M. DCC. LXXXVIII.
Par le Chevalier CUBIÈRES de PALMÉZEAUX.
PRÉFACE. §
Le Molière d’Italie, Monsieur Charles Goldoni est auteur d’une Comédie sur Molière même, et cette pièce qui porte le nom de son héros, a été représentée à Turin en 1751. Monsieur Mercier l’a traduite ou plutôt imitée, l’a fait imprimer sous le même titre en 1776, et les Comédiens Français ont joué sur leur Théâtre, en 1787, une imitation en quatre actes de cette imitation en cinq, sous le tire de la "Maison de Molière". J’appelle cette dernière une imitation, parce qu’ils ont transposé et abrégé plusieurs scènes du Molière de Monsieur Mercier. J’étais à la première représentation de cette "Maison de Molière", dont les trois premiers actes réussirent parfaitement, et dont le quatrième n’aurait pas eu moins de succès, si les Comédiens n’avaient pas intercalé une représentation du Tartuffe entre le troisième et le dernier acte de la pièce nouvelle. C’est par un noble zèle pour la gloire du créateur de la scène comique, qu’ils ont risqué cette innovation, et mon dessein n’est pas de les en blâmer. Cependant une représentation de neuf actes parut trop longue aux spectateurs, et la Maison de Molière, jouée depuis avec une pièce d’une moindre étendue, s’est soutenue sur le théâtre. Je l’ai vue plus d’une fois, et toujours avec plaisir, et cette pièce m’a donné l’idée de celle que j’ose présenter au public. Dès que Molière m’eut apparu lui-même sur une scène où, jusqu’à ce moment, j’avais admiré ses chefs-d’œuvre, dès que j’eus entendu parler celui qui a si bien fait parler les divers personnages éclos de son imagination féconde, je pris les pinceaux, à mon tour, et sans dire, comme Le Corrège, "et moi aussi, je suis peintre", j’essayai néanmoins d’ajouter quelques traits à une image que j’adore.
Il fallait, pour y réussir, trouver dans la vie de Molière une époque qui fût favorable à mon dessein. Monsieur Goldoni avait déjà pris la plus intéressante, celle où l’auteur du Tartuffe, pressé entre deux puissances également redoutables ; l’autorité de son Roi et la haine des hypocrites triompha de la seconde, en lui opposant la première, et il ne me restait plus qu’à glaner dans un champ où la moisson était déjà faite ; que dis-je ? Il me restait à relire la vie de Molière par Grimarest et les mémoires du temps ; je me remets donc à lire les mémoires du temps, et Grimarest qui, méprisé par quelques auteurs, a pourtant été la source où ont puisé ces auteurs mêmes, qui, ami et contemporain de Baron, paraît avoir écrit sous sa dictée, et après avoir relu, je n’ai pas de peine à me convaincre que l’événement qui causa la mort de Molière est celui de sa vie qui lui fait le plus d’honneur.
Tout le monde connaît cet événement, et il est inutile que je le raconte. Mais que ne puis-je graver dans tous les cours les belles paroles que répondit Molière à sa femme et à Baron, lorsqu’ils le conjurèrent, les larmes aux yeux, de ne point jouer dans son Malade imaginaire, et de prendre du repos pour se remettre de ses fatigues ! Les voici telles que Grimarest les rapporte. « Comment voulez-vous que je fasse leur dit-il ? Il y a cinquante pauvres ouvriers qui n’ont que leurs journées pour vivre, que feront-ils, si l’on ne joue pas ? Je me reprocherais d’avoir négligé de leur donner du pain un seul jour, le pouvant faire absolument. »
Qu’on songe à la circonstance où il les prononça ces paroles admirables, et l’on conviendra qu’elles le rendent digne de tous les hommages. Que ne suis-je né avec son talent, pour les consacrer dans une pièce aussi admirable que les siennes, et que ne puis-je du moins les faire écrire en lettres d’or sur la porte de tous les cabinets où les administrateurs des états travaillent en silence pour le bonheur des peuples ! J’ai été forcé de les altérer, et je les ai par conséquent affaiblies dans ma pièce ; mais une Comédie n’est point un récit historique ni une vie à la manière de Plutarque, et l’auteur dramatique est souvent obligé de plier les vérités pour donner à son ouvrage plus de vraisemblance.
