LA BALANCE D’ÉTAT
TRAGI-COMÉDIE ALLÉGORIQUE.

M. DC. LII.

H. M. D. M. A.

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À PANTONICE L’INVINCIBLE.

Je ne goûte jamais plus doucement le plaisir du repos, que lors que je m’en prive, pour travailler à ta gloire, ILLUSTRE PANTONICE. Si c’est par la grande habitude, que j’ai à considérer, que tu ne te plais, qu’à t’en priver toi-même, pour le donner à tout le monde; je m’en rapporte à l’idée que cet ouvrage d’un mois, te pourra faire concevoir de mon génie : je t’assure du moins que je suis en possession de te servir sans relâche: et que l’histoire de ta vie héroïque m’a tellement captivé, qu’il me serait beaucoup plus impossible de m’affranchir de cet Illustre engagement, à n’interrompre jamais la continuation de mes veilles; qu’il n’était il y a quelque temps difficile, à Protarque et à Philthemide, de trouver un accès pour entrer dans Charlymin, où nos mauvais destins avaient enchaîné toutes nos félicités, lors que le plus insolent émissaire de leurs fureurs t’y fit arrêter, pour courir plus impunément dans la lice de sa Tyrannie.

Si le seul motif, que je tire de tes vertus, ne m’attachaient à ton parti, le dégagement n’en serait pas si difficile, que je veux que tu le conçoives. Mais l’intérêt qui me rendrait criminel si je te servais par son principe, n’a jamais eu que des souffles impuissants, pour me faire branler; et la réflexion que je fais, qu’en te servant je me récompense de la satisfaction que j’ai de m’employer pour le mérite le plus visible du siècle, me fait regarder toutes les autres espérances, infiniment au dessous des prétentions d’un honnête homme.

Je sais bien que la générosité, qui t’est naturelle, ne t’a point épargné pour faire prodiguer tes faveurs à ceux même qui n’avaient accompagne ta disgrâce qu’avec une apparence d’amitié; et que parmi des ombres d’affection, je pouvais faire paraître des corps et des vérités sans déguisement, pour t’obliger à les reconnaître ; si le dessein de ne t’être connu que par mes services, ne m’eut obstiné, à te faire ignorer mon nom, afin de te faire savoir que les affections désintéressées ne sont pas toujours pour les siècles des Romans.

Je suis encor dans ce sentiment; et cet ouvrage que je ne te fais voir, que sous le voile de l’allégorie; te pourra témoigner que je ne me cache qu’a toi, lors que je veux te faire connaître: et que je me plais dans les ténèbres, pourvu que je puisse contribuer de quelque chose à l’éclat de ta réputation. Et si j’avais ce bonheur que cette poésie peut être reçue des complaisants avec quelque applaudissement, capable de te donner le désir de me voir; je serais encor assez généreux et désintéressée, pour me dérober à cette récompense: par ce qu’outre que je m’en croirai toujours, indigne; je pourrais me reprocher à moi-même, en te servant puis après, que j’agirais plutôt par le motif d’une semblable espérance, que par l’obligation que j’ai de te servir, pour ta seule vertu.

Au reste ne te fâche point, de te voir muet dans un ouvrage qui porte ton nom: si j’avais eu la langue de Platon pour faire parler un demi-dieu, je t’eusse fait prononcer des oracles: mais la crainte de te donner des paroles qui fussent au dessous de tes idées, ne m’a point laissé voir de plus belle place dans toute la Tragi-comédie pour t’y placer, que celle que tes éloges m’ont enseigné dans la bouche de nos héros. Si j’ai manqué, tu ne saurais me blâmer que de n’avoir su mieux faire; et cette impuissance m’est glorieuse par ce qu’elle m’est commune avec tous ceux qui veulent parler de toi. Adieu. C’est le plus véritable, par ce qu’il est le plus désintéressé de tous tes serviteurs.

H.M.D.M.A.

PETIT AVANT-PROPOS. §

Pour plaire à tout le monde, il faudrait être ce que je ne suis point; mais pour ne vouloir point déplaire à personne, je crois qu’il faudrait avoir mes intentions, ou du moins n’en avoir point de pires.

Pour tâcher de ranger les Tragicographes à mon parti dans la passion qu’ils ont de ne quitter jamais l’unité de lieu, de temps, et d’action, jusqu’à la conclusion de leurs poèmes tragiques ou comiques: Ie n’ai peu me mettre à l’abri de leurs reproches, que sous une continuelle allégorie que je n’ai jamais interrompu, comme on verra dans la clef de cet ouvrage: elle est hardie: mais la nécessité de m’en servir, et l’impossibilité de m’en passer, feront mon apologie dans les esprits raisonnables.

Ceux qui savent les particularités des aventures de l’oppression de Pantonice, et de la tyrannie de Pamphage, les pourront voir à loisir dans la continuation de cette allégorie de noms et d’action; et je les supplie très humblement de n’en espérer rien de beau que leur suffrage, s’ils m’en honorent, moins par justice que par la complaisance de leurs bontés.

Nascimur quidem Poëtæ, sed fimus tragici, et Euadimus oratores.

L’INTRIGUE DE L’EMPRISONEMENT et de l’élargissement de Messieurs les Princes. §

Où les curieux verront, dans une perpétuelle allégorie de noms et d’histoire dont on peut voir la clef aux deux derniers cahiers; les causes de cet emprisonnement et de cet élargissement, avec les souplesses qu’on à fait jouer pour faire réussir l’un et l’autre: le tout avec une méthode si agréable que la lecture n’en dut être que fort charmante à ceux qui voudront considérer toutes les postures théâtrales du Mazarin: c’est a dire du faquin d’État, que je produis dans le théâtre sous le titre de Pamphage.

À MONSEIGNEUR LE PRINCE.

MONSEIGNEUR. §

Si votre Altesse eut été capable de craindre un emprisonnement; la Régente et son Ministre n’eussent jamais été assez hardis pour l’entreprendre. Votre générosité fut le motif de leur lâcheté; Votre résolution à ne rien appréhender de leur part, les porta à tout oser contre V.A., et parce qu’ils savaient bien que vous ne vous sentiez complice que du crime de les voir obligés, ils crurent qu’ils pouvaient d’autant plus assurément se de faire de V.A. que moins ils préjugeaient que vous y porteriez de résistance, parce que vous n’étiez coupable que de les avoir généreusement servis. Ce crime prétendu les eut fait idolâtrer après vous, si leur passion n’eut été leur Dieu. Et puisqu’ils ne pouvaient vous condamner d’avoir mal fait qu’en avouant tacitement qu’ils n’avaient point mérité votre faveur, ils devaient savoir qu’en vous poursuivant comme un coupable, ils se faisaient eux même leur procès. Cette action m’a paru si noire que je l’ai jugée digne d’une catastrophe de théâtre, ou j’ai cru que Votre Altesse devait se taire, pour faire indiquer par son silence l’effronterie d’un si lâche attentat: La tragédie n’est pas de ma profession: Mais Votre Altesse aura la bonté de regarder un coup d’essai avec indulgence; et de considérer en cet ouvrage un Orateur travesti en poète par la nécessité de son dessein.

C’est, MONSEIGNEVR, de Votre Altesse, le très humble très obéissant et très fidèle serviteur

H.M.D.M.A.

Explication du sens allégorique des actes, et des scènes de cette tragi-comédie. §

L’explication du premier Acte.

La première scène de cet acte expose les véritables raisons qui portèrent Mazarin au dessein de l’emprisonnement de Messieurs les Princes; les causes pour lesquelles il le fit réussir avec l’étonnement de tout le monde; les moyens dont il se servit pour en venir à bout ; et les prétentions qu’il formait sur l’État en suite de ce coup hardi.

La seconde scène fait voir les fausses couleurs dont Mazarin se servit pour déguiser le visage de Monsieur le Prince, et le rendre en quelque façon redoutable à sa Majesté Régente contre les sentiments de cette incomparable Princesse, qui ne trouvait pas seulement une apparence capable de justifier cette entreprise.

La troisième scène contient les nouvelles des remuements de Normandie et de Bourgogne, qui causèrent le voyage du Roi dans les deux Provinces.

La quatrième scène; les sentiments qu’on avait que Mazarin ne pourrait jamais calmer tant d’orages sans y faire naufrage, et qu’il avait lui-même trouvé le moyen de se perdre.

L’explication de l’Acte second.

La première scène ne contient que la seule lettre de cachet envoyée au Parlement sur le sujet de la détention de Messieurs les Princes.

La seconde scène montre que le Parlement se trouva partagé dans cette conjoncture.

La troisième scène fait voir les sentiments de la France touchant ce silence du Parlement ; et justifie à même temps cette Cour souveraine par l’impuissance qu’elle avait pour résister à la tyrannie de Mazarin, qui ne s’était pas seulement servi d’une déclaration du Roi, de peur que les justes et les généreux de cet aréopage ne s’opposassent à sa vérification.

La scène quatrième expose les sentiments des bons Français qui se résolurent d’entrer dans les partis pour la querelle de Messieurs les Princes.

La cinquième scène déduit les raisons apparentes qu’on avait pour croire que Messieurs de Beaufort et le Coadjuteur étaient Mazarinsv; et les contraires mais véritables pour faire voir qu’ils étaient toujours les mêmes; qu’ils n’avaient interrompu les poursuites de leur inimitié contre lui, que pour résister avec plus de succès à celles de Monsieur le Prince, que l’assassinat commis dans son carrosse, et qu’on leur imputait, avait irrité contre la Fronde.

La sixième scène déduit les véritables desseins que Messieurs de Beaufort et le Coadjuteur avaient de se défaire de Mazarin.

L’explication de l’Acte troisième.

La première scène fait voir que le succès du voyage du Roi en Bourgogne fut honteux à sa Majesté ; et que les véritables Français commencèrent à murmurer de voir l’autorité royale réduite à traiter avec ses sujets.

La seconde scène découvre les véritables sentiments de la Reine touchant cette conjoncture d’affaires.

La troisième scène n’est composée que des feintes entrevues de la fronde et de Mazarin, et des fausses espérances que celui-ci avait d’intéresser les frondeurs à son parti par les allèchements de quelque récompense.

La quatrième scène touche la fonction de Madame la Princesse, des Ducs d’Enghein, de Bouillon et de Marcillac et les Bordelais.

La cinquième scène fait voir le dessein de la Fronde pour se servir de l’absence de Mazarin, afin de gagner son Altesse Royale.

L’explication de l’Acte quatrième.

La première scène montre comme les frondeurs désabusèrent entièrement S.A.R. pendant que Mazarin était en Guyenne.

La seconde scène fait voir la résolution que S.A.R. commença de prendre pour perdre Mazarin, en suite des désordres dont la France était troublée par les menées de cet étranger.

La troisième scène contient les heureuses nouvelles qu’on entendait tous les jours touchant la généreuse résistance des Bordelais.

La quatrième scène fait voir le commencement de l’union de S.A.R. de la Fronde et du Parlement contre Mazarin, en suite du succès de Bordeaux.

La cinquième scène touche le changement des prisons de Messieurs les Princes, la mort de Madame la Princesse Douairière, en suite de quoi S.A.R. fut encore plus que jamais résolu à perdre Mazarin.

La sixième montre la prudence des frondeurs à à ménager sagement cette chaleur du Duc d’Orléans.

L’explication de l’Acte cinquième.

La première scène convainc Mazarin qu’il n’est perdu que par les poursuites de la Fronde.

La seconde scène contient les insolents propos que Mazarin tint à son Altesse Royale lorsqu’elle poursuivait vivement l’élargissement de Messieurs les Princes,

La troisième scène touche le dernier et irrévocable dessein de S.A.R. pour perdre Mazarin et ravoir les Princes.

La quatrième scène contient les poursuites de S.A.R. dans le Parlement, la lettre envoyée par Messieurs les Princes, et l’arrêt porté contre Mazarin.

La cinquième scène fait voir comme Mazarin préoccupa l’exécution de l’arrêt en élargissant Messieurs les Princes, pour tâcher de renouer les affaires par cette dernière ressource; la même scène finit avec la comédie, par la réjouissance que cet élargissement causa à toute la France.

Megafronie ou Altière veut dire Espagne: Semnandre ou personnage illustre de Monsieur de Turenne, Polemandre ou personnage belliqueux, le Duc de Bouillon.

LA CLEF ET L’ETYMOLOGIE DE tous les mots allégoriques de cette tragi-comédie. §

LA BALANCE D’ESTAT, c’est à dire le rehaussement de Monsieur le Prince et l’abaissement de Mazarin.

ANDRIGENE ou qui produit de grands hommes, la France.

BASILON ou Roi, Le Roi Mineur.

PHILARCHIE ou qui aime et soutient la souveraineté, La Reine.

PROTARQVE ou le premier qui commande, Son Altesse Royale.

PANTONICE ou qui surmonte tout et par tout, Monsieur le Prince.

ANDRION ou l’enfant adulte, Monsieur le Duc d’Anguien.

PHILHIMENE ou qui aime et défend son époux, Madame la Princesse.

HEROGENE ou la mère des héros ! feu, Madame la Princesse Douairière.

TECNATINE ou enfant de Minerve armée, Monsieur le Prince de Conty.

PROTERME ou premier arbitre de Paix, Monsieur le Duc de Longueville.

PHILIDEME ou qui aime et qui est aimé du peuple, Monsieur le Duc de Beaufort.

MISTARQVE ou le chef des sacrés et des oints, Monsieur le Coadjuteur.

MONOFTHALME ou qui n’a qu’un oeil, Monsieur de Servient.

TRASSIDULE ou serviteur hardi et courageux, Monsieur de Guitaud.

THEMIDE ou la Justice, Le Parlement de Paris.

MEGALOPLE ou grande ville, Paris.

SELINOPLE ou ville ou Port de Lune, Bordeaux.

DEMOTRACE ou nation hardie, Guyenne.

ARCTODEME ou peuple du Septentrion (car « man » en vieux Gaulois veut dire peuple) Normandie.

ALLOMICE ou qui hait les étrangers, ab insito Burgundis in aduenas odio, dit Paul Æmile ! la Duché de Bourgogne.

EUPHILACHIE ou Belle Garde, Belle Garde,

CHORATELE ou Province exempte de tribut, la Franche-Comté,

ARCHITALASSIE ou intendance des mers, l’Amirauté.

POLEMARCHIE ou intendance des guerres, la Charge de Connétable.

PHILACARISTE ou prison des nobles, le Bois de Vincennes.

TOPODESMON ou lieu de détention, Marcoussis.

CHARLIMIN ou Port de Grâce, le Havre de Grâce.

DYSANGEL ou porteur de mauvaises nouvelles ; Evangel ou porteur de bonnes nouvelles, deux Gentil hommes.

ALBION l’Angleterre.

PAMPHAGE ou qui mange tout, Mazarin.

Cette tragi-comédie contient toute l’Histoire de l’emprisonnement et de la délivrance de Messieurs les Princes et de l’éloignement de Mazarin dans une continuelle Allégorie.

