M. DC. LXXXXIII.
Mise au Théâtre par monsieur du F***
ACTEURS §
- VÉNUS, Colombine.
- MARS, Octave.
- VULCAIN, Arlequin.
- PLUTUS, Pasquariel.
- MERCURE, Pierrot.
- JUPITER, Octave.
- JUNON, Marinette.
- CUPIDON, Isabelle.
- DIANE, Isabelle.
- L’OCÉAN, Le Docteur.
- PUTON, Pasquariel.
- BACCHUS.
- UN TAMBOUR.
- CUPIDON, le débauché, Mezzetin.
- BELLONE.
- MOMUS.
- UN AMOUR.
- UN CHANTEUR.
- Plusieurs autres amours et divinités qui ne parlent point..
SCÈNE I. §
LE TAMBOUR chante.
1UN DES AMOURS arrête le tambour, et chante.
LE TAMBOUR chante.
L’AMOUR.
LE TAMBOUR chante.
L’AMOUR.
MARS.
Mon devoir m’arrache d’auprès de vous, charmante Vénus, il faut vous quitter dans le temps que votre coeur commençait à s’ébranler pour moi ; quel contretemps !
VÉNUS.
3Hélas, je suis bien plus à plaindre que vous ! J’ai tout à craindre de votre inconstance ; et une campagne endurcit bien le coeur d’un guerrier.
LE TAMBOUR, à Mars.
4Il faut, s’il vous plaît, abréger vos dialogues ; vous n’avez que le temps de venir payer votre hôtesse. Bellone a déjà endossé son habit de postillon, elle sera ici dans un moment avec votre chaise de poste.
MARS.
Va voir s’il ne manque rien à mon équipage, et laisse-moi profiter de quelques moments que la gloire veut bien accorder à ma tendresse.
LE TAMBOUR.
5Votre équipage est complet, il ne vous manque rien que de l’argent ; mais, madame Vénus y pourvoira. À propos, pendant que je suis dans le magasin de Vulcain, je vais vous choisir deux bons éperons de longueur, car je me souviens que votre cheval est toujours rétif quand il faut sortir de Paris.
MARS.
Tes discours m’importunent ; retire-toi.
LE TAMBOUR.
À voir les cérémonies que votre cheval fait pour sortir des portes, on croirait que le pauvre animal ressent la moitié de la tendresse que vous avez pour madame.
MARS.
Hé, laisse-nous en paix.
LE TAMBOUR.
Vous souvient-il du tour qu’il vous joua en revenant de Flandres, comme nous sortions de cette hôtellerie... là... où vous devîntes amoureux de la servante ?
MARS.
Te tairas-tu maraud ?
LE TAMBOUR, à part.
Il faut les laisser seuls : le jour du départ on a mille choses à se dire.
Mais voilà Bellone, dépêchez-vous.
BELLONE entre, et chante.
SCÈNE II. Vulcain, Mars, Vénus, Un Amour. §
VULCAIN.
Le ciel soit loué ! Voilà Bellone qui va délivrer ma maison de ce grand pendard de Mars. C’est le plus grand maraud ! Cependant, parce qu’il a de la bravoure, et que je suis naturellement poltron, j’ai mille complaisances pour lui. Il me prend pourtant envie de venger mon front sur le sien.
Mais, non, c’est un brutal qui n’entend pas raillerie, différons la vengeance jusqu’à ce qu’il soit parti. Il aime tendrement ma femme, et je ne puis mieux me venger de lui, qu’en rossant ce qu’il aime. Pour le présent, le plus sûr est de travailler comme si de rien n’était.
UN AMOUR chante sur l’air des forgerons dans le temps que Vulcain frappe sur son enclume.
VÉNUS, à Vulcain.
Petit mari ?
Moutonnet, mignon, tu fais plus de bruit aujourd’hui qu’à l’ordinaire.
VULCAIN.
C’est que je frappe de rage.
VÉNUS.
Mon petit fils, frappe donc plus doucement, si tu veux épargner ma tête.
MARS.
En vérité, monsieur Vulcain, vous n’avez guères de considération pour les femmes.
VULCAIN.
Ni vous pour les maris, monsieur Mars.
MARS.
Mais vraiment, vous ne songez pas que vous donnez des vapeurs à madame ?
VULCAIN.
Si je lui donne des vapeurs, vous prenez bien soin de les guérir, vous.
VULCAIN d’un ton brusque.
Monsieur Mars, je vous demande pardon, mais ma besogne presse, et j’ai une nouvelle baguette de Vulcain de commande, que je dois livrer aujourd’hui aux comédiens.
MARS.
Quand je serai parti, vous forgerez tant qu’il vous plaira.
