M. DC. LX AVEC PRIVILEGE DU ROI.
Extrait du Privilège du Roi. §
Par grâce et Privilège du Roi, donné à Paris le 25 Juillet 1660 signé, par le Roi en son Conseil, BONNEFON : Il est permis au Sieur Donneau, de faire imprimer par tel Imprimeur et Libraire qu’il voudra, une Comédie intitulée Les Amours d’Alcippe et de Céphise, pendant l’espace de cinq ans ; et défenses sont faites à tous autres de l’imprimer ni vendre d’autre Édition que celle de l’Exposant, à peine de quinze cents Livres d’amende, de tous dépens, dommages, et intérêts, comme il est porté plus amplement par lesdites lettres. Et ledit Sieur Donneau a cédé son droit de Privilège à Jean Ribou, Marchand à Paris, pour en jouir suivant l’accord fait entre eux.
Enregistré sur le livre de la Communauté, suivant l’Arrêt de la Cour. JOSSE, Syndic.
Les Exemplaires ont été fournis.
MADEMOISELLE, §
Avouez la vérité, n’est-il pas vrai que ce nom vous embarrasse ? Et qu’après l’avoir lu, vous vous êtes arrêtée tout court, pour songer quelle peut être cette HENRIETTE ? Mais n’y rêvez pas davantage, et si vous avez eu quelque soupçon que ce fût vous, demeurez dans cette pensée, et ne vous amusez point à repasser dans votre esprit toutes les HENRIETTES que vous connaissez ; puisque je ne prétends parler qu’à vous. Mais d’où vient que vous faites encore une pause ? Après que j’ai éclairci votre trouble ? Ah ! j’en devine facilement le sujet ! Vous êtes surprise sans doute, et vous ne vous attendiez pas qu’une personne à qui le sang vous lie, vous dédiât un Livre ; puisque c’est une chose que l’on voit arriver rarement, et que pour l’ordinaire, quelques éminentes qualités qu’aient nos parents, nous ne les croyons pas au dessus de nous, à cause que la nature semble ne les avoir faits que pour être nos égaux. Mais vous devez savoir, que quand une fois on a pris de l’amitié pour eux, l’amitié jointe au sang a beaucoup plus de chaleur, et devient si puissante, qu’il n’est rien qu’elle ne nous fît entreprendre pour leur en donner des preuves : Je m’imagine toutefois, que cette surprise dont je vous viens de dire le sujet, ne vous fait pas rester seule dans la lecture de cette Pièce ; et qu’après avoir connu que c’est à vous que je parle, votre modestie ne le souffre qu’à peine, et que sachant que je sais particulièrement les belles qualités qui vous rendent recommandable, vous craignez que je ne les expose au public ; mais n’en ayez point de peur, je ne parlerai que de celles que vous n’avez pu dérober aux yeux de tous ceux qui vous connaissent ; c’est pourquoi je dis, sans qu’on me puisse accuser de flatterie, que jamais personne de votre âge, et de votre sexe, ne jugea mieux que vous des beautés d’un Ouvrage, vous en savez connaître et le faible et le fort, et vous le faites voir avec tant de grâce, et d’une manière si obligeante, qu’il est impossible de s’en fâcher, et de vous accuser d’être Précieuse. La conversation vous plaît infiniment ; ce qui suffit pour prouver que vous avez de l’esprit, mais que c’est l’écueil de tous ceux qui n’en ont pas, et que quiconque la fuit, ou ne s’y divertit point, fait assez juger de la stérilité de son esprit. Je vois bien que vous ne voulez pas que je parle plus longtemps du vôtre, et comme je prétends vous satisfaire, je n’en parlerai pas davantage, à condition que vous me permettrez de dire, que vous êtes la personne du monde la plus généreuse, et qui obligez de la meilleure grâce : que l’amour que vous portez à ceux de votre sang est si puissant, que leur satisfaction vous fait mépriser votre propre intérêt ; c’est pourquoi l’on ne doit pas s’étonner si je vous proteste publiquement, que je suis et serai toute ma vie, MADEMOISELLE, Votre très affectionné,