Ces belles paroles, cependant, achevèrent de mettre le feu dans mon imagination déjà prête à s’enflammer. Je travaillai, nuit et jour, pour ne point la laisser éteindre, et quand ma pièce fut achevée, je courus la lire à des connaisseurs dont le jugement n’est point suspect. Quelques-uns me dirent que j’avais un peu trop altéré les faits historiques, et que ma comédie avait presque l’air d’un roman dialogué. Il ne me sera pas difficile de leur répondre. On sait, pour ne parler d’abord que de l’intrigue de ma comédie, on sait, dis-je, que Molière lut, un jour, sous son propre nom, une pièce de son camarade Brécourt à sa bonne servante Laforêt, et que cette fille, guidée par un instinct qui ne la trompait jamais, dit que cette pièce était trop mauvaise, pour avoir été composée par son maître. J’ai appliqué cette anecdote à Chapelle, ami de Molière, parce que Chapelle m’a paru un personnage plus intéressant à mettre au théâtre que Brecour, et de pareils changements doivent être permis, puisque, sans rien changer au fond, ils rendent les formes plus vraisemblables. Chapelle d’ailleurs, si l’on excepte son voyage qu’il a composé avec Bachaumont, n’a guère fait que des vers assez médiocres, et s’il faut en croire(1) l’estimable commentateur de Molière, celui-ci, étant pressé par Louis XIV pour la comédie des Fâcheux, pria Chapelle de l’aider, et Chapelle y consentant lui apporta, quelques jours après, une scène détestable.
On sait que Baron fut l’élève de Molière, que Molière eut une fille de la fille de la Béjart, et n’ai-je pas pu supposer que Baron en était amoureux, et que Molière voulut les unir, sans rien avancer d’impossible ou d’extraordinaire. On sait le trait de bienfaisance de Molière envers le Comédien Mondorge. Monsieur de Voltaire l’a cité dans la vie qu’il a faite de Molière, et qu’il destinait à une édition des ouvres de ce grand homme. Je n’ai fait que rapprocher ce trait de l’époque de la mort de Molière, à laquelle il fut antérieur, et si je blesse la chronologie, je ne crois pas offenser la raison.
Grimarest est mon garant pour la haine que Baron inspirait à la Molière. On sait ce qu’il raconte à ce sujet ; il dit, en parlant de celle-ci, qu’elle ne fut pas plutôt Mademoiselle de Molière, qu’elle crut être au rang d’une Duchesse. Et pourra-t-on d’après cela blâmer la hauteur et l’orgueil que j’ai donnés à la Molière ? Quant aux autres personnages que j’introduis dans ma comédie, on sait que le Docteur Mauvilain fut toujours l’ami de Molière, et Montausier son admirateur, et j’ai pu amener dans sa maison Montausier et le Docteur Mauvilain. L’hypocrite Pirlon y vient sans doute pour apprendre, sur la mort de Molière, quelques détails dont sa haine et son esprit de vengeance puissent tirer quelque avantage. Ce personnage d’ailleurs m’a paru si dramatique et si plaisant dans la maison de Molière, que les auteurs de cette pièce m’ont donné l’exemple de l’employer, et je ne pense pas qu’on fasse mal de suivre de bons exemples.
Que n’ai-je pu aussi les imiter dans mon dénouement ! Quelques personnes eussent désiré que je fisse expirer Molière sur le Théâtre ; mais outre que cette fin aurait altéré la vérité, puisqu’il mourut dans son lit et dans sa maison, n’aurait-on pas eu le droit, si j’avais suivi leur conseil, de comparer ma pièce au monstre d’Horace ; et ne trouverait-on pas ridicule et tout à fait hors des règles et de l’usage un ouvrage dramatique, qui, commençant d’une manière assez comique, eût fini si tragiquement ? Ma pièce a déjà assez de défauts, et je n’ai pas voulu qu’on pût lui reprocher une disparate aussi choquante.
Mais c’est trop entretenir mes lecteurs d’une bagatelle qui ne mérite, ni les honneurs ni les frais d’une dissertation. Parlons plutôt de la Maison de Molière, qui m’a, comme je l’ai dit, donné l’idée de ma comédie, et qui, à tous égards, lui est si supérieure. Quelques dames de l’extrêmement bonne compagnie m’ont assuré que cette Pièce les avait ennuyées à périr; que c’était un Ouvrage qui n’avait pas le sens commun, et qu’elles donneraient leurs loges à leurs femmes chaque fois qu’on la jouerait. Quelques Messieurs d’un très bon ton ont été de l’avis de ces dames ; et moi, j’ai toujours été et je serai toujours de l’avis du public qui, dans les trois premiers actes, a vivement partagé les alarmes que cause à un grand homme la défense inattendue de mettre au théâtre son chef-d’œuvre ; de ce public qui s’est plu à voir ce grand homme dans l’intérieur de son domestique, et, pour ainsi dire en déshabillé ; qui a tressailli, qui a pleuré de joie avec ce grand homme, lorsque la Thorilliere vient lui annoncer que Louis XIV a levé les obstacles qui suspendaient la représentation de l’Imposteur. Et quel spectacle est plus touchant et plus noble, en effet, que de voir le génie aux prises avec ce qu’il y a de plus redoutable sur la terre; un despote qui veut être obéi et l’envie qui le persécute ? Croit-on que l’intrigue de nos jolies petites comédies, telles que la Feinte par amour, la Surprise de l’amour, Amour pour Amour, et tant d’autres, soient d’une plus grande importance ? Croit-on que la Coquette corrigée, la Coquette fixée et toutes les Coquettes du monde doivent plus exciter l’admiration et remuer plus fortement le cour que le tableau vrai et naturel d’un caractère vertueux, et que le sort d’un sublime drame, fait pour éclairer et corriger les humains, n’intéresse pas davantage que le mariage d’un fat avec une petite maîtresse, le récit d’une anecdote de ruelle ou le dénouement d’un imbroglio tissu par des valets ?
