Par T. Corneille
A PARIS,
Chez GUILLAUME DE LUYNES, Libraire
Iuré, au Palais, en la Gallerie des
Merciers, à la Justice.
M. DC. LXX.
AVEC PRIVILEGE DU ROY.
Édition critique établie par Caroline Descotes dans le cadre d'un mémoire de master 1 sous la direction de Georges Forestier (2009-2010)
Introduction §
En choisissant la mort d’HannibalI pour sujet de sa nouvelle tragédie, Thomas Corneille s’attaquait à forte partie. Car que connaissait-on d’Hannibal au XVIIe siècle – et que connaît-on de lui aujourd’hui ? Le passage des Alpes, sa marche héroïque sur Rome, l’amollissement dans les délices de Capoue, et la défaite finale. Pour ce qui est de la suite des événements, peu la savent : le retour à Carthage, la fuite en Syrie, puis le refuge chez Prusias, roi de Bithynie, où le conquérant carthaginois, harcelé par les Romains, finit par se suicider. Ainsi Thomas Corneille doit-il tenir compte de deux faits difficilement conciliables de prime abord quand il s’attelle à son sujet : alors que, pour le spectateur, Hannibal est avant tout un glorieux conquérant, le héros de sa pièce est un vieillard. Le dramaturge, en outre, ne se facilitait pas une tâche déjà ardue, puisqu’en choisissant son sujet, il reprenait de nombreux thèmes que son frère avait déjà traités avec succès dans Nicomède, et la comparaison avec son aîné n’avait jamais tourné à son avantage...
L’auteur et la création de la pièce §
Éléments de biographie §
Thomas Corneille naît à Rouen en 1625. De dix-neuf ans le cadet de son frère Pierre, il fait ses études, tout comme lui, au collège jésuite de Rouen, où l’on reconnaît et encourage rapidement son talent de poète. A la mort de son père, il poursuit des études de droit sous la tutelle de son frère aîné, pour finalement devenir avocat en 1649. En 1650, il épouse Marguerite de Lamperière, sœur de la femme de Pierre Corneille.
Sa carrière de dramaturge s’ouvre sur ses comédies à l’espagnole, dont la plupart sont des succès : Les Engagements du Hasard (1649), Don Bertrand de Cigarral (1651), Le Geôlier de Soy-Mesme (1655) … Le triomphe, en 1656, de sa tragédie Timocrate, avec ses quatre-vingts représentations consécutives, le consacre dramaturge à succès du XVIIe siècle. Il est l’un de ceux qui, après la mort de Rotrou, de Tristan l’Hermite et de Du Ryer, assurent la relève dramatique dans la décennie 1650 : il obtient la protection du Duc de Guise et de Fouquet, et poursuit son activité dramatique dans la veine tragique, notamment avec Bérénice (1657), La Mort de l’Empereur Commode (1657), Stilicon (1660), Camma, Reine de Galatie (1661), Laodice, Reine de Cappadoce (1668), et Ariane (1672), volontiers considérée par la critique comme une pièce « racinienne ».
Néanmoins, Thomas Corneille ne se cantonne pas à la composition de tragédies, puisqu’il écrit aussi bien des comédies (Don César d’Avalos, 1674), que des pièces à machines (Circé, créée en 1675, est un triomphe). Il fournit en outre une adaptation en vers du Festin de Pierre de Molière en 1677, dont il retranche les passages subversifs avant de revenir à la tragédie, tout en s’illustrant dans l’opéra en tant que librettiste pour Lully (Psyché, en 1678, et Bellérophon, en 1679). Il connaît encore quelques francs succès, notamment avec La Devineresse, écrit en 1679 avec le concours de Donneau de Visé. Il collabore en outre avec lui à la publication du Mercure Galant de 1677 à 1700, mettant au service de ce périodique à la mode ses talents de polygraphe.
À la mort de son frère, en 1684, il occupe son siège à l’Académie Française, ce qui a pour effet de restreindre sa production dramatique, au profit de compilations de dictionnaires. Il meurt aveugle en 1709, à l’âge de quatre-vingt-quatre ans.
Création et réception de la pièce §
La Mort d’Annibal est jouée pour la première fois à l’Hôtel de Bourgogne, probablement le 22 novembre 1669. En effet, Robinet publie son compte rendu de la pièce dans une lettre datée du 30 novembre, un samedi, comme toujours. Le fait qu’il précise qu’il y a assisté « les jours passés »II, et non la veille, alors que les pièces sont toujours créées un vendredi, incite à penser qu’elle a été créée au plus tard la semaine précédente.
La pièce est fort mal accueillie par le public de l’époque : en témoigne la rapide création de Britannicus, en décembre 1669, qui la remplace à l’Hôtel de Bourgogne. Cependant, il faut nuancer son échec. En effet, le Britannicus de Racine ayant été créé le 13 décembre, La Mort d’Annibal, à raison de trois représentations par semaine, en a connu une petite dizaine en tout : la pièce n’a donc pas été un échec complet. Pourtant, le jugement sévère dont elle est l’objet est presque universel : les voix favorables sont en effet fort peu nombreuses, et Robinet, dans sa lettre dithyrambique, ne peut que constater son solitaire enthousiasmeIII. Sa rapide édition au début de l’année 1670 témoigne également de son échec : cependant, elle connaît de nombreuses rééditions du vivant de l’auteur, copiées sans surveillance sur la première édition, avant d’être revue par Thomas Corneille à l’occasion de la publication de son théâtre complet, en 1692.
L’insuccès de la pièce est confirmé par la suite des événements : les Frères Parfaict, qui reproduisent la lettre de Robinet dans le dixième tome de leur Histoire du théâtre françois, en prennent le contrepied, et se rallient à l’opinion du public de 1670 en critiquant sévèrement la pièce, n’hésitant pas à parler « d’épisodes inutiles ». Pour eux, Thomas Corneille n’était visiblement pas de taille à porter sur la scène la mort d’un personnage aussi fameux qu’Hannibal. Car « entreprendre de faire paroistre Annibal sur la Scene, c’est risquer une réussite supérieure, ou une chute bien subite ». Le jugement est donc sans appel : « ce sujet auroit dû être traité par Pierre Corneille »IV.
Lancaster juge la pièce de façon tout aussi sévère dans son ouvrage de référence, et met en lumière un des principaux problèmes de la pièce, en reprenant l’idée des frères Parfaict, selon laquelle La Mort d’Annibal contient plusieurs faiblesses considérables, notamment son manque d’action. D’après lui, elle souffre considérablement de l’inaction du protagoniste, ce qui semble en effet rédhibitoire, dans une tragédie où apparaît un grand conquérant comme HannibalV. Ainsi, non seulement la pièce de Thomas Corneille n’a jamais connu le succès, à la suite du jugement sévère dont elle a été l’objet à sa création, mais elle a également sombré dans l’oubli et le mépris qui l’accompagne.
La pièce §
Situation, sources et références §
Situation §
L’action se situe à la cour du roi Prusias, en Bithynie, c’est-à-dire en Asie Mineure actuelle. Thomas Corneille donne une précision quant au lieu, à la scène 1 du premier acte, en faisant dire à Prusias : « Rome a choisi ce lieu commun à l’un et l’autre / Il borne mon Estat comme il borne le vostre »VI, ce qui situe le lieu de l’action sur la frontière des royaumes de Pergame et de Bithynie.
Thomas Corneille ne nous laisse en revanche aucune indication chronologique dans sa pièce. Nous considérons donc que l’action se situe à la date établie par les historiens, à savoir l’an 183 avant Jésus-Christ.
Résumé §
La pièce s’ouvre sur la conclusion d’un traité de paix supervisé par Rome, entre Prusias, roi de Bithynie, et Attale, nouveau roi de Pergame, dont le frère aîné, Eumène, est déclaré mort. Attale déclare à Prusias qu’il compte épouser Élise, la fille d’Hannibal (I, 1). À la scène suivante, Prusias révèle qu’il aime également Élise à son confident et chef des gardes Araxe, et qu’il ne reculera devant rien pour assouvir sa passion, à ceci près qu’il ne peut se résoudre à braver Rome en s’alliant à Hannibal (I, 2). Son fils Nicomède, en revanche, qui s’avère être également amoureux d’Élise, est tout prêt à rompre avec le Sénat. Prusias veut l’en dissuader par la menace. En vain : il ne recueille qu’une leçon de grandeur de la part de son fils (I, 3). Ne sachant pas à quoi s’en tenir, il décide de pousser Élise à l’aveu (I, 4) ; celle-ci élude fièrement la question (I, 5). À l’issue de la scène, Prusias, persuadé qu’elle aime Nicomède, décide d’envoyer son fils et rival à Rome en ambassade – c’est-à-dire de le livrer au Sénat. Le premier acte se clôt donc sur une perspective de trahison (I, 6).
Au début du second acte, la trahison est accomplie : Alcine, la suivante d’Élise, lui annonce que Nicomède doit se rendre à Rome (II, 1). Élise, après s’être obstinée à nier l’amour qu’elle éprouve pour le prince devant sa suivante, finit par l’admettre une fois confrontée à lui. Ce dernier se prépare à partir à Rome pour sauver celle qu’il aime (II, 2). Toutefois, Hannibal renverse la situation en annonçant à Nicomède que, pour lui éviter un voyage dont il ne reviendra pas, disposer d’une armée et se défaire de la protection fallacieuse de Prusias, il donne Élise en mariage à Attale. Il reste inflexible malgré les supplications de Nicomède. Celui-ci obtient toutefois qu’Hannibal repousse l’accord avec Attale (II, 3-4). Prusias vient alors protester de sa loyauté devant Hannibal, qui lui pose un ultimatum : si Nicomède part à Rome, lui se retire au royaume de Pergame. Il incite Prusias à faire la loi au lieu de la recevoir (II, 5). Ce dernier, désespéré, décide de faire en sorte qu’Hannibal n’ait d’autre recours que lui, et choisit de dénoncer Attale auprès de l’ambassadeur romain Flaminius (II, 6). Le deuxième acte se clôt donc également sur une trahison.
Au début du troisième acte, Attale entretient galamment Élise, qui répond froidement à ses avances, et déclare qu’elle n’épousera qu’un opposant farouche à Rome (III, 1). Hannibal, à son tour, rappelle à Attale les conditions de leur accord, et l’invite à bien considérer sa décision (III, 2). Celui-ci persiste, bien que Flaminius lui demande des explications. Une courte altercation entre Hannibal et Flaminius oppose une conception machiavélique et une conception glorieuse du pouvoir (III, 3). Hannibal décide de quitter la Bithynie quand Prusias affirme son intention d’envoyer Nicomède à Rome (III, 4). Flaminius tente une dernière fois de menacer Attale, mais ce dernier déclare fermement son intention d’épouser Élise (III, 5). Après son départ, Prusias propose de retenir celle-ci dans sa cour pour empêcher l’alliance d’Hannibal au royaume de Pergame. Flaminius le force à avouer sa passion, et exige qu’il livre Hannibal. En contrepartie le Sénat lui accordera sa bénédiction pour épouser Élise. Dans le cas contraire, il prétend s’en remettre à Attale, dont il assure qu’il accèdera à ses demandes. Prusias se retire, déchiré entre le respect du devoir sacré de l’hospitalité et la satisfaction de ses désirs (III, 6). C’est alors que Procule, un tribun romain, annonce à Flaminius qu’un messager demande à le voir en urgence (III, 7).
Coup de théâtre : Attale n’est pas le roi légitime de Pergame. Son frère Eumène est en vie, et requiert, au début du quatrième acte, l’appui de Flaminius pour s’assurer le trône de Pergame face à son frère. La garde d’Attale, qu’a sondée l’ambassadeur, est toute prête à se mutiner, et se prépare à la trahison (IV, 1). Flaminius donne donc son accord au mariage d’Attale, qui ne pourra constituer un appui pour Hannibal quand il se retrouvera seul, sans armée (IV, 2). Flaminius laisse le prétendu roi s’entretenir avec Prusias, qui en conclut que son rival a vendu Hannibal (IV, 3). Le malentendu n’est pas dissipé : c’est pourquoi Araxe incite Prusias à tirer profit de la situation. Le roi finit par céder : il décide donc de faire reposer la suspicion de la trahison sur Attale, pour mieux piéger Hannibal sous prétexte de le défendre (IV, 4). Il accuse donc son rival devant Nicomède, qui s’apprête à aller demander raison à son rival (IV, 5). Cependant, Élise, méfiante, l’en dissuade (IV, 6). Pour en avoir le cœur net, elle révèle la prétendue trahison d’Attale à son père. Le jeune roi proteste de sa bonne foi, et Hannibal le croit sur parole (IV, 7). C’est alors qu’Alcine annonce que le palais est cerné par la garde romaine : Hannibal se rend donc au-devant des soldats pour se défendre, Attale à ses côtés. Troisième trahison de Prusias (IV, 8).
Au cinquième acte, Prusias offre sa couronne à Élise, qui la rejette avec mépris, et l’accuse d’avoir livré son père. Le roi proteste de son innocence et accable Attale (V, 1). Celui-ci, trahi, a abandonné le combat, et propose à Élise de fuir avec lui. Elle refuse et les accuse tous deux de lâcheté (V, 2). Mais quand Flaminius vient annoncer triomphalement la capture d’Hannibal et braver Élise, Attale prend ouvertement parti contre Rome : l’ambassadeur lui révèle alors que c’est lui qui a corrompu sa garde, et qu’Eumène est encore en vie : de désespoir, le roi déchu se précipite vers le lieu du combat (V, 3). Bien que Flaminius menace Élise du triomphe si elle n’épouse pas Prusias, celle-ci persiste dans son refus (V, 4). Survient alors le retournement de situation final : Alcine annonce que Nicomède a mis les assaillants d’Hannibal en déroute. Rendu furieux par les insinuations de Flaminius, Prusias prend les armes contre son fils (V, 5). Flaminius s’enfuit (V, 6), tandis qu’Alcine recommande à sa maîtresse d’être plus prudente dans ses propos, étant donnée l’incertitude de la situation (V, 7). Hannibal et Nicomède arrivent sur scène (V, 8) ; on apprend d’Araxe la mort infamante de Prusias, au milieu de la mêlée, et la capture d’Attale par les Romains. Nicomède, devenu roi, offre le commandement de son armée à Hannibal. Ce dernier lui donne la main de sa fille, mais agonise sur scène puisque, se voyant cerné lors du combat, il avait absorbé un poison (V, 9).
Sources et références §
Thomas Corneille respecte, pour l’essentiel, ce que rapportent les historiens antiques. Ses sources principales sont Tite-Live, Plutarque, Justin et Cornelius NeposVII. Il reprend chez eux le canevas principal de l’action : Hannibal, après avoir fui la cour d’Antiochus, en Syrie, trouve refuge à la cour du roi Prusias. L’ambassadeur romain Flaminius s’y rend pour exiger qu’il lui soit livré, mais Hannibal, se sachant trahi, se suicide pour ne pas être exposé à la honte du triomphe.
On se heurte cependant ici à une difficulté majeure. En effet, lorsqu’on considère Hannibal en jeune conquérant, on l’envisage comme une figure glorieuse, donc comme un danger potentiel pour Rome. Cependant, au moment de la pièce, il a soixante-quatre ans, d’après le Dictionnaire de Moreri : il n’est donc plus le bouillant guerrier de la marche sur Rome, mais un vieillard abattu par les ans, qui ne méritait pas l’acharnement dont Rome l’a poursuivi. De ces deux conceptions antithétiques, Thomas Corneille retient bien entendu la première, plus propice à la grandeur du genre tragique : sur scène, un héros valeureux, qui n’échoue que par un coup du sort, a plus de force dramatique qu’un vieillard poursuivi par la haine infondée d’un ennemi paranoïaque. Thomas Corneille a donc fort judicieusement soin de ne pas donner dans un réalisme trop déplacé. C’est pourquoi Lancaster peut voir en lui la figure « intéressante d’un génie, que l’on empêche, tragiquement, d’exploiter ses talents »VIII. On ne peut donc considérer l’Hannibal de Thomas Corneille comme le vieillard inoffensif que présente PlutarqueIX : c’est pourquoi Flaminius ne peut prendre Prusias au sérieux quand ce dernier, à la scène 6 de l’acte III, prétexte la vieillesse et l’impotence d’Hannibal pour ne pas être contraint de le livrerX. Thomas Corneille décide donc de se ranger à l’avis de ceux pour qui Hannibal, malgré son âge, restait dangereux en raison de son talent militaire. Avis non négligeable, puisque rapporté comme universel à Rome par Cornelius Nepos et Justin, et longuement évoqué par Plutarque lui-même, même s’il lui préfère la première version de l’histoire. Ainsi le dramaturge ne contrevient-il pas à l’Histoire en choisissant de mettre en scène un Hannibal vigoureux et dangereux pour Rome : il fait seulement le choix le plus judicieux pour un auteur tragique.
Cependant, Thomas Corneille se permet des écarts considérables vis-à-vis de l’Histoire. En effet, tout comme son frère aîné, il fait de Nicomède, qui a été en réalité élevé à Rome, un disciple d’Hannibal. Historiquement, le conflit qui l’oppose à son père Prusias découle donc d’un motif de pure succession, et non pas d’une opposition idéologique, selon laquelle Prusias veut rester en bons termes avec Rome, et Nicomède l’anéantir, pour satisfaire la haine de son maître à penser. Si dans les deux cas, Prusias reste un roi craintif, donc méprisable, Nicomède passe du statut de parricide à celui de héros glorieux, qui refuse de se soumettre à l’expansionnisme romain. Thomas Corneille change donc le sujet du conflit entre les deux personnages, qu’il puise dans le trente-quatrième chapitre des Histoires Philippiques de Justin : Nicomède n’est plus un usurpateur que la haine de son père a poussé au parricide, mais un héros valeureux. La dimension criminelle du personnage disparaît donc complètement, au profit d’une figure irréprochable, digne de l’estime du spectateur.
Cependant, la plus grande liberté que s’accorde le dramaturge est la création du personnage purement fictif d’Élise, fille d’Hannibal, véritable émule de ce dernier. Cet ajout n’est pas gratuit, puisqu’Élise va concentrer tous les intérêts : c’est d’elle, de fait, que dépendent les actions des autres personnages : Attale, Nicomède et Prusias cherchent tous à obtenir sa main, Hannibal veut la marier pour avoir une armée à disposition, et Flaminius la comprend dans sa stratégie politique pour réduire les ennemis de Rome à l’impuissance.
Mais Thomas Corneille, s’il a lu ses classiques, n’en garde pas moins pour modèle son frère aîné, et la filiation entre le Nicomède de Pierre Corneille et la Mort d’Annibal est patente. LancasterXI et David CollinsXII en rendent compte dans leurs ouvrages respectifs. De fait, Thomas Corneille n’hésite pas à reprendre et développer de nombreux thèmes puisés chez son frère. L’un des plus importants est que, dans les deux pièces, Rome est qualifiée de « maîtresse du monde » de façon récurrente, pour dénoncer son impérialisme oppressif : le personnage de Flaminius, que l’on retrouve dans les deux pièces, est là pour l’attester.
En outre, le dramaturge reprend de nombreux traits de caractère chez les personnages de Nicomède ; cependant, il les altère. En effet, si les deux frères, dans leurs pièces respectives, présentent un glorieux ennemi de Rome, chez l’aîné, le héros en question est Nicomède, tandis que chez le cadet, il s’agit d’Hannibal, ce qui change complètement la donne. De fait, le spectateur sait parfaitement à quoi s’en tenir quand il va voir jouer La Mort d’Annibal : le titre indique clairement l’issue de la pièce. Ainsi, faire d’Hannibal le héros de la pièce, c’est arriver à la fin d’un cycle de rivalité acharnée. Au contraire, choisir le jeune commandant glorieux qu’est Nicomède comme protagoniste revient à montrer le début d’une lutte qui ne fait que s’engager, et qui promet d’être âpre. Thomas Corneille nous montre donc la fin d’une histoire, tandis que Pierre Corneille nous montre une promesse, ce qui altère considérablement l’atmosphère de la pièce.
D’ailleurs, si Thomas Corneille emprunte à son frère le personnage d’Attale, rival amoureux de Nicomède, il n’en fait pas pour autant son frère, susceptible d’hériter du trône de Bithynie. Les deux personnages ne sont donc plus sur le même plan, et ne peuvent pas prétendre de la même façon à la femme qu’ils aiment : cela inverse le rapport de force, qui existe déjà dans le Nicomède de Pierre Corneille. En effet, dans sa pièce, le personnage éponyme est en situation largement supérieure vis-à-vis de son rival : de fait, même si Attale est fils de roi comme lui, Nicomède reste son aîné, ce qui lui garantit de succéder à Prusias sur le trône de Bithynie. Il peut donc prétendre à la main de Laodice, et cela d’autant plus qu’il s’est fait remarquer dans la bataille, et a une certaine légitimité dans ses prétentions. Or, dans La Mort d’Annibal, Attale est censé être un roi : c’est pourquoi il a, un temps, l’avantage sur Nicomède – du moins, le spectateur le croit. Le jeune prince se voit donc forcé à renoncer, en un premier temps, à épouser Élise. Le rapport de force s’inverse donc d’une pièce à l’autre. De plus, s’il y a une véritable évolution commune aux deux Attale, en ce qu’ils passent de la tutelle romaine à une attitude de révolte vis-à-vis de Rome, sans obtenir de trône, comme cela était prévu au début de la pièce, il n’en reste pas moins que le personnage imaginé par Pierre Corneille ne tombe pas aux mains des Romains, et que son avenir est moins incertain que celui de son homonyme.
On retrouve également, d’une pièce à l’autre, le motif du vieillard amoureux : le Prusias de Nicomède agit sous l’influence de sa femme Arsinoé, tandis que celui de La Mort d’Annibal se consume pour Élise. Cependant, le premier ne va pas aussi loin dans l’abjection que le second, et ne se laisse pas totalement aveugler par sa passion, ce qui n’est pas le cas de son homologue.