A. M. D. G.

LES ACTEURS. §

  • ANDRIGENE, Reine.
  • PHILARCHIE, intendante souveraine de la maison d’Andrigène.
  • THÉMIDE, intendante souveraine de la Justice d’Andrigène.
  • PROTARQUE, chef du Conseil d’Andrigene, et Lieutenant Général de tous ses États.
  • PHILIDEME, apparemment ami, en effet ennemi de Pamphage, et confident de Protarque.
  • MYSTARQUE, apparemment ami, en effet ennemi de Pamphage, et confident de Protarque.
  • PAMPHAGE, favori de Philarchie.
  • MONOFTHALME, confident de Pamphage.
  • TRASSIDULE, confident de Pamphage.
  • DISANGEL, seigneur de la Cour.
  • EVANGEL, Seigneur de la Cour.
  • Un Gentilhomme.
  • Un page.
La scène est à Mégalople dans la maison royale d’Andrigène.

ACTE I §

SCÈNE PREMIÈRE. Pamphage, Monofthalme, Trassidule. §

PAMPHAGE.

Trassidule il est vrai, tes bras ont raffermi
Mon pouvoir ébranlé par ce grand ennemi !
Ce triple Gérion qui rendait ma puissance,
Dépendante en effet, maîtresse en apparence ;
5 Doit reconnaître enfin, qu’il n’est jamais d’orgueil
Qui ne puisse échouer contre un dernier écueil ;
Et que l’ambition des plus illustres têtes,
Ne peut jamais monter au dessus des tempêtes.
Quelque élevé qu’on soit nos destins ennuyeux,
10 Nous ont toujours soumis à la hauteur des cieux ;
Et quelque grand dessein que nous puissions résoudre
Nous demeurons toujours au dessous de la foudre !
Cet orgueilleux croyait après tant de combats,
Qu’il serait à l’abri du sort et du trépas !
15 Et son ambition secondant son caprice,
Ne lui laissait rien voir si haut que Pantonice.
Sur cette passion qui flattant ses souhaits,
Permettait à son coeur toute sorte d’excès ;
Et qui le séduisant d’une fausse croyance,
20 L’emportait tous les jours à braver ma puissance ;
Il voulait me borner, jusqu’à ne souffrir pas
Que ce qu’ordonnerait son caprice et ses bras ;
Me réduisant ainsi moins en vassal qu’en maître,
De n’avoir de cr2dit que pour le lui soumettre.
25 Ce pouvoir insolent qu’il usurpait sur moi,
Jusqu’à me maîtriser et me donner la loi,
M’a fait enfin goûter qu’il était nécessaire,
Que ma puissance fut maîtresse ou tributaire ;
Et que pour cet effet il fallait hasarder,
30 Le coup qui me ferait servir ou commander.
Le succès a fait voir en perdant l’invincible
Qu’il n’est point de grandeur qui soit inaccessible ;
Et qu’ayant peu monter jusques au plus haut lieu,
Pour y faire éclipser l’éclat d’un demi-dieu !
35 Il faut que tout pouvoir quelque grand qu’il puisse être
Succombe désormais et me révère en maître.

TRASSIDULE.

Je crains plutôt, Seigneur, que Pantonice à bas
Ne vous mette bientôt tous les siens sur les bras !
Comme il n’a succombé que sur cette croyance,
40 Qu’on n’oserait jamais attaquer sa puissance,
Et qu’il était trop grand pour ployer sous les coups
De quiconque en ferait l’objet de son courroux ;
L’honneur de ce succès n’est du qu’au peu d’estime,
Qu’il faisait du pouvoir dont il est la victime !
45 C’est en vous dédaignant qu’il vous a fait vainqueur,
Comme il vous eut vaincu s’il eut eu moins de coeur.
Ainsi vous ne pouvez inscrire cette gloire,
Qu’au mépris qu’il a fait de gagner la Victoire ;
Et l’éclat en revient moins à votre vertu,
50 Qu’au dédain qu’il faisait d’en être combattu.
De vrai si son esprit eût permis à sa crainte,
De donner à son coeur quelque sorte d’atteinte,
L’eussiez vous attaqué s’il eut seulement su,
L’ambitieux dessein que vous aviez conçu !
55 Ou si de ses amis le conseil politique
N’eut trouvé dans son âme un coeur trop héroïque.
Cette réflexion qu’il ne nous est soumis !
Que parce qu’il n’a peu nous craindre en ennemis ;
Me fait appréhender que l’État d’Andrigene !
60 Ne nous fasse pour lui les objets de sa haine ;
Et qu’en nous assurant de son plus ferme appui,
Nous n’ayons ébranlé tout le reste pour lui.

PAMPHAGE.

Tu considères donc ce coup de ma poursuite,
Comme l’heureux effet d’une aveugle conduite,
65 Souviens-toi que j’ai su prudemment concerter
L’affaire que tes bras viennent d’exécuter ;
Et que ma passion n’a point été la guide,
Du dessein résolu pour perdre cet Alcide ;
Je sais que tout l’État eût frémi contre moi,
70 Si je l’eusse entrepris sans en prendre la loi.
Ainsi j’ai fait agir toute ma politique,
Afin de prévenir cette haine publique.
Pour me faciliter un si grand attentat,
J’ai porté Pantonice à choquer tout l’État !
75 Je l’ai fait consentir à la gloire fatale,
D’attaquer avec moi la ville capitale ;
Et par cette action indigne de ses bras,
J’ai flétri tout l’honneur de ses autres combats !
Réduisant son destin au malheur nécessaire,
80 Ou de se hasarder, ou bien de me complaire,
Puis que n’étant tombé dans la haine d’autrui
Que pour me soutenir, en me servant d’appui,
Il ne pouvait périr qu’en choquant ma puissance,
Ni se mettre à l’abri qu’avec sa complaisance !
85 Tous les peuples choquez pour m’avoir soutenu,
Ne le regardaient plus que comme un inconnu,
Qui s’étant oublié de ce qu’il devait être,
Ne les avait forcez, que pour me rendre maître,
Et par même raison les avait dispensés
90 De rendre leurs devoirs à ses bienfaits passés.

MONOFTHALME.

Si le peuple ne hait Pantonice et ses frères
Que pour avoir servi de base à vos misères ;
Vous en êtes l’objet, et cette aversion,
Ne retombe sur lui que par réflexion.
95 Ainsi je me crains fort que cette injuste joie
Qu’il témoigne à l’abord lors qu’il le voit en proie ;
Ne reprenne les traits d’une juste pitié
Par les ressentiments de sa vieille amitié ;
Et qu’ayant relevé ce Prince de sa chute
100 Il ne vous fasse enfin de tous ses traits la butte.
Il sera bien ravi de le voir mal traité
Et de le voir puni pour vous avoir porté ;
Mais son affection réveillant ses tendresses,
Au plus fort des douleurs qu’il soufre en ses détresses ;
105 Vous verrez qu’a la fin il vous fera sentir
Les rigoureux effets d’un juste repentir ;
Et que redemandant l’heur de sa délivrance,
Il s’y disposera par votre décadence,
Prétextant même au soin de ravoir ce héros,
110 Celui de vous chasser pour le commun repos.

PAMPHAGE.

Pour obvier aux maux, dont ta peur me menace,
Et pour me maintenir dans mon illustre place ;
Je n’ai qu’a fomenter cette funeste erreur
Qui fait de Pantonice un objet de terreur ;
115 Le peuple qui le hait sous cette fausse image,
Ne reprendra jamais les traits de son visage ;
Et loin de réveiller sa première amitié
Le croyant sans amour, le verra sans pitié.
Enfin si le caprice à tout peuple ordinaire,
120 Faisait que son retour lui semblât nécessaire ;
Et que pour cet effet il me fallut fléchir,
Sous l’ordre souverain de le faire affranchir ;
Philtemide qui hait ce puissant adversaire,
Par le motif qu’elle a qu’il voulait s’en défaire,
125 Ne manquera jamais de me donner sa foi,
Pour raffermir les siens en s’appuyant de moi.
Enfin dois-je trembler pour toute sa furie
Ayant de mon côté Protarque et Philarchie.

MONOFTHALME.

Philthemide est pour vous, et vous êtes certain,
130 Qu’elle vous doit servir et de coeur et de main ;
Sachez que le respect qu’elle a pour Andrigene,
Lui peut faire épouser son amour et sa haine ;
Et qu’elle ne saurait se déclarer pour vous,
Si le coeur d’Andrigene en peut être jaloux !
135 Andrigene étant donc pour son cher Pantonice,
Philthemide ne peut être votre complice ;
Par le grand soin qu’elle a, de ne branler jamais,
Que par ses mouvements et selon ses souhaits !
Au reste le beau noeud qui liait Philthemide
140 Avec tout le parti de ce second Alcide,
N’ayant été défait que par la passion
Que vous aviez toujours d’en rompre l’union ;
Et la fourbe déjà commençant à paraître,
Lors que de Pantonice on vous a rendu maître ;
145 Je me crains, que l’horreur, que depuis tant de temps
Philthemide avait eu pour tous vos partisans,
Ne renaisse en son coeur d’autant plus dangereuse,
Que plus elle croira se montrer généreuse ;
Et qu’elle ne se doute en voyant d’un revers,
150 Pantonice accablé sous le pois de vos fers
Que votre ambition secondant sa manie,
Lui fera ressentir la même tyrannie,
Quand pour vous raffermir contre un autre malheur,
Vous la ferez servir de base à votre honneur.

PAMPHAGE.

155 Ne combattras tu point l’espérance certaine,
Que j’attends de Protarque et de sa souveraine ?

MONOFTHALME.

Je ne la combattrai que pour la rassurer ;
Et vous dire, Seigneur, qu’il est bon d’espérer !
Mais qu’il est encor mieux, de voir sans assurance
160 Ce qui peut avorter par quelque défiance,
Si Protarque avait pris par inclination,
Le dessein d’appuyer votre protection,
Vous pourriez justement prétendre à l’impossible,
De perdre sous son nom le titre d’invincible !
165 Mais les fausses couleurs dont vous avez dépeint,
Le visage innocent, de ce Prince qu’on plaint,
Pour faire regarder Pantonice en coupable,
Ayant trompé les yeux de cet incomparable,
Je me crains qu’à la fin vous n’ayez pour tout fruit
170 Le mortel déplaisir de l’en avoir séduit ;
Lors que la vérité faisant voir l’innocence,
Viendra désabuser sa première croyance ;
Et que lui repeignant Pantonice et ses traits,
Avec la majesté de ses premiers attraits ;
175 Il se verra réduit au besoin nécessaire
De décharger sur vous l’effort de sa colère ;
Pour se justifier en perdant l’imposteur,
Qui de son procédé sera l’unique auteur,
Voila ce que je crains de tous deux.

PAMPHAGE.

Monofthalme.
180 Si c’est ce que tu crains, c’est ce qui peu m’alarme,
Jouissons du présent, et laissons l’avenir.

MONOFTHALME.

Lorsqu’on voit un danger, il faut le prévenir.

PAMPHAGE.

Souvent, quand on le veut prévenir, on y tombe.

MONOFTHALME.

Et lorsque l’on s’en rit, on voit qu’on y succombe.

PAMPHAGE.

185 En matière d’État trop de précaution,
Marque trop de faiblesse, ou trop d’ambition.
Quiconque veut régner exempt de toute crainte,
Doit savoir le moyen de régner sans contrainte ;
Et l’assuré moyen d’acquérir cette paix,
190 C’est d’espérer toujours, et ne craindre jamais.

MONOFTHALME.

La peur n’est pas toujours lâche, et déraisonnable,
Et souvent un grand coeur en peut être capable.

PAMPHAGE.

La peur ne se nourrit que de divers avis,
Qui demande conseil, semble en être surpris !
195 Ainsi n’en parlons plus ! Mais voila l’Intendante,
Retirez-vous d’ici.

SCÈNE II. Philarchie, Pamphage. §

PHILARCHIE.

Je ne vis que d’attente,
Ou plutôt mon esprit pour s’être abandonné,
Au conseil malheureux que vous m’avez donné,
Entretient mon humeur dans une impatience,
200 Qui m’ôte le repos en m’ôtant l’espérance !
Le bien que j’ai reçu des illustres succès,
Où Pantonice allait secondant mes projets,
Reproche incessamment à mon âme oppressée
Les généreux effets de sa vertu passée,
205 Et ne me permet pas de regarder l’éclat,
Dont ses gestes fameux ont fait briller l’État ;
Sans croire qu’il n’était, ni foudre, ni tempête,
Qui ne dût épargner une si grande tête.
Aussi n’avais-je rien qui me fut tant à coeur ;
210 Que de m’intéresser pour ce noble vainqueur ;
Quand l’avis prétexté d’appuyer ma Couronne,
Suggéra le dessein d’arrêter sa personne !
Et je puis assurer que contre mon désir
On conclut le dessein de le faire saisir.

PAMPHAGE.

215 Dans le dernier péril où son humeur hautaine
Allait précipitant le trône d’Andrigene ;
Il fallait ou quitter le timon de l’État,
Ou prendre le dessein de ce noble attentat !
Si son ambition eût eu quelque limite,
220 S’il eût laissé briguer pour lui, son seul mérite,
S’il se fut contenté de monter en un rang
Où devaient l’élever ses vertus et son sang !
Enfin s’il n’eut voulu pour placer sa personne,
Qu’un lieu qu’on eût jugé plus bas que la Couronne ;
225 Madame je consens qu’après ce qu’il a fait
Il était important qu’il en fut satisfait
Mais loin de contenter l’excès de son caprice
De ce qu’ordonneraient les Lois et la Justice ;
Ne prétendait-il pas, contre toute équité,
230 Qu’on ne se règlerait que sur sa volonté !
S’il cessait de prétendre à l’Architalassie,
Il étendait ses droits à la Polemarchie ;
Encor loin de borner ses dangereux projets,
Au soin extravagant d’avoir eu ces souhaits,
235 Pour comble des excès où l’emportait son zèle,
Il voulait, pour régner, subjuguer Choratele ;
Afin qu’établissant un pouvoir souverain,
Sur les droits affranchis de ce peuple hautain,
Il se mit en état d’avoir une puissance
240 Où son ambition fut dans l’indépendance,
Et format le dessein de bâtir sous sa loi
Une grandeur qui fit ombre à celle du Roi.

PHILARCHIE.

Je devais pour le moins un peu de complaisance
Non moins à sa valeur qu’à ma reconnaissance
245 Ses services passés avaient bien mérité
Ou qu’on lui pardonnât quelque témérité
Ou qu’on le secondât dans les justes poursuites ;
Qu’il faisait pour avoir le prix de ses mérites.

PAMPHAGE.

Si ce Prince a bien fait il a fait son devoir,
250 Ses progrès n’ont servi qu’à former son pouvoir
A le rendre plus fort et d’autant plus à craindre,
Qu’il était en état de pouvoir tout enfreindre.
J’approuve les raisons qui suspendent les mains,
Et qui font balancer les bras des souverains,
255 Avant que leur rigueur secondant leur caprice,
Ne leur ait fait porter des arrêts sans Justice !
Mais lors qu’un généreux prétend que ses souhaits,
Ne saurait plus passer du devoir à l’excès ;
Qu’il peut tout demander, et qu’il peut faire un crime
260 Ou d’un simple refus ou d’un défaut d’estime,
Si cet ambitieux avoisine le sang,
On doit appréhender qu’il n’en brigue le rang ;
Et c’est ne savoir pas régner en assurance
Que d’attendre l’effet voyant son apparence.