F. D.
AU LECTEUR. §
Depuis que la Comédie est devenue illustre par les soins de l’Éminentissime Cardinal Duc de Richelieu, nous n’avons point vu d’Auteur qui ait plus excellé dans les pièces Comiques, que le fameux Monsieur de Molière. Son Étourdi, son Dépit amoureux, ses Précieuses Ridicules, et son Cocu Imaginaire, sont plus que suffisants pour prouver cette vérité ; puisque la Cour les a non seulement approuvées, mais encore le peuple, qui dans Paris sait parfaitement bien juger de ces sortes d’ouvrages. Quelques applaudissements toutefois que l’on ait donnés aux deux premières de ces Pièces, la troisième a beaucoup plus d’éclat qu’elles n’ont fait toutes deux ensemble, puisqu’elle a passé pour l’ouvrage le plus charmant, et le plus délicat qui a jamais paru au Théâtre. L’on est venu à Paris de vingt lieues à la ronde, afin d’en avoir le divertissement ; il n’était fils de bonne mère, qui lorsque l’on la jouait ne s’empressa pour la voir des premiers, et ceux qui font profession de galanterie, et qui n’avaient pas vu représenter les Précieuses, d’abord qu’elles commencèrent à faire parler d’elles, n’osaient l’avouer sans rougir : cette Pièce enfin a tant fait de bruit, que les ennemis même de Monsieur de Molière, ont été contraints de publier ses louanges ; mais non pas sans faire connaître par leurs discours, qu’ils ne le faisaient que de peur de passer pour ridicules. Les uns disaient que véritablement, la Pièce était belle, mais que le jeu faisait une grande partie de sa beauté. Les autres ajoutaient, que la rencontre du temps où l’on parlait fort des Précieuses aidait à la faire réussir, et qu’indubitablement ses Pièces n’auraient pas toujours de pareils succès, quand le temps ne les favoriserait pas, mais ce que ce fameux Auteur a fait depuis, a bien fait voir, que loin d’avoir tiré quelque avantage de la rencontre des Précieuses, il a fait parler d’elles à ceux qui ne les connaissaient pas ; puisque (de la manière dont il l’a traitée) il a donné de l’éclat à une chose qui était dans l’obscurité, et dont l’on ne parlait que dans certaines ruelles : j’ose même avancer pour sa gloire, que les Précieuses, qui sont dans sa pièce appelées de ce nom, n’en font pas toute la beauté, et que le caractère du Marquis de Mascarille, qui est de son invention, puisqu’il ne tient rien du Précieux, est une des choses la plus ingénieuse qui ait jamais paru au Théâtre, et la plus spirituelle de sa Pièce. Mais voyons si le pronostique de ces Messieurs, (qui disaient que Monsieur de Molière ne pouvait plus faire de Pièces qui eussent tant de succès que ces Précieuses) est véritable et si le Cocu Imaginaire, qu’il a fait ensuite, n’a pas eu tous les applaudissements qu’il en pouvait attendre ; puisqu’à moins que l’on ne veuille dire la même chose de tous ces ouvrages, que l’on ne le veuille accuser d’avoir de l’esprit, et de savoir choisir ce qui plaît, l’on ne lui saurait objecter que le sujet est du temps et que c’est ce qui le fait réussir. Cependant cette Pièce a été jouée, non seulement en plein été, où pour l’ordinaire chacun quitte Paris, pour s’aller divertir à la Campagne ; mais encore dans le temps du Mariage du Roi, où la curiosité avait attiré tout ce qu’il y a de gens de qualité en cette Ville : elle n’en a toutefois moins réussi, et quoi que Paris fût ce semble désert, il s’y est néanmoins encor trouvé assez de personnes de condition pour remplir plus de quarante fois les loges et le Théâtre du Petit-Bourbon, et assez de bourgeois pour remplir autant de fois le parterre. Jugez quelle réussite cette Pièce aurait eue, si elle avait été jouée dans un temps plus favorable, et si la Cour avait été à Paris. Elle aurait sans doute été plus admirée que les Précieuses, puisque encore que le temps lui fut contraire, l’on doute qu’elle n’a pas eu autant de succès. Jamais on ne vit de sujet mieux conduit, jamais rien de si bien fondé que la jalousie de Sganarelle, et jamais rien de si spirituel que ses vers ; c’est pourquoi presque tout Paris a souhaité de voir ce qu’une femme pourrait dire, à qui il arriverait la même chose qu’à Sganarelle, et si elle aurait tant de sujet de se plaindre, quand son mari lui manque de foi, que lui quand elle lui est infidèle. C’est ce qui m’a fait faire cette Pièce qui servira de regard au Cocu Imaginaire, puisque dans l’une, on verra les plaintes d’un homme qui croit que sa femme lui manque de foi, et dans l’autre celles d’une femme qui croit avoir un mari infidèle. J’aurais bien fait un autre sujet que celui de Monsieur de Molière, pour faire éclater les plaintes de la femme ; mais ils n’auraient pas eu tous deux les mêmes sujets de faire éclater leur jalousie, il y aurait eu du plus ou du moins ; c’est pourquoi il a fallu, afin que le divertissement fût plus agréable, qu’ils raisonnassent tous deux sur les mêmes incidents tellement que j’ai été contraint de me servir du même sujet : c’est ce qui fait que vous n’y trouverez rien de changé, sinon que tous les hommes de l’un, sont changés en femmes dans l’autre. Vous pouvez maintenant voir, lequel du mari ou de la femme a plus de tort quand il manque de fidélité ; mais souvenez-vous avant que de me condamner, que l’homme a beaucoup plus de raisons de son côté que la femme puisque ce qui passe pour galanterie chez l’un, passe pour crime chez l’autre, outre qu’il n’y a pas le mot pour rire du côté de la femme, son front étant trop délicat pour porter des cornes, ce qui rend le plaisant difficile à trouver, et le sexe de plus se trouvant stérile en cette rencontre. Je pourrais ici vous parler du mot de Cocue, dont je me suis servi ; mais je crois qu’il n’en est pas besoin, d’autant que nous sommes dans un temps, où chacun parle à sa mode.