Je vais plus loin: une vieille tradition nous a appris que Boileau, interrogé par Louis XIV, qui voulait savoir quel était le plus grand homme de son siècle, répondit sans hésiter: Molière. Et moi, j’ai osé me dire souvent que Molière était encore le personnage le plus théâtral qu’on ait jamais transporté sur la scène française, et je ne doute point qu’on ne réussisse chaque fois qu’on l’y peindra avec vérité. Les vertus de Molière sont connues depuis long-temps. Il était bon père, époux sensible, ami généreux, citoyen bienfaisant: sa vie a été pure comme le serait celle d’une de ces créatures privilégiées qui descendrait du Ciel et viendrait commencer et achever sur la terre les courtes et déplorables révolutions de la vie humaine. C’est beaucoup pour plaire sans doute; mais peut être ce n’est pas tout. Il résulte de tout ce qu’on a écrit sur ce grand homme et de ce qu’il a écrit lui-même, que ses passions étaient extrêmes. On sait que celle de l’amour a fait le tourment de sa vie, et n’est-ce pas celle de la gloire, qui, poussée au dernier degré, a soutenu son courage au milieu de toutes les contrariétés que ses ennemis lui ont fait éprouver ? Grimarest et la tradition nous apprennent que sa franchise tenait de la brusquerie, qu’il était né avec un tempérament bilieux, quoique mélancolique, que son humeur allait souvent jusqu’à la colère; et ce n’est pas sans raison qu’on a cru que le Misanthrope était Molière lui-même, et qu’il s’était peint dans le sublime rôle d’Alceste.
Qu’on lise ses chefs-d’oeuvre avec attention, et l’on verra que cette humeur qui le dominait, il l’a donnée à presque tous ses personnages. Ce Misanthrope que je viens de citer est en colère depuis le premier vers de son rôle jusqu’au dernier; il rudoie, il gronde, il brusque tout le monde.
Quelle véhémence et quelle âpreté dans ce début ! Celui du Tartuffe est dans le même genre. La vieille Madame Pernelle ne semble se ranimer que pour se plaindre de toute sa famille, que pour la gourmander, si je puis me servir de ce terme, et donner à chacun son paquet, comme l’a si bien dit Molière lui-même dans une autre pièce: son courroux va même jusqu’à lâcher des jurements, tels que jour de Dieu ! Morbleu ; termes toujours déplacés dans la bouche d’une femme, mais placés avec grâce dans cette première scène. Le vieux Gorgibus ne parle pas avec plus de douceur dans les Précieuses ridicules. Le Chrysale des Femmes Savantes se laisse aller au même emportement, et la passion d’Arnolphe, autrement M. de la Souche, est si vive, qu’Orosmane, que le brûlant Orosmane ne me paraît pas plus amoureux de Zaïre que cet Arnolphe ne l’est de la naïve Agnès. On pourrait dire de La Fontaine qu’il avait dans ses Fables sa propre simplicité, et de Molière qu’il eut l’impétuosité des principaux personnages de ses Comédies. On sait même qu’il poussait cette impétuosité jus qu’à la minutie. Si par hasard on lui dérangeait les moindres choses dans son cabinet, s’il ne les trouvait pas toutes dans l’ordre où il les avait laissées, si on changeait un livre de place, on dit qu’aussitôt il entrait en fureur, qu’elle durait des semaines entières, et que même il cessait de travailler. Je ne doute point que la plupart de ces personnages, toujours hors d’eux-mêmes, n’aient fait le succès de ses belles comédies; et peut-être ne serait il pas difficile d’en donner la raison. Outre qu’un personnage qui a de l’humeur, est presque toujours passionné, et qu’une passion quelconque exhale un feu qui vivifie, qui anime et qui subjugue les plus froids spectateurs ; j’ai souvent observé qu’on était porté à rire des gens qui se mettaient en colère, et si l’on veut en avoir un exemple, qu’on se rappelle la fameuse scène de MM. Piron, Collé et Gallet chez le Commissaire Lafoss. Après avoir été conduits chez lui par le guet, qui les avait trouvés se disputant dans la rue, le Clerc du Commissaire les interroge d’abord avec gravité ; ils répondent de même ; mais ils disent des choses si plaisantes, que la gravité du Juge se change en fureur, et alors le rire des trois accusés