Thomas Corneille, bien entendu, reprend nombre d’autres éléments à la pièce de son frère, qu’il adapte à la situation qu’il présente dans la sienne, dont nous ne ferons pas de liste exhaustive, mais dont nous développerons plusieurs exemples par la suite, sans en faire une liste exhaustive.
Construction de la pièce §
Composition et règles dans La Mort d’Annibal §
La Mort d’Annibal est une pièce que l’on peut appeler, d’après les analyses de Georges Forestier, une « pièce à dénouement rabattu et composition à rebours » : le principe en est que le dramaturge construit sa pièce à partir du seul élément attesté par l’Histoire – en l’occurrence, la mort d’Hannibal à la cour du roi Prusias –, qui constitue le dénouement de la tragédie, et en définit l’action principale. « Reste à trouver le “milieu” et le “commencement” »XIII, que le dramaturge ponctue d’épisodes subordonnés à l’action principale, épisodes que d’Aubignac définit ainsi dans sa Pratique du Théâtre :
Les Modernes entendent maintenant par Episode, une seconde histoire jetée comme à la traverse dans le principal sujet du Poème Dramatique, que pour cette raison quelques-uns appellent Une histoire à deux fils. […] Mais il y faut observer deux choses dans la Tragédie, l’une, que ces Episodes, ou secondes histoires, doivent être tellement incorporés au principal Sujet, qu’on ne les puisse séparer sans détruire tout l’Ouvrage ; autrement, l’Episode serait considéré comme une Pièce inutile et importune, en ce qu’elle ne ferait que retarder la suite, et rompre l’union des principales aventures […] . L’autre observation qui est à faire pour ces Episodes est, Que la seconde histoire ne doit pas être égale en son sujet non plus qu’en sa nécessité, à celle qui sert de fondement à tout le Poème ; mais bien lui être subordonnée et en dépendre de telle sorte, que les événements du principal Sujet fassent naître les passions de l’Episode, et que la Catastrophe du premier, produise naturellement et de soi-même celle du second ; autrement l’Action qui doit principalement fonder le Poème, serait sujette à une autre, et deviendrait comme étrangère.XIV
Thomas Corneille construit donc toute son action à partir d’une donnée historique de base, le dénouement, en multipliant les intrigues annexes autour du principal fil directeur, qui aboutit à ce dénouement, celui de la grande politique, qui oppose les intérêts de Rome à l’héroïsme d’Hannibal. Ces intrigues restent bel et bien secondaires, ne serait-ce qu’en raison du titre, qui, dès le départ, met en évidence l’enjeu capital de la pièce. Mais il n’en reste pas moins que sans ces intrigues annexes, la pièce n’aurait pas lieu d’être, puisque c’est en fonction d’elles, finalement, que se joue le destin d’Hannibal et de la Bithynie.
L’on distingue notamment parmi ces intrigues un fil de politique de succession : celui qui oppose Eumène à Attale, pour le trône du royaume de Pergame. Cependant, ce sont les intrigues secondaires d’ordre amoureux qui prévalent, et c’est d’elles que va essentiellement dépendre l’intrigue principale. En effet, Prusias, Attale et Nicomède sont tous trois amoureux de la fille d’Hannibal, Élise : tous trois agissent en conséquence, lorsqu’ils sont amenés à prendre des décisions d’ordre politique. Chacun, dès lors, réagira de la façon qui lui est propre pour obtenir Élise, et c’est ce qui va dégager les caractéristiques des trois personnages aux yeux des spectateurs. Prusias voudra livrer son propre fils au Sénat, Attale s’opposera – un peu tard – au Sénat, et Nicomède choisira le combat sans merci contre Rome : Prusias est donc infâme, Attale courageux, Nicomède glorieux. L’amour, dès lors, est à l’origine des décisions les plus importantes dans la pièce. C’est pourquoi, nous le verrons ultérieurement, il pourra être utilisé par Flaminius pour servir les fins du Sénat.
Les intrigues sont donc étroitement imbriquées et interdépendantes. Subordonnées les unes aux autres, elles transparaissent dès l’exposition, qui s’étend sur les trois premières scènes – le temps d’exposer les trois ressorts principaux de la pièce au spectateur, à savoir que Prusias, Attale et Nicomède sont tous trois amoureux d’Élise. Thomas Corneille respecte donc bel et bien le principe classique selon lequel tout ce qui se passe dans la pièce doit être contenu en puissance dans l’exposition. Pourtant, selon LancasterXV, la pièce n’est pas parfaite : d’après lui, le dramaturge ne respecte pas l’unité d’action, lorsqu’il fait revenir Eumène à la vie, alors qu’au premier acte, il passe clairement pour mortXVI. Cependant, il ne s’agit là que d’un procédé fort simple, et parfaitement admis au XVIIe siècle : le retournement de situation. Certes, celui-ci est particulièrement frappant, mais il n’en reste pas moins qu’en y ayant recours, Thomas Corneille ne déroge pas à la règle de l’unité d’action. On ne dit pas de la Phèdre ni du Mithridate de Racine qu’elles sont des pièces irrégulières, du fait de la réapparition d’un personnage supposé défunt. Et pourtant, le principe est le même : un personnage, censé être mort, revient à la vie au cours de la pièce – Thésée dans Phèdre, et le personnage éponyme de Mithridate. La seule différence entre Racine et Thomas Corneille, c’est que chez le premier, le spectateur s’y attend, parce que les histoires de Mithridate et Phèdre lui sont mieux connues que celle d’Eumène de Pergame. Ainsi la critique de Lancaster nous semble-t-elle quelque peu excessive, puisque, même s’il est dit qu’Eumène de Pergame est mort, et non simplement porté disparu, Thomas Corneille inclut dans son exposition toutes les données de sa pièce. Il faut noter d’ailleurs que, s’il avait précisé ce détail, le spectateur n’aurait pas manqué de relever la nuance, ce qui aurait considérablement atténué l’effet de surprise, à l’acte IV, et priverait la pièce d’un ressort dramatique considérable. Cependant, il n’en reste pas moins que cet épisode, comme le remarque judicieusement Lancaster, confère à la pièce une tonalité quelque peu mélodramatique, peu propre à la tragédieXVII.
Cependant, la plus grande objection qu’on puisse faire à la pièce de Thomas Corneille concerne le personnage principal, dont Lancaster a remarqué l’inactivitéXVIII. En effet, Hannibal, dans les esprits, reste un conquérant : or, durant toute la pièce, il ne fait qu’une seule chose, se tuer, lors du dénouement. Ce qui pose un problème considérable au dramaturge : comment un personnage qui professe une telle haine envers Rome, et qui ne cesse d’exhorter les autres personnages à prendre eux-mêmes des décisions et à agir, peut-il être aussi inactif ? En effet, pendant les quatre premiers actes, il ne fait strictement rien : il se borne à un attentisme peu aventureux, et ne fait qu’attendre les décisions de Prusias et d’Attale. Car, contrairement à Flaminius, il ne les manipule pas : il se borne à leur enjoindre de prendre une décision. Il précise bien, d’ailleurs, qu’il est prêt à leur « laisser à [leur] choix tout le temps [qu’ils voudront] » pour celaXIX, ce qui montre bien l’immobilisme auquel il se réduit lui-même. Il n’en va pas de même pour l’ambassadeur, qui n’hésite pas à manœuvrer les deux rois en leur faisant miroiter tantôt la main d’Élise, tantôt la faveur du Sénat. Hannibal, en se contentant de leur présenter une simple alternative, n’agit pas à proprement parler. Et de fait, il ne prend son sort en main qu’au cinquième acte, où il prend les armes contre les Romains qui l’encerclent, et s’empoisonne finalement pour éviter le triomphe.
Cependant, cet attentisme du protagoniste découle bien plus du sujet en lui-même que d’une potentielle erreur de composition supposée de la part du dramaturge. En effet, Hannibal, dans la pièce de Thomas Corneille, reste un banni, qui n’a que ses victoires passées et son courage pour le recommander : sans armée, sans appui, il n’a que lui-même sur qui compter, et cela n’est pas suffisant pour pouvoir agir comme il le voudrait, surtout quand il a pour adversaire un politicien comme Flaminius, qui sait manipuler les faibles comme Prusias. N’ayant pas d’armée à sa disposition, il ne peut qu’attendre qu’on lui en fournisse une, ce à quoi Prusias ne peut se résoudre, et ce que ne peut finalement faire Attale, puisque la réapparition impromptue de son frère lui ôte le trône de Pergame. Il faut donc bien garder à l’esprit la difficulté de la tâche que s’impose Thomas Corneille lorsqu’il choisit pour protagoniste un conquérant réduit à l’impuissance, tâche d’autant plus ardue que les attentes du public allaient à l’encontre de ce choix.
Du point de vue des bienséances, Thomas Corneille respecte en outre strictement ces dernières, même s’il montre la mort d’Hannibal sur scène. Jacques Scherer l’indique dans sa Dramaturgie Classique en France : le suicide est autorisé sur scène, car il s’agit d’un acte de bravoure. Il n’est pas scandaleux sur scène parce qu’il est préférable à la honte : du moment que « la seule personne qui puisse tuer le héros avec honneur, c’est lui-même »XX, la mort d’Hannibal n’a rien de choquant – d’autant qu’il se tue par le poison, procédé qui ne fait pas couler de sang sur scène. En effet, « c’est une nécessité dramaturgique que de convenir que le suicide n’ensanglante par la scène – même quand le héros se plonge son épée dans le corps – et de terminer de nombreuses tragédies par des suicides »XXI. Chez les dramaturges du Grand Siècle, le suicide est glorieux, et ne constitue en aucun cas un acte de lâcheté, ce qui n’est pas le cas dans le roman. En faisant mourir Hannibal sur scène Thomas Corneille ne viole donc absolument aucune règle, mais se situe au contraire dans la plus pure tradition dramatique du XVIIe siècle.
Cependant, ce même dénouement, s’il n’est pas irrégulier, pose un problème, car s’il est vrai qu’il respecte les bienséances, il n’en reste pas moins que le spectateur n’est pas totalement fixé sur le sort d’Attale. En effet, il ne sait pas si ce dernier va réchapper de sa confrontation avec son frère, finir par se rallier à Rome, ou être condamné par le Sénat. Le dénouement, techniquement, n’est donc pas complet, et ne satisfait pas en cela à l’une des trois règles fondamentalesXXII qui doivent le régir. Cependant, la faute est mineure : en effet, Attale n’est pas un personnage de tout premier plan dans La Mort d’Annibal, et, comme le précise Scherer, le danger du « dénouement trop complet »XXIII guette toujours le dramaturge trop zélé. Le spectateur, à la fin de la pièce, ne veut pas forcément savoir, en effet, tous les détails du dénouement, ce qui l’allongerait et le rendrait fastidieux. Or fixer définitivement le sort d’Attale aurait forcé Thomas Corneille à faire intervenir un nouveau messager, ce qui aurait rajouté une dixième scène au dernier acte, et prolongé de façon quelque peu lassante le dénouement très frappant de la pièce, qui se clôt sur les deux morts antithétiques d’Hannibal et de Prusias. On peut donc considérer que l’inachèvement relatif du dénouement de la pièce est un moindre mal.
Progression de la pièce §
La Mort d’Annibal est une pièce remarquable par sa construction. En effet, Thomas Corneille en fait un long martèlement tragique, une longue succession de temps forts pour le spectateur. Celui-ci n’en perçoit toutes les retombées qu’ultérieurement : par conséquent, il n’en accuse le coup que sur la longueur, donc d’autant plus douloureusement. De fait, la pièce est rythmée par de nombreux temps forts : coups de théâtre, hauts faits, actes de bravoure aussi bien que de lâcheté… Ce qui confère à la pièce une tonalité très sombre : en fin de compte, le spectateur attend les catastrophes, dont il sait qu’elles ne sauraient manquer d’arriver.
De fait, tous les actes se ferment sur un revers pour les ennemis de Rome. Au premier acte, Prusias trahit son fils Nicomède en le livrant à Flaminius, prétendument pour témoigner de son attachement à la paix qu’il a conclue avec le royaume de Pergame : l’acte voit donc le roi de Bithynie se livrer au pouvoir du Sénat. Au second acte, Prusias trahit Attale en allant dénoncer à Flaminius l’intention que ce dernier a d’épouser Élise : il s’enfonce donc de plus en plus dans sa tutelle volontaire vis-à-vis de Rome. Le troisième temps fort se situe au début du quatrième acte, lorsque l’on découvre qu’Eumène de Pergame est encore en vie, et que Flaminius a poussé la garde d’Attale à la mutinerie : le royaume de Pergame ne constitue donc plus un danger pour Rome, comme le craignait jusqu’ici Flaminius. À la fin de l’acte, Prusias a trahi Hannibal, et les soldats romains investissent le palais : Rome prend le pouvoir. Enfin, au cinquième acte, Hannibal meurt, malgré l’intervention glorieuse de Nicomède.
L’on assiste donc, avec La Mort d’Annibal, à une lente déchéance, où l’irrésistible progression de la Rome expansionniste à la cour du roi Prusias coïncide avec la marche inéluctable d’Hannibal vers la mort. Tout au long de la pièce, ce dernier tombe véritablement de mal en pis, et si la donne semble être renversée au dénouement, grâce à l’heureuse intervention de Nicomède, ce n’est que pour mieux mettre en valeur la chute finale. La structure de la pièce est donc celle d’un effondrement inexorable, martelé par les revers. C’est pourquoi elle est extrêmement exigeante vis-à-vis du spectateur : d’une part parce que tous les efforts faits par le camp anti-impérialiste ne mènent, finalement, à rien, d’autre part parce que, dans ces conditions, tout le monde se méfie de tout le monde. En effet, tout le long de la pièce, Thomas Corneille a soin d’entretenir une tension très soutenue entre ses personnages, qui ne savent jamais à quoi s’attendre les uns des autres, ce qui est très éprouvant. Flaminius, par exemple, doit toujours prendre en compte le caractère instable du roi Prusias. Ce dernier ne sait pas à quoi s’attendre de la part d’Attale, une fois que Flaminius a jeté le doute dans son esprit. Hannibal, quant à lui, n’en sait pas plus concernant le roi de Bithynie. Par ailleurs, jusqu’à la fin de la pièce, ni Nicomède, ni Élise, ni Hannibal ne savent qui est le traître. Tout cela contribue donc à créer une atmosphère très oppressante, d’autant que l’ombre de Rome plane sur les personnages, et que le Sénat semble tirer toutes les ficelles de l’action à travers Flaminius.
La grande politique : machiavélisme et anti-machiavélisme dans La Mort d’Annibal §
C’est par ces quelques lignes de la préface de Nicomède que l’on peut voir à quel point Thomas Corneille s’est inspiré de son aîné pour composer sa Mort d’Annibal :
La grandeur de courage y règne seule, et regarde son malheur d’un œil si dédaigneux, qu’il n’en saurait arracher une plainte. Elle y est combattue par la politique, et n’oppose à ses artifices qu’une prudence généreuse, qui marche à visage découvert, qui prévoit le péril sans s’émouvoir, et qui ne veut point d’autre appui que celui de sa vertu, et de l’amour qu’elle imprime dans les cœurs de tous les peuples.XXIV
Il s’avère, en effet, que ce jugement s’applique en tout point à La Mort d’Annibal, pièce où Flaminius, ambassadeur romain sans scrupules, représente la Politique dans ce qu’elle peut avoir de plus sordide, et où Hannibal, sans rien dissimuler, fait preuve d’un courage et d’une fermeté aussi remarquables qu’intransigeants.
Le diptyque infernal : gloire et réalisme politique §
La politique, centre de la pièce §
Dans La Mort d’Annibal, le nœud principal de l’action est d’ordre politique : la question est de savoir comment Rome va finalement l’emporter sur la haine farouche que lui voue Hannibal. La pièce repose dès lors sur un problème fondamental, bien connu au XVIIe siècle : est-il légitime d’avoir recours à des procédés peu honorables, si les résultats, au bout du compte, sont là ? C’est-à-dire, pour parler crûment : la fin justifie-t-elle les moyens ? La question, bien entendu, n’est pas nouvelle : on y est confronté dès La Mort de Pompée de Pierre Corneille, on la retrouve dans Nicomède, mais elle est néanmoins traitée sur un mode différent.
D’un frère à l’autre, le choix dans la représentation de la politique est différent : Pierre Corneille, dans sa pièce, met l’accent sur les intrigues de cour et les intérêts personnels, alors que son frère présente de véritables incarnations des deux conceptions politiques en jeu, avec les personnages d’Hannibal et de Flaminius. L’un représente la Politique dans ce qu’elle a de plus digne : celle-ci se refuse à recourir à n’importe quel procédé pour arriver à ses fins. L’autre représente la ligne dure du machiavélisme, avec un sens des réalités poussé à l’extrême. En effet, le Flaminius de La Mort d’Annibal ne poursuit aucune vengeance personnelle contre le héros : il ne fait qu’obéir au Sénat, qu’il représente auprès de Prusias. Ce qui n’est pas le cas de celui de Pierre Corneille qui, on l’apprend dès le premier acteXXV, s’est véritablement acharné contre celui qui a vaincu son père Gaius Flaminius à la bataille de TrasimèneXXVI.
En outre, on ne discerne aucune intrigue de Cour à proprement parler dans La Mort d’Annibal, alors que dans Nicomède, tout ce à quoi aspire Arsinoé est de faire monter son fils Attale sur le trône de Bithynie, à la mort de Prusias. Ainsi, pas d’intrigants chez Thomas Corneille : le problème de la succession du trône de Pergame est d’ailleurs vite résolu, puisqu’il n’est que secondaire, et totalement subordonné à la politique expansionniste de Rome. Flaminius ne s’en préoccupe donc que pour assurer ses arrières, et doter Hannibal d’un « gendre sans pouvoir »XXVII. Ainsi La Mort d’Annibal expose-t-elle une sorte de gigantesque bras de fer entre deux personnages à forte personnalité, et de grande envergure politique, dont les intérêts personnels n’entrent pas en jeu. Ce sont donc deux visions de la politique qui s’opposent dans notre pièce.
Cet antagonisme fondamental va prendre forme à la scène 3 de l’acte III, moment d’intense affrontement, où Flaminius et Hannibal confrontent leurs visions antithétiques de la politique.
Flaminius, machiavélien §
Le credo de l’ambassadeur romain est fort simple : la fin justifie les moyens. La fin en question, c’est la suprématie de Rome, que Flaminius, machiavélien sans scrupule, va assurer par tous les moyens, puisqu’elle est, pour lui, le seul motif valable d’agir. Tout disparaît donc devant le Sénat, incarnation de cette suprématie, et pour peu qu’on agisse pour lui, les pires exactions sont parfaitement légitimes aux yeux de l’ambassadeur romainXXVIII. Le spectateur cerne dès lors parfaitement le personnage : pour Flaminius, toute morale est déplacée. Pis encore : elle n’a pas lieu d’être, puisqu’il n’y a que la politique elle-même qui vaille. Nul bien en soi, donc, en la matière : le bien, ce sont les volontés du Sénat. C’est pourquoi il est caractéristique d’entendre Flaminius dire : « Et quoy, Prusias, vous estes scrupuleux ? »XXIX. Car pour lui, scrupules et politique n’ont rien à voir, et les uns sont un non-sens quand on considère l’autre. On peut donc dire sans exagérer que le Flaminius de Thomas Corneille, en tant qu’ambassadeur, est absolument dénué de conscience morale, puisqu’à ses yeux, absolument tous les moyens sont bons pour arriver aux fins du Sénat. La seule raison qui compte, finalement, est la raison d’État. Raison d’État qui implique une certaine méthode, résumée au troisième chapitre du Prince de Machiavel : le Prince doit protéger le faible sans en accroître la puissance, et ne pas laisser d’étrangers prendre d’importance dans les environs.
Il faut encore que celui qui est entré dans un pays différent, comme on a dit, se fasse le chef et défenseur des voisins moins puissants, qu’il s’ingénie à en affaiblir les puissants, et prenne garde qu’aucune circonstance n’y introduise un étranger aussi puissant que lui.XXX
Nous avons ici la définition exacte de l’attitude de Flaminius tout au long de la pièce : en protégeant Eumène de Pergame, il se présente comme son supérieur et s’assure l’appui d’un vassal fidèle. En prenant Nicomède en otage, il réduit Hannibal à l’impuissance. Enfin, en exigeant que Prusias lui livre le général carthaginois, il empêche que la Bithynie acquière trop de pouvoir.
Le jeu est dangereux : comment Flaminius peut-il se permettre tout cela ? En ambassadeur expérimenté et talentueux, il a soin, tout d’abord, de préparer le terrain : il a, de fait, un véritable don pour appréhender les situations et leurs conséquences, ce qui lui permet d’agir de façon immédiate et pertinente, et de garder un certain contrôle des événements. En effet, il sait tirer le meilleur parti de toutes les situations. Du moment qu’il connaît l’amour de Prusias pour Élise, par exemple, il ne manque pas de l’utiliser pour semer le trouble dans l’esprit de ce dernier, qui va se méfier d’Attale, et se fourvoyer à son égard. Dès qu’il apprend qu’Eumène est en vie, l’ambassadeur ne s’empresse pas d’aller clamer la nouvelle dans tout le palais, mais entretient soigneusement Attale dans son erreur, pour lui faire épouser Élise, ce qui réduira Hannibal à l’impuissance. On voit ici avec quelle maîtrise il sait mettre à profit toutes les données d’une situation, et cela immédiatement. En effet, il a une intellection extraordinaire de tout ce qu’implique une situation : là où tout autre se serait précipité pour proclamer la « fausse mort d’Eumène », sans en considérer les conséquences, Flaminius voit plus loin, et en tire le meilleur parti pour Rome. Son intelligence politique est, par ailleurs, d’une extrême réactivité, qui lui permet d’adopter sur-le-champ l’attitude la plus avantageuse pour lui, et ce dans n’importe quelle situation. Il possède donc, dès le départ, une qualité fondamentale pour le politique, celle de la bonne appréhension de la situation, ce qui le classe à un niveau largement supérieur à celui d’un Prusias ou d’un Attale.
