LE CHEVALIER À LA MODE
COMÉDIE EN UN ACTE

M. DC. LXXXVII, AVEC PRIVILÈGE DU ROI.

De Mr DANCOURT

ACTEURS §

  • LE CHEVALIER DE VILLE-FONTAINE.
  • MADAME PATIN, veuve, amoureuse du Chevalier.
  • MONSIEUR SERREFORT, beau-frère de Madame Patin.
  • LUCILE, fille de Madame Patin.
  • LA BARONNE, vieille Plaideuse.
  • MONSIEUR MIGAUD, rapporteur de la Baronne.
  • LISETTE, fille de Chambre de Madame Patin.
  • CRISPIN, valet du Chevalier.
  • UN NOTAIRE.
  • LE COCHER de Madame Patin.
  • LA BRIE, laquais de Madame Patin.
  • JASMIN, laquais de la Baronne.
  • Plusieurs DOMESTIQUES, de Madame Patin.
La Scène est à Paris chez Mme Patin.

ACTE I §

SCÈNE PREMIÈRE. Madame Patin, Lisette. §

Madame Patin entre avec beaucoup de précipitation et de désordre, suivie de Lisette.

LISETTE.

Qu’est-ce donc, Madame ? Qu’avez-vous ? Que vous est-il arrivé ? Que vous a-t-on fait ?

MADAME PATIN.

Une avanie... Ah, j’étouffe. Une avanie... Je ne saurais parler, un siège.

LISETTE, lui donnant un siège.

Une avanie ? À vous, Madame, une avanie ? Cela est-il possible ?

MADAME PATIN.

Cela n’est que trop vrai, ma pauvre Lisette. J’en mourrai. Quelle violence ! En pleine rue, on vient de me manquer de respect.

LISETTE.

Comment donc, Madame, manquer de respect à une Dame comme vous ? Madame Patin, la veuve d’un honnête Partisan, qui a gagné deux millions de bien au service du Roi ? Et qui sont ces insolents-là, s’il vous plaît ?

MADAME PATIN.

Une Marquise de je ne sais comment, qui a eu l’audace de faire prendre le haut du pavé à son carrosse, et qui a fait reculer le mien de plus de vingt pas.

LISETTE.

1 2

Voilà une Marquise bien impertinente. Quoi ? Votre personne qui est toute de clinquant, votre grand carrosse doré qui roule pour la première fois, deux gros chevaux gris pommelés à longues queues, un cocher à barbe retroussée, six grands laquais, plus chamarrés de galons que les estafiers d’un Carrousel, tout cela n’a point imprimé de respect à votre Marquise ?

MADAME PATIN.

Point du tout, c’est du fond d’un vieux carrosse, traîné par deux chevaux étiques, que cette gueuse de Marquise m’a fait insulter par des laquais tous déguenillés.

LISETTE.

Ah ! Mort de ma vie, où était Lisette ? Que je lui aurais bien dit son fait !

MADAME PATIN.

Je l’ai pris sur un ton proportionné à mon équipage ; mais elle, avec un taisez-vous Bourgeoise, m’a pensé faire tombé de mon haut.

LISETTE.

Bourgeoise ! Bourgeoise ! Dans un carrosse de velours cramoisi à six poils, entouré d’une crépine d’or !

MADAME PATIN.

Je t’avoue qu’à cette injure assommante, je n’ai pas eu la force de répondre, j’ai dit à mon cocher de tourner, et de m’amener ici à toute bride.

SCÈNE II. Madame Patin, Lisette, la Brie. §

LISETTE.

Ah, vraiment, voilà un de vos laquais en bel équipage ! Vous moquez-vous, la Brie ? Comment paraissez-vous, devant Madame ? Quel désordre est-ce là ? Dirait-on que vous avez mis aujourd’hui un habit neuf.

LA BRIE.

Les autres sont plus chiffonnés que moi, et je venais dire à Madame que la Fleur et Jasmin ont la tête cassée par les gens de cette Marquise, et qu’il n’a tenu qu’à moi de l’avoir aussi.

LISETTE.

Et que ne disiez-vous à qui vous étiez ?

LA BRIE.

Nous l’avons dit aussi.

MADAME PATIN.

Hé bien ?

LA BRIE.

Hé bien, Madame, je crois que c’est à cause de cela qu’ils nous ont battus.

LISETTE.

Les lourdauds ?

MADAME PATIN.

Va-t-en dehors, mon enfant.

LA BRIE.

Mais, la Fleur et Jasmin sont chez le chirurgien.

MADAME PATIN.

Hé bien, qu’ils se fassent panser, et qu’on ne m’en rompe pas la tête davantage.

SCÈNE III. Madame Patin, Lisette. §

LISETTE.

Au moins, Madame, il faut prendre cette affaire-ci du bon côté. Ce n’est pas à votre personne qu’ils ont fait insulte, c’est à votre nom. Que ne vous dépêchez-vous d’en changer ?

MADAME PATIN.

J’y suis bien résolue, et j’enrage contre ma destinée, de ne m’avoir pas fait tout d’abord une Femme de qualité.

LISETTE.

Eh, vous n’avez pas tout à fait sujet de vous plaindre ; et si vous n’êtes pas encore Femme de qualité, vous êtes riche au moins ; et comme vous savez, on achète facilement de la qualité avec de l’argent ; mais, la naissance ne donne pas toujours du bien.

MADAME PATIN.

Il n’importe, c’est toujours quelque chose de bien charmant qu’un grand nom.

LISETTE.

Bon, bon, Madame, vous seriez, ma foi, bien embarrassée, si vous vous trouviez comme certaines grandes Dames de par le monde, à qui tout manque, et qui malgré leur grand nom, ne sont connues que par un grand nombre de créanciers, qui crient à leurs portes depuis le matin jusques au soir.

MADAME PATIN.

C’est là le bon air, c’est ce qui distingue les gens de qualité.

LISETTE.

Ma foi, Madame, avanie pour avanie, il vaut mieux, à ce qu’il me semble, en recevoir d’une Marquise que d’un marchand ; et croiriez-moi, c’est un grand plaisir de pouvoir sortir de chez soi par la grande porte, sans craindre qu’une troupe de sergents vienne saisir le carrosse et les chevaux. Que diriez-vous, si vous vous trouviez réduite à gagner à pieds votre logis, comme quelques-unes à qui cela est arrivé depuis peu ?

MADAME PATIN.

Plût au Ciel que cela me fût arrivé, et que je fusse Marquise ?

LISETTE.

Mais, Madame, vous n’y songez pas.

MADAME PATIN.

Oui, oui, j’aimerais mieux être Marquise la plus endettée de toute la Cour, que de demeurer veuve du plus riche Financier de France. La résolution en est prise, il faut que je devienne Marquise, quoiqu’il en coûte ; et pour cet effet, je vais absolument rompre avec ces petites gens, dont je me suis encanaillée. Commençons par Monsieur Serrefort.

LISETTE.

Monsieur Serrefort, Madame ! Votre Beau-frère !

MADAME PATIN.

Mon beau-frère ! Mon beau-frère ! Parlez mieux, s’il vous plaît.

LISETTE.

Pardonnez-moi, Madame, J’ai cru qu’il était votre Beau-frère, parce qu’il était frère de feu Monsieur votre Mari.

MADAME PATIN.

Frère de feu mon mari, soit ; mais, mon mari étant mort, Dieu merci, Monsieur Serrefort ne m’est plus rien. Cependant, il semble à ce crasseux-là qu’il me soit de quelque chose ; il se mêle de censurer ma conduite, de contrôler toutes mes actions. Son audace va jusqu’à vouloir me faire prendre de petites manières comme celles de sa femme, et faire des comparaisons d’elle à moi. Mais, est-il possible qu’il y ait des gens qui se puissent méconnaître jusqu’à ce point-là ?

LISETTE.

Oui, oui, je commence à comprendre qu’il a tort, et que vous avez raison, vous. C’est bien à lui et à sa Femme à faire des comparaisons avec vous ! Il n’est que votre beau-frère, et elle n’est que votre belle-soeur, une fois.

MADAME PATIN.

Il n’y a pas jusqu’à sa fille qui ne se donne aussi des airs. Allons-nous en carrosse ensemble ? Elle se place dans:le fond à mes côtés. Sommes-nous à pied ? Elle marche toujours sur la même ligne, sans observer aucune distance entre elle et moi.

LISETTE.

La petite ridicule ! Une nièce vouloir aller de pair avec sa tante ?

MADAME PATIN.

Ce qui me déplaît encore, c’est qu’avec ses minauderies, elle attire les yeux de tout le monde, et ne laisse pas aller sur moi le moindre petit regard.

LISETTE.

Que le monde est fou ! Parce qu’elle est jeune et jolie, on la regarde plus volontiers que vous.

MADAME PATIN.

Cela changera, ou je ne la verrai plus.

LISETTE.

Vous la corrigerez aisément ; et en devenant sa Belle-mère, Madame, vous aurez des droits sur elle, que la qualité de tante ne vous donne pas.

MADAME PATIN.

Comment donc sa belle-mère ? Tu crois qu’après ce qui vient de m’arriver, je me piquerai de tenir parole à Monsieur Migaud, que je l’épouserai ?

LISETTE.

Oui, Madame. Et qu’a de commun ce qui vient de vous arriver, avec les deux mariages que l’on a conclu, de vous avec Monsieur Migaud, et du fils de Monsieur Migaud avec Lucile votre nièce.

MADAME PATIN.

Vraiment, je serais bien avancée. C’est un beau nom que celui de Madame Migaud ! J’aimerais autant demeurer Madame Patin.

LISETTE.

Oh, il y a bien de la différence. Le nom de Migaud est un nom de Robe, et celui de Patin n’est qu’un nom de Financier.

MADAME PATIN.

Robe ou Finance, tout m’est égal ; et depuis huit jours, je me suis résolue d’avoir un nom de Cour, et de ceux qui emplissent le plus la bouche.

LISETTE, à part.

Ah, ah, ceci ne vaut pas le diantre pour Monsieur Migaud.

MADAME PATIN.

Que dis-tu ?

LISETTE.

Je dis, Madame, qu’un nom de Cour vous siéra à merveille ; mais, que ce n’est pas assez d’un nom, à ce qu’il me semble, que je crois qu’il vous faut un Mari, et que vous devez bien prendre garde au choix que vous en ferez.

MADAME PATIN.

Je me connais en gens, et j’ai en main le plus joli homme du monde.

LISETTE.

Comment ? Ce choix est déjà fait, et je n’en savais rien ?

MADAME PATIN.

Le Chevalier n’a pas voulu que je te le dise.

LISETTE.

Quel Chevalier ? Le Chevalier de Ville-Fontaine ?

MADAME PATIN.

Lui-même ?

LISETTE.

Quoi, c’est le Chevalier de Ville-Fontaine que vous voulez épouser ?

MADAME PATIN.

Justement.

LISETTE.

Vous n’y songez pas, Madame. Ce Chevalier n’a pas un sou de bien.

MADAME PATIN.

J’en ai suffisamment pour tous deux, et il y a même quelque justice à ce que je fais. Monsieur Patin n’a pas gagné trop légitimement son bien en Normandie ; et c’est une espèce de restitution, que de relever avec ce qu’il m’a laissé, une des meilleures Maisons de la Province.

LISETTE.

Ah, puisque c’est un mariage de conscience, je n’ai plus rien à vous dire. Que Monsieur Migaud sera surpris quand vous lui apprendrez votre dessein !

MADAME PATIN.

Je n’ai garde de l’en informer, il ne manquerait pas d’en aller faire ses plaintes à Monsieur Serrefort. Monsieur Serrefort viendrait à son ordinaire m’étourdir de ses sots raisonnements. Pour m’épargner l’embarras d’y répondre, je ne veux point que l’un ni l’autre sache cette affaire, qu’elle ne soit tout à fait conclue.

LISETTE.

Mais, Madame, il me semble qu’avant que d’épouser le Chevalier de Ville-fontaine, il faudrait vous défaire honnêtement de Monsieur Migaud.

MADAME PATIN.

3

C’est mon dessein, vraiment, et je veux lui faire une querelle d’Allemand dès que je le verrai. Pour peu qu’il ait d’intelligence, il entendra bien ce que cela veut dire.

LISETTE.

Une querelle d’Allemand ? Vous avez raison. Voilà une manière tout à fait honnête pour vous en défaire. Mais le voici.

SCÈNE IV. Monsieur Migaud, Madame Patin, Lisette. §

MONSIEUR MIGAUD.

Madame, j’entre peut-être indiscrètement ; mais, je viens moi-même la réponse du billet que vous m’écrivîtes hier au soir.

MADAME PATIN.

Moi : je vous ai écrit, Monsieur ?

MONSIEUR MIGAUD.

Oui, Madame ; une vieille Baronne qui a un Procès dont je suis Rapporteur, m’apporta hier une recommandation de votre part.

MADAME PATIN.

Ah, je m’en souviens, oui, oui ; c’est une vieille importune qui me fatigue depuis huit jours, pour parler en sa faveur, et je vous écrivis hier pour m’en débarrasser.

MONSIEUR MIGAUD.

Je suis bien aise, Madame, que vous ne preniez pas grande part à son affaire. Il y a dans sa cause plus de chimère que de raison ; et en vérité, il y a peu d’honneur à se mêler...

MADAME PATIN.

Comment, Monsieur, vous ne lui ferez pas gagner son Procès ?

MONSIEUR MIGAUD.

Moi, Madame ? Cela ne dépend pas de moi, et la Justice...

MADAME PATIN.

La Justice ! La Justice ! Vraiment, si la Justice était pour elle, on aurait bien affaire de vous solliciter. Quelle obligation prétendriez-vous que je vous eusses ?

MONSIEUR MIGAUD.

Mais, Madame...

MADAME PATIN.

Mais, Monsieur, je ne prétends pas qu’on dise dans le monde qu’une recommandation comme la mienne n’a servi de rien ; et je ne suis pas assez laide, ce me semble, pour avoir la réputation de n’avoir pu mettre un Juge dans les intérêts des personnes que je protège.

MONSIEUR MIGAUD.

En vérité, Madame, je ne vois pas la raison qui vous oblige à vouloir que je m’intéresse dans une cause où il n’y a que de la honte à recevoir.

MADAME PATIN.

En vérité, Monsieur, je ne vois pas la raison qui vous oblige, lorsque je vous prie, de vouloir refuser un bon tour à une méchante affaire. Eh fi, Monsieur, il semble que vous ayez encore la pudeur d’un jeune Conseiller.

MONSIEUR MIGAUD.

Sérieusement, Madame...

MADAME PATIN.

4

Ah, Monsieur, point de réplique, je vous prie. Je me fais entendre, si je ne me trompe. C’est à vous de prendre vos mesures là-dessus. Lisette, si la personne dont je vous ai parlé vient ici, qu’on me fasse avertir chez Araminte, où je vais jouer au Reversis. Mon, je vous donne le bon jour.

SCÈNE V. Monsieur Migaud, Lisette. §

MONSIEUR MIGAUD.

Lisette ?

LISETTE.

Monsieur ?

MONSIEUR MIGAUD.

Que veut dire cette manière ? Quel accueil ma fait ta Maîtresse ?

LISETTE.

Vous n’en êtes pas fort content, à ce que je vois ?

MONSIEUR MIGAUD.

Trouves-tu que j’aie sujet de l’être ?

LISETTE.

Il me semble que non, franchement.

MONSIEUR MIGAUD.

Comment faut-il que j’explique tout ceci ?

LISETTE.

Pour peu que vous ayez d’intelligence, vous entendez bien ce que cela signifie.

MONSIEUR MIGAUD.

Je m’y perds, plus je l’examine.

LISETTE.

Il me semble pourtant que cela n’est pas bien difficile à comprendre.

MONSIEUR MIGAUD.

Aide-moi, je te prie, à le pénétrer.

LISETTE.

Vous aimez Madame Patin ma Maîtresse, et vous avez cru jusqu’ici que Madame Patin vous aimait ?

MONSIEUR MIGAUD.

Nos affaires sont assez avancées pour me le faire présumer ; et ce qui me surprend, c’est qu’aux termes où nous en sommes, elle prenne des airs si brusques.

LISETTE.

Cela serait aussi un peu surprenant, si vous ne la connaissiez pas ; mais, vous savez ce qu’il faut en croire.

MONSIEUR MIGAUD.

Sans le respect que j’ai pour elle, je croirais...

LISETTE.

Eh, laissez-là le respect, Monsieur, et dites librement que vous la croyez un peu folle. Je me connais trop bien en gens pour vous en dédire.

MONSIEUR MIGAUD.

Écoute, Lisette, puisque tu me parles franchement, je t’avouerai de bonne foi que le caractère de Madame Patin m’a toujours fait peur, et que sans certains intérêts de mon fils, je n’aurais jamais songé à l’épouser. Monsieur Serrefort, comme tu sais, appréhende que sa belle-soeur ne dissipe les grands biens que son mari lui a laissés en mourant, et c’est pour s’assurer cette succession, qu’en donnant Lucile à mon fils, il ne consent à ce mariage qu’à condition que j’épouserai Madame Patin.

LISETTE.

Et vous aurez la complaisance de vouloir bien souscrire à cette condition ?

MONSIEUR MIGAUD.

J’assure par là plus de quarante mille livres de rente à ma famille.

LISETTE.

Cela vaut bien que vous vous exposiez à enrager le reste de vos jours.

MONSIEUR MIGAUD.

J’aurai moins à souffrir que tu ne penses : et je suis, grâces au Ciel, d’une profession et d’un caractère à mettre aisément une femme à la raison.

LISETTE.

Commencez donc dès à présent à y mettre Madame Patin ; car je vous avertis que si vous attendez pour la rendre sage que vous soyez son mari, vous courez risque de la voir mourir folle.

MONSIEUR MIGAUD.

Que me dis-tu là ?

LISETTE.

5

Je me suis senti de l’inclination à vous rendre service ; et il me semble que Monsieur votre fils, qui est un garçon si sage et si honnête, fera un bien meilleur usage de quarante mille livres de rente à qui vous en voulez, que le petit fat à qui Madame Patin les destine.

MONSIEUR MIGAUD.

Explique-moi cette énigme-là ? Ta Maîtresse aurait-elle changé de pensée ?

LISETTE.

Elle s’est mis la Cour en tête ; et pour y paraître avec éclat, elle prétend épouser le Chevalier de Ville-Fontaine.

MONSIEUR MIGAUD.

Cela ne se peut pas.

LISETTE.

Je ne sais pas si cela se peut, mais je sais bien que cela est.

MONSIEUR MIGAUD.

Le Chevalier de Ville-Fontaine ! Tu te moques, mon enfant, cet homme-là n’est point fait pour épouser. C’est un aventurier qui n’en a pas le temps, un jeune extravagant qui n’a pas cent pistoles de revenu, qu’on ne connaît à la Cour que par le ridicule qu’il s’y donne, et qui n’a pour tout mérite que celui de boire, et de prendre du tabac.

LISETTE.

Eh bien, Monsieur : boire, et prendre du tabac, c’est ce qui fait aujourd’hui le mérite de la plupart des jeunes gens.

MONSIEUR MIGAUD.

Je ne saurais croire ce que tu me dis.

LISETTE.

