, il attend néanmoins de savoir ce qui s’est passé avant d’attaquer et ce de façon loyale. Dans la scène 9 de l’acte III, Don Lope aide Don Alvar face à trois hommes, parce que la lutte est inégale et lâche, c’est une question d’honneur. Et c’est pour la même raison que, dans la scène 8 de l’acte IV, Don Alvar intervient aux côtés de Don Lope pour repousser les assassins envoyés par son père. Il agit également pour pouvoir se venger lui-même. Toujours par honneur, Don Lope refuse de dénoncer son frère, le responsable de l’affront fait à Don Sanche, « Un frere, dont l’eftat trop digne de pitié, / Me feroit soupçonner d’un secours mandié ! » (V, 1, v. 1647-1648).
La situation dans laquelle se trouve Don Lope et Don Alvar est classique dans la comedia : je dois la vie à celui que je dois tuer et que j’ai moi-même sauvé. Leurs personnages sont près des caballeros, mais n’en ont pas toutes les caractéristiques : certes, ils sont soumis face aux dames, mais ils n’ont pas leur agressivité, malgré leur facilité à tirer l’épée.
Les suivantes §
Contrairement à leurs homologues espagnols, elles n’ont pas de rôle dans l’action et ne créent pas le rire. Blanche comme Flore ne sont là que pour servir de messagère et permettre le dialogue dans les scènes de liaisons, notamment dans la cinquième scène de l’acte III, lorsque Flore démontre à Cassandre « que tout [son] heur dépend d’un peu moins de vertu ». Leurs attitudes accentuent d’ailleurs les sacrifices que font les deux jeunes filles, elles sont la voix du cœur.
Le confident §
Le personnage d’Alonse est proche du rôle de confident, il aide à dénouer la situation qu’il a lui-même compliquée. Du côté des amants, il permet la création d’un danger et la réalisation d’un dénouement heureux. C’est lui qui propose à Don Sanche à la scène 5 de l’acte I que l’offenseur épouse Jacinte, pensant ainsi, en accusant à tort Don Lope, permettre aux amoureux de se marier. Nous apprenons de la bouche de Don Sanche que c’est également lui qui dénoue la situation en obtenant d’Enrique la vérité et le repentir « blessé par rencontre, et craignant de mourir, / Chez Alonse à moy-mesfme [il] a pû se découvrir » (V, 5, v. 1911-1912). Notons que sans son intervention, Don Lope n’aurait pas été attaqué par les assassins engagés par Don Sanche, que Don Alvar n’aurait pas pu le sauver, et que les deux hommes auraient donc eu à se battre. Sans le vouloir, il a rendu les deux jeunes gens redevables l’un à l’autre.
Les autres personnages §
Corneille a diminué le rôle des assassins créés par Rojas : ceux-ci participaient à l’action dans Obligés et offensés, en apprenant au personnage de Don Alvar l’attaque fomentée contre le personnage de Don Lope. Dans les Illustres ennemis, seul le prévôt joue un rôle important : il apprend à Don Lope le nom de l’homme que Don Alvar a blessé avant leur rencontre (IV, 10).
Nous retrouvons donc dans les Illustres ennemis des types de la comedia espagnole dans les figures d’autorité, obstacles aux amoureux, dans les couples, de façon partielle, et dans le confident ; toutefois, les personnages secondaires ont vu leur rôle diminué, notamment pour tout ce qui concernait l’aspect comique de la pièce. De plus, les caractères des personnages ont été adaptés à la scène française : les amants sont moins passionnés, les jeunes filles sont moins hardies, les confidentes moins entreprenantes. Ces modifications participent au passage de la tragi-comédie à la comédie15 et à l’adaptation réussie d’une pièce espagnole aux règles de bienséance françaises, même si cette transcription n’est pas parfaite16.
Thématique §
Le traitement de l’honneur §
L’honneur a un rôle primordial dans cette pièce, il est le moteur de l’action, celui auquel chaque personnage fait référence pour justifier ses actes.
Il est tout d’abord une justification de la violence d’Enrique et de Don Sanche : c’est l’honneur qui les pousse à la faute, créant deux étapes importantes de l’action. Enrique a offensé Don Sanche avant l’ouverture de la pièce sous la colère pour « un vain discours dont [son] honneur s’offence » (Alonse, I, 1, v. 29). Bien que cette action ait eu lieu en dehors de la pièce, c’est elle qui fait des Guzmans les ennemis de Don Sanche et c’est encore elle qui est à l’origine de la méprise de l’offensé. En effet, Enrique demande à Alonse de mentir à Don Sanche et d’accuser son frère, Don Lope, de l’offense : ainsi « quoy que son amour ait pû luy faire croire, / Le rendre sans espoir, c’est asseurer sa gloire » (I, 1, v. 77-78). Enrique n’estimait pas Jacinte digne de son frère, en le rendant coupable, il rend leur mariage impossible et fait de Don Lope la cible de Don Sanche.
Le guet-apens monté par ce dernier est donc entièrement dû au mensonge d’Enrique, mais là encore, l’honneur sert de prétexte à des actes contraires aux règles de bienséance. « Par des gens apostez il m’a fait affronter / […] Son exemple est pour moy le seul exemple à suivre » (IV, 8, v. 1584 et 1586), Don Sanche justifie ainsi cette agression, mais cette vengeance sera indigne de lui, car elle doit être faite par un membre de la famille. Les règles de l’honneur qui font agir Don Sanche sont celles que suit Don Alvar et que trahit le père en faisant appel à des assassins : « Son sang est mal versé si ce n’est par ma main » (IV, 8, v. 1592) lui répond Don Alvar, se faisant ainsi le porte-parole des valeurs des gentilshommes.
Toutefois cette action de Don Sanche permet à Don Alvar de racheter sa dette envers Don Lope : il n’y a plus ni offensé, ni obligé, mais deux hommes à la fois offensés et obligés. Ainsi, les deux principaux obstacles au bonheur de Jacinte et de Don Lope ont été engendrés par la volonté de deux hommes de défendre leur honneur en employant de basses méthodes ; mais ce ne sont pas les seuls obstacles dus à l’honneur.
En effet, l’honneur de Cassandre et de Jacinte les pousse à refuser d’écouter leurs cœurs et elles s’opposent aussi à leur bonheur. Jacinte s’éloigne de Don Lope pour cette raison : elle refuse de le laisser la venger car « Ce sang de l’offenseur qu’un tel affront demande / Il faut que l’offencé luy-mesme le répande » (I, 4, v. 201-202) ; et ne veut pas souiller son nom : « Je vous dois aujourd’huy refuser pour époux, / Et ne pas m’exposer à ce reproche infame, / Que le manque d’honneur me rendit vostre femme. » (I, 4, v. 236-238). C'est toujours le même prétexte qui la fait refuser le stratagème d’Alonse : « je pourray souffrir qu’on me reproche un jour / Que l’honneur me servit de pretexte à l’amour » ! (II, 2, v. 579-580).
Le rapport entre l’honneur et l’amour est en effet assez complexe. Cassandre se réclame des règles de l’honneur pour repousser Don Alvar lorsqu’il réapparaît, malgré et contre son amour. Cassandre a donné sa parole et il est hors de question qu’elle remette en cause celle-ci, même si son premier amour est toujours en vie, même si son fiancé la délaisse, même si elle se rend malheureuse (II, 5, v. 762-4) :
CASSANDRELa parole est donnée,Et ma main dans deux jours acheve l’hymenée.D. ALVARCe terme peut encor rétablir mon bonheur.CASSANDRECe terme est peu de chose à qui cherit l’honneur.
À chaque rencontre avec Don Alvar, Cassandre lui tient le même discours : son honneur et sa vertu lui interdisent de le revoir, de le laisser espérer et de rompre ses fiançailles.
