M. DC. LXXXXIII.
Mise au Théâtre par monsieur du F***
ACTEURS §
- ARLEQUIN, gouverneur d’une île en Espagne.
- COLOMBINE Duègne, gouvernante de plusieurs filles.
- ISABELLE, Fille sous le gouvernement de Colombine.
- MARINETTE, Fille sous le gouvernement de Colombine.
- PASQUARIEL, Fille sous le gouvernement de Colombine.
- MEZZETIN, Fille sous le gouvernement de Colombine.
- PIERROT, Pierrot eunuque, gardien des filles.
- OCTAVE, amant d’Isabelle.
- LE DIEU HYMEN : Un chanteur.
- UN CABARETIER.
- FEMME DU CABARETIER.
- UN PROCUREUR.
- FEMME DU PROCUREUR.
- UN JARDINIER.
- FEMME DU JARDINIER.
- UN JEUNE HOMME.
- FEMME DU JEUNE HOMME, fort vieille.
- Plusieurs autres acteurs.
ACTE I. §
SCÈNE I. Arlequin gouverneur de l’île, Colombine. §
ARLEQUIN.
La sotte coutume, madame, la sotte coutume ! Quoi ! Quand un gouverneur prend possession de cette île ; il est obligé de se marier ? Ma foi, c’est acheter trop cher un gouvernement.
COLOMBINE.
Je vous dis que vous ne serez point reçu, que vous n’ayez choisi une femme.
ARLEQUIN.
Mais, comment voulez-vous que je choisisse ? Je n’en connais encore aucune. Est-ce que vous avez ici, comme à Paris, de ces rues marchandes, où l’on trouve des filles en magasin ?
COLOMBINE.
Non, mais la loi ordonne que vous choisissiez entre les filles du dernier gouverneur, quand il y en a. Par bonheur, le gouverneur défunt en a laissé douze, dont je suis l’aînée et la gouvernante. Enfin ma maison est une pépinière, où vous en trouverez de toutes les espèces.
ARLEQUIN.
Et dans votre pépinière, les filles sont-elles toutes greffées ?
COLOMBINE.
J’ai, entre autre, une jeune plante nommée Isabelle, où j’ai pris soin de greffer la sagesse la plus à l’épreuve.
ARLEQUIN.
1 2Hon, tous les arbres qu’on greffe ne reprennent pas, et la sagesse d’une fille est semblable à ces petites branches mal nourries qu’on veut enter sur un arbre trop fort, le plus souvent la sève les étouffe. Mais, dites-moi un peu ce qui a donné lieu à la coutume dont il s’agit, et quel intérêt vous avez que les gouverneurs se marient ?
COLOMBINE.
En voici la raison. C’est que le plus beau des privilèges de nos habitants est fondé sur ce mariage ; c’est en sa faveur qu’ils jouissent des mal-assortis.
ARLEQUIN.
Qu’est-ce que ce droit des mal-assortis ?
COLOMBINE.
C’est que tous les époux mal-assortis, c’est-à-dire, qui ne sont pas contents l’un de l’autre, auront permission aujourd’hui de se plaindre à vous, et vous aurez le pouvoir de les faire troquer de femmes et de maris, si vous le jugez à propos.
ARLEQUIN.
Oh, je jugerai toujours à propos de démarier les mal-assortis ; car j’en sais les conséquences. Mais deux choses m’embarrassent en ceci. La première, pourquoi en faveur d’un si beau droit votre île n’est pas plus peuplée ?
COLOMBINE.
C’est qu’on n’y reçoit point de Français, et surtout de Parisiens, qui déserteraient leur ville pour venir jouir d’un nouveau privilège.
ARLEQUIN.
La seconde difficulté que je trouve, c’est que tout le temps de mon gouvernement ne suffira pas, si je suis obligé d’écouter ceux qui sont mal mariés.
COLOMBINE.
Oh, c’est ce qui vous trompe, car nos peuples sont de si bons sens, que tel qui a une femme jalouse, laide, capricieuse et coquette, ne veut point changer, de peur de trouver pis, et vous n’aurez peut-être aujourd’hui que cinq ou six mal-assortis à juger.