6

Non, ne le croyez pas ; mais avertissez-en toujours Monsieur Serrefort par précaution, et prenez vos mesures comme si vous en étiez persuadé ; la suite vous convaincra du reste. Voici notre Chevalier, adieu. Ne perdez point de temps, et comptez que ce n’est pas peu que je me mêle de vos affaires.

MONSIEUR MIGAUD.

L’étrange chose que la tête d’une femme !

SCÈNE VI. Le Chevalier, Lisette. §

LE CHEVALIER.

Bonjour, ma pauvre Lisette. Ah, ah, tu as du dessein aujourd’hui. Te voilà plus parée que de coutume, et toujours plus belle que tout ce que j’ai vu de plus beau. Quel charmant embonpoint ?

LISETTE.

Est-ce à moi que vous parlez, Monsieur ?

LE CHEVALIER.

Et à qui donc ?

LISETTE.

J’ai cru que c’était un compliment pour quelque Dame, que vous répétiez comme une leçon. Madame vous a attendu longtemps, Monsieur.

LE CHEVALIER.

En vérité, tu es une des plus aimables filles que je connaisse. Mais, qui te fait tes manteaux ? Je veux mettre mon Ouvrière en crédit. Par ma foi, voilà le plus galant négligé qu’on ait jamais vu. Comme elle se coiffe, la friponne !

LISETTE.

Vous voulez bien, Monsieur, que j’aille dire à Madame que vous êtes ici. Elle n’est qu’à dix pas, chez une de ses amies.

LE CHEVALIER.

Attends, attends, Lisette : un moment plus ou moins ne fera rien à la chose.

LISETTE.

Pardonnez-moi, Monsieur, je serai bien aise qu’on l’avertisse de votre impatience ; aussi bien, voilà Crispin qui a quelque chose à vous dire.

SCÈNE VII. Le Chevalier, Crispin. §

CRISPIN.

Ah, vous voilà, Monsieur, je vous cherchais partout pour vous dire que la Baronne...

LE CHEVALIER.

Paix, paix, tais-toi. Ne vois-tu pas où nous sommes ?

CRISPIN.

Oui, Monsieur, mais la Baronne...

LE CHEVALIER.

7

Eh ventrebleu, maraud, ne t’ai-je pas dit que quand je suis chez une femme, je ne veux point que tu me viennes parler d’aucune autre.

CRISPIN.

Cela est vrai. Mais, Monsieur, cette Baronne...

LE CHEVALIER.

8

Mais, Monsieur le fat, taisez-vous, encore une fois ; et ne venez point gâter une affaire, qui est peut-être la meilleure qui me puisse arriver.

CRISPIN.

Oh, oh ! Quoi, Monsieur ! La Maîtresse du logis parle-t-elle de mariage, et songez-vous à l’épouser ? L’aimez-vous ?

LE CHEVALIER.

Moi, l’aimer ? Pauvre sot !

CRISPIN.

De quelle affaire parlez-vous donc ?

LE CHEVALIER.

Je l’épouserai si je veux ; mais, je la hais comme la peste, et ce ne serait pas elle que j’épouserais.

CRISPIN.

Non ? Le diable m’emporte, si je vous entends.

LE CHEVALIER.

Ce serait quarante mille livres de rente qu’elle possède, dont je pourrais être amoureux.

CRISPIN.

C’est à dire, que ce sont les quarante mille livres de rente que vous épouseriez en l’épousant ?

LE CHEVALIER.

Et quoi donc ? Si j’avais à aimer, ce ne serait pas Madame Patin, Dieu me damne.

CRISPIN.

Ce ne serait pas aussi la vieille Baronne ; car, vous lui promettez tous les huit jours de l’épouser dans la semaine, et il y a près d’un an que vous l’amusez.

LE CHEVALIER.

Si la Baronne avait gagné ses procès, je la préférerais à Madame Patin ; et quoiqu’elle ait quinze ou vingt années davantage, les procès gagnés lui donneraient quinze ou vingt mille livres de rente plus que n’a Madame Patin.

CRISPIN.

C’est-à-dire, que s’il en venait encore quelque autre plus riche que ces deux-là, vous prendriez parti avec la dernière ?

LE CHEVALIER.

Je les ménagerai toutes, autant qu’il s’en présentera, le plus longtemps que je pourrai, et je me déterminerai pour celle qui accommodera le mieux mes affaires.

CRISPIN.

Et pour accommoder les miennes, j’ai envie d’en prendre quelqu’une de celles dont vous ne voudrez point ; car, entre nous, Monsieur, je n’aime point les soubrettes, voyez-vous. À propos d’aimer, je crois que vous n’aimez rien, vous, que votre profit.

LE CHEVALIER.

Je ne sais si je n’aimerais point une petite brune, qui est la plus charmante du monde ; et si elle était aussi riche qu’elle voudrait me le faire croire, je n’hésiterais point à lui sacrifier toutes les autres.

CRISPIN.

Quelle petite brune ! Comment l’appelez-vous ?

LE CHEVALIER.

Je n’ai pu encore savoir son nom.

CRISPIN.

Je m’étonnais aussi ; car, il n’y a point de petite brune sur mon mémoire.

LE CHEVALIER.

9

Ce n’est que depuis quatre jours que je la vois tous les soirs aux Tuileries. Je lui ai fait croire qu’on m’appelait le Marquis des Guérets. Parbleu, c’est une conquête aussi difficile que j’en connaisse. Je ne suis pourtant pas mal auprès d’elle.

CRISPIN.

En quatre jours ! Voilà une conquête bien difficile, vous avez raison.

LE CHEVALIER.

Elle a un père extrêmement bizarre, à ce qu’elle m’a dit ; et ce n’est que sous le prétexte d’aller voir une certaine tante, qu’elle trouve moyen de venir les soirs à la promenade.

CRISPIN.

Toute jeune, et toute petite personne qu’elle est, elle ment déjà à la perfection, n’est-ce pas ?

LE CHEVALIER.

Elle a de l’esprit au-delà de l’imagination. Une vivacité... La charmante petite créature.

CRISPIN.

Diable !

LE CHEVALIER.

Ne m’en parle plus, Crispin, ne m’en parle plus, je t’en prie. Vois-tu. J’ai des entêtements de fortune, et je craindrais de me faire avec cette petite personne, une affaire de coeur qui me mènerait peut-être trop loin.

CRISPIN.

Vous avez raison.

LE CHEVALIER.

Songeons au solide, mon ami, nous donnerons ensuite dans la bagatelle.

CRISPIN.

C’est bien dit. Or çà, je vois bien que c’est la dame d’ici qui est la meilleure à ménager, et je m’en vais renvoyer Madame la Baronne avec ses présents.

LE CHEVALIER.

Comment, que parles-tu de présents ?

CRISPIN.

C’est ce que je vous ai voulu dire d’abord, que Madame la Baronne vous attend chez vous avec des présents ; mais je vais les renvoyer.

LE CHEVALIER.

Attends, attends un peu. Et qu’est-ce que c’est que ces présents ?

CRISPIN.

10

Hé, Monsieur, c’est par exemple, un fort beau carrosse qu’elle a fait mettre sous une de vos remises, deux gros chevaux dans votre écurie, un cocher et un gros barbet qui ont amené tout cela, et que je vais renvoyer, puisque vous le voulez.

LE CHEVALIER.

Non, non, demeure. Cette pauvre femme ! Elle m’aime dans le fond, et je ne veux pas la fâcher.

CRISPIN.

Vous avez raison ; mais, vous ne songez pas que Madame Patin...

LE CHEVALIER.

Je songe que Madame Patin aime le grand air et le grand équipage. Le carrosse est beau ?

CRISPIN.

Il est des plus beaux qui se portent.

LE CHEVALIER.

Cette pauvre Baronne ? Et les chevaux ?

CRISPIN.

Les chevaux, sont des chevaux qui ont l’air aisé. Vous n’en avez jamais encore eu comme ceux-là.

LE CHEVALIER.

11

La pauvre femme ! Va, va-t-en lui dire que je la remercie, et que j’aurai l’honneur de la voir cette après-dînée.

CRISPIN.

12

Oh, sans vous, il n’y a rien à faire ; et je m’en vais gager qu’elle emmènera les chevaux, le carrosse et le barbet, si vous ne venez les recevoir vous-même ; et encore faut-il vous dépêcher, car elle a des affaires, et il me semble qu’elle m’a dit qu’un de ses procès se jugeait demain sans faute.

LE CHEVALIER.

Hé bien, dis-lui seulement que je la verrai aujourd’hui sans y manquer.

CRISPIN.

Vous lui avez manqué vingt fois de parole. Voulez-vous qu’elle se fie à la mienne ?

LE CHEVALIER.

Voilà Madame Patin. Va vite faire ce que je dis.

CRISPIN.

Parbleu, vous viendrez, puisque vous voulez garder l’équipage.

LE CHEVALIER.

13

Tais-toi donc, maraud, et laisse-moi sortir honnêtement d’avec celle-ci.

SCÈNE VIII. Mme Patin, Le Chevalier, Lisette, Crispin. §

MADAME PATIN.

Je vous ai fait attendre, Monsieur le Chevalier ; vous me devez savoir gré de ne me pas trouver chez moi. Comme je n’y veux être que pour vous, je suis bien aise de me dérober aux importunités de quelques gens qui se croient en droit de me parler à toute heure, et à qui mes gens n’osent fermer la porte au nez, quoique je leur aie commandé plus de mille fois de le faire.

LE CHEVALIER.

On est trop payé, Madame, du chagrin d’avoir attendu, quand on a le bonheur de vous voir un moment, et j’attendrai toujours volontiers, quand je serai sûr de ne pas attendre inutilement.

MADAME PATIN.

Qu’il est obligeant, et qu’il dit des choses de bonne grâce ! Au moins, Monsieur le Chevalier, Lisette m’a rendu compte de votre honnêteté ; vous ne vouliez pas qu’elle me vînt avertir, de peur de me détourner ; mais, j’aurais été bien fâchée contre elle.

LE CHEVALIER.

Je craignais de donner du chagrin à la compagnie que vous venez de quitter.

MADAME PATIN.

Il n’y avait que des femmes, au moins ; et vous n’avez point de rivaux à craindre.

CRISPIN, bas au Chevalier.

Le carrosse s’ennuiera sous la remise.

LE CHEVALIER.

Paix.

MADAME PATIN.

Que dit Crispin ?

CRISPIN.

Rien, Madame.

MADAME PATIN.

Passons dans mon cabinet, nous y serons mieux qu’ici.

CRISPIN, bas au Chevalier.

Les chevaux s’impatienteront, vous dis-je.

LE CHEVALIER.

Te tairas-tu ?

MADAME PATIN.

Allons, Monsieur le Chevalier.

CRISPIN.

Adieu, l’équipage.

MADAME PATIN.

À qui en a-t-il ? Que parle-t-il d’équipage ?

LE CHEVALIER.

Je ne sais, Madame, ce qu’il marmotte entre ses dents ; de carrosse, de chevaux, d’équipage. C’est mon sellier qui m’attend, n’est-ce pas ?

CRISPIN.

Oui, Monsieur.

LE CHEVALIER.

M’a-t-on amené ces deux chevaux neufs ?

MADAME PATIN.

Oui, Monsieur, et ils vous attendent, comme je vous ai dit.

LE CHEVALIER.

Je vous demande pardon, Madame, c’est un nouveau carrosse que je me donne. Je sais que je vous fais plaisir de me bien mettre en équipage ; et je meurs d’impatience de voir si vous devez être contente de celui-ci.

MADAME PATIN.

Je vais le voir avec vous ; et puisque c’est pour me plaire que vous faites cette dépense, je serai bien aise d’être la première à vous en dire mon sentiment. Allons.

LE CHEVALIER.

Ah, Madame ! Songez de grâce...

MADAME PATIN.

À quoi, Monsieur le Chevalier ?

LE CHEVALIER.

Hé, Madame !

MADAME PATIN.

Comment ?

LE CHEVALIER.

Que dirait-on, Madame, dans le monde, des petits soins qu’on vous verrait prendre ? Cela seul suffirait pour découvrir ce que nous avons intérêt de cacher ; et je serais au désespoir, que quelques soupçons nous attirassent de chagrinantes remontrances de votre famille et de la mienne.

CRISPIN.

Assurément, Madame, et il ne serait pas honnête que mon Maître essayât son carrosse devant vous. La femme de son sellier est une causeuse !

LE CHEVALIER.

Oui, Madame, il y a des fuites à craindre que je prévois, et que je ne saurais vous dire. Adieu, Madame, je reviendrai dans un instant si vous voulez me le permettre...

MADAME PATIN.

Adieu donc, Chevalier. Ne tardez pas, je vous prie, et passez chez votre notaire pour ce que vous savez.

SCÈNE IX. Madame Patin, Lisette. §

LISETTE.

Ma foi, Madame, ce n’était pas la peine de quitter le jeu pour être sacrifiée par Monsieur le Chevalier, à l’impatience de voir son carrosse.

MADAME PATIN.

Que tu es folle, Lisette ! Je lui sais bon gré de cette impatience. C’est pour me faire plaisir qu’il a fait faire ce carrosse. Je gage qu’il y aura fait mettre des chiffres.

LISETTE.

Je ne sais ; mais, je crains bien que ce M. le Chevalier ne vous donne bien des chagrins. Les gens de la Cour, et les jeunes gens surtout, sont d’étranges personnages. Celui-ci, encore qu’il soit votre Amant, vous voyez avec quelle brusquerie il vous quitte, pour aller voir un carrosse neuf. S’il est jamais votre mari, il se lèvera d’auprès de vous dès quatre heures du matin, pour voir panser ses chevaux. Le beau régal pour une femme !

MADAME PATIN.

Tu ne sais ce que tu dis.

LISETTE.

Vous m’en direz des nouvelles.

ACTE II §

SCÈNE I. Monsieur Serrefort, Lisette. §

LISETTE.

Au moins, Monsieur, dites-lui bien que vous êtes entré malgré moi ; elle n’y veut pas être, comme je vous dis, et vous me feriez quereller infailliblement.

MONSIEUR SERREFORT.

Ne te mets pas en peine, je la chapitrerai de manière qu’elle n’aura pas la hardiesse de quereller de plus de huit jours. L’extravagante ! Elle se fait de belles affaires ! S’il faut malheureusement que celle-ci éclate à la Cour, nous ne pourrons jamais nous parer de quelque grosse taxe.

LISETTE.

De quelle affaire parlez-vous là ?

MONSIEUR SERREFORT.

Est-ce que tu n’étais pas avec elle ce matin, quand elle a eu bruit avec cette Femme de qualité ?

LISETTE.

Vous savez déjà cette aventure ?

MONSIEUR SERREFORT.

Je l’ai sue un quart d’heure après qu’elle est arrivée ; et comme on achevait de me la conter, Monsieur Migaud est venu m’avertir du dessein où elle est d’épouser un certain Chevalier de Ville-Fonrtaine.

LISETTE.

Franchement, Monsieur, vous avez là une belle soeur qui vous donnera de la peine à la réduire, je doute que vous en veniez à bout.

MONSIEUR SERREFORT.

J’y brûlerai mes livres.

LISETTE.

Surtout, ne manquez pas de crier bien fort, et de prendre un ton d’autorité avec elle ; car, voyez-vous, quoiqu’elle vous méprise quand vous n’y êtes pas, elle vous craint quand elle vous voit, et elle n’ose vous contredire en face.

MONSIEUR SERREFORT.

Laissez-moi faire.

LISETTE.

La voici.

SCÈNE II. Monsieur Serrefort, Madame Patin, Lisette. §

LISETTE.

Monsieur a voulu demeurer malgré moi, Madame.

MADAME PATIN.

Ah ! Monsieur Serrefort, quel dessein vous amène ? Vous m’auriez fait plaisir de me souffrir seule aujourd’hui ; mais, puisque vous voilà, finissons, je vous en prie. De quoi, s’agit-il ?

MONSIEUR SERREFORT.

Qu’est-ce donc, Madame, ma belle-soeur, de quel ton le prenez-vous là, s’il vous plaît ? Écoutez, vous vous donnez des airs qui ne vous conviennent point ; et sans parler de ce qui me regarde, vous prenez un ridicule dont vous vous repentirez quelque jour.

MADAME PATIN.

Un fauteuil, Lisette. Je prévois que Monsieur va m’endormir.

MONSIEUR SERREFORT.

Non, Madame ; et si vous êtes sage, ce que j’ai à vous dire vous réveillera terriblement, au contraire.

MADAME PATIN.

Ne prêchez donc pas longtemps, je vous prie.

MONSIEUR SERREFORT.

Si vous pouviez profiter de mes serments, il ne vous arriverait pas tous les jours de nouvelles affaires, qui vous perdront entièrement à la fin.

MADAME PATIN.

Ah, ah, vous vous intéressez étrangement à ma conduite !

MONSIEUR SERREFORT.

Et qui s’y intéressera, si je ne le fais pas ? Vous êtes la tante de ma fille, veuve de Maître Paul Patin mon frère, et je ne veux point que l’on dise dans le monde que la veuve de mon frère, la tante de ma fille, est une folle achevée.

MADAME PATIN.

Comment une folle ? Vous perdez le respect, Monsieur Serrefort ; et il faut que je trouve les moyens de me défaire de vous, pour ne plus entendre des sottises, à quoi je ne sais point répondre.

MONSIEUR SERREFORT.

Hé ! Ventrebleu, Madame Patin, vous devriez vous défaire de toutes vos manières et de vos airs de grandeur, surtout pour ne plus recevoir d’avanie pareille à celle d’aujourd’hui.

MADAME PATIN.

14

Vous devriez, Monsieur Serrefort, ne me point reprocher des choses où je ne me suis exposée que parce qu’on me croit votre belle-soeur ; mais, voilà qui est fait, Monsieur Serrefort, je ferai afficher que je ne la suis plus depuis mon veuvage, je vous renonce pour mon beau-frère, Monsieur Serrefort ; et puisque jusqu’ici mes dépenses, la noblesse de mes manières, et tout ce que je fais tous les jours, n’ont pu me corriger du défaut d’avoir été la femme d’un partisan, je prétends...

MONSIEUR SERREFORT.

15

Hé ! Tête-bleu, Madame Patin, c’est le plus bel endroit de votre vie que le nom de Patin ; et sans l’économie et la conduite du pauvre défunt, vous ne seriez guères en état de prendre des airs si ridicules. Je voudrais bien savoir...

MADAME PATIN.

Courage, courage, Monsieur Serrefort, vous faites bien de jouer de votre reste.

MONSIEUR SERREFORT.

16

Je voudrais bien savoir, vous dis-je, si vous ne seriez pas mieux d’avoir un bon carrosse ; mais doublé de drap couleur olive, avec un chiffre entouré d’une cordelière, un cocher maigre, vêtu de brun, un petit laquais seulement pour ouvrir la portière, et des chevaux modestes, que de promener par la Ville ce somptueux équipage qui fait demander qui vous êtes, ces chevaux fringants qui éclaboussent les gens de pied, et tout cet attirail, enfin, qui vous fait ordinairement mépriser des gens de qualité, envier des égaux, et maudire par la canaille. Vous devriez, Madame Patin, retrancher tout ce faste qui vous environne.

LISETTE, à Mme Patin, qui tousse, crache et se mouche.

Mais, Monsieur... Qu’avez-vous, Madame ?

MADAME PATIN.