PHILARCHIE.

265 Pour agir de la sorte il serait de besoin,
Qu’on eut beaucoup de force, et qu’on eut peu de soin.
Les bras entreprenants ont beaucoup d’imprudence,
Si leur ambition surpasse leur puissance,
Et nous voyons souvent au milieu des succès,
270 Avorter les desseins tombez dans cet excès !
Si j’occupe aujourd’hui le trône en Souveraine
Je m’y sieds presque plus en vassale qu’en Reine ;
Et la crainte que j’ai de le faire trembler
En brassant des desseins qui pourraient l’ébranler,
275 M’empêche d’attenter à ces coups redoutables,
Que je tiens ses écueils les plus inévitables.
Le Sceptre est impuissant dans les mains de Mineurs,
La Couronne sur eux branle à tous les malheurs,
Et les temps ont fait voir que ces Illustres têtes,
280 Ont trouvé des écueils dans de moindres tempêtes.
Ainsi loin d’exciter quelque grand mouvement
Par le dessein hardi d’un emprisonnement,
Je crois qu’il était mieux de couler avec feinte,
Que de se voir réduit de régner avec crainte.

PAMPHAGE.

285 Madame votre peur n’a d’autre fondement
Que celui qu’elle prend de votre étonnement !
En faisant arrêter Pantonice et ses frères
Vous avez affermi l’État de vos affaires !
Tout branlait, rien ne branle, et le trône et l’État
290 Reprennent à ce coup leur paix et leur éclat.
Triomphez en repos, jouissez avec joie
Du bonheur éclatant que le Ciel vous envoie ;
Et tenez pour certain après ce coup fatal,
Qu’on règne en Souverain quand on est sans rival.

PHILARCHIE.

295 Vous promettez beaucoup mais je crains le contraire !
Cet illustre Captif m’était trop nécessaire ;
Je reconnais déjà qu’une absence d’un jour,
Porte la solitude et déserte ma Cour !
Arctodeme, Allomice et ses autres Princesses,
300 Dont presqu’à tous moments je prenais les caresses,
Ne se présentent plus, et j’appréhende fort,
Que ce coup ne les porte à faire quelque effort !
Mais que veut Disangel.

SCÈNE III. Philarchie, Disangel, Pamphage. §

DISANGEL.

Arctodeme, Madame
Jointe avec Allomice.

PHILARCHIE.

Ah je tremble dans l’âme,
305 Ne le disais-je pas ? Qu’est-ce ?

DISANGEL.

Sont sur le point
Avec tout le parti du Prince qui s’est joint,
De faire bande à part ! Mais sur tout Allomice,
Cherche tous les moyens d’élargir Pantonice.

PHILARCHIE.

Quel funeste rapport,

DISANGEL.

L’affaire est en état
310 Si vous ne l’empêchez, de faire grand éclat ;
Et déjà les complots faits pour cette cabale,
Ont divisé les grands de la maison royale !
Andrigene qui va courant de toutes parts
Pour les faire enrôler dessous ses étendards,
315 Proteste qu’on n’en veut qu’à sa seule personne,
Puis qu’on a renversé l’appui de sa Couronne ;
Ainsi pour obvier à quelque grand affront,
Je crois qu’il est besoin d’un remède bien prompt ;
Et de n’attendre pas qu’un succès plus notable,
320 Fasse empirer le mal pour le rendre incurable.

PHILARCHIE.

N’ai-je pas deviné ?

PAMPHAGE.

Madame, ces beaux coups
Comme ils sont glorieux, font toujours des jaloux,
L’orage n’est pas grand, et toute la tempête,
Si vous le désirez, crèvera sur leur tête,
325 Tout ce parti se fait plus par raison d’État,
Que par aucune horreur qu’on ait de l’attentat !
Et tel s’est engagé peut être dans l’affaire,
Qui veut s’en dégager afin de vous complaire,
Ainsi tous leurs complots ne tendent qu’à ce point,
330 De servir Pantonice, et ne vous choquer point !
Il est vrai que je crois que l’esprit d’Andrigene
Pour le désabuser, donnera plus de peine,
Mais laissez m’en le soin !

PHILARCHIE.

C’est aussi par vos bras
Que je veux démêler tout ce grand embarras.

SCÈNE IV. §

DISANGEL.

335 Je te crois bon esprit, Pamphage, mais je pense
Que tu verras ici l’écueil de ta puissance,
Et que de tes destins, l’admirable dessein
N’ayant pu par autrui, te perdra par ta main !
Les vapeurs de ta bille ont grossi la tempête,
340 Que je vois sur le point de crever sur ta tête ;
Et j’espère qu’enfin par tes propres complots,
Tu nous rendras toi-même en t’ôtant le repos !
Il fallait attenter à ce coup redoutable,
Pour te rendre plus grand, plus libre, et plus coupable ;
345 Et nous faire pencher par ce triple motif,
De te voir plus méchant, plus grand et moins captif,
A prendre le dessein de courre à force ouverte,
Pour hâter promptement le besoin de ta perte,
Puis qu’étant plus méchant, et plus grand que jamais,
350 Tu n’appuies que trop nos bras et nos souhaits ;
Ceux là par la raison, qu’après cette entreprise,
T’étant plus agrandi, tu donne plus de prise,
Ceux-ci par le motif que nous pouvons avoir,
De perdre un malheureux qui sort de son devoir ;
355 Ainsi de tous côtés pour ce grand sacrifice,
Nos bras et nos souhaits n’ont que trop de justice !
Oui je te le promets, fallut-il me risquer,
À subir les périls qu’on trouve à te choquer,
Semnandre le hardi sera le Capitaine,
360 Sous lequel je m’en vais te déclarer ma haine.

ACTE II §

SCÈNE I. Thémide, Pamphage. §

PAMPHAGE.

Vous savez à quel point de fureur et d’excès
Peut monter un esprit enflé de ses succès !
Comme l’ambition éblouit son courage,
En lui pochant les yeux, elle augmente sa rage ;
365 Et lui fait aspirer à tout ce qu’elle veut,
Sans même le borner à vouloir ce qu’il peut ;
Le transportant ainsi jusqu’au malheur extrême,
De ne vouloir jamais obéir qu’à soi-même,
Et de traiter tout joug, même le souverain,
370 Ou de séditieux, ou d’injuste, ou de vain !
C’est cette opinion à laquelle un caprice,
Avait fait aheurter l’esprit de Pantonice ;
1
Lorsque lui dépeignant tant d’Illustres combats,
Où l’Europe avait vu triompher ses deux bras,
375 Ce mauvais conseiller lui suggérait dans l’âme,
Que vivre en dépendant était vivre en infâme ;
Que s’il était sujet apparemment, ou non,
Il fallait en effet n’en avoir que le nom,
Et disposer si bien de la toute-puissance,
380 Qu’il n’eût, de serviteur, que la seule apparence !
Ce principe insolent où son ambition
Allait tout soumettant à sa discrétion,
Lui faisait regarder le rang de Philarchie,
Comme un faîte éclatant sujet à sa furie,
385 Dont le moindre dédain de s’y savoir soumis
La pourrait débusquer aussi bien que son fils !
Si les raisons d’État fatales à sa brigue,
L’obligeaient quelquefois d’en choquer les intrigues,
Et de vrai le mépris qu’il faisait d’obéir,
390 À moins qu’on ne permît qu’il pût tout envahir,
Réduisait le pouvoir de notre souveraine,
À suivre pour régner son amour et sa haine,
Et ne branler jamais que selon ses souhaits,
Pour conserver sans bruit et le sceptre et la paix.
395 Ces faîtes de grandeur dont sa maison éclate,
Ce pouvoir infini dont son parti le flatte ;
Ses charges, ses emplois ne sont que des faveurs,
Qu’il doit à l’équité bien moins qu’à ses fureurs ;
Et qu’on pourrait nommer les éclatantes marques,
400 Du manque de respect qu’il a pour ses monarques.
La rigueur de l’État qui ne va lentement,
Que pour frapper, et mieux, et plus assurément,
A suspendu longtemps le coup dont sa justice,
Menaçait d’abaisser l’orgueil de Pantonice,
405 Jusqu’à ce qu’abusant de son autorité,
Qu’il augmentait toujours par son impunité,
Il a forcé son bras de ne plus le suspendre,
Puisqu’il croyait toujours avoir droit de prétendre.
Tecnatine et Proterme ayant su les complots,
410 Que leur frère brassait contre notre repos,
Ont été condamnés comme étant ses complices,
À subir les rigueurs de ses mêmes supplices.
Voilà ce qu’on a crû qu’il fallait que par moi,
Vous sussiez aujourd’hui des volontés du Roi.
415 Disposez-vous aussi d’en instruire Andrigene.

SCÈNE II. §

THÉMIDE.

Que ce coup me surprend, qu’il me donne de peine ?
Mon esprit divisé d’un double sentiment,
Condamne Pantonice et l’absout promptement !
Sa valeur paraissant aimable et redoutable,
420 Le montre à même temps innocent et coupable ;
Elle me le fait voir sous des traits si divers,
Que je le juge digne et du trône et des fers ;
Et ne pouvant souffrir qu’on blâme sa conduite,
Je ne puis endurer qu’on vante son mérite.
425 Ainsi de quelque part que je jette mes yeux,
Ou sur ses partisans, ou sur ses envieux,
Je trouve également de l’excès et du crime,
Et sur ce qu’on le blâme, et sur ce qu’on l’estime.
Pamphage qui le peint avec mille couleurs,
430 Qu’il emprunte du droit moins que de ses malheurs,
Ne peut en déguiser assez bien le visage
Pour l’ôter à mon coeur, et laisser à ma rage.
Et ces deux sentiments ainsi si partagés,
Par les divers motifs qui les ont engagés,
435 Rendent également ce prince sous la chaîne,
L’objet de mon amour et l’objet de ma haine.
Voilà tout ce que peut en cet état mon coeur,
Pour obliger les deux, le pris et le preneur !
Cependant que le temps éventant mon intrigue,
440 Me fera déclarer pour l’une ou l’autre brigue.

SCÈNE III. Andrigene, Thémide. §

THÉMIDE.

Madame !

ANDRIGENE.

Rendez-moi celui qui de mon nom,
N’a pas moins étendu le bruit que le renom.
Rendez-moi ce grand coeur dont la seule vaillance,
A raffermi mes droits et porté ma puissance ;
445 Rendez-moi le vainqueur de tous mes ennemis ;
Rendez-moi le César de ceux que j’ai soumis !
Oui rendez-le, et s’il faut que ma maison périsse,
Risques-là je le veux, pour ravoir Pantonice.

THÉMIDE.

Madame, le pouvoir qui tient sa liberté,
450 Sous les droits souverains de son autorité,
A cru que la douceur n’étant plus qu’impuissante,
Pour tâcher de borner son âme entreprenante,
Il fallait hasarder cet illustre attentat,
Afin de redonner la paix à votre État !
455 Et vivre désormais sans crainte des alarmes,
Où l’on était toujours par la peur de ses armes.
Voilà ce qu’on a cru qu’il fallait que par moi
Vous sussiez aujourd’hui des volontés du Roi.

ANDRIGENE.

Des volontés du Roi ? Quoi les jugez-vous telles ?

THÉMIDE.

460 Je dis ce qu’on m’a dit.

ANDRIGENE.

Volontés criminelles,
Puisqu’en voulant ôter l’auteur de mon éclat,
Elles choquent le Roi, ma maison et l’État !
Volontés qui ne sont que les effets sinistres,
Et du plus insolent et plus fier des ministres !
465 Volontés que je prends pour les avant-coureurs,
De mille événements, et de mille malheurs ;
Volontés qui seront (si le ciel m’abandonne)
Pour ébranler bientôt mon trône et ma couronne !
Volontés, où l’Enfer pour braver mes desseins,
470 A porté le conseil de mes mauvais destins !
Et puis vous me direz pour accabler ma joie,
Qui sera désormais à tous les maux en proie,
Voilà ce qu’on a crû qu’il fallait que par moi
Vous sussiez aujourd’hui des volontés du Roi.
475 Dites, dites plutôt sans déguiser leur rage,
Voilà les volontés du malheureux Pamphage.

THÉMIDE.

Je dis ce qu’on m’a dit.

ANDRIGENE.

Mais ne savez-vous pas,
Quel est votre pouvoir ? Quel celui de ses bras ?
S’il ajuste le sien aux lois de la justice,
480 Vous devez procurer que l’on m’en avertisse !
Et puisque vous savez que vous n’êtes chez moi,
Que pour vérifier les volontés du Roi,
Pourquoi m’annoncez-vous des volontés injustes
Sous le titre innocent des volontés augustes ?

THÉMIDE.

485 Madame, mon pouvoir est à présent réduit,
À dire aveuglement tout ce qu’on me prescrit ;
Depuis que dans l’État cet insolent corsaire,
A pu par sa faveur se rendre nécessaire,
Depuis qu’on ne dépend que de sa seule loi,
490 On ne me porte plus les volontés du Roi,
Pour les vérifier, mais pour vous les déduire ;
Pour dire ce qu’il faut, mais ce qu’on me fait dire !
Si je parle autrement on dit que d’Albion,
J’imite et l’insolence et son ambition ;
495 Et qu’insensiblement on voit mon arrogance,
Attenter sur les droits de la toute-Puissance.

ANDRIGENE.

Ah ! ne permettez point qu’un coquin travesti,
Fasse si noblement triompher son parti,
Faites de ses desseins avorter les intrigues,
500 Par la désunion de ses funestes ligues ;
Et remettant ainsi votre droit ébranlé,
Dans le premier état dont il s’est ravalé,
Pour un premier essai de ce coup de justice,
En vous rétablissant remettez Pantonice.

THÉMIDE.

505 Je le répète encor ! Mon pouvoir est réduit
À taire ce qu’on fait, et faire ce qu’on dit !
Si je fais trébucher les poids de mes balances,
C’est moins selon le droit qu’en faveur des puissances !
Ce cyclope étranger dont l’esprit intrigueur,
2
510 Dispose de vos lois au gré de sa rigueur ;
S’est rendu si puissant, même dedans moi-même,
Que je ne puis du tout aimer que ce qu’il aime ;
Et de mes sentiments qu’il a tous partagés,
Ceux qui sont pour autrui sont les moins engagés.
515 S’il s’en trouve quelqu’un qui dans ce grand divorce,
Ait pour vos intérêts encor assez de force ;
Mille autres corrompus le rangent à leur voix,
Ou rendent son suffrage inutile, et sans poids !
Et je me vois réduite à ce malheur extrême,
520 Qu’un crime malgré moi s’élevant dans moi-même ;
Sous l’injuste rigueur de deux divers combats,
Je veux à même temps ce que je ne veux pas !
Et ne puis consentir même à ce que j’estime
Que l’équité du droit me fait voir légitime.
525 Ainsi voyant l’état où mon bras est réduit,
De ne décider rien que ce qu’on lui lui prescrit,
Si vous voulez par moi rétablir Pantonice,
Rendez-moi le pouvoir de rendre la justice.

