SCÈNE PREMIÈRE. Déidamie, Hippias se croyant Pyrrhus. §
HIPPIAS.
Ne cherchez point, ma soeur, d’où mon chagrin peut naître.
Ma raison se confond à le vouloir connaître.
Et vos soupçons en vain le font être un effet
Du vif ressentiment de l’affront qu’on m’a fait.
1265 Je le regarde encor avec des yeux d’envie,
On m’ôtait la Couronne, on menaçait ma vie ;
Mais dans tout ce péril d’un revers éclatant,
Étais-je malheureux puisque j’étais content ?
Non, non, les tristes biens que le sort me redonne
1270 Ne valent point celui qu’il faut que j’abandonne,
Et la mort que l’on m’ôte en était un plus grand
Que cette liberté que mon malheur me rend.
DÉIDAMIE.
Quel que fût ce péril où vous trouviez des charmes,
Si j’ai paru pour vous en prendre peu d’alarmes,
1275 J’avais quelques raisons d’appuyer un refus...
HIPPIAS.
Et ce sont ces raisons qui ne m’en laissent plus.
Je vous l’ai déjà dit, mais pour flatter ma peine
Souffrez que de nouveau ma douleur vous l’apprenne,
Et que ce triste coeur qu’abuse un faux appas
1280 Tâche à vous expliquer ce qu’il ne comprend pas.
Quand mes soins ont du Roi favorisé la flamme,
Combattu, déchiré, j’en ai frémi dans l’âme,
Et jamais à mes voeux rien ne parut si doux
Que de voir vos refus m’attirer son courroux.
1285 Pour lui ravir l’espoir ma prison m’était chère,
La mort même à ce prix n’aurait pu me déplaire,
Et cependant, hélas ! Cette ombre de bonheur
N’a fait qu’accroître un mal qui m’arrache le coeur,
Que plonger ma raison dans un plus noir abîme.
DÉIDAMIE.
1290 L’hymen où je m’apprête en expiera le crime,
Et quand je hais le Roi, l’accepter pour Époux...
HIPPIAS.
Ah, sans rien éclaircir que ne l’épousiez-vous !
Si toujours ma disgrâce en eût été mortelle,
Vous m’auriez épargné du moins la plus cruelle,
1295 Et j’aurais eu la joie, en renonçant au jour,
De croire votre coeur insensible à l’amour.
Mais pour comble de maux on me force à connaître
Qu’Hippias de ce coeur a su se rendre maître,
Que l’hymen dont l’horreur faisait trembler vos voeux,
1300 Quand vous craignez pour lui, n’a rien pour vous d’affreux
Qu’à quelque excès d’ennuis...
DÉIDAMIE.
Qu’à quelque excès d’ennuis... Vous avez lieu de croire
Que le sang a dû seul intéresser ma gloire,
Qu’avoir livré le vôtre à ce brûlant courroux...
HIPPIAS.
Non, ce n’est point par là que je me plains de vous.
1305 Contre moi du tyran rallumez la colère,
Pour vivre toute à vous laissez périr un frère,
Abandonnez ce sang qu’il voulait s’immoler ;
Pour vous avec plaisir je le verrai couler.
Mais pour remettre un peu ma constance abattue
1310 N’aimez point, s’il se peut ; c’est là ce qui me tue,
C’est de là que pour moi d’impétueux transports
Pour une seule mort font naître mille morts ;
Non que j’en croie assez l’emportement extrême
Pour oser souhaiter d’être aimé comme j’aime.
1315 Peut-être que pour vous mes voeux trop empressés
Me rendent trop facile où vous l’êtes assez ;
Mais enfin je voudrais qu’aucun n’eût droit d’attendre
Ce que de votre coeur je renonce à prétendre,
Et que ce coeur jamais, quoiqu’il sut tout charmer,
1320 N’aimât rien au-delà de ce qu’il peut m’aimer
Vous donnez votre main. Hélas ! Quel coup de foudre
Quand je songe au motif qui vous y fait résoudre,
Et que je vois l’Amour...
DÉIDAMIE.
Et que je vois l’Amour... Ne vous contraignez pas.
Dites qu’il me séduit en faveur d’Hippias.