Mais Flaminius n’est pas seulement un politique à l’intelligence extrêmement plastique. Il sait aussi adapter son discours à la situation, et l’expérience s’est chargée de lui apprendre à adopter le ton juste en toute circonstance. En effet, sa tactique politique est toute simple : il parle en maître. Que ce soit à Prusias, Élise ou Attale, quelle que soit la situation, Flaminius parle en supérieur hiérarchique. Car il en est bien conscient : son assurance semble justifier une autorité, qui, en réalité, n’a rien de fondé ni de légitime. Mais il y a des esprits faibles et lâches, comme Prusias, pour la reconnaître sans la remettre en question, et cela, Flaminius ne l’ignore pas. C’est pourquoi il en profite, même s’il ne manque pas de voir le danger que pourrait représenter le roi en cas de conflitXXXI. Il ne se comporte donc pas en inconscient lorsqu’il s’adresse à Prusias en maître : seulement, il sait parfaitement à qui il peut en imposer, par intimidation, et à qui il a affaire. D’ailleurs, sans cette intimidation, il n’est pas dit que Prusias, se voyant craint, ne se joindrait finalement pas à Hannibal, n’ayant plus aucune raison de se soumettre aux volontés de Rome. Et si c’est sans réel succès qu’il tente la même méthode avec Attale ou Élise, Flaminius s’arroge malgré tout le droit de décider du sort de tous, à leur corps défendant, puisqu’au moins l’un des personnages en présence reconnaît sa prétendue autorité, et agit en tout point en la prenant pour une réalité.
Cela pourrait laisser à penser que Flaminius, en cela, joue parfois gros jeu, et ne calcule pas bien les risques qu’il prend, à parler ainsi sans cesse en maître, au risque de voir la situation se retourner contre lui. Il n’en est rien. En effet, il applique en tout point un principe élémentaire, celui de la prudence, et s’il semble parfois par trop sûr de lui, c’est en toute connaissance de cause. Il est en effet parfaitement conscient du pouvoir de la parole, et de l’assurance dont il fait preuve : il sait que, pour peu que l’on paraisse sûr de soi, on convainc aisément autrui de ce qu’on veut lui laisser croire, et la moitié du chemin est faite. Ce qui fait que, même au moment le plus désespéré, où il sait lui-même que tout est perdu et qu’il doit fuir, Flaminius semble encore constituer un danger considérable pour le camp carthaginois, puisqu’il ne se départ pas de son ton autoritaire, en menaçant Élise une dernière foisXXXII.
Le seul moment où le spectateur peut croire à une erreur de sa part est en réalité un véritable coup de maître : il s’agit du passage de la deuxième à la troisième scène de l’acte IV, lorsqu’il se retire, et laisse Attale et Prusias seuls, face à face. On peut penser, en effet, qu’il court deux grands risques : premièrement, qu’Attale détrompe Prusias, et lui révèle qu’il n’a jamais été dans ses intentions de livrer Hannibal à Rome ; deuxièmement, que Prusias, désespéré par le mariage prochain d’Attale, prenne les devants, et épouse lui-même Élise, fournissant ainsi à Hannibal une armée, ce que Flaminius veut éviter à tout prix.
Cependant, si l’on considère ces deux cas, l’on s’aperçoit vite que tout tourne à l’avantage de Flaminius. Dans le premier cas, si Attale détrompe Prusias, il n’est pas dit que ce dernier le croie, bien au contraire. Tout d’abord, ce dernier a tout lieu de penser qu’Attale n’avouerait jamais une telle infamie, et qu’il ne nierait avoir livré Hannibal que pour sauver la face. D’autant qu’il est persuadé de la clairvoyance de Flaminius, depuis que celui-ci lui a laissé croire qu’il avait eu connaissance de son amour pour Élise depuis le débutXXXIII. De ce point de vue, Flaminius ne risque donc rien en les laissant seuls, sinon qu’Attale comprenne ce qu’il a exigé de Prusias. Ce qui est, en fait, peu probable, étant donnée son inexpérience politique. Dans le second cas de figure, si Prusias décide d’épouser lui-même Élise, il ne faut pas oublier que, en contrepartie, il se considère toujours comme obligé de livrer Hannibal. Ce qui réduirait à néant tout motif d’inquiétude pour Rome : l’argument selon lequel le mariage de Prusias et d’Élise fournirait à Hannibal une armée est oiseux. Flaminius est donc gagnant sur tous les points : si Élise épouse Attale, Hannibal ne dispose pas d’armée, puisqu’Attale doit céder le trône à son frère Eumène ; et si elle épouse Prusias, Hannibal se retrouve entre les mains de Rome. Une fois que l’on a considéré tout cela, on peut se demander, finalement, si Flaminius n’avait tout simplement pas envisagé depuis le début les deux cas de figure.
Ainsi, en respectant sans cesse ce principe de prudence, Flaminius agit en machiavélien accompli. Il utilise tout, dissimule tout, et, malgré son infamie, est absolument remarquable. Tout comme l’on « déteste les actions » de la Cléopâtre de Pierre Corneille (Rodogune, Princesse des Parthes), et « admire la source dont elles partent »XXXIV, l’on déteste les procédés du Flaminius de Thomas Corneille tout en admirant son extrême talent politique. On ne sait trop, d’ailleurs, que penser de son génie politique : est-il un homme de terrain remarquable, à la réactivité hors norme, ou un politique adroit et clairvoyant qui discerne tous les tenants et aboutissants d’une situation ? Probablement, les deux : mais cela reste incertain. En effet, la scène au cours de laquelle il pousse Prusias à l’aveu prête à confusionXXXV. Car le spectateur, en fin de compte, ne peut pas vraiment savoir s’il avait réellement connaissance de l’amour de ce dernier pour Élise, avant qu’il commence à le lui faire admettre. Nulle scène, auparavant, où il expose ses soupçons à Procule, nulle allusion, nulle insinuation à ce sujet : nous n’avons que sa parole, pour le croire, ce qui n’est guère suffisant pour un machiavélien sans scrupules. S’il a véritablement connaissance de ce fait, c’est un politique brillant, fin connaisseur de la nature humaine, qui sait exactement comment mener sa proie jusque dans ses rets, et la garder, pieds et poings liés, à sa disposition. Dans le cas contraire, il comprend les motifs de Prusias sur le coup, et les utilise spontanément, pour le manipuler à chaud, avec une maestria remarquable. Dans les deux cas, il reste un politicien hors du commun : c’est face à ce génie politique qu’Hannibal va devoir représenter l’anti-machiavélisme glorieux.
Hannibal, anti-machiavélien taillé dans le marbre §
Hannibal, face à la logique du résultat à tout prix de Flaminius, représente la noblesse, et le refus de l’abaissement, qu’il s’agisse d’un abaissement moral, vis-à-vis de soi-même, ou d’un abaissement devant autrui, en l’occurrence devant l’aigle romaine. Pur de toute dissimulation, de tout bas procédé, il ne cache rien, et, contrairement à Flaminius, ne cherche à forcer personne. Face à l’expansionnisme romain, il est donc l’instance de la liberté dans la pièce de Thomas Corneille.
En effet, Hannibal est un conquérant, et un des plus grands : le spectateur ne saurait oublier la marche sur Rome qu’il a accomplie contre toute attente, et les cuisantes défaites qu’il a infligées aux légions romaines. Or, le conquérant est la figure de la liberté absolue : il est celui qui, de son propre chef, décide de se confronter à des puissances susceptibles de le tenir en échec. C’est donc un véritable héros que le spectateur voit ici, et un héros sans faille, particulièrement glorieux. En effet, Hannibal ne laisse transparaître absolument aucune faiblesse pendant la pièce : contrairement à Mithridate, La Mort d’Annibal ne compte pas de personnage féminin comme Monime pour amener le héros à oublier, pendant un court instant, ce qu’il se doit, et pour s’égarer au point de dissimuler bassement ses intentions. Alors que Mithridate est un héros humain, Hannibal est un héros parfaitement irréprochable : c’est pourquoi il peut sembler parfois quelque peu uniforme dans sa perfection. En effet, non seulement il est valeureux, mais il a un solide sens des réalités, indispensable pour un chef de guerre. Il n’est absolument pas l’illuminé pour lequel Flaminius voudrait le faire passer aux yeux d’Attale : il sait pertinemment quelles sont ses chances de l’emporter dans la bataille, et ce qu’il risque. Tout comme Flaminius, il est parfaitement conscient de la puissance de la Bithynie. Le fait qu’il a toutes ses chances contre les légions romaines si la Bithynie engage le combat sous ses ordres met en relief la cruauté de sa chute, et tout le mérite qu’il a de rester irréprochable face aux basses machinations de l’ambassadeur romain. L’ampleur de sa gloire et de sa valeur fait toute la puissance de la tragédie : la catastrophe de La Mort d’Annibal est donc le moment le plus ironique et tragique de la pièce, où tout semble enfin s’accorder à satisfaire les vœux du héros, alors que celui-ci s’est lui-même condamné.
La gloire d’Hannibal est dès lors extrêmement exigeante : à Rome, la toute-puissante, il fallait un adversaire hors norme. En effet, Thomas Corneille le rappelle sans cesse : Rome se considère comme la « maîtresse du monde », et nombre d’États plient sous son influence. Elle semble bel et bien invincible : or, c’est généralement à l’envergure d’un ennemi que l’on reconnaît la valeur d’un personnage. C’est pourquoi, si Thomas Corneille fait de Rome une puissance aussi dangereuse et effrayante, son Hannibal en a d’autant plus de mérite. Et c’est pourquoi ce dernier doit faire sans cesse preuve d’un courage sans faille, à la mesure de la grandeur romaine. Ainsi voit-on en lui un personnage tout simplement vertueux, au sens où il détient ce que les Romains appellent la virtus : le courage, la valeur, la force et la vertu morale. On le voit quand on considère ce qu’il aurait pu envisager pour arriver à ses fins : en effet, puisqu’il lui faut un roi comme gendre, Hannibal aurait fort bien pu considérer l’éventualité de suggérer le parricide à Nicomède – ce qu’a fait le Nicomède de l’Histoire. La possibilité aurait été immédiatement envisagée par tout autre personnage de tragédie moins scrupuleux : dans la Rodogune de Pierre Corneille notamment, Cléopâtre n’hésite pas devant l’infanticide. Cependant, l’idée n’effleure même pas Hannibal, et encore moins son émule, Nicomède : tous deux sont trop glorieux pour cela. C’est pourquoi l’on classe immédiatement le personnage : illustre, réaliste et talentueux, Hannibal reste donc un héros. Il en est d’ailleurs tout à fait conscient, et fait preuve d’un orgueil tout cornélien, notamment à la cinquième scène du deuxième acte où une maladresse de Prusias le pique au vifXXXVI.
Doté d’une telle valeur, il est logique qu’Hannibal soit intransigeant vis-à-vis d’autrui. Pour avoir de la valeur, à ses yeux, il faut être comme lui : sans peur, et surtout sans reproche. Car du moment qu’il se sait lui-même infaillible, et qu’il rejette tout recours à des procédés déshonorants et malhonnêtes, il exige d’autrui la même intransigeance : en somme, il attend des autres ce qu’il considère comme étant le minimum vital pour un général, à plus forte raison pour un roi. C’est pourquoi la critique du machiavélisme qu’il offre au spectateur est légitime, et aussi frappante : pour s’opposer au machiavélisme extrême de Flaminius, il fallait un héros suprêmement exigeant, à la valeur et à l’honnêteté irréprochables. Ce n’est qu’à ce titre qu’Hannibal peut condamner la décadence de Rome qui, auparavant, se refusait comme lui aux bassesses politiques et à la corruption.
D’autant que la corruption de Rome est double : d’une part, elle s’est corrompue elle-même, d’autre part, elle corrompt autrui. Car, de glorieuse, Rome est devenue infâme : avant, elle sauvait son ennemi mortel, alors que dans la pièce, « le crime est de ses droits »XXXVII. De surcroît, elle entraîne les faibles dans sa chute – le meilleur exemple, dans notre pièce, en étant bien entendu le roi Prusias, auparavant estimé, devenu lamentable sous l’effet de la peur. Cette idée de déchéance, Thomas Corneille la reprend à Tite-Live et à Plutarque, qui attribuent ces propos sur le déclin des mœurs romaines à Hannibal, au moment de sa mortXXXVIII.
Face à cela, le protagoniste est sans faille, et ne reconnaît aucun sentiment valable sinon celui de la haine, devant laquelle tout disparaît, y compris les sentiments les plus naturels, comme par exemple la grande affection qu’il porte à Nicomède, dans laquelle il verrait une « infamie », s’il lui cédait au détriment de sa haine. De ce point de vue, Hannibal semble proprement inhumain, du fait de son extrême exigence. Même sa propre mort ne le fait pas se départir de son sang-froid. C’est pourquoi le personnage n’est tout simplement pas attachant, et n’a pas dû avoir beaucoup de succès auprès du public, qui n’a guère pu se prendre d’affection pour lui : il ne fait dès lors que le plaindre de façon tout objective, ce qui ne prête guère à une réelle sympathie. Thomas Corneille déroge ici à la règle qu’énonce Aristote dans sa Poétique, selon laquelle un personnage, pour émouvoir et toucher le spectateur, ne doit pas être parfait :
Puisque donc l’agencement de la tragédie la plus belle ne doit pas être simple mais complexe, et puisqu’elle doit être l’imitation de faits effrayants ou pitoyables […] , il est dès l’abord évident qu’on ne doit pas y voir des hommes bons passer du bonheur au malheur (il n’y a là ni crainte, ni pitié, ni répulsion), ni des méchants passer du malheur au bonheur […] , ni, d’autre part, l’homme foncièrement mauvais tomber du bonheur dans le malheur […] .
Reste par conséquent le cas intermédiaire. C’est la situation de celui qui, sans être un parangon de vertu et de justice, tombe dans le malheur non pas à cause de ses vices ou de sa méchanceté mais à cause de quelque erreur […] .XXXIX
Or, nous l’avons vu, il est évident qu’Hannibal est un de ces « parangons de vertu et de justice ». Ainsi, même s’il conserve malgré tout une véritable ampleur tragique, du fait de son talent et de son envergure, qui rendent sa mort d’autant plus cruelle et injuste, il n’en reste pas moins un personnage relativement froid aux yeux du spectateur.
Une même arme : l’ironie §
L’acmé de l’antagonisme qui oppose Hannibal à Flaminius se situe à la troisième scène de l’acte III : l’ambassadeur, après avoir entendu dire qu’Attale comptait épouser Élise, se rend auprès de lui pour faire pression, et le forcer à renoncer à son projet. Il l’accuse notamment de déloyauté, et le menace ouvertement en présence d’Hannibal. C’est alors que la scène, qui se jouait auparavant entre Attale et Flaminius, tourne à l’affrontement direct, entre ce dernier et Hannibal, dans une confrontation particulièrement violente, du fait de l’ironie cinglante de FlaminiusXL, arme dont usera à son tour Hannibal face à Prusias. En effet, dans la scène, l’ambassadeur romain cherche à faire passer son adversaire pour un illuminé politique aux yeux d’Attale, de telle sorte que celui-ci, de peur de finir aussi mal qu’Antiochus, se détourne finalement de ses intentions premières. L’ironie, dans la scène, est le moyen le plus corrosif, donc le plus efficace, dont peut user Flaminius, puisqu’il ne peut l’effrayer par des discours. Ses paroles, apparemment adressées à son interlocuteur, sont dès lors destinées à Attale, dont il sait qu’il a plus de chances de l’ébranler qu’Hannibal. Malheureusement pour lui, ce sera en vain.
Hannibal, lui, use fort différemment de l’ironie face à Prusias. En effet, il ne cherche pas à le ridiculiser devant quelqu’un d’autre : il n’y a donc pas recours comme à un procédé rhétorique. Il ne l’utilise que de façon ponctuelle, pour faire comprendre à Prusias qu’il n’est pas dupe, et le pousser à s’apercevoir de la vanité de ses efforts. Ce n’est donc pas à une ironie corrosive qu’il a recours, mais à une ironie très froide, âpre, presque glaçante à la deuxième scène du deuxième acteXLI, ironie qui montre de manière particulièrement mordante à la fois son mépris et sa méfiance vis-à-vis de Prusias. En effet, Thomas Corneille place ici dans sa bouche un discours qu’on croirait tout droit sorti de l’esprit du roi de Bithynie : Hannibal fait semblant d’adopter ici l’avis de ce dernier, de partager ses vues, ce qui crée un effet de décalage particulièrement frappant : Hannibal, l’irréductible ennemi de Rome, considérer un seul instant le danger qu’il y aurait à s’opposer à elle ? L’on perçoit immédiatement toute l’absurdité d’un tel propos chez un tel personnage : le spectateur ne peut s’y tromper, pas plus que Prusias.
Mais pourquoi cette ironie, tout aussi mordante que celle de Flaminius, est-elle d’un tout autre ordre ? Il faut considérer les sentiments que le locuteur éprouve vis-à-vis de son interlocuteur. Flaminius ne peut mépriser Hannibal, qui est trop valeureux. Il le redoute. Son adversaire, en revanche, méprise souverainement Prusias. Flaminius, traitant d’égal à égal avec son ennemi, ne peut le braver que par une ironie cinglante, qu’il sait parfaitement injuste, alors que l’ironie d’Hannibal, elle, frappe juste, parce que Prusias mérite la dérision dont il est l’objet.
On le remarque, seuls Hannibal et Flaminius usent de l’ironie comme arme rhétorique. Et pour cause : ce sont les deux seuls personnages de la pièce qui ont suffisamment d’assurance, d’expérience et de recul pour y avoir recours. En effet, l’ironie suppose un regard, donc une certaine distance vis-à-vis des faits considérés : c’est précisément pourquoi elle montre que celui qui la manie a une certaine emprise sur la situation. Ce qui fait que seuls ceux qui ont assez de sang-froid et de talent y recourent. C’est pourquoi ni Prusias, ni Nicomède, ni Attale ne peuvent ironiser. Prusias parce qu’il n’est précisément pas de sang-froid, submergé qu’il est par la passion toute-puissante qu’il éprouve pour Élise. Nicomède, parce qu’il n’a pas de titre royal particulier, n’a pas l’occasion de s’opposer à Flaminius. Cependant, pourquoi n’en fait-il pas preuve, à l’image de son maître, face à son père ? C’est qu’il lui doit respect et piété filiale. Ainsi ne peut-il pas ironiser devant lui : c’est donc avec une dangereuse franchise qu’il s’exprime devant son père, exactement comme le fait le Nicomède de Pierre Corneille. Quant à Attale, roi inexpérimenté, il ne peut avoir le recul et la compréhension de la situation nécessaires pour cela. Un seul autre personnage pourra occasionnellement ironiser, et il s’agit de la fille d’Hannibal, Élise, qui prend son père pour modèle en tout point, et se plaît à le proclamerXLII.
De ce fait, il n’est pas étonnant de voir celle-ci reproduire l’attitude de son père face à Prusias, en adoptant exactement la même ironie méprisante qu’Hannibal, à la scène 5 du premier acteXLIII. Et le roi, à son tour, ne manque pas de montrer une nouvelle fois à quel point il est aveugle et déplorable, en lui répondant comme si elle avait parlé sérieusementXLIV. Le gouffre est donc infranchissable entre les deux personnages.
Élise aura également recours à l’ironie face à Flaminius, pour lui faire sentir tout son mépris, mépris bien différent de celui qu’elle éprouve vis-à-vis de Prusias. En effet, elle ne voit en ce dernier qu’un lâche sans intérêt, indigne de la couronne qu’il porte, tandis que le premier est, à ses yeux, un infâme aux méthodes honteuses. C’est pourquoi, en véritable héroïne, elle garde sa fierté, même quand tout semble perdu, et crache son dédain au visage de Flaminius en ces termes : « Il sera beau pour toy d’avoir séduit un Traistre, / Et tes fourbes, dont l’art nous a mis sous tes loix, / Pour annoblir ton nom sont de fameux exploits »XLV. L’ironie est donc une arme rhétorique caractéristique, dans La Mort d’Annibal, des personnages de grande envergure.
Un échec de la politique : déceptions et pessimisme §
Il s’avère cependant, après examen, que La Mort d’Annibal est une pièce de l’échec politique pour les deux camps en présence. En effet, pour Hannibal comme pour Flaminius, l’issue n’en est guère satisfaisante : l’un meurt de s’être appliqué toute sa vie à abattre Rome sans résultat, et l’autre n’obtient pas, finalement, l’anéantissement du camp ennemi.
Car si Hannibal meurt, il n’en reste pas moins que la relève est assurée par Nicomède et Élise. Le machiavélisme de Flaminius ne le mène donc absolument pas à ce qu’il espère, il l’admet lui-même. En effet, malgré toutes ses menaces, il n’obtient rien d’Attale, qui reste ferme sur ses positions, et affirme sa volonté d’épouser Élise malgré l’interdiction du Sénat. L’ambassadeur n’a pas plus de succès face à Élise, qui, à la quatrième scène du dernier acte, continue à le braver courageusement, malgré la menace de la mort et du triomphe. On pourrait cependant penser qu’étant donnée son influence sur Prusias, il obtient de celui-ci ce qu’il veut. Mais ce n’est pas le cas : Prusias, « trop mol », tergiverse, et n’adopte pas la solution que Flaminius voudrait lui voir choisirXLVI. On le voit donc : le machiavélisme ne paie pas chez Thomas Corneille.