VULCAIN.
Monsieur, notre grand débit se fait avec les officiers. Sitôt que vous les aurez emmenés à l’armée, il faudra mettre les baguettes de Vulcain aux vieilles ferrailles.
MARS.
Ce serait dommage de laisser inutile un instrument qui va chercher l’or jusques dans les entrailles de la terre.
VULCAIN.
8Les baguettes qui ne font que chercher l’or sont contrefaites, les véritables l’attirent ; et j’en connais une qui en trois mois a fait venir plus de vingt mille écus à l’hôtel de Bourgogne. Mais vous me faites perdre ici mon temps mal à propos. J’ai trop la vogue pour m’amuser à parler gratis, et avec les Parisiens il faut battre le fer quand il est chaud. Tous ce que je puis faire pour adoucir le bruit des marteaux, c’est de chanter en travaillant.
MARS, à Vénus.
Madame, puisqu’il nous empêche de parler bas, il mériterait bien que vous me fissiez une déclaration d’amour, si haut qu’il l’entende.
VULCAIN qui a entendu cela, chante.
MARS se retournant.
Plaît-il ?
VULCAIN, continuant de chanter.
MARS.
Je vois bien qu’il faut quitter la place. Voilà un grand brutal.
MARS, à Vénus.
Il faut bien lui faire un peu d’amitié, pour le disposer à vous bien traiter en mon absence. Je le hais comme tous les diables...
Adieu, mon cher ami Vulcain, je suis fâché d’être obligé de vous quitter.
VULCAIN.
Ah, monsieur !
MARS.
10Hai ! Au moins je vous recommande de veiller un peu à la conduite de madame votre épouse, pendant mon voyage. Si vous voulez conserver sa réputation et la vôtre, gardez-vous bien de laisser entrer chez vous tous ces petits demi-dieux blondins et court-vêtus, qui n’attendent que mon départ pour venir fondre ici.
VULCAIN.
11 12Ma foi, monsieur Mars, un plumet comme vous décrie plus une femme en huit jours d’été, que tous ces messieurs-là en tout un hiver. Mais baste, un peu d’honneur plus ou moins dans une famille, cela ne vaut pas la peine de se brouiller avec un ami tel que vous.
VULCAIN.
Vous avez ici des armes à choisir.
MARS, à Vulcain qui lui veut mettre son casque.
Monsieur mon compère, ne prenez pas la peine...
VULCAIN.
Non, non, j’irai bien moi-même.
VÉNUS.
Tu viens de nous dire que tu as de la besogne pressée ?
VULCAIN.
16Le plus pressé de ma besogne c’est de le faire partir promptement. Songez seulement aux soins de votre ménage ; et pendant mon absence, mettez la paix entre vos deux enfants, qui se mangent le blanc des yeux ensemble.
SCÈNE III. Cupidon, Vénus. §
VÉNUS.
CUPIDON.
VÉNUS.
VÉNUS.
CUPIDON.
VÉNUS.
CUPIDON.
SCÈNE IV. Vénus, Cupidon le débauché, tenant une pipe allumée à la bouche et une bouteille d’eau-de-vie à la ceinture. §
CUPIDON.
VÉNUS.
CUPIDON.
VÉNUS.
CUPIDON.
VÉNUS.
VÉNUS.
CUPIDON.
VÉNUS.
CUPIDON.
VÉNUS.
CUPIDON.
VÉNUS.
26Retirez-vous, voici un laquais de Plutus. Que me veut-il ?
LE LAQUAIS.
C’est de la part du dieu des richesses, qui voudrait bien vous rendre visite, pendant que votre mari n’y est pas.
VÉNUS, au laquais.
Dis-lui qu’il me fera beaucoup d’honneur.
Allez, retirez-vous, je n’ai pas besoin d’amour ici.
UN DES AMOURS.
SCÈNE V. Vénus, Plutus. §
VÉNUS.
Montrez-vous donc, Plutus ; car le dieu des richesses est un dieu inutile, tant qu’il reste enfermé sous la clef.
Oh, vous êtes un peu plus aimable sous cette figure : mais si vous voulez me plaire vous vous rendrez encore plus palpable.
On a bien de la peine à vous développer du métail ! Pour peu que vous fussiez galant, vous me feriez voir le fond du sac.
Je serais contente de votre complaisance, si vous vouliez bien parler, et me faire part de cette douce éloquence que les sourds entendent, qui fait parler les muets, et soupirer les plus cruelles.
On ne peut rien de plus galant que cette manière de s’exprimer : mais je sais que vous êtes le premier homme du monde pour soutenir une conversation suivie...