1325 Comme fils d’Androclide il mérite ma haine,
Mais je cède en l’aimant à l’ordre de la Reine,
Et vous-même sans doute, à n’y pas obéir,
Auriez blâmé l’orgueil qui me l’eût fait trahir.
HIPPIAS.
Ah, ma soeur, s’il le faut, qu’il règne sur l’Épire,
1330 Mais que de votre coeur il vous laisse l’Empire.
Ce droit seul réservé soulage mon ennui,
Pourvu qu’il soit à vous, tout le reste est à lui,
J’y consens, et mes voeux...
DÉIDAMIE.
J’y consens, et mes voeux... N’en formez point, de grâce,
Un si faible bonheur ne vaut pas qu’on en fasse ;
1335 Mais quoi que vous craigniez de mon coeur enflammé,
Vous seriez moins heureux s’il était moins aimé.
Vous êtes Hippias.
HIPPIAS.
Vous êtes Hippias. Androclide est mon père ?
DÉIDAMIE.
Oui, vous êtes son fils, et son fils est mon frère.
HIPPIAS.
Et vous croyez par là soulager mon tourment !
1340 Non, il n’est que trop vrai, son fils est votre Amant,
Lui-même il en fait gloire, et fier de sa disgrâce
Du Roi, comme rival, il brave la menace ;
J’en viens d’être témoin, et c’est mon désespoir.
DÉIDAMIE.
D’une vertu sublime admirez le pouvoir.
1345 Pour m’épargner l’horreur d’un hymen qui m’accable
Il cherche, comme Amant, à se montrer coupable,
Et consent à mourir plutôt que voir le Roi
M’arracher une main que vous gardait ma foi ;
Mais encore une fois, quoi qu’on vous ait pu taire,
1350 Vous êtes Hippias, Hippias est mon frère.
Du bizarre destin qui fait ce changement
Ne me demandez point d’autre éclaircissement.
De tout ce grand secret Androclide est le maître,
Et quand sa trahison ose tout méconnaître,
1355 Si vous pouvez douter du rapport d’une soeur,
Croyez-en...
HIPPIAS.
Croyez-en... Ah, Madame, il suffit de mon coeur.
C’est lui seul que j’écoute, et ce qu’il m’ose dire,
Pour ne l’en croire pas, a sur moi trop d’empire.
Je ne m’étonne plus des mouvements jaloux
1360 Qu’aveugle en mes désirs j’osais prendre pour vous.
L’Amour que ma disgrâce engageait au murmure
Prenait pour s’expliquer la voix de la Nature,
Et le sang favorable à son aveuglement
Pressait le nom de frère aux transports de l’Amant.
1365 Mais las ! Qu’un nom si doux console peu ma flamme,
S’il faut que du tyran vous deveniez la Femme !
Vous, sa Femme ? Ah plutôt...
DÉIDAMIE.
Vous, sa Femme ? Ah plutôt... Mais enfin, voulez-vous
Que j’abandonne un frère à son lâche courroux ?
HIPPIAS.
Quelques transports en lui que ce courroux anime,
1370 Il n’en veut qu’au rival dont l’amour fait le crime,
Et coupable vers lui d’un si noble attentat,
C’est sur moi seulement qu’en doit tomber l’éclat.
Mon amour déclaré, Pyrrhus n’a rien à craindre.
DÉIDAMIE.
Pyrrhus est son rival, du moins il l’a su feindre,
1375 Et ce titre d’Amant qui vous paraît si doux
Est plus croyable en lui qu’il ne peut l’être en vous.
Tout ce que vous diriez pour n’être plus mon frère
Ne ferait contre vous qu’irriter sa colère,
Et sans rompre l’hymen où j’ose m’apprêter...
HIPPIAS.
1380 Non, non, je le romprai, laissez-moi l’irriter.
L’Amour qui cherche à vaincre un destin effroyable
Sait trop bien s’exprimer pour n’être pas croyable.
Si le mien par ma mort se doit justifier,
Est-ce une gloire, hélas ! qu’il faille m’envier ?
1385 Quand d’abord le tyran a menacé ma tête,
Sans rien craindre pour moi, vous voyiez la tempête,
Vous ne relâchiez rien de vos justes mépris.
DÉIDAMIE.
Je savais qu’Androclide agirait pour son fils,
Qu’il saurait dérober vos jours à sa vengeance.
HIPPIAS.
