M. DC IC. Avec approbation et privilège du Roi.
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PRÉFACE §
J’ai déjà averti le Lecteur, en finissant mon premier tome, que les Proverbes que l’on a joints au second ne sont pas de moi. Je crois, qu’ils en auront plus de réussite. On m’a priée d’ajouter ici, qu’on ne mettra le mot de chaque Proverbe qu’à la fin de tous pour laisser au Lecteur le plaisir de les deviner.
ACTEURS. §
- ÉLISE.
- JULIE.
- MADAME DUBENS, mère d’Élise.
- MADAME DE CIMIERE, mère de Julie.
- ALCANDRE, accordé à Élise.
- LISIDOR, accordé à Julie.
- LISETTE, suivante d’Elise.
- ROMARIN, valet d’Alcandre.
SCÈNE PREMIÈRE. Élise, Julie, Lisette. §
ÉLISE.
Avouez, ma bonne, que nous avons eu bien du plaisir ; qu’il est horriblement triste de ne voir que des gens à qui on est destinés qu’une petite escapade n’est pas indifférente de temps en temps.
JULIE.
Comment, indifférente ! Je la tiens nécessaire, après l’épreuve que nous en avons faite. Quelle facilité n’a point eu le portier de Madame Dubens à tromper sa maîtresse, moyennant une petite rétribution ? Ah ! Sans doute, le ciel aide aux personnes de notre âge, que l’on veut trop contraindre à ne voir que leurs futurs époux.
LISETTE.
Vous voilà toutes deux bien contentes d’une action qui pourra avoir son retour. Vous êtes des ingrates, premièrement ; et ce même ciel, dont vous vous louez, vous punira de ne pas me remercier de tous les tours de souplesse qu’il m’a fallu jouer pour mener cette belle entreprise à bien. Qui est-ce, à votre avis, qui a fait entendre raison au portier ? Qui est-ce qui a suborné le cocher ? Qui lui a fait répandre la litière de toute une année dans la cour, pour qu’on n’entendit point sortir le carrosse ? Qui est-ce enfin, qui avec une adresse inouie, a écarté Romarin d’une maison où sa présence aurait été fort gênante ? C’est à moi, mesdemoiselles, que vous devez ces divers foins ; et avec tout cela, quoique la chose ait été bien conduite, je ne laisse pas de craindre, que ce secret ne s’évente. Vous avez été diablement coquettes avec cette jeunesse éventée ! Quelque curieux aura peut-être suivi le carrosse, et cette nouvelle courra beau train.
ÉLISE.
Oh ! Tais-toi, Lisette, avec tes peut-être ; tu serais capable de faire peur à de plus timides que nous ; mais nous ne sommes pas d’humeur à empoisonner nos plaisirs par de si tristes réflexions.
LISETTE.
Ma foi, mademoiselle, quand il n’y aurait que vos visages à l’une et à l’autre, on devinera bien que vous n’avez pas passé la nuit dans vos lits. Mais j’aperçois Madame Dubens, songez à tenir bonne contenance.
SCÈNE II. Madame Dubens, Élise, Julie, Lisette. §
MADAME DUBENS.
Vous voilà levée de grand matin, ma fille ; votre diligence est surprenante, coiffée, habillée à l’heure qu’il est, vous qui à peine pouvez-vous l’être à l’heure de l’opéra ; et Julie qui est bien aussi paresseuse que vous, vous rend déjà une visite ; il y a quelque mystère à tout ceci.
ÉLISE.
Je n’ai pu dormir cette nuit ; Madame, je me suis levée : Lisette m’a demandé permission de sortir après dîné ; j’ai voulu la débarrasser de ma coiffure et de mon habillement, et voilà la cause mystérieuse de ce qui vous cause tant d’étonnement.
MADAME DUBENS.
Et Julie a-t-elle eu les mêmes raisons ?
JULIE.
Pour moi, Madame, comme je n ai pas l’honneur d’être votre fille, vous trouverez bon que je vous laisse faire tel jugement qu’il vous plaira de ma diligence.
SCÈNE III. Romarin, Madame Dubens, Julie, Élise. §
ROMARIN.
Cessez, Madame, de presser deux coupables qui ne veulent pas s’accuser, je vais vous éclaircir de vos doutes.
LISETTE.
Monsieur de Romarin est un habile homme ; mais au moins, Madame, il est grand inventeur de son métier : gardez-vous bien de l’écouter, et surtout ne le croyez pas.
MADAME DUBENS.
Non, non, Romarin, ne craignez pas que je n’ajoute point foi à vos discours ; ceci me paraît curieux ; je vous prie Lisette de vous taire.
ROMARIN.
Madame, vous me faites trop d’honneur, de m’accorder une favorable audience : je n’en abuserai pas ; et après avoir fait une courte réflexion sur la dépravation des mours de ce siècle, je vous dirai qu’hier à peu près à l’heure qu’il est à présent, mademoiselle Lisette...
LISETTE.
