SCÈNE II. Philacte, Callitée. §
CALLITÉE.
Au gracieux Philacte, honneur, joie et salut.
PHILACTE.
Très humble serviteur, charmante Callitée.
CALLITÉE.
Mais n’ai-je point troublé le tendre souvenir
285 De quelque aimable objet, dont votre âme flattée
Se plaisait à s’entretenir ?
De quelque agréable pensée
Je vous distrais peut-être en ce moment ?
PHILACTE.
N’en soyez point embarrassée,
290 Je pense toujours, moi, fort agréablement :
Mais on ne jouit pas toujours de l’agrément
D’un entretien comme le vôtre ;
J’en connais le prix mieux qu’un autre.
CALLITÉE.
Philacte est tout à fait galant.
PHILACTE.
295 Je fais profession de l’être,
C’est mon premier métier, et mon plus beau talent,
Et sans trop me flatter, j’y suis assez bon maître :
Mais d’un objet charmant la vue et l’entretien,
Fait qu’on a moins de peine encore à le paraître,
300 Et la beauté ne gâte jamais rien.
CALLITÉE.
En vérité je suis ravie
De vous trouver pour moi de pareils sentiments :
Mais laissons là les compliments,
Bannissons la cérémonie.
PHILACTE.
305 C’est fort bien dit.
CALLITÉE.
C’est fort bien dit. Il ne tiendra qu’à vous
Que désormais, tous deux d’intelligence,
Nous n’ayons de concert un commerce entre nous
D’entretien et de confiance,
Et que par un retour sincère et mutuel…
PHILACTE.
310 Hélas très volontiers, je ne suis point cruel,
Et jusqu’où vous voudrez nous pousserons l’affaire ;
Je ne m’en dédis point, et je ne puis m’en taire,
Voici le plus charmant séjour…
CALLITÉE.
Que dites-vous ?
PHILACTE.
Que dites-vous ? Je n’en fais point mystère,
315 Je dis que c’est ici pour moi le plus beau jour,
Que je suis le mortel le plus heureux…
CALLITÉE.
Que je suis le mortel le plus heureux… Peut-être.
Ne puis-pas, car je sais me connaître,
Vous faire un bonheur tel que vous le souhaitez,
Ou tel que vous le méritez ?
320 Mais, et vous le savez, je sers une maîtresse.
PHILACTE.
Vous vous moquez de moi vraiment.
CALLITÉE.
Non, je parle sincèrement ;
Il ne tiendra qu’à vous qu’elle ne s’intéresse…
PHILACTE.
Mais fi donc, vous n’y songez pas :
325 Le ciel entre nous deux a mis trop d’intervalle
Pour… Baste, elle fera le bonheur de Céphale,
Et… Chargez-vous du mien, je ne m’en plaindrai pas.
CALLITÉE.
Nous y travaillerons de concert l’un et l’autre :
Mais comme vous pouvez contribuer au nôtre,
330 Je voudrais apprendre de vous…
PHILACTE.
Je veux aussi de vous savoir certaine chose.
CALLITÉE.
Très volontiers : mais la loi que j’impose,
C’est que la bonne foi surtout règne entre nous.
PHILACTE.
D’accord, soit.
CALLITÉE.
D’accord, soit. Je veux pour vous marquer la mienne,
335 Être la première à parler :
Mais prenez garde ensuite à ne me rien celer.
PHILACTE.
Non, je vous le promets.
CALLITÉE.
Non, je vous le promets. Qu’il vous en souvienne.
Quand on m’ose mentir, je sais le démêler,
Je vois fort clair.
PHILACTE.
Je vois fort clair. Tant mieux, c’est votre affaire,
340 Et la mienne est à moi, que vous soyez sincère ;
Soyez-le donc si vous pouvez.
Le Prince Céphale, mon maître,
Est un garçon bien fait, comme vous le savez,
Mais modeste, fort sage, et des plus réservés,
345 Comme vous l’ignorez peut-être.
Fort bien. C’est là ce qui fait naître,
Le goût que je crois qu’aujourd’hui
Votre maîtresse a pris pour lui.
CALLITÉE.
Cela se pourrait bien, une coquette habile,
350 Qui cherche des plaisirs solides et certains,
Préfère la sagesse indolente et tranquille,
Fût-ce même d’un imbécile,
Au dangereux brillant des fameux libertins.
PHILACTE.
Ce n’est pas là le caractère
355 Du maître que je sers. Mais s’il ne faut rien taire,
Ce qui nous arrive en ces lieux
Nous surprend, et donne à tous deux
Une certaine défiance…
CALLITÉE.
C’est là ce qui le rend si retenu, je pense ?
CALLITÉE.
Justement. Ainsi donc tous deux embarrassés…
PHILACTE.
Nous le sommes, ma foi, plus que vous ne pensez…
21
Hé ! Qui ne le serait ? Au pied du Mont Hymette,
De nombre de chasseurs Céphale accompagné,
Se trouve au rendez-vous qu’il avait désigné :
365 Le Cerf débuche, et gagne un bosquet sur la droite ;
Nos chiens après : nous suivons, nous allons
De rochers en rochers, de vallons en vallons :
Puis, par une route connue,
Nous coupons dans la plaine où nous chassons à vue.
