Par T. CORNEILLE.
A PARIS,
CI ) I ) CL XXVI.
Édition critique établie par Étienne Mahieux dans le cadre d'un mémoire de maîtrise sous la direction de Georges Forestier (2000)
Introduction §
« Thomas Corneille / Poete Ecuier lun des quarante / de l’Academie françoise né à Rouen / decede aux Andelis le 8 decembre 1709 / agé de 84 ans (...) Thomas a dispute la Victoire à Moliere / Avec le Grand Corneille entrant dans la Carriere / Par ce rival illustre il n’est point effacé / Relevant de Lully la superbe Musique / Il s’égale à Quinault par sa veine Lyrique / Et par les dons du Coeur nul ne la surpassé »
Comme il fut deux Corneille, il y a deux Dumas,Mais aucun d’eux n’est Pierre et tous deux sont Thomas.
Cette épigramme de Henry Becque1, qui se voulait très méchante envers les Alexandre Dumas père et fils, dit assez quelle piètre opinion la postérité a gardé de Thomas Corneille, et quelle part involontaire son aîné Pierre a pris dans cette disgrâce. Il est difficile d’être le cadet d’un grand homme ; et si cette fraternité a peut-être empêché Thomas Corneille de demeurer aussi longtemps et profondément dans l’oubli qu’un Campistron ou un Boyer, il n’en reste pas moins que depuis trois cents ans, on ne s’est guère souvenu de lui que comme d’un faire-valoir, afin de mettre en valeur le génie de l’auteur du Cid.
Pourtant Thomas Corneille, fort célèbre en son temps, est l’auteur d’une œuvre considérable, par son volume (quarante-trois pièces de théâtre, deux lourds dictionnaires encyclopédiques, la grande part prise à la rédaction du Mercure galant, et des traductions), par sa diversité (la plupart des genres théâtraux y sont représentés), enfin par plusieurs réussites remarquables. Plusieurs de ses contemporains le considéraient comme l’un des meilleurs auteurs de son temps, le premier peut-être après Racine, et celui qu’il appelait lui-même « le Grand Corneille ». La lecture des éloges prononcés après sa disparition par Claude de Boze à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, et par Antoine Houdar de la Motte à l’Académie Française, est assez éclairante : mesurés, concordants, ces éloges en acquièrent un certain poids. Les deux discours se font l’écho de l’aveu fait par Pierre Corneille d’une certaine jalousie envers certains travaux de son cadet2. Ce sont là des lettres de noblesse.
Cependant, si trois des pièces de Thomas (Le Comte d’Essex, Ariane, deux de ses meilleures tragédies, et surtout Le Festin de Pierre que la Comédie-Française joua pendant près de deux siècles de préférence au Dom Juan de Molière dont elle est l’adaptation) ont été régulièrement reprises jusqu’au dix-neuvième siècle, si Voltaire l’admire, au point d’affirmer à son tour que « si vous exceptez Racine, auquel il ne faut comparer personne, il était le seul de son temps qui fût digne d’être le premier au-dessous de son frère »3 , les commentateurs modernes, à la suite de Gustave Reynier4 ou Antoine Adam5, le considèrent généralement comme un auteur médiocre, représentatif tout au plus du niveau moyen du théâtre de son époque, lorsqu’ils ne raillent pas discrètement son « sens aigu de l’opportunité »6.
De cet auteur à la réputation désormais peu flatteuse, La Mort d’Achille est l’une des pièces les moins considérées, au point d’être absente (ainsi que quelques autres) du dernier recueil en date du Théâtre (soi-disant) Complet de Thomas Corneille, daté de 1881. Créée en décembre 1673 par la troupe de Guénégaud, elle ne tint pas jusqu’à la dixième représentation. Nous ne disposons d’aucune réaction contemporaine – d’autant que les Lettres en vers de l’excellent Robinet ont disparu pour la période : l’absence de débat littéraire était, de toutes façons, le corollaire presque inévitable du « four » théâtral, et le modeste Thomas Corneille n’avait pas d’ennemis jurés qui pussent se réjouir hautement de ses échecs.
La Mort d’Achille relate la dernière journée de la vie du fameux héros achéen, qui la perdit lors du siège de Troie, dans des circonstances que notre époque a oubliées : épris de la princesse troyenne Polixene7, au point de négliger la foi donnée à sa captive Briseis, et l’amour que son propre fils Pyrrhus porte à la jeune fille, Achille décide de l’épouser afin d’assurer la paix entre les deux camps ; mais il est assassiné, juste avant la cérémonie, par le frère de la jeune fille, Pâris, qui refuse les conditions de la paix.
La postérité immédiate semble avoir tenu la pièce dans le mépris le plus total : les frères Parfaict se contentent de ce seul et lapidaire commentaire : « Cette Tragédie est si foible, pour ne rien dire de plus, du côté des personnages, & de la versification, que pour l’honneur de M. Corneille de Lisle, nous ne relevons point les défauts qui y sont en nombre. »8 Les seuls jugements détaillés dont nous disposons sur la pièce sont donc le fait de notre époque ; ils sont rares. La plupart des critiques délaissent La Mort d’Achille ou ne lui accordent que des mentions.
Dans sa thèse sur Thomas Corneille, Gustave Reynier ne consacre pas de développement spécifique à La Mort d’Achille, qu’il déteste, y voyant « peut-être la plus romanesque et la plus fausse de ses tragédies. »9 Henry Carrington Lancaster et David A. Collins sont les seuls auteurs à s’étendre quelque peu sur notre tragédie. Le premier10 reconnaît des beautés à la pièce, mais qui ne sont pas rachetées par de graves défauts. Le second11, peut-être le défenseur le plus audacieux de la pièce, y voit en substance « a noble failure » (un noble échec).
Il est donc impossible, à qui se propose de présenter au lecteur contemporain une édition critique de La Mort d’Achille, de négliger cet opprobre quasi universel. La Mort d’Achille est-elle une bonne pièce ? Elle l’est sans aucun doute, pour nous ; nous la qualifierons cependant plus volontiers de « passionnante » que de « bonne », dans la mesure où son adéquation aux canons de la dramaturgie classique est douteuse : il ne s’agit pas en tous cas d’une « pièce bien faite ». Elle ne l’était aucunement, pour son époque, et il n’est pas impossible de comprendre pourquoi. Cet étrange décalage nous oblige à nous demander si Thomas Corneille avait conscience de l’étrangeté de son dessein, et si le cas échéant il en mesurait les conséquences possibles. Avons-nous affaire à une oeuvre visionnaire, ou à un coup de chance posthume ? A cette éternelle question des intentions de l’auteur, nous ne prétendons pas pouvoir répondre autrement que par le rêve ou l’hypothèse. Une pièce qui incite au rêve, et qui pousse à l’hypothèse, mérite en tous cas de ne pas demeurer au purgatoire.
Un auteur modeste §
Esquisse biographique §
Thomas Corneille est né le 20 août 1625 à Rouen, dans la maison familiale de la rue de la Pie. Son père, Pierre Corneille, était maître des eaux et forêts « en la vicomté de Rouen ». Pierre Corneille le fils (et futur dramaturge) était alors âgé de dix-neuf ans.
Thomas fit ses études de rhétorique au collège des jésuites de Rouen. Il était jeune enfant lorsque son aîné obtint ses premiers succès, puis triompha avec le Cid (1636). L’émulation semble avoir joué un grand rôle dans sa propre vocation littéraire : il aurait composé, au collège, une tragédie en vers latins (qui, selon le discours de De Boze12, aurait été alors représentée de préférence à celle que le directeur avait écrite). Un fait est sûr : en décembre 1641, il obtient le prix du Miroir d’Argent au concours des Palinods de Rouen, pour une ode en vers français (son frère Antoine en avait été lauréat à plusieurs reprises). Il ne quitta cependant le collège qu’en 1642 ou 1643, afin d’apprendre la physique et la logique.
À la mort de son père, en 1640, son frère aîné, auteur déjà célèbre, fut désigné son tuteur et s’occupa de son éducation. Il lui apprit personnellement l’espagnol (langue commune à Rouen, et que lui-même possédait fort bien pour avoir imité plusieurs pièces de l’espagnol), et probablement les principes de la composition dramatique. Thomas suivit d’ailleurs l’exemple fraternel en obtenant sa licence en droit (mai 1646) avant de se lancer dans la carrière littéraire. Ce n’est cependant qu’après la représentation de sa première pièce, Les Engagements du hasard (1647), comédie « à l’espagnole » adaptée de Calderón, qui fut un succès, qu’il se fit recevoir avocat (septembre 1649) : il semble donc que le barreau ne l’ait guère tenté qu’afin de parfaire son éloquence, ou de se voir garantir une situation stable.
Thomas se maria le 5 juillet 1650 avec Marguerite de Lampérière, son aînée de quatre ans, qui était la soeur de Marie, femme de Pierre Corneille. Le couple eut trois enfants : Mathieu (1657-1702), François, qui fut abbé, et Marthe, qui épousa en 1683 un riche compatriote rouennais.
Tout en demeurant à Rouen jusqu’en 1662, date à partir de laquelle le duc de Guise loge à Paris les deux frères, dans l’ancien appartement de Tristan l’Hermite, Thomas est très introduit dans les salons parisiens — le succès de Timocrate (1656) en a fait un auteur de premier plan (Fouquet pensionnera les deux frères pour la même somme de 1000 livres chacun13 ! ) ; l’influence de la préciosité sur son style est manifeste. Lors du passage à Rouen de la troupe de Molière en 1658, il fait à la jeune Mlle Du Parc l’hommage de vers enflammés (une passion partagée par son frère, et probablement toute littéraire, même si Thomas, trentenaire de belle prestance, faisait un soupirant plus crédible que son aîné).
En 1664, un décret annule les lettres de noblesse conférées en Normandie pour les trente-quatre années précédentes. La famille Corneille, anoblie en 1637 en la personne du père de nos deux auteurs, afin de conférer un quartier de noblesse à l’auteur du Cid, est touchée par la mesure. Les deux frères n’auront de cesse que de récupérer leur titre, qui leur sera rendu définitivement en 1669. Molière raille dans l’Ecole des femmes les noms à rallonge adoptés par les roturiers et nobles de fraîche date sous les prétextes les plus vagues. Or comme le Gros-Pierre de Molière14, Thomas se faisait appeler « M. [Corneille] de l’Isle », nom que ses contemporains emploient volontiers pour le désigner, alternativement avec « M. Corneille le Jeune ». On n’a donc pas manqué de reconnaître Thomas dans ce Gros-Pierre. Ne peut-on voir dans ce nom adopté, plutôt qu’une vanité de parvenu, la nécessité pour notre auteur de « se faire un nom » bien à lui ? Celui de Corneille était lourd à porter. Ses pièces, cependant, sont toujours imprimées sous le nom de Thomas Corneille. C’est peut-être en raison de ces soucis, qui succèdent à ceux du déménagement, que notre auteur reste plus de deux ans sans donner de pièce nouvelle.
À cette exception près, sa veine semble infatigable. Il écrit généralement une à deux pièces par an de 1650 à 1682. « Mon frère, écrit Pierre Corneille à l’abbé de Pure en juillet 1658, vous salue, et travaille avec assez de chagrin. Il ne donnera qu’une pièce cette année. »15 La facilité avec laquelle écrivait notre auteur, et notamment sa virtuosité dans la versification, a donné lieu à une anecdote, probablement apocryphe, rapportée par Voisenon dans les Anecdotes littéraires16, selon laquelle les appartements des deux frères communiquaient par une trappe, que Pierre ouvrait parfois pour demander à son cadet de lui fournir une rime, ou quelques syllabes. L’important est que cette anecdote ait été tenue pour vraisemblable par les contemporains de notre prolifique auteur. La fin de sa carrière théâtrale cependant le voit travailler de plus en plus fréquemment en collaboration, généralement avec Donneau de Visé.
Lorsqu’en 1677 Donneau, après une longue interruption, reprit la rédaction du Mercure galant, il y associa son ami Thomas Corneille, qui y collabora avec régularité pendant vingt-trois ans, fournissant probablement plusieurs dizaines de pages mensuelles. En 1681 Donneau et Thomas se constituent en société où ils sont associés à parts égales.
Pierre Corneille mourut en 1684. Thomas fut alors élu à l’Académie Française, au fauteuil de son frère. Son discours de réception fit l’éloge du Roi, et de l’Académie, comme il était de coutume. Il se contenta de ces quelques mots faisant l’éloge de son prédécesseur :
J’avoüe, Messieurs, que quand aprés tant d’épreuves, vous m’avez fait la grace de jetter les yeux sur moy, vous m’auriez mis en peril de me permettre la vanité la plus condamnable, si je ne m’estois assez fortement étudié pour n’oublier pas ce que je suis. Je me serois peut-estre flatté, qu’enfin vous m’auriez trouvé les qualitez que vous souhaitez dans des Academiciens dignes de ce nom, d’un goust exquis, d’une penetration entiere, parfaitement éclairez, en un mot tels que vous estes. Mais, Messieurs, l’honneur qu’il vous a plû de me faire, quelque grand qu’il soit, ne m’aveugle point. (...) Ce que mes défauts me défendoient d’esperer de vous, vous l’avez donné à la memoire d’un Homme que vous regardiez comme un des principaux ornemens de vostre Corps. L’estime particuliere que vous avez toûjours eüe pour luy, m’attire celle dont vous me donnez des marques si obligeantes. Sa perte vous a touchez, & pour le faire revivre parmy vous autant qu’il vous est possible, vous avez voulu me faire remplir sa place, ne doutant point que la qualité de Frere qui l’a fait plus d’une fois vous solliciter en ma faveur, ne l’eust engagé à m’inspirer les sentiments d’admiration qu’il avoit pour toute vostre illustre Compagnie. Ainsi, Messieurs, vous l’avez cherché en moy, & n’y pouvant trouver son merite, vous vous estes contentez d’y trouver son nom.
Jamais une perte si considerable ne pouvoit estre plus imparfaitement reparée ; (...) Sa perte qui vous est sensible à tous, est si particuliere pour moy, que j’ay peine à soûtenir les tristes idées qu’elle me presente.17
Probablement Thomas était-il d’accord avec Racine, qui s’empara du silence du récipiendaire pour rendre à son grand rival un hommage demeuré fameux, avant d’ajouter à l’adresse de Thomas :
Vous auriez pû bien mieux que moy, Monsieur, lui rendre icy les justes honneurs qu’il merite, si vous n’eussiez peut-estre appréhendé avec raison, qu’en faisant l’éloge d’un Frere, avec qui vous avez d’ailleurs tant de conformité, il ne semblast que vous faisiez votre propre éloge. C’est cette conformité que nous avons tous eû en veuë, lors que tout d’une voix nous vous avons appellé pour remplir sa place ; persuadez que nous sommes que nous retrouverons en vous, non seulement son nom, son mesme esprit, son mesme enthousiasme, mais encore sa mesme modestie, sa mesme vertu, son mesme zele pour l’Académie.18
Si l’on en croit ces deux textes, Thomas Corneille, pourtant fort réputé personnellement, semble reçu à l’Académie Française afin d’honorer la mémoire de son frère. Si la remarque n’a rien d’étonnant de sa part, elle est plus troublante sous la plume de Racine qui, sous couvert de lui rendre hommage, le décrit comme un double de son aîné. C’est donc peut-être de sa propre modestie, ainsi que de la raillerie de Boileau (« Ah ! pauvre Thomas, tu n’es qu’un cadet de Normandie. »19), que naît la comparaison systématique qui sera, lors des siècles suivants, fatale à la réputation de notre auteur.
Toujours est-il que les espoirs que Racine plaçait dans le zèle du nouvel académicien ne furent pas déçus. Thomas Corneille fut fort assidu aux réunions, et rédigea à lui tout seul deux suppléments au Dictionnaire de l’Académie, qu’il s’agissait d’étoffer face aux développements encyclopédiques du dictionnaire de Furetière. Ce sont le Dictionnaire des termes d’arts et de sciences (1694) et le Dictionnaire géographique et historique (1708). Thomas publie également une réédition critique des Remarques de Vaugelas (1687) et rédige les Observations de l’Académie Française (1704) sur ces mêmes Remarques. Peu rigoureux sur le plan scientifique, ces travaux sont l’indice d’une curiosité qui, au même titre que les oeuvres de vulgarisation de Fontenelle, annonce l’esprit des Lumières. La tâche, qui lui demande d’accumuler beaucoup de documentation, est épuisante, surtout pour un septuagénaire. Elle détourne Thomas Corneille du théâtre (sa dernière tragédie, Bradamante, date de 1695), et l’épuise. En 1701 il est reçu à l’Académie des Médailles, future Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Il meurt, presque aveugle, le 8 décembre 1709, à l’âge vénérable (surtout pour l’époque) de quatre-vingt-quatre ans.
Pierre et Thomas Corneille offrent un exemple d’affection fraternelle digne des contes les plus édifiants. Il semble que les deux foyers aient presque toujours vécu ensemble, partageant la même maison, ou logeant dans des maisons mitoyennes, au gré des déménagements entre Rouen et Paris. Deux rues les séparent à partir de 1681, mais il est probable que Thomas fut très présent auprès de son frère malade. « Après plus de vingt-cinq ans de mariage, affirme De Boze20, les deux frères n’avaient pas encore songé à faire le partage des biens de leurs femmes, et ce partage ne fut fait que par une nécessité indispensable, à la mort de Pierre Corneille. »
De même que Pierre avait favorisé les débuts de Thomas, lui enseignant son art et l’introduisant auprès des milieux cultivés, Thomas s’occupa activement de la carrière de son neveu Fontenelle (né en 1657 et qui devait vivre centenaire), fils de sa soeur Marthe. Il le fit collaborer à Bellérophon et fit campagne pour que l’auteur des Entretiens sur la pluralité des mondes fût reçu à l’Académie Française, où il l’accueillit lui-même en 1691.
Ce sens aigu de la famille, ses longues amitiés avec Donneau de Visé ou Boursault, laissent deviner le caractère de Thomas Corneille, que tous ses contemporains décrivent comme un homme doux, modeste, incapable d’envie, et généreux. Sa politesse et son savoir lui valurent le beau surnom de « l’honnête homme ».
L’œuvre théâtrale de Thomas Corneille §
Thomas Corneille dramaturge s’est essayé à tous les genres : tragédie, comédie, pièces à machines, opéra — chacun de ces termes génériques recouvrant une réalité elle-même diverse. Il n’est pas impossible de présenter ces diverses facettes de son oeuvre de façon chronologique ; il n’est en effet parvenu que progressivement à cette diversité, et chaque période de sa carrière est dominée par une certaine veine. Cependant Thomas n’abandonna jamais réellement aucun des genres auxquels il s’était essayé ; c’est pourquoi il nous semble plus concluant d’aborder séparément les versants comiques et tragiques de son oeuvre, afin de donner une idée de la vaste palette de notre auteur.
Les comédies §
Après le succès des Engagements du hasard, Thomas Corneille choisit de persévérer dans le registre de la comédie « à l’espagnole » avec Le Feint Astrologue (1648), également imité de Calderón, Don Bertrand de Cigarral (1651), L’Amour à la mode (1651), puis la comédie héroïque des Illustres Ennemis (1654), et la comédie burlesque Le Geôlier de soi-même (1655), sujet qu’il traite en concurrence avec Scarron. Ces pièces sont caractéristiques de la fantaisie de la comedia espagnole, genre protéiforme dont les auteurs français (Scarron, d’Ouville, Boisrobert, Pierre Corneille lui-même avec Le Menteur) adaptent à cette époque les exemples les plus souriants. L’amour y est romanesque et passionné, et contrarié par toutes sortes d’incidents basés sur des déguisements et autres substitutions d’identité. Le sérieux parfois légèrement parodique des amants y cohabite avec la bouffonnerie des valets balourds et poltrons (les graciosos) qui, dans les variantes les plus burlesques du genre (et dont relève Le Geôlier de soi-même), volent franchement la vedette à leurs patrons. Thomas cependant paraît sensible à cette originalité espagnole du mélange des genres, condamné par la poétique française de la deuxième moitié du dix-septième siècle ; le Geôlier alterne des passages purement burlesques et des scènes pathétiques (et des personnages de rang élevé) relevant pour le moins de la tragi-comédie. Le Berger extravagant (1652) est une première tentative de Thomas pour varier les tons, puisqu’il s’agit d’une pastorale parodique inspirée du roman éponyme de Charles Sorel.
À la suite du succès de Timocrate, Thomas Corneille se consacra en priorité à la tragédie, non sans écrire quatre comédies entre 1656 et 1672 : Le Charme de la voix (1657, peut-être déjà en chantier au moment de Timocrate), Le Galant doublé (1659), Le Baron d’Albikrac (1667) et La Comtesse d’Orgueil (1670). Mais après 1673, date de la mort de Molière (dont la rivalité n’est plus intimidante) et de l’échec de La Mort d’Achille (qui lui fait peut-être ressentir un besoin de renouvellement), sa veine comique revient, modifiée, au premier plan.
Don César d’Avalos (1674) est une comédie à l’espagnole. Mais la mode en a passé (à l’exception de quelques succès inusables dont Le Geôlier ou le Menteur de Pierre Corneille) et Thomas Corneille, retenant la leçon du Molière des dernières années, propose alors des comédies à machines. L’Inconnu (1675) et Le Triomphe des dames (1676) qui compte un tournoi à pied parmi ses divertissements, donnent toute satisfaction à la veuve de Molière, Armande Béjart, qui lui commande Le Festin de pierre (1677), simple versification édulcorée du Dom Juan de Molière, destinée à permettre la reprise de cette pièce.