ARLEQUIN.
Mais à propos ; je viens de m’aviser, que sans aller choisir dans votre pépinière, je me contenterais...
COLOMBINE.
Oh, j’ai fait voeu de ne me point marier.
ARLEQUIN.
La témérité de ce voeu-là est écrite dans vos yeux.
COLOMBINE.
Je serais bien folle de me marier, puisque j’ai déjà par devers moi le plus grand avantage qu’attire après lui le mariage le plus heureux.
ARLEQUIN.
Que voulez-vous dire par là ? Avez-vous de beaux enfants, bien conditionnés ? C’est un grand avantage.
COLOMBINE.
Vous n’y êtes pas.
COLOMBINE.
Non.
ARLEQUIN.
Ouais ! Quel est donc ce grand avantage que le mariage le plus heureux attire après lui ?
COLOMBINE.
C’est le veuvage.
ARLEQUIN.
Ma foi, vous avez raison. Comment est-ce que je ne l’ai pas deviné !
SCÈNE II. Arlequin, Colombine, Pierrot Eunuque. §
ARLEQUIN.
Qui est cet homme-là ?
COLOMBINE.
C’est le sous-gouverneur de mes soeurs ?
ARLEQUIN.
Comment donc ? Un homme pour sous-gouverneur de vos soeurs ?
COLOMBINE.
Oh, monsieur, ne vous scandalisez point, il a toutes les qualités requises pour...
ARLEQUIN.
Oh, je vois bien à sa physionomie, que s’il est capable de gouverner des filles, ce n’est pas tant par les bonnes qualités qu’il a, que pour celles qui lui manquent.
PIERROT.
Madame... Monsieur, dis-je... non, non. Madame : ô, monsieur... Ô madame ! À qui est-ce de vous deux que j’ai quelque chose à dire ?
ARLEQUIN.
Ma foi, je n’en sais rien.
PIERROT.
N’importe, c’est pour un secret que mesdemoiselles vos soeurs m’envoient vous dire tout bas à l’oreille à quelqu’un de vous deux. C’est que monsieur le gouverneur n’aille pas les voir que dans une petite demi-heure, parce qu’elles ne sont pas encore prêtes. L’une attend ses cheveux qui sont chez la coiffeuse, l’autre, deux ou trois dents qu’on achève de limer ; celle-ci, sa couturière, qui lui fait une gorge de satin ; l’autre répète sa leçon devant un miroir. Tant y a qu’il leur faut encore quelque temps pour achever tous leurs exercices.
COLOMBINE, à Arlequin.
Monsieur, il faut donner le temps aux filles de s’ajuster.
ARLEQUIN.
Je ne trouve pas cela étrange. Il n’est pas encore tout à fait nuit : et cinq heures du soir, c’est la plus belle heure de la toilette.
COLOMBINE.
Monsieur, allons dans mon appartement, je vais achever de vous instruire des cérémonies des mal-assortis.
PIERROT.
Et moi je vais aider à ces pauvres filles à s’attifer ; car elles n’ont point d’autre femme de chambre que moi.
SCÈNE III. Pierrot, Isabelle. §
PIERROT.
4Ah, je suis bien aise que vous soyez plus diligente que vos sours ! On ne saurait les tirer de leur toilette, et je crois que dans deux heures d’ici elles ne seront caparaçonnées.
ISABELLE.
Hélas, mon soin est bien différent de celui de mes sours ! Elles ont passé toute la nuit à s’ajuster, et moi à pleurer. Elles cherchent dans leur toilette des charmes qu’elles n’ont point, et je voudrais pouvoir cacher ceux que le ciel m’a donnés.
PIERROT.
5Oh, les filles n’aiment guère à se cacher : et si elles étaient toutes faites comme vous, elles amèneraient bientôt la mode de s’habiller l’été avec du réseau.
ISABELLE.
Mon pauvre eunuque, je tremble de peur que le gouverneur ne me trouve aimable. Tu sais ma passion pour Léandre, et que la princesse a rompu notre mariage, dans l’espérance que le gouverneur me choisisse. Que je suis malheureuse, d’être plus jolie que mes sours ! Ne sais-tu point quelque secret pour me faire paraître laide ?