370 Le Cerf regagne les hauteurs ;
Nos chiens presque tous hors d’haleine
Perdent la voie et chassent avec peine :
La force manque aux plus hardis chasseurs.
L’air s’obscurcit, le ciel se couvre d’un nuage,
375 Chacun cherche à se mettre à couvert de l’orage,
Nous restons seuls mon maître et moi ;
Lui plein d’audace, et moi transi d’effroi.
Les chiens près de nous se rassemblent ;
Je crois m’apercevoir qu’ils tremblent,
380 Et cet incident-là ne me rassure pas :
Je ne fus de ma vie en pareil embarras.
Mais le Soleil écarte enfin la nue,
Plus beau, plus vif il reparaît :
Quels prodiges alors s’offrent à notre vue !
385 Nous ne connaissons plus ni route, ni forêt,
Les rochers, les coteaux, tout a changé de place,
Tout est perdu pour nous, les chasseurs et la chasse,
Le Mont Hymette a disparu.
Comment, par où retourner dans Athènes ?
390 Nous suivons quelque temps des routes incertaines ;
Puis après avoir bien couru,
Plus fatigué d’inquiétude
Que de la course la plus rude,
Triste rêveurs, près d’un étang,
395 S’offre à nos yeux une biche au poil blanc.
Nous, malgré notre lassitude,
De la suivre dans le moment,
Elle de fuir, mais lentement,
Comme en craignant qu’on la perdît de vue.
400 Elle nous guide aux bords d’un superbe canal,
Dont l’onde baigne une longue avenue.
Là, sur un roc d’où sort un torrent de cristal,
22
De Diane on voit la Statue ;
Le roc lui sert de piédestal.
405 Quoique faiblement poursuivie
La biche fuit vers le rocher,
Comme si pour sauver sa vie
Il suffisait d’en approcher.
La Statue aussitôt cesse d’être immobile,
410 Elle semble baisser le bras
Pour montrer qu’elle donne asile
À l’animal tremblant dont nous suivons les pas.
Cette biche, ô surprise extrême !
Devient marbre à l’instant sans changer sa couleur ;
415 Et nos chiens, transformés de même,
Gardent les taches de la leur.
Moi, de cette étrange aventure
Moins surpris que mortifié,
Je me tâtais partout, et croyais je vous jure,
420 Que j’avais déjà la peau dure,
23
Et que j’allais bientôt être marbrifié.
Je ne sais pas quelle figure
Faisait mon maître alors de son côté ;
Mais je crois bien en vérité
425 Qu’en lui, tout comme en moi, souffrait dame nature.
Je ne vous dirai pas comment le reste alla,
Je ne vis point comment votre aimable maîtresse
Avec sa suite arriva là :
Je tombai, je pense, en faiblesse,
430 Et me trouvai le soir dans ce Palais,
Où nous avons sans doute une charmante hôtesse,
Qui pour nous régaler ne prend point garde aux frais ;
Où mille doux plaisirs se présentent sans cesse ;
Où vous m’offrez le plus heureux destin,
435 Séjour digne des Dieux, et trop beau pour les hommes ;
Où nous nous plairions fort enfin,
Si nous n’ignorions où nous sommes.
CALLITÉE.
Le grand malheur ! Au milieu des plaisirs,
Qu’importe en quels lieux on les prenne ?
440 Curiosité sotte et vaine.
Hé ! Que peut-il ici manquer à vos désirs ?
PHILACTE.
Notre maison, nos Dieux, notre Patrie.
CALLITÉE.
La plaisante bizarrerie !
La patrie est là où l’on est bien.
445 L’homme est un habitant du monde :
Et croyez-moi, partout où le plaisir abonde
Un sage ne souhaite rien.
PHILACTE.
Faut-il vous avouer le sujet de nos peines ?
Mon maître et moi nous sommes fort connus,
450 Et l’on ne sait aujourd’hui dans Athènes
Ce que nous sommes devenus :
On fait, pour nous trouver, mille recherches vaines,
Peut-être y passons-nous pour de francs libertins ;
Quand les gens sont absents vous savez comme on cause.
455 Et si… l’esprit frappé de quelque faux soupçon,
Nos femmes… car enfin quelquefois que sait-on ?
De notre égarement croyant savoir la cause,
Allaient… pour éviter la suite de la chose,
Il est bon qu’à notre retour,
460 (Car nous les reverrons peut-être quelque jour,)
Nous puissions tout au moins leur dire
Quel lieu nous avons habité,
Avec qui nous aurons été.
Daignez, s’il vous plaît, m’en instruire,
465 Contentez là-dessus ma curiosité ;
Vous ne sauriez vous en dédire,
Et vous m’avez promis de la sincérité.
CALLITÉE.
Je veux bien satisfaire au désir qui vous presse :
Mais…
PHILACTE.
Mais… Ne craignez rien.
CALLITÉE.
Mais… Ne craignez rien. Ma maîtresse
470 Sent pour Céphale un violent amour.
PHILACTE.