SCÈNE I.. §

ANDRIGENE.

On ne juge donc plus qu’au gré de ses souhaits,
530 Ses seules volontés président au Palais !
Il est donc l’intendant de toute ma justice,
Il règle mon État, il règle ma police ;
Il est le Souverain, et ne laisse à mon Roi,
Que le titre apparent d’arbitre de la loi !
535 Tout relève de lui, tout est dans son servage,
Les grands et les petits lui rendent leur hommage !
Tout tremble sous sa main et moi-même je crains,
La rigueur de ses lois lorsque je les enfreins !
Ah ! C’est trop endurer, c’est trop être captive,
540 Et c’est trop se passer du bien dont il me prive !
Justes Cieux qui pouvez nous rendre triomphants,
Armez-moi de fureur, armez-en mes enfants ;
Secondez le dessein que m’inspire ma rage,
Pour secouer le joug du malheureux Pamphage !
545 Et ne permettez point qu’Andrigene et les siens,
Succombent sous le poids de ses honteux liens !
Puisque pour élargir mon brave Pantonice,
Je dois premièrement affranchir ma Justice ;
Est-il de généreux qui ne soit point ravi,
550 D’affaiblir un pouvoir qui le tient asservi,
Et de se redimer du honteux esclavage,
3
Qui captive les bras de ce grand Personnage !
Non, non, je reconnais l’humeur de mes enfants,
Je sais qu’ils ne sont pas moins libres que vaillants ;
555 Et qu’au premier éclat que la voix de leur mère
Fera pour les porter au soin de cet affaire ;
On les verra d’abord courir de toutes parts
Pour venir s’enrôler dessous mes étendards,
Enfin Pamphage, il faut ou bien que je périsse,
560 Ou bien toi, pour ravoir mon brave Pantonice !
Mais n’aperçois-je pas mes plus fermes appuis,
Et les consolateurs de mes plus grands ennuis ?
Il faut les éprouver.

SCÈNE V. Andrigene, Phildeme, Mystarque. §

PHILIDEME.

Nous fuyez-vous Madame.

ANDRIGENE.

Allez, allez vous-en courtiser un infâme,
565 Allez prostituer ce respect suborneur,
À celui qui trahit ma gloire et mon bonheur,
Je ne vous connais plus que comme des rebelles,
Que le seul intérêt jette dans les querelles,
Et qui loin de régler vos projets et vos voeux,
570 Sur les lois d’un principe, et grand et généreux ;
N’avez pour tout motif que cette ardeur commune,
D’asseoir les fondements d’une haute fortune.

MYSTARQUE.

Madame, entrez donc mieux dedans nos sentiments ;
Reconnaissez nos coeurs et tous leurs mouvements ;
575 Et ne nous blâmez pas du moins sans nous entendre.

ANDRIGENE.

Qu’espérez-vous de moi, que pouvez-vous prétendre ?
Je ne me repais plus de ces éclats trompeurs,
Qui sous un beau semblant cachent de mauvais coeurs !
Vos effets m’ont instruite à régler ma croyance,
580 Sur tout ce qui serait contraire à l’apparence ;
Et je vois maintenant que pour en juger bien,
Il faut écouter tout et n’en attendre rien.

PHILIDEME.

Madame, vous savez par les effets contraires !

ANDRIGENE.

En poussant mes desseins vous faisiez vos affaires ;
585 Ne me reprochez plus que dans cet attentat,
Que Pamphage entreprit pour braver mon État,
Vous fîtes avorter par un succès sinistre,
Le dessein insolent de ce mauvais Ministre !
Je sais que l’un et l’autre également jaloux,
590 De choquer un pouvoir qui s’en prenait à tous,
Fit paraître pour lors une éclatante marque,
Du zèle qu’il avait pour servir son monarque !
Mais le temps a fait voir que la nécessité,
D’affranchir tout l’éclat de votre liberté,
595 Était le seul motif qui vous fit entreprendre,
L’honneur de vous venger, non pas de me défendre !
Et que mes intérêts n’entraient dans vos esprits,
Qu’afin d’y colorer ceux que vous aviez pris.

PHILIDEME.

Ce discours nous surprend autant qu’il nous étonne.

ANDRIGENE.

600 Si par le seul motif d’appuyer ma Couronne,
Votre zèle vainqueur eût entrepris le soin ;
De venir m’assister à ce pressant besoin,
N’eussiez vous point frémi lorsque pour vous remettre
Avec cet assassin, ce voleur et ce traître,
605 Vous avez conspiré lâchement au dessein
De venir m’arracher Pantonice du sein.

MYSTARQUE.

Madame.

ANDRIGENE.

Je le sais.

MYSTARQUE.

Voulez-vous sans défense,
Irriter votre esprit contre notre innocence.

ANDRIGENE.

Parlez ! Mais gardez-vous de me déguiser rien,
610 Dites sincèrement et le mal et le bien.

MYSTARQUE.

Madame la raison qui fonde en apparence
L’infidèle soupçon de cette défiance,
Et qui nous fait passer dans votre sentiment
Pour les auteurs secrets de l’emprisonnement,
615 N’est rien qu’un pur effet tiré par conjecture,
Des désordres du temps et de leur conjoncture,
Après que par nos soins Pamphage surmonté,
Ne vit plus de ressource à son espoir dompté,
Et que sa passion à son honneur fatale,
620 Eût enfin échoué contre la Capitale ;
Ces troubles intestins heureusement conclus
Au gré des triomphants comme au gré des vaincus,
Donnèrent le dessein après tant de divorces,
De conspirer pour vous avec toutes leurs forces !
625 Et de se réunir pour vivre désormais
Dans la tranquillité d’une profonde paix !
Pamphage se doutant que sa haute fortune,
Serait pour s’écrouler dans cette paix commune ;
Et que cette union qui régnait parmi nous,
630 Ne pourrait subsister sans faire des jaloux ;
S’imagina dès lors que sa grandeur troublée
Étant et la plus haute et la plus ébranlée,
Serait et pour servir de butte à tous leurs traits,
Et pour les diriger par ses charmants attraits,
635 S’il ne préoccupait par quelque coup d’intrigue,
Les dangereux effets qu’il craignait de leur ligue !
Vous savez le dessein que ce lâche intrigueur,
Entreprit pour vous perdre et nous perdre d’honneur
Lorsque prévoyant bien que notre intelligence,
640 Serait assurément l’écueil de sa puissance,
Il nous divisa tous pour nous rendre moins forts,
Et nous faire périr par nos propres efforts,
En effet les couleurs dont l’effet de sa rage
Déguisait tous les jours notre innocent visage,
645 Les crimes supposés dont ce maître imposteur,
Chargeait secrètement nos mains et notre coeur ;
Causèrent le soupçon que du moins Pantonice,
Pouvait apparemment fonder sur la justice,
Lors qu’ayant renvoyé son carrosse chez soi,
650 Pour en éprouver mieux la créance et la foi ;
Il sut le lendemain que des gens de carnage,
Qu’on avait aposté pour l’attendre au passage ;
4
Avaient effrontément sur un de ses valets,
Fait décharger les feux de quelques pistolets ;
655 Ayant cru que c’était du sang de cet Alcide
Qu’ils allaient assouvir la soif de Philthemide !
Pantonice à ces mots saisi d’étonnement
Croyant et l’imposture et le crime évident,
Ne laisse plus douter à son âme ravie,
660 Qu’on n’ait eu le dessein d’attenter à sa vie.
Il s’emporte, il attaque, il nous oblige tous,
De nous mettre en défense en repoussant ses coups ;
Quoiqu’avec le dessein de lui faire connaître
Les succès triomphants des complots de ce traître,
665 Après quelques chaleurs que les premiers transports,
Avaient fait exhaler en mille vains efforts ;
Comme la trahison commençait à paraître,
Au travers des clartés que nous y faisions naître ;
Pantonice éclairé reconnaissant l’erreur,
670 Où l’avait fait tomber cet esprit suborneur ;
Était presqu’en état voyant notre innocence
De rentrer avec nous en bonne intelligence ;
Lorsque ce scélérat prévoyant le danger,
Où la réunion le devait engager,
675 Préoccupe ce coup fatal à ses affaires,
En faisant arrêter Pantonice et ses frères.
Madame sur cela faites notre procès.

ANDRIGENE.

Je consens avec vous que ce fatal succès,
Ne vous est imputé que par la conjecture,
680 Qu’on croit pouvoir tirer de cette conjoncture.
Mais enfin pouvez vous démentir ce qu’on dit.

MYSTARQUE.

Quoi ?

ANDRIGENE.

Vous vous en doutez.

MYSTARQUE.

Si c’est encor un bruit,

ANDRIGENE.

C’est un bruit, mais fondé sur quelque vraisemblance,
Et qui du moins n’est pas contraire à l’apparence.

MYSTARQUE.

685 Ce discours nous surprend.

ANDRIGENE.

N’êtes-vous point remis,
En bonne intelligence avec mes ennemis ?
Estes-vous en dessein de nier que Pamphage,
N’ait triomphé de vous, et de votre courage ?
Enfin vous l’avez vu.

PHILIDEME.

Nous l’avons vu, de fait ;
690 Mais nous ne l’avons vu que pour notre intérêt !
Et c’est par ce motif que je me justifie
De l’amour prétendu, duquel on se défie.
Pendant qu’après le coup de cet assassinat,
On nous allait traiter en criminels d’État,
695 Et que de tous côtés on voyait Pantonice
Intéresser pour lui les bras de la Justice ;
Nous avons aussi crû qu’il était à propos,
De nous mettre à l’abri des traits de ce héros.
Que même avec honneur pendant ce grand orage,
700 Nous pouvions nous couvrir du pouvoir de Pamphage.
Je sais que les faveurs de ce tyran jaloux,
Portaient également et Pantonice et nous ;
Qu’il ne favorisait ses desseins et les nôtres,
Que pour nous désunir les uns d’avec les autres ;
705 Et qu’il ne voulait point, nous voyant en danger,
Ni nous en garantir, ni nous y voir plonger,
Afin d’avoir loisir pendant notre défense,
De se fortifier avec plus d’assurance !
Et de se raffermir dans son superbe rang,
710 En nous faisant choquer par les Princes du Sang
Pendant que, balançant son amour et sa haine,
Il en rendrait toujours la poursuite incertaine.
Mais quoi que sa faveur ne nous ait jamais mis,
Ni parmi les vainqueurs, ni parmi les soumis,
715 Il était toutefois de notre politique
De ne rejeter point ce pouvoir tyrannique,
Qui nous mettait du moins à l’abri du danger,
Quoi qu’il fut sans dessein de nous en dégager.

ANDRIGENE.

Si vous n’avez donc vu le malheureux Pamphage,
720 Que par le seul motif d’en tirer avantage,
Et de l’intéresser, pour vous couvrir des coups,
Que vous appréhendiez d’un illustre courroux !
Étant hors de danger vous n’avez plus d’attache,
Qui vous puisse engager au parti de ce lâche,
725 Secondez donc mes voeux.

PHILIDEME.

Madame, commandez.

ANDRIGENE.

Je suis au désespoir si vous ne le perdez,
Et si pour élargir mon brave Pantonice,
Vous ne sacrifiez ce Monstre à ma Justice !

PHILIDEME.

Madame, le motif que vous nous en donnez,
730 Par le simple désir que vous en témoignez,
Nous fera rechercher le repos et la joie
Dans le juste dessein de vous le mettre en proie.
Mais pour ce grand succès, permettez qu’à son tour,
Nous fassions contre lui combattre notre amour.
735 Et sans vous étonner de voir la complaisance,
Que nous témoignerons encor à sa puissance !
Tenez pour tout certain que notre affection,
En viendra mieux à bout que notre aversion,
Et qu’en étudiant les soins de lui complaire,
740 Nous saurons bien trouver l’heur de vous en défaire.
C’est le fortifier que d’aller contre lui,
Pendant qu’il se soutient sur un si ferme appui,
Et que l’autorité de notre souveraine,
Peut en le défendant, condamner notre haine !
745 Mais si nous l’attaquons avec ce beau semblant,
De vouloir affermir son pouvoir chancelant,
Loin d’en appréhender la secrète entreprise,
Il donnera plutôt lui-même plus de prise,
Et nous le ferons choir sans crainte d’encourir
5
750 Les disgrâces du bras, qui peut le secourir.

ANDRIGENE.

Votre dessein me plaît, j’en juge la conduite,
Et digne de vos bras, et de votre poursuite,
Poussez-le jusqu’au bout, et c’est à ce succès,
Que je me règlerai pour faire son procès.

SCÈNE VI. Philideme, Mystarque. §

PHILIDEME.

755 Tout est entre nos mains et c’est par notre haine
Qu’on peut perdre Pamphage et sauver Andrigene.
Le dessein est hardi ! Mais il est à propos
Que nous le poursuivions pour le commun repos !
Et que nos intérêts soumis à notre gloire,
760 Ne nous empêchent point d’en presser la victoire.

MYSTARQUE.

Ne précipitons rien, il sera toujours temps
De perdre à notre gré Pamphage et ses agents !
Observons à loisir, pour juger sans méprise,
La pante que l’État prendra dans cette crise.
765 Et nous établirons puis après nos avis,
Sur les réflexions que nous en aurons pris.
Vous savez qu’Arctodeme et la noble Alomice,
Soutiennent le parti du vaillant Pantonice,
Et qu’on dit constamment que Pamphage et les siens,
770 Seront enfin contraints de briser ses liens,
S’ils ne font triompher leur force et leur adresses
De l’esprit mutiné de ces grandes Princesses,
Attendons en la fin et sur l’événement
Nous jugerons, et mieux, et plus assurément.

ACTE III §

SCÈNE I. Andrigene, Pamphage. §

ANDRIGENE.

775 Oui sachez que ces feux que vous venez d’éteindre,
Loin de me rassurer me font encor plus craindre,
On m’a toujours appris qu’un calme si soudain
Ne peut comme il est prompt qu’il ne soit incertain !
Les choses qui se font avec tant de vitesse,
780 Ont moins de fermeté qu’elles n’ont de faiblesse !
Ainsi ne croyez pas que ce trouble arrêté
Me rende le repos que vous m’avez ôté.

PAMPHAGE.