devient inextinguible, que dis-je ? Il gagne toute l’assemblée, et finit par élargir scandaleusement la bouche des alguasils qui les ont arrêtés. Ce ne sont pas toujours de bons mots ou des reparties vives et heureuses qui excitent la gaieté. Les Comédies étincelantes de traits d’esprit et de saillies ingénieuses, telles que le Méchant et quelques autres font sourire, mais elles n’épanouissent point la rate ; mais elles ne font point circuler la joie universellement. La véritable gaieté ou plutôt le vis comica résulte du choc de deux passions opposées qui se combattent et qui toutes deux ont tort. Je m’explique : lorsque deux hommes sensés ou qui au moins devraient l’être, se fâchent et s’injurient, ils descendent pour ainsi dire, de la hauteur de leur raison. L’homme alors redevient enfant, et charmés intérieurement de voir qu’il se dégrade et qu’il perd ses plus beaux avantages, les spectateurs s’en moquent, et la malice humaine les porte à manifester la pitié dérisoire qu’il inspire, et le plaisir secret qu’il fait naître. Il n’y a que la déraison bien prouvée qui excite le rire, et les passions poussées à l’extrême font-elles autre chose que déraisonner ? Molière enfin était un homme passionné. Il a prouvé par ses Comédies que ces caractères réussissaient toujours au Théâtre; et doit-on être surpris qu’il y ait beaucoup réussi lui-même, lorsque MM. Goldoni et Mercier nous ont offert le véritable original de toutes ces différentes copies ?
Cet original aurait produit de bien plus grands effets, si ces MM. avaient choisi une époque plus avancée dans sa vie, s’ils l’eussent pris, par exemple ; un an ou deux après son mariage, s’ils eussent peint cet amour véhément et toujours contrarié que sa femme lui inspira, les querelles qu’il excita, les brouilleries et les raccommodements dont il fut cause. Quelle pièce admirable ne ferait-on pas en effet de Molière, jaloux de sa femme, de Molière amoureux ? Une femme de théâtre peut se conserver pure au milieu de la corruption ; mais elle est exposée à toutes les attaques, et qu’elle y succombe ou non, quel effroi ne doit point causer à un mari la foule des adorateurs qui l’environnent, et quel parti ne tirerait-on pas du plus passionné, du plus emporté de tous, de Molière toujours placé entre sa jalousie naturelle et une épouse coquette? Cette jalousie a d’abord frappé mon esprit comme le trait le plus apparent du caractère de Molière, et j’ai voulu en faire usage ; mais j’ai senti en y réfléchissant, qu’une pareille tâche serait au-dessus de mes forces, et je laisse à d’autres le soin de la remplir.
Quoique le domaine de Thalie ne soit point épuisé pour l’homme de génie, malgré toutes les moissons qu’on y a faites, quoique des palmes nouvelles y croissent sans cesse, et y reverdissent pour lui sur des palmes déjà cueillies, on ne peut se dissimuler néanmoins que les principaux caractères ont déjà été traités, et qu’il ne reste plus guère à manier que des caractères secondaires. Pourquoi donc ne suivrait-on pas une carrière déjà ouverte avec succès par quelques Littérateurs célèbres ? Pourquoi, au défaut des caractères, ne mettrait-on pas sur la scène française les grands hommes de tous les Etats, qui, depuis environ douze siècles, ont illustré la Nation ? Nos Rois vertueux, par exemple, nos vaillants Généraux, nos Ministres habiles et nos Auteurs immortels ? Henri IV nous a déjà charmés par sa noble loyauté, sa simplicité auguste et sa touchante sensibilité. Nos larmes coulent chaque fois que nous le voyons chez le paysan Michaut, essuyer furtivement les siennes, aux éloges qu’on fait du meilleur des Princes. M. Pilhes, dans le Bienfait anonyme, nous a fait adorer la bienfaisance de Montesquieu, et nous avons ri lorsqu’une main habile a levé à nos yeux le rideau qui couvrait l’intérieur de la maison de Molière. Ne nous reste-t-il pas encore une foule de Citoyens et de Souverains fameux, dont la grande ombre ne demande qu’à être évoquée, et que nous pouvons faire mouvoir et agir sur notre Théâtre ? Charles V, Louis XII et Louis XIV y seraient-ils déplacés ?