C’est parler net et sans détour,
Et ceci n’est point bagatelle ;
J’y prends, moi, pour mon compte, un notable intérêt.
Mais expliquons-nous, s’il vous plaît :
475 Cette maîtresse, quelle est-elle ?
Nous autres gens de qualité
Nous connaissons sans vanité
Les bonnes maisons de la Grèce,
Et je n’y sais point de Princesse
480 Ni d’une pareille beauté,
Ni d’une si grande richesse.
CALLITÉE.
Elle a moins de fortune encore que d’appas,
Il n’est point de beauté comparable à la sienne,
Pour Princesse elle ne l’est pas.
PHILACTE.
485 Que diable est-elle donc ? Quelque Magicienne,
Qui par enchantement cherche à se faire aimer ?
Nous savons tout ce qu’on publie
Des charmes de la Thessalie,
Et nous ne sommes point gens à nous laisser charmer.
24
490 Il est des vieilles dans Larisse
Qui ne font point d’autre métier
Que de plaire par artifice :
Je me connais en semblable gibier,
Et mon maître n’est pas novice.
CALLITÉE.
495 Oh bien, il n’est ici question sûrement
De vieille ni d’enchantement.
PHILACTE.
Je n’en répondrais pas. Depuis notre arrivée
Je l’ai quelque fouis observée.
CALLITÉE.
Hé ! Pour prendre un soupçon pareil,
500 Qu’avez-vous vu ?
PHILACTE.
Qu’avant le lever du soleil,
À petit bruit sans suite aucune,
Mystérieusement elle sort du Palais ;
Et puis quelques moments après
505 J’ai remarqué qu’on voit pâlir la Lune :
Ce sont là des enchantements
Les effets les plus ordinaires.
PHILACTE.
Fort bien. Je ne me trompe guères,
Elle revient au bout de quelque temps ;
510 À son retour elle rentre en cachette
Dans un appartement des bains,
Elle s’y met à sa toilette ;
Et si mes soupçons ne sont vains,
Ses charmes les plus forts sont dans une cassette.
25
515 Vous riez ? Hem.
CALLITÉE.
Vous riez ? Hem. Je ris des sentiments humains,
Dans quel aveuglement l’apparence les jette,
À combien de soupçons divers
Les expose une erreur funeste ?
La Divinité que je sers…
PHILACTE.
26
520 Une Divinité, dites-vous ? Malepeste.
CALLITÉE.
Ouvre la barrière du jour ;
Enfin, c’est l’Aurore elle-même,
Qui pour Céphale a tant d’amour.
Il est sûr d’un bonheur extrême,
525 S’il devient sensible à son tour :
Mais lorsqu’il apprendra que la Déesse l’aime,
S’il tarde à répondre à ses voeux,
Il peut compter que pour peu qu’il diffère…
PHILACTE.
Différer, lui ? Je réponds du contraire,
530 Et vous le garantis tout d’abord amoureux.
Voilà ce qui s’appelle une bonne fortune :
L’Aurore… n’en déplaise, à l’éclat du haut rang,
Il est des Déesses pourtant
De qui la passion pourrait être importune ;
535 Mais ici tout promet le plus charmant bonheur ;
Grâces, jeunesse, attraits, et de l’amour encore.
27
Tudieu, quelle éveillée est Madame l’Aurore,
Et quels droits sa beauté lui donne sur un coeur !
Vous qui servez cette aimable maîtresse,
540 Vous êtes Nymphe ?
CALLITÉE.
Vous êtes Nymphe ? Justement.
PHILACTE.
Et favorite, apparemment ?
CALLITÉE.
J’ai le secret de la Déesse.
PHILACTE.
28
Diantre. Si par hasard il vous prenait pour moi
Le même goût qu’elle a pris pour mon maître ?
CALLITÉE.
545 Je ne risquerais rien de le faire connaître,
Vous auriez la bonté d’y répondre.
PHILACTE.
Vous auriez la bonté d’y répondre. Oui, ma foi.
CALLITÉE.
Je le crois : mais enfin, vous savez quelle loi
Nous nous venons d’imposer l’un à l’autre,
J’ai tenu ma parole, il faut tenir la vôtre,
550 Et me parler sincèrement.
PHILACTE.
Interrogez en assurance.
CALLITÉE.
Céphale n’a-t-il point de tendre engagement ?
Est-il libre ?
PHILACTE.
Est-il libre ? Comment ? Vous vous moquez, je pense ?
Fi donc.
CALLITÉE.
Fi donc. Quoi ! Là-dessus vous gardez le silence ?
555 Il vous sied bien, vraiment, de faire le discret.
PHILACTE.
Dans le coeur des mortels, est-il quelque secret
Que ne pénètre une Déesse ?
CALLITÉE.
Oui, quand par goût, ou par faiblesse
Le coeur d’une Divinité
560 Se livre tout à la tendresse,
Alors celui de son amant,
Est impénétrable pour elle ;
Elle n’y voit pas plus qu’une simple mortelle,
Et la loi du destin les traite également :
565 C’est là, depuis trois jours, ce qui fait que l’Aurore
Hésite à découvrir son rang et son ardeur ;
Et vous l’ignoreriez encore,
Si je vous croyais un causeur.