Toujours dans les pas de Molière, Thomas cherche (et trouve) des sujets satiriques : La Pierre philosophale (1681) sur la mode de l’occultisme (il n’en reste, hélas ! que le livret), où l’on assiste à l’initiation d’un chevalier de la Rose-Croix, L’Usurier (1685, malheureusement perdu), Les Dames vengées (1695) qui décrit la chute d’un séducteur, et la fameuse Devineresse (1679) inspirée de l’affaire de la Voisin. Ce sont là des sujets parfois audacieux, et qui touchent à l’actualité, tout en lui permettant, dans le cas de La Pierre philosophale et de La Devineresse, d’avoir recours aux machines.
Les tragédies : historique et évolution §
L’année 1656 fut celle du coup d’éclat de Thomas Corneille : Timocrate. Le genre tragique avait marqué le pas depuis plusieurs années, en raison de la Fronde et de la retraite provisoire de Pierre Corneille. Pièce romanesque et haletante, peu soucieuse de vraisemblance, plus proche en fait de la tragi-comédie que de la tragédie, Timocrate présente en somme, même si l’intrigue en est issue d’un roman de La Calprenède, le versant tragique de la comedia espagnole, avec son accumulation de péripéties surprenantes basées sur les fausses identités et la toute-puissance des sentiments amoureux — le vaillant Timocrate, épris de la fille de son ennemie, la sert sous le nom de Cléomène contre sa propre armée, et va jusqu’à faire prisonnier un faux Timocrate ! On peut aussi y remarquer l’influence de la préciosité : le héros applique à ses actes les paradoxes que les amants précieux réservent à leurs paroles. Formellement, cependant, Timocrate est une pièce régulière, n’était que l’accumulation des péripéties cause le plus grand tort à la vraisemblance. Elle clôt une époque (celle du triomphe de la tragi-comédie) autant qu’elle en annonce une autre (celle du règne de la tragédie classique, qui conservera toutefois des éléments romanesques et précieux).
Timocrate fut l’un des plus grands succès théâtraux du siècle sinon le plus grand, avec quatre-vingt représentations (sans compter une reprise immédiate au théâtre concurrent), et relança la vogue de la tragédie sur la scène française. La salle fut comble pendant six mois, le roi se déplaça jusqu’au théâtre du Marais pour assister à Timocrate, et Thomas Corneille lui fut présenté. Ce sont les comédiens qui, las de Timocrate, l’ôtèrent de l’affiche à la grande déception du public. Emu de l’accueil réservé à la pièce, Thomas n’en conclut pas à sa perfection. Si l’auteur « voit quelque chose de flateur dans les acclamations qui en ont fait jusqu’icy tout l’éclat, il sçait qu’elles n’ont rien de durable, que l’injuste caprice du Siècle les rend souvent communes à toutes les nouveautez qui le surprennent, et qu’ainsi il en est peu que le temps puisse sauver de l’injurieux soupçon d’avoir esté plûtost données à de faux brillants qu’à de véritables beautez », écrit-il dans la dédicace de sa pièce21. Il délaissa cependant quelque peu la comédie, qui lui avait valu sa renommée, pour donner au théâtre, jusqu’au Comte d’Essex (1678), pas moins de quinze autres tragédies, dont les plus fameuses sont La Mort de l’Empereur Commode (1657), Bérénice (1658), Stilicon (1660), Camma reine de Galatie (1661), La Mort d’Annibal (1669) et bien sûr Ariane (1672). S’il faut chercher une rupture dans ce mouvement, c’est peut-être cependant de 1673 qu’il faut la dater, puisqu’entre La Mort d’Achille et Essex, Thomas n’écrivit aucune tragédie pure, mais au contraire revint à la comédie, et notamment à la comédie à machines. C’est Essex qui, esthétiquement, constitue l’exception dans cette nouvelle période.
Le théâtre à grand spectacle triomphe alors tant auprès du public parisien que de la Cour, où il contribue à l’éclat du règne de Louis XIV. Thomas s’engagea dans cette voie tant sur le mode comique que sur le mode tragique. C’est ainsi que de la tragédie il passa à la tragédie lyrique : Circé (1675), tragédie à machines ornée de musique, brise le monopole de Lully sur la musique mais remporte un tel succès qu’on propose à son auteur de collaborer avec le compositeur italien pour Psyché (1678, d’après la pièce de Molière et Pierre Corneille) et Bellérophon (1679). Il écrira encore le livret de l’opéra de Charpentier, Médée (1693). Il faut enfin signaler une dernière tragédie, Bradamante (1695), sur un sujet héroïco-galant tiré de l’Arioste.
On trouvera, à la page LIII, une chronologie exhaustive des œuvres de Thomas Corneille.
Les tragédies : poétique §
Les dix-sept tragédies et tragi-comédies (c’est la désignation officielle d’Antiochus) de Thomas Corneille constituent un corpus d’autant plus considérable qu’elles témoignent d’une certaine variété. La plupart des auteurs reprennent à leur propos (pour y souscrire ou s’y opposer) la classification opérée par Gustave Reynier selon trois sous-groupes : tragédies romanesques, cornéliennes, et raciniennes.
Nous ne faillirons pas à la règle ; indépendamment de la validité des définitions, le défaut de classifications semblables est de dégager parfois artificiellement la tonalité dominante de telle ou telle oeuvre. Cependant, la proposition de M. Reynier a l’avantage de mettre en évidence les influences peu contestables qu’a subies Thomas Corneille.
L’influence romanesque §
On aura deviné que pour M. Reynier, Timocrate est le parangon des tragédies romanesques de Thomas Corneille. L’épithète n’est pas arbitraire : ainsi, Bérénice, qui n’a aucun rapport avec la reine de Césarée, est inspirée d’un épisode du fameux Grand Cyrus, le roman précieux de Mlle de Scudéry. Selon Gustave Reynier, l’influence du roman sur le théâtre de Thomas Corneille (qu’il associe en cela à Quinault et Boyer) est détestable et n’aboutit qu’à la confection de stéréotypes que l’on retrouve tels quels de pièce en pièce, de Pyrrhus roi d’Epire à Antiochus, de Darius à Théodat, de Bradamante à Persée et Démétrius : « fictions invraisemblables, caractères de convention, discussions amoureuses, analyses poussées jusqu’au fin du fin22. » Ces « fictions invraisemblables » reposent généralement sur la substitution d’identité : dans Timocrate, on l’a vu, le héros feint d’être son propre ennemi ; dans Pyrrhus, roi d’Epire l’intrigue repose sur une substitution d’enfants au berceau ; dans Antiochus, un portrait substitué fait croire à l’amour du héros pour une autre femme que celle qu’il aime en réalité. Quant aux « caractères de convention », M. Reynier en dresse avec humour la nomenclature : l’amant qui met son pouvoir au pieds de sa maîtresse, la princesse n’ignorant rien de la carte du Tendre, mais qui ménage sa gloire, le seigneur ambitieux, pour lui-même ou pour ses enfants, et qui fait un traître commode. Enfin les péripéties s’articulent généralement autour de « l’inévitable sédition » qui vient précipiter le dénouement.
Cette ironie n’est pas toujours justifiée. Si par exemple dans Théodat (1672) l’assassinat d’un faux Théodat dormant par le plus grand des hasards dans le lit du vrai peut prêter à sourire, il faut reconnaître cependant que l’on prend beaucoup de plaisir aux rebondissements mieux préparés de Timocrate (ce dont Reynier convient), et que les sentiments précieux qui exaspèrent Reynier ne sont pas contradictoires avec la finesse et la concision de certaines observations. « Tu la nommes beaucoup pour ne la point aimer, » fait simplement remarquer le roi Séleucus à son fils au cinquième acte d’Antiochus.
L’influence cornélienne §
Cette dénomination renvoie au frère aîné de Thomas, Pierre Corneille, que Reynier reconnaît surtout dans l’importance donnée à la politique et à la vérité historique (toujours reconstituée, bien entendu, pour satisfaire aux lois de la vraisemblance et de la bienséance), à la peinture des vertus les plus hautes, et au « souffle puissant que l’on sent courir dans tout les chefs-d’oeuvre cornéliens »23. Ces critères, qui relèvent nettement plus de l’appréciation intuitive que ceux par lesquels Reynier définissait les « tragédies romanesques », se réfèrent manifestement au « Grand Corneille » volontiers retenu par l’histoire littéraire, celui du Cid, d’Horace, de Cinna et de Polyeucte.
Les pièces ainsi définies par Reynier sont La Mort de l’Empereur Commode, Maximian, Laodice, La Mort d’Annibal où reparaissent les personnages du Nicomède de Pierre Corneille, et bien entendu Stilicon et Camma dont les sujets avaient été proposés par Fouquet à Pierre Corneille, qui préféra traiter OEdipe, laissant les deux autres à son cadet.
Or Pierre Corneille ne s’en est pas tenu toute sa vie à une esthétique intangible, et la proposition de Reynier n’est pas tenable si l’on considère l’ensemble de sa carrière. Sans même remonter jusqu’à Clitandre (1632), à côté de quoi les « tragédies romanesques » de Thomas semblent de statiques élégies, il est évident que Pyrrhus, roi d’Epire, tragédie indubitablement romanesque, s’inspire de l’Héraclius (1646) du frère aîné, romanesque si l’on veut, mais cornélien par définition. Reynier lui-même admet que l’inspiration cornélienne de Thomas n’exclut pas tout à fait les noms d’emprunts ni la sédition du cinquième acte, preuve que les deux catégories sont quelque peu poreuses l’une à l’autre. Cependant le choix de sujets à fortes implications politiques, et souvent romains, manifeste clairement chez Thomas Corneille le désir de mettre ses pas dans ceux de son aîné. La lecture de Commode prouve qu’il s’est montré, à l’occasion, un digne émule de son frère. Il y présente Commode, tyrannique empereur romain, que l’on qualifierait volontiers de paranoïaque si ce n’était commettre un anachronisme, opposé à deux jeunes filles qu’il songe successivement à épouser : la vertueuse Helvie, et l’ambitieuse Marcia. Une bonne part de la tension dramatique repose sur la peinture du caractère de Marcia : partagée entre son ambition de monter sur le trône, et ses sentiments envers sa soeur et le jeune Electus qui lui rend des devoirs, Marcia ne sait dans quel camp se ranger, ce dont dépend l’issue de la pièce. Plus ou moins sympathique au spectateur selon ses revirements, aussi ambiguë qu’un Horace, Marcia est un personnage passionnant.
L’influence racinienne §
Si tous les critiques sont d’accord pour ranger à part Ariane et Le Comte d’Essex (auxquels certains ajoutent La Mort d’Achille), ils contestent souvent l’épithète de « raciniennes » conférée par Gustave Reynier à ces deux pièces, préférant y voir des « tragédies de sentiments » (c’est l’expression de David A. Collins, « tragedies of feeling »).
Pourtant l’influence de Racine semble indubitable. La plupart des tragédies de Thomas Corneille (y compris celles qui sont considérées comme « cornéliennes » ) réservent au sentiment amoureux une part importante. Ariane n’est pas plus une tragédie de sentiments qu’Antiochus ; c’est la modalité de l’expression de ces sentiments qui diffère. Alors qu’Antiochus relève de la tradition de la rhétorique précieuse, Ariane est manifestement influencée par la dramaturgie et l’écriture de Racine.
Il est par ailleurs remarquable que cette influence est chez Thomas tardive, et postérieure aux premiers succès de Racine. Ariane s’inscrit visiblement dans le sillage de la Bérénice (1670) de Racine : le sujet est pathétique, l’intrigue chargée de peu d’incidents ; la pièce se distingue par un ton élégiaque justifié par l’action : il s’agit, dans les deux cas, d’une héroïne abandonnée par l’homme qu’elle aime. Le Comte d’Essex traite, à l’instar de Phèdre, d’un amour interdit (non plus par les liens du sang, mais par l’inégalité sociale) dont l’aveu est une honte ; l’intrigue est encore une fois fort simple. « Ne serons-nous pas forcés de convenir que le seul disciple qu’ait eu Racine, au moins dans son temps, ç’a été justement le frère de Corneille ? » se demande Gustave Reynier24 pour qui « il n’y a pas, dans tout notre théâtre classique, de personnage qui inspire, plus qu’Ariane, une pitié complète, absolue, sans mélange d’autre sentiment. »25 Il n’est pas même impossible que le sujet d’Ariane ait inspiré à Racine de traiter celui de Phèdre, qui en constitue la suite chronologique.
Agenceur imaginatif d’intrigues romanesques, admirateur (comme le reste de son temps) de la noblesse des tragédies de son frère, Thomas Corneille n’était pas attendu sur les traces du jeune Racine, son cadet de près de quinze ans. N’a-t-il vraiment fait que suivre la mode ? La part des sentiments amoureux dans ses tragédies « romanesques » inciterait plutôt à croire qu’il a été sensible, chez Racine, à la force dramatique de l’expression des sentiments, mis en valeur par une dramaturgie qui leur est subordonnée – alors qu’il cherchait jusque-là à mettre en valeur la force de la passion en montrant ses interactions avec des événements inouïs ou tout du moins contraires. Le sommet et le cas-limite, chez Racine, de la soumission de l’intrigue aux passions, étant Bérénice, il n’est pas innocent que ce soit cette pièce qui ait définitivement convaincu Thomas Corneille, et inspiré Ariane. Les « tragédies raciniennes », preuve de cette conviction, n’alternent pas avec les autres veines tragiques de Thomas, à l’exception de Théodat, dont nous croyons volontiers avec M. Lancaster26 que Thomas l’avait mis en chantier avant le succès d’Ariane, dont il ne semblait guère sûr.
Vue d’ensemble rétrospective §
Les règles normatives du classicisme étaient probablement trop fortes, et lui-même trop doux peut-être, pour que la diversité audacieuse des sujets traités par Thomas Corneille se retrouve dans le style de ses pièces, généralement pondéré et tendre. Cependant, à part sa poignée de « tragédies raciniennes » qui tendent à la simplicité, l’œuvre entière de Thomas Corneille, des premières comédies à l’espagnole aux grands spectacles des années 1670 et 1680, est parcourue par la tentation du fantasque, des péripéties imprévues ou fantastiques ; auteur classique, Thomas Corneille semble visité par le fantôme de la liberté du début du siècle. Ce n’est probablement pas par hasard qu’il se révèle un adepte enthousiaste du quiproquo tragique, jusque dans Ariane ou Essex. Si dans ces deux pièces la situation est purement épouvantable, le même procédé, dans Antiochus ou Timocrate, a des reflets souriants qui introduisent au sein même d’une œuvre une incertitude quant à son genre. Entre Le Geôlier de soi-même et Timocrate, deux tentatives d’un théâtre haletant aux couleurs variées, il n’y a jamais qu’un an de différence, et sans le personnage burlesque de Jodelet qui marque le Geôlier de son empreinte, peut-être trouverait-on les deux pièces plus cousines qu’elles ne le paraissent.
Il n’est pas étonnant, face à cette diversité, que Collins l’ait qualifié de protean dramatist. Faut-il considérer pour autant avec M. Reynier27 que son oeuvre souffre de la dispersion de ses efforts ? Cela ne nous semble pas évident : le talent propre de Thomas Corneille réside entre autres dans la virtuosité avec laquelle il s’est conformé, et parfois contraint, aux lois des genres qu’il abordait. Il faudrait regretter, bien au contraire, qu’un homme capable de réussites aussi diverses que Le Geôlier de soi-même et Ariane n’eût labouré qu’un seul sillon.
On voudra bien nous pardonner ces longs développements ; l’oeuvre touffue de Thomas Corneille nous semble les mériter, et la question des règles et de la généricité n’est pas sans importance pour la présentation de La Mort d’Achille.
Création et réception de La Mort d’Achille §
La création de La Mort d’Achille marque la rencontre d’un auteur et d’une troupe, rencontre qui se solda par un échec, mais ne fut pas sans lendemain.
Chacun sait que Molière mourut, en février 1673, à l’issue de la quatrième représentation du Malade Imaginaire. La troupe du Palais-Royal, privée de son chef, et du meilleur de ses auteurs attitrés, privée bientôt de sa salle au bénéfice de Lully, était dans une situation délicate28. Après la fermeture annuelle des théâtres, quatre acteurs, dont Baron et La Thorillière, rejoignirent l’Hôtel de Bourgogne. Rosimont, le meilleur acteur du Théâtre du Marais, était venu remplacer Molière au pied levé afin que la saison pût s’achever correctement – le Marais, dont la situation n’était déjà pas florissante, se trouvait donc également gêné par contrecoup.
Les deux troupes convoitant le théâtre du marquis de Sourdéac, que celui-ci se disposait à louer, le roi leur enjoignit de fusionner. Colbert se chargea de l’opération, et fit admettre les meilleurs éléments du théâtre du Marais dans l’ex-troupe du Palais-Royal. L’ordonnance du 23 juin 1673 alloua le théâtre de M. de Sourdéac à la nouvelle compagnie, que l’on prit l’habitude de désigner sous le nom de « troupe de Guénégaud ». Les représentations commencèrent en juillet par des reprises, principalement des comédies de Molière. Mais la troupe, devant assurer sa réputation par des créations prestigieuses, fit appel à Thomas Corneille.
Celui-ci était encore auréolé du remarquable succès d’Ariane, que n’avait pas effacé l’échec de Théodat en novembre de la même année 1672. Il s’agissait de trouver un rival à Racine, dont les tragédies remplissaient l’Hôtel de Bourgogne, et Thomas Corneille était donc tout indiqué29, bien que ses relations avec Molière semblent avoir été froides (Thomas n’avait jamais confié de pièce au Palais-Royal, et Molière, on l’a vu, lui avait réservé des piques). C’est peut-être Donneau de Visé qui mit en rapport les comédiens avec notre auteur, probablement ravi de quitter l’Hôtel de Bourgogne, dont l’auteur vedette était désormais Racine30. « On ne peut s’empêcher de penser que Corneille s’efforçait avec une ardeur toute particulière de créer un chef-d’oeuvre avec Achille », remarque fort justement Collins31. La Mort d’Achille fut annoncée fort à l’avance, ce qui témoigne des grands espoirs qu’on y plaçait. Le Mercure Galant (tome VI, p. 248-250), dont le directeur Donneau de Visé était tout dévoué à son futur associé, rend compte de façon extrêmement élogieuse d’une lecture publique de la pièce. Le passage est court, nous le reproduisons ici32.
On s’entretint de la mort d’Achille, de M. Corneille le jeune, que la Troupe de Guénégaud devoit bientôt représenter ; & quelques gens qui s’étoient trouvés à une lecture de ce grand ouvrage, où étoit M. le Duc de Richelieu, dirent qu’ils n’avoient jamais rien vû de si beau que cette Tragédie, & que ce Duc, qui s’y connoît parfaitement, avoit dit qu’elle surpasseroit son Ariane, dont vous sçavez que le succès a été très-grand, & même avec justice, puisque ce fameux Auteur n’a point d’autres partisans que son mérite. Après avoir parlé de cette Piéce, on s’entretint de la Troupe qui la devoit jouer, & l’on dit qu’elle réussissoit admirablement bien dans tout ce qu’elle représentoit, & que les grandes assemblées, qui depuis son établissement, avoient accompagné toutes ses représentations, en étoient une marque infaillible.
Le 10 novembre, la troupe de Guénégaud créa Le Comédien poète, comédie de Montfleury et Thomas Corneille, dont le succès d’estime (dix-huit représentations) fut à la gloire du premier. Le vendredi 29 décembre, La Mort d’Achille fut donc représentée pour la première fois, avec une recette médiocre de 666 livres (si l’on en croit le registre de La Grange). La représentation suivante étant un dimanche, la recette s’éleva mécaniquement, pour retomber au dessous de 500 livres dès le mardi. Le dimanche suivant, la pièce fut accompagnée des « medecins », c’est à dire de L’Amour médecin de Molière, sans grand résultat. Le vendredi 12, L’Amour médecin fut remplacé par George Dandin et la recette remonta nettement, sans être exceptionnelle33. Selon La Grange, la dernière représentation eut lieu le 14 janvier 1674. On a tout lieu de croire que ce fut en fait le 16. Probablement les recettes avaient-elles encore baissé34.
La pièce a donc connu huit ou neuf représentations au théâtre de Guénégaud. Une représentation exceptionnelle fut donnée à Saint-Germain le 20 janvier35, et la carrière scénique de La Mort d’Achille s’arrêta là.
La pièce fut imprimée assez vite : l’édition originale, parue chez Claude Barbin, date de 1674, avec un privilège en date du 13 ou du 15 mars (incertitude due aux pattes de mouche du registre des privilèges)36. Elle fut piratée par des libraires hollandais, reprise dans des recueils factices, et dans toutes les éditions collectives du théâtre de Thomas Corneille. On trouvera plus de détails à ce sujet dans la Note sur la présente édition de la page XLI. Ce relatif succès de librairie témoigne plus probablement de l’estime généralement accordée à Thomas Corneille que d’un revirement d’opinion du public : la pièce ne fut pas reprise, et l’éditeur de la première copie hollandaise songeait probablement dès le début à une diffusion en recueils. Il est notable, cependant, qu’au milieu des années 1670, le seul nom de Thomas Corneille suffisait à assurer un certain succès de librairie.