Et qu’on ne se lasse jamais de vous entendre parler : et j’ai appris d’un historien moderne, que vous écrivez des billets plus doux, plus persuasifs, et plus touchants que ceux de Voiture.
PLUTUS tire de son portefeuille plusieurs billets, qu’il lit bas en bourdonnant.
28Hon, hon, hon... Vous payerez au porteur... Bon !
VÉNUS.
Vingt mille francs ! À la fin vos libéralités pourraient bien alarmer ma vertu. Que faudra-t-il donc que je fasse pour reconnaissance ?
S’il ne faut que mon estime, elle vous est acquise.
Que vous êtes pressant, Plutus ! Je vois bien que vous prétendez à mon amitié. Je la ferais acheter à un autre ; mais pour vous, je vous la donne.
Ciel ! Seriez-vous assez téméraire, pour vouloir de l’amour.
Vous feriez cet outrage à Vulcain ?
Non, je jure par le Styx, que je ne ferai point d’infidélité à mon époux.
PLUTUS.
Par le Styx ?
VÉNUS.
Oui, par le Styx.
PLUTUS.
Par le Styx ?
VÉNUS.
30Plutus ? Plutus ? J’ai juré par le Styx, il est vrai, ce serment est inviolable pour les dieux : mais les déesses ont des privilèges, et moi surtout, à qui Pâris a donné la pomme, non pas pour ma beauté, comme disent les poètes ; mais seulement parce que je suis la déesse de l’amour.
M’entendez-vous, Plutus, Plutus, mon cher Plutus !
SCÈNE VI. Vulcain, Vénus. §
VULCAIN sortant du coffre au lieu de Plutus, et contrefaisant Vénus.
Plutus, Plutus, mon cher Plutus ! Il n’y a point de Plutus pour vous : c’est moi qui ai pris sa figure pour vous éprouver, coquette fieffée. Oh, je jure par le Styx, moi, qui n’ai pas le privilège de me dédire...
VÉNUS.
N’achevez pas, mon cher mari. Voudriez-vous me punir sans m’entendre ?
VULCAIN.
Je ne vous ai que trop entendue, de par tous les diables, et il n’a tenu qu’à moi de voir...
VÉNUS.
Il est vrai que les apparences sont contre moi : mais...
VULCAIN.
Tu as beau faire, tes discours ne m’ôteront pas de la tête ce que ta mauvaise conduite y a mis.
VÉNUS.
Qu’y a-t-il donc dans ma conduite de si extraordinaire ? J’aime le plaisir de la conversation : et je choisis un jeune guerrier pour le brillant, et un financier pour le solide. En vérité il n’y a point de simple mortelle qui n’en fasse autant. Plutus est bon à ménager, et tu seras trop heureux, quand la guerre sera finie, qu’il te fasse avoir une commission.
VULCAIN.
Je n’en veux point à ce prix-là.
VÉNUS.
À quel prix crois-tu que j’achète les bonnes grâces de Plutus ? Ne sais-tu pas que c’est une dupe qui paye d’avance, et qui achète, au prix des plus grandes faveurs, quelques minauderies coquettes qui ne tirent pas à conséquence ? Il est charmé d’une oeillade louche qui va tomber sur son rival : il croit qu’il est le héros de tous les cadeaux qu’il donne, et prend pour une langueur amoureuse, l’ennui mortel que sa conversation me fait souffrir.
VULCAIN.
Oh, je connais bien la race Plutonique. Ce drôle-là sème en dieu libéral : mais il recueille en homme avare : et je suis bien trompé si les articles de la recette ne suivent de près ceux de la dépense. Dites-moi un peu, madame la coquette, quand vous avez rappelé Plutus sur le ton d’une marchande du palais, qui prend au mot un joli chaland : quelle marchandise prétendiez-vous lui livrer ?
VÉNUS.
31Je prétendais l’amorcer avec de belles espérances, jusqu’à ce que Mars soit de revenu de l’armée, pour le faire déguerpir l’héritage, et faire en sorte qu’il ne reste à Plutus que l’honneur d’avoir fait les améliorations.
SCÈNE VII. Mercure, Vulcain, Vénus. §
MERCURE.
Seigneur Vulcain, j’ai exécuté vos ordres ; je viens d’avertir les dieux de se trouver dans la salle de l’audience, ils sont déjà à la buvette.
VULCAIN.
L’assemblée sera-t-elle nombreuse ?
MERCURE.
Non, la plupart des dieux sont malades, à cause des vins nouveaux.
VULCAIN.
N’importe, ils seront tous pour moi ; car ma cause est la cause commune.
VÉNUS.
Si tous les dieux sont pour vous, les déesses seront pour moi.
MERCURE.
Nous n’en aurons pas beaucoup ; car la plupart sont allés jouer leur rôle à l’opéra.
