SCÈNE PREMIÈRE. §
ALCIONE seule.
Est-ce un mal, est-ce un bien que cette vive flamme
Qui me gêne à l’instant qu’elle plaît à mon âme ?
Je crois que c’est un mal qui mérite mes pleurs,
1070 Quand mon coeur tout en feu regarde ses douleurs ;
Et croit que c’est un bien qu’on ne saurait comprendre
Quand je jette les yeux sur l’illustre Anaxandre.
Ô vous que ces deux noms de Père et de Roi
Rendent également absolu dessus moi,
1075 Que m’ordonnâtes-vous ? Quelle loi raisonnable
De feindre de l’amour pour un objet aimable ?
Lors qu’on voit tant d’attraits l’un par l’autre animés
Dire feignez d’aimer, n’est-ce pas dire aimez ?
J’aime aussi, je l’avoue, et sans plus me contraindre,
1080 J’aimais, j’aimais déjà lors que je pensais feindre.
Quand un objet est tel qu’il peut nous enflammer,
On commence à l’aimer dès qu’on feint de l’aimer.
Anaxandre, il est vrai, quelque temps, assez dure
En feignant de t’aimer, je te fis une injure ;
1085 Mais au moins connaissant un mérite si haut
L’injure dura peu, puisque j’aimai bientôt.
Ainsi pensant brûler un ennemi que j’aime,
Aveugle en mon dessein, je me brûlai moi-même ;
Et sans y prendre garde, et sans m’en détourner,
1090 Je reçus tous les feux que je pensais donner.
Mais enfin songe à toi, crois qu’il est véritable
Qu’un aimable adversaire est le plus redoutable.
Lors qu’il montre pour moi des transports si puissants,
Peut-être qu’à ma honte, il feint ce que je sens.
1095 Reviens donc à toi-même, et par force ou par crainte
Retourne si tu peux à ta première feinte.
Mais, que dis-je, insensée, et trop faible à mon tour,
On va facilement de la feinte à l’amour ;
Et lors que d’un beau trait nous avons l’âme atteinte,
1100 On revient rarement de l’amour à la feinte.
SCÈNE II. Céphise, Astérie, Alcione. §
CÉPHISE.
La feinte va plus loin, elle a trop de souci.
Anaxandre est enfin.
ASTÉRIE.
Anaxandre est enfin. Madame la voici.
CÉPHISE.
Il la faut détromper, s’il est vrai qu’elle l’aime.
N’y pensez plus ma soeur.
ALCIONE.
N’y pensez plus ma soeur. Je pensais à vous-même.
CÉPHISE.
1105 Je gage qu’Anaxandre était avecque vous.
ALCIONE.
Alphénor me quittait peu satisfait de nous.
CÉPHISE.
On l’estime pourtant, et on le considère.
Pour moi, j’en fais état.
ASTÉRIE.
Pour moi, j’en fais état. Aussi devez-vous faire,
Et pour moi, je croyais qu’on lui doit plus encor.
CÉPHISE.
1110 Mais, Anaxandre, enfin...
ALCIONE.
Mais, Anaxandre, enfin... Mais enfin, Alphénor.
CÉPHISE.
Quoi toujours Alphénor ?
ALCIONE.
Quoi toujours Alphénor ? Quoi, toujours Anaxandre ?
CÉPHISE.
Est-il un plus beau nom que vous puissiez entendre ?
ASTÉRIE.
À qui chérit le bien et le calme présent,
Celui de son vainqueur doit être plus plaisant.
CÉPHISE.
1115 Ma soeur les noms des Rois sont des noms vénérables.
ALCIONE.
Et ceux des bons sujets sont des noms adorables.
Au moins si quelquefois des efforts glorieux
Ont fait monter un homme au rang même des Dieux.
Les exploits d’Alphénor sont d’assez belles marques,
1120 Qu’on peut lui donner place au nombre des Monarques.
CÉPHISE.
Qu’on l’y mette ma soeur ; pour moi je le veux bien,
Et n’y résiste pas, s’il ne m’en coûte rien.
ALCIONE.
Il mérite pourtant.
CÉPHISE.
Il mérite pourtant. Comme vous, je souhaite
Un Sceptre une Couronne à sa vertu parfaite ;
1125 Mais voulez-vous ma soeur avec tant de bontés
Que je paye le bien que vous lui souhaitez ?
Ce serait mal traiter une soeur qui vous aime.
ALCIONE.
Mais d’où procéderait cette froideur extrême ?
N’est-il donc plus ce Prince, et ce même vainqueur
1130 Qui plut comme à vos yeux peut-être à votre coeur ?
J’aurais après le doute une croyance entière
Que notre prisonnier vous fait sa prisonnière.