« Faisons nostre devoir, le Ciel fera le reste. » (II, 2, v. 618). Cette phrase résume l’attitude des deux jeunes filles : un respect strict de leur honneur, aux dépens de leur bonheur, et très loin du comportement habituel des jeunes filles dans les comedias. Elles se posent comme obstacle à la réalisation de leurs propres mariages à cause de cet honneur. Cependant, c’est grâce à cela que le duel entre Enrique et Don Alvar aura lieu, là encore l’honneur est le moteur de l’action, il supplante même l’amour dans le cœur des jeunes filles et guide chacun de leurs actes dans la pièce.
C'est toujours lui qui va permettre de dénouer la situation sans faillir au devoir, ni aux convenances. En effet, les deux jeunes filles n’ont jamais dévié du droit chemin, ce qui permet à Don Sanche et à Enrique d’approuver leurs mariages. De plus, Don Sanche a été vengé par son fils, mais sans le savoir, ce qui conforte l’idée d’une récompense divine (V, 5, v. 1918-22) :
D. ALVARQuoy, vostre frere ! ô Ciel, que ta justice est prompte !D. SANCHEIl nous la montre en luy.D. ALVARMais vous ne sçavez pasQue le voulant punir il l’a fait par mon bras.Sans sçavoir vostre affront j’en ay tiré vangeance.D. SANCHEQuoy, mon fils auroit pû reparer mon offence ?
Si nous, lecteurs, ignorons ce qu’a réellement dit Don Sanche à propos du mariage de Cassandre et de Fernand, nous pouvons néanmoins voir que chacun a été puni pour ses crimes et récompensé pour ses bonnes actions.
À la fin de la pièce, tout le monde se comporte à nouveau selon les règles de la bienséance, la vérité et le respect des convenances ont permis un dénouement heureux. L’honneur a conduit l’action de sorte qu’il fait à la fois figure d’obstacle et de soutien pour les amoureux. Il sert de prétexte aux mauvaises actions du père et du frère, mais il les pousse également à reconnaître leurs torts. Il dicte la conduite des amoureux, se place au-dessus de l’amour et de l’amitié, mais récompense ces valeurs et ceux qui les respectent. C’est une originalité de cette pièce : les figures d’autorité ne sont pas les seuls, ni les principaux obstacles.
Le traitement de l’honneur est aussi un moyen pour Corneille d’améliorer la pièce de Rojas et de se démarquer des pièces de Scarron et de Boisrobert. Les deux couples sont des personnages droits qui ne s’abaissent jamais à se cacher derrière leur honneur. Les personnages de Rojas, Scarron et Boisrobert peuvent paraître plus humains parce qu’ils ont des défauts, mais ils semblent aussi plus ridicules lorsqu’ils exagèrent et moins proches de ce que le public attend de jeunes gens de leur condition. Ils ne donnent pas l’impression de vouloir arranger la situation, mais ils semblent rechercher avant tout des bénéfices personnels. Il est possible de reprocher à Corneille d’avoir mis sur scène des personnages qui ne paraissent pas vrais, mais on ne peut lui reprocher d’avoir respecter les convenances et la règle classique de la vraisemblance. La force de caractère de ses personnages rend cette pièce plus agréable à lire, justement parce qu’elle édifie le lecteur comme le spectateur et leur montre que le respect de l’honneur est toujours récompensé.
La question de l’identité §
Cacher l’identité d’un personnage pendant plusieurs scènes se retrouve fréquemment au théâtre. Rojas utilise ce procédé dans Obligés et offensés, Scarron, Boisrobert et Corneille le reprennent dans leurs pièces. Pourtant, dans les Illustres ennemis, ce dernier ne se limite pas à faire de cette inconnue un moteur de l’action, il s’en sert pour rapprocher ses personnages et dévoiler leur grandeur d’âme.
En effet, Don Alvar ne révèle son identité à Don Lope qu’au dernier acte ; or les deux hommes se rencontrent au troisième acte, alors que le spectateur connaît le nom de Don Alvar et ses liens avec les différents protagonistes dès son apparition au deuxième acte. L’ignorance de Don Lope va créer quelques quiproquos, notamment dans les scènes 4 à 8 de l’acte II où Don Alvar favorise un rendez-vous entre celui qui est censé être son ennemi et sa propre sœur. Cependant cette identité inconnue est avant tout un élément révélateur.
Lors de leur première rencontre à l’acte III, les deux hommes se battent côte à côte face à des spadassins. Ils ignorent tout l’un de l’autre, mais ils se rendent compte à ce moment-là qu’ils sont liés par des valeurs communes. Don Lope, après avoir révélé son identité à Don Alvar, lui annonce qu’il doit le tuer pour venger son frère, même s’il sait que Don Alvar devait avoir de justes raisons car « Par soy-mesme un grand coeur juge toûjours d’un autre » (III, 11, v.1157). Don Alvar refuse ce combat et décide « De fuir un ennemy qui [lui] a sauvé la vie, / Et faire voir qu’au moins, si le Ciel l’eust permis, / [Ils n’étaient] pas peut-estre indignes d’estre amis. » (III, 11, v.1166-1168).
Leurs attitudes respectives permettent aux deux hommes de devenir amis à l’acte IV lorsque Don Alvar apprend à Don Lope qu’il n’est plus digne de l’affronter, parce qu’il a été offensé. « Devenons donc amis tant que le sang d’un lâche / De ma gloire obscurcie ait effacé la tache » (IV, 2, v.1332-1334). Cette amitié serait impossible si les deux personnages ne partageaient pas les mêmes valeurs.
Lors du rendez-vous entre Don Lope et Jacinte, Don Alvar découvre une partie de la vérité et comprend qu’il favorise une rencontre entre sa sœur et son offenseur à l’insu de son père. Pourtant, contrairement à ses homologues chez Rojas, Scarron et Boisrobert, le Don Alvar de Corneille ne dénonce pas sa sœur, ne lui fait pas de reproches et ne menace pas non plus de la tuer. Don Alvar estime sa sœur et reconnaît partager avec elle les mêmes qualités et les mêmes valeurs : « Et comme je cognoy qu’on peut aimer sans crime, / Jacinte estant ma soeur, j’ay lieu de presumer / Que sans blesser sa gloire elle a pû vous aimer » (V, 3, v. 1778-1780).
Il sait également que les accusations prononcées à l’encontre de Don Lope sont fausses : « C’est peu pour negliger un devoir si pressant / Que mon coeur en secret vous declare innocent, / […] Vous estes criminel tant que l’on vous accuse » (V, 3, v. 807-1810). Don Alvar est un homme de cœur et c’est une qualité qu’il partage avec Don Lope. Le combat qui oppose ce dernier aux assassins envoyés par Don Sanche le confirme. Don Alvar refuse de laisser un homme seul en affronter plusieurs, de ne pas se venger lui-même, et surtout il ne peut se résoudre à abandonner Don Lope, alors qu’il lui a promis sa protection pour cette soirée. Cette attitude permet à Don Lope de libérer Don Alvar de son obligation et de le considérer enfin librement comme un « ami » (V, 3, v. 1737).
La question de l’identité est certes un moteur de l’action, puisqu’elle permet aux deux hommes de s’obliger mutuellement, mais Corneille a été plus loin que les autres auteurs. Il met avant tout en scène les valeurs communes à Don Lope et à Don Alvar. Le spectateur peut voir que les deux jeunes hommes font preuve d’humanité, d’intelligence, de reconnaissance et surtout de cœur. L’absence des valets permet dès lors de ne pas tourner en ridicule certaines scènes par des répliques grotesques et comiques. Les deux hommes n’ont pas besoin du contraste qui aurait ainsi été créé pour se faire valoir. Leur comportement et la façon dont Corneille le met en avant suffisent à établir leur grandeur d’âme.