Je prends haleine. Monsieur ne va-t-il pas passer au second point ?

MONSIEUR SERREFORT.

Non, Madame, et j’en reviens toujours à l’équipage.

MADAME PATIN.

Le fatigant homme !

MONSIEUR SERREFORT.

17

Que faites-vous entre autres choses, de ce cocher à barbe retroussée ? Quand ce serait celui de la Reine de Saba...

LISETTE.

Mais, est-ce que vous voudriez, Monsieur, que Madame allât faire la barbe à son cocher ?

MONSIEUR SERREFORT.

Non ; mais qu’elle en prenne un autre.

MADAME PATIN.

Oh bien, Monsieur, en un mot comme en mille, je prétends vivre à ma manière, je ne veux point de vos conseils, et me moque de vos remontrances. Je suis veuve, Dieu merci. Je ne dépends de personne que de moi-même. Vous venez ici me morigéner, comme si vous aviez quelque droit sur ma conduite ; c’est tout ce que je pourrais souffrir à un mari.

MONSIEUR SERREFORT.

Quand Monsieur Migaud sera le vôtre, il fera comme il l’entendra, Madame ; car je crois que vous ne vous manquerez pas de parole ; et si vous aimez tant la dépense, ce mariage au moins vous donnera quelque titre qui rendra vos grands airs plus supportables.

MADAME PATIN.

Oui, Monsieur, quand Monsieur Migaud sera mon mari, je prendrai ses leçons pourvu qu’il ne suive pas les vôtres. Il s’accommodera de mes manières, ou je me ferai aux siennes. Est-ce fait ? Avez-vous tout dit ? Sortez-vous, ou voulez-vous que je sorte ?

MONSIEUR SERREFORT.

Non, Madame, demeurez, je ne me mêlerai plus de vos affaires, je vous assure ; mais qu’une tête bien sensée en ait au plutôt la conduite, et que ce double mariage, que nous avons résolu, se termine avant la fin de la semaine, je vous prie.

MADAME PATIN.

Ne vous mettez pas en peine.

SCÈNE III. Madame Patin, Lisette. §

LISETTE.

Voilà un sot homme, de ne pas dire d’abord les choses. Il était bien besoin de tout ce préambule, pour en venir à l’affaire de Monsieur Migaud. Que ne s’expliquait-il dès en entrant, vous lui auriez dit oui tout aussitôt, et il ne vous aurait pas tant ennuyée.

MADAME PATIN.

Hé ! Ne faut-il pas bien qu’il me fatigue ? Il semble qu’il ne soit fait que pour cela.

LISETTE.

Franchement, Madame, il m’ennuie quelquefois, pour le moins autant que vous.

MADAME PATIN.

Que je le hais ! Je ne serai point satisfaite, qu’il ne lui soit arrivé quelque aventure désespérante.

LISETTE.

Il le mérite bien ; et quand vous serez une fois la belle-mère de sa fille, vous aurez bien des occasions de le désespérer.

MADAME PATIN.

La belle-mère de sa fille, moi ? Tu n’y songes pas, Lisette. Ne t’ai-je pas tantôt fait confidence de l’affaire du Chevalier ?

LISETTE.

Ah ! Par ma foi, Madame, je vous demande pardon. Je ne m’en souvenais pas, et je croyais que vous l’aviez oublié, à cause de ce que vous venez de dire à Monsieur Serrefort.

MADAME PATIN.

Que tu es bête, ma pauvre Lisette ! J’aurais promis à Monsieur Serrefort tout ce qu’il aurait voulu pour après demain.

LISETTE.

Oui, Madame ?

MADAME PATIN.

Oui, vraiment ; car, dès demain, je me mettrai hors d’état de lui pouvoir tenir parole.

LISETTE.

Cela est bien adroit.

MADAME PATIN.

Nous avons pris, le Chevalier et moi, toutes les mesures qu’il faut pour nous marier cette nuit à cinq heures du matin.

LISETTE.

Vus avez des précautions admirables. Mais, voici votre petite nièce bien échauffée.

MADAME PATIN.

Quoi, je serai toujours obsédée ou par le père ou par la fille ? La mère ne viendra-t-elle point encore !

SCÈNE IV. Madame Patin, Lucile, Lisette. §

LUCILE.

J’attendais avec impatience que mon père sortît, ma tante, pour vous dire une nouvelle, qui vous fera voir que je suis autant dans vos intérêts, que mon père vous est contraire.

MADAME PATIN.

Que vous soyez dans mes intérêts, ou qu’il n’y soit pas ; c’est pour moi la même chose.

LUCILE.

Oh ! Ma tante, je crois que vous ne serez pourtant pas fâchée de savoir ce qu’on a dit à mon père.

MADAME PATIN.

Et qu’a-t-on pu dire à votre père ?

LUCILE.

Que vous vouliez épouser un homme de la Cour, et il a résolu je ne sais combien de choses pour vous en empêcher.

MADAME PATIN.

Et qui peut avoir dit cette nouvelle, Lisette ?

LISETTE.

Je ne sais, Madame. Le Chevalier a causé, peut-être. Les Chevaliers sont de grands causeurs ordinairement.

LUCILE.

Le moyen de rompre ses mesures ; c’est de faire vos affaires tout doucement, ma tante, et de vous marier en cachette.

MADAME PATIN.

Je sais ce qu’il faut que je fasse. Les gens qui ont dit cette nouvelle sont des bêtes, et votre père aussi.

LUCILE.

Je vous demande pardon, ma tante ; mais j’ai une démangeaison furieuse de vous voir Femme de qualité.

MADAME PATIN.

Vous aurez bientôt ce plaisir-là, et je vous conseille par avance de commencer de bonne heure à garder avec moi certain respect où vous devez être, et où vous auriez peut-être peine à vous accoutumer dans la suite.

LUCILE.

Comment donc, ma tante ?

MADAME PATIN.

Défaites-vous surtout de ma tante, et servez-vous du mot de Madame, je vous prie, ou demeurez chez votre père.

LUCILE.

Mais, ma tante, puisque vous êtes ma tante, pourquoi faut-il que je vous appelle autrement ?

MADAME PATIN.

C’est, qu’étant Femme de qualité, et vous ne l’étant pas, je ne pourrais pas honnêtement être votre tante, sans déroger en quelque façon.

LUCILE.

Oh, que cela ne vous embarrasse pas, ma tante ; je deviendrai bientôt aussi Femme de qualité.

MADAME PATIN.

Que dites-vous ?

LUCILE.

Il ne tiendra qu’à moi d’être pour le moins aussi grande Dame que vous.

MADAME PATIN.

Plaît-il ?

LUCILE.

Je connais un Seigneur tout des plus jolis, que j’ai vu plusieurs fois aux Tuileries, qui m’épousera dès que je voudrai. Ne vous mettez pas en peine.

MADAME PATIN.

Ah, ah ! Et comment s’appelle-t-il, ce Seigneur ?

LUCILE.

On l’appelle Monsieur le Marquis des Guérets. Il est fort riche, et fort de qualité ; car il me l’a dit.

MADAME PATIN.

Vraiment, je suis bien aise, ma nièce, que malgré la mauvaise éducation que votre père vous a donnée, vous preniez des sentiments dignes de l’honneur que je vous fais, de vouloir être votre parente. Voilà de quoi vous avez profité à me voir, et vous m’avez cette obligation.

LISETTE.

Il faut que je vous en aie encore une autre, ma tante.

LUCILE.

Que faut-il faire ?

MADAME PATIN.

Vous marier au plutôt, s’il vous plaît, avec ce Monsieur que vous aimez, afin que cela m’autorise à épouser celui que j’aime aussi, et que quand mon père voudra me quereller, je puisse lui répondre : Je n’ai pas fait pis que ma tante.

LISETTE.

Vous avez raison. C’est une terrible chose que l’exemple.

LUCILE.

Mais il faudrait que ma tante se dépêchât, car M. le Marquis des Guérets, qui m’aime, a furieusement d’impatience.

MADAME PATIN.

Oh bien, ma nièce, puisque vous êtes dans de si bonnes dispositions, je veux bien vous faire une confidence, que je n’aie encore faite à personne qu’à vous. Je me marie demain, à cinq heures du matin.

LUCILE.

À cinq heures du matin ?

MADAME PATIN.

Oui, ma nièce, à cinq heurs. Si l’exemple vous encourage, c’est à vous de voir à quoi vous vous déterminez.

LUCILE.

Je vais écrire à mon Amant, et lui demander qu’il prenne toutes ses précautions, afin que nous nous dépêchions aussi. Adieu, ma tante.

MADAME PATIN.

Adieu, ma nièce.

SCÈNE V. Madame Patin, Lisette. §

MADAME PATIN.

Ah, Lisette, que voilà bien de quoi me venger de Monsieur Serrefort ! Sa fille est entêtée d’un homme de Cour, un homme de Cour la veut épouser, et elle meurt d’être épousée. Si le père et la mère en pouvaient mourir de chagrin, nous serions débarrassés de deux ennuyeux personnages.

LISETTE.

18

Mais, Madame, est-ce que vous donnerez les mains aux desseins de votre nièce ?

MADAME PATIN.

Assurément, et je n’ai garde de manquer une si belle occasion de désespérer Monsieur Serrefort.

LISETTE.

Cela est bien charitable, vraiment. Mais voici Monsieur le Chevalier.

SCÈNE VI. Le Chevalier, Mme Patin, Lisette. §

LE CHEVALIER.

Hé bien, Madame, n’ai-je pas fait diligence ?

MADAME PATIN.

Quelque peu que vous ayez tardé, Chevalier, je trouve les moments bien longs quand je ne vous vois point, et mon impatience....

LE CHEVALIER.

Jugez de la mienne par la vôtre, Madame ; faites-moi, je vous prie, la justice de croire que je ne vis, qu’autant que je suis auprès de vous.

MADAME PATIN.

Cela est tout à fait obligeant.

LISETTE, bas.

Je crains la conversation qu’ils vont avoir ensemble, et je voudrais bien que quelqu’un vînt les interrompre.

MADAME PATIN.

Lisette, dites là-bas que je n’y veut être pour personne, et mettez-nous je vous prie, cette après dînée à couvert des importuns.

LISETTE.

Oui, Madame.

Bas en s’en allant.

S’il n’en vient point, j’en irai chercher moi-même.

SCÈNE VII. Madame Patin, Le Chevalier. §

MADAME PATIN.

Hé bien, Chevalier, êtes-vous bien content de votre équipage ?

LE CHEVALIER.

Il marchera ce soir, et s’il est de votre goût, Madame, il ne lui manquera aucune chose pour être parfaitement au mien.

MADAME PATIN.

Puisque cela est, je l’admire par avance, et je le trouve des mieux entendus. Vous y avez fait mettre vos armes ?

LE CHEVALIER.

Non, Madame.

MADAME PATIN.

Des Chiffres ? Je l’ai deviné dès tantôt.

LE CHEVALIER.

En vérité, Madame, je ne sais ce que le peintre s’est avisé d’y mettre.

MADAME PATIN.

Allez, allez, je vous le pardonne.

LE CHEVALIER.

Quoi, Madame ?

MADAME PATIN.

Le Chiffre doit être fort beau, l’N et l’U, font un assemblage fort agréable.

LE CHEVALIER.

Comment donc, Madame ?

MADAME PATIN.

Comme je m’appelle Nanette, l’N y domine apparemment ?

LE CHEVALIER.

Madame.

MADAME PATIN.

Vous faites le discret, Chevalier ; mais, vous êtes un badin, et dans les termes où nous en sommes, toutes ces façons-là ne sont pas permises.

LE CHEVALIER, bas.

19

J’enrage ; le chiffre du carrosse est apparemment celui de la Baronne.

MADAME PATIN.

Avez-vous passé chez le Notaire ?

LE CHEVALIER, bas.

Oui, Madame. Je ne l’ai point trouvé, et je lui ai laissé un billet.

SCÈNE VIII. La Baronne, Le Chevalier, Madame Patin, Lisette. §

LISETTE, repoussant la Baronne.

Mais, Madame...

LA BARONNE.

Vous êtes une sotte, ma mie, votre Maîtresse y est toujours pour moi.

LE CHEVALIER.

Vous êtes mal obéie, Madame, et voici quelqu’un qui vous demande.

MADAME PATIN.

Ah, juste Ciel ! C’est une importune plaideuse, dont nous ne serons débarrassés d’aujourd’hui.

LE CHEVALIER, bas.

20

Comment, morbleu, c’est ma Baronne ! Voici bien un autre embarras. Par où diantre me tirer d’intrigue !

LISETTE.

Il nous a été impossible de faire tête à Madame, et le portier et moi n’avons pu lui persuader que vous n’y étiez pas.

MADAME PATIN.

Et pourquoi lui dire que je n’y suis pas ? Est-ce pour des personnes comme elle qu’on n’y veut pas être ? Je vous demande pardon, Madame.

LA BARONNE.

Je vous le disais bien, ma mie, vous êtes une bête, comme vous voyez. Ah, ah, Monsieur le Chevalier, que faites-vous ici ?

LE CHEVALIER.

Mais vous, Madame, par quelle aventure...

MADAME PATIN, à Lisette.

Le Chevalier connaît la Baronne !

LA BARONNE.

Je venais ici, Madame, pour solliciter encore vos recommandations pour mon procès ; mais, je ne m’attendais pas d’y trouver Monsieur le Chevalier. Qu’y vient-il faire, Madame ?

MADAME PATIN, bas à Lisette.

Elle y prend un grand intérêt.

Haut.

Madame, je ne sais...

LE CHEVALIER à Mme Patin.

Ah, Madame ! Regardez, je vous prie, les affaires de Madame la Baronne, comme les miennes propres, vous ne me sauriez faire plus de plaisir.

À la Baronne.

Vous voyez comme je m’intéresse pour vous, Madame.

MADAME PATIN, bas.

Voilà un brouillamini où je ne comprends rien.

LA BARONNE, bas.

Qu’est-ce que tout cela veut dire.

MADAME PATIN.

En vérité, Madame, je ne comprends point d’où vient votre curiosité sur le chapitre de Monsieur le Chevalier, ni par quel motif ?

LA BARONNE.

Comment, Madame, par quel motif ?

LE CHEVALIER, à la Baronne.

Hé, Madame, de grâce.

À Madame Patin.

Que tout ceci ne vous étonne point, Madame est une personne de qualité, (c’est ma cousine germaine) qui m’estime cent fois plus que je ne mérite, (je suis son héritier) elle a pour moi quelque bonté. (Ne parlez pas de notre mariage.) J’en ai toute la reconnaissance imaginable. (Elle y mettrait obstacle.) Et comme elle a de certaines vues pour mon établissement et pour ma fortune, elle craint que je ne prenne des mesures contraires aux siennes.

LA BARONNE.

Oui, Madame, voilà par quel motif.

MADAME PATIN.

Je vous demande pardon, Madame.

LA BARONNE.

Vous vous moquez, Madame. Mais dites-moi seulement, je vous prie, quel commerce Monsieur le Chevalier...

MADAME PATIN.

Commerce, Madame ! Qu’est-ce que cela veut dire, commerce ?

LE CHEVALIER.

Comment, Madame la Baronne ? Ignores-vous que la maison de Madame est le rendez-vous de tout ce qu’il y a d’illustre à Paris ? (C’est une ridicule.) Que pour être en réputation dans le monde, il faut être connu d’elle ? (Ne lui dites rien de notre dessein.) Que sa bienveillance pour moi est ce qui fait tout mon mérite ? (C’est une babillarde qui le dirait.) Et qu’enfin je fais tout mon bonheur de lui plaire, et c’est cela qui m’amène ici ?

MADAME PATIN.

Oui, Madame, voilà tout le commerce que nous avons ensemble.

LA BARONNE.

Pardonnez-moi, Madame.

LE CHEVALIER.

Hé ! De grâce, Mesdames, n’entrez point dans des éclaircissements qui ne sont bons à rien. Soyez amies pour l’amour de moi, je vous en conjure ; et que celle de vous deux qui m’estime le plus, embrasse l’autre la première.

La Baronne et Mme Patin courent s’embrasser avec empressement.

LA BARONNE.

Madame, je suis votre servante.

MADAME PATIN.

C’est moi qui suis la vôtre, Madame.

LE CHEVALIER.

Parlons, parlons de votre procès, Madame, je vous prie.

MADAME PATIN.

Au moins, je n’ai pas attendu vos recommandations, Monsieur le Chevalier, pour parler de l’affaire de Madame ; mais, on trouve sa cause fort mauvaise.

LA BARONNE.

Madame, on a menti, je la maintiens bonne. Demandez à Monsieur le Chevalier, il la sait sur le bout de son doigt. Contez, contez-là un peu à Madame.

LE CHEVALIER.

Vous avez tant d’affaires, Madame, que je ne sais de laquelle il est question. Je sais seulement qu’elles sont toutes aussi claires que le jour, et accompagnées de certaines circonstances dont je ne me souviens pas bien ; mais, qui sont les plus justes du monde, sans contredit.

LA BARONNE.

Je vous en fais juge vous-même, Madame, écoutez seulement. C’est un procès intenté dès avant la bataille de Pavie. Mon bisaïeul y commandait un régiment ; il fut tué à cette bataille. Ah ! S’il était encore au monde, je serais bien sûre de gagner ma cause. N’est-il pas vrai, Monsieur le Chevalier ?

LE CHEVALIER.

Je crois que oui, Madame.

LA BARONNE.

Vous voyez bien, Madame.

Elle voit rire Lisette.

Qu’avez-vous à rire, ma mie ? Vous avez là une chambrière bien impertinente, Madame. Elle ne fait pas la révérence quand je parle de mes aïeux.

LISETTE.

Je vous demande pardon, Madame ; mais, je n’ai pas l’honneur de les connaître.

LA BARONNE.

N’était la considération de votre Maîtresse...

MADAME PATIN.

Laissez-nous, Lisette. Revenons à votre procès, Madame, et finissons, je vous prie.

LA BARONNE.

Je ne sais où j’en suis, Madame. Remettez-moi un peu, Monsieur le Chevalier.

SCÈNE IX. Madame Patin, La Baronne, Le Chevalier, Lisette, Crispin. §

CRISPIN.

Lisette, dis un peu à mon Maître qu’il vienne me parler, j’ai quelque chose à lui dire.

LISETTE, s’en allant.

Va lui dire toi-même.

LA BARONNE.

Ah ! M’y voilà ; voici le fait. J’ai un moulin à vent, Madame : il est à moi ce moulin à vent, on m’empêche de le faire tourner. Je demande la paisible possession de mon moulin ; cela n’est-il pas juste ?

MADAME PATIN.

Hé ! Ne l’avez-vous pas, Madame.

LA BARONNE.

Hé non, je ne l’ai pas. Il y a environ cent cinquante ans, oui, il y a environ cent cinquante ans que le grand-père de ma partie fit planter proche de ma maison un bois, qui fait à présent tout l’ornement de la sienne.

LE CHEVALIER, bas.

Crispin me fait signe. Qu’est-ce que cela veut dire ?

LA BARONNE.

Cela veut dire qu’il fit planter ce bois par malice, pour me boucher la vue, et qu’il prévoyait bien qu’avec le temps, ce bois deviendrait haute futaie.

MADAME PATIN.

Vous croyez, Madame, qu’il a fait planter ce bois par malice ?