Il est toutefois vrai que sans beaucoup de peine
L’une et l’autre a ployé sous notre souveraine,
785 Et que sans point d’effort ses ordres triomphants,
Ont été respectez parmi tous leurs enfants.
Je croyais bien d’abord qu’Arctodeme affranchie,
Ne succomberait point au gré de Philarchie ;
Et qu’il faudrait enfin que son autorité,
790 En vint, pour la ranger à quelque extrémité ;
Mais elle a témoigné, résistant avec feinte ;
Et ployant sous nos lois sans beaucoup de contrainte ;
Que son dessein n’était que de nous faire voir,
Le peu que de ses bras exigeait son devoir !
795 Et qu’afin de montrer en faisant un peu ferme,
Comme elle était sensible au malheur de Proterme,
Il fallait opposer un effort sans danger,
Afin de le servir sans nous désobliger.
Allomice, il est vrai, nous a fait plus attendre,
800 Avant qu’elle ait conclu le dessein de se rendre !
Et les premiers défis qu’elle a fait à l’abord,
Nous faisaient soupçonner un vigoureux effort ;
Mais enfin nous l’avions entièrement fléchie,
N’eut été le conseil de son Euphilachie ;
805 Laquelle s’obstinant à ne consentir pas,
Qu’elle nous reconnût avant quelque combats,
A porter sa raison, avec son artifice,
A choquer tout l’État pour servir Pantonice !
Mais nous avons rompu cet impuissant effort,
810 Et nous l’avons soumise.

ANDRIGENE.

Oui, mais c’est par accord,
Et n’ayant jamais peu par force la soumettre ;
Il a fallu traiter pour vous en rendre maître.
C’est ce que vous taisiez.

PAMPHAGE.

Et que j’ai toujours cru,
Indigne d’être dit bien plus que d’être tu !
815 Puis que de quelque part que vienne la victoire,
Elle traîne toujours à sa suite la gloire,
Et le laurier cueilli sans épandre du sang,
Mérite à son vainqueur un plus superbe rang ;

ANDRIGENE.

Ne me déguisez pas d’une belle apparence,
820 La gloire d’un succès honteux à ma puissance,
Qui traite avec autrui le traite de rival,
Et monstre en composant qu’il le croit son égal.
Et si par vos complots l’autorité royale,
Est réduite à traiter sa sujette d’égale,
825 Jugez si ce succès quoi que victorieux
Procédant d’un traité peut m’être glorieux ;
Mais ne rengregeons pas la douleur qui m’en reste,
6
Par le triste récit de son succès funeste,
Terminons tous nos soins à prévoir le malheur ;
830 Qui pourra désormais traverser mon bonheur.

PAMPHAGE.

Votre calme est remis avec tant d’avantage,
Qu’il n’est seulement pas capable d’un orage ;
Ces esprits mutinez que la rébellion,
Avait fait révolter contre votre union ;
835 Sont maintenant réduits après tant de corvées
De soumettre à vos lois leurs têtes soulevées !
Tellement qu’après eux je vois que désormais,
Le reste est impuissant pour troubler votre paix !
Ainsi reposez-vous sur ma seule conduite,
840 Comme de ces succès je réponds de leur suite.
Cependant permettez que parmi ces revers
Nous goûtions le plaisir de voir vaincre vos fers,
Et ne dédaignez pas qu’après tous ces orages,
Je vienne le premier vous rendre mes hommages.

ANDRIGENE.

845 Insolent, effronté, c’est donc la le dessein
Que tu dissimulais sans l’éclore du sein,
Tu prétends malheureux qu’après tous ces orages
Tu viendras le premier me rendre tes hommages !
Et que je te verrai sous un masque trompeur,
850 Apparemment vassal, en effet mon Seigneur.
Ah s’il faut que la paix me coûte tant de honte,
S’il faut pour t’affermir que les mutins je dompte,
Je n’aime désormais que mes seuls ennemis,
Et je hais le repos qui doit être à ce prix,
855 Oui oui détrompe toi, les désordres les ligues
Les troubles, les malheurs, les complots, les intrigues,
Seront mes passe-temps, pourvu qu’en m’ébranlant,
Ils puissent ébranler ton pouvoir chancelant,
Me faisant espérer que pour hâter ta chute,
860 Ils ne prendront que toi pour leur servir de bute !
Si je m’imaginais qu’a faute de mutins,
Tu pourrais apaiser les troubles intestins,
J’allumerais les feux pour en tirer les flammes,
Qui pourraient réchauffer la froideur de leurs âmes ;
865 J’irais sonnant par tout un horrible beffroi,
7
Pour tâcher d’irriter tous les coeurs contre toi.
Et je ne croirais pas qu’il peut être de crime,
Qu’on ne peut expier en t’offrant pour victime ;
Mais je ne sais que trop que les plus gens de bien,
870 S’ils ne te haïssaient ne haïraient plus rien ;
Et que je ne puis voir la fin de cet orage,
Qu’après l’heureux succès de ton fatal naufrage !
Ainsi tourne tes soins et tes meilleurs projets
Au malheureux dessein de me rendre la paix ;
875 Sache que mes enfants auront trop de justice,
Pour l’accepter jamais sans ravoir Pantonice,
Et que ce conquérant étant remis par moi
Ne manquera jamais de m’affranchir de toi.

SCÈNE II. Pamphage, Philarchie, qui sort d’un autre côté. §

PHILARCHIE.

Et bien n’est-il pas vrai que l’esprit d’Andrigene,
880 Ne peut point se résoudre à suivre notre haine !
Et que loin de tourner à gloire vos succès
Elle les croit honteux à ses autres progrès !

PAMPHAGE.

C’est ce qui me surprend et ce qui me fait croire
Qu’elle ne connaît pas, ou qu’elle hait sa gloire,
885 Je pense toutefois que ce n’est qu’au de hors,
Qu’elle s’obstine encor pour ses premiers transports ;
Et lors qu’apparemment sa passion me blâme,
Elle fait mon éloge au milieu de son âme !
Un esprit généreux lors qu’il craint sans sujet,
890 Ne peut le confesser puis après qu’a regret ;
Et ne peut accuser qu’après un peu de feinte,
Les premiers jugements d’où provenait sa crainte.
Andrigene avait cru que Pantonice pris,
Causerait désormais toute sorte de bruits,
895 Et sur ce sentiment appuyant ses ombrages,
Elle fondait la peur de mille grands orages !
Mais enfin le succès a fait voir que son coeur,
Avait été saisi d’une trop prompte peur,
Et honteuse de voir dans un succès contraire,
900 Que s’il faut avoir peur il faut savoir la taire,
Elle n’a peu d’abord, et malgré sa raison,
Confesser que sa peur était hors de saison.

PHILARCHIE.

Jugez en autrement, je sais ce qu’elle en pense,
Elle croit ce succès fatal à sa puissance
905 Et réglant le futur sur cet événement
Elle appréhende encor quelque soulèvement

PAMPHAGE.

Si c’est ce qu’elle craint, elle en est bien a plaindre,

PHILARCHIE.

Si c’est ce qu’elle craint c’est ce qu’elle doit craindre

PAMPHAGE.

Pourquoi ?

PHILARCHIE.

Vous ignorés ce qui me fait trembler
910 Ou de peur de m’aigrir, vous le voulez celer.

PAMPHAGE.

Madame !

PHILARCHIE.

Savez-vous que les pleurs d’Herogene,
De tous ses ennemis ont apaisé la haine,
Que Protarque est fléchi, Philideme remis
Qu’à ses tristes accents Mistarque s’est soumis
915 Et qui pis est encor ! Le croirez vous ! Themide
Quitte votre parti pour joindre Philthemide.
Prévenez ces malheurs.

PAMPHAGE.

Mais je ne les crains pas,
Il ne m’est point nouveau d’en voir tant sur mes bras
Protarque est généreux et si je l’ose dire
920 Par sa propre bonté je le pourrai séduire.
Je saurai déguiser avec tant de couleurs,
Le besoin de choquer ces disertes douleurs,
Que sans me tourmenter, sans me donner de peine,
Je lui ferai quitter le parti d’Herogene.
925 Outre que cette Dame a par un ordre exprès
Reçu commandement de nous laisser en paix,
Et de ne troubler point le repos qui nous reste !
Par quelque autre attentat à nos desseins funeste !
Au reste vous savez qu’il ne tiendra qu’à vous,
930 D’intéresser bientôt Philthemide pour nous,
La raison qui l’attache au parti d’Herogene
N’est qu’un simple motif de sa première haine,
Que je ferai changer au gré de mon souhait,
Si je montre à ses yeux icelui de l’intérêt,
935 Mystarque attend beaucoup, et notre diadème
Peut beaucoup agrandir l’éclat de Philideme ;
Ainsi ne craignez pas qu’ils ne soient tous pour moi.
S’ils en espèrent plus que de quelque autre emploi,
Themide est au plus fort, et je n’ai rien à craindre
940 Pourvu qu’elle ait du moins un prétexte de feindre.

PHILARCHIE.

Si tout vous réussit comme vous espérez,
Il ne faut point douter que vous triompherez,
Mais on voit bien souvent que celui qui se trompe
S’élève avec excès, pour périr avec pompe !
945 Qui se flatte par trop ne se reconnaît pas,
Et qui se connait bien s’alarme à chaque pas.
Je m’en rapporte à vous, ménagés cet affaire,
Il n’est pas trop aisé de s’en pouvoir défaire,
Mais voila les écueils de votre autorité.
950 Je vous laisse avec eux.

SCÈNE III. Pamphage, Philideme, Mystarque. §

PAMPHAGE.

Enfin sa Majesté
Sur les grands sentiments qu’elle a de votre zèle
À n’épouser jamais que sa seule querelle
Penche à vous reconnaître et payer à nos soins
Ce qu’elle en a reçu dans ses plus grands besoins
955 C’est bien tard à mon gré que sa bonté trop lente
Se résout à remplir une si vieille attente.
Mais on reçoit aussi le bien-fait attendu
Avec plus de plaisir, parce qu’il est mieux dû.

PHILIDEME.

Quelque longueur de temps qu’elle nous fasse attendre,
960 Les faveurs que par vous elle nous fait prétendre,
Elle prévient nos voeux et paye par bonté,
Bien plus qu’en la servant nous n’avons mérité.
Il est de nos devoirs de n’avoir que pour elle
Ni dessein, ni désir, ni passion, ni zèle,
965 Et lors que sa bonté nous en rend quelque honneur,
Ce n’est pas par devoir, mais par pure faveur.

PAMPHAGE.

Jugez à votre gré des desseins magnifiques,
Qu’elle a pour honorer vos vertus héroïques !
Qu’importe du motif si tout le monde voit,
970 Qu’enfin pour son honneur c’est ce qu’elle vous doit
Elle a jeté les yeux sur l’Architalassie,
Et sur les premiers rangs qui sont dans l’hiérarchie,
Et c’est pour y monter les deux que dans l’État
Elle croit les plus forts pour en porter l’éclat.
975 Il est vrai qu’un rapport fondé sur l’apparence
Que vous aviez fléchi sous une autre puissance
Était pour l’empêcher quoi qu’elle l’eut promis
De vous en renforcer vous croyant ennemis !
Mais convaincue enfin que les pleurs d’Herogene
980 N’avaient que pour un temps apaisé votre haine,
Et que certains soupirs échappez par pitié,
Avaient fait le soupçon d’une fausse amitié,
Loin de vous condamner dans cette conjoncture,
Elle a justifié toute la procédure.

MYSTARQUE.

985 Pouvions nous refuser quelque ressentiment,
Ou le juste transport de quelque mouvement,
Lors que presqu’à nos pieds une Princesse en larmes,
Avait plus de pouvoir, que n’eussent eu ses armes !
Les respects qu’à ses yeux les nôtres ont porté,
990 Ne dérogent en rien à son autorité,
Et nous n’avons fléchi sous les pleurs d’Herogene
Que pour la consoler en partageant sa peine.

PAMPHAGE.

Il est trop mal-aisé de résister aux pleurs,
Et ne se peut qu’on soit insensible aux douleurs.
995 L’esprit le plus brutal, l’esprit le plus farouche
Succombe à la pitié quand la douleur le touche.
Et pour dire en un mot il n’est point de grand coeur,
Dont ce beau sentiment ne se rende vainqueur !
Mais aussi la raison ayant cédé la place
1000 Aux sentiments conçus après quelque disgrâce,
Demande puis après reprenant son pouvoir,
Qu’avec elle le coeur rentre dans son devoir,
Et que les pleurs séchez laissent un beau visage,
Pour rendre à la Justice un plus sincère hommage.
1005 Je confesse pour moi que c’est avec regret
Qu’à ses justes douleurs j’ai donné le sujet,
Et que si j’eusse su quelque autre Politique
Pour raffermir l’honneur de l’État Monarchique.
Loin d’attenter au coup qui fait cet embarras,
1010 J’eusse pour m’opposer intéressé mes bras !
Mais aux raisons d’État ma puissance soumise
N’a peu se dispenser d’en brasser l’entreprise !
Et j’ai cru que l’honneur obligeait son pouvoir,
De procurer la Paix en faisant mon devoir ;
1015 Vous le savez trop bien. Mais que me veut ce Page.

SCÈNE IV. Pamphage, Philideme, Mystarque, Uu Page. §

LE PAGE.

Seigneur je viens vous faire un importun message,

PAMPHAGE.

Qu’est ce ?

LE PAGE.

Un nouveau complot...

PAMPHAGE.

Quelqu’un des mécontents
Qui veut se prévaloir des désordres du temps,
Je me doute qui c’est. Mais poursuis.

LE PAGE.

Polemandre
1020 Que vous aviez déjà résolu de surprendre
Philhymene, Andrion, retranchez fortement,
Résolus de périr dans leur appartement,
Se sont fortifiez avecque Demotrace.

PAMPHAGE.

C’est ce que je craignais...

LE PAGE.

Qui plus est leur audace
1025 S’emporte jusqu’au point de ne vouloir jamais
Entendre à recevoir aucun traité de paix,
Jusqu’à ce que suivant leur rage et leur caprice,
On leur ait malgré vous élargi Pantonice !
Accourez au plutôt pour guérir promptement
1030 Un mal qui se rendrait mortel en empirant ;
Philarchie en état !

PAMPHAGE.

Voilà toutes mes craintes !
Je triompherai bien du reste avec mes feintes,
Et si vôtre valeur ne s’intéresse pas,
A roidir contre moi, vos forces et vos bras,
1035 Je n’appréhende rien. Cependant Philarchie
Avant que de se voir de ces maux affranchie,
N’attend que vôtre aveu, pour vous charger de biens.
Adieu.

SCÈNE V. Philideme, Mystarque. §

PHILIDEME.

Cet insensé, nous met parmi les siens !
Il croit que ces brillants qu’à nos yeux il fait luire,
1040 Pouvant les éblouir, les pourront bien séduire !
Et qu’il captivera nos âmes et nos coeurs
Par les allèchements de leurs attraits vainqueurs.
Comme c’est par ses veux qu’il regarde en nos âmes,
Se réglant sur lui même, il nous estime infâmes,
1045 Et pense qu’en jugeant de nous comme de lui
Il fonde sa raison sur un trop ferme appui.
Tout rang m’est odieux, où je dois avec honte
Confesser que c’est lui, dont la faveur m’y monte ;
Si les destins l’ont fait le Dieu de mon bonheur,
1050 Je déteste ce Dieu, j’adore mon malheur,
Et par ce sentiment je trouve plus de peine,
D’être dans son amour, que d’être dans sa haine.

MYSTARQUE.