1390 N’avez-vous pas encor cette même assurance ?
Des intérêts d’un fils sera-t-il moins jaloux ?
DÉIDAMIE.
Mais le tyran alors ne menaçait que vous.
Le destin a rendu mon malheur invincible,
Pour les jours de Pyrrhus j’ai paru trop sensible,
1395 Et quoi que votre amour emploie à l’irriter,
C’est toujours par ma main qu’il les faut racheter.
Votre sang hasardé change-t-il ma disgrâce ?
HIPPIAS.
Madame, nous n’avons encor que la menace,
S’il s’apprête aux effets, pour rompre son dessein,
1400 J’y consens, il le faut, donnez-lui votre main ;
Mais dans ce noble éclat où l’Amour me convie
Ne lui promettez rien s’il ne veut que ma vie.
Sûre au besoin toujours de pouvoir l’adoucir,
Continuez...
DÉIDAMIE.
Continuez... Et bien, il faut tout éclaircir,
1405 De l’hymen qu’il poursuit suspendre l’assurance,
Reprendre tout l’orgueil qui bravait sa vengeance,
Mais prête sur Pyrrhus à la voir éclater,
C’est mon frère, et mon coeur n’a point à consulter.
SCÈNE II. Déidamie, Androclide, Hippias. §
HIPPIAS, à Androclide.
Seigneur, à nos ennuis donnez quelque relâche ;
1410 C’est trop tenir caché ce qu’il faut que l’on sache.
Faites, faites enfin paraître aux yeux de tous
Ce qu’un zèle...
ANDROCLIDE.
Ce qu’un zèle... Seigneur, de quoi me parlez-vous ?
Est-il quelque secret...
HIPPIAS.
Est-il quelque secret... Il n’est plus temps de taire
Que je suis Hippias, que vous êtes mon père.
ANDROCLIDE à Déidamie.
1415 Madame, quel destin me fait changer de fils ?
Que fait-on croire au Prince, ou qu’avez-vous appris ?
L’ose-t-on abuser ? Suis-je abusé moi-même ?
DÉIDAMIE.
Toujours d’un Imposteur l’impudence est extrême,
Pour couvrir tes forfaits, tu dois tout ignorer.
ANDROCLIDE.
1420 Pour mon indigne fils c’est trop vous déclarer
L’aveu de son amour m’attire votre haine,
J’ai trahi vos secrets, et c’en est là la peine.
Mais, Seigneur, son rapport doit peu vous alarmer,
À Hippias.
La feinte est pardonnable à qui sait bien aimer,
1425 Pour sauver un Amant il n’est rien qu’on ne tente.
HIPPIAS.
Non, non, de vos projets je vois l’injuste attente,
Mais d’un frivole appas votre espoir se nourrit,
Pour ne douter de rien son rapport me suffit,
Hippias est Pyrrhus, vous n’êtes point son père.
ANDROCLIDE.
1430 Quoi, Seigneur, vous voulez qu’Hippias soit son frère.
Lui qui par un orgueil qui n’eût jamais d’égal
De son maître à vos yeux s’est déclaré rival,
Lui qui du nom d’Amant fait sa plus haute gloire ?
HIPPIAS.
On sait par quel motif et ce qu’il faut en croire.
1435 Ce rival, dont l’aveu flatte en lui votre espoir,
C’est en moi seulement que le Roi le peut voir.
J’adore la Princesse, et...
ANDROCLIDE.
J’adore la Princesse, et... Dieux, qu’osez-vous dire ?
Vous Amant d’une soeur qui vous vole un Empire !
Qui coupable déjà d’avoir livré vos jours...
HIPPIAS.
1440 L’erreur où j’ai vécu vous offre un vain secours.
Après ce que le Ciel m’a daigné faire entendre
Je connais trop Pyrrhus pour m’y pouvoir méprendre.
Hippias est son frère, et je suis votre fils.
ANDROCLIDE.
Quel invincible charme aveugle vos esprits !
1445 Vous ne voyez donc pas que l’amour qui la presse
Pour sauver Hippias a recours à l’adresse,
Qu’en l’avouant pour frère, elle veut lâchement
Faire tomber sur vous le péril d’un Amant,
Vous perdre sous son nom, et par cet artifice...
HIPPIAS.
