1693
REGNARD et DUFRESNY
AVERTISSEMENT DE L’ÉDITEUR SUR LA BAGUETTE DE VULCAIN, ET SUR L’AUGMENTATION DE LA BAGUETTE. [1823] §
Cette pièce, que Regnard fit en société avec Dufresny, fut jouée pour la première fois le 10 janvier 1693.
On lit dans les Anecdotes dramatiques qu’elle eut un succès prodigieux dans sa nouveauté, et rien ne le prouve mieux que l’addition que les auteurs y firent sous le titre d’Augmentation à la Baguette de Vulcain. La pièce fit passer l’Augmentation, comme un tonneau de vin vieux en fait débiter plusieurs de vin nouveau. Cette comparaison est des auteurs eux-mêmes. L’Augmentation commence par le conte d’un cabaretier qui avait un muid de bon vin vieux : tout le monde en voulait avoir ; et il s’avisa, pour le perpétuer, de remplacer sans cesse par du vin nouveau ce qu’il ôtait du tonneau. Le conte est appliqué à la pièce. La Baguette de Vulcain est le bon vin vieux, que le public savoure depuis trois mois, et qui doit faire passer plusieurs scènes ajoutées, qui sont le vin nouveau.
Ce n’est pas cependant que ces trois scènes soient inférieures à la pièce ; elles sont épisodiques comme les autres, et toutes roulent sur des demandes étrangères les unes aux autres, que Roger et le Druide sont chargés de décider. Il faut même qu’à la représentation on ait inséré les scènes de l’Augmentation dans la pièce ; non seulement les deux couplets ajoutés au Vaudeville le demandaient, mais la question de Bélise à Roger : « Jouez-vous encore aujourd’hui votre Baguette de Vulcain ? » (Scène première de l’Augmentation) ne peut se faire qu’avant que la Baguette soit jouée.
Le titre de la pièce est pris de la Baguette divinatoire, qui, dans les mains du nommé Jacques Aymar, avait alors beaucoup de réputation dans Paris. Mais la pièce ne remplit pas son titre ; car il n’y a qu’une seule circonstance où la Baguette produise l’effet qui lui est propre ; c’est quand elle fait trouver le mari de Mélisse.
Au reste, toute la fortune de la Baguette nous paraît devoir être attribuée à cette scène, et à celle où les moeurs du temps sont mises en opposition avec celles que l’on suppose avoir existé deux cents ans auparavant ; encore peut-on dire que l’ignorance de Roger sur ces moeurs anciennes est bien déplacée : il vivait sans doute dans le temps que Bradamante a été enchantée, puisqu’il était son amant.
PERSONNAGES §
- ROGER. Arlequin.
- BRADAMANTE. Isabelle.
- MÉLISSE. Colombine.
- FLORIDAN. Octave.
- ZERBIN. Pierrot.
- GABRINE, femme de Zerbin.
- UN GÉANT, personnage muet.
- BRANDIMART, mari de Mélisse. Pasquariel.
- UN DRUIDE, personnage chantant.
SCÈNE I. §
ROGER, seul.
Enfin, Roger, voici le jour où tu dois donner des marques de ta valeur, et délivrer Bradamante de l’enchantement qui la possède depuis deux cents ans.
Mais il est temps de mettre à fin l’oeuvre commencée. Combattons ce géant pendant qu’il est endormi.
SCÈNE II. Bradamante, Roger. §
ROGER.
Allons, allons, debout : depuis deux cents ans de sommeil n’êtes-vous pas lasse de dormir ? On ne saurait tirer une femme du lit.
BRADAMANTE se réveille.
Où suis-je ?
ROGER.
Je vous demande pardon, la belle, si je vous ai interrompue dans un rêve dont peut-être vous auriez été bien aise de voir la fin.
BRADAMANTE.
Ciel ! Que vois-je ?
ROGER.
Le coloris de mon visage vous surprend ? Apprenez que depuis deux cents ans les hommes ont changé du blanc au noir, et les femmes du noir au blanc et au rouge.
BRADAMANTE.
Quoi ! Il y a deux cents ans que je n’ai vu le jour ?
ROGER.
Assurément.
BRADAMANTE.
Hélas ! Je ne trouverai donc plus l’amant qui m’était destiné pour époux ?
ROGER.
7 8Oh ! Pour des amants, vous n’en manquerez pas ; mais pour des épouseux, rara avis in terris. Vous étiez donc fille quand vous vous êtes endormie ?