Oh, tu vas tenir Madame tout un jour ; quand tu te montes une fois sur le ton moral, et que tu commences après un récit, il n’y a ni chat ni chien que tu n’endormes. Madame, j’aurais une fois plutôt fait. Il est vrai, que fatiguée des douceurs de monsieur Romarin, je le priai hier d’être toute la journée sans me voir. Il voulut me résister ; son éloquence me parut lourde et ennuyeuse : je le pris par les épaules et je le jetai dehors.
ROMARIN.
Oui, beauté cruelle, il est vrai ; voilà le commencement de l’affaire, à quoi j’aurais donné des couleurs qui auraient sans doute aggravé la pernicieuse suite dont je vais rendre compte à Madame.
LISETTE.
Que diras tu, malheureux ? Ne croirait-on pas qu’ils nous a vu faire de grands crimes ?
ROMARIN.
S’il n’y a pas eu de crime consommé, la bienséance a du moins été mal observée.
MADAME DUBENS à Élise ; qui veut s’en aller.
Non, Élise, non, vous ne sortirez pas d’ici, s’il vous plaît : pour Julie elle est sa maîtresse ; mais pour vous, je vous apprendrai que je suis la vôtre.
ÉLISE.
Et que voulez-vous que j’écoute, Madame ? Un diseur de rien, qui va vous tenir deux heures pour ne vous dire que des sottises.
SCÈNE IV. Madame Dubens, Madame de Cimiere, Julie, Élise, Lisette, Romarin. §
MAMDAME DE CIMIERE.
Ah, je trouve ma fille ici ! C’est quelque chose du moins qu’elle ait passé la nuit dans une honnête maison ; mais, Madame, oserais-je vous dire que votre santé n’en sera pas meilleure, de faire des veilles si extraordinaires ?
MADAME DUBENS.
Mademoiselle votre fille n’a point passé la nuit ici, Madame, ni la mienne non plus ; c’est un fait dont j’attends l’éclaircissement, et que l’on interrompt tout autant qu’on peut.
MADAME DE CIMIERE.
Comment, Julie, vous sortez de chez moi la nuit ! Je l’apprends à mon réveil. Vous dites que vous venez voir Élise ? Je ne sais qu’en croire, jusqu’à ce que je vous trouve ici : je suis transportée de joie, en vous y rencontrant ; et ce n’est pourtant pas ici où vous avez passé la nuit. Ah ! Ma fille, ma fille, sont-ce là les fruits d’une éducation comme celle que je vous ai donnée ?
MADAME DUBENS.
Mais, Madame, vous ferez vos remontrances quand vous saurez à quoi vous en tenir. Allons, Romarin, reprenez la parole.
ROMARIN.
Oui dea, Madame, je m’y dispose : vous remarquerez, s’il vous plaît, que je ne suis prévenu d’aucune aigreur contre ces belles demoiselles, encore moins contre Lisette, dont l’amour m’a rendu esclave.
MADAME DUBENS.
Oh ! Romarin, sans préambule.
ROMARIN.
On est bien aise, Madame ? D’ôter toute suspicion de vos esprits, et de les rendre capables, d’une confiance parfaite.
LISETTE.
2Oh ! Bien, mâtin, vas-tu nous accuser d’avoir fait de la fausse monnaie ? Quel verbiage !
SCÈNE V. Alcandre, Lisidor, Madame de Cimiere, Madame Dubens, Élise, Julie, Romarin, Lisette. §
ALCANDRE.
3Il y a une heure que nous attendons à quoi tout ceci aboutira. Mais, mesdames, comme Romarin est un grand harangueur de son naturel, et que nous avons intérêt Lisidor et moi au fait dont il s’agit, je vous dirai que mesdemoiselles vos filles, nos épouses futures, ont passé cette nuit dans une assemblée fort tumultueuse, avec la jeunesse la plus emportée de la Cour ; que leur coquetterie a été poussée si loin, que plusieurs petits-maîtres se font vantés, que la feule occasion leur avait manqué pour achever l’aventure. Nous croyons que ce font médisances : mais ainsi que César, nous ne voulons même pas que nos femmes soient soupçonnées ; et vous trouverez bon, mesdames, s’il vous plaît, que nous reprenions les paroles que nous vous avions données.
LISIDOR.
Je souscris à tout ce que vient de dire Alcandre ; et j’y ajoute, qu’un peu plus de patience de la part de ces demoiselles leur aurait fourni, des plaisirs plus sûrs par la suite. Mais elles ont voulu risquer un avant-goût du mariage, qui les privera du mariage effectif, au moins si elles ne trouvent quelques gens arrivés des Indes, qui ignorent leurs petits déportements.
ROMARIN.
Je fus le premier à découvrir leur sortie ; mais le reste s’est passé en compagnie trop nombreuse, pour que le secret s’en pût garder.
MADAME DUBENS.
Fille, indigne de mon amitié ! Fille, qui me causerez la mort, un couvent est le seul aile où vous puissiez être à couvert de ma fureur.