Note sur la présente édition §
Le texte de la présente édition §
Nous avons établi le texte à partir de la première édition de cette pièce, datant de 1657, imprimée à Rouen par L. Maurry, pour Augustin Courbet, conservée à la bibliothèque de l’Arsenal (Rf 2.685, in°12). Cette édition a été réalisée à la demande de Guy de Luynes qui a partagé les droits avec Augustin Courbet (toutefois nous n’avons pas trouvé d’exemplaire vendu chez Guy de Luynes, ni d’autre exemplaire de cette édition). En voici la description :
1 vol., 6ff. non paginés : [I – I bl – X], 96 p, in 12°.
[I] : LES/ ILLUSTRES/ ENNEMIS, / COMEDIE./ (Vignette) / Imprimé à ROUEN, par L. MAURRY, / Pour/ AUGUSTIN COURBE/ Marchand Libraire, à PARIS, au/ Palais, dans la petite Salle des/ Merciers, à la Palme./ M. DC. LVII./ AVEC PRIVILEGE DU ROY.
[II] : verso blanc.
[III – X] : épître.
[XI] : extrait du privilège du roi.
[XII] : liste des acteurs.
1-96 : texte de la pièce, précédée d’un dessin dans un bandeau et du titre de la pièce.
L’achevé d’imprimé n’est pas précisé, ni la durée du privilège.
Les autres éditions §
Différentes éditions et impressions du texte des Illustres ennemis de Thomas Corneille.
Date | Arsenal | BNF | Gallica | BU | Editeurs | ||
1657 (Illustres ennemis) | Rf 2.685 in°12 | Imprimé à Rouen par L. Haurry, vendu à Paris chez Courbet et chez de Luynes | |||||
1661 (Poèmes dramatiques, vol II) | Tolbiac, RDJ, magasin, YF 2563 in 8° | Imprimé à Rouen, vendu à Paris chez de Luynes et Courbet | |||||
1662 (Illustres ennemis) | Rf 2.686 in°12 | Suivant la copie imprimée à Paris | |||||
1665 (Tragédies et Comédies de Th C) | Rf 2.654 in°12 | Tolbiac, RDJ, magasin, SMITH LESOUEF R 3554 | Lunel, BM, LUK 95.18 | Suivant la copie imprimée à Paris [en 1662] | |||
1669 (Poèmes dramatiques, vol II) | Tolbiac, RDJ, magasin, YF 2566 | CESR de Tours, SR 59c | Imprimé à Rouen, vendu à Paris chez de Luynes | ||||
1682 (Poèmes dramatiques, vol. II) | Il n’y a que les vol I, IV et V YF 2569 | A Paris chez de Luynes | |||||
1692 (le Théâtre, vol. II) | *Rf 2.655 in°12 | *8° GRAND 11921 (non relié) | Suivant la copie imprimée à Paris [en 1690] | [sans nom] | |||
1692 (le Théâtre, vol. II) | Tolbiac, RDJ, magasin, *16 YF 1195(2) | *SMITH LESOUEF R 3481 | [sans nom] | ||||
1692 (Poèmes dramatiques, vol. II) | Tolbiac, RDJ, magasin, YF 2574 | A Paris chez de Luynes | |||||
1692 (Poèmes dramatiques, vol. II) | Tolbiac, RDJ, magasin, *YF 2579 | *RES YF 3093 | Rennes 2, BU lettres sciences sociales, 55357 | A Paris chez Trabouillet et Besoigne | |||
1698 (Poèmes dramatiques, vol. II) | Ascoli Il n’y a que les volumes III à V. | Lyon, L. Bacheton | |||||
1701 (le Théâtre) | Tolbiac, RDJ, magasin, YF 2548 | En Hollande, à Amsterdam, chez H. Desbordes | |||||
1706 (Poèmes dramatiques, vol. II) | 8 BL 12 744 in 8° | Tolbiac, RDJ, magasin, YF 2584 | A Paris chez Osmont | ||||
1709 (le Théâtre) | Tolbiac, RDJ, magasin, (MFICHE) 8 YF 1341 | NUMM 73811 | En Hollande, à Amsterdam, chez les frères Chatelain |
(Les exemplaires en gras n’ont pas pu être consultés, ceux soulignés sont des recueils factices)
Il existe donc trois versions du texte des Illustres ennemis : la version originale de 1657 ; la version de 1661, un recueil, qui comporte deux rectifications (vers 146 le > la, et à l’acte IV, un décalage se fait à partir de la scène 6 qui devient la scène 7) ; et la version de 1692, éditée par Trabouillet et par Besoigne, qui comprend une cinquantaine de différences avec la première édition de 1657, celles-ci sont indiquées en note de bas de page dans la reproduction du texte.
Les éditions autorisées suivent les modifications effectuées : les œuvres éditées chez de Luynes en 1669, 1682 et 1692 suivent le texte de 1661, déjà édité chez cet homme à Paris. Nous n’avons pas pu consulter l’édition de 1682, mais nous avons supposé que l’éditeur avait suivi l’édition de 1661, dans la mesure où l’édition postérieure conserve ces modifications. La dernière édition autorisée du vivant de l’auteur est celle d’Osmont, à Paris, en 1706 ; elle suit l’édition de Trabouillet et Besoigne de 1692.
Les contrefaçons de 1662 et 1665 ont été faites à partir du texte original de 1657. Les contrefaçons de 1692 [sans nom] suivent le texte édité en 1661. Nous pensons que l’édition de Lyon, chez Bacheton, en 1698, et les éditions faites en Hollande sont des contrefaçons de la version de 1692 de Trabouillet et Besoigne17.
Nous pensons en effet que certaines de ces éditions ont été réalisées illégalement : celles de 1662, 1665 (il s’agit en fait d’invendus de 1662 reliées dans un recueil avec d’autres invendus), 1692 [ss N] et les éditions hollandaises. Nous fondons cette hypothèse sur deux faits : tout d’abord l’absence d’éditeur et la mention suivante qui figure sur les pages de titre de chacune des pièces de ces recueils « suivant la copie imprimée à Paris en » ; ensuite la formulation de la date : au lieu d’être écrite sur le modèle classique M DC XV II ou M DC L XXXX II, elles sont écrites ainsi et . Cette formulation est typiquement hollandaise.18
Nous ignorons pourquoi ces modifications ont eu lieu, nous supposons qu’elles ont été faites par l’auteur lui-même lors d’un remaniement du texte.
Nous n’avons trouvé que deux éditions du texte seul, les autres proviennent d’œuvres complètes, parmi celles-ci, les éditions de 1665, de 1792 [ss N] et de 1709 sont des recueils factices.
Nous avons également trouvé une traduction italienne de la pièce à l’Arsenal : Illustri nemici, comedia di Pietro [Tomaso] Cornelio, tradota del francese et accomodata all’uso delle scene d’Italia, in Bologna, stamp. Del Longhi, 1704, in 12° (Rf 2 687), 130p.
Les recherches ont été effectuées dans les bibliothèques suivantes : BNF (et toutes celles qui sont cataloguées dans le SUDOC), Arsenal, Mazarine, Sainte-Geneviève, Ascoli.
L’établissement du texte §
Nous avons modernisé l’orthographe pour les lettres suivantes : ſ > s ; v. > u ; j > i.
Nous avons décomposé la ligature & en et.
Nous avons remplacé le tilde marquant les nasalisations par la consonne correspondante.19
Nous avons corrigé les coquilles au vers 242, Jene > Je ne et au vers 474, asçeu > a sçeu.
Nous avons rétabli le féminin au vers 1819, tel > telle.
Nous avons rétabli l’accent diacritique au vers 974, a > à, au vers 1898, ou > où, au vers 1900, à > a, au vers 1929, a > à et au vers 1952, à > a.
Les * renvoient au lexique.
De nombreux doublets poétiques sont employés dans ce texte, ils présentent l’avantage de compter pour une syllabe de plus (ou de moins) que la forme normale, il s’agit des mots suivants : encor/encore ; dedans/dans ; avecque/avec ; las/hélas ; lors/alors.