Quant à Hannibal il ne parvient jamais à obtenir un appui sûr. Certes, Nicomède lui est tout dévoué ; mais il n’est pas roi. Il ne peut, par conséquent, constituer un allié utile. Attale, de son côté, s’il semble dévoué à sa cause, s’avère, à la fin, être dans l’impossibilité de faire quoi que ce soit pour lui. La politique de grandeur d’Hannibal, avec tout son système de valeurs morales, ne l’avance pas plus que le machiavélisme ne réussit à Flaminius. L’incertitude prévaut donc, et c’est pourquoi la pièce se clôt sur cette conclusion pessimiste : aucun des deux camps ne l’emporte. L’affrontement va se poursuivre plus âprement encore : Nicomède va continuer à lutter contre Rome, et on ne sait pas trop ce que va devenir Attale… Le tableau est donc simple : la politique est un éternel recommencement qui met toujours en scène la même pièce, avec des acteurs différents.
Il faut également prendre en compte l’idée, très présente à la fin de la pièce, de décadence. En effet, nous l’avons vu, Rome a autrefois partagé les mêmes valeurs qu’Hannibal : cela laisse dès lors entrevoir une déchéance possible pour ceux qui veulent suivre l’exemple glorieux de ce dernier, et qui, eux, ont encore du temps devant eux pour sombrer dans l’infamie. Bien entendu, Thomas Corneille ne traite pas particulièrement ce point, et rien, dans La Mort d’Annibal, n’annonce la potentielle déchéance de Nicomède. Il n’en reste pas moins que le parallèle est troublant, et qu’il n’est pas évident qu’il en ira autrement pour les émules d’Hannibal que pour Rome.
Thomas Corneille n’apporte aucune réponse définitive aux questions qu’il pose. Si, pour lui, l’une des solutions est moralement nettement préférable à l’autre, ni le machiavélisme, ni l’anti-machiavélisme ne sont efficaces, ce qui ne laisse au spectateur qu’une certitude : la poursuite du combat. La leçon du dramaturge, dans La Mort d’Annibal, est donc celle du réalisme : que l’on ait recours à des procédés infamants ou non, que l’on soit glorieux ou non, nul ne peut l’emporter définitivement dans un tel conflit. Pour lui, il y aura toujours une puissance pour concentrer les haines, et toujours des adversaires pour tenter de lui damer le pion. Car le spectateur est bien conscient que le combat ne s’arrête pas là : même si Flaminius est forcé de s’enfuir à la fin de la pièce, le Sénat n’en est pas pour autant réduit à l’impuissance. Nous avons ici un dénouement semblable à celui de Nicomède : après la révolte suscitée par Laodice, le héros calme la foule en furie, et finit par faire la paix avec son père et sa belle-mère Arsinoé. La pièce semble donc se conclure sur une certaine entente entre Rome et le camp adverse. Mais Flaminius n’en émet pas moins quelques réserves, et ne manque pas de rappeler que la Bithynie n’a pas encore gagné sa liberté vis-à-vis du Sénat :
Nicomède – Seigneur, à découvert, toute âme généreuseD’avoir votre amitié, doit se tenir heureuse,Mais nous n’en voulons plus avec ces dures lois,Qu’elle jette toujours sur la tête des Rois,Nous vous la demandons hors de la servitude,Ou le nom d’ennemi nous semblera moins rude.Flaminius – C’est de quoi le sénat pourra délibérer.XLVII
Cependant, les tonalités des deux dénouements sont fort différentes. En effet, dans La Mort d’Annibal, la scène est ensanglantée, on apprend que Prusias est mort dans la mêlée, qu’Attale a été capturé par la garde romaine, et que Flaminius s’est enfui pour rendre compte à Rome de l’affront dont elle est l’objet. Il en va tout autrement dans Nicomède, où Prusias pardonne à son fils, qui lui rend spontanément son trône, où Arsinoé se rend à la bienveillance du héros, et où Flaminius, s’il reste quelque peu prudent, témoigne néanmoins de son respect face à la grandeur d’âme de son ennemi. Même si le conflit n’est pas à proprement parler résolu, Pierre Corneille est bien moins pessimiste que son frère.
La Mort d’Annibal de Thomas Corneille est donc un véritable constat d’échec, qui révèle au spectateur la dure réalité de la politique : nul ne peut l’emporter définitivement. Dans ces conditions, il va falloir examiner quelles attitudes les personnages peuvent adopter : et c’est ainsi que va se développer toute une dialectique, qui va définir la place du roi dans cette situation dramatique.
La casuistique royale : une idéologie de la monarchie §
Dans La Mort d’Annibal, un roi peut adopter trois attitudes différentes : deux sont extrêmes, la troisième est médiane. Ces trois comportements s’incarnent dans les personnages de Prusias, Attale et Nicomède.
Le premier, roi faible, se laisse persuader par son capitaine des gardes Araxe d’employer des moyens infamants pour arriver à ses fins : machiavélien par la force des choses, passif, il devient l’incarnation du tyran faible, véritable paradoxe que nous allons développer ici. Le second, élevé à Rome, cherche à s’affranchir de la tutelle du Sénat, sans en distinguer toutes les conséquences : il est donc une figure royale extrêmement incertaine. Le troisième, éduqué par Hannibal, d’après Thomas Corneille, est le plus digne de posséder le titre royal des trois, du fait de sa noblesse : il représente la royauté dans ce qu’elle a de plus grand. Comment ces trois cas de figure vont-ils donc s’illustrer dans la pièce ?
Une charge contre le tyran faible : le roi Prusias §
Les dramaturges du XVIIe siècle accordent une attention toute particulière à la question du tyran. En effet, dans les pièces de théâtre classiques, le roi est soit légitime, soit despotique. Dans le premier cas, juste et équitable, il reste étranger à toute tyrannie et n’a jamais recours à la coercition. Dans le second, c’est un tyran qui a usurpé le pouvoir qu’il détient. Le tyran par excellence dans la tragédie classique du XVIIe siècle reste le Phocas de Pierre CorneilleXLVIII : en lui, il montre que le tyran est tout simplement un véritable homme à abattre, et qu’il est toujours coupable : c’est pourquoi il faut qu’il meure. Cependant, le châtiment n’était pas systématique chez les dramaturges classiques – notamment chez Pierre Corneille – qui voient bien toute la complexité de la question : le tyran peut effectivement échapper à la sentence lorsqu’il se montre capable d’évoluer vers la royauté légitime – ce qui est le cas d’Auguste, dans Cinna, et de Grimoald, dans Pertharite, roi des LombardsXLIX : l’un se rachète en voulant déposer le pouvoir dont il s’est emparé par la force, et en faisant preuve de clémence, la vertu royale par excellence. L’autre se montre, une fois parvenu au trône, un roi parfaitement vertueux : son ennemie jurée, Rodelinde, l’admet elle-mêmeL. Ainsi conservent-ils finalement tous deux le trône : bien mal acquis profite donc parfois. Mais ce cas de figure reste bien évidemment très rare. Tout cela engageait toute une réflexion d’ordre moral sur le tyrannicide : était-il légitime de tuer le tyran ? Bien évidemment, le théâtre n’était pas le seul à examiner la question à l’époque classique, mais il n’en reste pas moins qu’il le faisait de façon tout aussi approfondie que les traités de casuistique jésuites.
Cependant, le cas de Prusias ne correspond à aucune des catégories évoquées ci-dessus : de fait, sa royauté est légitime, et pourtant, son comportement est celui d’un despote. Cela s’explique par le fait qu’il est un roi oriental : en effet, les souverains asiatiques ont une réputation de despotes au Grand Siècle : leur tyrannie leur est donc, en quelque sorte, essentielle. En cela, Prusias est l’inverse d’Auguste, en ce que, de la royauté légitime, il vire à la tyrannie, tandis qu’Auguste est un tyran qui conquiert sa légitimité. Avec La Mort d’Annibal, nous assistons donc ici à la déchéance d’un roi, et non à la rédemption d’un tyran. En cela, le XVIIe et Thomas Corneille rejoignent la définition du tyran que donne Aristote dans son Ethique à Nicomaque :
Le tyran n’a en vue que son avantage personnel, tandis que le Roi a en vue celui de ses sujets. […] La tyrannie est tout le contraire de la royauté, parce que car le tyran poursuit son bien propre. Et on aperçoit plus clairement dans le cas de la tyrannie qu’elle est la pire des déviations, le contraire de ce qu’il y a de mieux étant ce qu’il y a de plus mauvais. De la royauté, on passe à la tyrannie, car la tyrannie est une perversion de la monarchie, et dès lors le mauvais Roi devient tyran.LI
La tyrannie aristotélicienne est donc une forme corrompue de la monarchie, la déchéance absolue du roi, due à un appétit mal contrôlé. Le tyran est donc un homme faible devant ses passions, et qui ne sait, ni ne cherche d’ailleurs à leur résister : il s’oppose en cela au Roi, qui, lui, reste attaché au bien de ses sujets. Les jésuites développent cette conception du tyran dans leurs ouvrages : le père Caussin, notamment, dans La Cour sainte, définit ce qu’il appelle « l’homme charnel » LII, c’est-à-dire celui qui ne voit rien d’autre que son propre bonheur – plus honteux encore, sa propre satisfaction. Il néglige dès lors toute autre considération, plus légitime. Le père Mariana, dans son De rege et regis institutione, au chapitre « Discrimen regis et tyranni »LIII, reprend cette analyse, et en examine toutes les conséquences : d’après lui, la faiblesse du tyran devant ses passions ne peut, d’après lui, que l’inciter à la coercition. Le tyran profite donc du pouvoir dont il dispose pour parvenir à ses fins – toujours personnelles, bien évidemment. Prêt à tout pour satisfaire ses appétits déréglés, il ne recule plus, dès lors, devant le crime, et devient un être inhumain et monstrueuxLIV.
Thomas Corneille ne reprend pas tout à fait cette conception du tyran, même si, de toute évidence, elle l’a beaucoup influencé dans la composition du personnage de Prusias : on ne saurait nier que l’on retrouve chez ce dernier la faiblesse évoquée par le père Caussin. Il est indéniable qu’il se caractérise par sa faiblesse, impardonnable pour un roi. En effet, Prusias est faible de nature, et sa passion pour Élise est révélateur de cette faiblesse : il ne peut résister à sa passion – et ne fait d’ailleurs pas grand effort pour cela. En effet, il est prêt à tout pour satisfaire la passion aveugle qu’il porte à Élise, et érige le contentement de ses désirs en règle. Il dit clairement à Araxe, par ailleurs, que rien n’a d’importance sinon lui-mêmeLV : il est en cela un roi indigne de sa qualité royale.
Et de fait, sa faiblesse a pour effet de le mener vers une certaine monstruosité. Cependant, ce point est à nuancer : en effet, Prusias n’atteint pas tout à fait le degré extrême de monstruosité que le père Mariana attribue au tyran. Il ne fait qu’amorcer le mouvement vers l’inhumanité évoqué dans le De rege et regis institutione. En effet, il ne va pas jusqu’au meurtre, et surtout, jusqu’à l’infanticide. Mais il n’en reste pas moins que le spectateur le voit trahir ses hôtes et son propre fils. En outre, non seulement il livre son propre fils à l’ennemi, mais il va jusqu’à le menacer de mort. L’infanticide pourrait d’ailleurs fort bien être perpétré, si c’était Nicomède que le roi rencontrait au milieu de la mêlée finale, et non Attale. La monstruosité de bête sauvage qu’évoque le père Mariana est donc bel et bien présente chez lui, en ce qu’en fin de compte, il ne respecte plus la vie de son propre fils. Même si l’infanticide n’est pas perpétré dans les faits, il n’en est pas moins vrai que Prusias, mis hors de lui par les insinuations de Flaminius, aurait pu le commettre au dernier acte s’il en avait eu l’occasion. Cela fait de lui un personnage éminemment ambivalent, puisqu’il suscite chez le spectateur à la fois mépris et horreur, du fait, respectivement, de sa faiblesse lamentable, et de sa monstruosité impardonnable.
Ainsi se laisse-t-il totalement submerger par sa passion : cependant, Prusias va plus loin dans l’abjection, en ce que non seulement il se montre faible face à lui-même, mais également face aux autres, et sa passion pour Élise en est à la fois la cause et le révélateur. En effet, le bon roi est celui qui recherche le bien de ses sujets, et non son propre contentement ; mais il est également celui qui sait faire preuve d’un certain talent politique. C’est celui, en un mot, qui est digne de sa charge. Or, la passion que Prusias éprouve pour Élise chasse de son esprit toute considération politique, et l’aveugle complètement : Flaminius pourra donc à juste titre lui faire remarquer son manque d’intelligence politiqueLVI. Peut-être avait-il l’étoffe d’un politique avant la pièce – ou plus exactement avant qu’il ne pose les yeux sur Élise –, mais toujours est-il que, pendant toute la pièce, il n’en fait aucunement preuve, et sa passion pour Élise est partiellement la cause de son manque d’entendement politique.
Cependant, en un premier temps, il ne s’y abandonne pas : au début de la pièce, de fait, il tente d’étouffer et de dissimuler son amour. On pourrait donc croire qu’il s’agit d’un sursaut de conscience royale de sa part qui le pousse à s’interdire de se livrer ainsi à sa passion pour considérer le bien de l’État. Mais on s’en aperçoit vite qu’il n’en est rien : en effet, s’il se refuse, en un premier temps, à s’abandonner à son amour, c’est tout simplement parce qu’il a peur. Car « [Peut-il] consentir à ce que vaut [sa] flamme / Sans que Rome aussitôt s’en indigne et [l’en] blâme ? »LVII. De toute évidence, il redoute de « perdre son appui »LVIII. Ainsi va-t-il se soumettre bassement aux volontés de Flaminius, de peur d’encourir l’ire du Sénat, et se refuser à choisir entre son amour et sa peur, en un premier temps, pour ne prendre finalement une décision – désespérée – que lorsque Flaminius l’aura poussé dans ses retranchements. Ainsi Prusias est-il aussi bien tyran que mauvais roi, en ce qu’il se défait de sa souveraineté face à une autre instance politique, dont il a véritablement peur : c’est ce en quoi la passion qu’il éprouve pour Élise est le révélateur de sa faiblesse, indigne d’un roi de tragédie.
Cette faiblesse est d’autant plus condamnable, par ailleurs, du fait que la Bithynie n’est pas militairement inférieure à Rome, et que s’il se mettait en tête de la défier, il constituerait pour elle un réel danger. Ce qu’Hannibal ne manque pas, à deux reprises, de mettre en évidenceLIX. Ainsi, malgré la force que son armée représente, et les alliés qu’il pourrait rassembler, Prusias refuse de lutter pour défendre sa souveraineté, ce qui, aux yeux du spectateur, en fait définitivement un lâche, qui choisit de compromettre indignement son titre pour assurer sa propre sécurité. Sa lâcheté et la peur qu’il éprouve vis-à-vis de Rome le font tergiverser. Car tant qu’il ne prend pas de décision, tout est encore possible, et il conserve l’espoir infime qu’il finira par trouver un juste milieu entre la trahison d’Hannibal – donc le renoncement à son amour – et l’alliance avec ce dernier – donc la guerre avec Rome. L’un comme l’autre lui semblant impossible, il cherche à ménager les deux extrêmes, sans se compromettre, ce qui le mène à retenir Hannibal, et à protester de sa loyauté envers lui, tout en traitant avec Flaminius du meilleur moyen de conserver les bonnes grâces du Sénat. Or, Machiavel le précise bien dans Le Prince :
On estime aussi un prince quand il est vrai ami et vrai ennemi, c’est-à-dire que sans aucun ménagement, il se découvre en faveur de quelqu’un contre un autre.LX
Machiavel montre ici ce en quoi Prusias démérite le plus : il n’est pas estimable, tare injustifiable chez un roi, qui se doit, au contraire, d’être le plus noble de ses pairs. En effet, le Prince doit être le premier de tous, la racine latine du terme nous le montre bienLXI : il doit surpasser tous ses sujets par sa valeur, sa vertu, et sa conscience politique. Ce n’est qu’à cette condition qu’on peut l’estimer en tant que roi, et qu’il se montre digne d’exercer la fonction royale, d’après le père MarianaLXII. Or, comment estimer un roi qui se laisse happer par la peur, livre ainsi sa souveraineté à l’ennemi qui l’opprime, alors qu’il aurait les moyens de s’y opposer, et de grandes chances de l’emporter dans la bataille, et se refuse à prendre une décision, alors que c’est là le principe du titre royal : prendre les décisions qui s’imposent pour le bien de l’État ?
Cependant, Prusias ne se serait pas laissé aller à tant de faiblesse et de soumission s’il n’y avait pas eu son capitaine des gardes, Araxe, pour l’encourager dans son indignité. En effet, nous l’avons vu, Prusias n’est pas bon politique : aveuglé par sa passion, il ne sait que penser de la situation, et n’est pas en état de prendre les décisions qui s’imposent. Il lui fallait donc un confident suffisamment infâme pour lui suggérer toutes les bassesses dont il va se rendre coupable, et ce confident va s’incarner en son capitaine des gardes, Araxe, véritable mauvaise conscience du tyran faible, qui va le conforter dans sa faiblesse. En effet, dès la deuxième scène du premier acte, Araxe pousse le roi à l’aveu. Or, c’est là ouvrir la boîte de Pandore : en effet, du moment qu’il a surmonté la honte de ce premier aveu, Prusias n’éprouve plus ni répugnance ni pudeur à céder à sa passion, et cela d’autant plus que son confident l’y encourage. Ainsi cet aveu, qui donne au roi l’occasion de se complaire dans son amour, lui ouvre-t-il également le chemin vers sa déchéance, puisqu’il prépare le second, qui aura lieu face à FlaminiusLXIII. Or, celui-ci sera autrement plus avilissant, puisqu’il livrera sa souveraineté à ce dernier, qui va s’empresser d’en tirer profit. De ce point de vue, on peut ici établir un parallèle entre le personnage de Prusias et la Phèdre de Racine : car, d’une part, cette dernière n’aurait jamais confessé son amour pour Hippolyte si sa suivante Œnone n’avait pas été là pour lui en extorquer l’aveu, et l’on peut douter du fait que, n’eût été Araxe, Prusias se serait autant abandonné à sa passion. D’autre part, pour Phèdre comme pour Prusias, le premier aveu ouvre le chemin vers la déchéance, puisqu’il en entraîne d’autres, bien plus humiliantsLXIV.
Ainsi Araxe se fait-il l’avocat des désirs de Prusias, tout comme Œnone soutient Phèdre dans son amour coupable : il le pousse sans scrupules à la trahison, et cela de façon extrêmement adroite. En effet, il se présente auprès du roi comme une instance foncièrement raisonnable et réaliste. « La raison le dira si vous l’en consultez », déclare-t-il catégoriquement à Prusias à la scène 4 du premier acte. Mais de quelle raison s’agit-il ? Adopte-t-il le point de vue que se doit d’adopter un roi ? Certes non : il choisit celui du serviteur servile, qui sait où se trouve son intérêt. Hors contexte, on pourrait croire qu’il fait véritablement appel à la raison, et cela de façon légitime. Cependant, il ajoute immédiatement : « L’amitié des Romains faisant vostre asseurance / Il vous faut d’Hannibal éviter l’alliance »LXV. « Asseurance » est le terme-clef de cette réplique : Araxe recherche, de fait, la sécurité, la certitude. Il ne représente donc en aucun cas la raison des rois qui, glorieuse et noble, requiert de la grandeur, mais celle du médiocre, qui veut des résultats, et qui veut être sûr de ce qu’il compte récolter. Or, il s’avère que c’est exactement ce que désire Prusias, qui, pour justifier devant Hannibal son manque d’enthousiasme à l’épauler contre Rome, argue le fait que l’issue du combat, bien que prévisible, est incertaineLXVI. Par ces mots, il montre bien que, malgré l’indéniable avantage dont il dispose, et dont il est parfaitement conscient, il craint les revers de fortune, et n’est pas prêt à se risquer dans quelque bataille que ce soit. Il n’est pas homme à déclarer, comme Rodrigue : « A vaincre sans péril on triomphe sans gloire », alors qu’Hannibal est prêt à se mesurer à n’importe quel homme, et se refuse à tout reposLXVII, pourvu que le combat lui apporte gloire et renommée. En cela, les deux personnages sont parfaitement antithétiques. Mais Araxe est là pour conforter le roi dans ce lâche désir de tranquillité.
En outre, il l’encourage dans sa passivité, en lui suggérant toutes les décisions machiavéliennes propres à satisfaire son désir. Or, le roi n’a pas la force de résister à ce désir qui l’asservit : il se sent donc véritablement contraint de trahir Hannibal. Fallacieusement persuasif, Araxe assimile dès lors, comme l’écrit Lise Michel dans sa thèse Dramaturgie et politique dans la tragédie française, nécessité et légitimitéLXVIII pour complaire au roi. Et de fait, cela charme considérablement les oreilles de Prusias, qui, dès lors, se sent habilité à trahir Attale, son propre fils Nicomède, et enfin son hôte. Araxe est donc le mauvais conseiller par excellence, qui cherche à satisfaire les désirs de son roi, sans considérer le bien public, et à le conforter dans sa bassesse – à l’image de Narcisse auprès de Néron, dans le Britannicus de Racine. Il tient, en quelque sorte, le rôle du flatteur qui mène peu à peu le roi à l’infamie. Ce à quoi le faible Prusias se rendra fort facilement, en fin de compte.
Pour toutes ces raisons, Prusias ne peut échapper à une mort infamante, qui s’oppose en tout point à la fin glorieuse d’Hannibal. En effet, comme on apprend la mort de l’un juste avant l’agonie de l’autre, le spectateur ne peut s’empêcher de mettre les morts des deux personnages en regard : et il apparaît immédiatement qu’Hannibal, en s’empoisonnant, garde toute sa dignité, tandis que Prusias, lui, doit subir l’infamie d’être éliminé par un obscur soldat, au milieu de la mêlée, mort ignominieuse pour un roi de tragédie. La figure de Prusias est donc, une deuxième fois, l’antithèse de celle d’Hannibal, cette fois-ci du point de vue de sa mort.