PIERROT.
Je n’en ai point encore vu dans les affiches : mais je m’imagine, que si on pouvait composer quelque pommade douce avec de la poudre à canon, s’en couvrir le visage, et y mettre le feu... mais je ne l’ai pas encore éprouvé.
ISABELLE.
Oh, je voudrais bien être laide pour déplaire au gouverneur : mais je serais bien aise de redevenir belle, pour plaire à Léandre.
PIERROT.
Oh, cela ne se peut pas. La fleur de la beauté, c’est comme la fleur de la sagesse. Quand elle est une fois fanée, il n’y a plus rien à refaire.
ISABELLE.
Je n’ai donc plus qu’une ressource, et j’espère que ma vertu me guérira de l’amour que j’ai pour Léandre.
PIERROT.
Bon, bon, la vertu ! La vertu est justement tout comme les médecins, qui ne guérissent que des maladies qu’on n’a point.
ISABELLE.
Oh, mon pauvre ami, s’il faut absolument que j’épouse le gouverneur, je ne verrai plus Léandre.
PIERROT.
Quoi, ce Léandre, si beau, si bien fait, qui se démène comme un coq, et se campe comme un cheval de manège, vous ne le verrez jamais ? À d’autres.
ISABELLE.
Non, mais je m’enfermerai quelquefois dans ma chambre, et je l’aimerai toute seule sans qu’il y soit.
ISABELLE.
Est-ce qu’il ne me sera pas permis de prendre plaisir à penser à lui, malgré moi ?
PIERROT.
Prendre plaisir malgré vous ! Oh, il n’y a point de concordance à cette phrase-là : prendre plaisir malgré vous ! Cicéron appelle cela ? La chèvre et les choux.
ISABELLE.
Je ferai donc tous mes efforts pour oublier Léandre. Quand il me viendra dans l’esprit, je secouerai la tête, je me rongerai les ongles, je fermerai les yeux et les oreilles.
PIERROT.
Oh, l’Amour est un voleur de nuit, qui trouve toujours quelque porte ouverte.
ISABELLE.
Hé bien, quand je serai lasse de combattre, je m’endormirai, afin de l’oublier tout à fait.
PIERROT.
C’est là où l’Amour vous guette. Il vous fera voir Léandre plus beau qu’il n’est, vous oublierez que vous dormez, et puis après, que sais-je moi ? Les songes sont bien malins.
ISABELLE.
Mais je ne serai pas coupable, car ce n’est qu’un songe.
PIERROT.
Voilà vos sours qui m’appellent, je m’en vais vitement plier leur toilette, afin que le gouverneur qui va venir, ne voie pas tout cet attelage-là.
ISABELLE, seule.
Ciel ! Fais que le gouverneur me haïsse, autant que Léandre m’aime.
SCÈNE IV. §
Lacer : Serrer avec un lacet. Lacer un corset, un bas de peau. Lacer une femme. [L]
UNE DES FILLES, pendant qu’on la lace.
Ah ! Ah ! Je n’en puis plus.
PIERROT.
Voulez-vous que je la délace ?
LA FILLE.
8Non, non, serrez tant que vous pourrez... Hai ! Je crève... Ma taille m’est plus chère que ma santé... Serrez fort... Je crève.
PIERROT.
Est-ce assez ?
LA FILLE.
Non, serrez. Ah, ah !
AUTRE FILLE.
Pierrot, Pierrot. Ma couturière n’a-t-elle point apporté ma gorge ?
PIERROT.
Votre gorge ? Est-ce qu’elle n’est pas sous votre peignoir ?
LA FILLE.
C’est cette gorge à ressort que je lui ai donnée, pour couvrir de satin.
PIERROT.
9Je ne connais point tous ces brimborions des filles, mais j’ai vu ici deux vessies de cochon : est-ce cela ?
LA FILLE.
Voilà ce que c’est : aide-moi à les mettre. Cache-moi donc. Si mes sours me voyaient : elles en voudraient avoir de même.