LES ILLUSTRES ENNEMIS,
COMEDIE. §
A MADAME LA COMTESSE DE FIESQUE.20 §
MADAME,
L’Approbation dont il vous a plû vous montrer si liberale envers ce Poëme, m’est trop glorieuse pour la tenir plus long-temps secrete, et j’ose rendre public le remerciement que je vous en dois, afin d’apprendre au Public que vous me l’avez donnée. Ainsi je satisfais tout ensemble mon devoir et ma vanité, et je souhaiterois pouvoir faire cognoistre* à toute la terre combien je vous suis redevable, afin que toute la terre cognust combien vous m’avez estimé. Cet effet de l’amour propre ne vous surprendra* pas, vous sçavez trop qu’il est naturel à tous ceux qui se meslent d’écrire, je tâche à me purger du reste de leurs defauts, mais je ne sçaurois me défendre de celuy-cy, ny m’empescher de vous dire que j’ay toûjours dans l’esprit les douces Idées de l’heureuse représentation de cet Ouvrage qui fut faite il y a quelque temps en vostre presence, que je revoy à tous momens cette obligeante* attention que vous luy prétastes, et que je prens plaisir sans cesse à me souvenir des applaudissemens dont vous daignastes* l’honorer, et des témoignages avantageux que vous luy rendistes. Apres cela, MADAME, je ne puis que je n’aye quelque bonne opinion de moy-mesme ; y resister opiniastrement, ce seroit vous accuser d’injustice, et c’est ce que toute la France n’oseroit faire, puis qu’il est certain que vostre suffrage* y sert de regle à celuy des plus honnestes Gens de la Cour, que c’est trouver le bel art* de leur plaire que de vous avoir plû, et que l’envie n’ayant osé jusqu’icy vous disputer le Privilege de prononcer souverainement sur les plus belles choses, la moindre repugnance à s’attacher au jugement que vous en faites, passe auprès d’eux pour une marque infaillible d’une cognoissance mal éclairée. Celuy que vous avez rendu depuis peu en ma faveur, a sans doute esté au de-là de mes plus flateuses esperances ; et toutefois, MADAME, il faut que j’advoüe qu’il ne suffit point à cette insatiable soif de gloire* où vous m’avez enhardy. Ce n’est pas que je n’envoye ces ILLUSTRES ENNEMIS vous faire hommage jusques dans vostre Cabinet, qu’afin qu’ils reçoivent de vous à la lecture, ce qu’ils en ont déjà receu durant le reçit. Je n’ose douter que je n’obtienne aisément cette demande, puisque c’est vous demander seulement que vous soyez toûjours vous-mesme. Je dois sçavoir que le faux éclat de la representation n’a point encor eu le pouvoir de vous ébloüir, et que comme parmy toute sa pompe, les veritables defauts de nos plus brillantes productions n’échapent jamais aux lumieres penetrantes de vostre discernement, leurs veritables beautez ne perdent rien auprés de vous pour estre dénuées de ce dehors fastueux dont les revestent nos Theatres. Je ne parle point de tant d’autres belles qualitez, qu’il semble que le Ciel se soit plû assembler en vostre Personne, il me suffit d’en admirer la merveilleuse union, et d’estre asseuré que l’on imputera plustost mon silence à mon respect, qu’à la crainte de me faire soupçonner de ces déguisemens artificieux, qui pour eslever trop haut ceux que l’on entreprend de loüer, les font souvent perdre de veüe, et qui les cachent si bien sous les apparences trompeuses de quelques vertus empruntées, qu’il est presque impossible de les recognoistre. Ce genre de flatterie, dont la plus vaste ambition se laisse quelquefois chatoüiller, n’aura jamais de part aux éloges que vous avez droit de pretendre ; pour rien apprehender de ses industrieux mensonges, vous donnez matiere à trop de glorieuses veritez, et il sera toûjours plus difficile d’exprimer parfaitement tout ce que vous estes, que de faire paroistre avec adresse ce que les autres ne sont pas. Aussi, MADAME, n’ay-je pas la temerité de m’engager à une entreprise où les plus delicates Plumes auroient peine à reüssir, elle vous seroit trop injurieuse, et je croirois me rendre peu digne de la protection dont je prens la liberté de vous importuner pour ce Poëme que je vous presente. Vous avez toûjours témoigné tant de bonté pour moy, que j’ose me promettre que vous ne la luy refuserez pas, et que vous souffrirez* qu’en vous presentant, je prenne l’occasion de vous rendre de tres-humbles graces*, non seulement pour les faveurs que vous luy avez prodiguées, mais pour celles que vous avez répanduës sur ceux de ma façon qui l’ont precedé. Comme les sentimens d’estime que vous en avez laissé paroistre en ont fait tout le succez, il y auroit de l’ingratitude à ne pas confesser que je vous en dois toute la gloire*, et que l’ambitieuse ardeur de les meriter a plus contribüé à donner de nouvelles forces à mon foible Genie, que n’auroient fait les soins* assidus de l’Estude la plus serieuse. Cette obligation* que je vous ay, me paroist trop pressante pour differer davantage l’adveu* public que je vous en fais. Daignez* l’agréer pour recognoissance d’une partie de ce que je tiens de vous ; et puisque je ne suis pas assez considerable pour oser esperer de m’en pouvoir acquiter entierement par mes services, soyez assez genereuse pour vous contenter de la respectueuse protestation que je fais d’estre toute ma vie,
Madame,
Vostre tres-humble et tres-
obeïssant serviteur,
T. CORNEILLE.
Extrait du Privilege du Roy. §
Par grâce et Privilege du Roy, donné à Paris le 3 Avril 1656, il est permis à Guillaume de Luyne Marchand Libraire à Paris, d’imprimer une Piece de Theatre, de la composition du Sieur Corneille, intitulée Les Illustres Ennemis : et deffences sont faites à tous autres de l’imprimer, vendre, ny debiter d’autre impression que celle dudit Exposant, à peine de deux mil livres d’amende, confiscation des Exemplaires, et de tous dépens, dommages et interests, comme il est plus amplement porté par lesdites Lettres.
Et ledit de Luyne a associé audit Privilege Augustin Courbé Marchand Libraire à Paris, pour en joüir suivant l’accord fait entre eux.
Achevé d’imprimer le 30 Novembre 1656, à Roüen,
par LAURENS MAURRY.
Les Exemplaires ont esté fournis.
Registré sur le Livre de la Communauté le 15 Avril 1656,
Suivant l’Arrest du Parlement du 9 Avril 1653.
Acteurs. §
- D. LOPE de Guzman, Amant de Jacinte.
- ENRIQUE, Frere de D. Lope.
- ALONSE de Roxas, Amy de D. Lope et d’Enrique.
- D. SANCHE, Pere de D. Alvar et de Jacinte.
- D. ALVAR, Amant de Cassandre.
- D. RAMIRE, Amy de D. Sanche.
- D. LOUIS, Prevost.
- CASSANDRE, Sœur de D. Lope.
- JACINTE, Fille de D. Sanche.
- BLANCHE, Suivante de Jacinte.
- FLORE, Suivante de Cassandre.