Par ailleurs, sa mort était inévitable : dans le théâtre classique, toute faute trouve son châtiment, et particulièrement la tyrannie, inadmissible, en particulier chez un Corneille. À l’époque, la mise à mort du tyran est d’ailleurs un lieu commun au théâtre. Thomas Corneille ne déroge donc pas à la règle. En revanche, il contrevient à l’Histoire, et suit sur ce point l’exemple que lui donne son frère aîné dans l’adresse au lecteur de Nicomède. En effet, il a soin de ne pas ensanglanter les mains de Nicomède, pour lui « prêter plus de valeur et de fierté contre les Romains », et ne pas présenter une « catastrophe si barbare » au spectateurLXIX. Ce qui, effectivement, élève le personnage de Nicomède, en dévaluant celui de Prusias, par un effet d’opposition.
Nicomède, le roi dans l’âme §
Nicomède est la synthèse idéale de son père Prusias – en ce qu’il en héritera le titre royal – et d’Hannibal – en ce que tous deux partagent les mêmes vertus. En effet, à l’image de ce dernier, il est un héros glorieux qui refuse de céder à la facilité, et se comporte en roi, même s’il ne l’est pas dans les faits. Il refuse donc catégoriquement toute tutelle, et montre en cela une fierté farouche et une nature fondamentalement souveraine. Hannibal, d’ailleurs, ne s’y trompe pas, et reconnaît son disciple à sa juste valeurLXX. En cela, Nicomède est l’antithèse exacte de son père : Prusias, bien que roi en titre, ne l’est « qu’en paroles »LXXI, tandis que son fils, roi dans l’âme, ne l’est pas dans les faitsLXXII.
De fait, ce dernier a toutes les vertus requises pour régner : elles s’expriment dans la troisième scène du premier acte, qui l’oppose à son père en tout point. En effet, face au faible et veule Prusias, il représente le courage et la fermeté d’âme : alors que le roi répugne à engager la bataille, il ne recule pas devant un éventuel conflit avec Rome, et proclame lui-même la « bouillante ardeur que la guerre [lui] inspire »LXXIII. Prusias, d’ailleurs, ne manque pas de voir que la paix est en effet « sans appâts »LXXIV pour son fils. Nicomède a donc l’âme d’un chef de guerre, et c’est pour cela qu’il pourra, à la fin de la pièce, entraîner à sa suite quelques « amis à la hâte amassés »LXXV pour défendre Hannibal : parce qu’il a fondamentalement une âme de chef, donc de roi, ce que n’a pas Prusias, qui, lui, préfère le « calme », ce qui l’exclut immédiatement de la classe des héros.
Mais le point d’opposition des personnages le plus important est le courage. Nicomède déclare en effet que Rome ne pourra jamais « soumettre son courage »LXXVI, dans une réplique où il entre résolument en conflit avec son père. L’antagonisme entre les deux personnages est flagrant : alors qu’auparavant, Nicomède était conciliant, et incitait Prusias à affronter Rome, il cesse de vouloir lui complaire l’accuse presque ouvertement de lâcheté en déclarant :
Du moins, Seigneur, du moins j’auray cét avantageQu’ils ne pourront jamais sousmettre mon courageEt si l’indignité de quelque dur reversMe reduit quelque jour à la honte des fers,Je n’imiteray pas l’abaissement extrémeQui va les mandier jusque dans Rome mesme. LXXVII
Dans toute cette réplique, il ne cite pas le nom de Prusias, mais l’outrage est évident. Car de qui refuse-t-il « d’imiter l’abaissement » ? Ce ne peut être que de son père, dont il méprise la faiblesse. De fait, il refuse l’esclavage qu’accepte implicitement Prusias en se soumettant à la volonté de Rome et en acceptant d’être un roi sous tutelle. Car Nicomède a été à l’école de la gloire et surtout de la souveraineté, en ayant Hannibal pour maître, et a compris que le véritable roi est le roi souverain, qui prend ses décisions librement, sans contrainte extérieure qui le force à prendre en considération d’autre objet que le bien de ses sujets. Mais Prusias, s’il entrevoit la honte de son attitude un court instantLXXVIII, ne peut se résoudre à agir en roi, sans se demander si le Sénat l’approuvera. C’est là la grande différence entre les deux personnages : Nicomède ne portera des fers que contre sa volonté, tandis que Prusias se livre lui-même au pouvoir de Flaminius. Des deux, l’on voit dès lors clairement qui est digne du titre royal.
Cependant, il faut bien noter que Nicomède, tout glorieux qu’il est, n’a pas encore eu l’occasion de s’illustrer dans la bataille, et que son premier haut fait d’armes ne survient qu’à la fin de la pièce, lorsqu’il délivre Hannibal des soldats romains qui l’encerclent. Il n’a donc encore ni légitimité, ni autorité auprès de l’armée de Bithynie, et cela d’autant plus que le personnage d’Hannibal est là pour lui faire de l’ombre. Tout d’abord, parce que Nicomède est son disciple, et que ce dernier lui témoigne obéissance et respect : il lui est subordonné, ce qui, par conséquent, n’en fait pas un chef. En outre, l’on s’aperçoit rapidement que si Nicomède ne peut s’illustrer pleinement dans La Mort d’Annibal, c’est que le héros éponyme l’éclipse presque totalement. Rien qu’évoquer le nom d’Hannibal fait en effet ressurgir immédiatement tous ses hauts faits d’armes : sa marche sur Rome, son intervention aux côtés d’Antiochus, sa récente victoire contre Eumène... Un personnage d’une telle ampleur ne peut donc que déconsidérer un très jeune homme comme Nicomède, qui n’a encore jamais comparu dans une bataille, aux yeux du spectateur. D’ailleurs, il est révélateur que sa valeur commence à paraître et à s’affirmer seulement une fois qu’Hannibal va définitivement mourir. Car ce n’est qu’alors que Nicomède peut prétendre à une certaine autorité. C’est ce que Machiavel met en évidence dans Le Prince :
Entre un homme armé et un homme désarmé, il n’y a pas du tout de rapport, et il n’est pas logique que qui est armé obéisse volontiers à qui est désarmé, ni qu’un homme désarmé soit en sûreté entre des serviteurs d’armée. Car, y ayant chez l’un mépris et chez l’autre soupçon, il n’est pas possible qu’il y ait bon accord entre eux. Et c’est pourquoi un prince qui ne s’entend pas à l’art militaire, outre les autres disgrâces, comme on a dit, ne peut être estimé de ses soldats, ni se fier à eux.LXXIX
Il faut donc que le Prince ait non seulement de l’entendement en matière militaire, mais qu’il ait aussi fait ses preuves sur le champ de bataille, et démontré qu’il n’est pas, précisément « désarmé ». Ce que le jeune Nicomède ne fera qu’à la fin de la pièce. Ainsi le Nicomède de Thomas Corneille est-il annonciateur de celui de Pierre Corneille qui, déjà glorieux et héroïque, peut compter sur le soutien du peuple et de l’armée, qui l’ont vu à l’œuvre. Dans La Mort d’Annibal, héritier légitime du trône de Bithynie, il ne peut qu’attendre d’y accéder pour prouver les vertus qu’il a héritées d’Hannibal. Il est donc un personnage dans l’attente : sa noblesse reste donc, dans notre pièce, à l’état de qualité, et c’est pourquoi il apparaît si peu sur scène – huit scènes en tout –, et reste un personnage secondaire.
Attale, ou l’homme qui aurait voulu être roi §
Il n’en va pas de même pour Attale, dont les apparitions sont bien plus nombreuses. Pourtant, il n’est pas plus un combattant que ne l’est Nicomède, puisqu’il déroge à la règle machiavélienne que nous venons de citer. En effet, il n’a pas plus de légitimité guerrière ou héroïque que Nicomède : s’il est roi, c’est parce que Rome l’a voulu, et non grâce à d’hypothétiques faits d’armes. Il faut, par ailleurs, bien noter qu’il sort des geôles bithyniennes, dont Prusias l’a tiré après la prétendue mort d’Eumène. C’est pourquoi on peut aisément comprendre la mutinerie de son armée : celle-ci a toutes les raisons de ne pas estimer un roi qu’on lui a imposé, qui ne s’est jamais illustré à sa tête, et qui, en sus, sort des geôles de l’ennemi contre lequel elle vient de perdre la face.
D’ailleurs, malgré le fait qu’il tient des propos glorieux à plusieurs reprisesLXXX, Attale, de toute évidence, n’est pas de la même trempe que Nicomède. Car s’il a certains points communs avec ce dernier, il en partage également avec Prusias. De même que le premier, il a la volonté de n’être soumis à aucune autorité supérieure qui le tiendrait en esclavage. Avec le second, il partage celle de concilier l’inconciliable. Et s’il reste ferme sur sa décision d’épouser Élise, il n’en prétend pas pour autant rallier la cause d’Hannibal, bien au contraire : devant Flaminius, il argue du fait qu’en épousant sa fille, il pourra surveiller le Carthaginois pour le compte de RomeLXXXI. Il ne montre donc absolument aucune intention de s’opposer au Sénat, comme le fait Nicomède, et réemploie ici sans scrupules l’argument que Prusias avait produit devant Flaminius pour se justifier de la présence d’Hannibal dans sa Cour. Ainsi, ce n’est que poussé dans ses retranchements, à la fin de la pièce, qu’il se décide à adhérer pleinement à la cause carthaginoise, et à le dire clairement à FlaminiusLXXXII. Son rejet de l’alliance romaine n’est donc qu’une attitude seconde tandis que chez Nicomède, l’orgueil royal est tout naturel.
L’attitude d’Attale est due au fait qu’il ne saisit pas toutes les implications de la situation. En effet, il ne voit pas que, dès le début, sa volonté de conciliation est une cause perdue, puisqu’il est en présence d’un ultimatum : il faut que l’un des camps en présence cède. Mais aucun ne veut céder, ni faire preuve de bonne volonté. Dans ces conditions, tout ce qu’Attale peut tenter ne mène à rien : il s’apercevrait que sa position est tout simplement intenable s’il examinait la situation. Mais, outre le fait qu’il s’intéresse bien plus à Élise qu’à son titre royal, Attale est tout simplement un néophyte, que l’on a brutalement jeté dans le monde politique, sans que rien ne l’y prépare. Ce qui le rend extrêmement vulnérable face à un politicien expérimenté comme Flaminius, puisqu’il n’a ni la formation ni les moyens nécessaires pour appréhender une situation aussi complexe que celle de La Mort d’Annibal. C’est pourquoi il ne peut percevoir qu’il ne dispose que d’une « souveraineté limitée », comme l’écrit Lise MichelLXXXIII, et que l’expansionnisme romain implique une crise de la royauté. Dès lors, il ne peut ni comprendre pourquoi Flaminius lui parle en maître comme il le fait, ni percevoir à quel point sa royauté est illusoire. L’Attale de Thomas Corneille est donc tout simplement un débutant, qui croit pouvoir tenir une position médiane dans une situation en réalité insoluble. Cela se voit à sa crédulité : en effet, lorsque Flaminius lui annonce qu’il approuve son mariage avec Élise, Attale ne se méfie de rien, une fois la surprise passée. Tout un chacun se défierait de la parole de Flaminius, surtout après l’avoir entendu dire ce que Rome pense des rois : « Ignorez-vous qu’un Roy chez elle n’est qu’un homme, / Et que pour renverser les plus grands Potentats, / Elle n’a tout à coup qu’à retirer le bras ? »LXXXIV. Autant dire que tout roi est un pantin entre les mains du Sénat. Mais même après cela, Attale croit à la bonne foi de Flaminius quand ce dernier lui annonce son prétendu respect pour la grandeur et l’audace dont il a fait preuve en restant ferme sur ses positionsLXXXV. Élise ne sera pas aussi dupe que son prétendant. Et pour cause : elle a été à bonne école, contrairement à Attale qui a été élevé à Rome. Ce n’est donc que lorsque Flaminius se chargera de lui expliquer les choses clairement, et lui aura ôté le trône, qu’Attale se décidera à comprendre le caractère critique de la situation.
Il n’est donc pas étonnant, en fin de compte, qu’Attale ne soit pas roi. En effet, dans la tragédie, un personnage aussi indécis, qui n’a ni l’étoffe, ni la carrure d’un roi, ne peut l’être : il n’est donc pas surprenant, finalement, d’apprendre qu’il ne l’a techniquement jamais été de toute la pièce. Nicomède, de son côté, n’a pas non plus de hauts faits pour le recommander : aussi n’est-il pas encore roi, et n’accède-t-il au titre qu’après un exploit guerrier remarquable, au tout dernier acte. Prusias, quant à lui, a été auparavant un roi estimé de tous, et détient une véritable légitimité royale auprès de ses sujets et de son armée. « Toute l’Asie émeuë, et presque sous vos loix / Craignoit déjà en vous le plus grand de ses Rois »LXXXVI, lui déclare Hannibal, montrant bien ainsi que Prusias n’a pas toujours été le monarque pusillanime que Thomas Corneille nous présente dans sa pièce. Avant la pièce, il a eu l’étoffe et les actions d’un héros, donc d’un roi légitime en tragédie. Il n’en va pas de même pour Attale, qui n’a ni l’un, ni l’autre pour le recommander à la royauté. On le voit : dès le départ, la donne est faussée, et l’on s’aperçoit que, dès le début, Attale ne peut tout simplement pas être roi, surtout pas dans la tragédie d’un Corneille. Il lui manque la grandeur, positive ou négative, qui lui permettrait d’accéder à ce titre de façon indéniable : car le théâtre classique nous fournit nombre de figures royales vicieuses, qui se sont emparées du pouvoir de façon illégitime. Ce sont les tyrans, les Phocas, les Athalie. Il nous fournit également les rois faibles, qui, de braves, sont tombés dans la lâcheté et la peur : ce sont les faibles, les Prusias (aussi bien celui de Pierre que de Thomas Corneille), les Massinisse. Mais être faible, et ne disposer d’aucun haut fait d’armes rend la royauté tout simplement impossible dans la tragédie classique, et c’est pourquoi Attale, en fin de compte, est un roi mort-né. N’étant pas à la hauteur du titre, il n’a pas l’envergure d’un roi : il est tout simplement quelqu’un de commun, que l’on a plongé dans une situation qui le dépasse complètement.
L’écrasement du tendre dans La Mort d’Annibal §
L’œuvre de Thomas Corneille, de façon générale, se nourrit des romans galants. Or, cela est fort apprécié dans la décennie 1670, étant donnée l’influence féminine sur le théâtre à l’époque, influence que Maurice Descotes a bien mise en évidence dans Le Public de théâtre et son histoire. En témoigne l’immense succès du XVIIe siècle, autre œuvre de Thomas Corneille : Timocrate (1656), succès dû au soutien massif du public féminin dont il jouissait :
Thomas Corneille était – signe des temps nouveaux – le protégé des précieuses. […] Et tout au long de sa carrière, il resta l’habitué des ruelles. Lorsque, à partir de 1681, il s’associa à Visé pour fonder le Mercure galant, il était toujours cet écrivain soucieux de plaire à son public féminin, provoquant de petits plébiscites sur les problèmes de la galanterie.LXXXVII
Thomas Corneille, tout imprégné de culture galante et de romanesque pastoral, fin connaisseur des romans des Scudéry, y fait donc tout naturellement référence dans ses pièces, et La Mort d’Annibal n’échappe pas à la règle. En effet, on retrouve en nombre de ses personnages les stéréotypes du roman galant.
Mais à la lecture de la pièce, l’on s’aperçoit que l’idéal galant du Tendre, et que l’amour lui-même, y sont déconsidérés. S’il est vrai que l’importance de l’amour est primordiale en tant que ressort dramatique de la pièce, il n’en reste pas moins qu’il est bafoué, utilisé, et parfois même méprisé. Ainsi, dans quelle mesure peut-on parler de « tragédie du Tendre », d’après l’expression d’Octave NadalLXXXVIII, en considérant La Mort d’Annibal, c’est-à-dire d’une tragédie où « les héros n’ont de politique qu’amoureuse »LXXXIX ?
La politique souveraine §
L’amour n’a pas bonne presse dans La Mort d’Annibal. En effet, Thomas Corneille l’assujettit véritablement à la politique, qui reste le fil principal de la pièce, et à laquelle toutes les autres trames se rapportent. L’amour est donc la mineure de l’histoire, et est traité comme telle par les personnages illustres de la pièce : pour ceux qui ont quelque peu d’envergure, comme Hannibal et Flaminius, la politique ne peut en aucun cas être amoureuse, et c’est cela qui va les différencier des médiocres comme Prusias.
Hannibal, en effet, ne considère pas l’amour comme essentiel, et le fait aisément disparaître devant la haine qu’il éprouve depuis toujours pour Rome. Que Nicomède aime sa fille Élise ne lui est d’aucun intérêt : il ne songerait à la lui accorder qu’à la condition que celui-ci soit roi, pour disposer d’une armée et pour défier Rome. Hannibal considère donc la situation d’un point de vue exclusivement politique, en fonction de l’idée fixe qui l’accompagne depuis l’enfance. D’ailleurs, tous les arguments amoureux de Nicomède ne servent à rien, et ne l’ébranlent en aucune façon. En revanche, il est révélateur de voir qu’il n’est touché que lorsque Nicomède épouse sa haine, et renonce à son amour, pour le conforter dans sa positionXC.
Pour ce qui est des autres, on le voit, les seuls à avoir quelque peu d’envergure, en cornéliens accomplis, ne considèrent pas l’amour comme un argument valable. Prusias, face à Flaminius, ne peut que produire des arguments déplacés quand il évoque son amour pour Élise : et de cette manière, il se livre au pouvoir de ce dernier. Il se rend en même temps parfaitement ridicule, puisqu’il mêle deux choses qui n’ont rien à voir, le public et le privé, l’antithèse par excellence dans l’Antiquité. Ce qui fait que, dès qu’un discours amoureux est amorcé dans la pièce, il est immédiatement considéré comme déplacé aux yeux des personnages d’ampleur.
C’est chez Élise que cela est le plus évident : on pourrait en dire, pour reprendre l’expression ironique de Racine vis-à-vis des héroïnes de Pierre Corneille, qu’elle est « une femme qui donnerait des leçons de fierté à un conquérant »XCI. Et elle rappelle de toute évidence trois personnages de cet acabit : Laodice, dans Nicomède, Émilie, dans Cinna, et Sophonisbe, dans la pièce du même nom de Pierre Corneille. La comparaison avec Laodice est évidente à la lecture des deux pièces. Émilie en second lieu, du fait de son intransigeance ; Sophonisbe enfin, du fait de sa haine inextinguible pour Rome. Les trois parce qu’elles donnent, de fait, des leçons de fierté aux hommes, en particulier Sophonisbe. D’ailleurs, bon nombre de répliques d’Élise font écho à leurs propos, et Thomas Corneille en a exploité les traits distinctifs en toute connaissance de cause.
D’une part, on trouve effectivement chez Élise le même état d’esprit de Sophonisbe. Là où cette dernière déclare que « [Sa] gloire est d’éviter les fers de [Syphax] porte »XCII, la fille d’Hannibal s’exclame :
Attale sort d’un sang qui peut prétendre à moyMais il fut dans vos fers avant que d’estre Roy,Et l’éclat de ce Trône où je le voy qui monteN’a pas encor assez effacé cette honte.XCIII
Élise et sa consœur carthaginoise montrent en cela une fierté et un souci de leur gloire tout cornéliens, en se refusant à lier leur sort à un roi vaincu. Cependant, à la fin de la pièce, Élise se distingue de Sophonisbe, en affirmant que les fers ne sont pas honteux en soi, si les porter dépend de la Fortune, non d’elle, et si elle est dans l’impossibilité de s’y soustraireXCIV : elle ne se contredit donc pas. Ainsi, là où Sophonisbe refuse catégoriquement la captivité, et la considère comme infamante, Élise nuance son jugement : les deux personnages, bien que semblables, ne sont donc pas strictement analogues.