LA BARONNE.

Assurément, Madame ; et moi, pour lui faire pièce par représailles, j’ai fait relever un vieux moulin abandonné.

CRISPIN, bas au Chevalier.

J’ai à vous parler.

LA BARONNE.

Et comme ce moulin est plus ancien que le bois de ma partie, et que ce bois... Écoutez bien ceci, s’il vous plaît, et que ce bois...

MADAME PATIN.

En vérité, Madame, je ne comprends rien dans les affaires ; mais, je parlerai encore de la vôtre à Monsieur Migaud, je vous assure.

LA BARONNE.

Oh ! Je vous prie, Madame, j’ai là-bas mon carrosse. Allons ensemble chez lui tout à l’heure, s’il vous plaît.

MADAME PATIN.

Je ne puis sortir d’aujourd’hui, Madame.

LA BARONNE.

Mais, mon procès se juge demain, Madame.

LE CHEVALIER, bas.

Prenons cette occasion aux cheveux.

Haut.

Eh, Madame, je vous conjure de mener Madame la Baronne chez Monsieur Migaud.

Bas.

Si vous ne l’emmenez d’ici, nous ne nous en débarrasserons d’aujourd’hui.

MADAME PATIN.

Vous m’attendrez donc ici, Chevalier.

LE CHEVALIER.

Oui, Madame.

MADAME PATIN.

Allons, Madame, puisque vous le voulez.

LE CHEVALIER.

Allez, Mesdames.

LA BARONNE.

Ne venez-vous pas avec nous, Monsieur le Chevalier ?

LE CHEVALIER.

Dispensez-m’en, je vous prie, Madame, je ne sais point parler de procès.

LA BARONNE, au chavalier.

Que je vous retrouve donc chez moi.

LE CHEVALIER.

Je n’y manquerai pas.

MADAME PATIN.

Venez-vous, Madame.

LA BARONNE.

Oui, Madame, je vous suis.

SCÈNE X. Le Chevalier, Crispin, Lisette. §

LISETTE.

Que veut Crispin à son Maître ? Observons d’ici ce que ce peut être ?

LE CHEVALIER.

Les voilà partis, dieu merci. Ah ! Mon pauvre garçon, qu’il faut d’esprit pour se retirer d’une méchante affaire ! Mais que me veux-tu ? Qu’as-tu à me dire ? D’où vient ton empressement ?

CRISPIN.

Je ne sais, Monsieur.

LE CHEVALIER.

Comment ! Tu ne sais, maraud ?

CRISPIN.

Monsieur, Monsieur, ne vous fâchez pas. J’ai une lettre, qui vous expliquera toutes choses. Le porteur m’a dit que ce n’était point de la bagatelle, et qu’il y allait de votre fortune.

LE CHEVALIER.

Voyons donc, donne-la moi. L’est-ce là ?

CRISPIN.

Non, Monsieur.

LE CHEVALIER.

Qu’est-ce donc ?

CRISPIN.

C’est la liste de vos Maîtresses, que nous fîmes l’autre jour, Jeanneton et moi, à la porte des Tuileries.

LE CHEVALIER.

Le fat ! Veux-tu déchirer ces sottises-là ?

CRISPIN.

Dieu m’en garde, Monsieur. Quand vous reprendrez du goût pour la bagatelle, vous serez bien aise, peut-être, de relire ce petit mémoire.

LE CHEVALIER.

Donne donc la lettre.

CRISPIN.

La voici.

LE CHEVALIER.

Voyons.

CRISPIN.

Non, non, ce sont les vers que vous fîtes faire l’autre jour, pour la Baronne, par ce misérable poète, à qui vous donnâtes ce vieux justaucorps, qui vous avait tant servi à la chasse.

LE CHEVALIER.

Je n’aurai donc la lettre d’aujourd’hui ?

CRISPIN.

Pardonnez-moi, Monsieur, la voici. Elle vous est adressée sous le nom de M. le Marquis des Guérets. Comme vous m’avez fait confidence de ce nom, je n’ai pas manqué à la recevoir.

LE CHEVALIER.

C’est ma petite brune des Tuileries. Lisons.

LETTRE.

Vous avez témoigné tant d’envie de me connaître, que je me suis résolue à satisfaire votre curiosité. Je vous attends dans les Tuileries, où j’ai mille choses à vous dire. Ne manquez pas de vous y rendre. Adieu.

CRISPIN.

Le porteur m’a menti, Monsieur ; ce billet-là sent la bagatelle.

LE CHEVALIER.

Pas tant bagatelle, Crispin. Je cours trouver la petite brune.

CRISPIN.

Et Madame Patin, que vous avez promis d’attendre ?

LE CHEVALIER.

Tu as raison, mais il n’importe. Je serai de retour avant elle. En tout cas, il faut lui écrire. N’as-tu pas là ces vers que j’envoyai à la Baronne ?

CRISPIN.

Oui, Monsieur, les voilà.

LE CHEVALIER.

Bonne, ils serviront pour Madame Patin.

CRISPIN.

Mais, Monsieur, vous les allez les rendre bien circulaires. Vous les avez déjà fait servir à plus de huit personnes différentes.

LE CHEVALIER.

Bon ! Qu’est-ce que cela fait ? S’il fallait de nouveaux vers pour toutes celles à qui l’on écrit...

CRISPIN.

Diable, votre garde-robe serait bientôt dégarnie de justaucorps.

LE CHEVALIER.

Que dis-tu ?

CRISPIN.

Rien, écrivez seulement. Si le poète a vendu ces vers autant de fois que vous les avez envoyés, il n’y a point de fille de bonne maison qui n’en doive avoir.

LE CHEVALIER.

Tiens, attends Madame Patin, et tu lui donneras mes tablettes.

CRISPIN.

Mais, Monsieur, vos tablettes sont-elles sages au moins ?

LE CHEVALIER.

Que veux-tu dire ?

CRISPIN.

N’y a-t-il point dedans quelques chansons un peu libertines ?

LE CHEVALIER.

Comment ?

CRISPIN.

Quelques adresses scandaleuses ?

LE CHEVALIER.

Que tu es extravagant ! Je n’ai ces tablettes que d’hier ; ce fut la Baronne qui me les donna.

CRISPIN.

C’est que les tablettes de vos pareils sont ordinairement de mauvais livres, et il y aurait conscience... mais voici Lisette qui nous écoute, je crois.

LE CHEVALIER.

Je la croyais avec Madame Patin. N’a-t-elle rien entendu ?

CRISPIN.

Ma foi, je ne sais ; mais puisque la voici, je vais lui laisser ces tablettes ; elle les donnera à sa Maîtresse ?

LE CHEVALIER.

Non, demeure ici ; je veux que tu les donnes toi-même.

CRISPIN.

Ma foi, Monsieur, je serais bien aise d’aller voir ce que c’est votre petite brune. Je suis curieux, voyez-vous.

LE CHEVALIER.

Tais-toi, maroufle. Ma pauvre Lisette, je viens de me souvenir que j’ai une affaire de conséquence, qui ne ne me permet pas d’attendre. Si ta Maîtresse revient avant moi, donne-lui ces tablettes, je t’en prie.

CRISPIN.

C’est assez, Monsieur, je n’y manquerai pas.

LE CHEVALIER.

Tu n’as que faire de les ouvrir, il n’y a encore rien de drôle ; et mon Maître ne les a que depuis peu.

CRISPIN.

Hé va, va, je n’ai point de curiosité ; et j’en sais plus que toutes les tablettes du monde n’en pourraient apprendre.

SCÈNE XI. §

LISETTE, seule.

Tout ceci ne réjouira pas mal Madame Patin, et j’ai entendu de certaines choses... Mais ! Qu’est-ce que ce papier ? Ah ! Ah ! Liste des Maîtresses de mon Maître, avec leurs noms, demeures et qualités... Vraiment, voilà un surcroît de réjouissance pour Madame ; et rien ne pouvait venir plus à propos, pour confirmer ce que j’ai à lui dire, et pour la détromper de son Chevalier. Profitons de cette occasion, et donnons-lui ce petit régal aussitôt qu’elle sera revenue.

ACTE III §

SCÈNE I. Monsieur Migaud, Lisette. §

LISETTE.

21

Non, Monsieur, Madame Patin n’est pas seule entêtée d’un homme de Cour ; Lucile, sa nièce, et votre prétendue bru, suit l’exemple de sa tante. Elle donne dans les gens du bel air, et traite un mariage incognito, avec un galant du caractère du Chevalier ; elle en est éperdument amoureuse.

MONSIEUR MIGAUD.

Ouais, voilà une étrange famille ; et il faut être bien ennemi de son repos, pour vouloir épouser et la tante et la nièce.

LISETTE.

Oui, mais quarante bonnes mille livres de rente sont quelque chose de bon, et cela fait passer sur bien de petites choses.

MONSIEUR MIGAUD.

Tu as raison, et cet entêtement où est Madame Patin pour ce Chevalier, m’embarrasse un peu, je l’avoue, à cause des quarante mille livres de rente.

LISETTE.

Toute la question est de lui faire perdre cet entêtement ; car après cela, vous ne vous ferez pas une affaire de la mettre à la raison.

MONSIEUR MIGAUD.

D’accord ; mais je crains que mon fils ne vienne pas si facilement à bout de Lucile.

LISETTE.

Oh ! Pour Lucile, dès que Monsieur Serrefort saura la chose, il la mettra sur le bon pied, je vous en réponds. Il n’y a seulement qu’à rompre le cours d’une intrigue naissante ; elle n’est encore guère avancée, Dieu merci ; et pourvu qu’on fasse diligence, il n’y a rien, ce me semble, à risquer pour Monsieur votre fils.

MONSIEUR MIGAUD.

Oh ! Ma pauvre Lisette, ce sont les suites qui me paraissent à craindre. Une jeune femme, dont on force les volontés, tombe souvent dans de terribles irrégularités ; surtout quand son mari a du faible pour elle, et qu’elle a du penchant pour un autre.

LISETTE.

22

Ce n’est pas à moi de disputer contre vous sur ces sortes de choses, et vous devez mieux savoir ce qui en est ; mais en tous cas, vous êtes un bon père de famille, et vous aurez l’oeil à tout. Ne songeons présentement qu’à guérir Madame Patin de son entêtement, c’est le principal, comme je vous ai dit, et j’ai en main de quoi lui donner de furieux soupçons de son Chevalier. Elle est prompte à prendre la chèvre, et elle y fera réflexion, je m’assure.

MONSIEUR MIGAUD.

Et pour confirmer ces soupçons, je vais mêler adroitement le Chevalier dans une affaire, dont je viens donne avis à ta Maîtresse. Il est bon de lui brouiller la cervelle de plusieurs manières, et de plusieurs choses.

LISETTE.

La voici, je l’entends. Retirez-vous un moment, je lui dirai que vous êtes là.

SCÈNE II. Madame Patin, Monsieur Migaud, Lisette. §

MADAME PATIN.

Où est le Chevalier, Lisette ? Qu’a-t-il dit en mon absence ; qu’a-t-il fait.

LISETTE.

23

Il a fait haut le pied, Madame, dès que vous avez eu le dos tourné.

MADAME PATIN.

Quoi ! Je ne sors que pour l’obliger, il me promet de m’attendre, et je ne le trouve pas ?

LISETTE.

Bon, Madame, est-ce que les gens comme Monsieur le Chevalier sont faits pour attendre, et peuvent-ils demeurer en place ? Cela est bon pour des gens raisonnables, comme Monsieur, par exemple, qui veut vous parler, et qui n’a point voulu sortir que vous ne fussiez rentrée.

MADAME PATIN, bas.

J’aimerais bien mieux que celui-là se fût impatienté que l’autre.

Haut.

Je viens de chez vous, Monsieur ; et cela est fort mal, de ne vous y être pas trouvé.

MONSIEUR MIGAUD.

Je vous aurais attendue, Madame, si j’avais pu prévoir l’honneur que vous m’avez fait ; mais j’ai passé chez une Marquise...

MADAME PATIN.

Chez une Marquise, Monsieur, chez une Marquise ! Quand on aura affaire à vous, il faudra vous aller chercher chez des Marquises ? Il me semble que des personnes comme vous, dévouées au public, ne doivent être que chez eux ou au Palais, occupés uniquement à leurs affaires, ou à celles de leurs parties.

MONSIEUR MIGAUD.

Nos affaires et celles de nos parties ne nous occupent pas toujours. Nous préférons souvent celles de nos amis, et je veux bien vous avouer que quelques avis qu’on m’a donnés sur quelque chose qui vous regarde, m’ont fait remettre à deux ou trois jours le jugement de ce procès dont vous m’avez écrit.

MADAME PATIN.

C’est pour la même affaire que j’allais chez vous ; mais quels avis, Monsieur, vous a-t-on donnés, où vous preniez tant d’intérêt ?

MONSIEUR MIGAUD.

Puisque l’affaire vous touche, il n’est pas extraordinaire que je m’y trouve intéressé : vous avez eu quelque démêlé de carrosse à carrosse, avec une Marquise, qu’on nomme Dorimène.

MADAME PATIN.

Ah ! Ah ! Qui vous a conté cette histoire ? Vous connaissez cette Marquise-là, Monsieur ?

MONSIEUR MIGAUD.

Oui, Madame.

MADAME PATIN.

Et c’est de chez elle que vous venez ?

MONSIEUR MIGAUD.

Oui, Madame.

MADAME PATIN.

Hé bien, Monsieur, vous n’avez qu’à y retourner, s’il vous plaît. C’est une bonne impertinente que votre Marquise Dorimène, et je vous trouve bien plaisant d’aller chez elle, et de me le venir dire à mon nez, vous-même.

MONSIEUR MIGAUD.

Je ne lui ai rendu visite que pour vous obliger, Madame, je la connais. Elle est d’une humeur violente ; elle se croit offensée, et elle est femme à vous barbouiller terriblement dans le monde

MADAME PATIN.

Plaît-il, Monsieur ? Que voulez-vous dire ? Hé ! Sont-ce des femmes comme moi qu’on barbouille ?

MONSIEUR MIGAUD.

Hé ! Madame, il n’est rien plus facile aujourd’hui que de donner des ridicules, et même aux gens qui en ont le moins. Mais quand vous seriez au-dessus de tout cela, vous voulez bien que je vous dise qu’il y a de certaines choses que vous devez craindre plus encore que le ridicule.

MADAME PATIN.

Et qu’ai-je à craindre, s’il vous plaît ?

MONSIEUR MIGAUD.

Tout, Madame. Vous avez l’âme parfaitement belle ; vous êtes la personne du monde la plus magnifique, et cela vous fait des jaloux. Votre magnificence est soutenue d’un fort gros bien, que mille gens enragent de vous voir posséder si tranquillement. On pourrait troubler cette paisible jouissance par quelque recherche, et ces sortes de recherches sont ordinairement suivies d’une chute presque infaillible.

MADAME PATIN.

Oh ! Pour cela, Monsieur, je ne crains point que votre Marquise me fasse tomber aussi facilement qu’elle a fait reculer mon carrosse.

MONSIEUR MIGAUD.

Je me suis déjà servi du petit pouvoir que j’ai auprès d’elle pour l’obliger à se taire.

MADAME PATIN.

Qu’elle parle, qu’elle parle, je ne serai pas muette.

MONSIEUR MIGAUD.

Je le crois ; mais elle est d’une de ces parleuses qui disent peu de paroles qui ne portent coup. Je l’ai trouvée dans le dessein de faire un étrange éclat. Son courroux a un peu perdu de sa violence à ma prière, mais je ne l’ai que suspendu ; c’est à vous, Madame, de l’étouffer tout à fait.

MADAME PATIN.

Mais encore ! Que faudrait-il que je fisse pour cela ?

MONSIEUR MIGAUD.

Il faudrait lui rendre visite, lui faire quelques civilités.

MADAME PATIN.

Moi ! Lui rendre visite, lui faire des civilités ? Moi, moi !

MONSIEUR MIGAUD.

Faites-lui donc au moins parler par quelque personne qui puisse la persuader mieux que je n’ai fait. La chose est de conséquence, Madame.

MADAME PATIN.

Mais je ne connais point les amis de cette femme-là, et je ne veux point me donner de peine pour les connaître.

MONSIEUR MIGAUD.

Cela n’est point si difficile ; et si l’on pouvait seulement trouver quelque habitude auprès d’un certain Chevalier de Ville-Fontaine...

MADAME PATIN.

Le Chevalier de Ville-Fontaine, dites-vous ?

MONSIEUR MIGAUD.

Oui, Madame, c’est un homme qui la gouverne absolument.

MADAME PATIN.

Ce Chevalier est amoureux de cette Marquise ?

MONSIEUR MIGAUD.

Non pas, Madame, c’est la Marquise qui amoureuse du Chevalier ; et le Chevalier a la bonté de souffrir qu’elle l’aime, parce qu’il y trouve son compte.

MADAME PATIN.

Lisette ; qu’est-ce ceci ?

MONSIEUR MIGAUD.

Faites parler cet homme-là, Madame ; il n’est pas que quelque femme de vos amis ne soit des siennes, et il a la réputation de connaître bien des Dames.

MADAME PATIN.

J’aurai soin de m’en informer.

MONSIEUR MIGAUD.

Il y en a cinq ou six entre autres avec qui il a quelque espèce d’engagement, pour quelque façon de mariage, à ce que j’ai ouï dire.

MADAME PATIN.

Ma pauvre Lisette.

MONSIEUR MIGAUD.

C’est un caractère d’homme fort particulier. Il a, comme je vous ai dit, ordinairement cinq ou six commerces avec autant de belles. Il leur promet tour à tour de les épouser, suivant qu’il a plus ou moins affaire d’argent. L’une a soin de son équipage, l’autre lui fournit de quoi jouer, celle-ci arrête les parties de son tailleur, celle-là paie ses meubles et son appartement ; et toutes ces Maîtresses sont comme autant de femmes, qui lui font un gros revenu.

MADAME PATIN.

Voilà, comme vous dites, un étrange caractère, et je ne sais s’il n’y a point de risque à connaître un homme comme celui-là. Cela ne fait point d’honneur dans le monde.

MONSIEUR MIGAUD.

C’est pourtant le seul qui peut apaiser la Marquise, et vous épargner les démarches qui vous font tant de répugnance. Adieu, Madame. Ne négligez point cette affaire, je vous en conjure ; elle est plus importante que vous ne pouvez vous l’imaginez.

SCÈNE III. Madame Patin, Lisette. §

LISETTE.

Ce Monsieur Migaud regarde toujours vos affaires comme les siennes. Le pauvre homme ! Il s’attend à devenir votre époux au premier jour.

MADAME PATIN.

Serait-il possible, Lisette que le Chevalier fût fourbe au point qu’il a voulu me le persuader !

LISETTE.

Bon, Madame, fourbe ; cela ne s’appelle point fourberie : en termes de Cour, à ce que j’ai ouï dire, c’est gentillesse, tout au plus.

MADAME PATIN.

Monsieur Migaud ne sait point que je le connais.

LISETTE.

Il n’y a point d’apparence.

MADAME PATIN.

Et ce qu’il m’en a dit, est assurément sans dessein.

LISETTE.

Vraiment, s’il vous avait cru de ses amies, il n’en aurait pas parlé si librement.

MADAME PATIN.