PHILACTE.
Hé, De quelle vaine frayeur
570 L’Aurore est-elle inquiétée ?
CALLITÉE.
29
Céphale aime, dit-on, la fille d’Érecthée.
PHILACTE.
30
Procris ? Fi, donc.
CALLITÉE.
Procris ? Fi, donc. D’où vient que vous vous récriez ?
PHILACTE.
Vous n’avez rien à craindre, ils sont…
CALLITÉE.
Vous n’avez rien à craindre, ils sont… Quoi ?
PHILACTE.
Vous n’avez rien à craindre, ils sont… Quoi ? Mariés.
CALLITÉE.
Et c’est là ce qui doit intriguer davantage.
PHILACTE.
575 Leur tendresse a fini son cours ;
Trois semaines de mariage,
Emportent le beau des amours,
Le mois n’est pas fini qu’on a plus rien dans l’âme :
Dès le lendemain, moi, je haïssais ma femme,
580 Et ma haine ne fait qu’augmenter tous les jours.
CALLITÉE.
Si votre maître aimait encore la sienne,
L’Aurore…
PHILACTE.
L’Aurore… Là-dessus que rien ne la retienne ;
Hé, que doit craindre un coeur comme le sien ?
Peut-être elle ressent quelque petite honte
585 À débaucher ainsi, dans l’ardeur qui la dompte,
Un nouveau marié ? Cela n’est pas trop bien,
Dans le fond : mais au bout du compte,
On n’est pas Déesse pour rien,
Chez les mortels à des bornes étroites
590 La morale restreint : mais les Dieux ont leurs droits,
Et la sévérité des lois
N’est pas pour ceux qui les ont faites.
CALLITÉE.
Il faut bien que le rang excuse quelquefois.
PHILACTE.
Le vôtre porte aussi son excuse.
CALLITÉE.
Le vôtre porte aussi son excuse. Sans doute.
PHILACTE.
595 Et vous en profitez de votre mieux.
CALLITÉE.
Et vous en profitez de votre mieux. D’accord :
La haute qualité dans les plaisirs qu’on goûte,
Embarrasse souvent très fort.
En de certains moments trouvez-vous qu’on ait tort,
De regagner un peu d’ailleurs ce qu’il en coûte ?
600 Mais Céphale vient en ces lieux ;
Il ignore encore sa conquête :
Il est sombre, rêveur ; qu’aurait-il dans la tête ?
PHILACTE.
Toujours notre aventure est présente à ses yeux.
CALLITÉE.
Observons-le un moment, nous en jugerons mieux.
SCÈNE III. Céphale, Callitée, Philacte. §
CÉPHALE.
605 Par quelle puissance secrète
En ces lieux suis-je retenu ?
Quelles mains sur le mont Hymette
A placé ces jardins, ce Palais inconnu ?
Non, mes craintes ne sont point vaines,
610 J’éprouve un juste courroux.
Du bonheur que l’hymen m’avait fait dans Athènes,
Les Dieux sont devenus jaloux,
Que dois-je présumer d’une telle aventure ?
Veulent-ils donc me rendre infidèle, parjure ?
615 Pensent-ils que sensible à de nouveaux appas…
Hé, qui des Immortels faudra-t-il que j’implore
Dans le trouble qui me dévore ?
Si quelqu’un d’eux peut-être ici retient mes pas
Pour m’enlever l’épouse que j’adore.
PHILACTE.
620 Cette cervelle-là n’est pas sans embarras,
S’il poursuit sur ce ton, quels maux il nous apprête.
CALLITÉE.
L’embarras est au coeur beaucoup plus qu’à la tête,
Et l’Amour seul peut ainsi l’occuper
PHILACTE.
Vous pourriez ne vous pas tromper,
625 Je vous crois là-dessus beaucoup de connaissance.
CÉPHALE.
Pour un coeur vivement épris,
Quel affreux tourment que l’absence,
Procris, adorable Procris !
CALLITÉE.
Il parle de Procris, je pense.
PHILACTE.
31
630 Oui, j’entends marmotter quelque chose à peu près,
Fi, le vilain, il est amoureux de sa femme.
CALLITÉE.
Il se songe qu’à ses attraits,
Toujours la même ardeur l’enflamme.
CÉPHALE.
Procris, si quelque Dieu devenu votre amant,
635 Dans ces lieux malgré moi m’arrête,
Pour profiter de mon éloignement,
Il s’efforcera vainement
De vous faire un jour sa conquête :
Je ne crains point, au mépris de ma foi,
640 Que vous le préfériez à moi.
PHILACTE.
Trouvez-vous que de sa personne
Il ait mauvaise opinion ?
CALLITÉE.
Tout au contraire, il l’a très bonne,
Ses discours en sont caution.
CÉPHALE.
645 Soyez aussi, Procris, sûre de ma constance :
32
Vénus, la mère de l’Amour,
M’arrêterait en vain dans ce charmant séjour ;
Pour vous ravir un coeur à vous par préférence,
Je verrais tout l’Olympe à mes voeux opposé,
650 Que je vous répondrais de ma persévérance.
CALLITÉE.