Croit-on que, si l’on y voyait le modeste Catinat attendre deux heures et demie dans l’antichambre d’un Commis, et que, si on l’entendait, lorsque le protecteur subalterne, le reconnaissant, lui balbutie des excuses, répondre, sans se fâcher, ces belles paroles; ce n’est pas ma personne que vous avez tort de laisser dans votre antichambre; c’est un officier, quel qu’il soit: ils sont tous également au service du Roi, et vous êtes payé pour leur répondre>>. Croit-on même que, si on pouvait l’y surprendre jouant aux quilles avec ses soldats le jour de sa première victoire : croit-on, dis-je, que la peinture d’un pareil caractère n’enchanterait pas autant que celle d’un Marquis imaginaire qui trompé cinq ou six femmes à la fois, et s’applaudit de ses conquêtes ? Croit-on que le mot si connu de Turenne, et quand même ç’eût été George, fallait-il frapper si fort ? Ne serait pas autant rire que les proverbes de Molière ? Et si on entendait le bon La Fontaine, dépouillé de tout, dire naïvement à son ami qui lui offre un asile, j’y allais, croit-on que ces mots prononcés par des Acteurs intelligents et sensibles, n’exciteraient pas en nous la plus vive admiration et ne contribueraient pas à nous rendre meilleurs ? Pelisson, sacrifiant son honneur pour sauver l’honneur de son ami, Fénélon instruisant son royal élève ; J. J. Rousseau confessant noblement ses fautes, ne valent-ils pas les Valère, les Clitandre, les Damis et mille autres personnages éclos du cerveau des poètes et qui n’ont jamais eu d’existence réelle que dans quelques cercles où on les choisit, pour leur donner l’expression et la physionomie qui leur manquent ?
Mais dira-t-on peut-être, il faudrait, en mettant ces grands écrivains sur la scène, donner à chacun le style de leurs Ouvrages : il faudrait leur prêter le langage qu’ils ont parlé dans leurs écrits, et il n’est pas facile d’imiter le faire des Rousseau, des Fénélon, des Pelisson, des La Fontaine, et toujours, comme dit si ingénieusement celui-ci, toujours on serait trahi par quelque bout d’oreille. L’objection est spécieuse, et l’on doit peu s’en embarrasser. Les Gens de Lettres les plus renommés ont parlé aussi simplement que les autres hommes, et ce n’est pas le style de leurs écrits qu’il faudrait imiter, mais celui de leur conversation. Le roitelet n’est pas obligé d’avoir le vol de l’aigle; mais le roitelet a sa manière de voler, et il ne doit pas vouloir plus qu’il ne peut faire. S’il fait au contraire tout ce qu’il peut, on lui saura gré de ses efforts. Il y a grande apparence que les Dieux avaient un langage infiniment plus sublime que les mortels, et lorsqu’Homère se rend l’interprète de Jupiter, de Junon, de Vénus, etc. Il ne les fait point parler en vers plus harmonieux, plus corrects ou plus relevés qu’Agamemnon, Ajax, Hector et Achille ; que dis-je ? Si on introduisait Racine dans une Comédie, et qu’on lui prêtât les images pompeuses et les tours ambitieux du récit de Théramène, on ferait siffler un versificateur qui ne doit jamais l’être, et rien ne pourrait faire excuser un si ridicule contre-sens. Que celui donc qui mettra nos grands Auteurs sur le Théâtre, se contente de les peindre comme ils étaient: voilà l’important, et qu’il n’emprunte point une palette étrangère. Il arrivera de là que la scène française, rivale du paisible Elisée, nous offrira ce qu’il y eut de plus grand et de plus vertueux sur la terre, et nous y verrons bientôt errer ces morts immortels dont les traits ne nous sont transmis que dans des gravures insipides ou des bustes inanimés. On sera peut-être surpris que j’aie ajouté au titre de ma Pièce la date de sa réception à la Comédie Française. J’ai eu plus d’une raison pour agir ainsi: la Comédie Française ne pouvait point refuser une Pièce en l’honneur de Molière, une espèce d’apothéose de ce grand homme, sans manquer au respect dont tous ses membres sont pénétrés pour lui. Aussi n’en est il pas un qui ne l’ait reçue avec des marques du plus vif intérêt; pas un qui ne m’ait donné des conseils pour la rendre meilleure, et pour ne point leur faire de vains compliments, j’ai mis en tête qu’ils l’avaient reçue. Pouvais-je mieux leur témoigner ma reconnaissance.
Ayant su d’ailleurs que quelques Littérateurs estimables devaient traiter le même sujet que moi, et ne pouvant avoir sur eux que le mérite de l’antériorité, j’ai fait imprimer mon Ouvrage pour prendre date, et pour m’assurer les seuls droits qu’on ne saurait me disputer.