L’auteur et les comédiens furent probablement d’accord ensemble pour se partager les responsabilités de l’échec, et demeurèrent bons amis : c’est à l’intention du théâtre Guénégaud, qui bénéficiait du savoir-faire en la matière des anciens comédiens du Marais et du Palais-Royal, et des splendides machines de la salle du marquis de Sourdéac37, que Thomas Corneille se tourna vers les pièces à machine ; c’est ensemble qu’ils tentèrent de briser le monopole de Lully sur les spectacles musicaux avec Circé ; c’est à Thomas Corneille enfin qu’Armande Béjart fit l’honneur de commander la mise en vers de Dom Juan. C’est cependant à l’Hôtel de Bourgogne que Thomas confia sa tragédie (non lyrique) suivante, Le Comte d’Essex, qu’il n’écrivit que cinq ans après un échec qui semble avoir été douloureux ; mais il ne cessa pas pour autant sa collaboration avec la troupe de Guénégaud. Il est vrai que la troupe de Molière, contrairement aux affirmations de Donneau de Visé (voir plus haut), n’avait jamais brillé dans le genre tragique, et que le théâtre du Marais n’était plus, au moment de la fusion, celui qui avait vu la création du Cid. Les principales vedettes de la nouvelle troupe (Armande Béjart, La Grange, Rosimont) avaient obtenu leurs plus grands succès dans la haute comédie38. On ignore tout de la distribution de La Mort d’Achille, même si l’édition des oeuvres de Thomas Corneille dans la Petite bibliothèque des théâtres, publiée en 1786, soit plus de cent ans après les faits, prétend que le rôle d’Achille était tenu par un ancien garçon menuisier. Cette « précision » permet de rapporter une anecdote qui semble controuvée et a dû servir plus d’une fois39 ; par ailleurs il ne semble pas qu’aucun des acteurs de la troupe de Guénégaud ait été menuisier. Malgré certaines suppositions tentantes, toute tentative de reconstitution de la distribution relève malheureusement du roman.
L’intrigue et ses sources §
Petite digression sur la Guerre de Troie §
L’action de La Mort d’Achille, inspirée de l’Iliade et des récits de Dictys de Crète et Darès de Phrygie, a pour cadre le siège de Troie par l’armée grecque ; il n’est peut-être pas inutile d’en rappeler les circonstances, auxquelles le texte fait de nombreuses allusions.
Pâris, également appelé Alexandre, fils de Priam, roi de Troie en Phrygie (le nord-ouest de la Turquie actuelle), avait été abandonné dans la montagne par ses parents, après que sa mère Hécube eut fait un songe prédisant que le petit prince serait la cause du malheur de la cité. Sauvé par des bergers, élevé parmi eux, et devenu célèbre pour sa beauté, il fut choisi par les déesses Héra, Pallas et Aphrodite, afin de désigner la plus belle d’entre elles. Son choix se porta sur Aphrodite, qui lui avait promis l’amour de la plus belle femme du monde.
Or la plus belle femme du monde était Hélène, fille de Tyndare et de Léda. Son père, embarrassé par l’afflux des soupirants, suivit le conseil d’Ulysse et fit jurer aux prétendants de sa fille de respecter son choix et de venir tous en aide, le cas échéant, à celui d’entre eux qui serait choisi. Ménélas, frère d’Agamemnon, épousa Hélène et devint roi de Sparte après Tyndare. Or Pâris, réconcilié entre-temps avec ses parents, enleva Hélène et l’emmena avec lui à Troie. Liés par leur serment, bien que certains s’en mordissent les doigts (à commencer par Ulysse qui simula la folie pour ne pas avoir à combattre), les anciens prétendants d’Hélène — c’est à dire, chacun amenant avec lui ses alliés, tous les princes de la Grèce, mirent le siège devant Troie, sous le commandement d’Agamemnon.
Le siège dura dix ans. C’est au cours de la neuvième année que se situent les événements qui font le sujet de l’Iliade d’Homère : Le héros grec Achille, roi des Myrmidons, et Agamemnon se disputant une captive, Briséis, Achille furieux se retira dans sa tente et refusa de combattre : il était le seul des princes grecs à n’être pas lié par le serment fait à Tyndare. Sans l’aide de son bras vigoureux, les Grecs manquèrent d’être rejetés à la mer et Hector, le plus vaillant fils de Priam, tua Patrocle, le meilleur ami d’Achille. Alors la colère de ce dernier s’apaisa, ou plutôt changea d’objet et, revenant au combat, Achille tua Hector, dont il humilia le corps avant de le rendre aux Troyens, ému par une visite de la famille royale, ce qui est l’occasion d’une trêve. C’est ici que se termine L’Iliade et que commence notre pièce.
Après la mort d’Achille, l’équilibre se fit à nouveau entre les deux camps, privé chacun du plus vaillant de ses guerriers. Ce n’est que par une ruse d’Ulysse, qui, après le feint départ de la flotte, dissimula des soldats grecs dans les flancs d’un cheval de bois que les Troyens prirent pour un présent des dieux, que la ville fut prise, et mise à sac avec cruauté. Le retour dans leurs foyers des héros grecs fait l’objet de légendes aussi inépuisables que le siège lui-même.
Synopsis de La Mort d’Achille §
Acte premier §
1. Pyrrhus, fils d’Achille, étant épris de Polixene, fille de Priam, Briseis, captive aimée de son père, lui assure qu’elle obtiendra le consentement d’Achille au mariage des deux jeunes gens, qui pourrait garantir une paix définitive que Troie, privée de son plus grand soutien depuis la mort d’Hector, est prête à accepter inconditionnellement. Briseis y trouverait elle-même de l’intérêt, car Achille lui a promis de lui rendre son trône à la fin du conflit. Elle a en outre de la sympathie pour Polixene et veut s’assurer du consentement de la jeune fille.
2. Polixene vient elle-même demander à Briseis de plaider pour la paix, dont l’établissement est urgent car la trêve doit expirer dans vingt-quatre heures. Elle garantit que Troie rendra Hélène sans que Paris ait son mot à dire. Briseis lui propose alors d’épouser Pyrrhus, qui rappelle à Polixene le temps où, captif des Troyens, il lui faisait la cour. Polixene l’assure que cette cour l’a touchée, mais la perspective d’épouser le fils du meurtrier de son frère la trouve réticente. Elle l’accepte cependant pourvu qu’il ne lui soit pas demandé d’en avoir l’initiative.
3. Briseis étant partie à la recherche d’Achille, Polixene tente de convaincre Pyrrhus de renoncer à elle, effrayée par une prophétie selon laquelle Achille serait son bourreau si elle se mariait, ce qui lui fait craindre la reprise des combats. Pyrrhus n’en veut rien croire et craint d’avoir perdu sa faveur. Elle l’assure alors de son amour avant de le quitter.
Acte II §
1. Achille déclare à son confident Alcime qu’il veut obtenir la paix en épousant Polixene, dont il est lui-même tombé amoureux lorsqu’à ses genoux elle le priait de rendre le corps d’Hector. Alcime lui reproche alors l’infidélité dont il se rend coupable envers Briseis. Mais Achille compte acheter sa liberté en rendant sa couronne à Briseis. Après avoir rendu lui-même les honneurs funèbres à Hector, il ne craint pas la rancune des Troyens. Briseis s’approchant, il décide de garder ses intentions secrètes.
2. Briseis vient presser Achille, au nom de Polixene, de consentir à la paix. Proposant que Pyrrhus épouse la jeune fille, elle lui apprend leur amour réciproque. Achille lui assure que le « l’alliance d’Achille » sera « le sceau de la paix ». Briseis comprend que Polixene épousera Pyrrhus et se retire.
3. Achille se lamente d’être le rival de son fils, mais considère que ce dernier doit s’effacer respectueusement devant son père. Il craint cependant que, l’amour ne s’arrêtant pas au mérite, Pyrrhus ne soit aimé de Polixene.
4. Pyrrhus, auquel Briseis a fait part de l’accord supposé d’Achille, vient remercier son père, et augmente ses malheurs en lui assurant qu’il est aimé de Polixene. Achille n’a garde de dissiper le malentendu, et tâche seulement de modérer l’enthousiasme du jeune homme.
5. Accablé de malheurs, tenté de se sacrifier avec générosité, Achille décide cependant d’écouter son amour plutôt que la vertu, et d’aller sur le champ négocier avec Priam.
Acte III §
1. Priam et Achille sont en train de négocier. Antilochus confie à Pyrrhus que selon la rumeur, la paix serait sur le point d’être signée, aux conditions que Paris rende Hélène, et que le sang d’Achille soit uni à celui de Priam, nouvelle formule ambiguë que Pyrrhus interprète dans un sens favorable.
2. Achille revenant de la négociation, Pyrrhus le comble de remerciements. Achille lui avoue alors que ce n’est pas lui qui épousera Polixene, mais sans préciser le nom de l’heureux élu. Pyrrhus prétend alors immoler ce dernier, quel qu’il soit. Achille lui reprochant son irrespect et son manque de mesure, il demande alors à mourir, faute de quoi il ne pourra s’empêcher de tuer son rival. Achille lui déclare alors que ce rival a son appui, et que Pyrrhus ne saurait le tuer sans le tuer, lui – déclaration à double sens qu’évidemment Pyrrhus ne peut comprendre.
3. Resté seul avec Pyrrhus, Antilochus se déclare surpris de la « rigueur » d’Achille, dont Pyrrhus lui-même maudit la « barbarie ».
4. Pyrrhus apprend à Briseis la funeste nouvelle, et soupçonne Agamemnon d’être le rival qu’on lui préfère. Briseis se déclare prête à convaincre Achille de relancer la guerre, mais Pyrrhus ne veut pas que Polixene ait à souffrir la reprise du conflit. Considérant qu’à part lui, chacun peut se féliciter du traité, il se prépare à une vengeance solitaire.
5. La mauvaise nouvelle ne surprend pas la sombre Polixene, qui se déclare criminelle. Après un léger malentendu, elle apprend à Briseis et Pyrrhus que c’est Achille lui-même qui a obtenu sa main. La consternation est à son comble. Briseis et Pyrrhus pressent alors Polixene, en sa qualité de nouvelle favorite d’Achille, d’aller demander la pitié de ce dernier. Polixene se déclare prête à mourir si celui-ci demeure inflexible.
6. Briseis se reproche d’avoir elle-même causé son malheur en présentant Polixene à Achille. Elle et Pyrrhus décident d’aller implorer l’aide des autres généraux grecs.
Acte IV. §
1. Alcime rapporte à Achille la faveur générale que rencontre le traité, à l’exception de Paris désespéré d’avoir à rendre Hélène. Si certains généraux grecs blâment Achille de n’avoir pas fait plutôt épouser Pyrrhus à Polixene, ils ne se réjouissent pas moins de la paix. Achille cependant est sujet au remords, et surtout aux reproches de Polixene. Il ne change pas d’intentions pour autant.
2. À Polixene, il fait valoir que son mérite devrait lui valoir une estime capable de se changer en amour. Polixene lui déclare son estime mais lui refuse tout espoir. Elle lui suggère d’augmenter sa gloire en montrant sa générosité. Elle plaide pour Pyrrhus, puis pour Briseis, mais Achille refuse de recevoir un conseil intéressé. Il prétend lui rendre sa liberté, mais lui donne en fait à choisir entre le mariage et le massacre des siens. Elle cède alors mais en appelle à la justice divine.
3. Achille tente d’empêcher Briseis de lui faire des reproches en lui rendant sa couronne et en lui offrant Pyrrhus pour escorte. Elle rejette ses offres et proclame son mépris du pouvoir. Achille marque alors de l’impatience. Briseis cependant, comprenant la souffrance d’Achille, lui propose son soutien moral pour se vaincre lui-même. Il veut briser là l’entretien ; elle le couvre alors de malédictions. N’y tenant plus, il la laisse seule.
4. Furieuse, Briseis songe à tuer Polixene, mais considérant qu’Achille est seul coupable, elle appelle une dernière fois la vengeance des dieux sur sa tête. Espérant toutefois gagner quelques jours, elle s’en va tenter une dernière ambassade auprès de Priam.
Acte V. §
1. Ilione achève de parer Polixene, attendue au temple par Achille pour la cérémonie nuptiale. La princesse troyenne songe confusément au suicide.
2. Pyrrhus vient présenter ses adieux à Polixene. Celle-ci le blâme de venir augmenter ses chagrins, et rappelle la prophétie qui la chagrinait (à l’acte I) et qui est en train de s’accomplir. Polixene demande à Pyrrhus de ne jamais chercher à la revoir.
3. Briseis vient rapporter l’échec de sa démarche. Eplorée, Polixene sort après quelques paroles confuses.
4. Briseis et Pyrrhus font assaut de plaintes.
5. Antilochus survient : Paris, dit-il, désespéré d’avoir à rendre Hélène, s’est rué dans le Temple. Achille est en danger. N’écoutant que son devoir filial, Pyrrhus vole au secours de son père.
6. Briseis prend conscience qu’elle ne veut pas véritablement la mort d’Achille.
7. Alcime vient annoncer à Briseis qu’Achille est mort sous les coups de Paris et que ses dernières pensées ont été pour rendre justice à Briseis et se repentir de ses trahisons. Briseis est déchirée par le remords. Son intention est de demander à Agamemnon la reprise des combats, puis de mettre fin à ses jours.
Est-il besoin de préciser que Thomas Corneille respecte scrupuleusement les unités de temps et de lieu40, ainsi que la liaison des scènes. L’unité d’action, la vraisemblance et la bienséance, quant à elles, feront l’objet d’une discussion dans les pages qui suivent.
Sources antiques et anciennes : Homère, Dictys, Darès §
Ni l’une ni l’autre des deux épopées homériques ne traitent véritablement de la mort d’Achille. Celle-ci est annoncée dans L’Iliade (XIX, v. 400 et suivants, et XXII, v. 350 et suivants, où elle est située devant une porte de la ville) et hante le héros, mais la question est laissée en suspens à la fin. Dans L’Odyssée, (début du chant XXIV) l’ombre d’Agamemnon évoque la mort d’Achille au combat, entouré de guerriers. Tout ceci est incompatible avec notre tragédie. Homère n’a donc fourni à Thomas Corneille que des détails, généralement destinés à exposer le passé immédiat des personnages, et qui ont l’avantage d’établir une complicité entre l’auteur et ses spectateurs ou lecteurs lettrés, qui ne manqueront pas d’y prendre garde.
La source principale de La Mort d’Achille est constituée par les récits, en de nombreux points semblables, attribués à Dictys de Crète (Histoire de la Guerre de Troie) et Darès de Phrygie (Histoire de la ruine de Troie), censés être respectivement un compagnon du héros grec Idoménée et un prêtre troyen confident d’Hector41. Il s’agit de textes latins supposés reprendre des originaux grecs. Alors que de nombreuses sources antiques (Ovide dans les Métamorphoses, Euripide dans Les Troyennes, entre autres) rapportent que Polyxène fut sacrifiée aux mânes d’Achille lors du sac de Troie, ils sont seuls, semble-t-il, à se faire l’écho de l’amour d’Achille pour la princesse troyenne. Comme, au contraire de l’Iliade, leur narration se passe de l’intervention des dieux, ils furent longtemps considérés comme des documents historiques, opinion encore largement répandue au temps de Thomas Corneille puisque M. Achaintre, auteur au début du dix-neuvième siècle d’une traduction de Dictys, pose encore dans sa préface la question de la fiabilité du récit42. Cette opinion fait bien entendu sourire le lecteur moderne, notamment lorsqu’il constate que Darès, supposé Troyen, s’indigne perpétuellement de la lâcheté de ses compatriotes.
Voici les faits que la lecture de Dictys proposait à Thomas Corneille : Dans le temple d’Apollon Thymbréen, situé en dehors des murailles de Troie, la reine Hécube et sa suite vont rendre des honneurs au dieu lors d’une trêve. Achille les y rencontre, voit Polyxène, et s’en éprend (III, 2). Il demande la main de la jeune princesse, qu’on veut bien lui accorder pourvu qu’il livre l’armée grecque, ce qu’il refuse (III, 3). Après les décès de Patrocle et d’Hector, la famille royale troyenne vient supplier Achille de leur rendre le corps du héros troyen (III, 20-2343). Polyxène en particulier se jette à ses genoux. Emu aux larmes à la vue de la princesse, Achille invite la famille de Priam à sa table (III, 24) et Priam propose à Achille la main de sa fille (III, 27). Quelque temps plus tard, furieux d’être sans nouvelles de Priam, Achille fait égorger ses fils Troïle et Lycaon, faits prisonniers par l’armée grecque (IV, 9). Une nouvelle trêve ayant été conclue en l’honneur d’Apollon, le héraut troyen Idée et Achille ont une entrevue dans un bois sacré, pour discuter les termes du mariage entre Achille et Polyxène (IV, 10). Mais Pâris et son frère Déiphobe, survenant, tuent Achille par surprise (IV, 11).
Le récit de Darès ne diverge de celui de Dictys que sur des points de détail : Hector est déjà mort lorsqu’Achille rencontre Polyxène au temple, précisément à l’occasion de l’anniversaire de la mort du prince troyen, et Achille la fait demander en mariage sur le champ, mais essuie un refus (ch. XXVII) ; Achille ayant tué Troïle au combat, après avoir longtemps cessé de combattre afin de plaire à Polyxène, les Troyens finissent par feindre de consentir à son mariage : c’est un piège et, parvenu dans le temple d’Apollon Thymbréen, Achille y est tué par Pâris (ch. XXXIV).
On voit que Thomas Corneille n’a gardé de ces sources que l’essentiel : Achille, épris de Polyxène, est tué par Pâris dans un lieu sacré où il se proposait d’épouser la jeune fille. De Dictys, Thomas choisit également de conserver l’ambassade de la famille royale auprès d’Achille, mais il supprime la première rencontre entre Achille et Polyxène au temple d’Apollon. Supprimant également le meurtre de Troïle, il doit fournir une nouvelle motivation au geste de Pâris.
Ovide, au livre XII des Métamorphoses (vers 580-628), rapporte également qu’Achille fut tué par Pâris, mais il justifie sa mort par une colère divine et non par son amour pour Polyxène. Les circonstances de l’événement rappellent par ailleurs les indices donnés par Homère. Le fait intéressant est qu’Apollon guide lui-même la flèche par laquelle Pâris tue Achille. Or dans la tragédie de Thomas Corneille, la mort d’Achille répond à l’appel lancé par Polixene à la justice divine, et surtout aux malédictions de Briseis – elle-même du moins en est persuadée (cf. V, 7, v. 1670-1671). Cette main invisible des Dieux est peut-être une réminiscence d’Ovide, mais il est impossible d’en apporter la preuve.
On peut remarquer que ces sources antiques n’accordent de rôle ni à Briséis, ni à Pyrrhus. Ces deux personnages ne sont pas ignorés de Dictys (qui appelle Briséis de son véritable nom d’Hippodamie) ni de Darès (qui désigne Pyrrhus par son autre nom de Néoptolème), mais Briséis ne joue aucun rôle dans l’épisode de la mort d’Achille (elle ne fait même, dans l’ensemble du récit de Darès, que de la figuration) ; quant à Pyrrhus, il n’arrive au siège de Troie qu’après la mort de son père. Chez Darès, bien loin d’être épris de Polyxène, c’est lui qui la sacrifie aux mânes d’Achille (ch. XLIII).
Thomas Corneille n’a donc pas puisé le rôle qu’il fait tenir à ces deux personnages dans ses sources antiques, mais bien plutôt dans le théâtre de ses contemporains. Si le choix du sujet relève d’une tradition antique, son traitement s’inscrit dans l’histoire du théâtre du XVIIe siècle.
Sources modernes : Hardy, Benserade, Racine... et Thomas Corneille §
Les Mort d’Achille de Hardy et de Benserade §
Deux auteurs du XVIIe siècle s’étaient, avant Thomas Corneille, inspirés de Dictys et Darès pour composer des tragédies sur la mort d’Achille. Alexandre Hardy (1572 ? - 1632 ? ), l’un des fondateurs du théâtre français, a publié dans son Théâtre une tragédie intitulée La Mort d’Achille ou Achille (le texte imprimé propose les deux titres), probablement représentée en 1607. Isaac de Benserade (1613 ? - 1691), poète galant qui se consacra au théâtre dans sa jeunesse, écrivit en 1636 une autre tragédie, La Mort d’Achille & la dispute de ses armes.
Hardy reprend ses sources à la lettre, suivant tantôt Dictys et tantôt Darès selon sa fantaisie. Bien loin de faire du mariage de Polyxène la condition de la paix, il montre le camp grec consterné par l’amour d’Achille pour Polyxène, une idée qu’il a trouvée chez Dictys, et la conspiration générale du camp troyen contre Achille — Polyxène est même invitée à feindre de tendres sentiments pour le héros grec, et Hardy compose une longue scène d’amour (III, 2) où Achille est dupé. Après que Pâris et Déiphobe ont assassiné Achille, le cinquième acte est consacré à une authentique bataille rangée entre Grecs et Troyens pour l’obtention de ses armes. Probablement bien oubliée en 1673, cette version ne semble pas avoir inspiré Thomas Corneille, sauf négativement : Hardy postule la haine des Troyens envers Achille, sans la faire dépendre de la mort de Troïle ; s’il a connu la pièce de Hardy, ce qui n’est pas sûr, Thomas a pu se sentir encouragé à abandonner cet épisode.