D’autre part, Élise n’hésite pas à sacrifier son amour pour Nicomède. Le sacrifice amoureux au profit de la politique et du devoir est certes un thème récurrent dans le théâtre classique : de ce point de vue, Élise est cependant plus proche de Sophonisbe et d’Émilie que de Bérénice, en ce qu’elle sacrifie l’amour qu’elle éprouve pour Nicomède de façon positive, et qu’elle n’en est pas profondément affectée. En effet, Sophonisbe ne regrette pas d’avoir épousé Syphax : elle le ferait encore, si cela pouvait aider Carthage à triompher de Rome. Émilie, quant à elle, met Cinna en danger pour se venger de celui qui a fait assassiner son père. De même, Élise renonce spontanément à Nicomède, puisque cela peut servir son père, et lui donner les chances de renverser Rome. Elle se montre d’ailleurs bien plus ferme sur ce point que son amant, beaucoup plus plaintif. C’est pourquoi elle n’hésite pas à le rappeler à l’ordre à plusieurs reprises, une fois sa décision prise, et à évoquer les « maximes d’orgueil »XCV qui règlent sa conduite. Ces « maximes d’orgueil » ressemblent fort aux « leçons de fierté » dont parlait Racine. Ce qui a fort bien pu ne pas plaire au public de l’époque : tout comme la Sophonisbe de Pierre Corneille n’a pas eu grand succèsXCVI, l’Élise de Thomas Corneille n’a guère dû plaire au public masculin, peu friand de leçons féminines, et au public féminin, friand de tendres mouvements – qu’Élise fait constamment avorter. D’autant que l’amour qu’elle porte à Nicomède est fort différent de celui qu’Émilie porte à Cinna. En effet, Élise, contrairement à Émilie, qui aime Cinna « d’inclination », d’après le terme de Jaulnay dans ses Questions d’amour, éprouve pour Nicomède ce qu’on appelle un « amour-estime », au sujet duquel Jaulnay ne manque pas d’indiquer que comme il est « formé par la raison, dont tous les mouvements sont réglés, [il] est beaucoup moins violent que l’amour d’inclination, qui naît en nous sans notre consentement et y excite toutes les passions »XCVII. Élise n’est donc pas un personnage passionné, dont les mouvements de l’âme vont susciter l’empathie du spectateur. Elle entre dans la catégorie de celles que la passion ne peut ébranler, que Maurice Descotes définit de la façon suivante :
Une âme qui n’est pas « vulgaire » ne se laisse pas prendre aux « amorces grossières » : les sens n’ont pas de prise sur ces femmes-là. Et, ce qui est plus grave, elles n’éprouvent aucune souffrance, elles ne connaissent aucune hésitation, si le sens de leur « gloire » contredit leur penchant. Les moments d’attendrissement de Chimène en face de Rodrigue leur sont inconnus. Elles sont de parfaites mécaniques dont chaque rouage fonctionne sans le moindre heurt.XCVIII
Et de fait, on le voit tout le long de la pièce : Élise contrôle tous les mouvements de son cœur, et n’hésite à aucun moment. Ce qu’elle affirme d’ailleurs sans hésiter : « Quand j’aurois de l’amour il sçauroit m’obeïr »XCIX. Il y a donc bel et bien une base galante du personnage. Mais non seulement Élise éprouve un amour fort différent de celui d’Émilie, mais elle a également beaucoup de difficulté à admettre sa passion pour Nicomède et à s’abandonner aux douceurs de l’amour. C’est pourquoi elle appartient à la catégorie de celles que l’on appelle les « belles inhumaines », ce qui rend tout moment d’épanchement amoureux impossible de sa part : car du moment qu’elle se montre sans faille devant ses sentiments, elle ne peut toucher le cœur du public. De ce point de vue, Élise est un personnage nettement moins complexe et torturé que l’Émilie de Pierre Corneille : en effet, dès la première scène de Cinna, cette dernière redoute terriblement le danger que court son amant, et montre par là une belle faille dans sa résolution de vengeance. Élise, quant à elle, est toute haine pour Rome. Cette haine exclut toute autre considération, y compris le salut de celui qu’elle aime. Ce n’est pas le cas d’Émilie, qui, dès la première scène, s’exclame : « J’aime encor plus Cinna, que je ne hais Auguste »C. Et même si la haine qu’elle éprouve pour l’empereur reprend ses droits presque immédiatement, il n’en reste pas moins que l’espace d’un instant, son amour pour Cinna a été suffisamment puissant pour qu’elle envisage la possibilité de ne pas accomplir sa vengeance. Élise ne tiendra jamais de tels discours, et reste toujours parfaitement maîtresse d’elle-même : c’est pourquoi elle peut être une « belle inhumaine » à part entière.
Cela est d’autant plus vrai que Thomas Corneille, grand lecteur des œuvres galantes, fait référence au Grand Cyrus en nommant le personnage Élise : dans le roman de Mlle de Scudéry, on trouve effectivement un personnage du même nomCI. Et il est révélateur qu’il s’agisse précisément d’une femme qui se refuse à l’amour toute sa vie, bien que les prétendants ne manquent pas. Le spectateur de 1669 ne pouvait ignorer l’allusion. Dès lors, le caractère d’Élise est fixé : on sait que pour elle, l’amour n’a que peu d’intérêt, et qu’elle saura y résister tout au long de la pièce.
Pour toutes les raisons que nous venons d’évoquer, Élise est donc un personnage de ce qu’Octave Nadal appelle la « tragédie dynastique », tragédie où :
La raison est sans doute souveraine […] . L’amour est subordonné à la gloire, disons aux intérêts qui s’attachent au pouvoir. Les femmes, autant que les hommes, sont bien décidées à ne point perdre la tête, à ne pas s’embarrasser d’un amour coûteux à leur ambition, mais à en inspirer qui les aident à parvenir.CII
Or, nous trouvons ici la définition parfaite du personnage d’Élise : elle est effectivement décidée à ne pas céder à un amour qui la détournerait de sa haine. Obsédée par la ruine de Rome, elle ne veut épouser Attale que pour que son père puisse disposer d’une armée qui aurait des chances de vaincre les légions romaines. Agir autrement serait démentir sa gloire. Mais Élise a cela de plus que les héroïnes cornéliennes, en la matière, qu’elle méprise l’amour. Elle en parle en effet en termes dévalorisants à plusieurs reprises, et se refuse obstinément, tout d’abord, à s’avouer ce qu’elle éprouve pour Nicomède, comme si cette « faiblesse »CIII la dégradait. Ce n’est pas le cas de Sophonisbe ou d’Émilie, qui ne se sentent pas avilies par un si doux sentiment. Mais Élise considère que la douceur de l’amour peut la détourner de sa haine, à laquelle elle veut se consacrer tout entière. Et à aucun moment, cela ne semble lui coûter.
Cet état d’esprit s’illustre, bien entendu, lorsqu’elle se trouve confrontée à ses prétendants : alors que les trois amoureux de la pièce lui offrent leurs vœux, elle désamorce constamment le discours galant au pire avec mépris (face à Prusias)CIV, au mieux avec fermeté (face à Nicomède)CV, en moyenne avec indifférence (face à Attale)CVI, pour recadrer le sujet de la conversation sur sa haine pour Rome et le côté critique de la situation. Les trois personnages masculins se heurtent donc sans cesse à un mur, et se trouvent humiliés de se voir rappelés à l’ordre par une femme, qui leur donne des leçons de grandeur, et leur rappelle que l’amour n’est pas de saison dans une heure si grave. De ce point de vue, Élise peut également être rapprochée de l’idéal de la « femme forte » illustré par Mlle de Scudéry dans sa Clélie : la « femme forte » se caractérise par le fait qu’elle rivalise avec l’homme en termes de pouvoir, sans pour autant aller jusqu’à lui disputer la gloire sur le champ de bataille ou à gouverner elle-même. Ainsi est-elle pleinement responsable de ses actes, dont elle répond résolument et fièrement en toute circonstance. Or, le personnage d’Élise coïncide parfaitement avec cet idéal, et n’a rien à envier des personnages masculins de La Mort d’Annibal en matière de bravoure et de résolution dans le combat. Outre le fait, d’ailleurs, qu’elle égale son père en courage et en fermeté, elle fait même preuve parfois d’une force d’âme supérieure à celle de certains personnages masculins – notamment Prusias. Car de même que Sophonisbe est une femme forte face à Massinisse dans la pièce de Pierre Corneille, l’Élise de Thomas Corneille est une femme forte face aux trois hommes qui lui offrent leurs vœux tout le long de la pièce, en faisant passer sa gloire et les enjeux politiques de la pièce avant ses intérêts amoureux. L’exemple le plus frappant s’en trouve à la deuxième scène du dernier acte, lorsqu’Élise, furieuse, raille Prusias et Attale de leurs sentiments importuns dans une telle situationCVII. C’est ce genre de scènes qui a pu motiver le jugement sévère de Lancaster à l’égard de Prusias, Nicomède et AttaleCVIII. De cette situation résulte un échec définitif du discours tendre, et il est caractéristique qu’Élise, à la fin de la pièce, finisse par être promise à Nicomède, non pas par amour, mais pour poursuivre Rome de sa haine.
Nous l’avons vu : l’amour, dédaigné, est asservi à la gloire, et aux motivations politiques. Cependant, Thomas Corneille ne se contente pas simplement de montrer cette conception de l’amour : il en explore toutes les implications, et ce qui en découle pour les personnages. Ainsi, tous ceux qui ont quelque valeur vont l’utiliser pour arriver à leurs fins, aussi bien Flaminius qu’Élise. En effet, du fait de la raison d’État, et de leurs motivations personnelles, Hannibal et Élise n’agissent que pour disposer d’une armée susceptible de tenir tête à Rome, même si cela signifie marier Élise à quelqu’un qu’elle n’aime pas, et désespérer Nicomède. La politique conditionne véritablement l’amour dans la pièce, nous l’avons vu. Mais Flaminius va plus loin : en machiavélien qu’il est, il va jusqu’à utiliser l’amour pour manipuler ses adversaires, en l’occurrence Prusias et Attale. Tandis qu’Hannibal et Élise profitent simplement des occasions qui leur sont offertes, Flaminius crée lui-même des situations de tension pour les rois de Bithynie et de Pergame, en exigeant d’eux qu’ils livrent Hannibal s’ils veulent avoir la bénédiction du Sénat pour épouser Élise – ce qui est un des piliers de la pièce – et en exacerbant leur rivalité amoureuse – surtout avec Prusias.
En ce qui concerne Prusias, d’une part, il le pousse à l’aveu de façon particulièrement habile, et l’incite ouvertement à livrer Hannibal, ce que ce dernier ne ferait pas s’il n’était persuadé qu’Attale n’avait trahi le héros. Quant à Attale, Flaminius s’arrange pour le placer dans une situation inextricable, dont le jeune roi ne saisit pas bien tous les tenants et aboutissants : connaissant l’amour d’Attale pour Élise, et sachant que celui-ci sera trop content que tout s’arrange pour lui, Flaminius sait donc parfaitement quel moyen employer pour mener Attale où il veut. Ce qui réduit, en fin de compte, l’amour à fort peu de chose : un pion de l’échiquier politique.
L’amour perverti §
Thomas Corneille ne se contente pas de nous montrer l’amour détourné de sa propre fin : il nous le montre perverti, dénaturé, à travers la figure du roi Prusias. En effet, l’amour qu’il porte à Élise est visiblement purement égoïste. Il va même particulièrement loin dans l’abjection, puisqu’il se contenterait même de la satisfaction la plus basse : celle de voir ses rivaux malheureux. Prusias n’a même pas la générosité dont fait preuve son propre fils, lorsqu’il s’exclame : « Quoy, je pourrois souffrir qu’Attale fust heureux ? »CIX.
Il en va fort différemment de Nicomède. Certes, il compte bien tout faire en sorte pour obtenir la main de celle qu’il aime : il demande même à Hannibal de retarder l’engagement d’Élise à Attale. Cependant, il ne déclare jamais vouloir voir Attale malheureux. Ses sentiments vis-à-vis de son rival ne sont pas foncièrement malveillants, et jamais il ne dirait ce qu’ose dire son père, qui, frustré de ce qu’il désire, veut voir ses rivaux malheureux là où il a échoué. D’ailleurs, Nicomède, lorsqu’il apprend que son père est amoureux d’Élise, enjoint à celle-ci de l’épouser pour ne pas se priver d’un titre royal ni d’une protection si providentielsCX. Il est généreux, même dans le malheur, ce que n’est absolument pas Prusias. En effet, aveuglé, passionné, le roi ne prend en compte que ses propres sentiments, sans même considérer une seule seconde ceux d’autrui, pas même ceux d’Élise. Attale, lui, en véritable amant, désire que ses sentiments lui soient rendus, et ne veut forcer Élise en aucun casCXI. Prusias, lui, ne se préoccupe pas de telles vétilles : il veut Élise, et c’est tout. Qu’elle y consente de bon gré ou non, voilà qui est de peu d’intérêt pour lui, pourvu qu’il l’obtienne : il ira, ainsi, jusqu’à laisser Flaminius menacer celle que, prétendument, il aime, pour l’inciter à l’épouserCXII. Cela ne concorde guère avec l’idéal tendre du monde galant : « Un amour sans tendresse n’a que des désirs impétueux », écrit Mlle de Scudéry dans sa Clélie. Cette affirmation s’applique parfaitement au personnage de Prusias, qui se laisse manipuler au gré des mouvements de sa passion. Prusias est un passionné égoïste, à l’amour fondamentalement vicieux et dévoyé, puisque tourné vers lui-même, et non vers celle qui en est l’objet.
C’est ce genre d’amour, dès lors, qui va le pousser à piéger celle qu’il prétend aimer, comme le fait le Mithridate de Racine envers Monime. A ceci près que Mithridate, lui, n’est pas un tyran faible, et qu’il conserve une véritable grandeur. En effet, s’il emploie un procédé indigne d’un roi, cela reste une exception et un moment d’égarement, tandis que le piège que tend Prusias à Élise n’est qu’une infamie parmi bien d’autres. Mithridate est donc un roi glorieux, qui s’est fourvoyé à un moment donné, tandis que Prusias est un roi déchu, qui affirme à tout instant son indignité. D’autant que l’amour qu’il éprouve pour Élise va le pousser à la trahison suprême : celle de son propre sang, en livrant son fils Nicomède à Rome, ce qui est aller loin dans l’infamie.
Il ne faut pas oublier, d’ailleurs, que le personnage de Prusias, dans La Mort d’Annibal est à l’origine une figure comique : celle du barbon amoureux. Certes, il n’est pas à proprement parler un vieillard. Mais il n’en reste pas moins qu’il est suffisamment âgé pour que de tels propos semblent déplacés dans sa bouche : c’est pourquoi Attale peut affirmer qu’il ne le soupçonne pas de vouloir épouser Élise, du fait de son âgeCXIII. Ainsi, lorsque le roi adopte le langage galant d’un jeune amoureuxCXIV, le spectateur ne peut que relever le décalage produit, ce qui le conforte dans la piètre opinion qu’il a du personnage. Et cela est d’autant plus dégradant pour Prusias que la figure du vieillard amoureux n’est pas forcément ridicule au XVIIe siècle. En effet, le Mithridate de Racine, bien qu’amoureux de la jeune Monime, n’est pas risible. Dans la Pulchérie de Pierre Corneille, Martian n’a rien de grotesque dans son amour pour le personnage éponyme, même s’il est un vieillard. Bien au contraire : il a une conscience aiguë de son âge, et du ridicule de sa situation. C’est pourquoi, précisément, il n’est pas ridicule en lui-même, et reste extrêmement émouvant dans sa dévotion à Pulchérie, en ne cherchant ni à satisfaire son amour, ni à tenir des propos qui jureraient avec son âge. Prusias, lui, ne s’arrête pas à de telles considérations.
Cependant, paradoxalement, le décalage entre ses propos et son âge n’est pas comique : le procédé ne fait que le rendre déplorable. En effet, Thomas Corneille, en dramaturge classique qu’il est, ne pratique pas le mélange des genres : il n’exploite donc pas les potentialités comiques du personnage. Mais il n’en reste pas moins que, pour le spectateur, l’idée est là, et que s’il ne rit pas de Prusias, il le considère néanmoins comme ridicule, ce qui est bien plus humiliant. D’autant que le personnage va lui-même aggraver son cas, en adoptant parfois un langage galant, pour le démentir par la suite, révélant ainsi une double corruption du discours tendre.
L’écrasement du Tendre §
Cependant, on trouve bel et bien un amour galant non dévoyé dans la pièce de Thomas Corneille, en la personne de Nicomède, que l’on peut rapporter point par point à l’idéal du tendre, idéal qui se caractérise par la grandeur d’âme, la noblesse, la vertu, et une grande sensibilité. Et nous l’avons vu, Nicomède, en héros qu’il est, a l’âme noble, aussi bien que des inclinations vertueuses – grandeur d’âme, respect de la femme qu’il aime, courage, et surtout sensibilité. Mais comme, précisément, il ne se définit que comme un parfait amant, cela le relègue au second plan de la tragédie politique qu’est La Mort d’Annibal. En effet, du moment qu’il se cantonne à exceller dans le domaine amoureux, il s’exclut de l’essentiel de l’action, et ce n’est qu’à la fin qu’il y prend pleinement part. Auparavant, il s’en tient à sa trame amoureuse : on le voit au fait qu’il ne réfléchit et n’agit qu’en fonction d’Élise. En effet, s’il veut aller à Rome, ce n’est que pour la soustraire aux coups de Flaminius. Sa première réaction, quand son père lui annonce la prétendue trahison d’Attale, est de vouloir « mettre Élise entre [les] mains [de Prusias] »CXV. Toute sa pensée est tournée vers elle, il ne veut que la servir. La plupart du temps, en outre, il est absent de la scène, puisque le grand enjeu de la pièce reste bel et bien l’antagonisme entre Rome et Hannibal. Nicomède reste donc l’illustration parfaite, mais effacée, de l’idéal du tendre dévoué à celle qu’il aime, dans la pièce de Thomas Corneille. Car dans l’histoire de la mort d’Hannibal, où prime la grande politique, les grands et tendres mouvements de l’âme n’ont qu’une place secondaire, puisqu’ils ne posent pas problème en eux-mêmes. Mais il n’en est pas moins vrai qu’ils ont des répercussions considérables sur les événements. C’est ce qui fait que le personnage de Prusias est plus important que celui de son fils : son amour, tout dévoyé qu’il est, a plus d’incidence sur la trame politique, en ce qu’il s’y abandonne, et le laisse le guider dans toutes ses actions, et surtout en ce qu’il détient le titre royal, ce qui fait que bien plus de choses dépendent de lui que de son fils.
Cependant, le plus remarquable est que l’amour tendre est réduit au silence, et étouffé par le personnage même qui en est l’objet : lorsque Nicomède, en effet, offre ses vœux amoureux à Élise, celle-ci désamorce le discours tendre presque immédiatement, ce qui en rend toute expression impossible. Car si l’objet du discours ne l’accepte pas, où, dans quelles circonstances pourra-t-il s’exprimer ? Nulle part, bien évidemment, sous peine de devenir ridicule, et déplacé : un discours tendre n’est pertinent que lorsqu’il se tient entre les deux personnes concernées, puisqu’il n’engage que deux personnes exclusivement. Cela condamne dès lors définitivement l’amour tendre au silence. La tragédie du Tendre, à laquelle on pouvait s’attendre, au vu de l’auteur de la pièce, est donc bien présente, mais s’exprime sur un mode mineur. Pire : elle ne s’exprime que pour être niée immédiatement. De fait, si Thomas Corneille en étouffe l’expression, il ne réduit pas à néant l’idée en elle-même, ce qui fait que l’on peut conclure que La Mort d’Annibal est une tragédie du Tendre tenue en échec par la veine dynastique.
Conclusion §
Le pessimisme n’a pas servi les frères Corneille dans leur théâtre : tout comme Suréna, le héros résigné, n’a pas plu au public du XVIIe siècle, Hannibal, le perdant magnifique, n’a guère suscité l’enthousiasme. C’est ce qui a pu faire, en partie, la différence auprès du public entre Nicomède, et La Mort d’Annibal : l’une des deux pièces était enthousiasmante, l’autre était oppressante. Le fait que le dramaturge y réduisait, en outre, le Tendre à une annexe dédaignée de la politique, alors que son succès s’appuyait essentiellement sur les mondains, lui a indéniablement nui. L’insuccès de la pièce avait donc de réels fondements au XVIIe siècle, et le jugement sévère dont la pièce a été immédiatement l’objet s’est chargé de la plonger dans l’oubli.
Cette sévérité s’est perpétuée par la suite, lorsque la galanterie fut passée de mode, en se concentrant sur les défauts des personnages. En effet, on peut reprocher à la pièce le monolithisme et la froideur de deux personnages en particulier : Hannibal et Élise. Que le personnage éponyme en fît partie ne jouait pas en faveur de la pièce. En outre, les critiques n’ont pas manqué de remarquer la fadeur des trois princes asiatiques. Seul Flaminius a suffisamment d’ampleur pour constituer un personnage à la fois énigmatique et d’envergure. L’on peut donc dire, en fin de compte, que la grande faiblesse de la tragédie de Thomas Corneille consiste en ses personnages, soit par manque de complexité, soit par une certaine insipidité.
Mais tout cela ne doit pas dissimuler les réelles qualités de la pièce, qui tient fort bien la comparaison avec Nicomède du point de vue de la construction et de l’analyse politique. En effet, La Mort d’Annibal reste une pièce remarquablement construite, soutenue par un rythme dramatique très intense, pour se clore sur une catastrophe particulièrement frappante, puisque le spectateur n’attend plus la mort d’Hannibal quand elle se produit. En outre, l’analyse politique que mène le dramaturge dans sa pièce – aussi bien sur le machiavélisme que sur les devoirs du roi – est d’une grande finesse, à travers des personnages dont il sait explorer avec pertinence et cohérence toutes les réactions, dans des situations très variées. Thomas Corneille fait donc preuve d’une maîtrise remarquable quand il compose sa pièce : si la complexité des personnages n’est pas son point fort, du moins sait-il parfaitement exploiter toutes les ressources de ceux-ci. Et sa réflexion politique a le mérite de beaucoup différer de celle de son frère dans Nicomède : en effet, Thomas Corneille ne se contente pas de reprendre servilement ce que son aîné avait déjà traité avant lui : en menant une réflexion politique qui lui est propre, il relève donc brillamment un défi qu’il s’était lui-même imposé en choisissant un sujet qui le mettait immédiatement en regard avec son frère, qu’on lui jugeait déjà supérieur, et qui le plaçait devant des difficultés dramatiques majeures.
Note sur la présente édition §
Le texte de la présente édition §
Présentation des textes disponibles §
Le présent texte est tiré de l’édition imprimée en 1670, vendue chez Guillaume de Luynes et Claude Barbin. On en trouve deux exemplaires identiques sauf pour la page de titre, disponibles sous les cotes R118287 (microfilm) et 8-RF-2723 (livre) au département des Arts du spectacle de la Bibliothèque nationale de France (site Richelieu), et sous la cote GD-14556 à la Bibliothèque de l’Arsenal. En voici les notices bibliographiques.
Premier exemplaire §
Premier exemplaire, conservé au département des Arts du spectacle de la Bibliothèque nationale de France (site Richelieu).
CORNEILLE, Thomas, La Mort d’Annibal, imprimé à Rouen, vendu à Paris chez Guillaume de Luynes, 1670.