Il est assez aimable, il est assez charmant,
Pour excuser en vous un plus grand changement.
CÉPHISE.
1135 Au moins vous le craignez et vous pouvez le craindre.
ALCIONE.
Si pourtant vous l’aimez, je commence à vous plaindre.
CÉPHISE.
Est-ce donc qu’il vous aime, et qu’il s’enfuit de moi ?
ALCIONE.
J’ai bien d’autres sujets de vous plaindre.
CÉPHISE.
J’ai bien d’autres sujets de vous plaindre. Pourquoi ?
ALCIONE.
Vous devez quelque jour sur le trône d’un Père
1140 Porter avec éclat un Sceptre qu’on révère ;
N’est-ce pas être plaindre, et se mettre en danger
Pouvant seule l’avoir que de le partager ?
L’amour ne fut point fait pour les Princesses nées
Afin de commander, et d’être couronnées.
1145 Elles ne peuvent suivre, et ses feux et ses lois,
Sans se mettre au hasard de se donner ses Rois ;
Et lors que sur un trône on se voit souveraine,
Aller chercher un maître et mériter sa chaîne.
À peine d’un époux ont-elles pris la foi
1150 Que l’on quitte la Reine, et que l’on court au Roi.
Alors, mais un peu tard on commence à connaître
Que l’on n’est pas maîtresse où l’on a mis un Maître ;
Et l’amour qui plaisait, est un fâcheux lien
Quand l’un possède tout, et que l’autre n’a rien.
1155 Il est bien doux d’aimer, et c’est un bien extrême
D’ouïr un noble Amant vous dire qu’il vous aime :
Mais il est bien plus doux d’avoir l’autorité,
Et de dire, je veux, sans être contesté.
C’est là mon goût, ma soeur.
CÉPHISE.
C’est là mon goût, ma soeur. Ma soeur, si c’est le vôtre,
1160 C’est peut-être le mien, et non celui d’un autre.
Cependant vous l’aimez.
ALCIONE.
Cependant vous l’aimez. Je suis l’ordre du Roi.
CÉPHISE.
Vous faites un peu plus que ne prescrit sa loi.
ALCIONE.
Ma soeur, si c’est faillir, au moins comme j’estime
L’excès d’obéissance est un louable crime.
CÉPHISE.
1165 Vous pourriez vous tromper dans un chemin douteux.
ALCIONE.
Nous verrons quelque jour qui se trompe des deux.
Mais je veux qu’il vous montre une tendresse extrême,
Il est ambitieux ; pensez-vous donc qu’il aime ?
Jamais ambitieux ne fut sincèrement,
1170 Ni véritable ami, ni véritable Amant.
Comme ses actions ont toujours fait paraître
Qu’il en voulait au trône, où l’on vous a vu naître.
Après avoir en vain hasardé tant d’efforts,
Il peut bien l’attaquer avec de faux transports.
1175 Conservez, conservez, et le rang et la gloire
Où vous met la naissance, où vous met la victoire.
N’écoutez point l’amour, c’est un trompeur qui plaît,
Et qui bien rarement se montre comme il est.
Il est rempli de soins, de douleurs et de peines,
1180 De désirs sans effet, et d’espérances vaines ;
Et cependant, ma soeur, il ne paraît jamais
Que revêtu de biens, de douceurs et d’attraits.
Pour moi de qui l’esprit ne saurait se contraindre,
Qui ne sait pas aimer, mais qui sait fort bien feindre,
1185 Je vous librement tout ce que je ferais
Si le Ciel m’avait mise au rang où je vous vois.
Non, non, ne pensez pas que l’amour me tourmente,
Si j’aimais, vous seriez ma seule confidente,
Ma soeur, je vous le jure, et m’étonne en ce point
1190 De peindre bien l’amour ne le connaissant point.
CÉPHISE.
Mais puisque je vous vois si franche et si sincère,
Il faut l’être avec vous, il ne faut rien vous taire.
L’on m’a dit qu’Anaxandre a pour moi tous les feux
Qu’on peut imaginer dans un coeur amoureux.
ALCIONE.
1195 Mais il vous plait, dit-on, et quoi qu’on puisse faire
On aime en peu de temps ce qui commence à plaire.
CÉPHISE.
Je sais ce que l’honneur doit exiger de nous.
Quoi que vous en croyez, je l’aime comme vous ;
Mais son amour me plait, puis qu’après nos alarmes,
1200 Il est dedans son coeur le vengeur de nos larmes
SCÈNE III. Céphise, Alcione, Anaxandre. §
CÉPHISE.