BRADAMANTE.
Vraiment oui.
ROGER.
Et l’êtes-vous encore ?
BRADAMANTE.
Assurément.
ROGER.
La chose est problématique, et je crois que vous n’auriez pas dormi si tranquillement. Mais dites-moi, je vous prie, comment faisait-on l’amour de votre temps ?
BRADAMANTE.
Le coeur se payait par le coeur. Une fille croyait tout ce que lui disait son amant, et l’amant ne disait que ce qu’il pensait. La tendresse durait autant que la vie ; plus on était amoureux, plus on était aimé ; plus on était aimé, plus on était fidèle ; et on ne consultait que l’amour pour faire les mariages.
ROGER.
Oh ! Que ce n’est plus le temps ! Quand on veut se marier aujourd’hui, on va chez le père et la mère marchander une fille comme une aune de drap : et tel qui croit acheter la pièce tout entière, trouve souvent qu’on en a levé bien des échantillons. Mais de votre temps, comment un mari vivait-il avec sa femme ?
BRADAMANTE.
Dans une union charmante ; la volonté, les biens, les plaisirs, tout devenait commun, sitôt qu’on s’était donné la foi.
ROGER.
Oh ! Que ce n’est plus le temps ! Premièrement, dans ce siècle-ci, il n’y a plus de foi à donner, et la communauté ne subsiste que dans les articles du contrat. Un mari n’a rien de commun avec sa femme que le nom et la qualité ; il a sa table seul, son carrosse seul, sa chambre seul ; il n’y a que son lit que bien souvent il n’a pas tout seul. Mais de votre temps, avait-on trouvé l’art de s’égorger avec la plume ? Plaidait-on vigoureusement ? Qui est-ce qui rendait la justice ?
BRADAMANTE.
C’étaient d’anciens et vénérables magistrats, qui passaient la nuit à examiner les procès, et le jour à les juger.
ROGER.
Oh ! Que ce n’est plus le temps ! La plus grande partie de nos juges passent présentement la nuit à courir le bal, et le jour à dormir à l’audience.
BRADAMANTE.
Comment peuvent-ils donc apprendre leur métier ?
ROGER.
Cela n’empêche pas qu’ils ne sachent la procédure comme des Césars, surtout en amour ; et les arrêts qu’ils rendent auprès des dames, sont, l’été, par défaut contre les officiers, et l’hiver, contradictoires avec les financiers. De votre temps avait-on des comédies ?
BRADAMANTE.
Les plus divertissantes du monde : elles étaient agréablement mêlées de danses et de symphonies.
ROGER.
Oh ! Que ce n’est plus le temps ! Tout cela est retranché, et nos théâtres seraient terriblement lugubres, si messieurs du parterre ne prenaient soin quelquefois de les égayer avec leur symphonie.
BRADAMANTE.
Mais, après avoir satisfait toutes vos questions, ne puis-je savoir, brave champion, à qui je suis redevable de ma délivrance ?
ROGER.
À moi, qui suis la fleur de la chevalerie, le redresseur des torts et le syndic de toute la magie. Je vais vous faire voir des effets de ma puissance. Alli Astaroth, Abracadabra. Barbara celarent darii, ferio baralipton.
SCÈNE III. Mélisse, Roger. §
MÉLISSE.
Que je suis malheureuse ! Je vois tout le monde en joie ; mais pour moi, je ne saurais rire.
ROGER.
Qu’avez-vous donc, la belle larmoyeuse ?
MÉLISSE, pleurant.
J’avais un mari... hi ! Quand je fus enchantée... Hé ! Et je ne le trouve plus... hu, hu !
ROGER.
Quoi ! La perte d’un mari vous afflige si fort ? Vous avez beau pleurer en musique, vous ne trouverez guère de veuves qui fassent la contrepartie avec vous.
MÉLISSE.
Monsieur le sorcier, vous qui êtes si habile homme, ne pourriez-vous pas me faire retrouver mon cher époux ?
ROGER.
Rien ne m’est impossible. Par la vertu de cette baguette, je découvre les eaux et les trésors les plus cachés ; c’est avec cette baguette que je suis les meurtriers à la piste, par mer et par terre ; et c’est enfin avec cette baguette que je retrouve les maris perdus.
MÉLISSE.