SCÈNE V. Arlequin, Les Filles. §
ARLEQUIN, à part.
Je suis venu par l’escalier dérobé, afin de surprendre ces filles dans leur naturel, avant qu’elles aient le temps de se falsifier : car sitôt qu’une femme a le loisir de se préparer à recevoir visite, ma foi, les plus connaisseurs ne sauraient juger ni de son sein, ni de sa taille. J’ai toujours ouï dire, que pour bien juger d’un tableau, il faut le voir sans bordure, et un cheval tout nu par le licol.
UNE DES FILLES, à Mezzetin.
Ah, quelle trahison, monsieur le gouverneur, quelle trahison !
ARLEQUIN.
Pardonnez ma curiosité.
LA FILLE.
Est-ce qu’on surprend ainsi une fille, avant qu’elle ait le temps de...
ARLEQUIN.
Quelles mamelles ! Où sont donc les petits marcassins ?
Ma foi, je ne suis plus curieux.
LA FILLE.
Cela est bien aisé à dire, quand on a vu mille choses. En vérité, monsieur, c’est un crime contre la bienséance.
ARLEQUIN.
Ce crime-là porte sa pénitence.
LA FILLE.
Ce n’est pas par ces badineries-là qu’on prétend plaire ; on a mille autres qualités.
ARLEQUIN.
On peut juger des autres par celles-là. Je vous laisse en liberté.
LA FILLE.
Vraiment, il est bien temps quand on a fait la faute.
LA FILLE.
Il y a mille femmes scrupuleuses, qui prendraient mal les choses : mais pour moi qui ai l’intention bonne...
ARLEQUIN.
Allez, allez achever de vous habiller.
LA FILLE.
Puisque vous me l’ordonnez, je serai à vous dans un moment.
ARLEQUIN.
Si toute la famille lui ressemble, le choix m’embarrassera.
UNE AUTRE FILLE tenant un tambour de basque, Marinette.
De la joie, de la joie, monsieur le gouverneur.
ARLEQUIN.
L’humeur de celle-ci me plairait assez : mais il y a quelque chose à refaire à cette taille-là.
LA FILLE.
C’est que vous ne vous connaissez pas en tailles fines. Une fille sans embonpoint c’est une chambre sans meubles.
ARLEQUIN.
Oh, vive les tailles fines ! Je me défie de ces filles qui se piquent d’embonpoint, et qui sont toujours en déshabillé.
LA FILLE.
Croyez-moi, monsieur le gouverneur, vous seriez heureux avec une femme comme moi, qui ne sait ce que c’est que d’engendrer de la mélancolie.
ARLEQUIN.
Non, mais vous savez ce que c’est que d’engendrer de la joie. Franchement, je n’ai point envie de vous prendre.
LA FILLE.
Ma foi, vous faites bien ; car quand vous le voudriez, je ne le voudrais pas.
UNE AUTRE FILLE avec une cornette qui lui cache le visage. Pasquariel.
Il aime les tailles fines, il me va choisir.
ARLEQUIN, à part.
11Cette taille-là me plaît assez, elle n’est point raboteuse.
Madame, pourrait-on vous voir au visage ?
LA FILLE.
Ah ! Je suis horrible aujourd’hui, je n’ai point dormi de la nuit.
ARLEQUIN, à part.
Apparemment qu’elle est jolie, car elle minaude.
Hé je vous prie, Madame...
LA FILLE.
Le soleil fait ici mille fausses lueurs.
ARLEQUIN.
Une beauté est à l’épreuve du soleil.
LA FILLE.
Je vous dis que je ne suis pas en jour.
ARLEQUIN.
Hé bien, mettez-moi dans le point de vue.
LA FILLE.
Fermez donc les rideaux.
LA FILLE.
Ma beauté l’a surpris, il faut lui donner le temps de se reconnaître.
SCÈNE VI. Colombine, Arlequin, Isabelle qui survient. §
COLOMBINE.
Hé bien, monsieur, parmi ces charmantes sours, en avez-vous trouvé quelqu’une qui vous convienne ? Votre cour s’est-il déterminé ?