Ah, Lisette, le Chevalier me trompe assurément ; et je suis peut-être une de ces cinq ou six à qui il a promet tour à tour.

LISETTE.

Voilà des tablettes qu’il m’a chargé de vous donner, et je n’ai pas voulu vous les rendre en présence de Monsieur Migaud.

MADAME PATIN.

Tu as bien fait. Que veut-il que je fasse de ces tablettes ?

LISETTE.

Il a écrit quelque chose dessus, et ce sont peut-être les raisons qui l’ont empêché de vous attendre.

MADAME PATIN.

Voyons. Ah ! Ah ! Vraiment le Chevalier n’est point si coupable. Il n’est sorti, apparemment que pour avoir un prétexte de me faire cette galanterie.

LISETTE.

Comment donc, Madame ?

MADAME PATIN.

Ce sont les vers les plus tendres du monde ; et si son coeur les a dictés, j’ai bien lieu d’en être contente. Monsieur Migaud est un médisant, le Chevalier est honnête homme.

LISETTE.

Oui, Madame, assurément ; et pour moi, je jurerais quasi qu’il vous aime.

MADAME PATIN.

Il m’en a fait lui-même un million de serments.

LISETTE.

Ne vous dis-je pas ?

MADAME PATIN.

Quel papier as-tu là ?

LISETTE.

C’est un papier que j’ai trouvé ici. Il faut que ce soit ce fou de Crispin qui l’ait laissé tomber de sa poche. Il y a quelque chose de tout à fait drôle, Madame, et je l’ai gardé pour vous en donner le divertissement.

MADAME PATIN.

Voyons ce que c’est. Liste des Maîtresses de mon Maître, avec leurs noms, demeures et qualités. Et vous croyez, Lisette, que cela doit me divertir ?

LISETTE.

Oui, Madame. Lisez, lisez seulement le reste, cela vous donnera du plaisir, je vous en réponds.

MADAME PATIN.

Ce commencement ne m’en fait point du tout. Dorimène la médisante, rue des mauvaises paroles. Dorimène ! Dorimène ! Ah ! Voilà la Marquise justement ; Monsieur Migaud avait raison, le Chevalier est un scélérat. Un siège, je n’en puis plus.

LISETTE.

Madame, Madame. Oh ! Par ma foi, je ne croyais pas que vous vous fâcheriez de ces petites bagatelles. N’achevez pas, Madame, puisque vous êtes si sensible.

MADAME PATIN.

Non, non, je veux connaître toutes ses intrigues, pour le haïr mortellement.

LISETTE.

Si vous êtes dans ce dessein-là, vous n’avez qu’à continuer.

MADAME PATIN.

24 25

La sotte Comtesse, rue Bétisy à l’Hôtel de Picardie. Le traître ! La magnifique marchande, rue des cinq Diamants, à la folie des Bourgeoises. Que je me veux de mal de l’avoir aimé ! Lucinde la coquette, en Cour, au grand commun. Que je le hais ! Silvanire la précieuse, rue Montorgueil. Je le déteste ! Mademoiselle du Hasard, rue des bons Enfants, au Repentir. C’est un monstre. La grosse Marquise au teint luisant, rue du Plâtre, proche des Enfants rouges. C’en est fait, je ne le veux plus voir.

LISETTE.

Mais, Madame...

MADAME PATIN.

Non, je ne le veux plus voir, résolument.

LISETTE.

Je crois que je l’entends.

MADAME PATIN.

Où vas-tu ?

LISETTE.

Je cours au-devant de lui, pour lui donner son congé de votre part.

MADAME PATIN.

Non, non, Lisette, laisse-le venir. Je veux le confondre, et voir avec quelle effronterie il soutiendra toute cette affaire.

LISETTE.

Le voici.

SCÈNE IV. Le Chevalier, Madame Patin, Lisette, Crispin. §

CRISPIN, au Chevalier.

La Baronne vous attend, vous dis-je.

LE CHEVALIER.

Nous avons du temps pour tout. Ah ! Vous voilà, Madame. Que j’avais d’impatience de vous revoir !

MADAME PATIN.

26 27

De quel quartier venez-vous, Monsieur ? De la rue Montorgueil ? Des Enfants Rouges ? Est-ce la magnifique marchande que vous venez de quitter ?

LE CHEVALIER.

Que voulez-vous dire, Madame ?

MADAME PATIN.

Ce que je veux dire, perfide !

CRISPIN.

Haie, haie.

LE CHEVALIER.

Je ne vous comprends point du tout, je vous assure.

MADAME PATIN.

Crispin m’entendra mieux. Approchez, Monsieur Crispin, approchez.

CRISPIN.

Madame.

MADAME PATIN.

Approchez, vous dis-je. Connaissez-vous cette écriture ?

CRISPIN.

Madame... Je vais faire une petite commission que mon Maître m’a donnée, je reviens tout à l’heure.

MADAME PATIN.

Non, non, il faut m’expliquer tout ceci auparavant.

LE CHEVALIER.

Expliquez-vous, vous-même, Madame. Qu’est-ce que ce papier, je vous prie ?

MADAME PATIN.

Il peut vous en dire des nouvelles mieux que moi.

CRISPIN.

Monsieur.

LE CHEVALIER.

Veux-tu parler, maraud ?

CRISPIN.

Monsieur, c’est la liste de vos Maîtresses, que Madame a achetée au Palais.

LE CHEVALIER.

La liste de mes Maîtresses !

MADAME PATIN.

Ah, scélérat !

LE CHEVALIER.

Qui t’a fait écrire ces sottises-là, maroufle ?

CRISPIN.

Ne vous ai-je pas dit, Monsieur, que c’était l’autre jour, en badinant avec Jeanneton.

MADAME PATIN.

Quelle est-elle, Jeanneton ?

LISETTE.

C’est une des Maîtresses de Monsieur Crispin, apparemment.

CRISPIN.

28

Non, le diable m’emporte. C’est cette marchande de bouquets, qui est à la porte des Tuileries.

MADAME PATIN.

Qui ? Cette malheureuse ?

CRISPIN.

Comment, Madame ! C’est une des plus jolies créatures que nous ayons. Il faut savoir aussi comme elle est employée, et combien de femmes des plus huppées sont ravies d’avoir cette Jeanneton-là dans leurs intérêts. Oh diable, c’est une illustre, vous dis-je, et qui ménage elle seule plus d’intrigues, que la Guerbois ne vend de lapins en toute une année.

MADAME PATIN.

Quel galimatias me fais-tu là, de la Guerbois et de Jeanneton ?

CRISPIN.

C’est pour vous dire, Madame, que cette Jeanneton est une des amies de mon Maître, et que comme je la trouve drôle, je suis de ses amis ; et que l’autre jour, comme je vous ai dit, nous nous mîmes à griffonner ensemble cette liste, et nous forgeâmes des noms, des qualités et des demeures, qui ne sont que dans l’imagination de Jeanneton et dans la mienne.

MADAME PATIN.

Fort bien, voilà ton Maître pleinement justifié. C’est un nom en l’air que celui de Dorimène, je ne la connais pas, et tout cela n’est qu’un jeu d’esprit de M. Crispin ? N’est-il pas vrai, Chevalier ?

LE CHEVALIER.

Non, Madame, je connais Dorimène, et peut-être toutes celles qui sont sur ce papier. Il y en a même, je crois, beaucoup d’oubliées ; mais, ce ne sont point mes Maîtresses ; et puisque Monsieur Crispin s’est diverti à mes dépens, et que cette liste vous irrite si fort contre moi, je prétends que ce soit lui qui me justifie...

CRISPIN.

Moi, Monsieur ?

LE CHEVALIER.

Oui, coquin. Donnez-vous la peine de lire, Madame, et vous, Monsieur le maroufle, à chaque article, expliquez à Madame les raisons qui me faisaient voir toutes ces femmes-là.

CRISPIN.

Voilà une bonne diable de commission. Monsieur, vous expliqueriez mieux que moi...

LE CHEVALIER.

29

Non, non, votre imagination a fait la sottise, il faut que ce soit votre bouche qui la répare. Parlez, faquin, ou je vous donnerai cent coups de bâton.

CRISPIN.

Mais, que diable voulez-vous que je dise, Monsieur.

LE CHEVALIER.

Lisez, lisez seulement, Madame.

MADAME PATIN.

Ma pauvre Lisette, il le prend sur un ton qui me fait croire qu’il n’est point coupable.

LISETTE.

Et c’est ce ton-là qui me le ferait croire plus scélérat.

LE CHEVALIER.

Hé bien, Madame, que ne l’interrogez-vous ? Qui vous retient ?

MADAME PATIN.

La crainte de vous trouver doublement perfide.

LE CHEVALIER.

Ah : Je m’expose à tout, Madame, et je n’ai rien à craindre.

MADAME PATIN.

Ah ! Chevalier, que n’êtes-vous innocent ! Mais, je tâche en vain de vous trouver tel. Qu’allez-vous faire, dites-moi, chez cette Comtesse qui demeure à l’hôtel de Picardie ? Quel charme, quel mérite vous attire chez elle ?

LE CHEVALIER, à Crispin.

Éclaircis Madame.

CRISPIN.

Vous voyez que ce n’est pas moi qu’elle interroge.

LE CHEVALIER.

Répondras-tu ?

CRISPIN.

Que dirai-je ?

LE CHEVALIER.

Si tu ne parles...

CRISPIN, à Madame Patin.

Cette Comtesse-là est une folle, et c’est par une espèce de sympathie que mon Maître... Que diable, vous me ferez dire quelque sottise, et puis vous vous fâcherez contre moi.

MADAME PATIN.

La sympathie est admirable. Et cette demoiselle du Hasard, est-ce par sympathie qu’il lui rend visite, ou pour se faire honneur dans le monde ?

CRISPIN.

Hé fi, Madame, il ne la va jamais voir qu’en sortant de chez Rousseau. Quand il est un peu en train sur les trois ou quatre heures du matin, il va faire du bruit chez elle pour se divertir.

LE CHEVALIER.

Es-tu fou ?

CRISPIN.

Non, Monsieur, vous me dites de parler, et je parle, comme vous voyez.

MADAME PATIN.

L’heure est fort bonne et fort commode. Et la Marquise au teint luisant, quel engagement a-t-il avec elle ?

CRISPIN.

Ah, Madame ! Il ne voit cette Marquise que par admiration.

MADAME PATIN.

Comment, par admiration ?

CRISPIN.

Oui, Madame. Il y a quarante ans qu’elle en avait trente, et elle n’en a présentement que trente deux tout au plus. C’est une merveille au moins d’avoir trouvé le secret de vieillir si doucement.

MADAME PATIN.

Ah, Chevalier ! Votre laquais est bien instruit.

CRISPIN.

Madame, je vous dis les choses en conscience.

MADAME PATIN.

Il n’importe, je veux bien vous croire innocent, puisque vous tâchez de le paraître ; et je vous aurais, je crois, pardonné, si je vous avais trouvé coupable.

LE CHEVALIER.

Non, non, Madame, non, je ne prétends point abuser de votre indulgence. Punissez-moi, si je suis criminel. Voyez, examinez toute ma conduite. Les apparences sont terriblement contre moi, je vous l’avoue. Depuis deux mois entiers, je me refuse à toutes les parties de plaisir qu’on me propose ; je n’en trouve qu’à vous voir, qu’à vous aimer, qu’à vous le dire ; je vous le jure à tous moments ; je surmonte, pour vous le persuader, l’aversion naturelle que les jeunes gens du siècle ont pour le mariage ; je renonce à toutes les compagnies ; je romps vingt commerces des plus agréables ; je désespère peut-être les plus aimables personnes de France. Tout cela, Madame, est bien scélérat ; je suis un perfide, il est vrai ; mais en vérité, Madame, ce n’était point à vous de vous en plaindre.

MADAME PATIN.

Ah, Chevalier, que vous êtes méchant ! Je sens bien que vous me trompez, et je ne puis m’empêcher d’être trompée.

LISETTE.

Voilà le plus impudent petit scélérat que j’aie jamais vu.

SCÈNE V. Madame Patin, le Chevalier, Crispin, Lisette, La Brie. §

LA BRIE.

Monsieur Guillemin, Madame, un notaire, demande à vous parler.

LE CHEVALIER.

Ah ! Il faut le renvoyer, Madame, s’il vous plaît ; je lui avais dit de venir, comme nous en étions demeurés d’accord ; mais nous n’avons pas maintenant l’esprit assez libre, l’un et l’autre, pour songer à des affaires si sérieuses. Dis-lui que je le verrai demain matin.

MADAME PATIN.

Non, qu’il entre au contraire. Je serai bien aise, Chevalier, de vous confondre à force de tendresse. Je veux vous croire aveuglément, je m’abandonne à votre bonne foi. Si vous êtes assez perfide pour en abuser, vous en serez d’autant plus coupable.

SCÈNE VI. Madame Patin, le Chevalier, Monsieur Guillemin, Lisette, Crispin. §

MADAME PATIN.

Approchez, Monsieur, approchez.

LE CHEVALIER.

Non, Monsieur Guillemin, retournez chez vous, je vous prie. Je vous avais averti ce matin pour un contrat de mariage, mais je ne prévois pas que la chose se fasse. Madame a changé de pensée, je suis devenu en un moment le plus scélérat de tous les hommes ; et parce que j’ai la réputation d’être trop aimé, je lui parais indigne de l’être. Comment donc, Madame ? Vous avez des sentiments bien étranges.

MADAME PATIN.

Passez, passez dans mon cabinet, Monsieur Guillemin ; Monsieur deviendra raisonnable. Venez, Monsieur l’emporté, venez voir comme on vous croit indigne de la tendresse qu’on a pour vous.

LE CHEVALIER.

Non, Madame, je ne veux point entrer dans ces petites discussions.

MADAME PATIN.

Mais il faut bien que nous convenions ensemble.

LE CHEVALIER.

Et c’est justement ce que j’appréhende, et ce que je veux éviter. Je ne trouve rien de plus fatigant pour moi que des conventions, des articles... Que voudriez- vous que j’allasse faire avec Monsieur dans votre cabinet ? Quoi, vous dire qu’un jeune homme de qualité n’épouse guère une veuve de Financier sans quelque avantage considérable ; que tout l’amour que j’ai pour vous ne me mettrait point à couvert des reproches qu’on me pourrait faire dans le monde, et qu’enfin, pour me justifier aux yeux de tous mes amis, il faudrait que vous parussiez m’avoir acheté de tout votre bien ? Non, Madame, je ne saurais dire ces choses-là, cela n’est point de mon caractère, et j’aimerais mieux être mort, que d’en avoir jamais parlé.

GUILLEMIN.

Oh, Madame, Monsieur le Chevalier sait trop bien vivre. Mais aussi, Monsieur, Madame n’ignore pas comme on fait les choses ; elle vous aime, et ce sera l’amour qui dressera lui-même les articles.

MADAME PATIN.

Ah, Monsieur Guillemin, que je vous suis obligée de lui parler comme vous faites ! Oui, Monsieur le Chevalier, si une donation de tout mon bien peut servir à vous témoigner ma tendresse, je suis au désespoir de n’en avoir pas mille fois davantage, pour vous prouvez mille fois plus d’amour.

GUILLEMIN.

Voilà ce qui s’appelle aimer, Monsieur.

LE CHEVALIER.

Hé bien, Monsieur Guillemin, puisque Madame le veut, passez dans son cabinet avec elle, dressez le contrat comme il lui plaira ; elle me paraît si raisonnable, que je signerai tout aveuglément.

GUILLEMIN.

Peut-on voir un Gentilhomme plus désintéressé ?

MADAME PATIN.

Hé, venez, Monsieur le Chevalier, venez vous-même, je vous en conjure.

LE CHEVALIER.

Dispensez-m’en, Madame, je vous prie ; je ne veux point que ma présence vous engage plus que vous ne voudrez.

GUILLEMIN.

Hé, Madame, donnez-lui cette satisfaction.

SCÈNE VII. Madame Patin, le Chevalier, Monsieur Guillemin, La Brie, Lisette, Crispin. §

LA BRIE.

Madame, voilà Mademoiselle votre nièce qui vous demande.

MADAME PATIN.

Hé bien, allez donc, Chevalier : aussi bien il ne faut pas qu’elle vous voie. Mais revenez au plus vite, au moins, j’en serai bientôt débarrassée.

LE CHEVALIER.

Je ne vous quitte que pour un moment.

MADAME PATIN.

Vous rencontreriez ma nièce par là, sortez par le petit escalier.

LE CHEVALIER, à Crispin.

Courons vite chez la Baronne.

MADAME PATIN.

Faites entrer ma nièce.

LA BRIE.

La voilà, Madame.

SCÈNE VIII. Madame Patin, Lisette, Lucile, Monsieur Guillemin. §

LUCILE.

Ma tante, je viens vous dire... Qui est ce Monsieur-là ?

MADAME PATIN.

C’est un honnête notaire, qui vient pour faire mon contrat de mariage.

LUCILE.

Ah ! Ma tante, qu’il en fasse un aussi pour moi. J’ai vu le Monsieur dont je vous ai parlé ; et vous ne sauriez croire avec quelle joie il a reçu la proposition que je lui ai faite. Il était ravi, rien ne lui a paru difficile, ses souhaits vont au-delà des miens, il a encore plus d’impatience que moi, et je venais vous en avertir.

MADAME PATIN.

Hé bien, ma nièce, je vais achever mon affaire avec Monsieur, et nous songerons ensuite à la vôtre.

LISETTE, bas.

Et moi, j’aurai soin de les empêcher toutes deux de réussir. Il est temps que la chose éclate, et il n’y a plus de moments à perdre.

SCÈNE IX. Lucile, Lisette. §

LUCILE.

Ma pauvre Lisette, tu vois la fille du monde la plus contente ; la joie où je suis ne peut s’égaler.

LISETTE.

Vous n’avez pas la mine de la garder longtemps, et si votre père vient à savoir...

LUCILE.

Mon père m’a toujours recommandé de plaire à ma tante, et il n’aura rien à me dire quand il me verra faire ce qu’elle fait. Il n’y a pas de meilleur moyen d’obéir à l’un, et de gagner les bonnes grâces de l’autre.

LISETTE.

Hé oui, oui, voilà un fort joli raisonnement. Mais quand on vous a tant prêché de plaire à votre tante, c’était afin qu’elle épouse Monsieur Migaud, et qu’elle vous fît son héritière ; mais en se mariant à un homme de Cour, elle vous frustre de tout votre bien.

LUCILE.

Oui, et moi en me mariant aussi à un homme de Cour, qui est un fort gros Seigneur, je n’ai que faire du bien de ma tante.

LISETTE.

Et croyez-vous qu’un homme de Cour puisse être riche au temps où nous sommes ? Les courtisans malaisés ne s’enrichissent point ; Et ceux qui sont le plus à leur aise, ne sont pas difficiles à ruiner.

LUCILE.

Va, va, Lisette, le bien n’est pas ce qui me touche le plus ; et pourvu qu’on aime, c’est assez.

LISETTE.

Hé, qui vous répondra qu’on vous aime ? Ces jeunes Seigneurs d’aujourd’hui sont de grands fripons en matière d’amour.

LUCILE.

Ah ! Celui-ci n’est pas comme les autres. Il jure si amoureusement, et il a tant d’esprit, qu’il est impossible qu’il ne soit pas un fort honnête homme. Il fait des vers, au moins.