Est-il possible ? Je crois que sans moi vous n’auriez guère de pratiques ; car un mari est un meuble qui ne se perd pas aisément, et je n’ai point encore vu d’affiches pour des maris perdus.
ROGER.
Mais il est bon de vous avertir que ma baguette n’a de vertu que sur des maris d’une certaine espèce. Parlez-moi franchement : avez-vous toujours été bien fidèle au vôtre ?
MÉLISSE.
Si j’ai été fidèle ? J’aurais dévisagé un homme qui aurait eu la hardiesse de me regarder seulement entre deux yeux.
ROGER.
Tant pis ! Je ne saurais rien faire pour vous.
MÉLISSE.
Et pourquoi ?
ROGER.
9C’est que ma baguette est un présent qui m’a été fait par Vulcain : elle n’a point de vertu sur les maris dont les femmes ont été fidèles ; mais quand elle approche d’un mari tant soit peu vulcanisé... Voyez, examinez bien votre conduite. Pour peu que vous ayez écorné la fidélité matrimoniale, je vous réponds de retrouver votre mari.
MÉLISSE.
Et mais... mais...
ROGER.
Allez, allez ; parlez en toute assurance.
MÉLISSE.
10Il venait chez nous autrefois un certain petit plumet, qui était terriblement sémillant. Monsieur, est-ce assez pour la baguette ?
ROGER.
Oh ! Non, non.
MÉLISSE.
J’ai reçu aussi des présents d’un banquier qui faisait tout ce qu’il pouvait pour faire profiter son argent auprès de moi. Monsieur, est-ce assez pour la baguette ?
ROGER.
Eh ! Non ! Vous dis-je, non.
MÉLISSE.
Oh dame ! S’il faut tant de choses !
ROGER.
Mais que diable ! Il faut ce qu’il faut, une fois.
MÉLISSE.
Attendez, attendez.
ROGER.
Hé ! Là, voyez, voyez.
ROGER.
Doucement. Cet homme à rabat était-il de la grande ou de la petite espèce ?
MÉLISSE.
Mais son rabat était de quatre doigts plus court que celui d’un conseiller, et nous allions souvent nous promener ensemble.
ROGER.
Il n’y a pas encore là de quoi faire tourner la baguette.
MÉLISSE.
Il me mena une fois promener hors de la ville ; mais malheureusement la flèche de son carrosse rompit, et nous fûmes obligés de coucher à sa maison de campagne.
ROGER.
Oh ! En voilà plus qu’il n’en faut. Nous retrouverons votre mari, fût-il dans le centre de la terre. Voyez In vertu de ma baguette.
SCÈNE IV. Roger, Mélisse, le Mari de Mélisse, un Druide. §
MÉLISSE, à son mari.
Va, va, mon mari, ne te chagrine point : tu m’as plus d’obligation que tu ne penses ; car sans moi tu n’aurais jamais été retrouvé.
ROGER.
Cela est vrai ; sans la flèche rompue, vous étiez un homme perdu.
ROGER.
Puisque vous voulez être éclairci, voilà le Druide, qui est l’oracle de ce pays-ci, qui va vous éclaircir.
LE DRUIDE chante.
ROGER chante sur l’air : Réveillez-vous, belle endormie.
SCÈNE V. Roger, Floridan, le Druide, une Bergère, femme de Floridan. §
FLORIDAN.
ROGER.
FLORIDAN.
ROGER.
FLORIDAN.
ROGER.
13FLORIDAN.
ROGER.
FLORIDAN.
ROGER.
LE DRUIDE chante.
ROGER chante sur l’air : Ô le bon vin ! Tu as endormi ma mère.
SCÈNE VI. Roger, Zerbin, Gabrine, Le Druide. §
ROGER.
ZERBIN.
ROGER.
ZERBIN.
GABRINE.
ROGER.
GABRINE.
ROGER.
ZERBIN.
ROGER.
GABRINE.
ZERBIN.
ROGER.
ZERBIN.
ROGER.
ZERBIN.
ROGER.
GABRINE.
ROGER.
LE DRUIDE chante.
ROGER chante.
DIVERTISSEMENT. §
LE DRUIDE.
LE CHOEUR.
GABRINE.
LE CHOEUR.
BRANDIMART.
LE CHOEUR.
MÉLISSE.
LE CHOEUR.
FLORIDAN.
LE CHOEUR.
BRADAMANTE.
LE CHOEUR.
ROGER.
LE CHOEUR.