Mais je le vois, de grâce éloignez-vous d’ici,
Je voudrais lui parler.
ALCIONE.
Je voudrais lui parler. Je le voudrais aussi.
CÉPHISE.
Enfin la liberté vous est presque rendue.
ANAXANDRE.
Mais en vous rencontrant, je l’ai presque perdue.
1205 Qui pourrait vous parler, ou seulement vous voir,
Sans désirer des fers, ou sans en recevoir ?
N’aurais-je pas sujet, Princesses trop aimables !
De me plaindre aujourd’hui de vos yeux adorables,
Dont l’invincible éclat conspirant contre moi
1210 M’ôte la liberté que me donne le Roi ?
CÉPHISE.
Je puis dire pourtant à l’illustre Anaxandre,
Que j’aurais travaillé moi-même à la lui rendre ;
Et que sa liberté m’est si chère aujourd’hui,
Que je la garderais peut-être mieux que lui.
ALCIONE.
1215 Pour moi, je l’avouerai, j’aime à voir des esclaves
Qui soient comme Anaxandre, et généreux et braves.
Bien loin de travailler à votre liberté
Je voudrais affermir votre Captivité ;
Et si d’un tel captif j’étais la souveraine,
1220 Il serait au hasard de mourir dans sa chaîne.
CÉPHISE.
Jugez qui de nous deux conçoit ici pour vous
De meilleurs sentiments, et des desseins plus doux ;
L’une veut vous voir libre, et l’autre un peu plus rude
Fait son plus grand plaisir de votre servitude.
ALCIONE.
1225 Oui, ma soeur, il est vrai, je ne l’ai point flatté,
Je sais tous mes plaisirs de sa Captivité ;
Et je gagerais bien qu’il souhaite la mienne,
Pour se venger de moi de souhaiter la sienne.
Je vous permets, Seigneur, de faire ces souhaits,
1230 Faites-les maintenant, faites-les à jamais,
Je ne m’offense point qu’un fameux adversaire,
Me souhaite les maux que je voudrais lui faire ;
Et comme je vous crois constant et généreux,
Vous ne vous plaindrez point de ceux que je vous veux.
ANAXANDRE.
1235 Vous souhaitez les maux avecque tant de grâce,
Avec tant de douceur on m’en fait la menace,
Que les fers, que les feux, que les calamités
Cessent d’être des maux quand vous les souhaitez.
CÉPHISE, à Astérie.
Ils se trompent tous deux, il feint aussi bien qu’elle.
1240 Mais, Seigneur, il est temps de juger la querelle ;
Dites vos sentiments, et jugez qui des deux
Fait pour un prisonnier de plus utiles voeux,
Ou celle dont le coeur lui souhaite des gênes,
Ou celle dont la main voudrait rompre ses chaînes ?
ALCIONE.
1245 Donnez un jugement, enfin contentez-nous ;
Et donnez un arrêt qui soit digne de vous.
ANAXANDRE.
Non, non, il n’est pas juste, adorables Princesses,
Qu’un esclave soit juge entre ses deux Maîtresses.
CÉPHISE.
Un esclave si noble, et si rempli d’appas,
1250 Peut bien avoir des droits que les autres n’ont pas.
ANAXANDRE.
Puisque vous désirez que mon âme forcée
Sur peine de déplaire, exprime sa pensée,
Au moins je tâcherai pour accomplir mes voeux
Que le gain du procès soit pour toutes les deux.
1255 Puisque l’une de vous, comme au plus beau partage
Donne à la liberté le prix et l’avantage,
Et que l’autre aussi juste avec d’autres désirs
Rencontre dans mes fers, ses biens et ses plaisirs,
Mon sentiment serait pour s’accorder au vôtre,
1260 D’être libre pour l’une, et prisonnier pour l’autre.
CÉPHISE.
Qu’en dites-vous, ma soeur ? J’ai ce que j’attendais.
ALCIONE.
J’ai tout de même aussi ce que je prétendais.
CÉPHISE.
Souhaiter pour un autre un peu considérable
D’avoir la liberté, ce bien toujours aimable,
1265 N’est-ce pas souhaiter d’avoir l’occasion
De lui montrer son coeur, et son affection ?
Mais vouloir pour quelqu’un demeurer à la chaîne,
C’est lui donner sans doute une marque de haine ;
Car c’est dire qu’on veut en voulant s’affermir
1270 Avoir les bras liés de peur de le servir.
ALCIONE.
Moi qui dans cet arrêt ne trouve point d’obstacles,
Je ne me mêle point d’expliquer les Oracles ;
Et l’on est peu content, quoi que disent les yeux.