MADAME DE CIMIERE.
Ah ! J’étouffe il y a une heure ! Est-il possible que j’aie poussé la patience aussi loin ? Allez, Julie, allez vous cacher dans le fonds de quelque antre affreux : mais, non, ne soyez point maîtresse de votre conduite ; ce ne serait que pour en abuser : et je vous choisirai un cloître si austère, que vous détesterez mille fois le jour le pernicieux divertissement que vous avez voulu prendre.
JULIE, à genoux devant madame de Cimiere.
J’ai tort, Madame, je le confesse : je vous en demande pardon ; je mènerai à l’avenir une vie si réglée, que vous aurez lieu d’en être contente. Ma première faute, quoique innocente, ne me donne pas de goût pour en commettre une seconde.
MADAME DE CIMIERE.
Non, Julie, la nature en vain voudrait parler : vous serez punie, et punie rigoureusement. Lisidor, qui vous faisait trop d’honneur de vouloir bien vous donner la main, sera convaincu par ma sévérité, que je n’autorise point vos dérèglements.
ÉLISE, aux genoux de Madame Dubens.
Ah ! Madame, serez-vous inflexible ? Vous, la meilleure mère du monde ! Vous, que j’ai plus de tort d’avoir offensée, que si j’avais commis plusieurs crimes ! Ne pardonnerez-vous rien à une jeune personne, qui ne connaissait pas les conséquences de ce qu’elle hasardait ? Ne...
MADAME DUBENS, l’interrompant.
C’est cette même bonté qui vous condamne, et qui doit vous faire sentir plus grièvement vos torts.
ÉLISE.
Alcandre, est-il possible que vous n’intercédiez point pour moi ? Je croyais ne vous être pas indifférente ; et le choix que vous aviez fait de...
ALCANDRE, l’interrompant.
Moi, Mademoiselle ? Je ne m’oppose point aux retours de tendresse de Madame Dubens : elle est la maîtresse de vous pardonner, ou de vous punir : je ne prends plus aucun intérêt en vous.
JULIE.
4Ah ! Lisidor, est-ce là ce que vous m’aviez, juré ? Et si vous êtes aussi rebutant qu’Alcandre, n’aurai-je pas lieu de vous croire ou le plus trompeur, ou le plus lege de tous les hommes !
LISIDOR, riant.
Parbleu, Mademoiselle, vous me faites trop d’honneur, de me demander ma protection. Vous aviez cette nuit un cortège si galant auprès de vous, que pour peu qu’il s’en mêle, vous voilà, tirée d’intrigue.
ROMARIN.
Ce cortège dont vous parlez, Monsieur, a accompagné ces demoiselles jusqu’à cette porte, et leur a fait nombre d’offres de services, véritablement dans des termes un peu étranges, et dont des demoiselles un peu plus sévères n’auraient pas eu lieu d’être contentes.
ÉLISE.
Quoi ! Alcandre, vous souffrez cet insolent nous dire ?...
ALCANDRE, l’interrompant.
Ma foi, Mademoiselle, nous nous croyons dispensés de la politesse que notre sexe doit au vôtre, par les prédécesseurs dont vous auriez voulu nous honorer, pour peu que le lieu l’eût permis.
LISETTE.
Oh ! Pour moi, je ne puis plus me taire : nous avons tort ; car je dois me mettre de la partie, puisque je n’y ai pas été un personnage indifférent. L’étourderie a été complète ; mais qu’on nous accuse de crimes !....
MADAME DUBENS.
Taisez-vous, Lisette : sortez de ma présence et de ma maison ; les apparences sont contre vous : et sans approfondir ni les motifs, ni les effets d’un si bizarre plaisir qui me causera la mort, je vous répète, Élise, que vous irez dans un couvent, et que je ne vous en retirerai qu’en cas que quelqu’un vous veuille bien prendre pour femme.
ÉLISE.
Malheureuse nuit ! Malheureux plaisir, qui nous coûte si cher ! Donnez-nous du moins la consolation de nous mettre Julie et moi dans la même retraite.
MADAME DE CIMIERE.
Non pas, Mademoiselle, non pas : vous serez séparées ; Madame Dubens y a le même intérêt que moi.
MADAME DUBENS.
Je n’ai que trop de penchant vers la clémence : mais il n’y a rien cependant que je ne fasse pour punir une folle que j’aimais trop, et pour prouver à Alcandre que je la désavoue dans une occasion aussi triste qu’est celle-ci.
ALCANDRE.
Nous savons, Madame, distinguer les innocentes des coupables : vous voulez bien nous permettre d’espérer que vous ne nous priverez pas de votre amitié ?
MADAME DUBENS.
Oui, Monsieur, je vous la promets, et je réponds pour Madame de Cimiere de la même chose à l’égard de Lisidor. Ne perdons plus de temps après cela, à faire sentir à nos ingrates filles le malheur de leur état.