1450 Je vois ce qu’il faut voir pour lui rendre justice,
Et si vous vous flattez de l’espoir d’un grand bien
À prendre une couronne où je ne prétends rien,
Que votre ambition cesse d’en rien attendre ;
Quand je l’accepterais, ce serait pour la rendre,
1455 Et faire voir à tous qu’au point où je me vois,
Qui peut la dédaigner méritait d’être Roi.
ANDROCLIDE.
Si l’éclat n’en peut plaire à votre âme déçue
Vous la pourrez céder quand vous l’aurez reçue,
Et j’aimerai l’erreur à qui Pyrrhus soumis,
1460 Sans qu’on m’impute rien, fera régner mon fils.
SCÈNE III. Néoptolémus, Déidamie, Gélon, Androclide, Hippias, Suite. §
ANDROCLIDE à Néoptolémus.
D’Hippias pour vos voeux ne craignez plus l’obstacle,
Seigneur, l’Amour pour lui vient de faire un miracle,
Et par des nouveautés dont vous serez surpris,
Vous changez de rival, et je change de fils.
1465 Déidamie a su qu’une indigne espérance,
M’a fait du vrai Pyrrhus dérober la naissance,
D’un échange secret j’ose appuyer l’abus,
Hippias est son frère, et mon fils est Pyrrhus,
Elle en a l’assurance, et je suis un perfide.
NÉOPTOLÉMUS.
1470 Quoi, Madame, Hippias n’est point fils d’Androclide,
Et quand vous craignez tout de mon ressentiment,
Il devient votre frère, et n’est plus votre Amant !
DÉIDAMIE.
Sur l’aveu dont tantôt devant toi j’ai fait gloire,
Tu l’as cru mon Amant, et tu pouvais le croire ;
1475 Mais du lâche Androclide en vain le faux rapport
D’un amour supposé m’a fait tombé d’accord.
Pour conserver son fils, je croyais que le traître,
Touché de son péril, t’avait tout fait connaître,
Et que du vrai Pyrrhus le secret déclaré
1480 M’obligeait à l’aveu qu’on a de moi tiré.
Voilà par quelle erreur à moi-même contraire
J’avouais un Amant croyant parler d’un frère,
Mais enfin c’est à toi d’en éclaircir l’abus,
Hippias est mon frère, Hippias est Pyrrhus.
1485 Pour transmettre à son sang la grandeur souveraine
Androclide supprime un billet de la Reine ;
Examine, et résous, je ne te dis plus rien.
ANDROCLIDE.
Seigneur, sur son rapport on peut douter du mien.
Attendant qu’à loisir le crime s’éclaircisse,
1490 Je me rends prisonnier, vous vous ferez justice,
Et si quelque soupçon vous peut autoriser...
NÉOPTOLÉMUS.
Va, sa feinte n’a rien qui me puisse abuser
L’artifice n’en sert qu’à me rendre plus claire
La honte d’un amour qui me livrait son frère,
1495 Et cherche de nouveau par ce déguisement
À détourner sur lui le péril d’un Amant.
Ah, Gélon, qui l’eût cru ?
GÉLON.
Ah, Gélon, qui l’eût cru ? Seigneur, le Ciel est juste.
Il veille sur les Rois, prend soin d’un sang auguste,
Et sans qu’il vous demeure aucun soupçon d’abus,
1500 Si vous voulez qu’il règne, il montrera Pyrrhus.
NÉOPTOLÉMUS.
Il m’est assez connu ; mais quand on me dédaigne,
Ne sachant si je veux qu’il périsse ou qu’il règne,
Je sais bien seulement qu’un désespoir fatal
Ne me laisse songer qu’à punir mon rival.
HIPPIAS.
1505 Si sur un rival seul doit tomber votre haine,
Vous le voyez en moi, résolvez de ma peine.
J’aime Déidamie, et mon coeur enflammé
Dérobe à vos désirs la douceur d’être aimé.
NÉOPTOLÉMUS.
Quoi, c’est peu qu’à mes voeux votre fierté contraire
1510 Ait dédaigné pour moi d’user des droits de frère ;
Si j’attaque un rival je vous vois lâchement,
Pour braver ma vengeance, affecter d’être Amant ?
HIPPIAS.
Non, non, c’est un secret qu’il ne faut plus vous taire.