Voilà pour ma maîtresse un coeur bien disposé.
PHILACTE.
Les gens qui parlent seuls parlent avec franchise ;
Je crois que d’un pareil discours
Nous ne ferons pas mal d’en interrompre le cours,
655 Il pourrait bien encore lâcher quelque sottise :
Je connais ces amoureux-là.
Hom, hom.
CÉPHALE.
Hom, hom. C’est toi, Philacte ?
PHILACTE.
Hom, hom. C’est toi, Philacte ? Oui, Seigneur, me voilà.
Mais je ne suis pas seul, et l’on doit prendre garde
Quand on rêve tout haut à ce que l’on hasarde ;
660 Ce que l’on pense ainsi rarement est secret,
Rêver tout bas est plus discret :
Ce sont ménagements que la raison demande,
Et c’est comme j’ai, moi, coutume d’en agir.
CÉPHALE.
Quand de ses sentiments on n’a point à rougir,
665 On ne craint pas qu’on les entende.
CALLITÉE.
On n’a point à rougir, Seigneur, d’être amoureux :
Mais permettez que j’ose vous le dire,
De cette ardeur qui vous inspire
L’aveu dans ce séjour peut-être dangereux ;
670 Non qu’aux traits de l’amour on veuille ici prétendre
Ferme votre coeur et vos yeux,
Il sied bien d’avoir un coeur tendre,
Et vous ne pouvez faire mieux…
CÉPHALE.
Achevez un discours que j’ai peine à comprendre.
CALLITÉE.
675 Vous paraissez surpris ?
CÉPHALE.
Ce n’est pas sans sujet.
CALLITÉE.
Ce n’est pas sans sujet. Plus clairement je vais me faire entendre :
Aimez, Seigneur, c’est fort bien fait,
Gardez-vous de vous en défendre ;
Mais songez à changer d’objet ;
680 En suivant mes conseils vous pouvez vous attendre
À jouir d’un bonheur parfait.
PHILACTE.
Ne parlez point de ces extravagances,
Je saurai par mes remontrances
Le remettre dans son devoir.
SCÈNE V. L’Aurore, Céphale, Callitée, Philacte. §
CÉPHALE, à part.
Ciel, de quel mouvement je me trouve agité !
Est-ce respect, crainte ou faiblesse ?
Ah ! Cachons pour Procris jusqu’où va ma tendresse,
Et tâchons, en flattant les voeux de la Déesse,
735 De recouvrer ma liberté.
L’AURORE.
Quoi, Céphale ! En ces lieux vous n’avez d’autres soins,
Que de chercher la solitude ?
Ce qui doit vous toucher vous occupe le moins,
Et tout entier à votre inquiétude,
740 Vous craignez d’en avoir nos regards pour témoins.
Rien ne s’est-il ici offert à votre vue
Digne de votre attention ?
Et de tout autre objet votre âme prévenue,
Voit-elle sans émotion
745 Les effets que produit dans cette occasion,
De quelque Dieu la puissance absolue ?
CÉPHALE.
Madame, le trouble où je suis
Ne me laisse point à moi-même,
Et dans une surprise extrême,
750 Plein de respect, me taire est tout ce que je puis,
Un triste souvenir dont j’ai l’âme remplie…
L’AURORE.
Ah ! Si cette mélancolie
N’était qu’un simple effet de votre étonnement,
Pour vous en tirer aisément,
755 Le moindre effort serait utile,
Rien ne vous troublerait ici ;
Si votre coeur était tranquille,
Votre esprit le serait aussi.
CÉPHALE.
L’un ni l’autre ne peuvent l’être ;
760 De tout ce que je vois interdit et confus,
Je fais des efforts superflus
Pour cacher des chagrins dont je ne suis pas maître,
Contraint de les laisser à regret éclater…
L’AURORE.
Quelle fortune, heureux Céphale,
765 Si vous saviez la mériter,
À la vôtre serait égale ?
Ce superbe Palais, ces jardins et ces bois,
Qui tiennent aujourd’hui la place
De ces autres forêts, que l’ardeur de la chasse
770 Vous fit parcourir tant de fois ;
Ce changement qui vous fait méconnaître
En quels climats vous habitez,
Et les lieux les plus fréquentés
Où vous aviez coutume d’être ;
775 La pureté de l’air qu’ici vous respirez,
Cette puissance invisible et suprême,
Qui sait par des ressorts, des mortels ignorés,
Vous retenir malgré vous-même,
Mes regards ; tout enfin vous laisse-t-il douter
780 Des sentiments d’une Immortelle,
Qui tâche de vous arrêter
Dans une demeure si belle,
Et qui ne craindrait point de laisser éclater
Ce qu’elle sent pour vous, si vous brûliez pour elle ?
PHILACTE, bas à Céphale.
785 Le compliment est bien écrit,
Seigneur, on attend la réponse.
CALLITÉE, bas à l’Aurore.
Il se tait, il est interdit,
Madame, quel succès son trouble nous annonce !
L’AURORE.