Ce sentiment est beau, mais pour notre dessein,
Vous devez empêcher qu’il ne sorte du sein.
1055 Pamphage est en état de se perdre lui-même,
Si nous lui permettons seulement qu’il nous aime,
Quelque dessein qu’il ait, il nous aime à présent,
Parce que pour nous nuire il se voit impuissant !
Et que de peur d’avoir une haine stérile,
1060 Il fait qu’à nous servir son coeur se rend facile !
Mais malgré cet amour il prétend nous trahir,
Et nous perdre dés lors qu’il pourra nous haïr !
Préoccupons le coup, auquel il nous destine,
Et prenons ses moyens pour hâter sa ruine.
1065 Il déguise sa haine, et prétexte l’amour,
Pour faire triompher l’une et l’autre à son tour !
Prétextons notre amour, déguisons notre haine,
Et faisons triompher l’une et l’autre sans peine.

PHILIDEME.

Je ne puis me résoudre à prendre sa faveur.

MYSTARQUE.

1070 Prenons la pour le perdre et sauver notre honneur,
S’il veut nous agrandir pour trouver plus de prise,
Au dessein de nous perdre en quelqu’autre entreprise.
Mettons nous en état de le mieux ébranler,
Et rendons nous plus forts afin de l’accabler.

PHILIDEME.

1075 Mais sans nous en servir nous pouvons le défaire.

MYSTARQUE.

Mais s’il s’en doute, il peut faire avorter l’affaire,
Et si de ses bien-faits nous refusons le don,
Nous lui donnons sujet d’en entrer en soupçon.
Ainsi laissons le faire, et souffrons qu’il nous aime,
1080 Et qu’en nous trahissant, il se perde lui-même.

PHILIDEME.

J’y consens !

MYSTARQUE.

Cependant en voici les moyens,
Protarque est adoré de tous nos Citoyens,
Megalople est pour lui, Themide le révère,
Tout l’État le respecte, et le traite de père,
1085 Il n’a qu’à commander, et ses seuls sentiments
Sont pour donner le branle à tous leurs mouvements,
Protarque néanmoins n’aime que du visage,
Et ne tient qu’à demi le parti de Pamphage,
Depuis que par un oui, que sa grande bonté
1090 Accorda moins au droit qu’à l’importunité !
Cet adroit imposteur forçant sa complaisance,
A le favoriser du moins en apparence,
Abusa de son nom même jusqu’à l’excès,
D’attenter à l’auteur de nos plus grands succès,
1095 Et de porter ainsi l’effort de sa malice,
Au dessein insolent d’arrêter Pantonice.
Ce secret déplaisir réveillant sa bonté,
Afin de conspirer avec son équité,
Ne manquera jamais d’irriter son courage,
1100 Pour ravoir Pantonice, et pour sauver Pamphage !
Pourvu que ménageant l’affaire jusqu’au bout,
Nous prenions le loisir de l’instruire de tout.

PHILIDEME.

Vous jugez comme il faut, et dans cette disgrâce,
Où Pamphage est après, pour fléchir Demotrace,
1105 Et que Semnandre joint aux Megafroniens,
Met Pamphage en danger de périr par les siens.
Je crois qu’il sera bon de presser sans relâche,
Le succès important du malheur de ce lâche,
Pour trouver puis après un assuré repos,
1110 Dans l’élargissement de ce fameux héros,
8
Et dire en secondant les desseins de Protarque,
Que nous ne travaillons que pour notre Monarque.

ACTE IV §

SCÈNE I. Protarque, Philideme, Mystarque. §

PROTARQUE.

Je vois bien maintenant, et mon esprit comprend,
Qu’on ne peut sans éclat faire tomber un Grand !
1115 Lors qu’on détruit les rangs d’une grandeur commune,
Et qu’on ne s’en prend point aux droits de la fortune.
Les Dieux indifférents regardant ces débris,
En ont moins de pitié, qu’ils n’en ont de mépris !
Mais alors qu’un pouvoir prétend que son caprice,
1120 Ne doit point relever des lois de la Justice,
Et que sa passion réglant tous ses projets,
Peut attenter à tout au gré de ses souhaits !
Les Dieux intéressez à borner sa puissance,
S’ils ne font avorter choquent son arrogance !
1125 Et traversant leurs soins, font voir qu’ils sont jaloux,
Que les Grands soient sujets à d’autres qu’à leurs coups !
Ce dernier attentat, où l’injuste Pamphage
A moins fait triompher, son conseil que sa rage,
Ne me convainc que trop, que ces desseins hardis,
1130 De mille autres malheurs sont constamment suivis.
Puis que pour affranchir cet Illustre coupable,
Dont le plus grand forfait est d’être redoutable,
Je prévois que l’État partagé de complots,
Ne rentrera jamais dans son premier repos.

PHILIDEME.

1135 Les Dieux qui sont jaloux de voir que votre gloire,
Entre dans le soupçon d’une action si noire,
Ne permettront jamais, qu’après cet attentat,
La paix et le repos reviennent dans l’État,
Jusqu’à ce que forçant ce malheureux complice
1140 A rompre les liens qui chargent Pantonice ;
Vous aurez convaincu les esprits abusez,
Que ces indignes fers que vous aurez brisez,
N’avaient été forgez que par la main injuste,
De celui qui trompant votre pouvoir auguste,
1145 Pour se mettre à l’abri de ce lâche soupçon,
Se servit non des mains, mais de votre seul nom.

PROTARQUE.

Je le crois bien méchant, mais toutefois j’estime
Qu’il ne l’est pas assez pour m’imputer ce crime.
Bien loin d’y consentir, lorsque ce scélérat
1150 Méditait le dessein de cet assassinat,
J’opposai fortement à son injuste haine,
Les intérêts du sang, et l’honneur d’Andrigene !
Et ne voulus jamais qu’avecque mon aveu,
On dit que dans l’État il avait mis le feu.
1155 Peut-être bien qu’après, comme suivant sa rage,
Il allait déguisant cet illustre visage ;
Et que lassé de voir son importunité,
Qui ne cessait jamais d’irriter ma bonté,
Moins pour y consentir, qu’afin de m’en défaire,
1160 Je déchargeai sur lui tout le poids de l’affaire.
Il dit, que par faveur je l’avais appuyé,
Parce qu’en m’indignant je l’avais renvoyé,

MYSTARQUE.

Il l’explique autrement, et dit que Pantonice,
N’est pris que par l’arrêt dont vous êtes complice.
1165 Il va bien plus avant, et déguisant son fait,
Il vous dit seul auteur de ce lâche forfait,
Protestant qu’à ce coup de votre indépendance,
Il n’a contribué que son obéissance,
Ainsi se prévalant d’un si ferme soutien,
1170 Prodiguant votre honneur, il épargne le sien,
Et sur votre débris fondant son avantage,
Il hasarde Protarque et garantit Pamphage.

PROTARQUE.

Il a beau me tenir pour son plus ferme appui,
Si sans m’intéresser on n’attaque que lui ;
1175 Andrigene sait bien que si j’étais complice
Du dessein attenté contre son Pantonice,
Loin d’espérer de moi son élargissement,
Elle en craindrait plutôt quelque retardement.

MYSTARQUE.

C’est pour cette raison que Pamphage fait croire
1180 Qu’on attaque par lui l’éclat de votre gloire,
Et que les traits lancez contre sa passion
Vous touchent le premier, lui par réflexion !
Et l’État convaincu que cette délivrance
Dépend moins de son choix, que de votre puissance,
1185 Croit avec fondement qu’étant entre vos bras,
Ne la procurant point, vous ne la voulez pas,
Ainsi cet insolent ménageant sa conduite,
Vous fait l’objet du mal, qu’on veut à sa poursuite,
Et dans tous ses desseins prétextant vos bontés,
1190 On dit avec raison que vous le supportez !
Puis que sans le choquer par de contraires ligues
Vous le favorisez dans toutes ses intrigues.

PROTARQUE.

Je l’ai favorisé, parce que ma bonté
N’a point peu condescendre à quelque extrémité !
1195 Mais enfin nous verrons à son désavantage,
Qui des deux est coupable, ou Protarque, ou Pamphage.
Le dessein en est pris, et dans l’événement
On connaîtra l’auteur de l’emprisonnement !
Oui... Mais retirez vous, j’aperçois Andrigene.

SCENE II. Andrigene, Protarque. §

PROTARQUE, l’a prévient la voyant seule.

1200 Madame gouvernez mon amour et ma haine,
Donnez leur des objets au gré de votre coeur,
Et rendez-le du mien absolument vainqueur,

On lit "tendez" au lieu de "rendez".

ANDRIGENE.

En état de me voir sans force et sans puissance,
Je ne puis que de vous espérer assistance,
1205 Si vous me délaissez, je n’ai plus de pouvoir,
Que celui que j’attends d’un dernier désespoir.
Et réduite à ce point par mon dernier orage,
Où de me hasarder, où de sauver Pamphage.
Je doute dans l’État de ce double transport,
1210 Qui je dois préférer, où ma vie, où ma mort.
Le repos qui jadis dans un an de service,
Fit verser tant de sang au brave Pantonice ;
Cette adorable Paix qu’il fit fleurir chez moi,
Ayant servi longtemps Andrigene et son Roi,
1215 Est troublée aujourd’hui malgré son grand courage.
Mais ! Ô honte, pour qui ? Pour rassurer Pamphage !
Celui dont mes destins se sont toujours servis,
Pour me mettre à couvert de tous mes ennemis,
Est réduit à languir dans un rude servage,
1220 Pour laisser le repos ! À qui ? Cet à Pamphage !
Celui dont la valeur produisant la vertu,
A même sous vos lois plusieurs fois combattu,
Qui secondant nos soins pour calmer mes disgrâces,
A toujours en manquant[=vainquant] marché dessus vos traces !
1225 Celui-là toutefois par un triste revers,
Après m’avoir ôté, succombé sous les fers,
Réduit à confesser, malgré votre suffrage,
Qu’on le rend malheureux, pour rendre heureux Pamphage,
On trouble mon repos, on renverse ma loi,
1230 On me fait respirer, et vivre dans l’effroi,
Je n’entends que parler de sang et de carnage,
O ciel ! et tout cela pour assouvir Pamphage.
On croit que ses complots, si je ne les préviens,
Seront pour accabler, et moi-même et les miens ;
1235 Que la fatalité de ces mortels divorces,
Divisant mes partis, et divisant mes forces ;
Me rangeront enfin à cet État fatal,
Que je ne pourrai pas me plaindre de mon mal !
Et que même voyant l’effet de cette rage,
1240 On ne permettra pas d’en accuser Pamphage,
Pamphage qui me perd, Pamphage que je haïs,
Comme l’écueil fatal de mes plus beaux souhaits ;
Pamphage dont le nom outrageux à ma gloire,
Me doit faire rougir au temple de mémoire,
1245 Pamphage ! Mais c’est trop, je conclus par ces mots,
Et vous demande enfin sa perte et mon repos !
Sauvez-vous, sauvez-moi.

PROTARQUE.

Vos intérêts, Madame,
Sont les plus chers sujets des plaisirs de mon âme ;
Oui je veux vous sauver, et quelque grand danger
1250 Où Pamphage et les siens cherchent de me plonger,
Si vous ne branlés pas mon repos est trop ferme ;
Et mon ambition se borne à ce seul terme.

ANDRIGENE.

Pamphage vous repaît d’un apparent espoir,
Que jamais que pour vous il n’aura de pouvoir,
1255 Et d’un respect trompeur déguisant sa malice ;
Il vous fait consentir aux fers de Pantonice !
Il sait bien que sans vous son pouvoir ébranlé,
Sans trembler si long-temps se serait écroulé !
Et que pour subsister sur cet illustre faîte,
1260 Il dépend de vos mains comme de votre tête.
Ainsi ce scélérat soumet votre faveur,
Pour la faire servir de marche à la grandeur.
Et sur ce marche-pied fondant son avantage,
Il fait servir Protarque aux desseins de Pamphage.
1265 Je vous aime et le hais avecque trop d’excès,
Pour souffrir sans parler ses infâmes succès.
Encor si je savais que l’esprit de ce traître
Ne voulut s’élever que pour vous reconnaître !
Je voudrais conspirer à son rehaussement,
1270 Pour vous faire un sujet plus illustre et plus grand,
Et soumettre à vos lois celui qui de son faîte,
Ne vous regarderait que comme sa tempête !
Mais je ne sais que trop que cet esprit hautain,
Brigue l’illustre éclat d’un pouvoir souverain !
1275 Et qu’il affecte un rang où de sa tyrannie,
L’autorité sans pair règne sans compagnie.
Prévoyez-le au plutôt.

PROTARQUE.

Madame s’en est fait,
Vous aurez par mes mains votre esprit satisfait.
Je perdrai ce tyran dont le pouvoir vous brave,
1280 Je perdrai ce tyran qui veut vous faire esclave !
Mais quelque intéressé que mon honneur y soit,
Je l’y veux engager, parce qu’il vous le doit.
Dans le dessein qu’il a de ranger Demotrace,
Quelque puissant qu’il soit, et quelque effort qu’il fasse ;
1285 Je sais que cet esprit ne fléchira jamais
Pour l’accommodement d’aucun traité de paix ;
A moins que secondant ses voeux et sa Justice,
Pamphage ne consente à rendre Pantonice !
Voila ce qu’elle a dit dés le premier abord,
1290 Et qu’elle soutiendra jusqu’au dernier effort !
Le succès fera voir en me faisant résoudre,
Que c’est d’elle ou de moi qu’il doit craindre la foudre,
Ou peut-être des deux ! Je m’en vais de ce pas
Savoir ce qu’on en dit.

SCÈNE III. Anadrigene, Philideme, et Mystarque qui sortent de l’autre côté. §

PHILIDEME.

Ne vous attristez pas,
1295 Madame, le bruit court que déjà Selinople,
Enchérissant beaucoup par dessus Megalople,
Réduit votre tyran à rendre malgré lui,
Le soutien de l’État et votre seul appui.
Themide au désespoir de voir chez Demotrace,
1300 De sa petite soeur la généreuse audace,
N’a plus d’ambition que de se signaler,
En fulminant Pamphage afin de l’accabler !
Enfin tout est pour vous, tout est pour Pantonice,
Après le beau succès de ce noble service.

ANDRIGENE.

1305 De grâce n’est-ce pas quelque bruit imposteur,
Dont vous m’entretenez pour charmer ma douleur !
Ah ! Ne me flattez plus, dites sans me complaire,
Qu’il est temps à la fin que je me désespère !
Je me doute déjà que Pamphage a soumis,
1310 L’esprit de Demotrace et de tous mes amis !
Et qu’il faut désormais que mon pouvoir subisse,
Le joug dont ce tyran accable Pantonice.

MYSTARQUE.

Si ce n’est qu’un faux bruit, ce n’est pas sans raison
Qu’il court avec éclat dedans votre maison !
1315 Puis-que Themide enfin heureusement changée,
A tant de sentiments n’est plus si partagée ;
Et que de ce beau bruit l’incomparable éclat,
La fait presque résoudre à venger votre État ;
Quelque dessein qu’elle eut du moins en apparence,
1320 De ne vouloir agir que dans l’indifférence.
Enfin quoi qu’il en soit Protarque a résolu,
De montrer à ce coup qu’il veut être absolu !
Mais absolu toujours avec cette réserve,
Qu’il veut perdre Pamphage afin qu’il vous conserve !
1325 Et que s’entremettant pour votre éclat flétri,
En rendant Pantonice il vous mette à l’abri.