Hippias est Pyrrhus, je ne suis point son frère,
1515 Et quand j’aime en effet, c’est sans rien affecter
Qu’une si belle ardeur fait gloire d’éclater.
Jamais ni feu plus pur, ni passion plus tendre...
NÉOPTOLÉMUS.
Qu’aux feintes de sa soeur Pyrrhus se puisse rendre,
Qu’il soit prêt à céder un trône sur sa foi !
HIPPIAS.
1520 L’Amour est mon Oracle, et c’est lui que j’en crois
L’heureux titre d’Amant qu’il permet à ma flamme,
Malgré ce que je perds, remplit toute mon âme.
Je cède une Couronne, et dois la dédaigner
Quand je vois qu’Hippias a droit seul de régner ;
1525 Assez et trop longtemps mon sort lui fait injure.
NÉOPTOLÉMUS.
Il fallait avec lui concerter l’imposture,
Et de Pyrrhus peut-être on m’aurait fait douter,
S’il en eût pris le nom quand vous l’oser quitter.
Mais convaincu d’amour par la Princesse même,
1530 Toujours fils d’Androclide il confesse qu’il aime,
Et son feu l’attachant au destin d’Hippias,
Quand vous prenez son nom, ne vous le cède pas.
DÉIDAMIE.
Tu vois jusqu’où pour moi leur vertu les engage.
Pour contraindre mon coeur tu mets tout en usage,
1535 Et tous deux aiment mieux, afin de m’épargner,
Être Amant pour mourir, que frères pour régner.
Ta tyrannie en eux trouve de faibles armes.
NÉOPTOLÉMUS.
L’Amour pour les tyrans doit avoir peu de charmes,
Et puisqu’il le faut être, il est temps que mon coeur,
1540 Pressé de se venger, chasse toute autre ardeur.
Sus donc, que votre choix règle ce qui m’anime ;
Ce tyran fait par vous demande une victime.
Prononcez, et voyons par votre jugement,
Qui l’emporte sur vous, du frère ou de l’Amant.
HIPPIAS.
1545 Le Choix que vous pressez sera facile à faire,
L’Amant sans balancer s’immole aux jours du frère.
Comme à perdre un rival vous avez intérêt,
Voici votre victime, ordonnez, je suis prêt.
C’est moi seul, c’est mon sang qu’elle offre à votre haine.
NÉOPTOLÉMUS.
1550 Qu’on le tienne éloigné dans la chambre prochaine,
Il attendra mon ordre.
À Déidamie.
Il attendra mon ordre. Et vous, enfin parlez.
Je ne m’oppose plus au feu dont vous brûler,
À toute ma vengeance un des deux peut suffire,
Choisissez.
DÉIDAMIE.
Choisissez. Je t’ai déjà dit ce que j’avais à dire.
1555 Un frère a tous mes voeux s’il faut craindre sa mort,
Hippias est ce frère, ordonne de son sort
Je ne puis empêcher qu’une indigne imposture
N’attribue à l’Amour ce que fait la Nature ;
Non que ce même Amant qu’il faut t’abandonner
1560 Par son triste destin n’ait de quoi m’étonner,
Mais pour sauver ses jours, le traître qui t’abuse
Montrant Androclide.
Lui prêtera l’appui que ma main lui refuse.
Crains pour l’un Androclide, et pour l’autre mon bras,
Et sans m’en consulter choisi qui tu voudras.
1565 Adieu.
SCÈNE IV. Néoptolémus, Androclide, Gélon. §
NÉOPTOLÉMUS.
Adieu. Vit-on jamais une pareille audace ?
C’en est fait, dans mon coeur l’amour n’a plus de place,
L’ingrate en est indigne ; et sa dure fierté
Du mépris de mes voeux a trop fait vanité.
Plus d’ardeur, plus de pente à ce lâche hyménée
1570 Qui devait à mon sort unir sa destinée
Si mon amour s’en fit un bonheur souverain,
J’en voulais à son coeur en poursuivant sa main.
C’était pour le toucher qu’il aimait à s’accroître,
Et lorsque je connais qu’un autre en est le maître,
1575 Que pour lui dans son âme un feu trop allumé
M’arrache tout espoir d’être jamais aimé ?