ACTE I. §
SCENE PREMIERE. §
ALONSE
ENRIQUE
ALONSE
ENRIQUE
ALONSE
ENRIQUE
ALONSE
ENRIQUE
ALONSE
ENRIQUE
ALONSE
ENRIQUE
ALONSE
ENRIQUE
ALONSE
ENRIQUE
ALONSE
ENRIQUE
ALONSE, seul
SCENE II. §
ALONSE
BLANCHE
ALONSE
SCENE III. §
JACINTE
BLANCHE
JACINTE
BLANCHE
JACINTE
BLANCHE
JACINTE
BLANCHE
JACINTE
SCENE IV. §
JACINTE
D. LOPE
JACINTE
D. LOPE
JACINTE
D. LOPE
JACINTE
D. LOPE
JACINTE
D. LOPE
Ah ! permettezJACINTE
D. LOPE
JACINTE
D. LOPE
JACINTE
D. LOPE
JACINTE
D. LOPE
JACINTE
BLANCHE
JACINTE
BLANCHE
JACINTE
SCENE V. §
D. SANCHE
ALONSE
D. SANCHE
ALONSE
D. SANCHE
ALONSE
D. SANCHE
ALONSE
D. SANCHE
ALONSE
D. SANCHE
ALONSE
D. SANCHE
ALONSE
D. SANCHE
ALONSE
D. SANCHE
ALONSE
SCENE VI. §
JACINTE
D. SANCHE
JACINTE
D. SANCHE
JACINTE
JACINTE
D. SANCHE
SCENE VII. §
JACINTE
D. LOPE
JACINTE
D. LOPE
JACINTE
D. LOPE
JACINTE
D. LOPE
JACINTE
D. LOPE
JACINTE
D. LOPE
JACINTE
D. LOPE
JACINTE
D. LOPE
JACINTE
D. LOPE
JACINTE
D. LOPE
ACTE II §
SCENE PREMIERE §
D. LOPE
CASSANDRE
D. LOPE
CASSANDRE
D. LOPE
CASSANDRE
D. LOPE
CASSANDRE
D. LOPE
CASSANDRE
SCENE II. §
D. LOPE
CASSANDREà Jacinte
JACINTE
D. LOPE
JACINTE
D. LOPE
JACINTE
D. LOPE
JACINTE
D. LOPE
JACINTE
D. LOPE
JACINTE
D. LOPE
JACINTE
D. LOPE
JACINTE
D. LOPE
JACINTE
D. LOPE
JACINTE
D. LOPE
JACINTE
SCENE III. §
CASSANDRE
JACINTE
CASSANDRE
JACINTE
CASSANDRE
JACINTE
CASSANDRE
JACINTE
CASSANDRE
JACINTE
CASSANDRE
JACINTE
CASSANDRE
SCENE IV. §
JACINTE
CASSANDREcomme en pâmoyson.
JACINTE
FLORE
JACINTE
FLORE
JACINTE
FLORE
JACINTE
FLORE
JACINTE
FLORE
JACINTE
SCENE V. §
D. ALVAR
JACINTE
D. ALVAR
CASSANDREcomme en pâmoison
D. ALVAR
JACINTE
D. ALVAR
CASSANDREen pâmoison
D. ALVAR
JACINTE
CASSANDRE
JACINTE
CASSANDRE
D. ALVAR
CASSANDRE
D. ALVAR
CASSANDRE
JACINTE
D. ALVAR
Ah ! c’est trop meCASSANDRE
D. ALVAR
CASSANDRE
D. ALVAR
CASSANDRE
D. ALVAR
D. ALVAR
CASSANDRE
D. ALVAR
D. ALVAR
D. ALVAR
CASSANDRE
D. ALVAR
JACINTE
D. ALVAR
ACTE III. §
SCENE PREMIERE. §
D. RAMIRE.
D. SANCHE
D. RAMIRE.
D. SANCHE
D. RAMIRE.
D. SANCHE
D. RAMIRE.
D. SANCHE
D. RAMIRE.
D. SANCHE
D. RAMIRE.
D. SANCHE
D. RAMIRE.
D. RAMIRE.
D. SANCHE
D. RAMIRE.
D. SANCHE
SCENE II. §
D. SANCHE
SCENE III. §
JACINTE
BLANCHE
JACINTE
BLANCHE
JACINTE
BLANCHE
JACINTE
SCENE IV. §
JACINTE
CASSANDRE
JACINTE
CASSANDRE
JACINTE
CASSANDRE
JACINTE
CASSANDRE
SCENE V. §
CASSANDRE
FLORE
CASSANDRE
FLORE
CASSANDRE
FLORE
CASSANDRE
SCENE VI. §
D. ALVAR
CASSANDRE
D. ALVAR
CASSANDRE
D. ALVAR
CASSANDRE
D. ALVAR
CASSANDRE
D. ALVAR
CASSANDRE
D. ALVAR
CASSANDRE
Il y va de maD. ALVAR
CASSANDRE
D. ALVAR
CASSANDRE
D. ALVAR
CASSANDRE
D. ALVAR
CASSANDRE
D. ALVAR
CASSANDRE
D. ALVAR
CASSANDRE
D. ALVAR
CASSANDRE
D. ALVAR
CASSANDRE
D. ALVAR
CASSANDRE
FLORE montrant ENRIQUE qui paroist
CASSANDRE
SCENE VII. §
ENRIQUE
D. ALVAR coupant chemin à ENRIQUE
qu’il voit se preparer à suivre Cassandre.
D. ALVAR
D. ALVAR
CASSANDREparoissant apres que D. ALVAR
a fait reculer ENRIQUE hors du Theatre
FLORE
CASSANDRE
FLORE
CASSANDRE
FLORE
SCENE VIII. §
D. LOPE
CASSANDRE
D. LOPE
CASSANDRE
SCENE IX. §
1. BRAVE*
2. BRAVE*
3. BRAVE*
D. LOPE
3. BRAVE*
D. LOPE
2. BRAVE*
D. ALVAR
D. LOPE
D. ALVAR
D. ALVAR
D. LOPE
D. ALVAR
SCENE X. §
D. LOPE
D. LOUIS
D. LOPE
D. LOUIS
SCENE XI. §
D. ALVAR
D. LOPE
D. ALVAR
D. LOPE
D. ALVAR
D. LOPE
D. ALVAR
D. LOPE
D. ALVAR
D. LOPE
D. ALVAR
D. LOPE
D. ALVAR
D. LOPE
D. ALVAR
D. LOPE
D. ALVAR
D. LOPE
D. ALVAR
D. LOPE
D. ALVAR
D. LOPE
D. ALVAR
D. LOPE
D. ALVAR
D. LOPE
D. ALVAR
D. LOPE
D. ALVAR
D. LOPE
D. ALVAR
D. LOPE
D. ALVAR
D. LOPE
D. ALVAR
D. LOPE
D. ALVAR
D. LOPE
D. ALVAR
D. LOPE
D. ALVAR
D. LOPE
D. ALVAR
D. LOPE
D. ALVAR
D. ALVAR
ACTE IV. §
SCENE PREMIERE. §
ALONSE
D. LOPE
ALONSE
D. LOPE
ALONSE
D. LOPE
ALONSE
D. LOPE
ALONSE
D. LOPE
ALONSE
D. LOPE
ALONSE
D. LOPE
ALONSE
D. LOPE
SCENE II. §
D. LOPE
D. ALVAR
D. LOPE
D. LOPE
D. ALVAR
D. LOPE
D. ALVAR
D. LOPE
D. ALVAR
Pour vous le faireD. LOPE
D. ALVAR
D. LOPE
D. ALVAR
SCENE III. §
D. LOPE
BLANCHE
D. LOPE
BLANCHE
D. LOPE
BLANCHE
D. LOPE
BLANCHE
D. LOPE
BLANCHE
D. LOPE
SCENE IV. §
D. LOPE
D. ALVAR
D. LOPE
D. ALVAR
D. LOPE
D. ALVAR
D. LOPE
D. ALVAR
D. LOPE
D. LOPE
D. ALVAR
D. LOPE
D. ALVAR
D. LOPE
D. ALVAR
D. LOPE
D. ALVAR
D. LOPE
SCENE V. §
D. LOPE
BLANCHE
D. LOPE
D. ALVAR
BLANCHE
D. ALVAR seul96
SCENE VI.98 §
D. SANCHE
UnD. ALVAR
D. SANCHE
D. ALVAR
D. SANCHE
D. ALVAR
D. SANCHE
D. ALVAR
D. SANCHE
D. SANCHE
D. ALVAR
D. SANCHE
D. ALVAR
D. SANCHE
D. ALVAR
D. SANCHE
D. ALVAR
D. SANCHE
D. ALVAR seul
SCENE VII102. §
D. ALVAR
D. LOPE
D. ALVAR
D. LOPE
D. ALVAR
SCENE VIII103 §
JACINTE
D. SANCHE
JACINTE
D. ALVAR
D. SANCHE
BLANCHE
JACINTE
BLANCHE
JACINTE
BLANCHE
D. ALVAR
D. SANCHE
D. ALVAR
D. SANCHE
D. ALVAR
D. SANCHE
D. SANCHE
JACINTE
D. SANCHE
D. SANCHE
D. ALVAR
JACINTE
D. ALVAR
D. SANCHE
JACINTE
D. SANCHE
D. SANCHE
D. ALVAR
D. SANCHE
D. ALVAR
D. SANCHE
D. ALVAR
D. SANCHE
JACINTE
D. SANCHE
Ainsi que moy sa foiblesse t’JACINTE
D. SANCHE
ACTE V. §
SCENE PREMIERE. §
D. LOPE
CASSANDRE
D. LOPE
CASSANDRE
D. LOPE
CASSANDRE
D. LOPE
CASSANDRE
D. LOPE
CASSANDRE
D. LOPE
CASSANDRE
SCENE II. §
D. LOPE
JACINTE
D. LOPE
JACINTE
D. LOPE
JACINTE
D. LOPE
JACINTE
D. LOPE
JACINTE
D. LOPE
JACINTE
D. LOPE
JACINTE
D. LOPE
JACINTE
SCENE III. §
D. ALVAR
D. LOPE
D. ALVAR
D. LOPE
D. ALVAR
D. LOPE
D. ALVAR
D. LOPE
D. ALVAR
D. LOPE
D. ALVAR
D. LOPE
D. ALVAR
D. LOPE
D. ALVAR
D. LOPE
D. ALVAR
D. LOPE
D. ALVAR
D. LOPE
D. ALVAR
D. LOPE
D. ALVAR
D. LOPE
D. ALVAR
D. LOPE
D. ALVAR
D. LOPE
D. ALVAR
D. ALVAR
D. LOPE