In-12°, 10 ff non chiffrés, 86 ff chiffrés : [8] 1-86 [2] ; sign. a3, A-H1.
Titre : LA MORT | D’ANNIBAL, | TRAGEDIE. | Par T. CORNEILLE | A Rouen, Et se vend | A PARIS, | Chez GUILLAUME DE LUYNES, Libraire | Iuré, au Palais, en la Gallerie des | Merciers, à la Justice | M. DC. LXX | AVEC PRIVILEGE DU ROY
a1 r°: titre ― a2 r°: épître à Monseigneur de Seignelay ― a4 r° : fin de l’épître ― a4 v° : liste des acteurs ― A1 r° : Acte I, scène 1 ― A3 r° : scène 2 ― A4 r° : scène 3 ― A6 v° : scène 4 ― B1 r° : scène 5 ― B2 v° : scène 6 ― B3 v° : Acte II, scène 1 ― B4 v° : scène 2 ― B6 v° : scène 3 ― C1 r° : scène 4 ― C3 v° : scène 5 ― C6 r° : scène 6 ― C6 v° : Acte III, scène 1 ― D1 v° : scène 2 ― D2 r° : scène 3 ― D3 v° : scène 4 ― D4 r° : scène 5 ― D5 v° : scène 6 ― E2 v° : scène 7 ― E3 r° : Acte IV, scène 1 ― E4 r° : scène 2 ― E5 r° : scène 3 ― E6 r° : scène 4 ―F1 r° : scène 5 ― F1 v° : scène 6 ― F3 r° : scène 7 ―F4 v° : scène 8 ― F6 r° : Acte V, scène 1 ― G1 r° : scène 2 ― G2 v° : scène 3 ― G4 r° : scène 4 ― G4 v° : scène 5 ― G5 r° : scène 6 ― G5 v° : scène 7 ― G6 r° : scène 8 ― G6 v° : scène 9 ― H1 v° : fin de la pièce ― Extrait du Privilège du Roi.
Titres courants (v° : LA MORT D’ANNIBAL ; r° : TRAGEDIE) ; réclames de feuillets.
Second exemplaire §
Second exemplaire, conservé à la Bibliothèque de l’Arsenal.
CORNEILLE, Thomas, La Mort d’Annibal, imprimé à Rouen, vendu à Paris chez Claude Barbin, 1670.
In-12°, 10 ff non chiffrés, 86 ff chiffrés : [8] 1-86 [2] ; sign. a3, A-H1.
Titre : LA MORT | D’ANNIBAL, | TRAGEDIE. | Par T. CORNEILLE. | A ROUEN, et se vend | A PARIS, | Chez CLAUDE BARBIN, Sur le second Perron | de la Sainte Chappelle. | M. DC. LXX. | AVEC PRIVILEGE DU ROY.
Corrections et choix d’édition §
L’orthographe §
Nous avons conservé l’orthographe originale du texte, et les variantes accentuelles ou typographiques ont été maintenues d’un terme à l’autre. En revanche, les graphies archaïques ont été modernisées : les « & » ont été systématiquement remplacés par « et », et les tildes indiquant une nasalisation ont été décomposés en « n » ou « m ». La graphie ancienne « f » pour le « s » intervocalique et interconsonantique a été modernisée. Le « i » majuscule en guise de « j » a été systématiquement rectifié. Pour la locution adverbiale « en vain », nous avons conservé l’orthographe que l’imprimeur emploie à plusieurs reprises dans notre texte, bien qu’elle soit inexacte (« envain » : v. 17, 1126, 1127, 1214). Les accents diacritiques absents ont été rétablis, et les erreurs et coquilles corrigées.
Les coquilles §
Coquilles orthographiques
Vers 749 : ou
Vers 1852 : dévrez
Coquilles typographiques
Vers 425 : m’affl ige
Vers 530 : recevrapoint
Vers 1359 : he las
Vers 1416 : semblo t
Liste des diérèses §
Les noms de Flaminius, Prusias et d’Antiochus, objets constants de diérèses, n’ont pas été relevés dans la liste suivante.
Vers 1 : éblouisse ; vers 3 : oublier ; vers 5 : triomphoit ; vers 65 : Envieux ; vers 119 : passion ; vers 120 : aversion ; vers 134 : éblouir ; vers 161 : ruine ; vers 185 : passion ; vers 218 : alliance ; vers 223 : ebloüir ; vers 244 : triomphe ; vers 250 : mandier ; vers 278 : alliance ; vers 302 : défiances ; vers 327 : triomphe ; vers 358 : défiance ; vers 359 : union ; vers 378 : inquietude ; vers 387 : joüir ; vers 388 : ebloüir ; vers 391 : inquiete ; vers 409 : curiosité ; vers 421 : loüer ; vers 425 : advoüer ; vers 438 : joüir ; vers 454 : impatience ; vers 460 : ruine entiere ; vers 467 : joüir ; vers 468 : oüir ; vers 471 : obeïssez ; vers 524 : joüet ; vers 525 : cruel ; vers 526 : obeïsse ; vers 541 : enviez ; vers 545 : obeïssant ; vers 562 : fastueux ; vers 565 : violences ; vers 568 : odieux ; vers 571 : haïs ; vers 572 : Triompher ; vers 573 : défiance ; vers 617 : avoüer ; vers 626 : défiant ; vers 629 : Allié ; vers 635 : ruine ; vers 643 : oublier ; vers 644 : sacrifier ; vers 654 : Triompher ; vers 656 : occasion ; vers 659 : passion ; vers 660 : aversion ; vers 678 : oüir ; vers 732 : Espion ; vers 753 : occasion ; vers 760 : triomphoient ; vers 761 : legions ; vers 770 : confiance ; vers 778 : injurieux. ; vers 783 : lier ; vers 794 : défiance ; vers 807 : jouy ; vers 809 : triomphé ; vers 813 : Païs ; vers 834 : violence ; vers 844 : obeïra ; vers 850 : haïr ; vers 856 : obeïr ; vers 860 : ebloüir ; vers 887 : obeïr ; vers 888 : haïr ; vers 898 : union ; vers 901 : alliance ; vers 909 : Allié ; vers 930 : triompher ; vers 959 : glorieux ; vers 967 : inquieter ; vers 969 : alliance ; vers 999 : palier ; vers 1000 : justifier ; vers 1022 : passions ; vers 1045 : Allié ; vers 1049 : inquietude ; vers 1062 : Advoüant ; vers 1086 : occasions ; vers 1123 : Joüissez ; vers 1157 : inviolable ; vers 1159 : ébloüy ; vers 1175 : obeïssants ; vers 1196 : fiez ; vers 1206 : Phrygien ; vers 1218 : Phrygien ; vers 1228 : obeïr ; vers 1232 : Rhodiens ; vers 1238 : Rhodiens ; vers 1249 : inquietude ; vers 1260 : Alliez ; vers 1261 : glorieux ; vers 1271 : Confier ; vers 1275 : oubliez ; vers 1326 : occasion ; vers 1340 : triomphé ; vers 1373 : violence ; vers 1377 : passion ; vers 1383 : triompher ; vers 1388 : triomphe ; vers 1412 : desaduoüer ; vers 1429 : haïr ; vers 1463 : triompher ; vers 1469 : alliance ; vers 1516 : odieux ; vers 1528 : Fabius, Scipions ; vers 1534 : confiance ; vers 1539 : obeïr ; vers 1540 : haïr ; vers 1609 : priere ; vers 1614 : violence ; vers 1621 : passion ; vers 1715 : triomphe ; vers 1736 : obeïr ; vers 1755 : sacrifié ; vers 1756 : allié ; vers 1757 : injurieux, captieuse, Alliance ; vers 1764 : obeïr ; vers 1797 : triomphe ; vers 1802 : triomphe ; vers 1818 : défiance ; vers 1820 : occasion ; vers 1844 : obeïr ; vers 1858 : triomphe ; vers 1866 : triompher ; vers 1882 : violence ; vers 1913 : haïr.
Les éditions ultérieures §
Présentation des textes §
La plupart des éditions ultérieures sont des éditions pirates. Nous n’y avons donc pas eu recours pour l’établissement du présent texte, puisqu’elles n’ont pas été imprimées avec l’accord de l’auteur, et qu’elles ont été réalisées d’après la copie de Paris, c’est-à-dire de l’édition que nous avons prise pour base.
Une réédition ultérieure a été faite à Paris, en 1692, à l’occasion de l’édition collective du théâtre de Thomas Corneille. La Mort d’Annibal figure dans le quatrième tome de l’édition en question, disponible à la Bibliothèque nationale François Mitterand sous la cote 16-YF-1195 (4) : cette réédition corrige les fautes d’impression de la précédente édition, mais en introduit de nombreuses autres. En voici la notice bibliographique.
Exemplaire conservé à la Bibliothèque François Mitterrand §
CORNEILLE, Thomas, La Mort d’Annibal, in Le Théâtre de Thomas Corneille, reveu, corrigé et augmenté de diverses pieces nouvelles, t. 4.
In-12°.
LE | THEATRE | DE | T. CORNEILLE, | Reveu, corrigé & augmenté | de diverses pieces nouvelles. | IV PARTIE. | Suivant la Copie imprimée, | A PARIS. | M. DC. LXXXXII.
Titre : LA MORT | D’ANNIBAL. | TRAGEDIE. | Par T. CORNEILLE. | Suivant la Copie imprimée, | A PARIS. | M. DC. LXXXIX.
La pièce a sa pagination propre : 83 ff, dont les huit premiers ne sont pas chiffrés.
A1 : feuillet vierge – A2 r° : page de titre – A3 r° : épître à Monseigneur de Seignelay – A4 r° : fin de l’épître – A4 v° : liste des acteurs – A5 r° : Acte 1, scène 1 – A6 v° : scène 2 – A7 v° : scène 3 – A9 v° : scène 4 – A10 r° : scène 5 – A11 v° : scène 6 – A12 v° : Acte II, scène 1 – B1 v° : scène 2 – B3 r° : scène 3 – B3 v° : scène 4 – B6 r° : scène 5 – B8 r° : scène 6 – B8 v° : Acte III, scène 1 – B9 v° : scène 2 – B10 r° : scène 3 – B11 r° : scène 4 – B11 v° : scène 5 – B12 v° : scène 6 – C3 v° : scène 7 – C4 r° : Acte IV, scène 1 – C4 v° : scène 2 – C5 v° : scène 3 – C6 v° : scène 4 – C7 v° : scène 5, scène 6 – C9 r° : scène 7 – C10 v° : scène 8 – C11 v° : Acte V, scène 1 – C12 v° : scène 2 – D1 v° : scène 3 – D3 r° : scène 4 – D3 v° : scène 5 – D4 r° : scène 6, scène 7 – D4 v° : scène 8 – D5 r° : scène 9 – D6 r° : fin de la pièce
Titres courants (v° : LA MORT D’ANNIBAL ; r° : TRAGEDIE). Pas de privilège du roi.
Corrections et choix d’édition §
L’orthographe §
L’édition de 1692 introduit de nombreuses erreurs de ponctuation.
Nous n’avons pas relevé toutes les variantes graphiques d’une édition à l’autre, qu’elles soient orthographiques ou accentuelles, puisqu’elles dépendent seulement des imprimeurs. En revanche, nous avons relevé les variantes de ponctuation.
Les coquilles §
Coquilles orthographiques
Vers 19 : lny
Vers 36 : béaucoup
Vers 39 : certe
Vers 78 : jé
Vers 102 : je s’aime
Vers 166 : Anuibal
Vers 168 : dé
Vers 178 : dépuis
Vers 185 : s’abandonue
Vers 207 : poid
Vers 256 : broüillant
Vers 293 : avàntage
Vers 319 : s’attireut
Vers 349 : sî
Vers 398 : dé
Vers 420 : u’est
Vers 496 : souscire
Vers 501 : eoup
Vers 533 : quélque
Vers 724 : pat tout
Vers 1020 : Seigueur, vous’
Vers 1217 : un heureuse nouvelle
Vers 1335 : malheurenx
Vers 1396 : âttend
Vers 1655 : Venez, vénez
Vers 1663 : côuroux
Vers 1904 : Euxmesmes
Coquilles typographiques
Vers 222 : tit re
Vers 244 : Romains,
Vers 306 : des unisse
Vers 509 : song ez
Vers 601 : Elise..
Vers 675 : pitié.
Vers 726 : feindre ay
Vers 805 : envie.
Vers 855 : trahir.
Vers 932 : l’abaissement.
Vers 1052 : ennemis,
Vers 1106 : azil e
Vers 1665 : Heros d’Amour.
Vers 1754 : pretendre !
Vers 1756 : allié !
Vers 1770 : Gard e
Coquilles grammaticales
Vers 1754 : que
LA MORT D’ANNIBAL,
TRAGEDIE. §
EPISTRE §
A Monseigneur le Marquis de Seignelay, Secretaire d’EstatCXVI.
Monseigneur,
Quelque ardeur que j’aye depuis long-temps de vous donner des marques publiques de l’empressement de mon Zele, je ne prendrois pas la liberté de vous presenter cet Ouvrage, si je n’esperois que la dignité de la matiere supléera auprés de vous à ce que la foiblesse de mon genie luy a dérobé d’ornements. Je sçay que vous le trouverez dénué de ces passions tumultueuses qui ébloüissent aujourd’huy la pluspart de nos Auditeurs, et qu’il sera difficile qu’il soit au goust de ceux qui n’aimant que les delicates expressions de l’amour, pretendent que l’action languit dés que la politique ou le raisonnement y ont quelque part ; mais, MONSEIGNEUR, vous avez des lumieres trop penetrantes pour ne pas voir ce que demande la justesse des caracteres, et si les Scenes de tendresse ont leurs graces pour vous quand le vray-semblable s’y rencontre, vous n’approuveriez point sans doute qu’on s’amusast à dire des douceurs dans un temps qui devroit estre employé à de plus pressants interests. Ainsi, MONSEIGNEUR, je vous offre Annibal avec d’autant plus de confiance que je sçay que vous n’y chercherez qu’Annibal, je veux dire cette inébranlable fermeté de haine pour les Ennemis de sa Patrie, qui nous le fait regarder comme un des plus grands Hommes de l’Antiquité. Ce n’est pas que je sois assez vain pour croire que les Episodes que j’y ay meslez soient tellement purgez de defauts, que vous n’y trouviez beaucoup de choses à condamner ; Mais, MONSEIGNEUR, j’espere tout de vostre indulgence, et ce ne sera pas le premier témoignage de bonté qu’il vous aura plû de me donner. Les justes remarques que vous avez faites sur ce que j’ay eu quelquefois l’honneur de vous lire, m’ont assez convaincu que c’est mettre son insuffisance en plein jour que d’exposer quelque Ouvrage à vostre jugement, mais quoy que rien ne puisse échaper à sa delicatesse, on a du moins cette consolation que vous avez toûjours plus d’égard à ce qui est supportable qu’à ce qui vous paroist defectueux ; et faut-il s’estonner qu’on trouve en vous cette favorable disposition d’esprit, en vous, dis-je, qui avez l’avantage d’estre Fils de ce grand Homme, qui dans l’accablement des emplois les plus relevez, et au milieu de toute la gloire dont il est revestu, ne dédaigne pas celle de se declarer Protecteur des beaux Arts et des plus nobles Sciences ? Il me semble, MONSEIGNEUR, que je vous vois attacher incessamment vos regards sur un si illustre Modelle, et que vous proposant pour unique exemple la solide vertu qui l’a rendu digne de son élevation, vous voyez avec une joye bien sensible que cette élevation n’ait rien qui l’égale que sa vertu. Ces rares Personnes que le Ciel fait naistre pour le soulagement des Princes qui se reposent sur leur Ministere d’une partie des soins où les engage le gouvernement de leurs Estats, ont toûjours eu une place tres-considerable dans nos Histoires, mais estre le choix de LOUIS XIV, de cet Auguste Monarque qui est l’ame de son Empire, qui en fait mouvoir le grand corps par luy-mesme, et qui ne répand sa confiance que sur le merite le plus veritablement consommé, c’est l’achevement de la gloire, et il n’y aura jamais de Ministre qui porte chez la Posterité une si éclatante recommandation. Elle ne sera pas moins forte pour vous, MONSEIGNEUR, et quand dés vos premieres années vous n’auriez point attiré nostre admiration par tout ce que l’esprit le plus solide peut faire paroistre de vivacité et de force, ce nous seroit assez pour vous mettre au dessus du plus haut éloge, d’avoir veu que le Roy qui n’a que des connoissances infiniment éclairées, a voulu prévenir les services qu’il vous a jugé capable de luy rendre, en vous honorant dans une si grande jeunesse d’une des plus importantes Charges de l’Estat. L’application merveilleuse que vous avez déjà pour les affaires, fait assez voir combien vous estiez digne d’un si glorieux privilege ; et s’il a servy à vous avancer les recompenses qu’un merite aussi veritable que le vostre avoit droit de se promettre, vous remplissez si avantageusement l’opinion qu’on a conceuë de ce merite, qu’il semble qu’on ne le pouvoit reconnoistre par un moindre rang que celuy où vous estes élevé. C’est, MONSEIGNEUR, avec un applaudissement general que nous vous le voyons occuper, et si cet heureux préjugé des honneurs qui vous attendent donne de la joye à tout le monde, vous serez aisément persuadé des vœux que je fais pour vous en haster la joüissance, si vous daignez rendre justice à la passion respectueuse avec laquelle je suis,
MONSEIGNEUR,
Vostre tres-humble et tres-obeïssant serviteur,
T. CORNEILLE
ACTEURS §
- PRUSIAS, Roy de Bithynie.
- ATTALE, Successeur d’Eumene crû mort, au royaume de Pergame.
- ANNIBAL.
- FLAMINIUS, Ambassadeur Romain.
- NICOMEDE, Fils de Prusias.
- ELISE, Fille d’Annibal.
- ALCINE, Confidente d’Elise.
- PROCULE, Tribun Romain.
- ARAXE, Capitaine des Gardes de Prusias.
ACTE I. §
SCENE PREMIERE. §
ATTALE
PRUSIAS
Seigneur, ne parlons plus d’Eumene.ATTALE
PRUSIAS
ATTALE
PRUSIAS
ATTALE
PRUSIAS
ATTALE
Ah, Seigneur, je luy cedePRUSIAS
ATTALE
SCENE II. §
[p. 5]ARAXE
PRUSIAS
ARAXE
PRUSIAS
Qu’il doit m’estre fatal !ARAXE
PRUSIAS
ARAXE
PRUSIAS
ARAXE
PRUSIAS
PRUSIAS
ARAXE
PRUSIAS
ARAXE
PRUSIAS
SCENE III. §
PRUSIAS
NICOMEDE
PRUSIAS
NICOMEDE
NICOMEDE
PRUSIAS
NICOMEDE
PRUSIAS
NICOMEDE
PRUSIAS
PRUSIAS
NICOMEDE
PRUSIAS
[p. 11]NICOMEDE
PRUSIAS
SCENE IV. §
PRUSIAS
ARAXE
PRUSIAS
ARAXE
SCENE V. §
PRUSIAS
ELISE
PRUSIAS
[p. 14]ELISE
PRUSIAS
ELISE
[p. 15]PRUSIAS
ELISE
PRUSIAS
ELISE
SCENE VI. §
PRUSIAS
ARAXE
PRUSIAS
ARAXE
PRUSIAS
Fin du premier Acte.
ACTE II. §
SCENE PREMIERE. §
ELISE
ALCINE
ELISE
ALCINE
ELISE
ELISE
ALCINE
ELISE
ALCINE
ELISE
ALCINE
ELISE
ALCINE
ELISE
ALCINE
ELISE
ALCINE
ELISE
ALCINE
SCENE II. §
ELISE
NICOMEDE
ELISE
NICOMEDE
ELISE
NICOMEDE
ELISE
NICOMEDE
NICOMEDE
ELISE
NICOMEDE
ELISE
NICOMEDE
ELISE
NICOMEDE
ELISE
[p. 23]NICOMEDE
ELISE
NICOMEDE
ELISE
NICOMEDE
ELISE
NICOMEDE
[p. 24]SCENE III. §
ANNIBAL
ELISE
ELISE
ANNIBAL
SCENE IV. §
NICOMEDE
ANNIBAL
NICOMEDE
ANNIBAL
NICOMEDE
ANNIBAL
NICOMEDE
ANNIBAL
NICOMEDE
ANNIBAL
NICOMEDE
ANNIBAL
NICOMEDE
SCENE V. §
PRUSIAS
ANNIBAL
[p. 31]PRUSIAS
ANNIBAL
PRUSIAS
ANNIBAL
PRUSIAS
ANNIBAL
SCENE VI. §
PRUSIAS
Fin du second Acte.
ACTE III. §
SCENE PREMIERE. §
ATTALE
ELISE
ATTALE
ELISE
ATTALE
ELISE
SCENE II. §
ATTALE
ANNIBAL
[p. 39]ATTALE
ANNIBAL
SCENE III. §
FLAMINIUS, à Attale
ATTALE
[p. 40]FLAMINIUS
ANNIBAL
FLAMINIUS
ANNIBAL
FLAMINIUS
ANNIBAL
[p. 41]FLAMINIUS
ANNIBAL, à Flaminius.
FLAMINIUS
ANNIBAL
FLAMINIUS
ANNIBAL
SCENE IV. §
ANNIBAL, à Prusias.