Quand on va rechercher ces sens mystérieux.
1275 Vous êtes le meilleur et le plus heureux juge
En qui l’on ait jamais rencontré son refuge,
Puisque par cet Arrêt à vous-même important
L’on est des deux côtés également content.
Qui peut mettre, Seigneur, en affaire pareille,
1280 Deux filles bien d’accord, a fait une merveille.
ANAXANDRE.
Ainsi malgré des Rois, et des Dieux opposés
Les miracles pour vous me sembleraient aisés.
CÉPHISE.
Mais que voudrait Arcas ? Il lui parle.
ALCIONE, à Arcas.
Mais que voudrait Arcas ? Il lui parle. Il me mande ?
Souffrez que j’obéisse au Roi qui me demande.
SCÈNE IV. Céphise, Anaxandre, Astérie. §
CÉPHISE.
1285 Expliquez-vous, Seigneur, l’on dit que vous aimez ?
CÉPHISE.
Moi, Madame ! Les bruits en sont partout semés ?
ANAXANDRE.
L’amour naît aisément dans les coeurs volontaires,
Mais un Roi prisonnier a bien d’autres affaires.
CÉPHISE.
Il faut dissimuler quand on en a sujet,
1290 Mais je sais votre amour, mais j’en connais l’objet ;
Et quoi que votre esprit s’imagine au contraire
Je favoriserais une flamme si chère,
Anaxandre apprendrait, puisqu’un Dieu l’a permis,
Qu’il a des ennemis qui valent des amis.
ANAXANDRE.
1295 Ce soin que vous prenez du sort d’un misérable
En gloire comme en biens le rend incomparable.
CÉPHISE.
Laissez parler le coeur, et n’appréhendez rien,
C’est un illustre esclave, on le traitera bien.
ANAXANDRE.
C’est un timide esclave instruit même à se taire
1300 Qui n’oserait parler de peur de vous déplaire ;
Et dont le sort est tel parmi tant de combats
Qu’il déplait en parlant, comme en ne parlant pas.
CÉPHISE.
Qu’appréhenderait-il ce grand coeur qui soupire,
Puisque je sais déjà tout ce qu’il pourrait dire ?
1305 Et qu’à ce qu’il peut dire, ce qu’à ce qu’il ressent,
Par un ordre du Ciel le mien même consent.
Craindrez-vous de parler après cette assurance ?
ANAXANDRE.
Puisque vous le voulez, je rends obéissance,
Sachant que vos bontés approuveront en nous
1310 Tout ce que vous voudriez qu’on approuvât en vous.
Ainsi puisque le Ciel de ses mains libérales
Versa dans votre coeur mille vertus Royales,
Je n’aurai point de peur qu’un transport rigoureux
Anime contre moi votre esprit généreux.
1315 Vous êtes au-dessus des troubles ordinaires
Que fait la passion dans les âmes vulgaires ;
Et je ne feindrai point de vous représenter
Ce qu’un esprit commun ne pourrait écouter.
S’il est vrai que le Ciel soit maître de nos âmes
1320 Qu’il y mette à son gré de la haine ou des flammes,
Et que l’amour ce feu partout victorieux
Soit dans les coeurs humains un ouvrage des Cieux ;
Vous êtes, ô Princesse, et trop juste et trop sage
Pour donner un Arrêt contre un céleste ouvrage.
1325 Ainsi lorsque le Ciel nous oblige d’aimer,
Il nous choisit l’objet qui doit nous enflammer ;
Il le met dans nos coeurs même avant que de naître,
Et notre oeil le connaît dès qu’il le voit paraître ;
Et quoi qu’on trouve ailleurs de charmant et de doux
1330 Le choix d’un autre objet ne dépend plus de nous.
Tout ce discours ne tend qu’à faire voir que j’aime
Que mon coeur entraîné suit une loi suprême ;
Mais que ces mêmes Dieux qui disposent de nous
M’estimèrent trop peu pour me donner à vous.
CÉPHISE.
1335 Qu’a-t-il dit ?
ANAXANDRE.
Qu’a-t-il dit ? Oui les Dieux voulurent qu’Alcione
Fut le charme fatal où mon coeur s’abandonne.
Je vous parle, madame, avec la liberté
Qu’inspire aux nobles coeurs la générosité,
Pourquoi craindrais-je aussi que votre esprit auguste
1340 Ne prît ce libre aveu pour un mépris injuste,
Ce n’est ni mépriser, ni profaner les Dieux
De ne les pas aimer comme on fait de beaux yeux.
CÉPHISE.