D. ALVAR
D. LOPE
D. ALVAR
D. LOPE
D. ALVAR
SCENE IV. §
CASSANDRE
D. ALVAR
D. LOPE
CASSANDRE
D. ALVAR
CASSANDRE
D. ALVAR
D. LOPE
SCENE V. §
D. SANCHE
D. ALVAR
D. ALVAR
D. SANCHE
D. ALVAR
D. LOPE
D. SANCHE
D. LOPE
D. ALVAR
D. SANCHE
D. ALVAR
D. SANCHE
D. ALVAR
D. LOPE
D. SANCHE
D. LOPE
D. ALVAR
D. SANCHE
SCENE VI. §
JACINTE
D. SANCHE
JACINTE
D. SANCHE
D. LOPE
D. ALVAR
D. SANCHE
D. ALVAR
D. LOPE
D. ALVAR
D. LOPE
D. ALVAR
D. SANCHE
D. SANCHE
D. ALVARà Cassandre
CASSANDRE
D. ALVAR
D. SANCHE
Lexique §
A = Dictionnaire de l’Académie française, 1694.
F = Dictionnaire de Furetière, réédition par le Robert, 1978.
R = Dictionnaire français de Richelet, 1680.
Annexe 1 : liste des œuvres de Thomas Corneille §
Ses pièces de théâtre §
- - Les Engagements du hasard (1647, comédie),
- - Le Feint astrologue (1648, comédie),
- - Don Bertrand de Cigarral (1650, comédie),
- - L’Amour à la mode (1651, comédie),
- - Le Berger extravagant (1652, comédie),
- - Le Charme de la voix (1653, comédie),
- - Les Illustres ennemis (1654, comédie),
- - Le Geôlier de soi-même ou Jodelet prince (1655, comédie),
- - Timocrate (1656, tragédie),
- - Bérénice (1657, tragédie),
- - La Mort de l’empereur Commode (1658, tragédie),
- - Darius (1659, tragédie),
- - Le Galant doublé (1660, comédie),
- - Stilicon (1660, comédie),
- - Camma, reine de Galatie (1661, tragédie),
- - Pyrrhus, roi d’Épire (1661, tragédie),
- - Maximian (1662, tragédie),
- - Persée et Demetrius (1662, tragédie),
- - Antiochus (1666, tragédie),
- - Laodice (1668, tragédie),
- - Le Baron d’Albikrac (1668, comédie),
- - La Mort d’Annibal (1669, tragédie),
- - La Comtesse d’Orgueil (1670, comédie),
- - Ariane (1672, tragédie),
- - Théodat (1672, tragédie),
- - Le Comédien poète (1673, comédie), avec Montfleury,
- - La Mort d’Achille (1673, tragédie),
- - Don César d’Avalos (1674, comédie),
- - Circé (1675, tragédie lyrique),
- - L’Inconnu (1675, comédie à machines), avec Donneau de Visé,
- - Le Triomphe des Dames (1676, comédie à machines), avec Donneau de Visé,
- - Le Festin de Pierre (1677, mise en vers de l’œuvre de Molière),
- - Le Comte d’Essex (1678, tragédie),
- - Psyché (1678, opéra) en collaboration avec Lully et Fontenelle (son neveu) d’après la pièce de Molière et Pierre Corneille,
- - La Devineresse ou les faux enchantements (1679, sujet satirique, comédie à machines, en prose, écrit en collaboration avec Donneau de Visé),
- - Bellérophon (1679, opéra) avec Lully, Fontenelle et Boileau,
- - La Pierre philosophale (1681, comédie à machines), avec Donneau de Visé,
- - Le Deuil (1682, comédie en un acte), avec Hauteroche,
- - La Dame invisible ou l’Esprit follet (1684, comédie), avec Hauteroche,
- - L’Usurier (1685, comédie en prose, non imprimée),
- - Le Baron des Fondrières (1686, comédie, non imprimée),
- - Médée (1693, opéra), avec Charpentier,
- - Les Dames vengées (1695, comédie en prose), avec Donneau de Visé,
- - Enfin, Bradamante (1695, tragédie), tiré de l’Arioste.
Ses autres écrits §
Il collabore à l’édition du Dictionnaire de l’Académie française, il en publie le supplément Dictionnaire des sciences et des arts (1694). Il rédige aussi un Dictionnaire universel, géographique et historique (1708) et traduit également les Métamorphoses d’Ovide (1658).
Annexe 2 : les épîtres des concurrents de Corneille §
Épître de Boisrobert §
A MADAME LA COMTESSE DE BRANCAS
MADAME
Puis qu’il est constant que sans la protection que vous avez donnée à cette Comoedie, elle n’auroit jamais veu le jour, il est juste qu’elle vous soit consacrée, et qu’elle vous soit consacrée, et qu’elle rende publiquement ses hommages à celle qui la mise au monde. On s’estonnera sans doute, de ce que n’ayant produit que des merveilles jusques icy, par les advantages que le Ciel a donnez à vostre beauté, vous ayez daigné donner l’estre à si peu de choses, et l’on s’estonnera plus encore de voir qu’une production si commune, vienne de la mesme source, d’où (s’il m’est permis de m’expliquer en Poete dans une Epistre) on sent naistre visiblement les grasses et les amours ; mais qui ne void pas Madame que le Soleil qui produit les fleurs, et les plus rares merveilles de la nature, produit aussi les ronces et les plantes inutiles ? et qui ne sçait pas que ces production si différentes, et dont l’inegalité paroist si visible ne laissent pas de faire admirer également la puissance de celuy qui les a crées, vous aurez autant de gloire d’avoïr relevé ce petit ouvrage, et donné prix à des choses qui n’en pouvoient recevoir que de vous, que d’avoir attiré par les charmes de vostre beauté, l’admiration de toute la France. Il n’y a plus personne aujourd’huy qui la puisse ignorer : en plusieurs rencontres, vostre esprit à souvent brillé comme elle, mais vostre generosité nous estoit encore inconnüe, et vous l’establissez plus puissament par cette protection que vous me donnez, que je n’establis celle de nos Genereux Ennemis, par tous les beaux sentimens que je leur donne, comme leurs manieres sont plus éloignées du bel usage que celle avec laquelle vous agissez, quelque éclat qu’ils tirent de mes pensées, je sçay que leur generosité paroistra moins que la vostre, aussi veus-je plustost estaller icy ma reconnoissance que ma vanité : je n’en auray que trop si vous approuvez mon zele, et si vous ne dedaignez la passion qui me porte à vous dire icy que je suis.