PRUSIAS
ANNIBAL
SCENE V. §
[p. 43]FLAMINIUS
ATTALE
PRUSIAS
ATTALE
[p. 44]PRUSIAS
ATTALE
PRUSIAS
ATTALE
PRUSIAS
ATTALE
FLAMINIUS
ATTALE
SCENE VI. §
PRUSIAS
FLAMINIUS
PRUSIAS
FLAMINIUS
PRUSIAS
FLAMINIUS
PRUSIAS
FLAMINIUS
PRUSIAS
FLAMINIUS
PRUSIAS
FLAMINIUS
PRUSIAS
FLAMINIUS
PRUSIAS
FLAMINIUS
PRUSIAS
FLAMINIUS
PRUSIAS
FLAMINIUS
PRUSIAS
FLAMINIUS
PRUSIAS
FLAMINIUS
PRUSIAS
FLAMINIUS
PRUSIAS
FLAMINIUS
PRUSIAS
FLAMINIUS
PRUSIAS
FLAMINIUS
PRUSIAS
FLAMINIUS
PRUSIAS
SCENE VII. §
[p. 52]PROCULE
FLAMINIUS
Fin du troisiéme Acte.
ACTE IV. §
SCENE PREMIERE. §
PROCULE
FLAMINIUS
PROCULE
FLAMINIUS
PROCULE
FLAMINIUS
PROCULE
FLAMINIUS
PROCULE
SCENE II. §
FLAMINIUS
ATTALE
FLAMINIUS
ATTALE
FLAMINIUS
ATTALE
FLAMINIUS
SCENE III. §
[p. 57]PRUSIAS
ATTALE
PRUSIAS
ATTALE
PRUSIAS
ATTALE
PRUSIAS
ATTALE
[p. 58]ATTALE
PRUSIAS
ATTALE
PRUSIAS
ATTALE
PRUSIAS
ATTALE
ATTALE
PRUSIAS
ATTALE
PRUSIAS
ATTALE
SCENE IV. §
PRUSIAS
ARAXE
PRUSIAS
ARAXE
PRUSIAS
ARAXE
PRUSIAS
ARAXE
PRUSIAS
SCENE V. §
PRUSIAS
NICOMEDE
PRUSIAS
SCENE VI. §
ELISE
NICOMEDE
ELISE
ELISE
NICOMEDE
ELISE
NICOMEDE
ELISE
NICOMEDE
ELISE
NICOMEDE
ELISE
NICOMEDE
ELISE
SCENE VII. §
[p. 65]ANNIBAL
ELISE
ELISE, à Attale.
ATTALE
ELISE
ATTALE
ANNIBAL
ATTALE
ELISE, à Attale.
ATTALE
ELISE
SCENE VIII. §
ALCINE
ELISE
ATTALE
ATTALE
ELISE
ANNIBAL
ELISE
Fin du quatriéme Acte.
ACTE V. §
SCENE PREMIERE. §
ELISE
PRUSIAS
PRUSIAS
ELISE
PRUSIAS
ELISE
PRUSIAS
ELISE
PRUSIAS, montrant Attale.
SCENE II. §
ATTALE
ELISE
ATTALE
PRUSIAS, à Attale.
ATTALE
PRUSIAS
[p. 75]ATTALE
ELISE
SCENE III. §
ELISE
FLAMINIUS
ELISE
ATTALE
FLAMINIUS
ATTALE
FLAMINIUS
ATTALE
FLAMINIUS
Ouy, c’est par luy que le Ciel y rappelleATTALE
SCENE IV. §
[p. 79]ELISE, à Prusias.
PRUSIAS
ELISE
FLAMINIUS
ELISE
FLAMINIUS
ELISE
SCENE V. §
ALCINE
ELISE
ALCINE
FLAMINIUS
PRUSIAS
SCENE VI. §
ELISE
FLAMINIUS
ELISE
[p. 82]FLAMINIUS
SCENE VII. §
ALCINE
SCENE VIII. §
[p. 83]ELISE, à Annibal.
ANNIBAL
NICOMEDE
ELISE
NICOMEDE
ELISE
NICOMEDE
ANNIBAL
SCENE IX. §
ARAXE, à Nicomède.
NICOMEDE
ARAXE
NICOMEDE
ARAXE
NICOMEDE
ANNIBAL, à Elise.
ELISE
ANNIBAL
NICOMEDE
ANNIBAL
Gardez de me plaindreELISE
NICOMEDE
FIN.
Extrait du privilège du Roy §
Par grace et Privilege du Roy donné à S. Germain en Laye le 27 Février 1670. Signé d’ALENCE : Il est permis à Claude Barbin Marchand Libraire à Paris, de faire imprimer la Tragedie d’Annibal de Monsieur de Corneille, pendant le temps et espace de sept années ; avec défences à tous Libraires et Imprimeurs de l’imprimer, sans l’exprés consentement dudit sieur, suivant les peines portées par lesdites Lettres.
Registré sur le Livre de la Communauté des Libraires et Imprimeurs, suivant l’Arrest de la Cour de Parlement. Signé SOUBRON.
Achevé d’imprimer pour la premiere fois, le 12 Avril 1670. à Roüen par L. Maurry.
Et ledit Sieur Corneille a transporté ledit Privilege aux sieurs Guillaume de Luyne et Claude Barbin, Marchands Libraires au Palais, pour en joüir suivant l’accord fait entr’eux.
Glossaire §
Annexe 1 : Extrait Tite-Live §
TITE-LIVE, Histoire Romaine, t. 2, Paris, Firmin Didot, 1869, p. 537
XXXIX, LI. Titus Quinctius Flaminius se rendit en ambassade à la cour de Prusias, qui était devenu suspect aux Romains pour avoir accueilli Annibal depuis la défaite d’Antiochus, et entrepris la guerre contre Eumène. Là sans doute l’ambassadeur reprocha entre autres griefs à Prusias d’avoir donné asile à l’ennemi le plus acharné du peuple romain, à un homme qui avait soulevé sa patrie contre Rome et qui après l’avoir ruinée, avait fait prendre les armes au roi Antiochus. Peut-être aussi que Prusias lui-même, voulant faire sa cour aux Romains et à leur représentant, résolut de mettre à mort un hôte si dangereux ou de le livrer aux ennemis. Du moins aussitôt après l’entrevue du prince et de Flaminius, des soldats eurent ordre d’aller investir la maison d’Annibal. Ce général avait toujours pensé qu’il finirait ainsi, quand il songeait à la haine implacable que lui portaient les Romains, et au peu de sûreté qu’offre la parole des rois. D’ailleurs il avait éprouvé déjà l’inconstance de Prusias, et il avait appris avec horreur l’arrivée de Flaminius, qu’il croyait devoir lui être fatale. Au milieu des périls dont il était entouré, il avait voulu se ménager toujours un moyen de fuir, et il avait pratiqué sept issues dans sa maison ; quelques-unes étaient secrètes, afin qu’on ne pût y mettre des gardes. Mais la tyrannie soupçonneuse des rois perce tous les mystères qu’il lui importe de connaître. Les soldats enveloppèrent et cernèrent si étroitement toute la maison, qu’il était impossible de s’en évader. A la nouvelle que les satellites du roi étaient parvenus dans le vestibule, Annibal essaya de fuir par une porte dérobée, qu’il croyait cachée à tous les yeux. Mais voyant qu’elle était aussi gardée, et que toute la maison était entourée de gens armés, il se fit donner le poison qu’il tenait depuis longtemps en réserve pour s’en servir au besoin. « Délivrons, dit-il, le peuple romain de ses longues inquiétudes, puisqu’il n’a pas la patience d’attendre la mort d’un vieillard. Flaminius n’aura guère à s’applaudir et à s’honorer de la victoire qu’il remporte sur un ennemi trahi et désarmé. Ce jour seul suffira pour prouver combien les mœurs des Romains ont changé. Leurs pères, menacés par Pyrrhus, qui avait les armes à la main, qui était à la tête d’une armée en Italie, lui ont fait dire de se mettre en garde contre le poison ; eux, ils ont envoyé un consulaire en ambassade pour conseiller à Prusias d’assassiner traîtreusement son hôte. » Puis, après avoir maudit la personne et le trône de Prusias, et appelé sur sa tête le courroux des dieux vengeurs de l’hospitalité trahie, il but le poison. Telle fut la fin d’Annibal.
Annexe 2 : Extrait Plutarque §
PLUTARQUE, Les Vies des hommes illustres, t. 1, trad. Amyot, éd. G. Walter, Paris, Gallimard (coll. Pléiade), 1951, p. 857-861.
XXXIX, 4. […] Parce qu’Annibal, s’en étant fui de son pays, se retira premièrement devers le roi Antiochus, lequel, après la bataille qu’il perdit en la Phrygie, se contenta fort bien que les Romains lui octroyassent la paix à telles conditions qu’ils voulurent ; parquoi Annibal s’enfuit encore d’avec lui, et, après avoir longuement été errant çà et là, finalement, s’arrêta au royaume de Bithynie auprès du roi Prusias, au su et à la vue de tous les Romains, qui ne s’en souciaient plus, parce qu’il était vieil et cassé, sans force ni puissance aucune, comme un homme que la fortune avait de tout point ruiné et foulé aux pieds.
XL. Mais Titus, étant envoyé par le sénat ambassadeur à ce roi Prusias pour quelque autre affaire, trouva Annibal qui faisait se résidence en Bithynie, et fut marri de le voir vivre, tellement que, combien que Prusias lui fît de très grandes prières qu’il voulût avoir pitié de ce pauvre vieillard, son familier, qui s’était venu jeter comme en franchise entre ses bras, jamais ne le voulut laisser vivre. Or avait Annibal longtemps auparavant eu un oracle touchant sa mort, lequel était de telle substance :
Terre Libyque engloutira le corpsDe Hannibal quand l’âme en sera hors.Si pensa que cela s’entendît de la Libye, c’est-à-dire de l’Afrique, comme s’il eût dû achever ses jours en Afrique pour être inhumé à Carthage. Mais il y a en la Bithynie une certaine contrée sablonneuse près de la mer, en laquelle est une petite bourgade qui s’appelle Libyssa, là où Annibal faisait sa demeure ordinaire, et se défiant toujours de la pusillanimité de Prusias, et redoutant la haine des Romains, il avait fait longtemps devant caver sous terre sept mines et issues secrètes, lesquelles répondaient toutes au lieu où il se tenait, et allaient sortir, les unes ça les autres là, assez loin de son logis, sans que l’on en aperçût rien par-dehors.
XLI. Quand donc il fut averti lors du commandement que Titus avait fait à Prusias de le lui livrer entre ses mains, il essaya de se sauver par ses mines ; mais il trouva que partout il y avait aux issues des gardes de par le roi, et résolut adonc de se faire mourir lui-même. Si disent aucuns qu’il entortilla quelque linge à l’entour de son cou, et puis commanda à un sien serviteur qu’il lui mît le genou sur la fesse, et qu’en pesant dessus il tirât par-derrière le linge de toute sa force, et le pressant jusques à ce qu’il lui fît rendre l’âme ; les autres disent qu’il but du sang de taureau comme auparavant avaient fait Midas et Thémistocle. Mais Tite-Live écrit qu’il avait du poison qu’il gardait pour une telle occasion ; et, l’ayant détrempé dans une coupe, en la tenant dans sa main, il dit avant que de le boire : « Or sus, délivrons le peuple romain de ce grand souci, puisqu’ainsi est qu’il lui griève, et lui semble trop long d’attendre la mort naturelle de ce pauvre vieillard que tant il hait, combien que Titus n’en rapportera déjà victoire qui lui soit guères honorable ni digne des anciens Romains, lesquels firent avertir leur ennemi Pyrrhus lorsqu’il leur faisait la guerre, et avait déjà gagné des batailles sur eux, qu’il se gardât du poison qu’on lui avait appareillé. »
XLII. Telle fut la fin d’Annibal ainsi que l’on trouve par écrit ; dont la nouvelle étant venue au sénat à Rome, il y eut plusieurs à qui Titus sembla par trop importun et trop cruel, d’avoir ainsi fait mourir Annibal lorsque l’âge l’avait de tout point maté, ni plus ni moins qu’un oiseau à qui toutes les plumes et tout le pannage sont tombés de vieillesse ; de tant plus mêmement qu’il n’y avait occasion quelconque qui le pressât de ce faire, sinon une convoitise de gloire, afin que par les chroniques il fût nommé cause et auteur de la mort d’Annibal. […]
XLIV. Ainsi plusieurs […] blâmaient grandement Titus de ce qu’il avait, par manière de parler, mis les mains sur la mort d’autrui. Au contraire aussi y en avaient-ils d’autres qui trouvaient bon ce qu’il en avait fait, disant que Annibal, tant comme il eût vécu, était un feu pour l’Empire romain, qui n’avait besoin que de quelqu’un qui le soufflât ; et que, tant comme il avait été en sa force et vigueur de son âge, ce n’avait point été sa main ni son corps qui avait donné tant d’affaires aux Romains, mais son bon sens et sa suffisance en l’art de la guerre, avec une haine qu’il avait enracinée dans son cœur, et une rancune envieillie à l’encontre des Romains, ce que la vieillesse n’ôte ni ne diminue aucunement ; car la nature et la qualité des mœurs demeure toujours, mais la fortune ne dure pas toujours une, mais se va changeant, et en se changeant incite par espérance à nous courir sus ceux qui toujours nous font la guerre de volonté, d’autant qu’ils nous haïssent en leur cœur. […]
XLVI. Encore y en a-t-il qui disent que Titus ne fit pas cet acte seul ni de sa propre autorité, mais qu’il fut envoyé ambassadeur avec Lucius Scipion, non pour autre chose que pour faire mourir Annibal en quelque sorte que ce fût.
Annexe 3 : Extrait Cornelius Nepos §
CORNELIUS NEPOS, Vies des grands capitaines, in Cornelius Nepos, Quinte-Curce, Justin, Valère Maxime, Julius Obsequens, Œuvres Complètes, Paris, Firmin Didot, 1871, p. 69-70.
XII. Tandis que ces choses se passaient en Asie, le hasard voulut que les ambassadeurs de Prusias étant un jour à souper à Rome chez Lucius Quintus Flaminius, personne consulaire, on vint à parler d’Annibal. L’un de ces ambassadeurs dit qu’il était dans les États du roi de Bithynie. Dès le lendemain Flaminius fit part de cette nouvelle au sénat, et les sénateurs, persuadés que Rome aurait toujours quelque chose à craindre tant qu’Annibal vivrait, envoyèrent des députés à Prusias, entre autres Flaminius, pour le prier de ne point garder à sa cour le plus cruel ennemi de Rome, et de le remettre entre leurs mains. Prusias n’osa s’y refuser ; il demanda seulement qu’on ne l’obligeât pas à violer les droits de l’hospitalité. « Prenez-le si vous le pouvez, dit-il aux ambassadeurs ; vous trouverez aisément le lieu de sa retraite ». Annibal demeurait dans un château que le roi lui avait donné ; et comme il avait toujours prévu ce qui arrivait alors, il s’était ménagé des issues de tous les côtés. Les ambassadeurs romains se rendirent à sa demeure et la firent investir. Un esclave, qui se tenait à la porte, ayant aperçu les soldats, courut avertir son maître. Annibal lui ordonna d’aller voir si les autres portes étaient investies. L’esclave étant venu lui dire, au bout de quelques instants, que le château était cerné de tous côtés, il vit bien que ce n’était pas l’effet du hasard, mais qu’on en voulait à sa personne, et qu’il était temps de mettre fin à ses jours, s’il ne voulait pas tomber vivant au pouvoir de ses ennemis. C’est alors que ce grand homme, plein du souvenir de ses anciens exploits, avala du poison qu’il portait habituellement sur lui.
XIII. Il se reposa ainsi dans la mort, à l’âge de soixante-dix ans. Sa vie avait été une suite continuelle de fatigues et de travaux. On ne sait pas positivement sous quel consulat il mourut.
Annexe 4 : Extrait Justin §
JUSTIN, Histoires Philippiques, in Cornelius Nepos, Quinte-Curce, Justin, Valère Maxime, Julius Obsequens, Œuvres Complètes, Paris, Firmin Didot, 1871, p. 519 ; p. 522.
XXXII, 4. Quand cet échec fut connu à Rome, le sénat envoya des ambassadeurs pour forcer les deux rois à faire la paix, et réclamer Annibal. Mais Annibal s’empoisonna, et prévint ainsi par sa mort l’arrivée des ambassadeurs.
XXXIV, 4. Vers le même temps, Prusias, roi de Bithynie, résolut de faire périr son fils Nicomède, pour avantager d’autres fils d’un second lit, et qui étaient à Rome ; mais le projet fut révélé à Nicomède par ceux-là mêmes qui s’étaient chargés de l’exécuter. Ils le prient donc, « puisqu’il y est forcé par la barbarie de son père, de le prévenir, et de faire retomber le crime sur celui qui l’a conçu ». Il ne fut pas difficile de persuader le prince. Arrivé dans le royaume où l’appelait son père, il fut aussitôt proclamé roi. Prusias, détrôné par son fils et réduit à la condition de simple particulier, fut abandonné même de ses esclaves. Il vivait dans une profonde retraite, lorsqu’il fut tué par Nicomède, non moins coupable que ne l’avait été son père en ordonnant sa mort.
Annexe 5 : Extrait Frères Parfaict §
PARFAICT Claude et François, Histoire du théâtre françois, depuis son origine jusqu’à présent, avec la vie des plus célèbres Poëtes Dramatiques, un Catalogue exact de leurs Pièces, et des Notes Historiques et Critiques, t. 10, Paris, P. G. Le Mercier et Saillant, 1747, p. 424-426.
LA MORT D’ANNIBAL, Tragédie de M. Corneille de L’Isle, Représentée sur le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, dans le mois de Novembre.
Lettre en vers de Robinet, du 30 Novembre 1669.
Aimant la Comédie assez,Je vis aussi ces jours passes,Dans le propre Hôtel de Bourgogne,Où l’on ne voit plus de Gigogne,La Mort de ce grand Annibal,Qui fit aux Romains tant de mal.L’Auteur s’est surpassé lui-même,Dans ce rare et charmant Poëme :Les beaux vers, les beaux sentiments,Les intrigues, les dénouemens,Et tout ce qui surprend et pique ;Dedans le complet Dramatique,La netteté, la diction,S’y rencontre en perfection.Quant aux Acteurs, on sçait de reste,Qu’outre leur équipage leste,Ils font des miracles toujours :Mais par un malheur de nos jours,Où le hazard, et le capriceSe mêlent de rendre justice ;Ou de certains approbateurs,Qui ne sont pas censés Docteurs,Réglent le destin des Ouvrages,Et sont les maîtres des suffrages ;Ce Poëme, qui m’a ravi,N’a pas été fort bien suivi.Il faut croire que la Tragédie de la mort d’Annibal tomba bien précipitamment, puisque Robinet, panégyriste ordinaire des ouvrages de Théâtre, en parle de la façon qu’on vient de voir. Reste à examiner si cette disgrace fut occasionnée par la faute de l’Auteur, ou par le caprice du Public.
Le nom d’Annibal porte avec lui une si haute idée du mérite de ce grand Capitaine : qu’entreprendre de le faire paroître sur la Scene, c’est risquer une réussite supérieure, ou une chute bien subite. M. Corneille de l’Isle éprouva ce dernier événement, par les épisodes inutiles qu’il joignit à l’action principale de son poëme dramatique. Annibal, qui seul doit faire tout l’intérêt de la Piéce, est si froid, et agit si peu, que sa mort ne cause ni pitié ni admiration. Ce sujet auroit dû être traité pas Pierre Corneille. Ce grand Poëte, quoique sur son penchant, auroit fait paroître avec dignité le Héros des Carthaginois, et auroit peint cette haine implacable qu’il conserva contre les Romains jusqu’à sa mort.
Tableaux de présence des personnages §
I, 1 | I, 2 | I, 3 | I, 4 | I, 5 | I, 6 | ||||
PRUSIAS | X | X | X | X | X | X | |||
ATTALE | X | ||||||||
ANNIBAL | |||||||||
FLAMINIUS | |||||||||
NICOMEDE | X | ||||||||
ÉLISE | X | ||||||||
ALCINE | X | ||||||||
PROCULE | |||||||||
ARAXE | X | X | X | X | X | X | |||
II, 1 | II, 2 | II, 3 | II, 4 | II, 5 | II, 6 | ||||
PRUSIAS | X | X | |||||||
ATTALE | |||||||||
ANNIBAL | X | X | X | ||||||
FLAMINIUS | |||||||||
NICOMEDE | X | X | X | ||||||
ÉLISE | X | X | X | ||||||
ALCINE | X | X | |||||||
PROCULE | |||||||||
ARAXE | X | X | |||||||
III, 1 | III, 2 | III, 3 | III, 4 | III, 5 | III, 6 | III, 7 | |||
PRUSIAS | X | X | X | ||||||
ATTALE | X | X | X | X | X | ||||
ANNIBAL | X | X | X | ||||||
FLAMINIUS | X | X | X | X | X | ||||
NICOMEDE | |||||||||
ÉLISE | X | ||||||||
ALCINE | X | ||||||||
PROCULE | X | ||||||||
ARAXE | X | X | X | ||||||
IV, 1 | IV, 2 | IV, 3 | IV, 4 | IV, 5 | IV, 6 | IV, 7 | IV, 8 | ||
PRUSIAS | X | X | X | ||||||
ATTALE | X | X | X | X | |||||
ANNIBAL | X | X | |||||||
FLAMINIUS | X | X | |||||||
NICOMEDE | X | X | |||||||
ÉLISE | X | X | X | ||||||
ALCINE | X | ||||||||
PROCULE | X | X | |||||||
ARAXE | X | X | X | ||||||
V, 1 | V, 2 | V, 3 | V, 4 | V, 5 | V, 6 | V, 7 | V, 8 | V, 9 | |
PRUSIAS | X | X | X | X | X | ||||
ATTALE | X | X | |||||||
ANNIBAL | X | X | |||||||
FLAMINIUS | X | X | X | X | |||||
NICOMEDE | X | X | |||||||
ÉLISE | X | X | X | X | X | X | X | X | X |
ALCINE | X | X | X | X | X | ||||
PROCULE | X | ||||||||
ARAXE | X | X | X | X | X | X |