La tragédie de Benserade, aussi archaïque dans sa construction que celle de Hardy (Achille meurt au quatrième acte, et le cinquième est constitué par la dispute de ses armes, cette fois entre Ulysse et Ajax fils de Télamon), s’en inspire en de nombreux points (l’intervention de l’ombre de Patrocle au premier acte, représentée chez Hardy et contée chez Benserade, par exemple). Mais il montre Priam et Polyxène aux genoux d’Achille, rétablit l’épisode de la mort de Troïle (IV, 1) et ajoute un élément de son cru : le rôle important confié à Briséis (qu’il nomme Briséide, autre forme du même surnom désignant Hippodamie, fille de Brisès). Présente tout au long du premier et du troisième acte, elle y témoigne successivement à Achille son inquiétude pour sa vie, et sa jalousie envers Polyxène, jalousie qu’elle décide de faire taire à l’issue d’une longue scène de reproches (située en III, 2, au centre de la pièce, là même où Hardy avait placé la scène entre Achille et Polyxène). On apprend à la fin du quatrième acte qu’elle s’est suicidée après avoir appris la mort d’Achille, projet qu’elle ne fait que formuler chez Thomas. Il est clair que c’est Benserade qui a suggéré à Thomas Corneille l’intervention de Briséis – et par là un aspect essentiel de sa pièce.
La question de l’influence racinienne §
La principale différence entre Thomas Corneille et ses devanciers tient à la conduite du sujet, débarrassé de la plupart de ses incidents (mort de Troïle, préparation du guet-apens, dispute du corps ou des armes du héros mort). Contrairement à Hardy et Benserade, notre auteur ne fait apparaître sur scène aucun membre de la famille royale troyenne autre que Polixene, ni aucun chef grec à l’exception d’Achille lui-même. Thomas a donc fort éloigné le sujet de la légende originelle, pour en faire une chaîne amoureuse à quatre personnages, héritée de la pastorale. Le personnel dramatique se limite à ces quatre personnages et leurs confidents : la tragédie naît des passions des héros, et non pas d’un obstacle extérieur. Ce n’est pas une conséquence automatique de la chaîne pastorale : le Suréna de Pierre Corneille en est un contre-exemple intéressant. Cette économie dans le choix des acteurs et la présence de Pyrrhus parmi les personnages principaux rappellent clairement l’Andromaque (1667) de Racine : de même qu’Oreste aime Hermione qui aime Pyrrhus qui aime Andromaque, de même ici Briseis aime Achille qui aime Polixene qui aime Pyrrhus. La chaîne cependant se clôt différemment chez chacun des deux auteurs : alors qu’Andromaque aime Hector, qui est mort, et son fils, qui est menacé, le Pyrrhus de Thomas Corneille aime Polixene en retour. De plus on ne peut déceler aucune influence de Racine sur Thomas quant à la conduite de l’action.
Il est donc clair que notre auteur n’a pas cherché à refaire Andromaque. Cependant la similitude des situations, et du personnel dramatique, montre qu’à nouveau, après le succès d’Ariane, Thomas Corneille a mis ses pas dans ceux de Racine à la recherche d’une tragédie galante débarrassée de l’influence romanesque. Par ailleurs, il semble redevable à son cadet de l’idée de faire de Pyrrhus le quatrième personnage de la chaîne amoureuse, au lieu d’Agamemnon, par exemple, qu’il cite dans son texte comme une sorte d’hypothèse de personnage, qui aurait pu prétendre à l’amour de Polixene (III, 4, v. 864) ou de Briseis (IV, 1, v. 1059-1060), ce qui eût donné lieu à une toute autre pièce. On ne peut exclure non plus que les remords de Briseis, qui a souhaité et obtenu la mort de son amant infidèle, ne soient inspirés de ceux d’Hermione (Andromaque, V, 3).
Si l’on s’intéresse aux détails de l’action, la proposition qu’Achille fait à Briseis de lui rendre ses Etats en compensation de son abandon n’est pas sans rappeler le sujet de la Bérénice de Racine (1670). Enfin, la rivalité amoureuse d’un fils et de son père est au coeur de Mithridate, représenté au début même de l’année 1673, soit quelques mois avant que Thomas Corneille n’écrive La Mort d’Achille. De tous les éléments du sujet où l’influence de Racine se fait sentir, celui-ci est cependant le moins évident, malgré la séduction du rapprochement chronologique. Thomas Corneille en effet n’avait pas besoin de chercher chez un confrère ce qu’il pouvait trouver dans ses propres oeuvres.
Auto-influence : La Mort d’Achille dans l’œuvre de Thomas Corneille §
Il nous faut tout d’abord dire un mot de Pyrrhus, roi d’Epire (1663) : le héros en est bien, en effet, Pyrrhus fils d’Achille — même si Thomas fait tout pour le cacher. Outre que l’Epire est bien le royaume que la légende attribue à Pyrrhus, celui-ci est désigné comme le fils d’AEacidès — ce qui est l’un des surnoms homériques d’Achille : l’Eacide ou petit-fils d’Eaque. L’AEacidès de Thomas Corneille est censé être mort victime d’une sédition, alors que son fils était au berceau ! Pyrrhus, roi d’Epire est en fait un démarquage de l’Héraclius (1647) de Pierre Corneille, ainsi que du Tyridate (1648) de Boyer dont proviennent certains détails (le rôle du seigneur ambitieux, notamment) ; la toile de fond mythologique n’est ici qu’une façon pour Thomas de ne pas sembler avoir inventé son sujet de toutes pièces (audace inimaginable), bien que rien dans la légende de Pyrrhus n’évoque cette histoire d’enfants interchangés. Thomas va jusqu’à nommer la sœur de son Pyrrhus Déidamie (qui selon la chronique était le nom de sa mère44), et Neoptolemus le tyran usurpateur (alors que Néoptolème est un des noms de Pyrrhus ! ). Il est donc inutile de chercher à compléter les deux pièces l’une par l’autre.
L’intrigue d’Ariane, qui était le précédent succès de notre auteur, comporte un élément commun avec celle de La Mort d’Achille : on y voit un héros fameux (Achille ou Thésée) quitter une femme auprès de laquelle il était engagé (Briseis ou Ariane) pour une autre (Polixene ou Phèdre). Notre auteur a donc manifestement continué d’explorer une voie thématique qu’il s’était ouverte avec Ariane ; on verra que La Mort d’Achille surenchérit dans cette direction.
Enfin, Antiochus présentait déjà la rivalité d’un fils et de son père. Il est fort intéressant de comparer l’action de cette pièce avec celle de La Mort d’Achille : d’un postulat semblable, Thomas Corneille a tiré deux œuvres tout à la fois parallèles et fortement dissemblables. Antiochus, sachant qu’il aime la même femme (Stratonice) que son père Séleucus, se sacrifie par devoir filial, garde son amour secret, et sombre dans la mélancolie. Lorsqu’il vient à l’apprendre, Séleucus, considérant son âge avancé, se sacrifie à son tour en faveur de son fils. Quant à Stratonice, amoureuse d’Antiochus, elle est prête néanmoins à épouser Séleucus si la raison d’Etat l’exige. Chacun tenant à se sacrifier pour le bonheur des autres fait assaut de générosité, et Antiochus renchérit sur sa propre volonté de s’effacer, bien que plus personne ne s’oppose à son mariage avec Stratonice. La pièce, grave mais parfois souriante, et qui comporte des ressorts de comédie (un quiproquo basé sur une substitution de portraits fait croire à tout le monde qu’Antiochus soupire en fait pour sa cousine Arsinoé), est un drame de la générosité et de l’altruisme qui ne pouvait que bien finir : on ne s’étonnera pas que son auteur l’ait qualifiée de tragi-comédie. La Mort d’Achille en revanche voit son dénouement tragique amené par l’obstination égoïste d’Achille, qui décide de faire passer avant tout l’intérêt de sa passion, de sorte que la pièce, exactement à l’inverse d’Antiochus, est un drame de l’égoïsme. On peut également remarquer que les deux pièces reposent, en partie du moins, sur un quiproquo : à la substitution des portraits qui fait croire à l’amour d’Antiochus pour Arsinoé, répond l’ambiguïté d’Achille, qui décide de laisser croire à son fils qu’il va épouser Polixene. Même si l’on ne peut répondre des intentions de Thomas Corneille, la lecture des deux pièces en regard l’une de l’autre est suffisamment enrichissante pour que nous nous permettions d’y voir, a posteriori, une sorte de diptyque.
Note sur les noms des confidents §
Les noms des quatre personnages de confidents ne sont pas choisis au hasard par Thomas Corneille ; ils sont chargés d’une aura intertextuelle qui, dès le dix-septième siècle, a pu plaire aux spectateurs et aux lecteurs de la pièce, et qui renvoie aux sources de Thomas Corneille.
Alcime et Antilochus sont des personnages de l’Iliade. Alcime est, au chant XXIV du poème d’Homère, présenté comme un compagnon d’Achille, « qu’il chérit entre tous les siens après Patrocle mort » (XXIV, v. 574). Déjà Benserade donnait à Achille un « escuyer » nommé Alcimède, nom probablement dû à la contamination entre le nom d’Alcime et celui d’Automédon, le cocher du héros. Antilochus, quant à lui, doit probablement être identifié avec Antiloque fils de Nestor, jeune et vaillant guerrier bien connu des lecteurs de l’Iliade. La forme latine de son nom, utilisée par Thomas Corneille, lui vient de Darès qui (ch. XXXIV) mentionne qu’il accompagnait Achille au temple d’Apollon et mourut à ses côtés. Deux anomalies cependant viennent perturber cette identification : jamais Thomas Corneille ne désigne Antilochus comme fils de Nestor, et surtout il vouvoie Pyrrhus qui le tutoie (cf. III, 3, v. 823 et 835) ; cet emploi des pronoms personnels, d’usage entre un héros et son confident, ne devrait pas l’être si l’on considère que Pyrrhus et Antilochus, tous deux fils de roi, sont de rang égal. Il est vrai que l’Oreste et le Pylade de Racine (Andromaque) n’en usent pas autrement.
Le nom de la confidente de Polixene, Ilione, la bien nommée, signifie tout simplement « la Troyenne », Ilion étant l’autre nom de Troie.
Enfin Phenice est un nom par excellence de confidente de tragédie ; on le trouve dans la Sophonisbe de Mairet et, plus proche de la rédaction de La Mort d’Achille, dans Bérénice de Racine... et justement dans Antiochus ! C’est par ailleurs un nom qui évoque celui de Phoenix, gouverneur d’Achille puis de Pyrrhus, évoqué dans l’Iliade, un des personnages d’Andromaque.
Les procédés du maintien de l’intérêt et l’unité d’action §
La trêve, ou le compte à rebours §
La Mort d’Achille ne présente pas une intrigue d’une grande complexité. La situation n’évolue qu’au gré des désillusions successives des personnages quant aux intentions d’Achille, jusqu’à la catastrophe finale. Thomas Corneille a donc pris ses dispositions pour que l’intérêt du spectateur ne faiblisse pas, en faisant tendre irrésistiblement la pièce vers la fin des vingt-quatre heures que les règles allouent à l’action – et que celle-ci n’épuise même pas, puisque, manifestement commencée au matin, elle se clôt avant la fin du jour.
La limite temporelle fixée par les règles est soulignée par l’exposition : la trêve entre Grecs et Troyens doit expirer le lendemain (v. 154) ; ainsi donc l’action est placée sous la menace d’un compte à rebours : les personnages ont vingt-quatre heures pour assurer leur bonheur avant que la trêve n’expire. Ils ont donc intérêt à presser le mouvement, et les préparatifs du mariage d’Achille et de Polixene commencent dès l’acte III (v. 733).
Un autre élément d’intérêt est apporté par le titre : annonçant la mort du personnage principal, il garantit au spectateur que la fin de la tragédie sera malheureuse, et suffit (le procédé n’est pas nouveau, mais il est efficace) à faire naître un début de crainte. Celle-ci redouble lorsque le spectateur prend connaissance des craintes de Polixene et surtout de la prophétie de Cassandre : il est bien connu que celle-ci, malgré l’incrédulité systématique qui accueillait ses pronostics, avait toujours raison. Ainsi, à la fin du premier acte, bien que tous les faits objectifs (sa bonne humeur, l’entente entre Pyrrhus et Polixene, le crédit de Briseis auprès de lui) laissent supposer une réaction favorable d’Achille, la certitude d’une catastrophe est déjà présente chez le spectateur (d’autant plus que celui-ci ne ressent aucune antipathie a priori envers Achille) : l’exploit mérite d’être relevé. La montée de la tension est ensuite assurée, indépendamment même de la conduite de l’action, par la rapidité croissante des actes. Si la pièce dans son ensemble est lente (vingt-cinq scènes seulement), le nombre de scènes de chaque acte croît régulièrement : trois dans le premier, cinq dans le second, six dans le troisième, sept dans le cinquième... et quatre seulement dans le quatrième, mais deux de ces scènes sont des confrontations d’importance entre Achille et les deux héroïnes : le paroxysme de la situation rend moins sensible le ralentissement du rythme.
Ces procédés de suspension sont certes extérieurs à l’action elle-même ; on pourrait les comparer au montage haché et à la musique grinçante qui habillent les thrillers du cinéma contemporain, pour cacher souvent les insuffisances du cinéaste. Il n’empêche que Thomas Corneille en use avec une virtuosité certaine, et qu’à bon droit David A. Collins peut estimer que « dans aucune autre pièce, Thomas Corneille n’a su si bien créer une atmosphère de tragédie latente »45
Quiproquo et ironie tragique §
La pièce est basée sur un quiproquo créé par le silence d’Achille, et sur le dessillement progressif des autres personnages. Il est remarquable cependant que ce quiproquo n’entraîne aucune conséquence du point de vue de l’action ; son seul résultat est d’amener Briseis et Pyrrhus à se réjouir à tort, et le spectateur à se désoler en anticipant sur leur désillusion. Chaque exclamation de joie ou d’espoir de ces deux personnages est donc le lieu où se manifeste l’ironie tragique de Thomas Corneille. Mais cette dernière figure ne se limite pas aux conséquences du quiproquo central, et l’on peut y voir la figure dominante de la pièce. Les exemples en sont innombrables, et nettement moins spectaculaires pour la plupart que dans le cas du quiproquo. Il est possible de les distinguer selon la cause de l’effet ironique.
Un premier cas est celui de l’ironie issue des données mêmes de la pièce : nous en avons vu un exemple avec les faux espoirs issus du quiproquo. Un autre effet de ce dernier est la lucidité du spectateur sur la fierté tirée par Briseis de son pouvoir sur Achille, lorsqu’elle s’attribue le mérite d’avoir attendri le héros grec sur le sort des Troyens : nous savons bien que le véritable mérite en revient à Polixene, et que Briseis, qui a présenté elle-même la jeune fille au grand Myrmidon, a été l’agent de sa propre ruine. Mais Briseis, elle, n’en sait rien, et une terrible ironie frappe chacune de ses manifestations de satisfaction. Achille lui-même se méprend sur la tendresse qu’il lit dans les yeux de Polixene (v. 434-438) : le bon naturel de la jeune fille la porte à considérer avec bienveillance le père de son prétendant ; nous le savons, mais Achille l’ignore et sa présomption même le rend touchant.
L’ironie naît également des propos à double entente qu’Achille multiplie pour égarer Pyrrhus et Briseis sur ses intentions sans pouvoir être pris en flagrant délit de mensonge, et que Thomas crée avec une virtuosité étourdissante (cf. les vers 500-505 et notamment le vers 502, déclaration d’amour qu’Achille déguise en garantie d’impartialité ! ). On relève également ce genre de propos chez les autres personnages, mais ils prennent alors une valeur de prophétie involontaire (le plus bel exemple en étant attribué à Pyrrhus aux vers 605-608).
Enfin, la connaissance de la mythologie grecque que Thomas Corneille a probablement attribuée au spectateur idéal est le vecteur principal de l’ironie. Peu de légendes sont aussi répandues que celle de la guerre de Troie, et le spectateur idéal sait pertinemment que les Grecs et les Troyens n’ont pas conclu de paix, que Cassandre a toujours raison, voire que Polyxène fut égorgée par Pyrrhus sur la tombe d’Achille. Ces réalités sont rappelés soit par des déclarations présomptueuses (sur la paix qui doit se conclure) soit par des prémonitions inconscientes (lorsqu’au début du cinquième acte Polixene compare son mariage à un sacrifice païen). Cet effet de familiarité n’était pas systématiquement recherché par les auteurs tragiques : Quinault, Boyer, ou Thomas lui-même, étaient fort habiles à monter en épingle les passages les plus reculés de la chronique, voire à inventer des sujets de toutes pièces en s’autorisant d’une ou deux citations. Il est donc clair que Thomas a voulu que le spectateur de La Mort d’Achille fût autant conscient qu’il était possible que l’agitation des personnages n’était que vanité et poursuite du vent.
Le choix du quiproquo et l’ironie permanente dont sont frappées les actions et paroles des personnages sont tragiques en raison des autres éléments de la pièce : personnages nobles, style élevé, péril de mort pour le personnage dont le décès a été annoncé, évoqué pour chacun des trois autres, et latent pour tout le peuple troyen. Il frappe cependant l’ensemble de l’intrigue d’un caractère de dérision, qui flatte notre conception moderne de la tragédie (qui a été revisitée par le théâtre de l’absurde), mais peut paraître étrange en regard de la dramaturgie classique, pour laquelle la tragédie se caractérise essentiellement par les émotions (terreur et pitié) qu’elle procure aux spectateurs. Ce ton grinçant a pu induire un certain malaise face à la pièce ; il n’est pas interdit d’y voir un indice de la porosité potentielle des genres dans l’œuvre de Thomas Corneille.
Le dénouement et l’unité d’action §
Selon H. C. Lancaster, « l’unité d’action est violée par le fait que la mort d’Achille, qui est la péripétie principale, est déterminée par l’action de Paris, qui ne paraît pas. »46 Et de suggérer les solutions que Thomas Corneille aurait pu trouver à ce problème. L’accusation est d’importance pour qui veut comprendre l’échec de la pièce. La Mort d’Achille respecte-t-elle l’unité d’action ? Formellement, oui. La motivation de Paris est suggérée dans l’exposition, bien que Polixene la considère comme négligeable (I, 2, v. 170-180), et rappelée au cours de la pièce (IV, 1, v. 1053-1056). Elle est le fruit d’un véritable effort, puisque Thomas a renoncé à celle que lui fournissait Dictys (chez qui Pâris tue Achille pour venger son frère Troïle), et constitue donc de façon indubitable l’un des fils unifiés par l’action. Si les autres personnages n’y attachent aucune importance, le spectateur n’est pas forcé de les suivre. Lorsque dans un roman policier, la solution est amenée par un indice tenu pour négligeable tout au long de l’intrigue, l’auteur est généralement félicité pour son art. Le cas, semble-t-il, est le même. Pourtant, la disproportion entre l’intrigue principale et le germe d’intrigue secondaire centré sur Pâris est telle qu’il faut bien admettre que, du point de vue de l’effet obtenu, l’action ne paraît pas unifiée. Si c’est là un trait de l’art de Thomas Corneille, et un trait ô combien audacieux, il faut reconnaître qu’il a manqué son but.
Mais la passion de Paris pour Hélène n’est pas le seul moteur du dénouement. Polixene a proféré contre Achille (IV, 2, v. 1238-1248) des malédictions reprises par Briseis (IV, 3, v. 1366-1375 et IV, 4, v. 1409), qui les précise et demande aux dieux de lever l’invulnérabilité d’Achille. À l’acte suivant, Achille est percé par Paris au seul endroit où il était vulnérable : les dieux semblent avoir écouté Briseis. Celle-ci, du moins, s’en persuade, même si la question reste indécidable : la cause effective de la mort d’Achille (Paris) n’a rien de divin, et Thomas se refuse à sacrifier au merveilleux païen. La Mort d’Achille satisfait donc, longtemps avant que le genre ne devienne en vogue, à la définition donnée par Tzvetan Todorov de la littérature fantastique : nouveau cas d’audace de la part de Thomas Corneille.
Mais encore une fois cette audace ne paie pas, puisqu’elle a caché au public, et à un esprit aussi grand que H.C. Lancaster, l’implication du dénouement par les données de l’intrigue principale. Or la structure du dénouement de La Mort d’Achille n’est pas un cas unique : c’est celle même de celui de la Phèdre de Racine : persuadé de la culpabilité d’un personnage (Achille ou Hippolyte), un autre (Briseis ou Thésée) demande aux dieux de le châtier, ce qui permet de justifier l’intervention d’un deus ex machina (Paris ou le monstre marin qui tue Hippolyte) ; le personnage imprécateur se ravise, mais il est trop tard : l’autre est mort. Il est frappant que le monstre marin, beaucoup plus invraisemblable que Paris dans une optique réaliste, et pur instrument de la vengeance des dieux, ne choque pas autant que l’intervention du prince troyen : c’est qu’il est protégé par la convention du merveilleux légendaire, tandis que Thomas Corneille s’est risqué à l’ambiguïté du fantastique.
Dans notre effort pour valoriser le dénouement de La Mort d’Achille, nous n’omettrons pas cependant de souligner son incomplétude : on ignore, à la fin, ce qu’il adviendra de Pyrrhus. Il n’est pas impossible cependant, on le verra, que Thomas ait voulu que notre imagination, aidée par le souvenir d’Andromaque, supplée à cette imprécision.