LISETTE.

Ah ! Puisqu’il fait des vers, il n’y a rien à dire.

LUCILE.

J’ai ici un Impromptu, qu’il a fait pour moi. Écoute, Lisette, et juge par-là de sa tendresse et de sa sincérité.

LISETTE.

Voyons.

SCÈNE X. La Baronne, Lucile, Lisette. §

LA BARONNE.

Le Chevalier n’est point venu chez moi, je ne suis guère contente de l’avoir trouvé tantôt ici.

LISETTE, à Lucile.

Vous avez toute la mine d’avoir perdu votre Impromptu.

LUCILE.

Non, le voilà : tiens, lis-le toi-même.

LA BARONNE.

Ah ! Ah ! Voici la chambrière avec une petite fille que je ne connais point. Que font-elles là ? Écoutons.

LISETTE, lit.

Le charmant objet que j’adore
Brûle des mêmes feux dont je suis enflammé ;
Mais je sens que j’aime encore
Mille fois plus que je n’en suis aimé.

LA BARONNE.

Qu’entends-je ? Voilà, je crois, les vers que le Chevalier a faits pour moi.

LUCILE.

Hé bien, qu’en dis-tu ?

LA BARONNE, arrachant les Vers des mains de Lisette.

Vous êtes bien curieuse, ma mie, et je vous trouve bien impertinente de lire ainsi des papiers qu’on a perdus chez vous. Rendez-moi mes vers, je vous prie, et...

LUCILE.

Comment donc, Madame, qu’est-ce que cela signifie ? Qui est cette folle, Lisette ?

LA BARONNE.

Quelle petite insolente est-ce là ?

LISETTE.

Par ma foi, cela est tout à fait drôle.

LUCILE.

Rendez-moi ce papier, Madame.

LA BARONNE.

Comment donc, que je vous rende ce papier ? Vous êtes une plaisante petite créature, de vouloir avoir malgré moi des vers qui m’appartiennent.

LUCILE.

Des vers qui vous appartiennent ! Je vous trouve admirable, Madame, et vous êtes bien en âge qu’on fasse des vers pour vous. C’est pour moi qu’ils ont été faits, et vous ferez fort bien de me les rendre.

LA BARONNE.

Qui est cette petite ridicule, ma mie ?

LISETTE.

Ah, ah, Madame, servez-vous de termes moins offensants, c’est la nièce de Madame.

LA BARONNE.

Quand ce serait Madame elle-même, je la trouverais fort impertinente, de dérober des vers qui n’ont jamais été faits que pour moi.

LISETTE.

Oh ! Pour cela, entre vous le débat, s’il vous plaît.

LUCILE.

Cela est bien impudent à une femme de votre âge.

LISETTE.

Mademoiselle ?

LA BARONNE.

Cela est bien insolent à une petite fille comme vous.

LISETTE.

Ah, Madame !

LUCILE.

Donnez-moi mes vers, encore une fois.

LA BARONNE.

Taisez-vous, petite sotte, et ne m’échauffez pas les oreilles.

SCÈNE XI. Madame Patin, La Baronne, Lucile, Lisette. §

LISETTE.

Ah ! Par ma foi, ceci passe la raillerie ; et vous faites bien de venir mettre le holà entre deux dames qui s’allaient couper la gorge.

MADAME PATIN.

Qu’est-ce donc, qu’avez-vous, Madame ? Que vous a-t-on fait, ma nièce ?

LUCILE.

Faites-moi rendre mes vers, ma tante ; ou Madame s’en repentira.

LA BARONNE.

Châtiez l’insolence de votre nièce, ou je la châtierai moi-même.

MADAME PATIN.

Doucement, doucement, Madame, s’il vous plaît. Mais, quel est votre différend ?

LUCILE.

Comment, ma tante, je montre à Lisette des vers qui ont été faits pour moi par la personne que vous savez, et cette Madame vient les arracher, en disant qu’ils sont pour elle ?

MADAME PATIN.

30

Hé bien, pourquoi s’emporter de cette sorte ? La modération ne doit-elle pas être le partage d’une jeune fille ; et quoique vous soyez persuadée que la raison est pour vous, faut-il pour cela faire la harengère comme vous faites ?

LA BARONNE.

Qu’est-ce à dire, la raison est pour elle ? Je soutiens, moi, que ces vers sont à moi, et qu’elle a menti quand elle s’en veut faire honneur.

MADAME PATIN.

31

Et quand cela serait, Madame, est-il bien séant à votre âge d’en venir à ces extrémités, et ne devriez-vous pas rougir de clabauder de la sorte pour de méchants vers ?

LUCILE.

De méchants vers, ma tante ? Ils sont les plus jolis du monde. Lisez-les seulement, et vous verrez bien qu’ils sont faits tout exprès pour moi.

MADAME PATIN.

Voyons donc, Madame, s’il vous plaît.

LA BARONNE.

Non, Madame, je ne les rendrai point. Je vais vous les dire par coeur, et vous connaîtrez bien par là que votre nièce ne sait ce qu’elle dit.

5 Le charmant objet que j’adore
Brûle des mêmes feux dont je suis enflammé ;
Mais je sens que j’aime encore
Mille fois plus que je n’en suis aimé.

LUCILE.

Hé bien, ma tante ? Le charmant objet...

MADAME PATIN.

Hé bien, ma nièce, vous avez le front de soutenir que ces vers-là sont faits pour vous ?

LUCILE.

Oui, ma tante.

LA BARONNE.

Vous voyez bien, Madame, que je ne vous fais point d’imposture, et que votre nièce n’a pas raison.

MADAME PATIN.

Vous êtes toutes deux bien étranges, et nous sommes toutes trois bien dupes. Tenez, Madame.

LA BARONNE.

Ah ! Ce sont les tablettes que je donnai hier au Chevalier.

MADAME PATIN.

C’est aussi lui qui me les a laissées.

LISETTE.

Voilà un fort bon incident.

LUCILE.

Oh bien, je ne connais point votre Chevalier ; mais j’ai vu faire les vers moi-même, et je vous ferai bien voir que je dis vrai. Adieu

LA BARONNE.

32

Je vais chercher le Chevalier, Madame, et je le dévisagerai, si je le trouve.

SCÈNE XII. Madame Patin, Lisette. §

MADAME PATIN.

Ah ! Lisette, que je suis malheureuse ! Le Chevalier est un perfide qui trompait la Baronne et moi, et c’est assurément lui-même qui cherche à tromper cette petite fille.

LISETTE.

Il en tromperait mille autres sans scrupule, Madame. C’est le plus bel endroit de sa vie que de tromper.

MADAME PATIN.

Je suis bien heureuse de n’avoir point encore signé le contrat. Allons renvoyer le notaire. Courons chez Monsieur Serrefort, pour conclure notre mariage avec Monsieur Migaud, afin que je n’entende plus jamais parler de ce petit scélérat de Chevalier ; et s’il vient ici, dites au portier qu’on ne le laisse point entrer.

ACTE IV §

SCÈNE I. Le Chevalier, Crispin. §

CRISPIN.

Ma foi, Monsieur, je n’y comprends rien, et il y a là-dessous quelque chose que nous n’entendons ni l’un ni l’autre.

LE CHEVALIER.

Tout cela ne me surprend point, Crispin.

CRISPIN.

Parbleu, cela est violent au moins, et je ne sais comment l’entend Madame Patin ; mais peu s’en fallu que son portier ne nous ait fermé la porte au nez.

LE CHEVALIER.

33

Le portier est un maraud qui ne sait ce qu’il fait.

CRISPIN.

34

Oh, Monsieur, ce portier-là n’est point Suisse, et il nous a parlé comme un homme. Avouez-moi franchement la chose. Vous avez fait quelque bagatelle, et Madame Patin a appris de vos nouvelles, je gage.

LE CHEVALIER.

Ma foi, mon pauvre ami, tu l’as deviné.

CRISPIN.

Il ne faut pas être sorcier pour deviner cela ; et dès qu’il vous arrive quelque petit chagrin, on peut dire à coup sûr que c’est la suite de quelque sottise.

LE CHEVALIER.

Maraud !

CRISPIN.

Là, là, Monsieur, ne vous fâchez point, et dites-moi un peu de quelle espèce est celle-ci.

LE CHEVALIER.

Ces vers de la Baronne, donnés à Madame Patin, sont la cause de tout le désordre.

CRISPIN.

Hé bien, morbleu, ne vous l’avais-je pas bien dit ? La Baronne et elle se sont expliquées.

LE CHEVALIER.

Il s’en est trouvé une troisième qu’elle ne m’a pas nommée qu’en la qualifiant de petite étourdie ; il fait que ce soit ma petite brune.

CRISPIN.

Comment diable ? Est-ce qu’elle avait aussi les mêmes vers ?

LE CHEVALIER.

Oui vraiment, et il y a plus de quinze jours que je n’en ai point employé d’autres.

CRISPIN.

Mais, Monsieur, (car, il n’y a personne dans ce logis, et nous pouvons parler en assurance de vos fredaines) de qui savez-vous cette aventure, s’il vous plaît ?

LE CHEVALIER.

De la Baronne elle-même, que j’ai trouvée dans une colère épouvantable contre moi.

CRISPIN.

35

Cent diables, vous avez passé un mauvais quart d’heure ; et sauf correction, Madame la Baronne est la plus méchante carogne qu’il y ait au monde.

LE CHEVALIER.

D’accord ; mais nous savons, Dieu merci, l’art de la mettre à la raison.

CRISPIN.

Vous êtes un fort habile homme.

LE CHEVALIER.

Il n’a pas fallu grande habileté pour cela. Elle criait comme une enragée, et j’ai crié cent fois plus haut qu’elle ; car, il est bon quelquefois de faire le fier avec les dames.

CRISPIN.

Le fier ?

LE CHEVALIER.

Oui, le fier, et quand j’ai vu sa fureur un peu diminuée, je me suis justifié le mieux qu’il m’a été possible.

CRISPIN.

Et elle a pris tout ce que vous lui avez dit pour de l’argent comptant ?

LE CHEVALIER.

Non, elle s’est emportée plus fort que jamais ; et je n’ai point trouvé d’autre moyen de la réduire, que de prendre un air de mépris pour elle, qui l’a piquée, qui l’a piquée jusqu’au vif.

CRISPIN.

Et cet air de mépris a réussi ?

LE CHEVALIER.

À merveilles, et nous sommes meilleurs amis que nous n’avons été.

CRISPIN.

La pauvre femme ! Mais, ne craignez-vous rien, lorsqu’elle saura votre mariage avec Madame Patin ?

LE CHEVALIER.

Et que voudrais-tu que je craignisse ?

CRISPIN.

Que sais-je ? Une femme diablesse est quelquefois pire qu’un vrai diable. Celle-ci tire un lièvre aussi sûrement qu’un homme, comme vous savez, et elle ne craindra peut-être pas plus de tuer un homme que de tirer un lièvre.

LE CHEVALIER.

Nous l’adoucirons ; et comme elle ne veut qu’un mari, pour la consoler de m’avoir perdu, je te la ferai épouser si le coeur t’en dit.

CRISPIN.

Hé là, Monsieur, ne raillons point ; elle ne perdrait peut-être pas au change, je vous en réponds.

LE CHEVALIER.

Je l’entends bien ainsi, vraiment ; et si certain dessein que j’ai dans la tête pouvait réussir, je te donnerais à choisir d’elle, ou de Madame Patin.

CRISPIN.

De Madame Patin ? Ah, ah, voici quelque chose d’assez drôle.

LE CHEVALIER.

Ah ! Mon pauvre garçon !

CRISPIN.

Ouais...

LE CHEVALIER.

Je crois que je suis amoureux, Crispin, moi qui ne croyais pas pouvoir l’être.

CRISPIN.

Amoureux ! Et de qui ?

LE CHEVALIER.

De cette petite créature dont je t’ai parlé.

CRISPIN.

De la petite brune ?

LE CHEVALIER.

D’elle-même.

CRISPIN.

Oh, pour cela, le diable m’emporte si je vous comprends. Que venez-vous donc faire chez Madame Patin ?

LE CHEVALIER.

La ménager comme la Baronne, et il faut que dans cette affaire, l’une ou l’autre me rende un service considérable.

CRISPIN.

Vous n’avez qu’à leur proposer, elles le feront de grand coeur, assurément.

LE CHEVALIER.

Elles le feront sans penser le faire.

CRISPIN.

Mais encore, de quelle manière ?

LE CHEVALIER.

Ma petite brune, à ce que j’ai pu savoir est une héritière considérable ; mais d’une naissance peu proportionnée à un si gros bien.

CRISPIN.

Ce n’est pas là une raison qui vous embarrasse.

LE CHEVALIER.

Au contraire, c’est ce qui m’a fait prendre la décision de l’enlever. Sa famille, après cela, sera trop heureuse que je l’épouse. Je serai en lieu de sûreté cependant, et je ne l’épouserai point qu’on ne lui fasse de grands avantages.

CRISPIN.

Hé, à quoi la Baronne et Madame Patin vous peuvent-elles être unies dans cette affaire ?

LE CHEVALIER.

Quoi, tu ne vois pas cela tout d’abord ?

CRISPIN.

Non.

LE CHEVALIER.

Je ne suis pas en argent comptant, comme tu sais, et je veux que mes deux vieilles m’en fournissent à l’envi l’une de l’autre, et facilitent la conquête de ma jeune Maîtresse.

CRISPIN.

Tudieu ! C’est le bien prendre. Vous entendez les affaires à merveilles. Mais, je vois venir Madame Patin.

LE CHEVALIER.

36

Paix, paix, tu vas voir le manège que je vais faire avec celle-ci. Ah ! Palsambleu, laisse-moi rire, Crispin, laisse-moi rire, quand j’en devrais être malade, il m’est impossible de m’en empêcher.

CRISPIN.

Il faut que je me mette de la partie.

SCÈNE II. Madame Patin, Le Chevalier, Lisette, Crispin. §

MADAME PATIN.

Ah, ah, Monsieur, vous voilà de bien bonne humeur, et je ne sais vraiment pas quel sujet vous croyez avoir de vous tant épanouir la rate.

LE CHEVALIER.

Je vous demande pardon, Madame ; mais je suis encore tout rempli de la plus plaisante chose du monde. Vous vous souvenez des vers que je vous ai tantôt donnés ?

MADAME PATIN.

Oui, oui, je m’en souviens, et vous vous en souviendrez aussi, je vous assure.

LE CHEVALIER.

Si je m’en souviendrai, Madame ? Ils sont cause d’un incident, dont j’ai pensé mourir à force de rire, et je vous jure qu’il n’y a rien de plus plaisant.

MADAME PATIN.

Où en est donc le plaisant, Monsieur ?

LISETTE.

37

Voici quelque pièce nouvelle.

LE CHEVALIER.

38

Le plaisant ! Le plaisant, Madame, est que quatre ou cinq godelureaux se sont fait honneur de mes vers. Comme vous les avez applaudis, je les ai crus bons, et je n’ai pu m’empêcher de les dire à quelques personnes. Je vous en demande pardon, Madame, c’est le faible de la plupart des gens de qualité qui ont un peu de génie. On les a retenus, on en a fait des copies, et en moins de deux heures, ils sont devenus vaudevilles.

CRISPIN, bas.

L’excellent fourbe que voilà ?

LISETTE, bas.

Où veut-il la mener avec ses vaudevilles ?

MADAME PATIN, à Lisette.

Écoutons ce qu’il veut dire, il ne m’en fera plus facilement accroire.

Au Chevalier.

Hé bien, Monsieur, vous êtes bien content de voir ainsi courir vos ouvrages ?

LE CHEVALIER.

N’en êtes-vous pas ravie, Madame ? Car enfin, puisqu’ils sont pour vous, cela vous fait plus d’honneur qu’à moi-même.

MADAME PATIN.

Ah, scélérat !

LE CHEVALIER.

Notre Baronne au reste n’a pas peu contribué à les mettre en vogue. Têtebleu, Madame, que c’est une incommode parente que cette Baronne, et qu’elle me vend cher les espérances de sa succession.

LISETTE, bas à Mme Patin.

Le fripon ! La Baronne est sa parente, comme je la suis du grand Mogol.

MADAME PATIN.

Écoutons jusqu’à la fin.

LE CHEVALIER.

Vous ne sauriez croire jusqu’où vont les folles visions de cette vieille, et les folies qu’elle ferait dans le monde, pour peu que mes manières répondissent aux siennes.

CRISPIN, bas.

Cet homme-là vaut son pesant d’or.

LE CHEVALIER.

J’ai passé chez elle pour lui parler de quelque argent qu’elle m’a prêté, et que je lui veut rendre, s’il vous plaît, Madame, pour en être débarrassé tout à fait.

CRISPIN.

Le royal fourbe !

LE CHEVALIER.

Je lui ai dit vos vers par manière de conversation. Elle les a trouvés admirables. Elle me les a fait répéter jusqu’à trois fois, et j’ai été tout étonné que la vieille surannée les savait par coeur. Elle est sortie tout aussitôt, et s’en est allée apparemment de maison en maison, chez toutes ses amies, faire parade de ces vers, et dire que je les avais faits pour elle.

MADAME PATIN.

S’il disait vrai, Lisette ?

LISETTE.

Que vous êtes bonne, Madame ! Et j’annonce, quand il dirait vrai pour la Baronne, comment se tirerait-il d’affaire pour votre nièce ?

CRISPIN.

39

Oh, patience, s’il demeure court, je veux qu’on me pende.

LE CHEVALIER.

Mais voici bien le plus plaisant, Madame. J’ai passé aux Tuileries, où j’ai rencontré cinq ou six beaux esprits. Oui, Madame, cinq ou six, et il ne faut point que cela vous étonne. Nous vivons dans un siècle où les beaux esprits sont tout à fait communs au moins.

MADAME PATIN.

Hé bien, Monsieur ?

LE CHEVALIER.

Hé bien, Madame, ils m’ont conté que le Marquis des Guérets avait donné les vers en question à une petite grisette ; que l’Abbé du Terrier les avait envoyés à une de ses amies ; que le Chevalier Richard s’en était fait honneur pour sa Maîtresse, et que deux de ces pauvres femmes s’étaient malheureusement trouvées avec la Baronne, où il s’était passé une scène des plus divertissantes.

MADAME PATIN.

Ce sont de bons sots, Monsieur, que vos beaux esprits, de plaisanter de cette aventure-là.

LISETTE.

Bon, elle prend la chose comme il faut.

LE CHEVALIER.

Comment, Madame ? Vous n’entrez donc point dans le ridicule de ces trois femmes, qui se veulent battre pour un madrigal ; et la bonne foi de ces deux pauvres abusées, et la folie de notre Baronne, ne vous font point pâmer de rire ?

MADAME PATIN, à Lisette.

Je crève, et je ne sais si je me dois fâcher ou non.

LISETTE.

Eh, merci de ma vie, pouvez-vous faire mieux, en vous fâchant contre un petit fourbe comme celui-là ?

LE CHEVALIER.

Vous ne riez point, Madame ?

CRISPIN.

Tu ne ris point Lisette ?

LE CHEVALIER.

Je le vois bien, Madame, il vous fâche que des vers faits pour vous soient dans les mains de tout le monde. Je suis un indiscret, je l’avoue, de les avoir rendus publics ; je vous demande à genoux mille pardons de cette faute, Madame, et je vous jure que l’air que j’ai fait sur ces malheureux vers n’aura pas la même destinée, et que vous serez la seule qui l’entendrez.