Seigneur, je n’entends point un discours de la sorte,
Pensez-vous que l’amour me charme et me transporte ;
1345 Et qu’injuste à mon rang où je dois m’attacher
Je cherche aveuglément qui doit me rechercher ?
Moi j’aurais de l’amour, et le ferais connaître !
Moi Reine quelque jour, je chercherais un Maître !
Et pour joindre la honte à mon aveuglement
1350 D’un ennemi vaincu je ferais mon Amant !
Je fais état de vous, mais moins que de la gloire,
Et je ne puis aimer que la seule victoire.
Qu’on estime mon coeur superbe, audacieux,
Il ne peut regarder que des victorieux,
1355 Tout le reste est pour moi, soit en paix soit en guerre,
Ce qu’au regard du Ciel on estime la terre ;
Et si pour moi l’amour vous blessait de ses coups,
Je le dirai, Seigneur, j’aurais pitié de vous ;
Que si pour découvrir ce que j’ai dedans l’âme
1360 Vous feignez pour une autre une amoureuse flamme,
Seigneur, vous vous trompez, mon esprit est son Roi,
Et ne veut point avoir d’autre Maître que soi.
Mais qui vous a donné cette vaine pensée
Que d’un trait amoureux mon âme fut blessée ?
1365 Sans doute, c’est un songe, ou quelque autre trompeur
Qui veut par là vous plaire, et vous gagner le coeur.
On jette l’oeil sur vous, vous tremblez Astérie ?
Quoi vous me trahissez, vous que j’ai tant chérie !
ANAXANDRE.
C’est un songe, Madame.
ASTÉRIE.
C’est un songe, Madame. Oui, Madame, c’est moi.
1370 Et j’ai pensé servir, vous, ce Prince et le Roi.
CÉPHISE.
C’est vous ? Quoi par mon ordre ! Ô Dieux quelle imprudence,
Vous ai-je de l’amour fait quelque confidence ?
ASTÉRIE.
Oui, je dois confesser.
CÉPHISE.
Oui, je dois confesser. Quoi que selon mes voeux
Vous avez entrepris un emploi si honteux ?
ASTÉRIE.
1375 Non, mais j’ai tâché d’obliger Anaxandre
À brûler pour un oeil qui dût le mettre en cendre,
Et qu’en ce procédé je regardais la paix
Qui doit être le but de nos communs souhaits.
Au moins si j’ai failli, si ma faute est blâmable,
1380 La raison de ma faute est sans doute louable,
J’ai fait contre moi seule un effort dangereux
Pour rendre deux grands Rois, et deux États heureux :
En quoi dans ce dessein, et dans cette aventure,
Ai-je fait une faute, ai-je fait une injure ?
1385 Madame, j’ai voulu vous donner un grand Roi.
Tous fidèles sujets le voudront comme moi ;
Seigneur, j’ai désiré vous donner une Reine,
Vous le désireriez si votre âme était saine,
Et qu’un mauvais destin ne vous obligeât pas
1390 À courir vainement après de faux appas.
CÉPHISE.
Bien que de tes raisons l’apparence soit belle,
Et que quelque autre en fit l’excuse de ton zèle,
Ma haine t’apprendra pour juste châtiment,
Si mon coeur outragé fut de ton sentiment.
1395 Tu pouvais exposer mon rang et ma fortune,
On pardonne cela, cette faute est commune ;
Mais exposer l’honneur qu’on perd facilement
C’est ce que les grands coeurs pardonnent rarement.
Si ce Prince amoureux eût eu moins de franchise,
1400 Et n’eût pas découvert ta funeste entreprise,
Il ferait maintenant de nous, et de nos voeux
Un jugement bien noble et bien avantageux.
Au moins si ton erreur fit un mal incroyable,
Qui demeurant caché se rendait incurable,
1405 Seigneur, votre franchise au lieu de m’affliger
Me contente me plait et vient de m’obliger,
Puisque cette franchise heureusement hardie
Me découvre le mal et que j’y remédie.
Sans doute mon transport vous a peu respecté,
1410 Mais que respecte-t-on, quand on est irrité ?
ANAXANDRE.
Si j’ai donc à ce mal comme donné de l’aide,
Par l’oubli de ce mal, payez-en le remède.
CÉPHISE.
Qui pardonne aisément, semble approuver le mal.
ANAXANDRE.
Qui pardonne aisément montre un esprit Royal.
CÉPHISE.
1415 Seigneur quand nous savons ce que nous devons faire,
Toute autre instruction nous est peu nécessaire.
ANAXANDRE.
Je dis mon sentiment.
CÉPHISE.
Je dis mon sentiment. Et je suivrai le mien.
ANAXANDRE.
Ma présence vous fâche, et je le connais bien.