(1) Le Commentaire de M. Bret, sur les ouvres de Molière, est un des meilleurs Ouvrages de notre langue. Auteur lui-même de Comédies très agréables, M. Bret apprécie avec autant de goût que de jugement tous les chefs-d’ouvre de son auteur: il parle de ses défauts avec respect, de ses beautés avec amour, et une noble franchise est toujours son guide. Je n’ai bien connu Molière qu’après avoir lu M. Bret. M. Bret est le premier qui ait vengé ce grand homme du reproche très injuste que lui ont fait quelques-uns de ses ennemis d’avoir puisé le plan et même les scènes du Tartuffe dans une mauvaise farce italienne, intitulée: Il dottor Bacchetone. Il prouve invinciblement que cette farce n’est elle-même qu’une plate imitation du Tartuffe. Les recherches pénibles et nombreuses qu’il a faites à ce sujet, sont dignes des plus grands éloges. M. Bret ne se contente pas de juger et de commenter Molière : il rapporte dans ses Avertissements et Observations les anecdotes les plus curieuses sur ce grand homme: il n’oublie rien de ce qui peu nous le faire envisager sous tous les aspects. On aime Molière après avoir lu ces avertissements, et l’on a pour M. Bret autant d’estime que de reconnaissance.
PERSONNAGES. §
- MOLIÈRE.
- LA MOLIÈRE, sa femme.
- ISABELLE, sa fille.
- CHAPELLE, ami de Molière.
- BARON.
- MONTAUSIER.
- Le Docteur MAUVILAIN ou MAUGUILLAIN.
- PIRLON.
- LA FORÊT, Servante de Molière.
- LESBIN, Valet de Molière.
- UN SEMAINIER.
- UN GARÇON DE THÉÂTRE.
- Plusieurs Acteurs de la Troupe de Molière.
ACTE I §
SCÈNE PREMIÈRE. §
MOLIÈRE, seul.
SCÈNE II. Lesbin, Molière. §
MOLIÈRE.
LESBIN.
MOLIÈRE.
SCÈNE III. §
MOLIÈRE, seul.
SCÈNE IV. Chapelle, fredonnant un air à boire, Molière. §
MOLIÈRE.
CHAPELLE.
MOLIÈRE.
CHAPELLE.
MOLIÈRE.
CHAPELLE.
MOLIÈRE.
CHAPELLE.
MOLIÈRE.
CHAPELLE.
MOLIÈRE.
CHAPELLE.
MOLIÈRE.
CHAPELLE.
MOLIÈRE.
CHAPELLE.
MOLIÈRE.
CHAPELLE.
MOLIÈRE.
CHAPELLE.
MOLIÈRE, appelant.
SCÈNE V. Laforêt, Chapelle, Molière. §
LAFORÊT.
MOLIÈRE.
LAFORÊT.
MOLIÈRE.
LAFORÊT.
MOLIÈRE, lisant.
CHAPELLE, à Molière.
MOLIÈRE.
« ACTE PREMIER.
SCÈNE PREMIÈRE. Lafleur, Rosette.
ROSETTE.
LAFLEUR.
ROSETTE.
LAFLEUR.
ROSETTE.
LAFLEUR.
ROSETTE.
LAFLEUR.
MOLIÈRE, s’interrompant en voyant Laforêt dormir et l’appelant.
CHAPELLE.
LAFORÊT, se réveillant et se frottant les yeux.
MOLIÈRE.
LAFORÊT.
MOLIÈRE.
CHAPELLE.
LAFORÊT.
CHAPELLE.
LAFORÊT, à Molière.
MOLIÈRE.
SCÈNE VI. Molière, Chapelle. §
MOLIÈRE.
CHAPELLE.
MOLIÈRE.
CHAPELLE.
MOLIÈRE.
SCÈNE VI.. Un garçon de théâtre, Molière, Chapelle. §
LE GARÇON DE THEATRE, à Molière.
MOLIÈRE, à Chapelle.
LE GARÇON DE THEATRE.
MOLIÈRE.
SCÈNE VI.I. §
CHAPELLE, seul.
SCÈNE IX. Chapelle, La Molière. §
LA MOLIÈRE, avec humeur.
CHAPELLE.
LA MOLIÈRE.
CHAPELLE.
LA MOLIÈRE.
CHAPELLE.
LA MOLIÈRE.
CHAPELLE.
LA MOLIÈRE, avec un dédain affecté.
CHAPELLE.
SCÈNE X. §
LA MOLIÈRE, seul.
SCÈNE XI. La Molière, Isabelle. §
LA MOLIÈRE.
ISABELLE.
LA MOLIÈRE.
ISABELLE.
LA MOLIÈRE, avec colère.
ISABELLE.
LA MOLIÈRE.
ISABELLE.
LA MOLIÈRE.
ISABELLE.
LA MOLIÈRE.
ISABELLE.
LA MOLIÈRE.
ISABELLE.
LA MOLIÈRE.
ISABELLE.
LA MOLIÈRE.
ISABELLE.
LA MOLIÈRE.