Les personnages ; ou pourquoi la pièce ne pouvait réussir §
L’échec dramaturgique des confidents §
Prenant au rebours la hiérarchie dramatique des personnages, nous commencerons par passer rapidement sur le cas des quatre confidents. Ce sont, ni plus ni moins, les ombres des héros qu’ils accompagnent. Ne se permettant pas d’intervenir quand les personnages principaux conversent, ils ne s’adressent jamais qu’à ceux qu’on se voit forcé d’appeler leurs « maîtres », à l’exception d’Alcime (V, 7), mais c’est précisément parce que son maître est mort, et qu’en bon confident de tragédie47 il vient annoncer son décès. Le théâtre de son temps, et notamment celui de Racine, offrait pourtant à Thomas Corneille de nombreux exemples de confidents à la personnalité marquée : Burrhus et Narcisse, dans Britannicus, sont d’authentiques conseillers politiques. Lui-même avait parfois su faire sortir à point les confidents de leurs rôles : dans Pyrrhus, roi d’Epire, le dénouement tient à un secret que Gelon, discret confident du tyran, avait su garder pour lui ; dans Ariane ou La Mort de Commode, il sait user du double statut de certains personnages, à la fois conseillers du roi et dotés d’intérêts personnels. Rien de tout cela dans La Mort d’Achille. Les confidents n’y ont à peu près aucun avis personnel : leur rôle consiste à donner des nouvelles à leur maître (Alcime en IV, 1), et à relancer les tirades de ces derniers. De façon caractéristique du goût de la fin du siècle, la pièce ne comporte aucun monologue : deux ou trois hémistiches prononcés par le confident, porteurs de quelque remarque de bon sens ou de quelque interrogation rhétorique, suffisent à articuler une succession de tirades.
La conséquence en est que les confidents ouvrent à peine la bouche : Ilione n’a la parole que dans la seule première scène du cinquième acte, où elle prononce dix vers et demi. Phenice, qui doit attendre la scène 4 de l’acte IV pour prendre la parole, prononce en tout dix-neuf vers et demi. Antilochus lui-même, qui occupe pourtant à l’occasion la fonction de messager (V, 5), n’a que vingt-six vers en partage. Alcime, le mieux loti des quatre confidents, en prononce une centaine, dont il faut retrancher, pour comparer ce qui est comparable, les quarante-sept vers du récit de la mort d’Achille. Lors même que Thomas Corneille lui attribue un avis personnel, il n’a cependant pas l’occasion de l’exprimer puisqu’Achille le fait pour lui (II, 1, v. 389) !
La fonction des confidents se limite donc dans La Mort d’Achille à marquer par leur simple présence le rang élevé des personnages qu’ils accompagnent, à servir éventuellement de chaperon muet aux jeunes femmes48, enfin à « introduire de la souplesse » en remplaçant les monologues par des dialogues purement formels49. Le seul personnage à se débarrasser momentanément de son ombre est Pyrrhus (V, 2-4) ; cette absence est remarquable et, n’étant pas justifiée, gêne. C’est que Thomas Corneille avait besoin d’un messager, et a délégué Antilochus à cette fonction. La création d’un neuvième personnage eût peut-être été justifiée, car nous avons peine à croire qu’en cette heure pénible entre toutes pour Pyrrhus (celle du mariage de Polixene), Antilochus ait jugé à propos de déambuler sans but précis — il n’était pas même au temple auprès d’Achille, puisque son témoignage est de seconde main (« On l’a vû [Paris]...si ce qu’on dit est vray » )50.
Il semble donc bien que Thomas Corneille ait purement et simplement négligé les quatre personnages de confidents – ce qui n’est pas sans engendrer une certaine monotonie. La comparaison avec Andromaque (qui n’est pourtant pas de ce point de vue la plus audacieuse des pièces de Racine) est à ce titre éclairante ; n’insistons pas. Nous pouvons en revanche remarquer que les quatre personnages principaux prononcent un nombre sensiblement équivalent de vers, bel effort d’équilibre.
Polixene, princesse mélancolique §
Polixene n’intervient que dans sept des vingt-cinq scènes de la pièce ; elle y prononce 395 vers, ce qui est beaucoup mais justifié par l’exposition de ses craintes, et son inexpérience diplomatique qui la pousse à trop s’avancer. Présente lors de l’exposition (ce qui permet de lui attirer la sympathie du public), elle ne paraît pas à l’acte II et ne revient qu’à la scène 5 de l’acte III, pour dissiper définitivement le quiproquo créé par Achille, et dont sa main est l’objet. L’intérêt se porte alors sur ses réactions à une situation qui confirmait ses craintes, et Polixene est plus fréquemment présente sur scène. Pour des raisons dramaturgiques évidentes, elle est absente du dénouement (qui suppose sa présence au temple).
Polixene est le seul personnage de la pièce qui marque de l’attachement pour sa patrie ; attachement compréhensible puisque le sort de Troie est en jeu. La longue tirade (I, 2, v. 129-165) qu’elle prononce en entrant en scène la désigne avant tout comme une princesse soucieuse du bien de ses concitoyens, au point de tenir pour négligeables les sentiments de son frère (v. 174-180), qui sont (il est vrai) moins honnêtes que les siens. Mais Polixene est aussi une jeune fille amoureuse. Si elle ose en faire l’aveu devant Briseis (envers qui elle a autant de confiance que de sympathie, cf. les vers 133-135), elle tempère cependant ses propos en se référant à l’autorité paternelle, qui a autorisé cet amour (v. 189-196), et en imprimant à ses préoccupations une nette hiérarchie (v. 212-213) : sa patrie et sa famille avant tout ; c’est en eux qu’elle place sa « gloire » (v. 217, 1506, 1517) ; aussi ne peut-elle se résoudre à épouser Pyrrhus (v. 204). Restée seule avec ce dernier (I, 3), elle lui tient un tout autre langage : le conflit que se livrent en elle son coeur et son devoir n’est pas clos, ce que laissait entrevoir un trait de mauvaise foi (v. 214-217) qui semblerait casuistique si l’ensemble du dessin du personnage ne le proclamait ingénu. Si son attachement aux intérêts de sa famille est grand, son amour pour Pyrrhus, dont elle avoue plus nettement la spontanéité (v. 293-300), l’empêche d’avoir pour Achille de la haine. De ces sentiments délicats, Thomas Corneille est suffisamment satisfait comme auteur pour permettre à Polixene de l’être également comme personnage (v. 318 ! ), ce qui altère malheureusement la pudeur de la princesse troyenne.
Un autre trait du caractère de Polixene est d’être craintive. La troisième scène du premier acte la montre craignant les conséquences d’un mariage avec Pyrrhus sans la moindre apparence de raison. Comme le fils d’Achille se plaint de ces « vaines terreurs » (v. 256), elle cite alors une prophétie funeste (v. 269-272) qui fait sourire le jeune homme. Selon la tradition (cf. par exemple Horace, I, 2 et V, 3), la prophétie reviendra à la fin, sous une forme condensée, (v. 1475-1476), justifier la jeune fille (qui ne croit pourtant pas si bien dire, cf. la note du vers 1476.) Cette timidité de Polixene permet à Thomas Corneille quelques belles pages (I, 3, v. 224-244 ; III, 5, v. 913-924), et lui permet surtout, de façon moins avouable, de « neutraliser » le personnage avec quelque justification : après être venue supplier Briséis, Polixene cesse toute initiative au cours de la pièce. Son rôle est d’être, ainsi que sa soeur prophétesse Cassandre, qu’elle est seule à croire, l’oiseau de malheur : ainsi, c’est elle qui apprend à Briseis et Pyrrhus la perfidie d’Achille (III, 5). En revanche, son absence sur scène tant que dure le quiproquo des actes II et III permet à Thomas Corneille de ne pas la montrer joyeuse, ni de lui faire perturber par ses craintes l’euphorie de Pyrrhus et Briseis (selon que l’on imagine qu’elle a été ou non abusée par le malentendu). Les autres personnages eux-mêmes (III, 1, v. 702-704) ignorent tout des réactions de la jeune fille.
Le patriotisme de Polixene lui joue un tour lorsque, déléguée auprès d’Achille par Pyrrhus et Briseis au nom du pouvoir qu’elle a sur lui, le héros grec la met en demeure de choisir entre son mariage et le sac de Troie (IV, 2). Elle ne peut que céder à ce chantage, au terme d’une scène qui a également mis en valeur sa faible adresse politique, due à sa probable inexpérience. Elle ne veut en effet, pour convaincre Achille, considérer que l’intérêt de son interlocuteur, et celui de Briseis. C’est précisément pour cette raison qu’Achille, plus roué, lui fait avouer qu’elle parle pour elle-même et pour Pyrrhus. Les aveux qu’elle fait alors à Achille sans forfanterie la placent en position de faiblesse.
Lorsqu’enfin Polixene se résout à se sacrifier en épousant Achille, elle se remet entre les mains des dieux (IV, 2, v. 1237-1248), non sans préfigurer ainsi les menaces plus claires encore de Briseis, et supporte l’épreuve avec fierté (V, 1, v.1422-1424) mais en jeune fille sensible : ses larmes coulent (v. 1252), et redoublent (v. 1444) lorsqu’elle subit l’épreuve de revoir Pyrrhus (V, 2). Elle donne aussitôt après un gage de dignité en demandant au jeune homme de ne plus la revoir (v. 1507-1512) ; la scène souffre cependant d’un excès de sentimentalité précieuse qui rejaillit sur la jeune fille.
Celle-ci apparaît tout au long de la pièce comme une personne modeste et réservée, si l’on fait exception des violents propos rapportés par Achille (IV, 1, v. 1078-1084) où elle le tutoie soudain et exceptionnellement (cf. la note du vers 1084), et qu’elle semble vouloir démentir par sa modération lors de la scène suivante ; son amour pour Pyrrhus s’exprime constamment par des réticences (v. 330), des euphémismes (v. 1175) et des litotes (v. 195-196, 1158, etc.), et ce n’est pas par hasard qu’elle quitte la scène définitivement lorsque son émotion ne lui permet plus de tenir un discours ordonné (V, 3, v. 1560-1564). Elle se fait parfois audacieuse pour prêcher la modération, et se reproche de ne pas rougir lorsque les circonstances l’obligent à sortir de sa réserve (301, 930). Se voyant l’objet du conflit entre Pyrrhus et Achille, elle culpabilise (III, 5, v. 892-904). C’est là la timidité d’un « jeune coeur qui n’avoit rien aimé », comme elle se définit elle-même (v. 1160). Elle témoigne avec simplicité de sa peur de l’étreinte d’un homme qu’elle n’aime pas, étreinte qu’elle désigne par des périphrases (III, 5, v. 991-996) dues à son effroi autant qu’à son ignorance de jeune fille « à l’ancienne ». Ajoutons enfin que « la triste Polixene » (v. 886), vêtue de noir en raison du deuil de ses frères morts (v. 144), associée tout au long de la pièce au thème des larmes (cf. II, 2, v. 465), ajoute à sa timidité et à ses noires visions des idées morbides. Commençant par appeler la mort de la main de Briseis dont elle s’attend à être haïe (III, 5, v. 904 et v. 1020), elle développe ensuite des envies de suicide qui demeurent latentes, car elle assimile son mariage à la mort (cf. l’ensemble de la scène 1 de l’acte V, et V, 2, v. 1455-1456). Probablement le XVIIème siècle y voyait-il l’indice d’un tempérament mélancolique. Le nôtre considérera plutôt le caractère de Polixene comme le portrait, peint avec beaucoup de justesse, d’une adolescente. Cette finesse de touche fait d’elle, malgré son relatif effacement, le personnage à coup sûr le plus touchant de la pièce.
Briseis, une femme orgueilleuse abandonnée §
Les treize scènes (sur vingt-cinq) où paraît Briseis sont réparties tout au long des cinq actes de la pièce. « L’illustre Briseis » (v. 22) est donc le principal féminin principal et, comme on va le voir, le plus prestigieux par son caractère et son implication dans l’intrigue. On peut remarquer toutefois que ses interventions se concentrent sur la fin de la tragédie : des 419 vers qui lui sont attribués (ce qui fait d’elle le personnage principal en temps de parole), 239 sont situés à partir de la deuxième moitié de l’acte IV. Elle est le seul des personnages principaux à paraître au dénouement, dont ses réactions constituent l’élément pathétique dominant.
Son statut de captive... captivante, prétexte possible à une accumulation de concetti dans le goût précieux, est en réalité fort peu exploité par le texte ; mais économie n’est pas pauvreté : les allusions qui y sont faites y gagnent un poids considérable. Le thème était inévitable lors de la présentation de Briseis par Pyrrhus (I, 1, v. 23-28) ; il ne revient véritablement que dans la bouche d’Achille, qui compte bien utiliser le statut de Briseis pour se dégager de ses serments : il le mentionne une première fois (II, 1, v. 395-396) avant d’en faire un instrument pour se débarrasser d’elle (IV, 3, v. 1289-1308). Briseis n’y fait allusion qu’en le renversant : elle voit dans son sort une continuité puisqu’elle règne (ou a régné) successivement sur ses Etats, puis sur Achille (I, 1, v. 61 ; IV, 4, v. 1391-1395). Ce nouveau règne suffit à sa gloire (I, 1, v. 60).
Dès sa première réplique, qui ouvre la pièce, Briseis paraît en effet fort satisfaite de son influence sur Achille ; une confiance qui ne cessera pas (cf. II, 2, v. 445-448 et III, 4, v. 873-877) jusqu’à ce que l’amour d’Achille pour Polixene soit connu. Pourtant les faits qu’elle expose pour justifier cette confiance (I, 1, v. 5-20) sont sujets à une double interprétation dont elle ne se doute pas — Pyrrhus non plus, il est juste de le remarquer (cf. v. 21-22 ou I, 3, v. 250-251). Dès cet instant, et plus encore dès lors que le public est assuré des sentiments d’Achille (II, 1), la confiance de Briseis est le jouet d’un dispositif d’ironie tragique qui culmine lorsque, première victime du quiproquo, croyant encore avoir de l’influence sur Achille, elle répète son erreur inconsciente (I, 1, v. 13-14) en faisant de Polixene un portrait touchant (II, 2, v. 452-469), afin d’émouvoir celui qui n’est déjà que trop ému... Elle ne comprend son erreur et n’admet son orgueil, quoique sans difficultés, que lorsque Polixene fait cesser le malentendu (III, 5, et III, 6, v. 1037-1040) ; sa réaction est alors double. D’un côté elle cède sans vanité à Polixene le titre de favorite influente (v. 1011-1012), de l’autre, toujours confiante en ses charmes, elle prétend au même pouvoir sur Agamemnon (IV, 3, v. 1277-1280 ; V, 7, v. 1733-1735), qu’elle évoque notamment pour rendre Achille jaloux. À l’en croire, Ulysse même daigne l’écouter (I, 2, v. 209).
L’orgueil de Briseis n’est pas vain, et s’accompagne de générosité. Elle n’hésite pas à mettre en jeu son pouvoir en faveur des personnes qui lui sont sympathiques : Pyrrhus, et plus encore Polixene. Elle sert véritablement d’entremetteuse entre les deux jeunes gens (I, 2) puis se fait leur ambassadrice auprès d’Achille (II, 2). Elle a pour la princesse troyenne une affection toute particulière, dont elle ne se cache nullement (I, 1, v. 64-66 ; I, 2, v. 165-166 ; II, 2, v. 481-484), de façon parfois même imprudente. Une solidarité entre vaincues est suggérée par le contexte comme étant cause de cette affection. Briseis a même fait le choix, si le cas devait se présenter, d’appuyer les voeux de Polixene plutôt que ceux de Pyrrhus (I, 1, v. 67-68).
Lorsque la trahison d’Achille lui est connue, Briseis déçue donne libre cours à sa passion, en de longues tirades de lamentation (III, 5, v. 954-966 ; IV, 3, v. 1317-1343 ; V, 7, v. 1682-1688, etc.) ou d’imprécations (IV, 3, v. 1349-1375 où elle fait même taire Achille, dont c’est pourtant une spécialité, ou encore V, 4, v. 1585-1595) qui ne sont pas pour rien dans l’importance de son rôle dans la dernière partie de la pièce. La violence de ses sentiments se traduit par un passage au tutoiement (IV, 3, v. 1349), par un recours à la prétérition (v. 1353-1359) qui laisse imaginer ce qui demeure tu, par son mépris du pouvoir politique qu’Achille lui propose de recouvrer (IV, 3, v. 1275-1288 et IV, 4, v. 1391-1394) et par les funestes conséquences de sa jalousie. Au plus haut point de sa fureur, elle se propose en effet, l’espace d’un instant, de se débarrasser de cette Polixene qu’elle aime tant (IV, 4, v. 1401) et à qui elle ne tenait jusqu’ici nulle rigueur de la situation, avant que son bon naturel ne s’effraie. En revanche, les appels aux dieux qu’elle lance contre Achille (IV, 3, v. 1366-1374 et IV, 4, v. 1409), plus précis que ceux de Polixene, peuvent être considérés comme la cause de la mort du héros. Briseis elle-même, déjà prise de remords à l’annonce du danger couru par Achille (V, 6, v. 1619-1628), nouveau témoignage de son amour, se considère comme responsable de sa mort (V, 7, v. 1670-1678), ce qui détermine sa décision de se suicider (v. 1724), qui apparaît dictée par la logique et non par des fantasmes mélancoliques comparables à ceux de Polixene — Briseis ne songe d’ailleurs pas à mourir avant d’avoir vu Achille vengé. Ainsi, ses remords fournissent une preuve supplémentaire de sa force de caractère.
Pyrrhus, sauvé par l’intertextualité §
Pyrrhus est le personnage qui figure dans le plus grand nombre de scènes (quatorze sur vingt-cinq) ; 386 vers lui échoient en partage ; c’est relativement peu, cependant Pyrrhus ne donne pas l’impression d’un personnage effacé, justement peut-être parce qu’il demeure en scène, passif. Présent tout au long des actes I et III, apparaissant alors comme le protagoniste de la pièce, il est absent de l’acte IV, où l’intérêt se déplace sur les personnages féminins. Cette absence, on va le voir, lui est en quelque sorte fatale.
Amoureux ardent (III, 2, v. 737-742), galant (I, 1, v. 74-83) et prompt à se désespérer (I, 3, v. 279-288), Pyrrhus paraît bouillant (III, 2, v. 769-779) mais il est encore peu glorieux du point de vue militaire, puisqu’il doit sa rencontre avec Polixene à une captivité chez les Troyens. Il témoigne bien ainsi de son jeune âge, qui répond à celui de Polixene, et apparaît entre tous les personnages comme celui qui témoigne le plus de l’influence de la préciosité ; de l’amant parfait et romanesque il a (du moins au début de la pièce) l’attitude, et les métaphores (cf. v. 75-76).
Victime du quiproquo des actes II et III, Pyrrhus laisse éclater sa joie avec autant de volubilité (II, 4, v. 597-614 ; III, 1, v. 708-717) que plus tard son désespoir. Ce dernier le laisse finalement abattu, nouvelle preuve d’une jeunesse qui confine à l’immaturité. Apprenant qu’il a un rival, il profère des menaces sanglantes (III, 2, v. 769-779) sans trop savoir envers qui, et formule des conjectures quelque peu hâtives (III, 4, v. 863-871). Mais cette fureur plie devant la contrariété de son père (III, 2, v. 806-808), et n’est relancée qu’un instant (III, 3, où fidèle à sa légende Pyrrhus se montre féroce...en intentions) avant qu’il ne se perde en hésitations (les vers 857-860 contredisent les vers 878-888) pour finalement céder (III, 5, v. 967-976) et s’en remettre à Polixene (v. 997-1008) avant de disparaître pendant plus d’un acte ; si l’on peut supposer qu’il applique les conseils de Briseis (v. 1045-1046), rien ne nous en assure ; et nous ne le voyons pas chercher seulement une méthode plus douce de parvenir à ses fins — il ne semble pas concevoir d’alternative entre le parricide et l’immobilité. Le bouillant Pyrrhus paraît alors quelque peu fier-à-bras, et suffisamment pusillanime pour faire des reproches (III, 5, v. 905-912) à la malheureuse Polixene venue se confondre en excuses. On pourrait trouver là une occasion de douter de son amour.
Son retour sur scène (V, 2-5) n’améliore guère son image. Importun à la jeune fille, qui ne le laisse pas ignorer (V, 2, v. 1442-1444), il décrète la légitimité de l’entrevue (v. 1445-1446) et ne songera pas un instant à quitter la scène, bien que Polixene lui répète sa douleur de le voir (v. 1509-1510), lui demande instamment de se retirer (v. 1519-1520) et en vienne à la supplication (v. 1532). Au demeurant Pyrrhus n’a aucune proposition à faire à la jeune fille et ne reste sur scène que pour se plaindre et se proposer de mourir. Briseis survenant, il entame avec elle une conversation qui finit par faire fuir une Polixene au discours troublé (v. 1560-1564). Mais ses plaintes ne cessent pas pour autant ; nous y apprenons qu’il partage le fantasme cauchemardesque de la jeune fille (v. 1567-1568). Pyrrhus semble aimer tellement à se plaindre que, venu faire ses adieux (puisqu’il se prépare à mourir, v. 1445-1452), il se lamente que Polixene le prenne au mot (v. 1509 et 1525-1531) ! Comme son père, il excelle à faire parler les autres : Polixene intervient plus que lui dans cette scène, et il obtient d’elle un nouvel aveu d’amour. Il est difficile à ce moment de se défendre d’une certaine antipathie pour Pyrrhus, qui apparaît au bout du compte comme un blanc-bec dénué de délicatesse. Comme jeune premier, Pyrrhus est une catastrophe.