Le Libraire au Lecteur. §
Les Lecteurs sont priés de jeter ici les yeux s’ils ont la curiosité.
Messieurs, Vous serez bien aises que je vous avertisse qu’il m’est tombé entre les mains deux Comédies, dont vous n’avez peut-être pas encore ouï parler, à cause qu’elles n’ont pas encore été jouées à Paris, quoi qu’elles aient été dans toutes les Villes de France. L’une est la Cocue imaginaire, qui put servir de regard au Cocu Imaginaire, de l’Illustre Monsieur de Molière, puisque l’on voit dans l’une toutes les raisons qu’un homme a de se plaindre d’une femme infidèle, et dans l’autre, celles qu’une femme a de se plaindre d’un homme qui lui manque de foi ; ce qui vous divertira beaucoup lorsque vous les confronterez ; c’est pourquoi je vous conseille de ne pas acheter l’une sans l’autre, afin d’avoir le mari et la femme. La seconde est intitulée le Procès des Précieuses, où dans les Harangues qui s’y font pour et contre le langage Précieux, on connaîtra à fond ce que c’est que Précieux et Précieuse, ce que peu de gens connaissent, quoi que l’on en parle depuis longtemps. Il faut puisque j’ai commencé de vous entretenir, que je vous dise encore un mot, qui est que pour satisfaire à quantité de personnes, j’ai fait ajouter au Dictionnaire des Précieuses plusieurs mots nouvellement inventés dans les plus belles Ruelles de Paris. Vous trouverez toutes ces galantes nouveautés, et beaucoup d’autres encor en ma Boutique, au Quartiers des Augustins, à l’Image Saint-Louis où je vous attends. Adieu.
ACTEURS §
- ALCIPPE, amant de Céphise.
- ROGUESPINE, son valet.
- GÉRONTE, son père Bourgeois de Paris.
- CÉPHISE, amante d’Alcippe.
- PAQUETTE, femme de Spadarille, Cocue Imaginaire.
- SPADARILLE, mari de Paquette, Bourgeois de Paris.
- LUCRESSE, parente de Paquette.
- BÉATRIX, suivante de Céphise.
ACTE I §
SCÈNE PREMIÈRE. Alcippe, Géronte, Roguespine. §
ALCIPPE, sortant en colère, et son père le suivant.
GÉRONTE.
ALCIPPE.
GÉRONTE.
ALCIPPE.
GÉRONTE.
ALCIPPE.
GÉRONTE.
ALCIPPE.
GÉRONTE.
ALCIPPE.
GÉRONTE.
ALCIPPE.
SCÈNE II. Alcippe, Roguespine. §
ROGUESPINE.
ALCIPPE.
ROGUESPINE.
ALCIPPE.
ROGUESPINE.
ALCIPPE.
ROGUESPINE.
SCÈNE III. Alcippe, Roguespine, Paquette. §
PAQUETTE.
ROGUESPINE.
PAQUETTE.
SPADARILLE, regardant par sa fenêtre voit que sa femme soutient Alcippe.
ROGUESPINE.
PAQUETTE, mettant la main sur la bouche d’Alcippe.
ROGUESPINE.
PAQUETTE.
SCÈNE IV. §
SPADARILLE, seul.
SCÈNE V. Paquette, Spadarille. §
PAQUETTE.
SPADARILLE.
PAQUETTE, à part regardant par dessus son épaule.
SPADARILLE, poursuit.
PAQUETTE, lui arrachant le portrait qu’il tient.
SPADARILLE, à part.
PAQUETTE, continue.
SPADARILLE.
PAQUETTE.
SPADARILLE.
PAQUETTE.