Çà, il faut vous mettre en état d’être jugé, avant que les dieux paraissent. Mettez-vous sur la sellette.
VULCAIN.
Une sellette à moi ? C’est ma femme qui est l’accusée.
MERCURE.
Dans ces sortes de procès le mari est toujours le patient.
VULCAIN.
Ô tempora ! Ô mores !
MERCURE à Vénus bas.
J’ai prié Bacchus de composer un petit breuvage pour adoucir la colère de Vulcain. Laissez-nous faire, sortez d’ici sans rien dire, et ne paraissez point que je ne vous avertisse.
VULCAIN.
Où va donc ma femme ?
MERCURE.
C’est un petit accès de pudeur qui lui vient de prendre. Elle dit que vous plaidiez pour elle, et que tout ce que vous ferez sera bien fait. Entre nous, elle sent bien que sa cause est véreuse.
VULCAIN.
Vous allez voir aussi comme je vais triompher.
MERCURE.
Les lauriers de ce triomphe là seront bien secs ; je crains bien que leurs feuilles ne tombent par terre, et qu’il ne vous en reste que le bois sur la tête. Mais j’entends messieurs qui commencent à tousser, le procès est à moitié jugé. La porte de l’audience s’ouvre.
SCÈNE VIII. Vulcain, Vénus. §
Presse : foule de peuple qui veut entrer en un lieu qui ne le peut pas contenir commodément. [F]
MOMUS.
36TOUS LES DIEUX reprennent.
Il a tort, il a tort, il a tort.
VULCAIN.
Monsieur Momus, ne venez pas ici, par vos fades plaisanteries, troubler la gravité de nos juges, elle fait plus de la moitié de leur science. Il m’a fait oublier la moitié de mon plaidoyer... Ah, le voici ! Vous voyez devant vous l’affligé Vulcain votre confrère...
LES DIEUX l’interrompent en chantant.
Il a tort, il a tort, il a tort.
VULCAIN.
Un petit reste de musique, qui était demeuré en l’air. Je dis donc, messieurs...
TOUS LES DIEUX.
Il a tort, il a tort, il a tort.
JUNON d’un ton de colère.
Quelle honte est-ce là, messieurs ? On ne veut pas se donner la peine d’entendre Vulcain ? Si vus vous moquez d’un dieu qui se plaint de sa femme, que ferez-vous donc à un simple mortel ?
JUPITER.
37Les mortels ne sont pas si sots que de se plaindre, ils passent ces sortes d’affaires sous silence.
JUNON.
Monsieur Vulcain, criez, tempêtez, faites le diable à quatre, jusqu’à ce qu’on ait rendu justice. Laissez-moi faire, je vais condamner au carcan tous les époux infidèles.
VULCAIN.
39Tous : donnez-vous-en bien de garde. Il n’y aurait personne pour faire exécuter la sentence.
JUNON.
J’enrage quand je vois...
JUPITER, à Junon.
Taisez-vous, jalouse ; on voit bien que vous avez de la rancune contre les maris. Si vous vouliez du bien à Vulcain, vous lui conseilleriez de ne se point faire juger : car le mieux qui lui puisse arriver dans cette affaire, c’est d’avoir tort.
VULCAIN.
Oui, je commence à comprendre que...
Il a tort, il a tort ; n’a pas tout à fait tort. Car pour avoir un arrêt contre ma femme, je n’ai que faire de venir ici, le public en prononcera plus que je ne voudrais. Monsieur Jupiter, puisque vous jugez à propos de ne me point juger, au moins donnez-moi quelque consolation dans mon affliction.
JUPITER.
La plus grande consolation qu’on puisse donner à un mari affligé, c’est l’abondance des biens dans sa maison. J’ordonne donc que chacun vienne faire un présent à Vulcain, et lui donne un conseil convenable au présent qu’il fera. Je vais commencer.
VULCAIN.
JUNON à Cybèle.
40JUNON.
VULCAIN.
MOMUS s’adressant à Jupiter, chante.
VULCAIN.
43L’Océan est bien flegmatique.
L’OCÉAN.
VULCAIN.
MOMUS chante.
VULCAIN.
DIANE, donnant un croissant à Vulcain.
44VULCAIN, à Diane.
DIANE.
MOMUS chante.
VULCAIN.
PLUTON, donnant un bident à Vulcain.
48 49VULCAIN.
BACCHUS, chante en riant.
MOMUS chante.
VULCAIN.
JUPITER, chante.
VULCAIN.
JUNON, chante.
52VULCAIN.
VULCAIN.
PLUTON, chante.
BACCHUS, chante.
VÉNUS, chante.
VULCAIN, chante.