Vous pâlissez, vous vous troublez :
790 Cet embarras, ce long silence,
Cette incertitude m’offense,
Céphale, expliquez-vous, parlez :
Je ne sais point des coeurs pénétrer le mystère,
Et n’ai nul droit de les contraindre en rien.
795 Êtes-vous maître encor du vôtre, et peut-il faire
L’attachement, les délices du mien ?
CÉPHALE, à genoux.
Sur le coeur des mortels quels droits n’a point, Madame,
Une aimable Divinité ?
En est-il que votre beauté
800 Des feux les plus ardents n’enflamme ?
Vous rallumez ceux du flambeau du jour,
L’Univers vous doit la lumière,
Vous pouvez de ceux de l’amour
Embraser la nature entière ;
805 Maîtresse de nos libertés,
De tous nos voeux arbitre souveraine…
L’AURORE.
Céphale, levez-vous, tant de respect me gêne,
Et l’amour n’admet point ces inégalités
Entre deux coeurs unis d’une égale tendresse.
PHILACTE, à part.
810 La bonne pâte de Déesse !
CÉPHALE.
De tout ce que j’entends charmé, quoique incertain,
Dans quel trouble nouveau tant de faveurs me plonge ?
Tout ceci me paraît un songe
Dont je tremble de voir la fin.
815 Ah ! C’en est un sans doute, et ce bonheur insigne…
PHILACTE.
Dépêchez-vous d’en faire une réalité.
CÉPHALE.
Un simple mortel n’est pas digne
Qu’il devienne une vérité.
L’AURORE.
Aimez, Céphale, aimez, mais avec confiance ;
820 Méritez par vos soins et par votre constance,
D’être l’unique objet de mes voeux les plus doux :
Je ne veux être aimable que pour vous.
Et si l’auteur de la lumière,
Le Soleil, le plus beau des Dieux,
825 À qui tous les matins, pour sa vaste carrière,
J’ouvre la barrière des Cieux,
M’offrait ses soins et ses plus tendres voeux,
Céphale aurait sur lui la préférence entière.
CÉPHALE.
Et moi, Déesse, et moi, comblé de vos bontés,
830 Par quel encens, par quelle offrande,
Puis-je payer jamais une faveur si grande ?
Je vous consacrerai toutes mes volontés.
Dans tous les lieux soumis à ma puissance
Je vous élèverai des temples, des autels,
835 Où mes Peuples chargés de ma reconnaissance,
Iront vous adresser leurs voeux par préférence
À tous les autres Immortels :
Ouvrez-moi les routes d’Athènes,
Et dès le même instant que j’y suis de retour…
L’AURORE.
840 Céphale, quels discours, quelles promesses vaines ?
Vous me parlez d’encens, je vous parle d’amour :
C’est votre coeur que je demande,
Temples, autels, sans lui rien ne me peut flatter,
Je dédaigne toute autre offrande,
845 C’est la seule envers moi qui vous puisse acquitter.
L’AURORE.
Madame… De l’amour le plus vif, le plus tendre
Je vous ai fait Céphale, un indiscret aveu ;
Songez bien au parti que vous avez à prendre.
CÉPHALE.
Ah ! Si jamais ce coeur…
L’AURORE.
Ah ! Si jamais ce coeur… Laissez-moi seule. Adieu.
PHILACTE.
850 Le brutal ! Quels regards la Déesse nous jette,
Elle est dans un fort grand courroux ;
Tout allait bien d’abord, j’ai cru l’affaire faite :
Madame, au moins…
L’AURORE.
Madame, au moins… Retirez-vous.
PHILACTE.
Ciel ! Comment réparerons-nous
855 L’impertinence qu’il a faite ?
SCÈNE VII. L’Aurore, Callitée, Mercure. §
MERCURE.
C’est moi-même, il est vrai, vous avez de bons yeux.
L’AURORE.
Hé ! Par quelle heureuse aventure
Voit-on Mercure dans ces lieux ?
MERCURE.
L’aventure n’a rien qui soit fort gracieux,
895 Et j’aurais bien voulu m’épargner le voyage.
L’AURORE.
Comment donc ! Et quel est ce lugubre équipage ?
MERCURE.
Il vous paraît tous des plus sérieux,
Aussi l’est-il.
L’AURORE.
Aussi l’est-il. Et de mauvais augure.
MERCURE.
Il est vrai, vous avez raison :
900 Mais il faut malgré moi prendre cette figure,
33
Toutes les fois que chez Pluton
Je vais des morts conduire la voiture
34
Jusques à la barque de Caron.
Pour aujourd’hui m’en voilà quitte.
L’AURORE.
905 Mais des défunts le discret conducteur,
35
Au retour des bords du Cocyte,
Eût pu changer d’habits pour me faire l’honneur
De me venir rendre visite.
MERCURE.
Je n’ai pas eu le temps d’aller chez le baigneur,
910 Jupiter m’a chargé de faire diligence,
Et d’aller au plutôt lui faire le récit
De tout ce que vous m’aurez dit.
L’AURORE.
Moi ? Vous. À quel propos ?
MERCURE.
Moi ? Vous. À quel propos ? Un peu de patience.
L’AURORE.