Faut-il voir là un échec de Thomas Corneille ? Le cas de Pyrrhus est aggravé par sa relative inutilité à l’action : il semble n’être là que pour se plaindre, et fournir à Achille une préoccupation supplémentaire. Une tragédie exclusivement centrée sur le triangle Achille-Briseis-Polixene pourrait reproduire sans trop de difficultés la conduite de l’action de La Mort d’Achille. On peut même s’étonner que notre auteur, qui a su donner à Briseis une implication dans l’action qu’elle n’avait pas chez Benserade (où son rôle était décoratif), soit tombé dans le même travers en introduisant Pyrrhus. On peut cependant donner de ce dernier personnage une lecture plus à l’honneur de son auteur, mais dont la légitimité n’est pas évidente. Il est remarquable que la dernière action de Pyrrhus soit de voler au secours de son père ; ce respect filial est d’un brave jeune homme, mais à nos yeux cet acte ultime rapproche Pyrrhus d’Achille aux dépens de Polixene. Il est remarquable que le catalogue commenté de la Petite Bibliothèque des Théâtres résume ainsi cette scène (de façon légèrement inexacte) : « Pyrrhus oublie son amour, et ne songe plus qu’à déplorer la mort de son pere. »51 Cette phrase, qui relève de l’interprétation et contredit le vers 1649, décrit bien cependant l’ambiguïté symbolique de ce départ précipité de scène. Ce lien entre Achille et Pyrrhus est renforcé par une possible lecture ironique des serments multipliés par le jeune homme : serments de mourir (v. 1450-1452, 1525-1529, 1544-1548) et de ne jamais oublier Polixene (v. 1493-1494 — avec un reproche pour elle ! —, 1541-1542). Or quiconque a un vague souvenir d’Andromaque sait pertinemment que Pyrrhus s’en est tiré, et que sa vie sentimentale n’a pas pris fin devant les remparts d’Ilion ! Une objection forte à cet argument est le peu de souci que les auteurs du dix-septième siècle avaient d’être cohérents entre eux : sacrifiant à leur art aussi bien la fable que l’histoire, ils ne se souciaient même guère de ne pas se contredire eux-mêmes : concilier les données de Pyrrhus, roi d’Epire et de La Mort d’Achille relèverait de l’acrobatie. Cependant la renommée de la tragédie de Racine, et surtout son influence sur celle de Thomas Corneille, peuvent laisser supposer que ce dernier ait voulu que le public voie dans Pyrrhus le digne fils de son père : lui aussi aimera volontiers ses captives...
Achille, ou le refus de la bienséance §
Les apparitions d’Achille sont scrupuleusement ménagées par Thomas Corneille : absent du premier acte (afin que ses intentions excitent la curiosité) ainsi que du dernier (qui réclame sa présence au temple), il est présent sur scène tout au long du second (où des entretiens avec Briseis et Pyrrhus alternent avec les réflexions qu’il livre à Alcime), et dans les trois premières scènes (sur quatre) du quatrième. Il fait au troisième acte une seule apparition (scène 2), où il lève une part du quiproquo qu’il a déclenché. Au total, Achille se voit attribuer neuf scènes et 377 vers, ce qui est modeste. Mais il est à n’en pas douter le personnage principal : l’intrigue est suspendue à ses décisions, et en son absence les autres personnages s’interrogent sur ses intentions ou commentent ses actions. On peut dire en simplifiant exagérément les données qu’Achille est présent sur scène un acte sur deux, pour mieux laisser l’autre à son ombre. Lorsqu’il ne s’y trouve pas en personne, le spectre d’Achille hante la scène.
Quelle que soit la valeur qu’ils accordent à la pièce, les commentateurs de La Mort d’Achille s’accordent pour rejeter le personnage. Ainsi Gustave Reynier se désole : « On a souvent reproché à Racine d’avoir montré dans son Iphigénie un Achille trop doucereux : que dirait-on de l’Achille de notre poète, galant insupportable, très fat et très inconstant, qui paraît n’avoir d’autre souci que de passer sans cesse de la brune à la blonde et qui s’entend mieux que personne à se délivrer des femmes qui l’aiment trop ! La veille de sa mort, il est encore tout occupé à donner son congé à une vieille maîtresse, qui est Briséis, pour faire place à une nouvelle conquête, qui est Polyxène, fille de Priam ! Que devient l’Iliade en cette affaire ? »52 Certes notre Achille n’est pas celui d’Homère, mais il est assez proche de celui de Dictys (source que Reynier semble ignorer), dont la conduite est blâmée par ses alliés. Nous ne songerions pas cependant à le qualifier de « galant », attendu qu’il ne cherche guère à séduire Polixene, dont l’amour lui paraît dû (II, 1, v. 425-428). Si la première réplique qu’il lui adresse (IV, 2, v. 1097-1112) contient quelques compliments, elle témoigne aussi de l’espérance confiante d’un amour né de l’estime, et surtout elle vient après que le mariage a déjà été négocié ! Enfin l’emploi du temps d’Achille à la veille de sa mort ne saurait lui être reproché, car enfin il ignore qu’il va mourir ! Son inconstance, en revanche, n’est évidemment pas douteuse.
David A. Collins53 voit dans le personnage d’Achille une tentative de créer un héros cornélien (c’est à dire « unfaltering, willful, uncompromising »: assuré, volontaire, intransigeant) doté de passions raciniennes, tentative soldée par un échec : en définitive, Achille n’est « ni assez vicieux pour être un méchant de bonne foi, ni suffisamment admirable pour être un héros sympathique » (« not evil enough to be a bona fide villain nor sufficiently admirable to be a sympathetic hero »). Il note que chaque décision d’Achille semble relever d’une volonté de puissance, et que sa mort soulage le spectateur, ce qui est parfaitement exact. H.C. Lancaster, quant à lui, s’efforce de demeurer objectif et descriptif et remarque simplement qu’il est « un guerrier brutal et déterminé (...), prompt à accuser le Destin de ses propres erreurs » (« a determined and brutal warrior (...) quick to blame Fate for his own errors » ), pour regretter le peu d’importance accordée à son dilemme.
Il nous semble que Collins remarque avec pertinence le caractère inclassable du personnage, mais qu’il le juge suivant des concepts ne permettant pas d’apprécier son originalité. Achille n’est manifestement pas un héros au sens cornélien du terme ; ses actions sont entièrement motivées par son égoïsme : il sacrifie au sien propre le bonheur des trois autres personnages. Il est même parfaitement loisible de le considérer comme absolument antipathique. Collins nous semble aveuglé, à ce stade, par le concept de « villain », hérité du théâtre anglais élizabéthain ou jacobéen, mais inopérant vis-à-vis du théâtre français classique. Achille nous apparaît comme un personnage original et cohérent, mais inacceptable pour le public du XVIIème siècle, et donc éminemment condamnable pour une critique qui a intériorisé les règles du classicisme.
Force physique et faiblesse morale : le héros paradoxal §
Horace nous recommande de dépeindre Achille farouche, inexorable, violent, tel qu’il était, et tel qu’on dépeint son fils54.
Achille livre lui-même au spectateur, dans la première scène du quatrième acte, le dessein général de son personnage tel que Thomas Corneille l’a conçu :
Les Dieux m’ont fait un corps au fer impénétrable,Aucuns dards, aucuns traits ne le peuvent percer,Falloit-il que mon coeur fust facile à blesser,Et qu’à mes passions mon ame abandonnée,Par leurs moindres efforts fust toûjours entraisnée. (v. 1090-1094)
Achille physiquement invulnérable et moralement le plus fragile des hommes : quel personnage et quel sujet !
Sa valeur militaire n’est à aucun moment mise en doute : il est le principal soldat des Grecs, il a tué Hector, son double troyen, et sa mort rend l’espoir à la cité phrygienne. Achille entre sur scène tout auréolé de prestige, aux yeux des spectateurs comme aux yeux des autres personnages. Il est sans cesse question de sa « gloire » (vers 346, 426, 641, 654, 658, 834, 963, 1019, etc.), à laquelle, selon les autres personnages, s’opposent ses agissements présents. De fait, Achille, loin du courage, de la constance, et de la générosité attendus d’un héros tel que lui, se montre dès son entrée en scène infidèle, au point, tel un nouvel Hylas, ou plus encore peut-être un nouvel Alidor (cf. le vers 404 et la note 262), de s’ériger en théoricien de l’inconstance (v. 405-420), égoïste (v. 394) d’autant plus que politiquement son dilemme est neutre : l’intérêt général n’est pas un élément de sa décision d’épouser lui-même Polixene – et face à Briseis d’une lâcheté étonnante (v. 441-444) qui le conduira à déclencher le quiproquo sur ses intentions. De cette lâcheté, la meilleure preuve est son silence face à ses victimes : fort disert pour commenter son sort ou dans ses interrogations, Achille est laconique en face des autres personnages. Près des deux tiers de son rôle (243 vers sur 377) sont concentrés dans le deuxième acte, où son désarroi éclate auprès de son confident Alcime. Il laisse ensuite parler les autres, qu’il n’interrompt que de quelques vers secs ou ambigus. L’acte II comporte en effet trois longues scènes délibératives, où son dialogue avec Alcime est en fait un monologue dissimulé, qui décrit longuement son dilemme moral : Achille n’est pas un personnage monolithique. Lorsqu’il se méprend en toute bonne foi sur les sentiments de Polixene (v. 433-440), lorsque malgré son refus des règles de la séduction il laisse échapper un soupir passionné à l’approche de la jeune fille (v. 1096), il est véritablement touchant, en tant qu’amant sincèrement passionné. Mais ses dilemmes le font pencher du mauvais côté, jusqu’à l’expression d’une cruauté authentique (v. 537). Pour le public du dix-septième siècle, c’en était trop.
En effet, sommés de choisir leurs sujets dans l’Histoire ou la Fable, les auteurs tragiques de l’époque ne disposaient pas de plus de liberté dans la peinture de leurs personnages : ils étaient bornés par la vraisemblance et la bienséance.
Un personnage qui choque la bienséance §
La notion de bienséance est habituellement perçue comme se référant à un code de « bonne conduite » des auteurs, recommandant notamment d’éviter les sujets scabreux ou de ne pas présenter de meurtre sur la scène. Il s’agit en fait d’une notion bien plus générale, liée étroitement à la notion de vraisemblance. Car après tout, s’il est rare qu’une jeune fille du théâtre classique déclare sa flamme la première à l’élu de son cœur, ce dernier y est en revanche invité ; c’est même à cela qu’on le reconnaît. La même bienséance le défend à l’une, le demande à l’autre. La bienséance consiste à répondre au comportement attendu du personnage tel qu’il a été introduit : un prêtre païen (Mathan dans Athalie) pourra se montrer corrompu et hypocrite, puisqu’il défend une religion fausse, un prêtre de la Sainte Eglise (ou de l’Israël d’avant le Christ, comme Joad dans Athalie) sera fatalement vertueux. Ce sont pourtant deux prêtres : mais la typologie, stricte, n’ignore pas la finesse.
Or les personnages historiques de la tragédie apportent avec eux sur scène toute une tradition les concernant, et qui leur tient lieu d’introduction55. Le personnage doit se montrer semblable à cette tradition, comme on dit d’un portrait qu’il est ressemblant. Lorsque Boileau, réclamant de la concision dans l’exposition, déclare préférer à la limite que le personnage : « déclinât son nom / Et dît : « Je suis Oreste, ou bien Agamemnon »56, » il ne plaisante qu’à moitié : le spectateur est censé savoir, par exemple, qu’Oreste est audacieux, parricide, et promis à la folie.
Or il se trouve qu’Achille est précisément le personnage qu’Horace a utilisé dans son Art poétique pour expliquer cette convenance obligatoire des mœurs du personnage de théâtre avec ce que la tradition enseigne de lui ; et qu’à sa suite, Racine (dans la première préface d’Andromaque) et Corneille (dans le Discours de l’utilité et des parties du poème dramatique) ont traduit et repris l’exemple. Achille est donc le personnage par excellence dont il fallait respecter le caractère ainsi résumé : farouche, inexorable, violent, iracundus, inexorabilis, acer.
Farouche, inexorable et violent, l’Achille de Thomas Corneille l’est sans aucun doute. Mais sa violence n’est pas la violence directe, physique, que l’on attend de lui : c’est une violence morale, assez perverse, qui entre en contradiction avec son image de grand guerrier. « Qui peindrait Ulysse en grand guerrier, ou Achille en grand discoureur, ou Médée en femme fort soumise, s’exposerait à la risée publique », estime Pierre Corneille57. Son frère n’a pas fait un Achille discoureur (comme on a pu le reprocher à celui de Racine), mais un Achille lâche et pervers, ce qui est pire peut-être.
Même en faisant abstraction de la convenance individuelle du caractère d’Achille, le personnage choque la bienséance la plus élémentaire. Achille est roi, mais un roi absolument dépourvu des vertus royales (équité, prudence, etc.). Il n’est bien entendu pas impossible de présenter sur la scène classique un roi qui ne soit pas vertueux ; mais les rois ne peuvent être méchants, quand bien même l’Histoire nous en assurerait, que s’ils sont illégitimes, comme le Néron de Britannicus. Fort soucieux lui-même de cette règle quinze ans avant La Mort d’Achille, Thomas Corneille ne s’était cru autorisé à présenter l’empereur Commode tel que l’Histoire nous l’a légué (c’est à dire monstrueux) qu’au prix d’un raisonnement démontrant à toute force son illégitimité, selon des critères anachroniques faisant intervenir la loi salique :
C’est le sang de Faustine & non d’vn Empereur,Et par cent lâchetez l’abus de sa puissanceNe le conuainc que trop d’vne fausse naissance. (La Mort de Commode, V, 6)
Or Achille est un roi parfaitement légitime, et sa conduite sur scène en devient hautement scandaleuse : comment prétendre, sous le règne de Louis XIV, que l’on puisse être roi légitime et méchant homme ?
Au bout du compte, Gustave Reynier regrettant l’Achille de l’Iliade réagit en spectateur du dix-septième siècle, même si Thomas Corneille pouvait se prévaloir d’une autre tradition, celle qui part des légendes sur la jeunesse d’Achille (qui se cacha parmi des jeunes filles pour fuir la guerre), se perpétue dans les récits de Dictys et Darès, et aboutit au formidablement insolent Troïlus et Cressida de Shakespeare. Malheureusement pour lui, cette tradition avait perdu droit de cité, en 1673 et pour longtemps.
Thomas Corneille critique des valeurs héroïques ? §
Le sujet de La Mort d’Achille tel que nous l’avons exposé plus haut présente donc cette particularité d’être irrecevable pour le théâtre classique ; notre époque, qui reconnaît en Achille un personnage de légende, et dans les monarques des êtres faillibles, ne peut en revanche que le trouver légitime. Mais Thomas Corneille n’est pas de notre époque. S’agit-il de sa part d’une profonde maladresse heureusement réparée par le cours de l’histoire, ou d’une tentative délibérée de s’émanciper des valeurs héroïques qui imprègnent la tragédie classique ?
Helen Harrison, dans un article centré sur Ariane58, mais qui tient compte de La Mort d’Achille, estime que Thomas Corneille, dans ses tragédies des années 1670, a entrepris une démolition systématique de l’héroïsme traditionnel, et de la galanterie précieuse, qu’elle considère comme son pendant (le héros règne sur le monde, l’héroïne règne sur le héros, d’où son prestige — ce que le cas de Briseis vérifie assez bien). Sa démonstration tendant à faire d’Ariane elle-même un personnage antipathique, qui tyrannise Thésée par ses exigences fondées sur le mythe précieux de l’amour par reconnaissance, dépasse probablement les intentions de Thomas. Il n’en reste pas moins qu’avec Thésée, celui-ci a présenté un héros, à la valeur reconnue, mais dont le prestige est diminué par sa dette envers Ariane, et qui surtout la trahit en confiant les basses oeuvres à des tiers (Pirithoüs et OEnarus). Ariane fut acceptée, et triompha même, parce que la convenance historique de Thésée se prêtait à une telle insolence (le héros athénien est connu notamment pour sa carrière de séducteur, et sa trahison envers Ariane n’est pas un fait inventé par Thomas Corneille, contrairement à celle d’Achille envers son fils), et parce que le personnage central de la pièce, Ariane elle-même, concentrant sur sa personne tout le pathétique de la situation, fit verser des larmes justifiées à un public peu soucieux de Thésée. Avec Achille, Thomas s’attaquait frontalement à une statue qui offrait moins de failles ; il échoua.
Il est douteux que l’on puisse observer chez Thomas une remise en question idéologique radicale (que Helen Harrison justifie de façon peu convaincante par la difficulté qu’il y aurait eu à vanter les héros de légende face au héros officiel qu’était Louis XIV) ; cependant, sa recherche, à la suite de Racine, de sujets permettant de dépeindre avec une vraisemblance nouvelle les faiblesses du coeur humain, l’a probablement amené à rejeter, très consciemment sans doute, les exigences d’exemplarité héroïque posées par l’esthétique de son époque. Il est logique que cet auteur persévérant de tragédies galantes (qu’elles soient plutôt romanesques ou plutôt raciniennes) ait voulu considérer les hommes plutôt que les héros, et remarquable qu’avec La Mort d’Achille il ait osé pousser cette audace dans ses dernières conséquences.
Une tragédie galante aux accents raciniens §
Nous pensons avoir démontré plus haut ce que l’intrigue de La Mort d’Achille doit à l’influence de Racine. L’affinité de la pièce de Thomas Corneille avec les oeuvres de Racine nous semble aller plus loin encore, et justifier qu’on la place, avec Ariane et Essex, au rang des « tragédies raciniennes » de notre auteur, si l’on veut bien entendre par là, non pas le pastiche ou la soumission impersonnelle à l’oeuvre d’un autre, mais l’adoption de solutions dramaturgiques qui permettaient à Thomas de renouveler l’expression de ses préoccupations d’auteur.
Inertie de l’élément politique : une tragédie galante §
L’appréciation de Gustave Reynier, qui voit en Achille « la plus romanesque et la plus fausse » des tragédies de Thomas Corneille59, et l’oppose à la réussite racinienne d’Ariane, est pour le moins surprenante. L’accusation de fausseté mérite au moins l’examen ; mais il est permis de se demander ce que Reynier a pu trouver de romanesque dans La Mort d’Achille qui nous semble au contraire, après la parenthèse de Théodat, renouer avec la veine racinienne de son auteur60. Non d’ailleurs que le romanesque soit fatalement un défaut ; mais nous pouvons nous passer de résoudre cette question. Nulle trace ici des éléments que Reynier reproche aux « tragédies romanesques » : aucun roi débonnaire, nulle apparence de sujet dévoué et prêt au sacrifice, pas l’ombre d’un traître ambitieux. Si la tragédie est galante, le discours des amants n’est pas débordé par la rhétorique précieuse (bien qu’elle y trouve sa place) : les douleurs de Briseis abandonnée ne sont pas sans fondement ; loin de ménager une gloire toute personnelle, Polixene est toute dévouée à sa patrie, sentiment fort naturel en temps de guerre ; que dire d’Achille, qui s’estime dispensé d’avoir à faire la cour à sa bien-aimée car
... pour le mériter [son coeur] le nom d’Achille est tout ! (II, 1, v. 428)
La seule scène qui nous semble céder à la préciosité est la deuxième du cinquième acte, où Pyrrhus, venu faire ses adieux à Polyxène, lui tient un discours dont la cohérence est sacrifiée au pathétique, et dont l’absence d’enjeu ralentit le dénouement.
Enfin les caractéristiques qui définissent l’action de la « tragédie romanesque » selon Reynier sont totalement absentes de La Mort d’Achille. Sans atteindre la simplicité extrême de la Bérénice de Racine, l’intrigue en est limpide : Achille impose son mariage à ses proches et à sa fiancée elle-même. Les espérances des autres personnages, relativement diverses, ne sont là que pour être contrariées. Qu’Achille les trompe un moment (ce qui, avec le dénouement, constitue la seule véritable péripétie au sens de Jacques Scherer61) est précisément ce qui les empêche de réagir quand il en est temps encore, et leurs ambassades sont sans effets. Où sont les déguisements, les substitutions d’identités, les batailles perdues ou gagnées, les séditions populaires du cinquième acte (à moins de considérer Paris comme une sédition populaire à lui tout seul), les révélations oedipiennes qui justifieraient l’épithète de « romanesque » ? Il ne fait aucun doute pourtant que Gustave Reynier ait lu la pièce : sa condamnation du personnage d’Achille (voir ci-dessus) le démontre. Qu’il n’ait pas su y voir un exemple de ces « tragédies raciniennes » qui sont ses préférées entre celles de Thomas Corneille n’en est que plus mystérieux.
Si La Mort d’Achille n’est pas une tragédie romanesque, il s’agit sans contestation possible d’une tragédie galante : à la tragédie soumise aux intérêts d’Etat que prône son frère, Thomas préfère une esthétique où les sentiments amoureux occupent le premier plan.
La politique est dans La Mort d’Achille un élément strictement inerte, qui dépend entièrement de l’économie des passions. Si à la fin de la pièce, le spectateur a la certitude que le conflit va reprendre, c’est que la mort d’Achille a bouleversé les rapports des deux camps : les Grecs tiennent un nouveau casus belli puisque le héros a péri sous les coups d’un Troyen, et les Troyens eux-mêmes recouvrent quelque espoir après la disparition de leur adversaire le plus dangereux (v. 1664). Mais ce bouleversement politique n’est que potentiel, presque sous-entendu, et postérieur à la fin de la pièce. Enfin son élément déclencheur a des causes purement passionnelles : la douleur de Paris, et la jalousie de Briseis, elle-même causée par l’amour d’Achille pour Polixene. On peut même considérer que l’amour, qui fait agir les quatre personnages principaux, les empêche de considérer que l’autre terme de l’accord (l’obligation pour les Troyens de rendre Hélène) n’est pas tenable, les aveugle sur la situation politique réelle, et les fait agir sans en tenir compte.
