TEL MAÎTRE, TEL VALET
PROVERBE

M. DC IC. Avec approbation et privilège du Roi.

<enregistrement id="">

 

</enregistrement>
À PARIS, Chez PRAULT Père, Quai de Gêvres, au Paradis.
1

PRÉFACE §

J’ai déjà averti le Lecteur, en finissant mon premier tome, que les Proverbes que l’on a joints au second ne sont pas de moi. Je crois, qu’ils en auront plus de réussite. On m’a prié d’ajouter ici, qu’on ne mettra le mot de chaque Proverbe qu’à la fin de tous pour laisser au Lecteur le plaisir de les deviner.

ACTEURS. §

  • ÉRASTE, amoureux d’Isabelle.
  • ISABELLE, maîtresse d’Eraste.
  • PASQUIN, valet d’Eraste.
  • MARTON, suivante d’Isabelle.
  • MONSIEUR DU CONTOIR, Marchand.
  • GROS-JEAN, Cabaretier.

SCÈNE PREMIÈRE. Eraste, Isabelle. §

ÉRASTE.

2

Me tiendrez-vous toujours en suspend, Madame ? Ne consentirez-vous jamais à mon bonheur ? Il y a tantôt deux ans que je meurs d’amour pour vous, que je vous suis en tous lieux, que je porte vos chaînes en véritable Amadis, et si je l’ose dire, vous n’avez pas dédaigné de me découvrir des sentiments assez tendres ; mais comme dans votre reconnaissance : ce vous n’avez pas tout-à-fait suivi les pas d’Oriane, ma foi ce n’est pas contentement ; je suis homme réel, et...

ISABELLE.

Taisez-vous, Eraste , vous êtes fou ; vos saillies vous mènent quelquefois loin ; il faut vous défaire de ces petites vivacités, si vous voulez que je pense à des choses sérieuses ; mon cour est dans vos intérêts, vous n’en êtes que trop persuadé ; mais vous avez une conduite toute propre à me dégoûter.

ÉRASTE.

Eh ! Que fais-je, charmante Isabelle ? Il semble toujours, à vous entendre parler, que je sois un voleur de grand chemin : oh ! Vous avez une sévérité de mours qui est un peu importune, au moins.

ISABELLE.

Non , Eraste, je ne fuis point si ennemie des plaisirs innocents ; jamais je ne trouverai mauvais que vous fréquentiez les spectacles et les promenades ; je ne vous défend même pas de voir d’autres femmes que moi, ce sont elles qui inspirent la politesse ; ce n"est ni pédanterie, ni soupçons jaloux qui me tiennent ; mais songez qu’avec fort peu de bien, vous voulez faire une dépense de Seigneur ; vous donnez dans les équipages, dans les habits, dans les soupers ; mais des soupers, Dieu sache où ! C’est là l’article fâcheux ; toujours du cabaret avec une jeunesse emportée, qui décide témérairement du mérite et de la réputation, et d’où vous revenez toujours un peu moins sage, que vous n’êtes parti.

ÉRASTE.

Quoi ! Madame, des leçons, à moi des leçons ! Parbleu, il n’est pas mauvais ! Vous ne vous étiez : jamais si bien expliquée : je tiendrai peut-être mes mains dans mes poches à mon âge, et je serai toujours comme un fat auprès de vous, à filer le parfait amour ? Oh vous êtes belle, aimable, riche ; mais je ne me gênerais pas pour la belle Hélène, quand elle m’apporterait en dot toute la Grèce.

ISABELLE.

Vous vous découvrez, Eraste et sûr comme vous le croyez être de mon cœur, vous ne vous embarrassez plus de me cacher vos défauts ; mais vous pourriez vous y tromper, ma tendresse n’a pas tout-à-fait détruit ma raison ; et si le soin que vous avez eu de vous composer devant moi, accompagné d’une figure aimable, m’avait déterminée à vous donner la main, vos dérèglements m’obligeront à m’en dédire. Tenez, voilà Monsieur du Contoir qui vient vous chercher jusqu’ici.

SCÈNE II. Eraste, Isabelle, Monsieur du Contoir. §

ÉRASTE.

Oh palsembleu, Monsieur du Contoir, vous pourriez mieux prendre votre temps et votre terrain.

MONSIEUR DU CONTOIR.

Il n’y a pas moyen, Monsieur, de vous trouver chez vous ; monsieur Pasquin me renvoie toujours, vous n êtes pas levé, vous dînez à la Ville, vous êtes à la Campagne ; j’ai besoin cependant de cent cinquante pistoles que vous me devez.

ÉRASTE.

Moi, cent cinquante pistoles ! Vous rêvez, monsieur du Contoir ; vous avez sans doute doublé la somme pour l’intérêt ; et sur ce pied là, adieu jusqu’à l’année prochaine.

MONSIEUR DU CONTOIR.