ARLEQUIN.
Non, mais il s’est soulevé. Ah !
COLOMBINE.
Vous trouvez-vous mal ?
ARLEQUIN.
Franchement, madame, j’aime mieux renoncer au gouvernement, que de me marier ; votre famille est trop laide.
COLOMBINE, à part.
Où est donc Isabelle ? Apparemment qu’il ne l’a pas encore vue.
Pourquoi donc vous cachez-vous ainsi ?
ISABELLE.
Ah, ciel !
COLOMBINE, à part.
Celle-ci lui fera revenir le cour.
Monsieur le gouverneur, tournez-vous ; en voici une qui vous plaira sans doute.
ARLEQUIN se retournant ; et voyant Isabelle.
12Ah ! Voici de l’eau de la reine de Hongrie.
Madame, je l’épouse, et me tiens trop heureux de l’avoir.
ISABELLE, à Colombine.
Mais, ma soeur, pourquoi contraindre monsieur à me choisir entre des soeurs qui sont plus aimables que moi ?
COLOMBINE.
Je lui ai donné le temps d’examiner leur mérite.
ARLEQUIN.
Leur mérite, ma foi, n’a pas besoin d’examen, il saute aux yeux d’abord. Madame, je m’en tiens à celle-ci, et je la choisis pour ma femme.
ISABELLE.
Ah, grands dieux, quel malheur !
COLOMBINE, à Isabelle.
Allons, il faut obéir à la loi.
ISABELLE.
Ah, ma sour ! Faites-le changer de sentiment.
ARLEQUIN.
Oh, ne craignez rien, je ne suis pas changeant.
ISABELLE.
Que je suis malheureuse !
ARLEQUIN.
Que dit-elle ?
COLOMBINE.
Qu’elle est heureuse...
ISABELLE.
Oui, j’en mourrai.
ARLEQUIN.
Comment ? Elle en mourra ?
COLOMBINE.
Oui, monsieur, de joie.
ARLEQUIN.
13Oh, il faut que les femmes modèrent leur joie. Hippocrate dit que « summum gaudium mulieres dilatando occidit ».
COLOMBINE.
Je la laisse avec vous, et je vais donner mes ordres pour la cérémonie des mal-assortis.
ISABELLE, à part.
Il me vient une pensée pour le dégoûter de moi ; je vais lui faire accroire...
ARLEQUIN.
Hé bien, charmante pouponne, je vais vous rendre heureuse.
ISABELLE.
Monsieur, puisque vous voulez me rendre heureuse, je ne puis sans ingratitude vous rendre malheureux, et je me crois obligée de vous avertir que j’ai mille défauts, que vous ne pourrez jamais supporter.
ARLEQUIN.
Oh, je me suis déjà aperçu de ces défauts-là. Vos yeux sont un peu trop vifs, votre bouche trop vermeille, votre taille trop fine. Mais quand on aime, on passe par-dessus ces petits défauts-là.
ISABELLE.
Si vous connaissiez mon humeur ! Je suis bizarre, capricieuse...
ARLEQUIN.
Cela me vient le mieux du monde ; car mon médecin m’a ordonné, à cause de ma bile, de donner tous les matins à jeun trois ou quatre soufflets à quelqu’un ; et cette recette nous guérira tous deux, moi de ma bile, et vous de vos caprices.
ISABELLE, à part.
Quel brutal ! Ô ciel !
Monsieur, j’ai une autre maladie bien plus dangereuse. Toutes les nuits je suis sujette à des rêves furieux, qui allument la rage dans mon âme ; j’égratigne, je mords, j’assassine, et j’étouffai l’autre jour dans mes bras...
ARLEQUIN.
Un amant ?
ISABELLE.
Un petit bichon que ma soeur m’avait donné.
ARLEQUIN.
Il faudra se précautionner, et je coucherai avec une armure à toute épreuve.
ISABELLE.
Il n’y a point d’armure à toute épreuve de la rage d’une femme.
Qui hait son mari.
À propos, monsieur, j’oubliais à vous dire... mais je n’ose.
ARLEQUIN.