Au cours de l’action elle-même, la situation politique n’évolue pas. Le premier acte nous apprend que le motif secondaire d’inimitié entre les deux camps est apaisé : après avoir vengé Patrocle, Achille a rendu les honneurs funèbres à Hector. Le deuxième acte, achevant l’exposition, confirme qu’Achille est favorable à la paix. Dès lors, la situation politique est bloquée : le dilemme d’Achille (épouser Polixene, ou la céder à Pyrrhus) présente deux issues également favorables à la conclusion d’un traité, puisque le mariage de Polixene avec un Grec du sang d’Achille est assuré. Le poids de la politique dans son choix est donc nul : le problème d’Achille est purement sentimental (et moral dans la mesure où il met en jeu sa fibre paternelle). Les actions des personnages pourraient avoir des conséquences politiques (mais la pièce infirme toujours cette possibilité62), la situation politique n’en a aucune sur leurs actions. Le seul personnage qui échappe à ce schéma est Polixene ; mais précisément Polixene, paralysée par la prophétie de Cassandre, n’agit pas, sauf lorsqu’elle tente (IV, 2) une ambassade auprès d’Achille, au succès de laquelle elle ne croit probablement guère (III, 5, v. 953 et, de façon moins marquée, v. 1015-1020). Le choix de la Guerre de Troie comme arrière-plan de la pièce n’est d’ailleurs pas innocent : c’est un conflit basé sur un rapt amoureux. Thomas Corneille présente un monde où la politique est la continuation de l’amour, par d’autres moyens. La valorisation de la grandeur en soi d’une dynastie ou d’un Etat est totalement étrangère à son propos – d’ailleurs Briseis, qui pourrait prétendre recouvrer le trône qui lui fut ôté, méprise absolument le pouvoir politique (IV, 4, v. 1391-1394)63. Peut-être cette idée est-elle romanesque (c’est elle qui sous-tend Timocrate) – mais elle n’est pas étrangère à Racine : l’ambassade confiée à Oreste dans Andromaque lui est un pur prétexte à la reconquête d’Hermione, et Pyrrhus, dans cette même pièce, se déclare prêt à relever la grandeur de Troie pour plaire à Andromaque (I, 4, v. 329-332) !
En effet, si toute tragédie galante n’est pas racinienne (tant s’en faut), les tragédies de Racine sont galantes à bien des égards, même si l’auteur de Britannicus, afin de pouvoir sérieusement prétendre se mesurer au grand Corneille, néglige moins l’élément politique que ne le fait Thomas, qui peine à montrer un monde gouverné par l’intimité des personnages. Il lui manque, pour rejoindre tout à fait Racine, d’avoir donné des conséquences politiques au dilemme d’Achille ; l’intuition de la soumission de la politique aux passions n’est exprimée dans Achille que de façon négative, en creux, sauf peut-être dans la renonciation de Briseis au pouvoir politique (v. 1391), qui constituerait, du point de vue de ses sujets, un acte de haute trahison digne du Pyrrhus d’Andromaque. En revanche, Thomas rejoint Racine en présentant des personnages dont l’égarement passionnel est la cause des malheurs : Achille valeureux mais inconstant et poussé par l’amour jusqu’à la cruauté, mais aussi Briseis, capable de souhaiter par jalousie la mort de ceux qu’elle chérit (Achille, Polixene), voire Polixene elle-même, qui fait bon marché des sentiments de son frère, provoquent leurs propres souffrances.
De l’extrême joie à l’extrême malheur : une tragédie de la désillusion §
Dans la préface de Bérénice, Racine proposait aux auteurs de tragédie un nouveau défi : faire « quelque chose de rien »64. Thomas Corneille semble avoir, sinon fait sien ce projet, du moins l’avoir placé à l’horizon de son propre travail, en écrivant Ariane et La Mort d’Achille. L’action de cette dernière pièce est en effet toute simple, et la matière en est tirée, à l’exemple de Bérénice mais aussi des plus anciennes tragédies françaises, jusqu’au Pyrame et Thisbé de Théophile de Viau, de l’expression des sentiments des personnages.
Dramaturgie de la réjouissance et de la déploration §
La première marque de cette dominante expressive se trouve dans les incipit des scènes, qui expriment généralement la réaction d’un personnage à la situation, réaction toujours violente, soit dans l’espoir, soit dans le désespoir. À l’exception des trois dernières scènes du troisième acte (encore que le cas de III, 5 soit ambigu), et de la toute dernière du cinquième acte, les deux premiers vers de chaque scène comportent toujours, soit une indication affective (c’est nous qui la soulignons, le cas échéant) :
Ne vous étonnez point si dans nostre infortune... (I, 2)Helas ! que luy demandez-vous ?Tremblez, Prince, tremblez au nom de Polixene... (I, 3)Seigneur, de mon amour ne blâmez point l’audaceS’il vient vous demander une nouvelle grace. (II, 2)L’as-tu bien entenduë, & conçois tu ma peine... (II, 3)Seigneur, Briseis vient de me faire sçavoirL’appuy que vos bontez prestent à mon espoir... (II, 4)Ah, de tous les malheurs le dernier & le pire ! (II, 5)
...soit du moins un terme invitant l’interlocuteur à manifester sa joie ou sa peine :
Prince, n’en doutez point, je l’obtiendray d’Achille. (I, 1)Ce triomphe à tout autre eust esté difficile. (II, 1)
Et ainsi de suite. Fidèle à son ambiguïté permanente, Achille attaque la scène 2 de l’acte IV par un vers du même ordre, mais qui concerne les sentiments de Polixene et se refuse à les énoncer clairement :
Madame, dans vos yeux je lis ce qui se passe...
Il est remarquable, à l’intérieur même de cette recherche systématique d’expressivité, que les quatre premiers actes commencent tous par une manifestation de joie (automatiquement frappée d’ironie), et que seul le cinquième, à l’approche du dénouement, fasse exception. Ainsi l’expression des sentiments se trouve prise dans un mouvement, celui de la désillusion des protagonistes, qui donne à la pièce un mouvement tragique minimal (au sens où l’épuisement des espoirs dans Bérénice est tragique), avant que l’action ne s’achève dans le sang.
L’intérieur des scènes répond évidemment à cette préparation systématique : craintes de Polixene, joie et désespoir de Pyrrhus, imprécations de Briseis culminent dans de véritables concours de lamentations (cf. III, 5, v. 980 et V, 4, v. 1577-1578). L’impuissance des personnages, condamnés à subir les initiatives d’Achille, fait de leurs lamentations, qui confinent parfois à l’élégie (chez la Briseis désabusée de l’acte IV ou dans les adieux des amants en V, 2) le ressort pathétique principal de La Mort d’Achille.
Une écriture qui cherche son souffle §
Pour qu’on pût raisonnablement comparer Achille aux pièces de Racine, il faudrait que le style de Thomas Corneille approchât de la force, dramatique ou élégiaque, de celui de l’auteur de Bérénice. Cela n’est pas raisonnablement possible, même si la Mort d’Achille est une preuve, parmi d’autres, de l’injustice faite à un auteur trop souvent accusé de galimatias (insulte passe-partout s’il en fut).
Remarquons à son actif l’habileté des dialogues à double entente, que celle-ci soit volontaire ou non de la part des personnages ; en effet, si Achille excelle dans l’art de tromper son monde, c’est également un discours à double sens qui fait de Polixene la prophète inconsciente de son propre sort (V, 2, v. 1475-1478). Nous sommes ici aux antipodes de tout galimatias : car les différents sens possibles d’une même phrase sont dans chaque cas très clairs. La musicalité et la finesse rhétorique de certains vers permettent de décerner à leur auteur le titre de véritable poète dramatique :
C’est le mesme, il est vray, mais les temps ont changé. (v. 204)Aimez-moy toûjours, Prince, & ne me parlez plus. (v. 1532)
nous ravissent. Les mouvements intérieurs des personnages sont dépeints avec force (voir les fulgurances épiques des angoisses de Polixene), leurs rapports avec finesse : Thomas reprend à Racine le passage au tutoiement au paroxysme de la tension dramatique ; c’est ainsi que Briseis tutoie Achille à partir du vers 1349 (IV, 3), ce que ne se permet jamais la timide Polixene.
Cependant il faut admettre que Thomas Corneille ne parvient pas, peut-être par souci de conserver à La Mort d’Achille la dignité de la tragédie et la rigueur dramatique, à égaler les vertigineux vers élégiaques de Phèdre ou de Bérénice. Aucun vers de La Mort d’Achille ne nous semble atteindre à la profondeur de « Dieux ! que ne suis-je assise à l’ombre des forêts ! »65, parce que la forêt, motif concret et objet de fantasme, n’est pas nommable dans le digne et resserré vocabulaire de La Mort d’Achille (probablement plus restreint encore que celui de Racine, dont c’est pourtant un des titres de gloire), ou de « Je demeurai longtemps errant dans Césarée »66 ou « La fille de Minos et de Pasiphaé »67, parce que les noms propres sont chez Thomas Corneille les vecteurs de l’esquisse d’un contexte, et d’un effet de reconnaissance culturelle, mais non pas la clef musicale de la mémoire des personnages.
Il est plus regrettable encore, car il s’agit d’un véritable défaut et non d’un manque d’attraits par comparaison, que Thomas Corneille, dans sa recherche d’un moyen terme entre la rhétorique implacable de son frère et la souplesse du dialogue racinien, ne parvienne pas à trouver à son écriture un souffle propre. Ses tirades, dans cette pièce où les répliques sont souvent fort longues, manquent de la construction rigoureuse, basée sur l’emploi du quatrain, de celles de l’auteur d’Horace. Thomas devait être conscient de ce défaut : on constate, au fil des éditions successives de la pièce, et particulièrement en 1692, un durcissement de la ponctuation destiné à renforcer la structure de nombreuses tirades ; mais il arrive à Thomas d’exagérer dans cette direction, et de tomber dans l’excès inverse : ainsi les vers 153-162 représentent deux phrases en 1676 (c’est assez peu) et six en 1692 (c’est trop) ! Les passages, en revanche, où le dialogue se presse, où les vers se coupent, ceux mêmes au sein de développements plus longs où les sentiments du locuteur se bousculent, n’ont pas la souplesse frémissante de la prosodie racinienne.
En somme, Thomas Corneille se montre le digne disciple de Racine ; s’il le copie, c’est pour l’avoir intimement compris : tous deux cherchent l’homme derrière le personnage, la contradiction intime et non la vraisemblance égale à elle-même. Sa personnalité se révèle suffisamment d’ailleurs par la cohérence thématique de la pièce avec ses oeuvres précédentes : Timocrate (les amants ennemis), Antiochus (la rivalité père-fils), Ariane (la solitude de la femme abandonnée par un héros antipathique). Ne nous cachons point cependant qu’il n’a pas aussi bien réussi que son modèle à trouver à son propos une forme dramatique satisfaisante : bloquant la situation politique, il ne manque pas de valoriser la prééminence des passions, mais échoue à montrer leur rôle moteur autrement que par les vaines résolutions de Pyrrhus et Briseis, et in fine par le geste de Paris. Achille menace bien (IV, 2, v.1228-1230 — une autre menace est désamorcée, car son aboutissement est connu, en III, 5, v. 948-950) de reprendre le combat s’il ne peut épouser Polixene ; mais le spectateur n’a pas le moindre doute à ce sujet : Priam et Polixene céderont au chantage.
L’échec public de la Mort d’Achille, à laquelle il ne manque peut-être que plus d’équilibre dramaturgique, ou l’intensité pathétique d’Ariane, rend plus sensible encore, peut-être, le coup de force que représente le théâtre racinien
Postérité et influence de La Mort d’Achille §
Influence immédiate de La Mort d’Achille §
Malgré son échec, il semble bien que La Mort d’Achille ait intéressé au moins certains confrères de Thomas Corneille, et Racine lui-même en tout premier lieu. Le monstre marin, appelé par les malédictions de Thésée, qui fait périr Hippolyte au cinquième acte de Phèdre (1677) n’est pas sans rappeler, on l’a vu, l’irruption de Paris qui tue Achille en réponse aux voeux de Briseis. Si par ailleurs l’usage du deus ex machina est plus explicite dans Phèdre que dans Achille, il s’appuie sur les circonstances légendaires de la mort d’Hippolyte.
Mais dès l’année qui suivit la création de La Mort d’Achille, Racine s’empara à son tour de ce héros, qui est un des personnages principaux d’Iphigénie. Or il s’y trouve précisément l’objet de la jalousie de sa captive Eriphile (un nom qui paraît dans Timocrate ! ), et amoureux d’une autre femme (Iphigénie). Mais l’Achille de Racine ne heurte nullement la bienséance, puisqu’Iphigénie l’aime en retour et surtout que jamais il n’a témoigné d’amour pour Eriphile. Il est donc incomparablement plus sympathique, et plus acceptable pour les contemporains, que celui de Thomas Corneille ! La similitude des situations (soulignée par Antoine Adam68) ne permet pas de douter que Racine se soit inspiré de La Mort d’Achille et que, si Thomas Corneille lui devait beaucoup, il le lui a bien rendu.
La même année, Pierre Corneille donnait sa dernière pièce, l’une des plus belles, Suréna, qui présente également une chaîne amoureuse à quatre personnages ; quoique l’intrigue et la conclusion de Suréna soient fort différentes de celles de La Mort d’Achille (puisque chez le grand Corneille c’est le pouvoir politique qui finit par triompher sur le héros galant), la fameuse scène d’adieux entre Suréna et Eurydice (I, 3) s’inspire très manifestement, dans sa première partie, des adieux de Pyrrhus à Polixene (V, 2) ; mais chez le vieux poète du Cid, la scène intervient au début de la pièce et constitue le noeud de l’intrigue, car les deux amants y décident de leur attitude face au danger qui les menace ; en outre les deux personnages y sont également prestigieux et sympathiques : la scène est nettement plus convaincante, et Thomas Corneille semble avoir ici préparé le brouillon de son aîné.
Un cas plus curieux et plus pittoresque est celui de l’opéra (bien oublié) de Pascal Colasse, Polixene et Pirrhus (1706), dont le livret est dû à Jean-Louis-Ignace de La Serre (1662-1751). Celui-ci conte, en vers libres d’une divertissante platitude (« J’aurois aimé la vie/Si j’avois pû vivre pour vous » ), comment Pirrhus, contraint par le fantôme de son père à sacrifier sa captive Polixene, ne put s’y résoudre par amour pour la jeune fille. L’action est située en Thrace afin que Pyrrhus soit à son tour l’objet de la jalousie d’une princesse des environs, qui empêche la fuite des deux amants... avant de s’en repentir. Quelques apparitions divines s’avèrent nécessaires pour faire avancer l’action et utiliser la machinerie du théâtre, et finalement Polixene se suicide sur l’autel du sacrifice, comme l’Eriphile d’Iphigénie. Plusieurs éléments rappellent La Mort d’Achille, et par dessus tout l’idée d’un amour entre Pyrrhus et Polyxène, inventée de toutes pièces par Thomas Corneille pour les besoins de sa tragédie. Faut-il supposer que La Serre connaissait La Mort d’Achille ? Cela n’a rien d’impossible : Thomas Corneille était encore de ce monde, et les éditions de ses oeuvres complètes se multipliaient. Cela n’est pas sûr pour autant ; peut-être, soucieux de refaire Iphigénie, La Serre en est-il venu à la même solution que Thomas. La comparaison entre les deux textes, quoi qu’il en soit, est toute à la gloire de l’auteur de Timocrate.
Il faut enfin signaler une « tragédie en musique » de Campistron, Achile et Polixene (1687), dont la musique était signée de Lully et du même Pascal Colasse. Le sujet de la mort d’Achille y est à nouveau traité, selon le récit de Dictys et Darès, mêlé à des éléments de l’Iliade (le conflit entre Agamemnon et Achille pour la possession de Briséis). L’influence de Thomas Corneille ne s’y fait guère sentir, moins en tous cas que celle de Benserade : Briséis apparaît, mais non pas Pyrrhus. Si Briséis y demande le secours des Dieux, c’est surtout pour Campistron prétexte à faire apparaître Junon sur une machine, ce qui est l’occasion de divertissements. Il s’agit donc probablement d’une initiative de l’auteur, à rattacher aux procédés habituels de la tragédie lyrique. Du point de vue littéraire, l’oeuvre se signale par une accumulation d’événements (morts de Patrocle, d’Hector, d’Achille, de Polixene), par l’invention curieuse de l’amour de Polixene pour Achille (qui l’amène à se suicider) et par quelques beaux vers, dont les ultimes plaintes de l’héroïne, qui terminent la pièce :
Reçoy mon Sang aprés mes pleursAchile ; c’est à toy que je me sacrifie ; ....Sans toy je déteste la vie, ....Ouy je le jure....helas....je frissonne....je meurs.
Une oeuvre pour notre époque ? §
Les rares auteurs à avoir commenté La Mort d’Achille l’ont presque unanimement blâmée. Le silence assassin des frères Parfaict et les notations lapidaires de Gustave Reynier sont les expressions les plus fortes de cette réprobation.
Sans prétendre évidemment que La Mort d’Achille soit un chef-d’oeuvre (l’action languit quelque peu entre le quiproquo qui, de sa préparation à sa résolution, remplit presque deux actes, et l’inflexibilité absolue d’Achille qui empêche ensuite la situation d’évoluer ; le dénouement comporte des incohérences ; le personnage de Pyrrhus est faible ; le style n’a pas la poésie du verbe racinien), il nous semble que cette pièce abonde en qualités, dont la caractéristique est parfois précisément de n’apparaître telles qu’à nos yeux modernes.
Le personnage d’Achille, création puissante, nuancée et originale, et parfaitement consciente de la part de Thomas Corneille, puisqu’il prolonge manifestement le Thésée d’Ariane, peut valoir à son auteur l’admiration d’un temps qui n’attend plus d’un héros qu’il soit infaillible, ni d’un roi qu’il soit surhumain. Autant il pouvait sembler incompréhensible et monstrueux au public de 1673, et ce pour des raisons qui relèvent d’une idéologie qui n’est plus la nôtre, autant notre époque, qui connaît Hamlet, Mme de Merteuil, Raskolnikov, l’Ivanov de Tchekhov, le Lantier de La Bête Humaine, le Meursault de Camus, peut voir en lui un personnage passionnant, qui fait la force de la pièce qui repose sur ses épaules. Plus prosaïquement, en raison de l’allongement de l’espérance de vie, la rivalité d’un fils et d’un père encore jeune est une situation plus vraisemblable pour notre époque que pour celle de Thomas Corneille. Achille n’est pas un amant ridicule ; invulnérable et fils d’une déesse, il n’a pas les cheveux gris de Priam, ni du Séleucus d’Antiochus (que sa généreuse renonciation à l’amour garantissait contre une lecture comique). La Mort d’Achille est un texte bien étrange : une tragédie classique, d’une certaine rigueur et d’un métier appréciable, qui repose sur un personnage éminemment moderne.
Note sur la présente édition §
L’édition originale de La Mort d’Achille existe-t-elle encore ?
Malgré des recherches menées à Paris, Rouen, Lyon, Londres et Washington, il nous a été impossible de nous en procurer un exemplaire. Elle est absente de la bibliographie d’Alexandre Cioranescu.
Selon C. J. Gossip69, il n’en existe plus de copie, non plus que de celle de la pièce suivante de Thomas, Don César d’Avalos. En revanche, sa mention par Reynier et Lancaster nous incite à croire qu’il n’est pas impossible de la trouver. Son existence est avérée par un catalogue de la Bibliothèque Municipale de Lyon, datant du début du XIXe siècle, où elle figure à la date de 1673 (qui s’explique probablement par une faute de lecture du bibliothécaire). Malheureusement, elle est introuvable dans les collections actuelles. Il se peut qu’elle y figure encore, mais qui sait où ?
À titre d’indice et de curiosité, signalons que l’édition des Chefs d’oeuvres de T. Corneille, par les soins de la Petite Bibliothèque des Théâtres (Paris, 1786), dans le catalogue commenté des oeuvres de Thomas Corneille qu’elle propose, prétend que l’édition originale fut publiée par Thomas Guillain et non Claude Barbin70. Il s’agit très probablement d’une erreur due au manque de documentation, voire d’un lapsus. Thomas, qui n’était guère fidèle à ses libraires, n’a jamais confié qu’une seule pièce à Thomas Guillain ; encore n’était-elle qu’à moitié de lui : c’est Le Festin de Pierre. Par ailleurs, toutes les autres sources s’accordent sur le nom de Barbin.
Voici les éditions parues du vivant de Thomas Corneille auxquelles nous avons eu accès. Il s’agit soit d’éditions collectives du théâtre de Thomas Corneille, soit d’éditions comprises dans des recueils factices, et dont la diffusion séparée n’est pas avérée. Etendons-nous un instant sur celle qui nous a servi de référence.
(1) — « LA MORT / D’ACHILLE / TRAGEDIE, / Par T. CORNEILLE. / [Vignette représentant un animal fouillant un nid d’insectes installé dans un arbre, avec la devise QVAERENDO] / Suivant la Copie imprimée / A PARIS, / CI) I)71CLXXVI. » (in-12°, 67 p.).
Il s’agit d’une édition pirate hollandaise, attribuée par Reynier au libraire A. Wolfgang72. Elle se caractérise par la présence d’un frontispice représentant le trépas d’Achille, bizarrement vêtu à l’orientale, sous le regard d’une statue de Vénus. Le frontispice est signé « HP adt Brugge jnv. c* fec. »73.
Un exemplaire se trouve à la BnF dans un recueil factice intitulé « LES / TRAGEDIES / ET / COMEDIES / de / Th. Corneille, / Reveues & corrigées, & augmentées / de diverses pieces nouvelles / V. PARTIE / Suivant la Copie imprimée / A PARIS, / CI) I) CLXXVIII » (Smith-Lesouëf R-3557) ; il est inconsultable.