ANDRIGENE.

Il est vrai que j’ai vu, lisant dedans son âme,
Qu’il est autant pour moi que contre cet infâme !
Et c’est cette raison qui me fait espérer,
1330 Que si de vos bontés vous voulez m’assurer,
Je ferai sans faillir avec plus d’avantage
Avorter les succès des desseins de Pamphage !
Quelque appui triomphant qui malgré l’équité,
Soutienne son pouvoir contre ma volonté ;
1335 Mais n’aperçois-je pas Protarque avec Themide ?

MYSTARQUE.

Lui-même.

ANDRIGENE.

Ah que leur port me choque et m’intimide ?
Je ne puis me résoudre à les attendre ici.
Adieu, soutenez-moi.

MYSTARQUE.

Soutenez-nous aussi.

SCÈNE IV. Protarque, Thémide, Philideme, Mystarque. §

THÉMIDE.

Ce sinistre succès balance mon suffrage,
1340 Je penche à même temps pour et contre Pamphage.

PROTARQUE.

Madame, il n’est plus temps de vous dissimuler,
Après vous être tue il faut enfin parler.
Si par nos jugements comme il n’est que trop juste,
Pamphage disposait de notre jeune Auguste,
1345 Si nous donnions le branle à tous ses mouvements
Qu’il suit sans nos avis et sans nos sentiments,
Quelque succès fatal qu’il eut dans ses poursuites,
Il faudrait l’appuyer, ou blâmer nos conduites !
Mais puis qu’il entreprend et conduit sans appui,
1350 Nous pouvons le blâmer et nous en prendre à lui.
Quoi ? ce dernier succès fatal à notre gloire,
Sans sa punition entrerait dans l’histoire !
Et nos enfants sauraient que nous avons permis,
Qu’un Roi soit le jouet de ses vrais ennemis.

PHILIDEME.

1355 Pamphage est donc soumis

PROTARQUE.

Ou du moins sa victoire
Imprime sur nos fronts une tache bien noire,
Demotrace a cédé ! mais en le surmontant,
Et Basilon soumis plutôt que triomphant
De son appartement ne s’est rendu le maître.
1360 Que depuis qu’à ses lois il s’est voulu soumettre.

PHILIDEME.

Que l’affront est mortel à nostre Royauté.

PROTARQUE.

De ce honteux succès mon esprit irrité
Ne peut qu’il ne s’emporte à vomir sur Pamphage,
Injure sur injure, outrage sur outrage.
1365 Ah ! Madame, c’est trop ! laissez vos intérêts,
Et fulminez sur lui mille sanglants arrêts.
N’aura-on pas raison de vous croire complice,
Du dessein entrepris pour perdre Pantonice !
Et de vous accuser des injustes complots,
1370 Qu’en suite de ses fers on fait sur nos repos,
Si pendant qu’il s’en va renversant la couronne,
Par les mauvais conseils qu’à Basilon il donne,
Vous ne vous déclarez contre ses mouvements
Pour éteindre les feux de tant d’embrasements.

THÉMIDE.

1375 Il est vrai qu’à ce coup mon âme chancelante...

PROTARQUE.

Ah ! C’est trop chancelé, qu’elle prenne sa pente,
10
Il n’est que trop certain, Pamphage n’entreprend
Que pour se rehausser et se rendre plus grand !
Quelque honteux succès qu’obtienne sa conduite,
1380 Il est avantageux pourvu qu’il en profite,
Et sans considérer si l’honneur s’en ensuit,
11
Il est assez content lorsqu’il en a le fruit,
Le prétexte charmant de raidir sa personne,
Afin de maintenir l’éclat de la couronne,
1385 N’est qu’un masque apparent dont cet entrepreneur
Déguise le dessein d’augmenter son bonheur !
Mais puis que nous voyons où butte son intrigue,
Contreminons la sienne avec une autre ligue,
Et rassurant l’État contre ses mouvement,
1390 Montrons qu’il en sapait les meilleurs fondements !
Ce transport des captifs dont le dessein m’attriste,
Fait à Topodesmon, depuis Philacariste,
Même de ce premier et contre mon dessein
Ce transport réitéré jusques à Charlymin,
1395 Fait voir évidemment qu’il craint notre justice,
Et que nous ne brisions les fers de Pantonice
Puis que pour le soustraire à nos esprits jaloux,
Il le met en des lieux indépendants de nous.
Mais il l’a beau changer, quelque part qu’il puisse être,
1400 Pamphage doit savoir qu’il doit m’y reconnaître !
Et que je saurai bien rencontrer les moyens,
D’en sauver Pantonice en rompant ses liens.

THÉMIDE.

Je penche au sentiment que votre ardeur témoigne,
Et suis presque d’avis que Pamphage on éloigne !
1405 Mais pour exécuter ce coup d’autorité,
Je prétends consulter toute mon équité !
Et n’entreprendre rien qu’après que ma Justice,
Condamnera Pamphage, et rendra Pantonice.
Mais qu’est-ce que je vois ?

PHILIDEME.

C’est Andrigene en deuil.

THÉMIDE.

1410 Allégés ses douleurs.

SCENE V. Andrigene, Protarque, Philideme, Mystarque. §

ANDRIGENE.

Proche de mon cercueil,
Et de trois coups mortels indignement atteinte,
Si je ne dois mourir, j’en dois bien avoir crainte.

PROTARQUE.

Madame, suspendez l’effort de vos douleurs,
Pour voir avec plaisir la fin de vos malheurs !
1415 Le dessein d’affranchir votre bonheur esclave,
Du pouvoir insolent du Tyran qui vous brave,
Réussira bientôt au gré de vos désirs.

ANDRIGENE.

Oui ! Mais tarirez-vous la source des soupirs,
Ôterez-vous la cause où ma raison plongée,
1420 Ne pouvant désormais par vous être vengée ;
Pense que son Tyran vient de lui faire voir,
L’heure et moment fatal d’un dernier désespoir.

PROTARQUE.

Quelque puissant que soit le bras qui vous outrage,
Je suis toujours, Madame, au dessus de Pamphage.

ANDRIGENE.

1425 Oui ! Mais ravirez-vous à l’injure du sort,
Celle dont ce tyran vient de hâter la mort !
Rendrez-vous à ses yeux cet éclat admirable,
Qui jadis dans ma Cour la rendait adorable !
Pourrez-vous ranimer ces vivantes couleurs,
1430 Où j’allais tous les jours amusant mes douleurs !
Enfin pour apaiser le regret qui me gêne,
En soulageant mes maux ! Rendrez-vous Herogene.
Repeindrez-vous l’éclat de mes royales fleurs,
Terni par le succès du plus grand des malheurs !
1435 Pourrez-vous arracher au char de Demotrace,
L’honneur d’avoir causé ma plus grande disgrâce !
Ferez-vous ignorer à la postérité,
Que par un rude échec de mon autorité,
J’ai vu de Basilon la puissance réduite,
1440 A succomber aux siens par faute de conduite.
Romprez-vous les liens qui dedans Charlymin,
En liant Pantonice ont lié mon destin !
Et font désespérer mon âme inconsolable,
De pouvoir élargir cet innocent coupable.
1445 Voila les coups mortels qui me feront languir,
S’ils ne sont assez forts pour me faire mourir.

PROTARQUE.

Madame, le dessein de sauver votre gloire,
D’arracher votre honneur au mépris de l’histoire,
M’empêche de vous dire avec quels sentiments
1450 J’ai reçu les succès de ces événements.
Mais je vous ferai voir en vengeant ces outrages,
Fallut-il rembarrer plus de mille Pamphages ;
Qu’il n’est point de motif qui me possède tant,
Que celui d’assouvir vostre esprit mécontent !
1455 Et s’il n’est pas assés pour ravoir Pantonice,
D’intéresser pour lui les bras de la Justice !
J’armerai tout l’État, et ferai consentir
Tout le monde au dessein de l’aller affranchir.
Et cet héros remis vengera bien sans peine,
1460 L’honneur de Basilon, et la mort d’Herogene.

SCÈNE VI. Andrigene. Philideme, Mystarque. §

MYSTARQUE.

Entretenons ce feu qu’avec tant de chaleur,
Nous voyons exhaler de son illustre coeur !
Pamphage se doutant que c’est par nos intrigues,
Que Protarque en voudrait à ses funestes brigues,
1465 Afin de divertir son esprit ébranlé,
Des justes sentiments dont nous l’avons comblé !
Fera tous ses efforts pour lui mettre dans l’âme,
Le probable défi de quelque coup infâme !
Qu’il nous imputera pour couvrir son bonheur,
1470 Et pour se garantir en perdant notre honneur.

ANDRIGENE.

Allez sans relâcher de cette illustre haine,
Pour détrôner Pamphage et remettre Andrigene.

ACTE V §

SCÈNE I. Pamphage, Monofthalme. §

PAMPHAGE.

Je n’ai donc agrandi ces deux fiers ennemis
Par les nobles emplois que je leur ai soumis,
1475 Que pour donner moyen à leur méconnaissance,
De venir m’accabler avec plus de puissance,
Et signaler l’effort de leur pouvoir ingrat,
Par l’exécution d’un plus noir attentat.

MONOFTHALME.

Vous pouviez bien juger que si vos récompenses,
1480 Suspendaient pour un temps l’effet de leurs vengeances,
Ces esprits irrités ne manqueraient jamais,
De lever à la fin ce faux masque de Paix !
Et de vous faire voir en déguisant leur haine,
Du dessein spécieux de servir Andrigene !
1485 Qu’ils ne s’étaient soumis à prendre vos présents,
Qu’afin de s’en servir pour mieux prendre leur temps,
Et de surseoir un peu le dessein de vous nuire,
Jusqu’à ce qu’à loisir ils le pourraient produire.

PAMPHAGE.

Lors que pour m’affermir ma haine a consenti
1490 Au dessein d’engager Mystarque à mon parti,
Et que par ce moyen j’ai crû que Philideme,
Suivrait les mouvements de cet autre lui-même !
Tu sais que mes malheurs me réduisaient pour lors,
A la nécessité de craindre leurs efforts ;
1495 Et qu’afin d’empêcher que par quelque entreprise,
Ils ne vinssent choquer mon pouvoir en sa crise !
Mille raisons d’État que tu n’ignorais pas,
M’ont fait rendre prodigue à ces Esprits ingrats ;
Et que pour n’avoir pu forcer leur arrogance,
1500 Je me suis vu contraint d’agrandir leur puissance !
Mais puis que leur humeur fatale à mes projets,
Fait malgré ce moyen avorter mes succès ;
Et que je ne puis point en déguisant ma haine,
Gouverner sans rival les États d’Andrigene !
1505 Il faut se déclarer ouvertement contre eux,
Et les faire passer pour des séditieux !
Nous n’avons qu’à donner un soupçon à Protarque,
Pour perdre à notre gré Philideme et Mystarque.

MONOFTHALME.

Avant votre malheur ce dessein était bon,
1510 Mais je crois qu’à présent il est hors de saison !
Vous voulez décrier Mystarque et Philideme,
Dans l’esprit de celui qui les porte et les aime ;
Et qui pour tout motif de cette affection,
N’en a point de plus grand que votre aversion !
1515 Jugez si vous pourriez fonder un imposture,
Sur le temps incertain de cette conjoncture ;
Et si c’est à propos que pour les décrier,
Vous preniez le dessein de les calomnier.
Si Protarque ignorait la passion extrême,
1520 Que vous avez montré pour perdre Philideme,
Vous pourriez espérer qu’un crime déguisé,
Que contre son honneur vous auriez supposé.
Ayant de vérité du moins quelque apparence,
Pourrait avec succès noircir son innocence !
1525 Mais étant convaincu que sa haine vous nuit,
Qu’encor outre cela Mystarque vous poursuit ;
Loin de les hasarder en les faisant coupables,
Vous lui témoignerez qu’ils vous sont redoutables.

PAMPHAGE.

Est-ce, ce que tu crains ?

MONOFTHALME.

Je le crains en effet,
1530 Mais je ne crains aussi que pour votre intérêt !
Outre que ce succès où contre Demotrace,
Vous avez échoué par un coup de disgrâce,
A tellement détruit le peu qu’auparavant
Vous aviez de crédit chez cet indépendant !
1535 Qu’il n’est plus en état de régler son estime,
Sur le rapport trompeur de quelque illustre crime !

PAMPHAGE.

J’en ai déjà parlé.

MONOFTHALME.

Je le sais bien, Seigneur,
Mais je sais bien aussi que c’est avec malheur,
Et que Protarque a dit que jamais votre haine,
1540 N’a cessé d’ébranler ces appuis d’Andrigene !
Jugés sur ce rapport.
12

PAMPHAGE.

L’imposture d’abord
Surprend bien en effet, mais c’est sans faire effort !
Tu sais que cet esprit !

MONOFTHALME.

Joint avec Philthemide,
Pourra vous renverser s’il peut gagner Themide,
1545 Et Themide ébranlée a déjà consenti,
Au dessein d’affaiblir votre injuste parti,
Après que par les pleurs de sa chère Andrigene,
Elle a su le trépas de la noble Herogene.

PAMPHAGE.

C’est un faible motif.

MONOFTHALME.

Je me crains bien, Seigneur,
1550 Qu’il ne soit assez fort pour vous perdre d’honneur,
En tout cas hasardés ; voilà Protarque arrive.

SCÈNE II. Protarque, Pamphage. §

PROTARQUE.

Il est temps d’affranchir Andrigene captive,
Je ne puis plus souffrir que vos injustes fers,
Après la cruauté des maux qu’elle a soufferts,
1555 Engagent plus long-temps sa liberté contrainte ;
À gémir constamment de douleur ou de crainte.
Il faut la soulager, et n’y reculés pas,
Ou bien résolvez-vous à m’avoir sur les bras.

PAMPHAGE.

Parmi tous mes désirs celui qui plus me gêne,
1560 C’est de mettre à l’abri le repos d’Andrigene !
De calmer son État malgré ses ennemis,
Et de fonder sa paix sur mes propres débris.
Voila la passion qui chez moi prédomine.

PROTARQUE.

Montrez-là dans l’effet comme dans votre mine ;
1565 Ne trompés plus l’État d’un bel extérieur !
Mais agissez bientôt et des mains et du coeur,
Ou ! vous m’entendez bien.

PAMPHAGE.

Seigneur, je conjecture
Qu’en effet contre moi quelque forte imposture,
Prévenant vos bontés de quelque faux récit,
1570 M’aura voulu noircir pour s’y mettre en crédit.
Mes ennemis !

PROTARQUE.