Dites, dites, je suis tout disposé à vous entendre.
ISABELLE.
C’est que j’ai eu déjà deux accès de folie.
ARLEQUIN.
Quoi ! Vous n’avez eu que deux accès de folie à votre âge ? Hé, vous êtes la perle des filles.
ISABELLE.
Mais, monsieur, pourquoi vous obstiner à prendre une malheureuse ? Si vous connaissiez le mérite d’une sour que j’ai. Il faut que je vous la fasse voir. Ma sour Toinon...
Ici plusieurs filles accourent, chacune d’elles disant :
C’est moi, c’est moi que monsieur le gouverneur a choisi.
ACTE II §
SCÈNE I. Arlequin, l’Hymen. §
ARLEQUIN.
L’HYMEN s’avance et chante.
SCÈNE I.. Un Cabaretier, une Cabaretière fort laide, Arlequin. §
UN CABARETIER.
ARLEQUIN.
LE CABARETIER.
ARLEQUIN.
LA COQUETTE.
ARLEQUIN.
LA COQUETTE.
ARLEQUIN.
LA COQUETTE.
ARLEQUIN.
LE PROCUREUR.
ARLEQUIN, au procureur.
LE PROCUREUR.
LA COQUETTE.
ARLEQUIN.
LA COQUETTE.
ARLEQUIN.
LA COQUETTE.
ARLEQUIN.
21LA COQUETTE.
ARLEQUIN.
LA COQUETTE.
ARLEQUIN.
LE PROCUREUR.
ARLEQUIN.
LE PROCUREUR.
ARLEQUIN.
LA COQUETTE.
LA COQUETTE.
ARLEQUIN.
23LE CABARETIER, à la coquette.
LA COQUETTE.
LE CABARETIER.
LA COQUETTE.
ARLEQUIN.
LE PROCUREUR.
ARLEQUIN.
LE PROCUREUR.
ARLEQUIN, au procureur.
LE CABARETIER, chante.
L’HYMEN, chante.
SCÈNE III. Arlequin, un Jeune Homme qui se cure les dents, une Vieille qui tient une bourse vide, un Jardinier, et une Jardinière qui est grosse. §
ARLEQUIN.
Une vieille, dont la bourse est vide, et un jeune homme qui se cure les dents ! Cette scène muette parle toute seule.
Vous voulez vous démarier, parce que vous voyez le fond de sa bourse ? Vous avez raison.
Vous, vous vous plaignez apparemment qu’il ne vous a pas donné l’emploi de vos deniers ? Vous avez tort. Une vieille qui achète la tendresse d’un jeune homme, doit s’attendre, que dès le lendemain du marché, il portera chez sa voisine l’argent et la marchandise. Voyons, si nous trouverons ici de quoi vous assortir.
LE JARDINIER, à sa femme.
Ah ! Il y a longtemps que j’attends ce jour bienheureux.
LE JARDINIER.
Jardinier, pour vous servir.
ARLEQUIN.
Je m’en suis douté, en voyant la rondeur de la jardinière : car la terre d’un jardinier est toujours plus fertile qu’une autre.
LE JARDINIER.
Vous me faites plus d’honneur qu’il ne m’en est dû. Mais vous voyez ce jeune homme.
ARLEQUIN.
En est-ce à lui l’honneur ?
LE JARDINIER.
Je ne dis pas cela ; mais je suis son jardinier, et il y a quelque temps qu’il vint me trouver, et qu’il me dit : maître Ambroise, en récompense de tes services, je te veux faire un présent... Ah, monsieur... Oui, maître Ambroise, je te donne en mariage la fille de mon concierge... Oh ! Comme il n’avait pas accoutumé de me faire de si grands présents, je me doutai de sa ruse, et je dis en moi-même : je l’attraperai.
ARLEQUIN.
C’est-à-dire que vous ne voulûtes pas l’épouser.
LE JARDINIER.
Oh que si ! Je l’épousai, pour mieux découvrir la vérité, mais sitôt que nous fûmes mariés, je pris la poste, et je fis un voyage de six mois.
ARLEQUIN.