Le même recueil factice, mais altéré par adjonction de copies éditées en 1690, et sans page de titre, se trouve à la Bibliothèque Sainte-Geneviève, à la date de 1665 (correspondant au premier tome de cette édition de Tragédies et Comédies, qui s’est étalée sur treize ans) (OE e8° 426 2-4 — INV. 740-742 RES.). Ce dernier recueil contient Ariane et Circé dans l’édition de 1690, La Mort d’Achille, D. Cesar d’Avalos, L’Inconnu et Le Comte d’Essex.
Cette édition est paginée comme suit :
[1] Frontispice
[2] Page blanche
[3] Page de titre
[4] Acteurs
[5 - 67] La Mort d’Achille, tragédie.
La numérotation n’est imprimée qu’à partir de la page 6. Dans l’exemplaire de la BNF, que l’on a entr’ouvert sous mes yeux, les pages 1 et 2 sont inversées, de sorte que le frontispice fait face à la page de titre. Il s’agit manifestement d’une page hors-texte, mais dont la pagination tient compte.
Les autres éditions de La Mort d’Achille sont :
(2) — « LA MORT / D’ACHILLE, / TRAGEDIE. » (70 p.), dans « POËMES / DRAMATIQUES / DE / T. CORNEILLE. / V. PARTIE. / [Vignette représentant un pot de fleurs] / A PARIS, / Chez GUILLAUME DE LUYNE, / Libraire Juré, au Palais, dans la Salle des / Merciers, sous la montée de la Cour des / Aydes, à la Justice. / M. DC. LXXXII. / AVEC PRIVILEGE DV ROY. » (in-12°, 572 p.) (BnF. YF-2572)
(3) — « LA MORT / D’ACHILLE, / TRAGEDIE / PAR / T. CORNEILLE. / [Vignette : à la sphère] / Suivant la Copie imprimée / A PARIS. / M. DC. LXXXX. » (60 p.), que l’on trouve dans les recueils factices intitulés « LE / THEATRE / DE /T. CORNEILLE, / Reveu, corrigé, & augmenté / de diverses pieces nouvelles. / V. PARTIE. / [Vignette représentant une floraison] / Suivant la Copie imprimée, / A PARIS. / M. DC. LXXXXII. » (in-12°, 479 p.) (BnF. 8-YF-1442 (BIS) et, au département Arts du Spectacle, Rf. 2.655 (V) ).
Il s’agit d’une édition pirate ; la vignette « au globe » ou, comme l’appelle M. Reynier, « à la sphère », semble avoir été utilisée par au moins deux libraires distincts : Henry van Dunwaldt, à Anvers, à la fin du XVIIe siècle (cf. l’édition originale d’Achile et Polixene de Campistron), et Henry Desbordes, à Amsterdam, au début du siècle suivant (cf. l’édition 5) puis les frères Châtelain (cf. l’édition 7).
(4) — « LA MORT / D’ACHILLE, / TRAGEDIE. » (70 p.), dans « POEMES / DRAMATIQUES / DE / T. CORNEILLE. / V. PARTIE. / [Vignette représentant la justice] / A PARIS, / Chez GUILLAUME DE LUYNE, Libraire / Juré, au Palais, dans la Salle des Merciers, / fous la montée de la Cour des Aydes, / à la Justice. / M. DC. LXXXXII / AVEC PRIVILEGE DU ROI. » (in-12°, 598 p.) (BnF. YF-2577)
(5) — « LA MORT / D’ACHILLE, / TRAGEDIE. » (56 p. numérotées 371-426 et un hors-texte), dans « LE / THEATRE / DE / T. CORNEILLE. / Nouvelle Edition revûë, augmentée des Pieces / dont l’Avis au Lecteur fait mention, & / enrichie de tailles-douces. / IV. PARTIE. / [Vignette : à la Sphère] / A AMSTERDAM, / Chez HENRY DESBORDES, / dans le Kalver-Straat. / M. DCCI. / Avec Privilege des Etats de Holl. & Westf. » (in-12°, 426 p.) (BnF. YF-2550).
Cette édition reproduit en hors-texte le frontispice de l’édition 1, entre la liste des acteurs et la première page du texte, mais la signature ne s’y trouve pas. Il s’agit donc probablement d’une copie de la gravure originale.
(6) — « LA MORT / D’ACHILLE, / TRAGEDIE. » (64 p.), dans « POEMES / DRAMATIQUES / DE / T. CORNEILLE. / NOUVELLE EDITION, / revûë, corrigée, & augmentée. / CINQUIEME PARTIE. / [Vignette : à l’Ecu de France] / A PARIS, / Chez CHARLES OSMONT, ruë S. Jacques, / au coin de la ruë de la Parcheminerie, / à l’Ecu de France. / M. DCCVI. / AVEC PRIVILEGE DU ROI. » (in-12°, 553 p.) (BnF. YF-2587)
Cette édition, quoique officielle, est de médiocre qualité, et les leçons aberrantes y abondent.
(7) — « LA MORT / D’ACHILLE, / TRAGEDIE. » (56 p. numérotées 371-426 et un hors-texte), dans « LE / THEATRE / DE / T. CORNEILLE. / Nouvelle Edition revûë, augmentée des Pieces / dont l’Avis au Lecteur fait mention, & / enrichie de tailles-douces. / IV PARTIE. / [Vignette : à la Sphère] / A AMSTERDAM, / Chez les Freres CHATELAIN, / près de la Maison de Ville / M. DCCIX. / Avec Privilege des Etats de Holl & Westf » (in-12°, 426 p.) (BnF. 8-YF-1341 (4) )
Le titre et la pagination de cette édition indiquent qu’il s’agit d’une nouvelle mouture de l’édition 5, dont elle reprend d’ailleurs certaines leçons caractéristiques, non sans s’inspirer en parallèle de l’édition 6.
Gustave Reynier signale une édition lyonnaise (chez Bachelu et fils) datée de 1698. Nous n’en avons pas trouvé trace.
Le texte ici présenté suit fidèlement celui de l’édition hollandaise de 1676, dont nous reproduisons la pagination entre crochets à la droite du texte. Son caractère pirate, occasion de quelques négligences, nous semble en effet compensé par la proximité qu’on peut lui supposer avec l’édition originale. Nous en avons scrupuleusement respecté l’orthographe, suffisamment moderne pour qu’un lecteur contemporain en goûte le charme sans difficultés. La distinction entre les i et les j, ainsi qu’entre les u et les v, y était déjà faite ; on n’y trouve (à l’exception du vers 815) aucune ligature à simplifier, mise à part celle de la conjonction « et » en « & », suffisamment familière pour que nous la laissions subsister. La ponctuation est également celle de l’édition de 1676. Elle peut dérouter en de rares occasions ; si les points /./ indiquaient peu ou prou la fin d’une phrase, il faut se souvenir qu’à l’époque, les différents signes de ponctuation /, / /;/ /:/ /./ étaient principalement l’indice d’une pause plus ou moins longue lors de la déclamation du texte, et non d’une rupture grammaticale. Il est par conséquent évident, s’agissant d’un texte de théâtre, destiné plus que tout autre à être déclamé, que la ponctuation de l’auteur doit être préservée, ou du moins ce qui s’en approche le plus, compte tenu des fautes probables des imprimeurs successifs. Les points d’interrogation et d’exclamation, quant à eux, ont également une valeur musicale : ainsi, le point d’interrogation sera utilisé pour indiquer que la voix doit monter, même lorsque la phrase qu’il conclut n’est pas à proprement parler interrogative.
Une autre question qui mérite intérêt est celle des majuscules attribuées à certains substantifs, souvent de façon systématique malgré quelques hésitations et revirements (souvent accordée à « hymen » dans les premières éditions, la majuscule lui est refusée par la suite). Attribuer une majuscule à un mot, c’est demander à l’acteur de hausser la voix pour le prononcer. Un tel effet n’est pas exigé par les auteurs pour de pures raisons d’euphonie : le réseau des mots ainsi mis en valeur n’est pas sans enseignements sur les enjeux du texte, ou sur l’idéologie qui le sous-tend. Un cas intéressant dans La Mort d’Achille est celui du mot « Tente », généralement doté d’une majuscule, alors qu’il s’agit d’un objet en apparence bien modeste — mais non pas si l’on songe que la tente abrite un roi, et qu’elle devient un substitut, adapté à la situation, du palais royal, un lieu investi du prestige de son occupant, et qui est placé sous sa souveraineté personnelle : Achille marque sa volonté de paix en mettant sa tente à la disposition de Priam, et y mène les négociations ; devant les murailles de Troie, une tente a en quelque sorte le statut d’une ambassade.
Les variantes purement orthographiques sont extrêmement nombreuses d’une édition à l’autre, en raison de la fluctuation de l’usage, et des efforts de modernisation de l’auteur. C’est pourquoi nous ne les avons pas signalées, dans le souci de conserver un texte lisible. Toutefois nous avons signalé en note, pour les raisons que nous venons d’évoquer, toutes les variantes concernant la ponctuation ou l’emploi des majuscules – ainsi, bien entendu, que celles qui sont de nature à modifier le sens du texte. Dans l’établissement de ces variantes, nous avons rejeté les leçons qui nous semblaient aberrantes, et nous avons accordé le même crédit aux éditions pirates qu’aux éditions « officielles », puisque après tout notre texte suit celui de la première copie hollandaise. C’est la date de l’édition qui présente la variante qui introduit celle-ci et permet son identification. Par exemple :
- – 1682 : quelques signifie L’édition de 1682 porte « quelques »
- – 1682, 1692 : bien, signifie Les éditions de 1682 et 1692 portent « bien, »
- – 1701-09 : son signifie Toutes les éditions de 1701 à 1709 portent « son »
Nous avons corrigé, en nous inspirant éventuellement des éditions postérieures, quelques « coquilles » manifestes, de ponctuation ou d’orthographe, dont voici la liste.
Numéro vers | Date édition | Mention |
36 | 1676 | là paix |
42 | 1676 | Pyrrus |
95 | 1676 | fust |
101 | 1676 | n’est |
177 | 1676 | toujours |
245 | 1676 | propice. |
265 | 1676 | qu’à |
323 | 1676 | a |
338 | 1676 | grand d’Achille |
400 | 1676 | soupirs |
440 | 1676 | ic y |
513 | 1676 | mapeine |
657 | 1676 | un |
725 | 1676 | intérest |
735 | 1676 | n’ait peu |
776 | 1676 | ou |
785 | 1676 | souvénir |
870 | 1676 | avoir |
871 | 1676 | perfere |
901 | 1676 | complice. |
927 | 1676 | soffrira |
1040 | 1676 | perçent |
1078 | 1676 | qu’elle |
1100 | 1676 | qu’a |
1111 | 1676 | souffriez |
1184 | 1676 | à |
1254 | 1676 | sont |
1297 | 1676 | qu’elle |
1307 | 1676 | Où |
1312 | 1676 | saisons |
1320 | 1676 | S’offre-encor |
1346 | 1676 | Polixene ? |
1391 | 1676 | Estats [sans ponctuation] |
1424 | 1676 | a l’autel |
1466 | 1676 | sôumis |
1474 | 1676 | qu’à |
1504 | 1676 | eust |
1640 | 1676 | chércher |
Les termes dont le sens a varié depuis le XVIIe siècle, et ceux qui sont désormais archaïques, font l’objet d’une explication dans les notes de bas de page. Les plus fréquents parmi eux sont regroupés dans le Lexique de la page, et précédés par un *astérisque. Les définitions données sont suivies d’une mention signalant leur origine :
- – (F) désigne le Dictionnaire Universel de Furetière.
- – (R) désigne le Dictionnaire françois de Richelet
- – (A) désigne le Dictionnaire de l’Académie Française
Lorsque ces mêmes termes sont pris dans une acception actuellement courante et sans ambiguïté, nous ne le signalons pas.
LA MORT D’ACHILLE,
TRAGEDIE §
ACTEURS.74 §
ACTE I81. §
SCENE PREMIERE. §
BRISEIS.
PYRRHUS.
BRISEIS.
PYRRHUS.
BRISEIS.
PYRRHUS.
BRISEIS.
PYRRHUS.
BRISEIS.
BRISEIS.
SCENE II. §
POLIXENE.
BRISEIS.
Ah, c’en est trop, Princesse,POLIXENE.
POLIXENE.
De moy ?PYRRHUS.170
POLIXENE.
PYRRHUS.
POLIXENE.
BRISEIS.
POLIXENE.
BRISEIS.
SCENE III. §
[p. 13]POLIXENE.
PYRRHUS.
POLIXENE.
PYRRHUS.
POLIXENE.
PYRRHUS.
POLIXENE.
Fin du premier Acte.
ACTE II. §
SCENE PREMIERE. §
ALCIME.
ACHILLE.
ALCIME.
ACHILLE.
ALCIME.
ACHILLE.
[p. 18] Ouy, je l’adore, Alcime,ALCIME.
ACHILLE.
ALCIME.
ACHILLE.
ACHILLE.
ALCIME.
ACHILLE.
ALCIME.
ACHILLE.
SCENE II. §
BRISEIS.
ACHILLE.
BRISEIS.
Il doit tout réparer,ACHILLE.
BRISEIS.
ACHILLE.
BRISEIS.
ACHILLE.
BRISEIS.
Autant qu’il laACHILLE.
Madame, c’est assez,BRISEIS.
SCENE III. §
ACHILLE.
ALCIME.
ACHILLE.
ALCIME.
SCENE IV. §
PYRRHUS.
ACHILLE.
PYRRHUS.
ACHILLE.
PYRRHUS.
Seigneur, quelle joye à mon coeurACHILLE.
PYRRHUS.
[p. 27]ACHILLE.
PYRRHUS.
Cette belle PrincesseSCENE V. §
ACHILLE.
ALCIME.
ACHILLE.
Fin du second Acte.
ACTE III. §
SCENE PREMIERE. §
ANTILOCHUS.
PYRRHUS.
ANTILOCHUS.
PYRRHUS.
SCENE II. §
PYRRHUS.
ACHILLE.
Nous l’avons arrétée,PYRRHUS.
ACHILLE.
PYRRHUS.
[p. 32]ACHILLE.
PYRRHUS.
ACHILLE.
PYRRHUS.
ACHILLE.
PYRRHUS.
ACHILLE.
Vous souffrirez, Prince, je le confesse,PYRRHUS.
ACHILLE.
SCENE III. §
PYRRHUS.
ANTILOCHUS.
PYRRHUS.
SCENE IV. §
BRISEIS.
PYRRHUS.
BRISEIS.
PYRRHUS.
[p. 36]BRISEIS.
PYRRHUS.
BRISEIS.
PYRRHUS.
Ah,SCENE V. §
BRISEIS.
POLIXENE.
PYRRHUS.
POLIXENE.
[p. 38]BRISEIS.
POLIXENE.
BRISEIS.
PYRRHUS.
Madame, Achille... Ah, Dieux ?BRISEIS.
POLIXENE.
[p. 39]BRISEIS.
PYRRHUS.
POLIXENE.
PYRRHUS.
BRISEIS.
SCENE VI. §
PYRRHUS.
BRISEIS.
Fin du troisiéme Acte.
ACTE IV. §
SCENE PREMIERE. §
ALCIME.
ACHILLE.
ALCIME.
DiomedeACHILLE.
ALCIME.
ACHILLE.
Non, Alcime ;SCENE II. §
ACHILLE.
POLIXENE.
ACHILLE.
POLIXENE.
ACHILLE.
POLIXENE.
ACHILLE.
Non, Madame,POLIXENE.
ACHILLE.
POLIXENE.
ACHILLE.
POLIXENE.
SCENE III. §
BRISEIS.
ACHILLE.
BRISEIS.
ACHILLE.
[p. 51]BRISEIS.
ACHILLE.
BRISEIS.
ACHILLE.
BRISEIS.
ACHILLE.
BRISEIS.
SCENE IV. §
BRISEIS.
PHENICE.
BRISEIS.
Tu me parles d’Estats.PHENICE.
BRISEIS.
Fin du quatriéme Acte.
ACTE V. §
SCENE PREMIERE. §
POLIXENE.
ILIONE.
POLIXENE.
ILIONE.
SCENE II. §
[p. 57]POLIXENE.
PYRRHUS.
POLIXENE.
PYRRHUS.
POLIXENE.
PYRRHUS.
POLIXENE.
PYRRHUS.
POLIXENE.
[p. 59]PYRRHUS.
POLIXENE.
Ouy, Prince, vostre veuëPYRRHUS.
POLIXENE.
PYRRHUS.
SCENE III. §
BRISEIS.
PYRRHUS.
POLIXENE.
SCENE IV. §
PYRRHUS.
BRISEIS.
SCENE V. §
ANTILOCHUS.
BRISEIS.
PYRRHUS.
BRISEIS.
Il y va de sa vie.SCENE VI. §
PHENICE.
BRISEIS.
PHENICE.
SCENE VII. §
BRISEIS.
ALCIME.
BRISEIS.
ALCIME.
BRISEIS.
ALCIME.
BRISEIS.
ALCIME.
BRISEIS.
PHENICE.
BRISEIS.
Ah, que ne peut-il vivre,ALCIME.
BRISEIS.
FIN.855
Lexique §
Chronologie des oeuvres de Thomas Corneille §
Les articles de C.J. Gossip cités dans la bibliographie sont nos sources principales,
ainsi, pour les oeuvres non théâtrales, que la thèse de M. Reynier.
1641 Poésie sans titre couronnée au concours des Palinods de Rouen
1647 Les Engagements du hasard, comédie
1648 Le Feint astrologue, comédie
1651 Don Bertrand de Cigarral, comédie
1651 L’Amour à la mode, comédie
1652 Le Berger extravagant, comédie
1654 Les Illustres ennemis, comédie
1655 Le Geôlier de soy-mesme, ou Jodelet Prince, comédie
1656 Timocrate, tragédie (80 représentations)
1657 Le Charme de la voix, comédie
1657 La Mort de l’empereur Commode, tragédie
1658 Bérénice, tragédie
1658 Darius, tragédie
1659 Le Galant doublé, comédie
1660 Stilicon, tragédie
1661 Camma, reine de Galatie, tragédie
1662 Maximian, tragédie
1663 Persée et Démétrius, tragédie
1663 Pyrrhus, roi d’Epire, tragédie
1666 Antiochus, tragi-comédie
1667 Le Baron d’Albikrac, comédie
1668 Laodice, tragédie
1669 Traduction des Métamorphoses d’Ovide (première partie) (1669-1672)
1669 La Mort d’Annibal, tragédie
1670 La Comtesse d’Orgueil, comédie
1670 Traduction de quelques pièces d’Ovide (Héroïdes et Amours), d’une ode d’Horace et d’une scène du Pastor Fido.
1672 Ariane, tragédie
1672 Théodat, tragédie
1673 Le Comédien poète, comédie (en collaboration avec Montfleury)
1673 La Mort d’Achille, tragédie
1674 Don César d’Avalos, comédie
1675 Circé, tragédie lyrique, jouée au théâtre de Guénégaud malgré le monopole de Lully
1675 L’Inconnu, comédie mêlée de spectacle (en collaboration avec De Visé)
1676 Le Triomphe des dames, comédie à machines (avec De Visé) (seul le livret est imprimé)
1677 T.C. commence à travailler au Mercure Galant.
1677 Le Festin de pierre, comédie, d’après le Dom Juan de Molière
1678 Le Comte d’Essex, tragédie
1678 Psyché, opéra (musique de Lully), à l’Académie de Musique cette fois
1679 Bellérophon, opéra (avec Fontenelle et Boileau, musique de Lully)
1679 La Devineresse, comédie en prose mêlée de spectacle (avec De Visé)
1681 La Pierre philosophale, comédie à machines (avec De Visé) (seul le livret est imprimé)
1682 Le Deuil, comédie (avec Hauteroche)
1683 Orion, tragédie lyrique refusée par la Comédie-Française, et perdue
1685 Discours de réception à l’Académie Française
1685 L’Usurier, comédie en prose (avec De Visé) (non imprimée)
1686 Le Baron des Fondrières, comédie (non imprimée, une seule représentation)
1687 Édition commentée des Remarques de Vaugelas
1691 Discours de réception de Fontenelle à l’Académie
1693 Médée, opéra (musique de Charpentier)
1694 Dictionnaire des Termes d’Arts et de Sciences
1695 Les Dames vengées, comédie en prose (avec De Visé)
1695 Bradamante, tragédie
1697 Traduction des Métamorphoses d’Ovide (dernière partie)
1697 Dernier volume de l’Histoire de la Monarchie Française sous le règne de Louis le Grand, commencée par M. de Rieucourt ( ? ).
1702 Quatrains moraux pour accompagner la traduction des Fables d’Esope et de Philelphe par M. de Bellegarde.
1704 Observations de l’Académie Française sur les Remarques de Vaugelas, rédigées par T.C.
1708 Dictionnaire Géographique et Historique.
La part exacte prise par Thomas Corneille dans plusieurs pièces écrites en collaboration est débattue. C.J. Gossip se désintéresse notamment du Deuil et des Dames vengées, alors que H.C. Lancaster, dans son édition du Mémoire de Mahelot, attribue à Thomas Corneille une part dans la Dame Invisible de Hauteroche (1684), reprise de L’Esprit Folet de d’Ouville, qui échoua. Cette supposition, que M. Lancaster n’étaye pas, n’est à ma connaissance reprise nulle part.
Bibliographie §
Oeuvres des XVIIe et XVIIIe siècles §
Nous n’indiquons pas ici les oeuvres de Corneille, Racine et Molière, qui sont consultables partout. Nous citons l’intitulé complet des éditions d’époque consultées.