Monsieur, voici vos parties arrêtées de votre main, voudriez-vous aller contre votre écriture ?

ÉRASTE.

3

Il est vrai, voilà mon seing ; mais j’étais ivre sans doute quand je le mis là. Bonsoir, Monsieur du Contoir ; vous voulez raisonner, je crois ; par la mort, sans le respect que je dois à madame, je vous traiterai comme un faquin que vous êtes.

Monsieur du Contoir s’en va.

SCÈNE III. Isabelle, Eraste. §

ISABELLE.

4

N’êtes-vous point honteux ; Eraste, de ce que je viens de voir ? Il ne vous manquait plus que cela pour vous discréditer auprès de moi.

ÉRASTE.

Moi, madame, honteux de ne pas payer mes dettes ? La mode autorise tout ; mais je crie merci de mes emportements ; pardon, charmante Isabelle, je suis un étourdi mais je vais mourir à vos pieds, si vous ne me rendez votre cour.

ISABELLE.

Non, Eraste , voilà qui est fait, je romps avec vous pour toujours. Vous ne feriez que de vains efforts poux l’arrêter : adieu.

Elle s’en va.

SCÈNE IV. Eraste, Marton. §

ÉRASTE.

Ma pauvre Marton , elle est méchante comme un petit diable ; ne pourrais-tu point l’apaiser ?

MARTON.

Moi, monsieur ? Ma foi je suis une malheureuse intrigante, et puis vous avez un coquin dont je serai ravie d’être défaite, et je ne puis en être défaite, que quand ma maîtresse le sera de vous,

ÉRASTE.

Adieu donc, Marton ; je vois bien qu’il faut prendre son parti : une maîtresse réprimandeuse, une suivante lasse de mon Pasquin ; le moyen de sortir à son honneur d’une pareille entreprise ? Il ne me reste plus que d’être premier pris aux quatre pistoles dans une grosse partie ; ce fera une belle journée pour moi.

Il sort.

SCÈNE V. Pasquin, Marton. §

PASQUIN.

Marton, ma charmante Marton, veux-tu encore faire longtemps languir ton petit Pasquin ? Il t’aime depuis qu’Eraste aime ta maîtresse ; voilà mon époque.

MARTON.

Oui, mais ton maître vient d’être congédié pour je ne sais combien de choses qui ne plaisent pas à Isabelle, et comme tu suis les traces d’Eraste, autant qu’il est permis à un valet, et que je suis moi aussi raisonnable qu’Isabelle, tu pourrais bien avoir ce même sort.

PASQUIN.

Comment, mon Ange , voudrais-tu me donner congé pour de menues bagatelles ? Es-tu ennemie des plaisirs de ton Pasquin ? Je te jure qu’à un peu de vin près, dont véritablement je ne puis me passer, je suis le plus fidèle amant du monde.

MARTON.

Ah ! Tu avoues le vin assez à propos ; voilà Gros-Jean, le cabaretier du coin de la rue, qui vient te relancer ici.

SCÈNE VI. Gros-Jean, Pasquin, Marton. §

GROS-JEAN.

Monsieur Pasquin, je ne puis plus faire crédit, tout franc depuis deux ans que vous venez, sous les jours chez moi faire des écots, au diable qui a reçu la rouge double.

PASQUIN.

Et fi, monsieur Gros-Jean ! Venir troubler une conversation amoureuse pour une bagatelle ! Car à quoi cela se monte-t-il ?

GROS-JEAN.

À plus de cent écus, il faut que je sois fou ; il est vrai que comme j’étais quelquefois de l’écot, cela m’a fait prendre patience ; mais voici encore un diable de temps, qui n’est pas propre pour la vendange, et j’ai besoin de toutes mes pièces.

PASQUIN.

Il faut que Dieu m’ait fait l’âme bien patiente, pour souffrir les impertinences de ce drôle là ; cent écus, cent écus ? Cent coups de bâton, monsieur maître Jean, et ne raisonnez pas : laissez-moi avec ma petite maîtresse ; car je me donne à tous les diables, si je n’étrenne mon épée sur votre chétive carcasse.

GROS-JEAN, en s’en allant.

Tu passeras devant ma porte, nous verrons alors si tu seras si brave.

SCÈNE VII. Pasquin, Marton. §

PASQUIN.

Rien ne me touche de tout ceci, que de t’avoir manqué de respect ; mais toujours, tu vois bien que j’ai du cour ; et volontiers, toute femme donne le sien à telles gens.

MARTON.

Va te promener, laisse-moi en repos ; il faudrait que l’état de fille me pesât bien, pour vouloir d’un chien comme toi.

PASQUIN.

Et bien, ne nous marions point, mon amour, je t’aimerai autant sur ce pied là : Ah ! Tu te mêles d’avoir des mours . Adieu donc, beauté cruelle ; puis-je trouver Gros-Jean moins inflexible que toi?