SPADARILLE.
PAQUETTE.
SPADARILLE.
PAQUETTE.
SCÈNE VI. Céphise, Béatrix. §
BÉATRIX.
CÉPHISE.
BÉATRIX.
CÉPHISE.
BÉATRIX.
SCÈNE VII. §
CÉPHISE, seule.
SCÈNE VIII. Paquette, Céphise. §
PAQUETTE.
CÉPHISE, à part.
PAQUETTE, poursuit sans voir Céphise.
CÉPHISE, à part.
PAQUETTE, continue.
CÉPHISE, à part.
PAQUETTE, poursuit.
CÉPHISE, à part.
PAQUETTE, voyant qu’elle continue de regarder le portrait qu’elle tient.
CÉPHISE.
PAQUETTE.
CÉPHISE.
PAQUETTE, à part.
CÉPHISE.
PAQUETTE.
CÉPHISE.
PAQUETTE.
SCÈNE IX. §
CÉPHISE, seule.
SCÈNE X. Spadarille, Céphise. §
SPADARILLE.
CÉPHISE.
SPADARILLE.
CÉPHISE.
SCÈNE XI. Lucresse, Paquette. §
LUCRESSE.
PAQUETTE.
LUCRESSE.
PAQUETTE.
LUCRESSE.
SCÈNE XII. §
PAQUETTE, seule.
SCÈNE XIII. Spadarille, Céphise, Paquette. §
CÉPHISE.
SPADARILLE.
CÉPHISE.
SCÈNE XIV. Céphise, Paquette. §
PAQUETTE.
CÉPHISE, à part.
SCÈNE XV. Alcippe, Paquette. §
PAQUETTE.
ALCIPPE, du bout du Théâtre voit en aller Céphise.
PAQUETTE.
ALCIPPE.
PAQUETTE.
ALCIPPE.
PAQUETTE.
ALCIPPE.
PAQUETTE.
ALCIPPE.
PAQUETTE.
ALCIPPE.
PAQUETTE.
ALCIPPE.
PAQUETTE.
ALCIPPE.
PAQUETTE.
ALCIPPE.
PAQUETTE.
ALCIPPE.
PAQUETTE.
ALCIPPE.
PAQUETTE.
ALCIPPE, sans l’écouter.
SCÈNE XVI. §
PAQUETTE, seule.
SCÈNE XVII. Géronte, Alcippe. §
ALCIPPE.
GÉRONTE.
ALCIPPE.
GÉRONTE.
ALCIPPE.
GÉRONTE.
SCÈNE XVIII. Alcippe, Roguespine. §
ROGUESPINE.
ALCIPPE.
ROGUESPINE.
ALCIPPE.
ALCIPPE.
ALCIPPE.
SCÈNE XIX. Alcippe, Rogeuespine, Céphise. §
CÉPHISE.
ROGUESPINE, en tirant son Maître.
ALCIPPE.
CÉPHISE.
ALCIPPE.
CÉPHISE.
ALCIPPE.
SCÈNE XX. Alcippe, Céphise, Roguespine, Paquette. §
PAQUETTE.
ALCIPPE, lui montrant Paquette.
CÉPHISE.
ALCIPPE.
CÉPHISE.
PAQUETTE, à part.
CÉPHISE.
PAQUETTE.
ALCIPPE.
CÉPHISE.
ALCIPPE.
PAQUETTE, à part.
CÉPHISE, faisant deux ou trois pas sans dessein, fait retourner Paquette qui s’approche pour la tuer.
ALCIPPE.
CÉPHISE.
ALCIPPE.
PAQUETTE, à Céphise.
CÉPHISE.
ALCIPPE.
CÉPHISE.
SCÈNE XXI. Céphise, Paquette, Alcippe, Roguespine, Spadarille. §
SPADARILLE.
ALCIPPE.
CÉPHISE.
PAQUETTE, à Spadarille.
ROGUESPINE.
CÉPHISE.
ROGUESPINE.
CÉPHISE.
ROGUESPINE.
CÉPHISE, montrant Paquette.
ROGUESPINE, à Paquette.
CÉPHISE.
PAQUETTE.
SPADARILLE.
PAQUETTE.
ALCIPPE.
ROGUESPINE.
PAQUETTE.
SPADARILLE.
ALCIPPE, à Céphise après avoir parlé bas ensemble.
CÉPHISE.
SCÈNE XXII. Céphise, Paquette, Alcippe, Roguespine, Spadarille, Géronte. §
GÉRONTE.
CÉPHISE.
GÉRONTE.
CÉPHISE.
ALCIPPE.
ROGUESPINE.
SPADARILLE.