MADAME PATIN.

Vous avez fait un air sur ces paroles, Monsieur ?

LE CHEVALIER.

Oui, Madame, et je vous conjure de l’écouter. Il est tout plein d’une tendresse que mon coeur ne sent que pour vous ; et je jugerais bien par le plaisir que vous aurez à l’entendre, des sentiments où vous êtes à présent pour moi.

LISETTE.

Le double chien la va tromper en musique.

LE CHEVALIER, après avoir chanté tout l’air dont il répète quelques endroits.

Avez-vous remarqué, Madame, l’agrément de ce petit passage ?

Il chante :

Sentez-vous bien toute la tendresse qu’il y a dans celui-ci ?

Il chante.

Ne m’avouerez-vous pas que celui-là est bien passionné ?

Il chante encore.
40

Vous ne dites rien. Ah, Madame, vous ne m’aimez plus, puisque vous êtes insensible au chromatique dont cet air est tout rempli.

MADAME PATIN.

Ah, méchant petit homme, à quel chagrin m’avez-vous exposée ?

LE CHEVALIER.

Comment donc, Madame ?

MADAME PATIN.

J’étais une des actrices de cette scène que vous trouvez si plaisante.

LE CHEVALIER.

Vous, Madame ?

MADAME PATIN.

Moi-même, et c’est en cet endroit qu’elle s’est passée entre la petite grisette, la Baronne, et moi.

LE CHEVALIER.

Ah, pour le coup, il y a pour en mourir, Madame. Oui, je sens bien que pour m’achever, vous n’avez qu’à me dire que vous me haïssez autant que je le mérite. Faites-le, Madame, je vous en conjure, et donnez-moi le plaisir de vous convaincre que je vous aime, en expirant de douleur de vous avoir offensée.

MADAME PATIN.

Levez-vous, levez-vous, Monsieur le Chevalier.

CRISPIN.

La pauvre femme !

LE CHEVALIER.

Ah, Madame, que je mérite peu...

MADAME PATIN.

Ah, petit cruel, à quelle extrémité avez-vous pensé porter mon dépit ? Savez-vous bien, ingrat, qu’il ne s’en faut presque rien que je ne sois la femme de Monsieur Migaud ?

LE CHEVALIER.

Si cela est, Madame, j’irai déchirer sa robe entre les bras même de la justice, et je me ferai la plus sanglante affaire...

MADAME PATIN.

Non, non, Chevalier, laissez-le en repos, le pauvre homme ne sera que trop malheureux de ne me point avoir ; mais je vous avoue qu’il m’aurait, si j’avais trouvé mon beau-frère chez lui ; heureusement il n’y était pas.

LE CHEVALIER.

Ah ! Je respire. Je viens donc de l’échapper belle, Madame ?

MADAME PATIN.

Vous vous en seriez consolé avec la Baronne.

LE CHEVALIER.

Eh, fi, Madame, ne me parlez point de cela, je vous prie. Je ne songe uniquement, je vous jure, qu’à lui donner mille pistoles que je lui dois, et qu’il faut que je lui paie incessamment : Madame, je vous en conjure.

MADAME PATIN.

Si vous êtes bien véritablement dans ce dessein, j’ai de l’argent, Chevalier, venez dans mon cabinet.

SCÈNE III. Madame Patin, Le Chevalier, Lisette, Crispin, La Brie. §

LA BRIE.

Voilà Monsieur Serrefort qui monte.

MADAME PATIN.

Ah bons Dieux, comment ferons-nous ? Allez attendre chez votre notaire, et me laissez Crispin pour vous faire avertir quand je serai seule.

LE CHEVALIER.

Demeure ici, Crispin, et attends ici l’ordre de Madame.

CRISPIN.

Me donnera-t-elle les mille pistoles ?

LE CHEVALIER.

41

Tais-toi, maroufle.

MADAME PATIN.

Sauvez-vous par le petit escalier, comme tantôt.

LE CHEVALIER.

Adieu, Madame.

MADAME PATIN.

Tiens-toi sur ce petit degré par où sort ton Maître.

SCÈNE IV. Monsieur Serrefort, Madame Patin, Lisette. §

MONSIEUR SERREFORT.

On m’a dit que vous aviez chez moi, Madame, et que vous m’y aviez demandé.

MADAME PATIN.

On vous a dit vrai, Monsieur ; mais je n’avais nullement recommandé qu’on vous dît de venir ici.

MONSIEUR SERREFORT.

Cela ne fait rien, Madame, et je suis bien aise de savoir ce que vous me vouliez, outre que j’ai de mon côté quelque chose à vous communiquer touchant l’affaire de ce matin.

MADAME PATIN.

Quelle affaire, Monsieur ? L’affaire de ce matin ? Ne m’avez-vous pas promis de me laisser en repos, et de ne vous en plus mêler ?

MONSIEUR SERREFORT.

Oui, Madame, mais on nous a fait parler à M. Migaud et à moi, pour le différent que vous avez eu avec cette Marquise.

MADAME PATIN.

Hé bien, Monsieur, pour peu d’avance qu’elle fasse, je verrai ce que j’aurai à faire.

MONSIEUR SERREFORT.

Comment, Madame, des avances ? C’est à vous à en faire, s’il vous plaît ; et il n’y a point à hésiter même.

MADAME PATIN.

Je ferais des avances, moi qui suis offensée ? Ah vraiment, on voit bien que vous ne savez guères les affaires du point d’honneur.

MONSIEUR SERREFORT, tirant un papier de sa poche.

Voilà des articles d’accommodement que j’ai dressés. Vous verrez par là si je sais ce que c’est.

MADAME PATIN.

Des articles ! Des articles ! Ah ! Voyons un peu ces articles, je vous prie. Cela est trop plaisant, des articles ! Vous vous êtes fait mon plénipotentiaire, à ce que je vois.

MONSIEUR SERREFORT.

Voici ce que c’est, Madame.

MADAME PATIN.

Écoutons ces articles. Ce sont des articles, Lisette.

MONSIEUR SERREFORT, lit.

Premièrement il faudra que vous vous rendiez au logis de la Marquise, modestement vêtue.

MADAME PATIN.

Modestement !

MONSIEUR SERREFORT.

Oui, Madame, modestement. En robe cependant, mais avec une queue plus courte que celle que vous portez d’ordinaire.

MADAME PATIN.

Oh, pour l’article de la queue, je suis déjà sa très humble servante, et je ne rognerais pas deux doigts de ma queue, pour toutes les Marquises de la terre.

MONSIEUR SERREFORT.

Arrivée chez la Marquise, vous la demanderez au laquais qui sera de garde.

MADAME PATIN.

Un laquais de garde, Monsieur ! Un laquais de garde ! Il semble que vous parliez de quelque Officier.

MONSIEUR SERREFORT, continuant à lire.

Et pendant que ledit laquais ira avertir sa Maîtresse que vous êtes dans l’antichambre, vous y demeurerez debout, et sans murmurez, jusqu’à ce qu’il plaise à la Marquise de vous faire entrer.

MADAME PATIN.

Non, Monsieur Serrefort, non ; pour demeurer dans l’antichambre, je n’en ferai rien, debout surtout. Ce ne sera pas sans murmurer, cela ne se pourrait.

MONSIEUR SERREFORT.

Il faudra bien que cela soit fait pourtant.

Il lit.

Quand la Marquise sera visible.

MADAME PATIN.

Hé fi, Monsieur, ce n’est pas la peine d’achever.

MONSIEUR SERREFORT.

Oui, Madame, mais savez-vous bien que vous n’avez point d’autre expédient pour sortir d’affaire, et que ce sont les dernières paroles qu’elle nous a fait porter par son écuyer ?

MADAME PATIN.

Par son écuyer, Monsieur, par son écuyer ! Oh, vraiment, il faut attendre à faire cet accommodement, que j’aie un écuyer comme elle ; et quand nous agirons d’écuyer à écuyer, il ne faudra peut-être pas tant de cérémonie.

MONSIEUR SERREFORT.

Comment donc, Madame, un écuyer ? Êtes-vous femme à écuyer, s’il vous plaît, et ne songez-vous pas...

MADAME PATIN.

Tenez, Monsieur, point de contestation, je vous prie. Je n’aime pas les disputes ; et pour peu que vous m’obstiniez, vous me ferez prendre des pages.

MONSIEUR SERREFORT.

Ah, je vois ce que c’est, votre entêtement continue, il est désormais impossible de vous en corriger ; et vos manières me confirment à tous moments les avis qu’on m’a donnés.

MADAME PATIN.

Comment donc, Monsieur, quels avis ? Avez-vous des espions pour examiner ma conduite ?

MONSIEUR SERREFORT.

Morbleu, Madame, J’en sais plus que je n’en voudrais savoir.

MADAME PATIN.

Hé bien, Monsieur, tâchez de l’oublier.

MONSIEUR SERREFORT.

Mais, vous ne nous manquerez pas de parole impunément ; et il ne sera pas dit que vous aurez jeté ma fille dans le même dérèglement d’esprit où vous êtes, et que son père l’ait souffert sans ressentiment.

MADAME PATIN.

Quel discours est-ce là ? Que voulez-vous dire ? Suis-je une déréglée, s’il vous plaît ? Écoutez, Monsieur Serrefort, vous me ferez raison des termes offensant dont vous vous servez, prenez-y garde, je vous en avertis.

MONSIEUR SERREFORT.

Écoutez, MadamePpatin, il n’y a qu’un mot qui serve. Je suis bien informé que vous voulez épouser un gueux de Chevalier, qui se moquera de vous dès le lendemain de vos noces. Je sais de bonne part que ma fille s’entête de quelque Marquis plus gueux peut-être que votre Chevalier. Monsieur Migaud sait tout cela comme moi ; mais, nous ne demeurerons pas les bras croisés ni l’un ni l’autre, et nous vous rendrons raisonnables malgré vous-même.

MADAME PATIN.

Oh bien, Monsieur Serrefort, je vous en défie. Songez à le devenir, Monsieur Serrefort ; et ne mettez pas ici les pieds, que vous ne vous soyez rendu plus sage.

MONSIEUR SERREFORT.

Oh, ventrebleu, Madame, j’y viendrai jour et nuit, de moment en moment ; et je vais si bien assiéger votre maison et la mienne, qu’il n’y entrera personne à qui je ne fasse sauter les fenêtres, pour peu qu’il ait de l’air d’un Marquis, ou d’un Chevalier.

MADAME PATIN.

Et pour moi, qui ne suis pas si méchante que vous, je vous prierai seulement de descendre l’escalier tout au plus vite, et de ne pas regarder derrière vous.

MONSIEUR SERREFORT.

Adieu, Madame Patin.

MADAME PATIN.

Adieu, Monsieur Serrefort.

MONSIEUR SERREFORT.

Vous aurez bientôt de mes nouvelles, Madame Patin.

MADAME PATIN.

Je n’en veux point apprendre, Monsieur Serrefort.

MONSIEUR SERREFORT.

Adieu Madame Patin.

MADAME PATIN.

Adieu, Monsieur Serrefort.

SCÈNE V. Madame Patin, Lisette. §

MADAME PATIN.

Hé bon Dieu ! Quelle rage cet homme a-t-il contre moi ? Quel acharnement à me persécuter, Lisette ! A-t-on jamais rien vu de plus étrange ?

LISETTE.

Oh, pour cela, il devient de jour en jour plus insupportable.

MADAME PATIN.

N’est-il pas vrai ?

LISETTE.

Parce que Monsieur le Chevalier est un jeune homme assez mal dans ses affaires, et que Monsieur Serrefort prévoit qu’en l’épousant, vous allez faire un mauvais marché, il veut vous empêcher de le conclure ; cela est bien impertinent, Madame.

MADAME PATIN.

Tout ce qu’il fera, ne servira de rien.

LISETTE.

Bon, quand vous avez résolu quelque chose, il faut que cela passe.

MADAME PATIN.

Tout ce que je crains, c’est que le Chevalier ne vienne à connaître Monsieur Serrefort, et qu’il ne se dégoûte en me voyant si mal apparentée. Crispin ?

SCÈNE VI. Madame Patin, Crispin, Lisette. §

CRISPIN.

Plaît-il, Madame ?

MADAME PATIN.

Va dire à ton Maître que pour de certaines raisons, je ne le puis voir que sur les dix heures, et qu’il ne manque pas de venir juste à cette heure-là.

CRISPIN.

N’avez-vous que cela à lui faire savoir, Madame ?

MADAME PATIN.

Non, va vite, j’ai peur qu’il ne s’impatiente.

CRISPIN.

Il me semble, Madame, qu’il serait à propos qu’il rendît au plutôt à Madame la Baronne ces mille pistoles dont il vous a parlé.

MADAME PATIN.

J’aurai soin de les lui tenir toutes prêtes.

CRISPIN.

J’aurais soin de les lui porter, si vous vouliez.

MADAME PATIN.

Dis-lui bien que je vais penser à lui jusqu’à ce que je le voie.

CRISPIN.

Je lui dirai, Madame.

SCÈNE VII. §

CRISPIN, seul.

Oh çà, puisque je n’ai point d’argent à porter à mon Maître, ce que j’ai à lui dire n’est point si pressé. Réfléchissons un peu sur l’état présent de nos affaires. Voilà Monsieur le Chevalier de Ville-Fontaine en train d’attraper mille pistoles à Madame Patin, et autant à la vieille Baronne, il n’y a pas grand mal à ces deux articles. Mais c’est pour enlever une petite fille ; il y a quelque chose à dire à celui-là. La justice se mêlera infailliblement de cette affaire, et il lui faudra quelqu’un à pendre. Monsieur le Chevalier se tirera d’intrigue, et vous verrez que je serai pendu pour la forme. Cela ne vaudrait pas le diable, et je crois que le plus sûr est de ne me point mêler de cela, et de tirer adroitement mon épingle du jeu. Que fait-on ? Il m’arrivera peut-être d’un autre côté quelque bonne fortune, à quoi je ne m’attends pas. S’il était vrai que Madame la Baronne ne voulût qu’un mari, je serais son fait aussi bien qu’un autre, elle pourrait bien m’épouser par dépit. Il arrive tous les jours des choses moins faisables que celle-là, et je ne serais pas le premier laquais, qui aurait coupé l’herbe sous le pied à son Maître. Allons faire savoir au mien ce que Madame Patin m’a dit de lui dire ; et selon la part qu’il me fera des mille pistoles, je verrai ce que j’aurai à faire.

ACTE V §

SCÈNE I. Monsieur Serrefort, Lisette. §

MONSIEUR SERREFORT.

Ne crains rien, ma pauvre Lisette, ne crains rien. Madame Patin ne saura pas que l’avis est venu de toi.

LISETTE.

Au moins, Monsieur, vous savez bien que ma petite fortune dépend d’elle en quelque façon ; et si ce n’était que vous donnez des commissions à mon père, à mon cousin, et à celui qui veut m’épouser, je ne trahirais pas ma Maîtresse pour vous faire plaisir.

MONSIEUR SERREFORT.

Comment ? Sais-tu bien que c’est le plus grand service que tu lui puisses rendre, que de détourner ce mariage ?

LISETTE.

J’ai toujours travaillé pour cela, autant qu’il m’était possible. Dans les commencements j’ai cru qu’elle se moquait ; mais quand j’ai vu que c’était tout de bon, j’ai couru vous avertir.

MONSIEUR SERREFORT.

Tu as parfaitement bien fait.

LISETTE.

La partie est faite pour cinq heures du matin. Madame est dans son cabinet, qui compte de l’argent, dont Monsieur le Chevalier lui a dit avoir affaire ; et il viendra ici dans une petite demi-heure, avec son notaire : c’est l’ordre de Madame.

MONSIEUR SERREFORT.

La malheureuse !

LISETTE.

Ils seront bien surpris tous deux, de vous voir à leurs noces sans en avoir été prié ?

MONSIEUR SERREFORT.

Ils ne s’y attendent guère.

LISETTE.

Vous n’êtes pas le seul obstacle que j’ai préparé à leurs desseins ?

MONSIEUR SERREFORT.

Comment donc ? Qu’as-tu fait encore ?

LISETTE.

Il y a une vieille plaideuse de par le monde, qui est aussi amoureuse du Chevalier que Madame votre belle-soeur, pour le moins. Je l’ai fait avertir par un solliciteur de procès, qui est mon compère, de tout ce qui se prépare ici, et je répondrais bien qu’elle ne manquera pas de se trouver aux fiançailles.

MONSIEUR SERREFORT.

Cela est fort bien imaginé.

LISETTE.

Pour vous, il faut, s’il vous plaît, que vous demeuriez quelque temps dans ma chambre, et je vous avertirai quand ils seront avec le notaire.

MONSIEUR SERREFORT.

42 43

C’est bien dit. Oh, ventrebleu, ma pendarde de belle-soeur n’est pas encore où elle s’imagine.

LISETTE.

Elle fait de grands projets pour votre satisfaction, et il ne tiendra pas à elle que Mademoiselle votre fille ne suive l’exemple qu’elle prétend lui donner. J’en ai déjà dit tantôt un mot à Monsieur Migaud.

MONSIEUR SERREFORT.

44

Ah ! La double enragée ! C’est donc elle qui a donné à ma fille la connaissance d’un petit godelureau que j’ai trouvé chez moi un moment avant que tu ne vinsses.

LISETTE.

Non, mais c’est elle qui lui conseille de vous donner un gendre à sa fantaisie, sans se mettre en peine qu’il soit à la vôtre.

MONSIEUR SERREFORT.

La misérable !

LISETTE.

Et je ne répondrais pas trop que Mademoiselle Lucile n’eût un fort grand penchant à suivre les bons conseils de sa tante.

MONSIEUR SERREFORT.

J’y donnerai bon ordre. C’est une peste dans une famille bourgeoise qu’une Madame Patin.

LISETTE.

Je crois que je l’entends. Voilà la clef de ma chambre, allez vous y enfermer au plus vite, et tâchez de ne vous point ennuyer.

Bas.

Monsieur Serrefort verra peut-être ce soir plus d’incidents qu’il ne s’imagine.

SCÈNE II. Madame Patin, Lisette. §

MADAME PATIN.

Le Chevalier n’est point encore venu, Lisette ? N’a-t-il pas envoyé ?

LISETTE.

Non, Madame.

MADAME PATIN.

Je suis dans une étrange impatience.

LISETTE.

Il n’est pas temps de vous impatienter encore, Madame. Neuf heures viennent de sonner, et vous avez fait dire à Monsieur le Chevalier de ne venir ici qu’à dix.

MADAME PATIN.

Ce vilain Monsieur Serrefort est cause de cela. Sans cet animal, le Chevalier serait ici à l’heure qu’il est, et il n’aurait pas le temps de me faire quelque perfidie.

LISETTE.

45

Oh, par ma foi, Madame, je ne m’accommoderais guère pour moi, d’un homme comme Monsieur le Chevalier, qu’il faudrait garder à vue. Hé, mort de ma vie, vous êtes toujours sur des épines.

MADAME PATIN.

Quand nous serons une fois mariés, Lisette, je ne craindrai pas tant ; mais jusques-là le Chevalier me paraît si aimable, que je meurs de peur qu’on ne me l’enlève.