C’est tenir en suspens trop longtemps mon esprit.
MERCURE.
915 Vous apprendrez la chose encore trop tôt, je gage,
Et vous allez trouver l’habit
Moins lugubre que le message.
L’AURORE.
Ceci commence à me lasser.
Qu’avez-vous donc de si funeste,
920 Seigneur Mercure, à m’annoncer ?
MERCURE.
Au conseil de la Cour céleste
On a porté des plaintes contre vous :
L’orgueilleuse Junon, et la bonne Cybèle,
Et la prude Pallas ont par excès de zèle,
925 Mis le grand Jupiter dans un fort grand courroux.
MERCURE.
À quel sujet ? Pour une bagatelle,
Un bruit mal à propos peut-être répandu.
Une jeune prude d’Athènes
Que depuis peu de temps l’Hymen tient dans ses chaînes,
930 Et qui se targue fort d’une austère vertu,
Fait un vacarme affreux pour un mari perdu :
C’est je crois, Procris qu’on la nomme,
Et le mari Céphale, un fort joli jeune homme.
Connaissez-vous cela ?
CALLITÉE.
Connaissez-vous cela ? Si nous le connaissons ?
MERCURE.
Callitée ? Hem, plaît-il ?
L’AURORE.
Callitée ? Hem, plaît-il ? Hé, mais…
MERCURE.
Callitée ? Hem, plaît-il ? Hé, mais… Que de façon,
Parlez.
CALLITÉE.
Parlez. Il est un peu de notre connaissance.
MERCURE.
J’en ai jugé d’abord ainsi sur l’apparence.
CALLITÉE.
Mais connaître les gens, ce n’est pas les aimer,
Il en faut, s’il vous plaît, faire la différence ;
940 Sur un sincère aveu n’allez pas présumer.
MERCURE.
Non, non, j’en sais la conséquence :
36
Mais Minerve a là-haut fait entendre aujourd’hui
Que vous le reteniez en ces lieux malgré lui.
37
Quelques Déesses surannées
945 Traitent cela d’enlèvement,
Et contre vous sont très fort déchaînées,
De vous voir à leur barbe ainsi prendre un amant.
Jupiter prend le fait très sérieusement,
Et de sa part je viens vous dire
950 Que sans retardement
À ses ordres il faut souscrire.
L’AURORE.
Hé bien ses ordres sont ?
MERCURE.
Hé bien ses ordres sont ? Que très diligemment
Vous ayez à lâcher le beau Monsieur Céphale ;
Faute de quoi, dût-on causer quelque scandale,
955 Et supprimer l’aube du jour,
Les souterrains de la cabale
Vous feront éloigner du céleste séjour.
À vous perdre elle est animée,
Si vous n’obéissez vous serez enfermée.
L’AURORE.
960 Me bannir du Ciel, moi ?
CALLITÉE.
Me bannir du Ciel, moi ? Vous enfermer ! Comment ?
Il est bon là, Madame, quelle injure ?
Si j’étais comme vous déesse, assurément
Votre cabale impunément
Ne m’outragerait pas, c’est moi qui vous le jure.
L’AURORE.
965 Voilà sans doute un joli compliment
Que me fait le Seigneur Mercure.
MERCURE.
Ne confondons rien, s’il vous plaît,
Ce compliment vient de la part du maître :
Je ne sais comme il vous paraît,
970 Mais je sais bien comme il doit vous paraître ?
L’AURORE.
38
Si sur les temps passés Cybèle
Voulait être de bonne foi,
Elle réfléchirait sur elle,
Et n’aigrirait point tant Jupiter contre moi :
975 Il lui sied bien de jouer un tel rôle,
39
Elle qu’on vit jadis autour du mont Ida,
Pour son Atys courir comme une folle.
MERCURE.
Vous vous souvenez de cela ?
Ce sont égarements que le temps doit prescrire.
L’AURORE.
980 Et qu’on s’attache à ne point oublier ;
À l’égard de Junon j’ai peu de chose à dire,
Et ce qu’elle est l’autorise à crier.
Femme et jalouse elle s’oppose
Aux faiblesses que l’amour cause ;
985 Elle a raison : mais elle aurait bien pu
Passer en ma faveur quelque petite chose.
Sans trop blesser sa farouche vertu ;
Dans le besoin fort aise qu’on la serve,
Chez elle le bienfait n’est pas toujours nouveau.
990 Quand Jupiter de son cerveau
S’avisa de tirer Minerve,
Junon voulut, pour s’en venger,
De son côté, sans lui, faire pareille affaire,
Sans son secours devenir mère :
995 Je m’empressai de l’obliger,
Mars par mes soins naquit d’elle sans père.
Et cela lui fit un honneur
Qu’elle n’eût jamais eu peut-être
Sans le secours d’une certaine fleur
1000 Que mes regards avaient fait naître.
MERCURE.
Junon a tort assurément,
Comme Déesse bonne et sage,
En faveur d’une fleur d’un si charmant usage,
Elle eût pu vous passer celui d’un jeune amant.
L’AURORE.