ISABELLE.
LA MOLIÈRE.
ACTE II §
SCÈNE PREMIÈRE. Molière, La Molière, Isabelle. §
MOLIÈRE, avec beaucoup d’émotion et l’habit du Malade Imaginaire.
LA MOLIÈRE.
MOLIÈRE.
LA MOLIÈRE.
MOLIÈRE.
LA MOLIÈRE.
MOLIÈRE.
LA MOLIÈRE.
MOLIÈRE.
LA MOLIÈRE.
MOLIÈRE.
LA MOLIÈRE.
MOLIÈRE.
LA MOLIÈRE.
ISABELLE.
LA MOLIÈRE.
MOLIÈRE.
LA MOLIÈRE.
ISABELLE.
LA MOLIÈRE, à part.
LA MOLIÈRE.
MOLIÈRE.
LA MOLIÈRE.
MOLIÈRE.
LA MOLIÈRE.
MOLIÈRE.
LA MOLIÈRE.
SCÈNE II. Molière, Baron, Isabelle. §
MOLIÈRE.
BARON.
MOLIÈRE.
MOLIÈRE.
BARON.
MOLIÈRE, avec un transport de sensibilité.
BARON.
MOLIÈRE.
BARON.
MOLIÈRE, très vivement.
BARON.
MOLIÈRE.
BARON.
MOLIÈRE.
BARON.
MOLIÈRE, lui donnant de l’argent.
ISABELLE, lui donnant aussi de l’argent.
MOLIÈRE.
ISABELLE.
BARON.
MOLIÈRE.
BARON.
MOLIÈRE, le rappelant après qu’il a fait quelques pas.
BARON.
SCÈNE III. Molière, Isabelle. §
MOLIÈRE.
ISABELLE.
MOLIÈRE.
ISABELLE.
MOLIÈRE.
SCÈNE IV. Un Semainier, Molière, Isabelle. §
Semainier : Comédien chargé, pendant une semaine, de tous les détails relatifs à la composition et l’exécution du répertoire.
LE SEMAINIER.
MOLIÈRE.
SCÈNE V. Molière, Isabelle. §
ISABELLE.
MOLIÈRE.
ISABELLE.
MOLIÈRE.
ISABELLE.
MOLIÈRE.
ISABELLE.
MOLIÈRE.
ISABELLE, tombant à ses genoux.
MOLIÈRE.
ISABELLE.
MOLIÈRE.
ISABELLE.
MOLIÈRE.
ISABELLE.
MOLIÈRE.
ISABELLE.
SCÈNE VI. Molière, Isabelle, Lesbin. §
LESBIN, une lettre à la main.
MOLIÈRE.
Vous savez, mon cher Molière, que je travaille depuis longtemps à votre portrait ; l’amitié qui nous unit et votre grande réputation me faisaient une loi d’y mettre tout le soin dont je suis capable, et cette loi a été ma règle unique : je l’ai achevé enfin, et si vous voulez m’attendre chez vous aujourd’hui, je vous le ferai porter, afin que vous m’en disiez votre avis. Ce n’est jamais en vain que je vous ai consulté sur mes ouvrages. Si vous trouvez à redire à celui ci, je le retoucherai et vous prouverai par ma docilité les sentiments respectueux et tendres que vous m’avez toujours inspirés.
ISABELLE.
MOLIÈRE.
SCÈNE VII. Baron, Molière, Isabelle. §
BARON.
MOLIÈRE.
BARON.
MOLIÈRE.
BARON.
MOLIÈRE.
BARON.
MOLIÈRE.
SCÈNE VIII. Isabelle, Baron. §
ISABELLE, faisant le rôle d’Angélique dans le Malade Imaginaire.
Ô Ciel ! Quelle infortune ! Quelle atteinte cruelle ! Hélas ! Faut-il que je perde mon père, la seule chose qui me restait au monde, et qu’encore, pour un surcroît de désespoir, je le perde dans un moment où il était irrité contre moi ! Que deviendrai je, malheureuse ! Et quelle consolation trouver après une si grande perte ?
SCÈNE XXI, du Malade Imaginaire. ANGÉLIQUE, CLÉANTE.
CLÉANTE.
Qu’avez-vous donc, belle Angélique, et quel malheur pleurez-vous ?
ANGÉLIQUE.
Hélas ! Je pleure tout ce que, dans la vie, je pouvais perdre de plus cher et plus précieux. Je pleure la mort de mon père.
CLÉANTE.
Ô Ciel ! Quel accident ! Quel coup inopiné ! Hélas ! Après la demande que j’avais conjuré votre oncle de faire pour moi, je venais me présenter à lui, et tâcher par mes respects et par mes prières, de disposer son cour à vous accorder à mes voux.
ANGÉLIQUE.