LISETTE, bas.

Le beau joyau pour en être si fort éprise !

MADAME PATIN.

N’a-t-on point eu de nouvelles de ma nièce ?

LISETTE.

Non, Madame.

MADAME PATIN.

Je voudrais bien qu’elle fût ici avec son amant, et qu’on les pût marier aussi cette nuit.

LISETTE.

Oui, Madame.

MADAME PATIN.

Oui, vraiment ; et je ne sais ce qui me fera le plus de plaisir, d’épouser le Chevalier, ou de désespérer Monsieur Serrefort.

LISETTE.

La bonne personne !

MADAME PATIN.

Il se mangerait les pouces de rage. Mais qu’est-ce que ceci ? La Baronne à l’heure qu’il est ! Hé ! Grand Dieu, n’en serai-je jamais défaite ?

SCÈNE III. La Baronne, Mme Patin, Lisette, Jasmin. §

LA BARONNE.

Bonsoir, Madame.

MADAME PATIN.

Madame, je suis votre servante.

LISETTE, bas.

Bon, voici déjà la Baronne.

LA BARONNE.

Vous voilà bien seule, Madame ; où est donc Monsieur le Chevalier ?

MADAME PATIN.

Monsieur le Chevalier, Madame ? Monsieur le Chevalier n’est pas toujours chez moi ; et si c’est lui que vous cherchez...

LA BARONNE.

Non pas, Madame, et ce n’est qu’à vous que j’ai affaire.

MADAME PATIN.

Au moins, Madame, il n’est pas heure de solliciter.

LA BARONNE.

Oh, vraiment, ma pauvre Madame, ce ne sont pas mes procès qui m’occupent à présent, et j’ai bien autre chose en tête.

À Lisette.

Oh, çà, çà, détalez, s’il vous plaît, ma mie, et allez voir là-dehors si j’y suis.

MADAME PATIN.

Comment donc ? Que veut-elle dire ? Lisette, ne me quittez pas.

LA BARONNE.

Poltronne, vous avez peur.

MADAME PATIN.

Quel est votre dessein, Madame ?

LA BARONNE.

Approchez, Jasmin, approchez.

MADAME PATIN.

Ah ! Bons Dieux, des épées ! Madame, venez-vous ici pour m’assassiner ?

LISETTE.

Vraiment, cela passe raillerie, Madame.

LA BARONNE.

Otez-vous de là, vous, ma mie, que je ne vous donne sur les oreilles. Et vous, Madame, choisissez de ces deux épées laquelle vous voulez.

MADAME PATIN.

Moi, Madame, prendre une épée ! Hé, pourquoi, s’il vous plaît ?

LA BARONNE.

Pour me tuer, si vous le pouvez.

MADAME PATIN.

Moi, je ne veux tuer personne.

LA BARONNE.

Mais, je vous veux tuer, moi.

MADAME PATIN.

Hé, bon Dieu ! Que vous ai-je fait pour vous donner de si méchantes intentions ?

LA BARONNE.

Ce que vous m’avez fait, Madame ? Ce que vous m’avez fait ?

MADAME PATIN.

Lisette, prenez garde à moi.

LISETTE.

Oui, Madame.

LA BARONNE.

Allons, allons, point tant de raisonnements, ma bonne amie. Vous m’enlevez le Chevalier, il est à moi, ce Chevalier, aussi bien que mon moulin, et c’est une grâce que je vous fais de vouloir bien voir à qui il demeurera.

MADAME PATIN.

Quoi ! Madame, c’est Monsieur le Chevalier qui vous fait tourner la cervelle ?

LA BARONNE.

Oui, Madame, et il faut me le céder, ou mourir.

LISETTE.

Voilà une vigoureuse femme, au moins.

LA BARONNE.

Voyez, renoncez à toutes les prétentions que vous avez sur lui, et je vous donne la vie.

MADAME PATIN.

Quelle étrange femme, Lisette ! Et comment pouvoir m’en débarrasser ?

LA BARONNE.

46 47

Oh ! Jour de Dieu, c’est trop longtemps barguigner. Allons, Madame, point de quartier.

MADAME PATIN.

Ah ! Je suis morte. Au voleur, à l’aide, on m’assassine.

LISETTE.

Madame, vous n’y songez pas. Grâce, grâce, Madame.

LA BARONNE.

Âme basse !

MADAME PATIN.

Holà, Jasmin, la Brie, la Fleur, la Jonquille, la Pensée, mes laquais, mon portier, mon cocher, holà.

LISETTE.

Hé paix, Madame ! Quel vacarme faites-vous là ?

LE COCHER.

48 49

Qu’est-ce qui gnia, Madame ? Morguenne à qui en avez-vous ? Comme vous gueulez !

MADAME PATIN.

Ah ! Mes enfants, jetez-moi Madame par les fenêtres, je vous en prie.

LA BARONNE.

Merci de ma vie, le premier qui avance, je lui donnerai de ces deux épées dans le ventre.

MADAME PATIN.

Hé bien, là, Madame la Baronne, descendez par la montée, on vous le permet ; mais, dépêchez-vous.

LA BARONNE.

Malheureuse petite bourgeoise ! Refuser l’honneur de se mesurer avec une Baronne.

LISETTE.

Ne faites pas de bruit davantage, Madame.

LA BARONNE.

50

Elle veut devenir femme de qualité, et elle n’oserait tirer l’épée ! Merci de ma vie, je m’en vais chercher le Chevalier, et s’il ne change pas de sentiment, ce sera à moi qu’il aura affaire.

LISETTE.

Hé, Madame.

SCÈNE IV. Madame Patin, Lisette. §

MADAME PATIN.

Hé, laissez-la faire, Lisette ? J’aime bien mieux qu’elle aille le chercher, que non pas qu’elle l’attende chez moi.

LISETTE.

Vous avez raison ; mais, Madame, entre vous et moi, je crains bien que cette Baronne-là ne vous joue quelque mauvais tour.

MADAME PATIN.

Va, va, il n’y a rien à craindre, et quand le Chevalier sera mon mari, il me mettra à couvert des emportements de cette folle. Elle est furieusement emportée, oui ; et je crois que si je n’avais pas appelé du secours, elle nous aurait fait un mauvais parti à l’une et à l’autre.

LISETTE.

Je le crois, vraiment. Et savez-vous bien, Madame, qu’il n’y a rien au monde de si dangereux qu’une vieille amoureuse ? Je m’étonne que vous ayez été si pacifique.

MADAME PATIN.

J’ai eu peur d’abord, je te l’avoue.

LISETTE.

On en prendrait à moins.

MADAME PATIN.

Et je ne suis pas encore bien remise.

SCÈNE V. Madame Patin, Lucile, Lisette. §

LUCILE.

Ah ! Ma tante, je viens d’avoir une belle frayeur.

MADAME PATIN, à Lisette.

Elle a rencontré la Baronne.

LUCILE.

Je viens implorer votre protection, ma tante, et vous demander un asile contre la violence et les injustices de mon père.

MADAME PATIN.

Comment donc, ma nièce, que vous a-t-il fait ?

LISETTE, bas.

Qu’est-ce que ceci ?

LUCILE.

Ah ! Ma tante, qu’on est malheureuse d’être fille d’un père comme celui-là !

MADAME PATIN.

Mais encore, qu’y a-t-il de nouveau ? Qu’est-il arrivé ?

LUCILE.

Hé ! Ne le devinez-vous pas, ma tante ? Il a trouvé au logis ce Monsieur qui m’aime. Marton, la fille de chambre de ma mère, l’avait fait entrer par la porte du jardin.

MADAME PATIN.

Hé bien, ma nièce, qu’a fait votre père ?

LUCILE.

Il m’a donné deux soufflets, ma tante, et il a traité ce pauvre garçon de la manière la plus incivile.

LISETTE.

Cela est bien malhonnête.

MADAME PATIN.

Il ne l’a pas frappé peut-être ?

LUCILE.

Je crois qu’il n’a pas osé ; mais, ce qui me fâche le plus, c’est que mon père m’a donné ces deux soufflets devant lui.

MADAME PATIN.

Le brutal !

LUCILE.

Cela me tient au coeur, voyez-vous, et j’ai bien résolu de m’en venger.

MADAME PATIN.

Hé bien, ma nièce, qu’est-ce que je puis faire pour vous ?

LUCILE.

J’aurais besoin d’un bon conseil, ma tante.

MADAME PATIN.

Mais encore ?

LUCILE.

Ce Monsieur m’a priée de trouver bon qu’il m’enlevât. Conseillez-moi d’y consentir, ma tante, vous ne saurez me faire plus de plaisir.

MADAME PATIN.

Si je vous le conseillerai, ma nièce ! Il ne faut pas manquer cette affaire faute de résolution. Où est-il à présent ?

LUCILE.

Il est allé prendre deux mille pistoles chez son intendant, et il doit se rendre dans son carrosse à la Place des Victoires, où j’ai laissé Marton pour l’attendre, et pour me venir dire quand il y sera.

LISETTE, bas.

La partie n’est pas mal liée ; mais, il ne sera pourtant pas difficile à Monsieur Serrefort de la rompre.

MADAME PATIN.

Voici ce qu’il y a à faire, ma nièce. Dès que votre amant sera au rendez-vous, il faut qu’il vienne ici, je serai bien aise de le voir ; je ferai mettre six chevaux à mon carrosse, et vous irez ensemble à une maison de campagne, où je répondrais bien qu’on n’ira pas vous chercher.

LUCILE.

Ah ! Ma bonne tante, que je vous ai d’obligation ! Mais, il faudrait envoyer quelqu’un dire à Marton de l’amener.

MADAME PATIN.

Envoyez-y un laquais, Lisette.

LISETTE.

Oui, Madame.

Bas.

Je vais l’envoyer chez Monsieur Migaud, la fête ne serait pas bonne sans lui.

LUCILE.

Au moins, ma tante, ce n’est que par votre conseil que je me laisse enlever ; et je me garderais bien de m’engager dans une démarche comme celle-là, si vous n’étiez la première à l’approuver.

MADAME PATIN.

Allez, allez, quand vous ne prendrez que de mes leçons, vous n’aurez rien à vous reprocher.

SCÈNE VI. Le Chevalier, Crispin, Madame Patin, Lucile. §

LE CHEVALIER, à Crispin.

Dès que j’aurai les mille pistoles, je ne ferai pas grand séjour chez Madame Patin.

LUCILE, au Chevalier.

Ah ! Monsieur, vous voilà. Qui vous a déjà dit que j’étais ici ?

LE CHEVALIER.

Ah ! Crispin, quel incident ! C’est ma petite brune.

CRISPIN.

51

Comment, morbleu, la petite brune !

LUCILE.

Voilà ma tante, Monsieur, dont je vous ai toujours dit tant de bien.

LE CHEVALIER.

Sa tante ?

CRISPIN.

52

Haie, haie, haie ; ceci ne vaut pas le diable.

LE CHEVALIER.

Mademoiselle, j’ai l’honneur...

MADAME PATIN.

Qu’est-ce que cela signifie, ma nièce ?

LUCILE.

Monsieur est la personne dont je vous ai parlé.

LE CHEVALIER.

Oui, Madame, j’avais prié Mademoiselle votre nièce de...

MADAME PATIN.

Quoi, Monsieur ! Il est donc vrai que vous êtes le plus fourbe de tous les hommes ?

LE CHEVALIER.

Ah ! Ma tante, que dites-vous là ? Vous me trahissez, ma tante : vous me dites de le faire venir, et vous le querellez quand il est venu.

MADAME PATIN.

Ah ! Ma pauvre nièce, quelle aventure !

LE CHEVALIER.

Crispin ?

CRISPIN.

L’affaire est épineuse.

LUCILE.

Je n’y comprends rien, ma tante, en vérité.

MADAME PATIN.

Scélérat !

LUCILE.

Mais, ma tante...

CRISPIN.

Sortons d’ici, Monsieur, c’est le plus sûr.

MADAME PATIN.

Voir constamment disposer toutes choses pour m’épouser, et se proposer le même jour d’enlever ma nièce ?

LUCILE.

Quoi, ma tante...

MADAME PATIN.

Oui, mon enfant, voilà l’oncle que voulais vous donner.

LUCILE.

Ah, perfide !

CRISPIN.

Monsieur, encore une fois, sortons.

LE CHEVALIER.

Tais-toi.

CRISPIN.

53

Oh, parbleu, je voudrais bien pour la rareté du fait qu’il se tirât d’intrigue.

LUCILE.

Que vous avais-je fait, Monsieur, pour me vouloir tromper si cruellement ?

MADAME PATIN.

Pourquoi nous choisissais-tu l’une et l’autre pour l’objet de tes perfidies ?

LUCILE.

Répondez, Monsieur, répondez.

MADAME PATIN.

Parle, parle, perfide.

LE CHEVALIER.

54

Hé, que diantre voulez-vous que je vous dise, Mesdames ? Quand je me donnerais à tous les diables, pourrais-je vous persuader que ce que vous voyez n’est pas ? Mais, à prendre les choses au pied de la lettre, suis-je si coupable que vous vous l’imaginez, et est-ce ma faute si nous nous rencontrons tous les trois ici ?

MADAME PATIN.

Tu crois tourner cette affaire en plaisantant.

LE CHEVALIER.

Je ne plaisante point, Madame, le diable m’emporte, et je vous parle de mon plus grand sérieux. Pouvais-je deviner que vous êtes la tante de Mademoiselle, et que Mademoiselle est votre nièce ?

CRISPIN.

Diable ! Si nous avions su cela, nous aurions pris d’autres mesures.

LE CHEVALIER.

Si vous ne vous étiez point connues, vous ne vous seriez point fait de confidence l’une à l’autre, et nous n’aurions point à présent l’éclaircissement qui vous met si fort en colère.

LUCILE.

Hé, seriez-vous pour cela moins coupable ? En serions-nous moins trompées ? Et pouvez-vous jamais vous laver d’un procédé si malhonnête ?

LE CHEVALIER.

Mettez-vous à ma place, de grâce, et voyez si j’ai tort. J’ai de la qualité, de l’ambition, de peu de bien. Une veuve des plus aimables, et qui m’aime tendrement, me tend les bras. Irai-je faire le héros de roman, et refuserais-je quarante mille livres de rente qu’elle me jette à la tête ?

MADAME PATIN.

Hé, pourquoi donc, perfide, puisque tu trouves avec moi tous ces avantages, deviens-tu amoureux de ma nièce ?

LE CHEVALIER.

Oh, pour cela, Madame, regardez-la bien. Sa vue vous en dira plus que je ne pourrais vous en dire.

CRISPIN.

Je commence à croire qu’il en sortira à son honneur ; quand les Dames querellent longtemps, elles ont envie de se raccommoder.

LE CHEVALIER.

Je trouve en mon chemin une jeune personne, toute des plus belles et des mieux faites. Je ne lui suis pas indifférent. Peut-on être insensible, Madame, et se trouve-t-il des coeurs dans le monde qui puissent résister à tant de charmes ?

CRISPIN.

Il aura raison, à la fin.

MADAME PATIN, à Lucile.

Ah ! Petite coquette, ce sont vos minauderies qui m’ont enlevé le coeur du Chevalier. Je ne vous le pardonnerai de ma vie.

LUCILE.

Oui, ma tante ! Il n’aimerait que moi sans vos quarante mille livres de rente. C’est moi, qui ne vous le pardonnerai pas.

LE CHEVALIER.

Oh ! Mesdames, il ne faut point vous brouiller pour une bagatelle ; et s’il est vrai que vous m’aimiez autant qu’il m’est doux de le croire, que celle qui a le plus d’envie de me le persuader, fasse un effort sur elle-même, et me cède à l’autre. Je vous assure que l’infortunée qui ne m’aura point, ne sera pas la plus malheureuse.

MADAME PATIN.

Je t’aime à la fureur, scélérat ; mais, j’aimerais mieux que ma nièce fut morte, que de la voir jamais à toi.

LUCILE.

Je défie tout le monde ensemble d’aimer autant que je vous aime ; mais, pour vous voir le mari de ma tante, c’est ce que je ne souffrirai jamais.

CRISPIN.

Voilà l’affaire dans la crise.

LUCILE.

Ah ! Ma tante, voilà mon père que j’entends.

MADAME PATIN.

Cachez-vous vite, Monsieur le Chevalier.

SCÈNE VII. Monsieur Serrefort, Madame Patin, Lucile, Le Chevalier, Crispin. §

MONSIEUR SERREFORT, au Chevalier.

Non, non, Monsieur, il n’est pas besoin de vous cacher. Ah, ah Madame ma belle-soeur, c’est donc là ce Monsieur le Chevalier que vous voulez épouser ?

MADAME PATIN.

Oui, Monsieur, et c’est ce même Chevalier que Mademoiselle votre fille court aux Tuileries, et qui sans moi serait peut-être votre gendre à l’heure qu’il est.

MONSIEUR SERREFORT.

Que vois-je ? C’est le même homme que j’ai trouvé chez moi !

LE CHEVALIER.

Nous sommes heureux à nous rencontrer, comme vous voyez.

MONSIEUR SERREFORT.

Quoi, Monsieur, en même jour vouloir épouser ma soeur et ma fille ? C’est avoir bien la rage d’épouser pour me persécuter !

LE CHEVALIER.

Moi, Monsieur, au contraire ; et pour vous faire voir que je veux être de vos amis, avantagez de ces deux dames celle que vous haïssez, et j’en ferai ma femme tout aussitôt.

MONSIEUR SERREFORT.

Qu’est-ce à dire cela ? Oh, je ne prétends pas que vous épousiez ni l’une ni l’autre.

SCÈNE VIII. Monsieur Migaud, Monsieur Serrefort, Madame Patin, Le Chevalier, Lucile, Crispin, Lisette. §

MONSIEUR MIGAUD, à Mme Patin.

Un de vos laquais, Madame, vient de m’avertir avec empressement que vous me vouliez parler de quelque chose, je n’ai point perdu de temps.

MADAME PATIN.

Oui, Monsieur, il semble que mon laquais ait deviné ma pensée, et vous venez tout à propos profiter de mon dépit.

MONSIEUR MIGAUD.

Comment donc, Madame ?

MADAME PATIN.

Voilà ma main, Monsieur : et dès demain, je vous épouse, pourvu qu’en même temps Monsieur votre fils épouse ma nièce.

MONSIEUR MIGAUD.

Ah, Madame, que cette condition me fait plaisir !

MONSIEUR SERREFORT.

C’est moi qui vous réponds de cet article, et ma fille, je crois, n’aura pas l’audace de résister à mes volontés.

LUCILE.

Dans le désespoir où je suis, mon père, je ferai tout ce que vous voudrez.

MADAME PATIN, au Chevalier.

Tu n’épouseras pas ma nièce, perfide !

LUCILE, au Chevalier.

Vous ne serez jamais le mari de ma tante, pourtant.

CRISPIN.

Adieu donc, Mesdames, jusqu’au revoir. Hé bien, Monsieur, ne ferez-vous pas quelque petit air sur cette aventure-là ? Une chanson à propos raccommode quelquefois bien les choses, comme vous savez.

LE CHEVALIER.

Il n’y a que les mille pistoles de Madame Patin, que je regrette en tout ceci. Allons retrouver la Baronne, et continuons de la ménager jusqu’à ce qu’il me vienne quelque meilleure fortune.