Quand de ma violence appréhendant la suite
À m’épouser enfin je la verrais réduite,
Sachant sur ses désirs ce que peut Hippias,
1580 Les miens trop rebutés n’y consentiraient pas.
C’est peu qu’il l’ait forcée à trahir la Nature,
Sa lâcheté pour lui va jusqu’à l’imposture,
Lui seul a tout son coeur, lui seul a tous ses voeux.
Sans Androclide hélas ! Que je serais heureux !
ANDROCLIDE.
1585 Moi j’empêche, Seigneur, que son orgueil ne change ?
NÉOPTOLÉMUS.
Tous malheurs sont légers pourvu que l’on se venge.
La mort de mon rival punirait ses mépris,
Et prêt à l’ordonner, je vois qu’il est ton fils.
ANDROCLIDE.
Souffrir que mon repos au vôtre se préfère ?
1590 J’étais Sujet, Seigneur, avant que d’être père,
Et quoi que la Nature en frémisse d’effroi,
Je ne balance point sur ce que je vous dois.
Puisqu’un rival lui seul cause votre disgrâce,
Sans voir qu’il est mon fils punissez son audace,
1595 Et vengé par sa mort de tant de fiers refus,
Mettez-vous en état de rétablir Pyrrhus.
Par cet illustre effort couronnez votre gloire.
GÉLON.
Dieux ! Pourriez-vous, Seigneur, vous résoudre à l’en croire,
Et ce zèle si pur, si parfait, si soumis,
1600 Ne mérite-t-il point la grâce de son fils ?
Sa vertu par le sang vainement combattue,
Toujours ferme pour vous...
NÉOPTOLÉMUS.
Toujours ferme pour vous... C’est là ce qui me tue.
Je sais que pour ce fils il doit tout obtenir,
Mais connaître un rival, et ne le point punir !
ANDROCLIDE.
1605 Punissez-le, Seigneur, ce rival téméraire.
Quoi qu’oppose Gélon, croyez l’en moins qu’un père,
Et n’examinons point ce qui l’attache plus
Au parti de mon fils qu’à celui de Pyrrhus.
GÉLON, à Androclide.
À ce fils malheureux j’ai cru devoir ce zèle
1610 Mais si c’est pour Pyrrhus paraître moins fidèle,
Les effets feront voir s’il peut auprès du Roi
Attendre pour régner plus de vous que de moi.
NÉOPTOLÉMUS, à Gélon.
Va, ne t’en flatte point, sa perte est résolue,
Les mépris de sa soeur malgré moi l’ont conclue,
1615 Et mon trône avec lui n’est plus à partager,
Quand il lui peut fournir un bras à la venger.
Du moins pour vivre heureux après ma flamme éteinte,
Par la mort de Pyrrhus je dois régner sans crainte,
Et son sang...
ANDROCLIDE.
Et son sang... Ah, Seigneur, daignez-y mieux songer.
1620 Votre coeur d’une Ingrate aspire à se venger,
Mais quand l’Amour par elle au devoir se préfère,
Sera-ce la punir que d’immoler son frère,
Ce frère que tantôt, le voyant condamner,
Elle n’a point rougi de vous abandonner ?
1625 C’est sur son Amant seul qu’il faut que votre haine...
NÉOPTOLÉMUS.
L’Amant comme le frère aura part à la peine,
Et demain...
GÉLON.
Et demain... Quoi, Seigneur, vous les perdrez tous deux ?
NÉOPTOLÉMUS, montrant Androclide.
Non, il faut épargner un père malheureux,
Pyrrhus périra seul, mais de peur que l’ingrate
1630 De quelque espoir encor lâchement ne se flatte,
Je veux que son Amant, quand il perdra le jour,
En épousant ma fille accable son amour.
Cet hymen à leurs voeux par tant de droits contraire,
En me vengeant du fils, m’acquitte vers le père,
1635 Et je ne vois...
ANDROCLIDE.
Et je ne vois... Seigneur, Pyrrhus est condamné,
Et mon fils...
NÉOPTOLÉMUS.
Et mon fils... Tu perds temps, l’arrêt en est donné.
Où ta vertu pour moi te fait trop entre prendre,
Ce n’est pas ton conseil que la mienne doit prendre.
Suis-moi, Gélon.
ANDROCLIDE, seul.
Suis-moi, Gélon. Ô Dieux de mon bonheur jaloux,
1640 Par ce projet funeste où me réduisez-vous ?