Je vous entends. C’est-à-dire que vous voulûtes voir, si malgré votre absence...
LE JARDINIER.
Vous l’avez dit.
LA JARDINIÈRE.
Oh, l’absence ou la présence ne fait rien à la chose, et le mariage va toujours son train.
LE JARDINIER.
Il n’y a que quinze jours que je suis de retour, et vous voyez.
LA JARDINIÈRE.
Cela ne vous doit pas surprendre. Vous qui êtes jardinier, vous devez savoir que les fruits semés sur couche, viennent souvent avant la saison.
LE JARDINIER.
Oh, cela n’est pas naturel.
ARLEQUIN.
Oh, que si ! Votre femme est peut-être une femme précoce.
LA JARDINIÈRE.
Monsieur, il dit qu’il n’y a que quinze jours qu’il est de retour, mais il faut qu’il y ait davantage, car le temps m’a bien duré.
LE JARDINIER.
Oh, tu as beau dire, le juge sera de mon côté, car il est homme comme moi.
LA JARDINIÈRE.
Il a intérêt de me justifier, car il a peut-être une femme comme moi.
ARLEQUIN.
Écoutez, la faute de votre femme est une faute d’ignorance, car si elle avait su calculer, comme vous, les jours et les mois, elle aurait si bien pris ses mesures, que vous ne vouS seriez aperçu de rien, et il ne faut pas déshonorer une femme, parce qu’elle ne sait pas l’arithmétique.
LE JARDINIER.
Si vous voulez que je garde ma femme, défendez donc à monsieur de venir chez moi.
LA JARDINIÈRE.
Gardez-vous-en bien, c’est un homme de qualité qui trouverait fort mauvais qu’on lui fît ce compliment-là.
ARLEQUIN.
Ce serait manquer de politesse que de vous opposer à l’honneur que monsieur veut bien vous faire.
LE JARDINIER.
Oh, qu’il me laisse l’honneur que j’ai, et je le quitte de celui qu’il me veut faire.
L’HYMEN s’avance et chante.
ARLEQUIN.
Ce troc-ci est bien aisé à faire.
Monsieur, vous savez mieux que moi l’hypothèque que vous avez sur cette jeune femme. Je vous l’adjuge, tâchez de regagner avec elle, ce que vous avez dépensé à la vieille.
Et vous, mon ami, pour vous punir de la folie que vous avez faite, je vous ordonne d’épouser la bonne femme. C’est aux jardiniers qu’il faut donner les terres en friche, et une vieille ne doit point vous embarrasser. Vous trouverez le secret de la rajeunir, comme un vieux poirier, en lui coupant la tête : aussi bien une vieille sans argent, n’a plus que faire au monde.
SCÈNE IV. Isabelle, voilée, Arlequin. §
ISABELLE.
ARLEQUIN.
ISABELLE.
ARLEQUIN.
ISABELLE.
ARLEQUIN.
ISABELLE.
ARLEQUIN.
ISABELLE.
ARLEQUIN.
ISABELLE.
ARLEQUIN.
ISABELLE.
ARLEQUIN.
ISABELLE.
ARLEQUIN.
SCÈNE V. Léandre, avec un manteau sur le nez, Arlequin. §
LÉANDRE.
ARLEQUIN.
LÉANDRE.
ARLEQUIN.
LÉANDRE.
ARLEQUIN.
LÉANDRE.
ARLEQUIN.
ISABELLE.
ARLEQUIN à l’homme.
LÉANDRE.
ARLEQUIN.
ISABELLE.
ARLEQUIN.
ISABELLE.
ARLEQUIN.
Allons, allons, de peur que ce mari, dont vous êtes lasse, et que cette femme qui vous aime si tendrement, ne viennent s’opposer au troc, il faut vous marier promptement. Allons, donnez-vous la main, je vous marie dès à présent.
ARLEQUIN, s’adressant à l’Hymen qui est au même poste où il était avant la cérémonie.
L’HYMEN chante.
ARLEQUIN, reprend.
ARLEQUIN, reprend.
LE JARDINIER, répond.
ARLEQUIN, reprend.
ARLEQUIN, au parterre.