Nommés Mystarque et Philideme,
Ces mortels ennemis de la grandeur suprême,
Ces fameux imposteurs, ces compagnons des Rois,
Ces bâtards d’Albion, ces infracteurs des lois,
13
1575 Et tout ce qu’un humeur hardie et débordée,
Vous pourra suggérer pour m’en changer l’idée !
Mais ne m’en parlez plus, je suis trop bien instruit,
Et de tous leurs desseins et de tout leur esprit ;
Conspirons avec eux et secondons leur peine,
1580 Pour calmer au plutôt les troubles d’Andrigene.

PAMPHAGE.

Loin de les apaiser nous les réchaufferons.

PROTARQUE.

Loin de les réchauffer nous les apaiserons !
Je sais que leurs projets et toutes leurs intrigues,
Ne tendent qu’au dessein de réunir les ligues
1585 Qu’ils en veulent aux fers qu’en troublant le repos,
Vous avez imposé sur nos plus grands héros,
Et qu’ils n’ont protesté contre votre injustice,
Qu’afin de rappeler la paix et Pantonice.

PAMPHAGE.

Si Pantonice est pris c’est après votre aveu.

PROTARQUE.

1590 S’il est à Charlymin c’est à mon désaveu.
N’en suis-je pas l’auteur, n’est-ce pas par mes ordres
Qu’on vient de rallumer par ce coup les désordres ?
N’ajouterez-vous pas à vos prétentions,
Que c’est pour assouvir encor mes passions ?
1595 Et qu’afin de parer aux coups de Philthemide,
Je l’ai voulu soustraire au pouvoir de Themide ?
Si c’est par mon aveu que Pantonice est pris,
Bientôt par mon aveu je veux qu’il soit remis !
Et que sa liberté cruellement esclave,
1600 Après sa délivrance, ou me choque, ou me brave,
Le succès fera voir qui de vous ou de moi
Choque, en y résistant, la personne du Roi.
Pour moi malgré l’avis que la fureur vous donne,
Sachez que je le tiens l’appui de la Couronne,
1605 Et que pour rassurer et le trône et l’État,
Je veux le rétablir dans son premier éclat.
Si vous y résistez vous êtes le coupable,
De l’injuste sujet dont la rigueur l’accable.

PAMPHAGE.

D’autres raisons d’État s’opposent fortement,
1610 Et ne permettent pas son élargissement,
Les troubles survenus ont fait changer de face,
Aux raisons qu’on avait d’adoucir sa disgrâce !
Et je crois qu’on ne peut qu’avec un attentat,
Qui serait désormais pour troubler tout l’État,
1615 Résoudre le dessein d’élargir Pantonice,

PROTARQUE.

Ce n’est pas d’aujourd’hui que de votre injustice,
Vous déguisez l’horreur de ce trompeur éclat
Que vous tirez toujours des prétextes d’État !
Si comme vous parlez l’État et ses affaires
1620 S’opposent au dessein d’élargir ces trois frères.
Pourquoi poursuivent ils si généreusement,
L’honneur de procurer leur élargissement.

PAMPHAGE.

Formez-vous tout l’État de deux ou trois rebelles,
Que le seul intérêt jette dans les querelles;

PROTARQUE.

1625 Je compose l’État des vrais sujets du Roi,
De tous vos ennemis, d’Andrigene et de moi !
Quiconque vous poursuit c’est celui que j’estime,
De tous les bons sujets le moins illégitime,
Et qui vous fait la cour, passe dans mon esprit
1630 Pour un mauvais sujet qui doit être proscrit,
Ainsi résolvez-vous à lâcher votre prise.

PAMPHAGE.

L’État est à présent dans une telle crise,
Qu’un lion déchaîné serait pour déchirer
La paix qu’avec nos soins nous allons rassurer ;
1635 Ne vous obstinez pas contre ma résistance,
A vous intéresser pour cette délivrance,
Le repos de l’État contraire à vos souhaits
Vous la refuserait pour le bien de la paix,
Et son calme remis par ce coup de Justice,
1640 Ne peut plus consentir à rendre Pantonice.

PROTARQUE.

Le repos de l’État contraire à mes souhaits,
Me la refuserait pour le bien de la paix !
C’est donc contre l’État que je te sollicite,
C’est donc contre l’État que j’en fais la poursuite,
1645 Effronté... Tu sauras que c’est d’un scélérat
Que je veux en effet désemparer l’État,
Et que pour son repos malgré ton arrogance
14
Je prétends rétablir l’écueil de ta puissance.

PAMPHAGE.

Oui, mais souvenez-vous qu’il est dans Charlymin.

SCÈNE I.I. §

PROTARQUE.

1650 Eut-on sous mille fers captivé son destin,
Je saurai les briser, fut-il dans l’enfer même,
Et rétablir par là l’autorité suprême ;
Oui, quelques vains efforts qu’oppose ta fureur
Au dessein d’affranchir cet illustre vainqueur,
1655 Quelque grande que soit la fureur qui t’anime,
Je saurai le ravoir, fut-il dedans l’abîme,
Et poussant ces beaux soins jusqu’au dessein parfait,
De le voir élargir, et de te voir défait.
Je veux faire servir de marche à ma victoire,
1660 Tout le reste impuissant du débris de ta gloire,
Afin de regarder le trône sans effroi,
Lorsque j’aurai chassé l’ennemi de mon Roi.

SCÈNE IV. Protarque, Thémide, Philideme, Mystarque. §

PROTARQUE.

Il ne faut plus douter du dessein de Pamphage
Puis que cet insolent en vient jusqu’à l’outrage.
1665 Et qu’une juste peur d’être enfin obligé
À rompre les liens dont ce Prince est chargé,
A fourni le conseil de chercher un asile,
Où l’élargissement parut plus difficile
Et d’où sa passion malgré tous vos arrêts,
1670 Peut faire triompher ses malheureux projets,
Il a trop redouté qu’après cette disgrâce,
Nous serions obligés de borner son audace !
Et de calmer l’État, qu’il a tout partagé !
Non plus par des longueurs ! Mais par un abrégé.
15
1675 C’est pour ce seul dessein que suivant son caprice,
Il a dans Charlymin renfermé Pantonice !
Afin que si l’État jaloux de le ravoir,
Intéressait pour lui son droit et son pouvoir
Ce fameux boulevard méprisant nos divorces,
16
1680 Peut mettre son pouvoir à l’abri de nos forces,
Et divertir les coups que nos desseins unis
Feraient pour affranchir ses trois grands ennemis,
Nous voyons ses complots nous voyons ses intrigues,
Sans les faire avorter par de contraires brigues !
1685 Et la postérité saura que de nos temps,
Andrigene a ployé sous les lois des tyrans,
Ah Madame c’est trop il est temps de résoudre,
Le dessein d’accabler Pamphage sous la foudre,
Et de n’attendre point que cet extravagant
1690 Renverse tout l’État en se désespérant.

THÉMIDE.

Je suis presqu’en état pour mon cher Pantonice,
De ne balancer point ce coup de ma justice.
La bonté de mes bras qui l’ont tant attendu
Et que pour mieux frapper j’ai longtemps suspendu,
1695 Et sur le point fatal de borner cet affaire
Par l’exécution de ce coup exemplaire
Et de n’attendre point que de nouveaux progrès,
Redoublent mes rigueurs pour punir ses excès.
Après ce rude échec ou contre sa rivale
1700 Il a fait échouer l’autorité Royale ;
Après que sans Conseil il a dans Charlimin
De nos pauvres Captifs transporté le destin
Et qu’en suite égorgeant par des douleurs amères
Le miracle du temps et l’ornement des mères,
1705 Son inhumanité se poussant jusqu’au bout,
M’a fait voir qu’il était pour attenter à tout.
Je ne vois plus de jour pour différer sa perte ;
Puis qu’il m’y fait courir lui même à force ouverte.
Mais qui survient,
Evangel entre.

EVANGEL.

Madame !

THÉMIDE.

Ô dieux que dans mon coeur,
1710 De quelque doux rapport je pressens la douceur.

EVANGEL.

Quelque grande rigueur qu’on tienne à Pantonice,
Jusqu’à ne souffrir pas qu’il demande justice,
Il a toutefois su si bien prendre son temps
Pour vous déduire en bref ses plus purs sentiments
1715 Que malgré la fureur et la rage des gardes,
Ce billet a forcé toutes leurs hallebardes.
17

THÉMIDE, prenant le billet.

De tous trois ? Justes Cieux
Que ce coup est fatal à cet ambitieux.
Et que je ressens bien que mon esprit s’anime
1720 Au dessein d’affranchir ces coupables sans crime.
Elle lit le billet.
Enfin votre ennemi fait triompher la crainte
Qu’il avait que bientôt vous briseriez nos fers,
Et qu’a borner nos maux soufferts,
Sa puissance serait contrainte.
1725 C’est donc après ce coup qu’avec son artifice,
Il s’assure des lieux où nous devons mourir
Puis que pour nous faire périr
Il nous ôte à votre justice.
Ah ne permettez pas qu’ainsi de sa manie
1730 L’injuste autorité vous puisse faire voir
Qu’en ébranlant votre pouvoir
Elle affermit sa tyrannie.
Quelque semblant trompeur que son visage fasse
Il vous aime à présent pour vous perdre à son tour
1735 Comme il se sert de votre amour
Pour assurer notre disgrâce
Ainsi résolvez vous à calmer cet orage
Et tenez pour certain qu’il ne nous fait souffrir
Qu’afin de vous faire périr
1740 En suite de notre naufrage.
Pantonice, Tecnatine, et Proterme.
Oui généreux captifs je conçois avec vous
Que vous ayant perdus il nous veut perdre tous !
Mais je le préviendrai quelque grand qu’il puisse être,
Et bientôt mon pouvoir se comportant en maître !

PROTARQUE.

1745 Madame il n’est plus temps de suspendre la main,
Qui doit mettre en effet son pouvoir souverain.
Ce bientôt est venu la trame est découverte,
Si vous la différez vous empêchez sa perte.
Et je me crains qu’enfin s’élevant plus que vous,
1750 Il ne mette sa tête à l’abri de vos coups.
Ainsi n’attendez plus.

THÉMIDE.

Il est de ma justice
De suspendre le coup avant qu’il en périsse.

PROTARQUE.

Je sais bien qu’il le faut ! Mais ses faits convaincus,
Dispensent votre main de le suspendre plus.
1755 Son crime est évident autant que Pantonice
Ne semble criminel que par son artifice ;
Et puis que ce dernier vous paraît innocent,
Parce que le premier s’est rendu trop puissant ;
Pour faire triompher d’un coup votre justice,
1760 En abaissant Pamphage, élevez Pantonice.

THÉMIDE.

Mais différons un peu.

PROTARQUE.

Madame il ne se peut
Puis que cet insolent ne fait que ce qu’il veut
Et que de son pouvoir on voit la tyrannie
Aller en empirant, comme elle est impunie.

THÉMIDE.

1765 Ah que vous me pressez.

PROTARQUE.

C’est pour vous arracher
Le foudre que cent fois vous avez dû lâcher.

THÉMIDE.

J’y consens puis qu’enfin la force et la justice,
En condamnant Pamphage absolument Pantonice.
Que ce séditieux désempare l’État,
1770 Que ses trois ennemis reprenant leur éclat
Et qu’Andrigene enfin rétablie en puissance
Par le juste succès de cette décadence,
Rentre en un même temps dans son premier repos
En suite du retour de trois de ses héros.

SCÈNE V. Protarque, Phildeme, Mystarque. §

PROTARQUE.

1775 Après ce coup fatal nous verrons la posture,
Que Pamphage tiendra dans cette conjoncture.
Si suivant son conseil pour quelque autre dessein
Il veut nous obliger de forcer Charlymin
Résolu de périr ou d’éventer la mine
1780 Que nous faisons jouer pour hâter sa ruine,
Il faut qu’il se résolue avec cet attentat,
De se voir sur les bras les forces de l’État,
Et de contrecarrer par cette résistance
Tout ce qu’Andrigene a dessous sa dépendance.

PHILIDEME.

1785 Si jusqu’à ce dessein son bonheur chancelant
Pouvait faire pencher son esprit insolent
Et que pour soutenir sa chute inévitable,
Il voulut s’opposer par ce coup redoutable !
Je penserais pour lors qu’il serait abattu
1790 Puis que le désespoir réglerait sa vertu.

PROTARQUE.

Quoi qu’il consulte enfin, et quoi qu’il délibère,
Il faut ou qu’il s’enfuie ou qu’il se désespère !
Sa fortune est réduite à ce dernier malheur,
Qu’il ne peut se sauver sans perdre son honneur.
1795 Et pour se garantir du coup qui le menace
Il faut ou qu’il périsse ou qu’il vive en disgrâce.

MYSTARQUE.

Peut-être que suivant son esprit intrigueur
Malgré ses cruautés et malgré sa rigueur,
La créance qu’il a que flattant Pantonice,
1800 Et lui faisant goûter qu’à ses désirs propice,
Contre tous les desseins dont il peut nous noircir,
Il aura résolu de l’aller affranchir.
Il préviendra l’arrêt que malgré sa puissance,
Themide a fulminé contre sa résistance.
1805 Et protestant que c’est de son autorité
Qu’il viendra l’élargir de sa captivité,
Il nous accusera pour un coup de partie
De nous être opposez longtemps à sa sortie.

PROTARQUE.

Il a beau déguiser ses fourbes et sa rage
1810 Pantonice est instruit de l’humeur de Pamphage !
Mais qu’est-ce qu’on me veut.

LE GENTILHOMME.

Un Gentilhomme entre.
Seigneur Pamphage enfin
Prévenant vos desseins vient d’ouvrir Charlymin.

PROTARQUE.

Charlymin ?

LE GENTILHOMME.

Oui, Seigneur, en espérant peut-être
Qu’en le faisant ouvrir il s’en rendrait le maître,
1815 Et qu’en rétablissant ces Princes élargis,
Il se rétablirait ainsi dans leurs esprits ;
Ou qu’il ferait du moins en déguisant sa haine,
Du dessein spécieux de choquer Andrigene,
Qu’ils croiraient que malgré tout l’État conspiré,
1820 Pour les faire sortir il aurait conjuré !
Mais tous nos bons destins ont éventé sa mine,
Pour nous donner moyen d’achever sa ruine,
Et de nos trois héros, ce fourbe n’a gagné
Que le simple bonheur de se voir épargné,
1825 Pendant qu’on espérait du vaillant Pantonice
Qu’il le sacrifierait d’abord à sa justice.

PROTARQUE.

Ô le lâche imposteur ! Mais enfin nos héros ;

LE GENTILHOMME.

Ont secoué les fers pour goûter le repos
Et pour cet heureux temps que le Ciel nous renvoie,
1830 Andrigene a voulu qu’on fit des feux de joie ;
Cependant qu’avec eux desséchant tous ses pleurs,
Elle les entretient de toutes ses douleurs.
Et confond ses plaisirs dans la douceur des larmes,
Qu’elle verse en riant sur le Dieu de ses armes.

PROTARQUE.

1835 Allons en partager les plus purs sentiments,
Et finir avec eux nos mécontentements
Cependant apprenons qu’une main vengeresse,
Pour abattre l’orgueil tôt ou tard s’intéresse,
Et que Pamphage enfin à nos pieds abattu
1840 nous instruit, en servant de marche à la vertu.