40
1005 Pour Pallas c’est une guerrière,
À qui sans doute il sied d’être fière,
Et de blâmer les erreurs de l’amour ;
Elle y serait sujette elle-même à son tour,
Si quelque aimable amant s’efforçait de lui plaire.
1010 Mais comme en terre et dans les Cieux
On néglige assez de le faire,
Qu’entre les mortels et les Dieux,
41
Vulcain seul a brûlé pour elle.
Je ne vois pas que sa fierté
1015 Doive tirer beaucoup de vanité,
Pour un tel soupirant d’avoir été cruelle.
MERCURE.
Je suis bien aise en vérité
De vous voir ainsi penser d’elle.
CALLITÉE.
Nous pensons assez sensément,
1020 Et nous nous conduirons de même assurément.
Céphale est en votre puissance,
Vous l’aimez, on le sait, prenez votre parti ;
Nous en avons fait la dépense,
Madame, il n’en faut pas avoir le démenti
MERCURE.
1025 La petite Nymphe est gaillarde.
L’AURORE.
N’a-t-elle pas raison ? Qu’est-ce que je hasarde ?
Conseillez-moi, qu’en dites-vous ?
MERCURE.
Conseillez-moi, qu’en dites-vous ? Je dis
Que je suis porteur d’ordre, et non donneur d’avis :
S’il vous en faut pourtant donner un pour vous plaire,
1030 Je ne sais s’il vous conviendra :
Mais je vous conseille de faire,
Sans beaucoup réfléchir, tout ce qu’il vous plaira.
CALLITÉE.
Voyez quel excès de prudence,
De politesse et de discrétion,
1035 De nous donner sans remontrance
Un conseil si conforme à notre intention,
Que nous suivrons sans répugnance !
Madame, que Mercure est bon,
Et que ce n’est pas sans raison,
1040 Que l’on le reconnaît pour Dieu de l’Éloquence !
Je le sens bien dans ce moment,
Qu’il nous persuade aisément !
Pour lui marquer la déférence,
Que nous avons pour ses sages avis,
1045 Faisons-lui voir en sa présence
Avec quel zèle ils sont suivis.
Restez ici, Seigneur Mercure.
MERCURE.
Je ne saurais, je vous assure.
L’AURORE.
Elle a raison, demeurez parmi nous,
1050 Vous passerez ici les moments les plus doux.
CALLITÉE.
On vous régalera de friande ambroisie,
Nous avons quantité de nectar excellent,
Force glace surtout, et bonne symphonie.
MERCURE.
Vous me tentez très fort : mais Jupiter m’attend.
CALLITÉE.
1055 Il vous attend, mais sans impatience :
L’intérêt de Procris ne le touche pas tant,
Qu’il exige de vous si grande diligence.
Le fait n’est pas fort important,
Vous pouvez lentement conduire cette affaire,
1060 Et nous donner le temps de faire
Ce que Jupiter nous défend.
Lorsqu’en ces lieux on vous arrête,
Vous jugez bien que c’est de bonne foi,
Et jamais Mercure, ni moi,
1065 N’avons gâté de tête à tête.
MERCURE.
Ce n’est pas mon défaut de me faire prier,
Je suis trop facile, au contraire.
CALLITÉE.
Bon, tant mieux, aujourd’hui c’est la grande manière :
L’inspirer est votre métier,
1070 Et ce qu’aux autres on fait faire,
Par soi-même il est bon de le justifier.
MERCURE.
Mais enfin s’il s’impatiente ?
CALLITÉE.
Le grand malheur ! Il est le maître…
MERCURE.
Le grand malheur ! Il est le maître… Hé bien,
Je reste : mais enfin si l’on trouvait moyen
1075 Pour quelques jours de faire taire
Cette braillarde de Procris,
Et d’interrompre au moins ses plaintes et ses cris,
Ce serait une bonne affaire.
CALLITÉE.
Sans contredit.
L’AURORE.
Sans contredit. Assurément.
1080 Ne vous vient-il rien dans l’idée ?
MERCURE.
Cela vient-il dans le moment ?
L’AURORE.
Imagine un peu Callitée,
Toi qui penses si finement.
CALLITÉE.
Ma foi, Madame, imaginez vous-même :
1085 Vous aimez, et de tous les Dieux
Si l’Amour est le plus ingénieux,
L’esprit doit venir inventif quand on aime.
MERCURE.
Par ma foi, sans être amoureux,
Il me vient dans la tête un petit stratagème.
1090 Attendez… Non… si fait. Le tour serait heureux :
C’est le meilleur qu’on puisse imaginer sans doute.
CALLITÉE.
Céphale vient dans cette route.
MERCURE.
Que je sache. Évitez-le, entrons dans ces bosquets :
Il ne faut pas qu’on nous écoute,
1095 Et je ne crains rien tant que les mauvais caquets.
L’AURORE, à Calithée.
Demeure ici, toi, je te prie,
Et par de doux amusements,
Tâche de le distraire, au moins quelques moments,
De l’objet de sa rêverie.
CALLITÉE.
1100 J’aurai soin de vos intérêts :
Par votre ordre en ces lieux comme vous je commande,
Et les plaisirs sont toujours prêts
Au moment que je les demande.