Vostre tres-humble et tres obeyssant
Serviteur, BOIS-ROBERT
Abbé de Chastillon.
Épître de Scarron §
A SON ALTESSE ROYALE
MADEMOISELLE,
L’Escolier de Salamanque est un des plus beaux sujets Espagnols, qui ai paru fus le Theatre François depuis la belle Comedie du Cid. Il donna dans la veuë à deux Escrivains de reputation en mesme temps qu’à moy. Ces redoutables Concurrens ne m’empescherent point de le traitter ? Le dessein que j’avois il y longtemps de dédier une Comedie à V.A.R. me rendit hargy comme un Lyon, et je crûs que travaillant pour son divertissement, je pouvois mesurer ma Plume, mesme avec de celle de quelque Poëte Heroïque, fut-il du permier ordre, et de ceux qui chauffent Cothurne à tous les jours. Je doute si Apollon bien invoqué, et ma Muse bien sollicité, m’eussent esté des Divinitez plus favorables, que me l’a esté vôtre Altesse, et si plusieurs prises à pleine tasse d’eau du savré Vallon, m’euffent fait monter plus de vapeurs Poëtiques à la teste, qu’a fait l’ambition de vous plaire. Elle a eu des Obstacles à surmonter, comme les grands desseins en ont toujours. On a hay ma Comede devant que de la connoistre. De belles Dames qui sont en possession de faire la destinée des pauvres humains, ont voulu rendre mal-heureuse celle de ma pauvre Comedie. Elles ont tenu Ruelle pour l’étouffer dés sa naissance. Quelques unes des plus partiales ont porté contre elle des Factums par les Maisons comme on fait en sollicitant un Procès, et l’ont comparée d’une grace sans seconde, à de la Moutarde mélee avec de la Cresme : mais les comparaisons nobles et riches ne sont point deffenduë, et quand par plusieurs autres de mesme force, on auroit perdu de reputation ma Comedie, l’applaudissement qu’elle a eu de la Cour et de la Ville, luy en auroit plus rendu, que ne luy en auroit pû oster une conjuration de precieuses. Que si je suis assez heureux, pour avoir aussi l’approbation de V.A. je me croiray glorieusement vengé des Dames sans pitié, qui ont tant voulu faire de mal à qui ne leur avoit jamais rien fait. VOSTRE ALTESSE, clairvoyante comme elle est, aura remarqué sans doute, que mon Epistre, qui ne doit estre pleine que de ses loüanges, ne l’est jusqu’icy que des avantures de ma Comedie ; que j’en parle trop avantageusement, et enfin, qu’il semble, que la plume à la main je ne connois plus personne, et ne me connoy pas moy mesme. Il est vray que les Epistres Liminaires doivent estre des Panegyriques en Petit. Mais V.A. est trop juste pour ne considerer pas, qu’il est impossible de la loüer autant qu’elle merite d’estre louée, et que c’est tout ce que pourroient faire les Donneurs de loüanges qui durent eternellement. Les façons de parler sont deffectueuses où la matiere est trop abondante, et tout ce qu’on peut s’imaginer à la loüange d’une Princesse d’un merite extraordinaire, ne peut quasi estre que des redites. Diray-je que V.A. est du plus Illustre Sang du Monde ? Il n’y a que quelques Indiens des plus éloignez du commerce des hommes qui le puissent ignorer. Parleray-je de son Courage ? qui est, si je l’ose dire, encore plus grand que sa condition. Parleray-je de son Esprit, que les Hyperboles mesme ne peuvent assez exagerer ? De sa Beauté, de sa Taille et de sa Mine ? qui peuvent servir d’un riche patron aux meilleurs Poëtes, pour representer non seulement une Heroïne bien verifiée ; mais aussi une Divinité telle que la Mere d’Aenée est admirablement bien décrite dans l’inimitable Virgile. Ou je ne dirois pas tout ce qu’il faut dire, ou je ne dirois pas tout ce qu’il faut dire, ou je le dirois mal. Je feray donc mieux de finir, en protestant que je suis plus que personne au monde,
De V.A.R.
Le tres humble et tres obeissant serviteurs,
SCARRON.
Annexe 3 : les résumés des sources espagnoles de Corneille §
Obligés et offensés ou l’Écolier de Salamanque §
Journée une : la pièce s’ouvre sur Jacinte, à demi-nue, qui s’entretient avec Don Lope ; mais l’arrivée de Don Sanche le contraint à se réfugier sur le balcon. Malgré son étonnement, Don Sanche ne peut s’expliquer avec sa fille, car ils sont interrompus par le valet de Don Alvar venu réclamer de l’argent pour son maître. Juste après son départ, Don Sanche veut le rappeler et se rend sur le balcon pour l’interpeller dans la rue, il croise alors Don Lope. Ce dernier refuse de s’identifier et d’épouser Jacinte, car son sang n’est pas digne de lui. Don Sanche lui en demande raison, mais Don Lope préfère quitter cette demeure, afin de ne pas se battre contre un vieil homme.
Dans la rue, Enrique et ses hommes de main attaquent Don Alvar, accompagné de son valet, Crispin (qui part se cacher) : il précise qu’ils se sont fâchés, mais ne donne pas de détails. Don Lope intervient contre les assaillants sans savoir que c’est son propre frère qui dirigeait l’attaque et que celui-ci est mort sous les coups de Don Alvar. Crispin fait le récit de la scène à Cassandre (la sœur de Don Lope et d’Enrique) et Jacinte. Chez Don Lope, ils apprennent (hormis Jacinte qui était repartie chez elle) l’identité du mort. Don Alvar refuse de se battre contre l’homme à qui il doit la vie et décide donc de fuir Don Lope, tandis que celui-ci lui promet de le poursuivre afin de venger la mort de son frère.
Journée deux : Don Lope fait le point sur sa situation avec sa sœur : il discute de sa bien-aimée Jacinte et de l’homme qui a tué leur frère, dont il ignore toujours l’identité. Don Alvar se rend chez lui pour expliquer qu’il ne peut accepter le duel tant qu’il n’aura pas réparé une offense faite à sa famille, dont il ne connaît pas encore la nature. Don Lope, qui a rendez-vous avec Jacinte, demande à Don Alvar de l’accompagner, afin de les protéger du père. Don Sanche arrive alors et explique à son fils la situation. Celui-ci comprend qu’il autorise au même moment une rencontre entre sa sœur et son offenseur. Il s’interdit d’en parler à son père à cause de sa promesse de les protéger ce soir-là. Cependant, Don Lope apparaît sur scène avec Jacinte, mettant fin aux doutes sur l’identité des protagonistes. Don Alvar refuse néanmoins de l’affronter, invoquant sa parole donnée, malgré les insultes de son père qui soutient que l’affront annule sa dette. Les deux hommes se battront un autre jour.