Ah ! Cléante, ne parlons plus de rien : laissons là toutes les pensées du mariage. Après la perte de mon père, je ne veux plus être du monde, et j’y renonce pour jamais. Oui, mon père, si j’ai résisté tantôt à vos volontés, je veux suivre du moins une de vos intentions, et réparer par là le chagrin que je m’accuse de vous avoir donné.
BARON, à part.
SCÈNE VIII. Baron, Isabelle. §
BARON.
ISABELLE.
BARON.
ISABELLE.
SCÈNE IX. Isabelle, Baron, Le Docteur Mauvilain, §
LE DOCTEUR.
ISABELLE.
LE DOCTEUR.
ISABELLE, à Baron.
LE DOCTEUR.
SCÈNE X. Isabelle, Molière, Baron. §
MOLIÈRE.
ISABELLE.
MOLIÈRE.
BARON.
MOLIÈRE.
BARON.
MOLIÈRE.
SCÈNE XI. Isabelle, Molière, Baron, Chapelle. §
CHAPELLE.
MOLIÈRE.
CHAPELLE.
MOLIÈRE, avec un commencement de colère.
CHAPELLE.
MOLIÈRE, lui tendant les bras dans lesquels il se jette.
SCÈNE XII. §
CHAPELLE, seul.
ACTE III §
SCÈNE PREMIÈRE. §
CHAPELLE.
SCÈNE II. Laforêt, Chapelle. §
LAFORÊT.
CHAPELLE.
LAFORÊT.
CHAPELLE.
LAFORÊT, très alarmée.
CHAPELLE, la retenant.
LAFORÊT.
CHAPELLE.
SCÈNE III. Molière soutenu par sa fille et Baron qui l’asseyent dans le fauteuil, Chapelle, Isabelle, Baron. §
MOLIÈRE.
CHAPELLE.
MOLIÈRE.
LAFORÊT, revenant.
MOLIÈRE.
SCÈNE IV. Laforêt, Chapelle, Isabelle, Molière, Baron, Le Docteur. §
LE DOCTEUR.
MOLIÈRE.
18LE DOCTEUR.
MOLIÈRE.
LE DOCTEUR.
MOLIÈRE, l’interrompant.
LE DOCTEUR.
MOLIÈRE, l’interrompant.
LE DOCTEUR.
MOLIÈRE, souriant.
LE DOCTEUR.
ISABELLE, à Molière.
MOLIÈRE, à Isabelle.
LE DOCTEUR.
MOLIÈRE, souriant.
LE DOCTEUR.
MOLIÈRE.
LE DOCTEUR, à part.
MOLIÈRE.
LE DOCTEUR.
MOLIÈRE.
BARON.
CHAPELLE, à Laforêt et au Docteur.
SCÈNE V. §
BARON, seul.
SCÈNE VI. Un domestique, Baron. §
LE DOMESTIQUE.
BARON.
SCÈNE VII. Baron, Montausier. §
MONTAUSIER.
BARON.
MONTAUSIER.
BARON.
MONTAUSIER.
BARON.
MONTAUSIER.
BARON.
MONTAUSIER.
SCÈNE VI.I. Montausier, Baron, Pirlon. §
PIRLON, d’un air hypocrite et d’un ton mielleux.
BARON.
PIRLON.
BARON.
PIRLON.
MONTAUSIER, bas à Baron.
BARON, bas à Montausier.
MONTAUSIER.
BARON.
MONTAUSIER.
PIRLON.
MONTAUSIER.
PIRLON, s’inclinant.
MONTAUSIER.
PIRLON.
MONTAUSIER.
PIRLON.
MONTAUSIER.
PIRLON.
MONTAUSIER.
PIRLON.
MONTAUSIER.
PIRLON.
MONTAUSIER.
PIRLON.
MONTAUSIER.
SCÈNE IX. Chapelle, Isabelle, Montausier, Baron, Pirlon. §
BARON.
ISABELLE, au désespoir, à Chapelle qui la suit.
CHAPELLE.
ISABELLE.
BARON.
ISABELLE.
SCÈNE X. Chapelle, Isabelle, Baron, Montausier, Pirlon, Lesbin. §
LESBIN.
ISABELLE.
LESBIN.
ISABELLE, le considérant.
CHAPELLE.
SCÈNE XI. §
ISABELLE, seule, parlant au portrait.
SCÈNE XII. Chapelle, La Molière, Isabelle. §
LA MOLIÈRE, en pleurs.
ISABELLE, avec un cri déchirant et s’évanouissant dans les bras de sa mère
SCÈNE XIII. Chapelle, Baron, Isabelle, La Molière, plusieurs Acteurs de la troupe. §
CHAPELLE.
SCÈNE XIV et dernière. §
CHAPELLE, aux acteurs de la troupe de Molière.