Journée trois : Jacinte s’est réfugiée chez Don Lope pour échapper à la colère de son père et de son frère. Cassandre lui avoue alors son amour pour Don Alvar.
Dans la prison, des hommes de main qui ont participé au guet-apens contre Don Alvar sont réunis et discutent de leurs contrats ; nous apprenons ainsi qu’ils prévoient d’attaquer Don Lope. Un représentant de la loi leur demande d’identifier Don Alvar comme étant le meurtrier d’Enrique ou de l’innocenter. Les hommes l’innocentent. Don Alvar est reconduit dans sa cellule en attendant sa libération. Cassandre l’y rejoint pour lui parler de ses sentiments à son égard, mais son frère les interrompt. Elle doit se cacher, alors que les deux hommes s’apprêtent à se battre ; Don Sanche les en empêche en venant chercher son fils. Don Lope repart tandis que Don Alvar se dispute avec son père sur le moyen de se venger.
A l’extérieur de la prison, Don Lope se fait agresser par les hommes de main qui ont tout juste été libérés. Don Alvar intervient, annulant ainsi sa dette envers Don Lope. Ce combat a permis aux deux hommes d’apprécier mutuellement leur valeur et de comprendre l’amitié profonde qui s’était établie entre eux. Don Lope accepte alors d’épouser Jacinte, reconnaissant qu’il s’était mépris sur le sang qui coulait dans ses veines, et permet à Don Alvar d’épouser sa sœur.
Le Peintre de son déshonneur §
Journée une : Don Alvar et Séraphine s’aimaient en secret, mais Don Alvar disparaît lors d’un naufrage. Séraphine, le croyant mort, a accepté d’épouser Don Juan Roca. Le Prince ramène un jour au port Don Alvar, qui avait en fait été retenu prisonnier par des pirates. Le Prince est l’amant de Porcie, la sœur d’Alvar. Venu rendre visite à son amante, Porcie, et à son père, accompagné de Don Alvar, le Prince tombe amoureux de Séraphine. Celle-ci était venue voir son amie Porcie. Quand Don Alvar demande à Séraphine s’il pourra la revoir, celle-ci refuse, parce qu’elle est mariée et vertueuse (ce dialogue est très proche de celui de Corneille dans l’acte II). Don Alvar fuit alors pour ne pas se livrer à un acte repréhensible.
Journée deux : Séraphine et son mari sont à Barcelone pour le carnaval. C'est dans cette ville que s’est réfugié Don Alvar. En la revoyant, ce dernier décide de tout faire pour la récupérer. Il profite alors d’un incendie pour l’enlever et part la cacher dans un château de son père à la campagne.
Journée trois : le mari de Séraphine, Don Juan, s’est déguisé en peintre et parcourt le pays à la recherche de sa femme, bien qu’il n’ait aucun indice et que personne ne connaisse le nom du ravisseur. Le Prince, qui avait rendez-vous avec Porcie dans le château où est enfermée Séraphine, aperçoit cette dernière dans le jardin. Il demande alors au peintre de faire son portrait. Cependant, Don Juan la reconnaît et assiste à un dialogue entre sa femme et Don Alvar. N’admettant pas la trahison de sa femme, il les tue tous les deux. Plusieurs personnages sont présents sur scène, y compris le père de Don Alvar et de Séraphine, mais personne ne lui en tient rigueur : Don Juan a agi ainsi pour des raisons d’honneur, il n’y aura donc pas de poursuite, ni de vengeance. Le Prince, après avoir compris ses erreurs et les conséquences de sa mauvaise conduite, décide d’épouser Porcie, en réparation.
Aimer par-delà la mort §
Journée une : suite à l’annonce faite au conseil des dispositions prises à l’encontre des Morisques, un seigneur d’origine morisque les défend et se fait bastonner par un autre seigneur, espagnol (il était interdit d’entrer l’épée au côté dans la salle du conseil). Il prévient ses amis pour qu’ils prennent les armes. Sa fille, Clara, se désole de ne pouvoir se venger (elle tient le même discours que la Jacinte de Corneille), et se refuse à épouser Don Alvar Tuzani, alors qu’ils s’aiment, car son honneur est souillé (là encore, Jacinte reprend ses propos chez Corneille). Alvar lui propose de l’épouser pour pouvoir les venger, mais Clara refuse pour les mêmes motifs que Jacinte dans les Illustres ennemis. Son père arrive, accompagné d’un homme chargé d’arranger la situation entre les deux nobles. Il propose que l’offenseur épouse Clara, qui accepte, pour pouvoir le tuer de ses mains. C'est ce qu’elle avoue à Alvar, qui avait tout entendu, caché dans la pièce voisine.
En prison, l’offenseur (Mendoces) reçoit la visite de son amante, la sœur d’Alvar, Isabelle. Celui-ci s’y rend également pour obtenir de Mendoces qu’il refuse l’arragement. Les deux hommes se battent en duel, mais Isabelle les intervient, puis ce sont les négociateurs qui interrompent le duel. Il laisse partir Isabelle sans l’identifier, Alvar ignore donc tout des liens qui l’unissent à Mendoces. Mais les négociateurs se heurtent sur le même sujet que les deux nobles lors du conseil : les Morisques, descendants de roi, sont insultés par les espagnols qui les méprisent. Ils se donnent rendez-vous pour un duel et ne donnent pas suite à l’arrangement.
Journée deux : le récit du siège d’Alpujarra est fait par Mendoces à Don Juan qui dirige les troupes espagnoles chargées de mater l’insurrection morisque : Alvar est à la tête de Gabia la Haute, sa sœur, Isabelle a été mariée au roi qui est à la tête de Berja, le père de Clara est à la tête de Galeie, où a lieu son mariage avec Alvar. Un morisque un peu simplet est fait prisonnier par les Espagnols, il réussit à s’enfuir mais guide sans le savoir son geôlier jusqu’à un passage qui mène sous les murs de la ville. Grâce à cela, les Espagnols font sauter les remparts de Galeie après le départ d’Alvar pour Gabia la Haute. L’attaque commence.
Journée trois : l’attaque de la ville : le geôlier tue Clara et lui vole les bijoux qu’Alvar lui avait offerts. Ce dernier jure de retrouver le meurtrier et de le tuer. Pour y parvenir, il se rend dans le camp espagnol, déguisé. Il se retrouve en prison pour avoir sauvé la vie, lors d’une rixe, au meurtrier de sa femme, dont il ignore toujours l’identité. C'est là qu’il l’apprend et qu’il le tue. Sa sœur, Isabelle, a retrouvé Mendoces qui l’a libérée en tuant son époux pendant de la prise de Berja ; elle intervient auprès de Don Juan qui, mis au courant de toute l’histoire, leur laisse la vie sauve.
Damas-Hinard traduisit cette pièce en 1841 dans un recueil des chefs-d’œuvre de Calderón. Il nous y apprend que cette pièce a été écrite à partir d’une histoire vraie, inspirée des chapitres XXII et XXIV de l’Histoire des guerres civiles de Grenade de Ginez Perez de Hita, qui prétendait lui-même tenir cette histoire de la bouche même de Tuzani. L’Espagne fut reconquise par les rois Ferdinand et Isabelle. Les Arabes qui étaient restés vivaient en bonne entente avec le peuple espagnol jusqu’à l’arrivée du roi Philippe II qui édita une Pragmatique le 1er janvier 1567 dans le but de supprimer les coutumes mauresques. Les pétitions restant sans effet, les Morisques (ce sont les Maures demeurés en Espagne et devenus chrétiens à la suite des persécutions subies, qui ont été bannis par Philippe III au début du XVIIème siècle) prirent les armes. En décembre 1568 eu lieu le soulèvement de l’Alpujarra (chaîne montagneuse). A la fin des années 70, des divisions internes ajoutées à des promesses d’amnistie achèvent de mettre fin à la rébellion.