SCÈNE II. Poliarque, Argenis, et ses filles, Selenisse, première troupe des soldats de Licogène. §
POLIARQUE, seul deguisé en fille dans le château.
Agréable prison, qui tiens dans ton espace
965 Le plus parfait objet, où respire la grâce,
Où les perfections animent les trésors
Que prodigua le ciel à former un beau corps,
Que tes liens sont doux, que tes chaînes sont belles
Et propres à dompter les âmes plus rebelles,
970 Quant je vois tant d’attraits et de feux glorieux
Sur un même visage et dans les mêmes yeux,
Et sentant les effets de leur flamme divine
Dans ce ravissement mon esprit s’imagine,
Qu’une éternelle nuit doit couvrir l’horizon,
975 Puisque ce lieu retient le Soleil en prison,
La Nature a rendu cette place si forte,
Pour garder le plus beau des trésors qu’elle porte
C’est ici que l’Amour déchu de tous ses droits
Se trouve enfin captif dessous ses propres lois,
980 Je le vois dans les yeux de celle qui m’enflamme
Qui tâche à se loger et vivre dans son âme,
Et toujours je l’entends qui me dit en ce lieu
Que je suis trop hardi d’être rival d’un dieu,
Et qu’étant né mortel le transport qui me presse
985 Me rend coupable et fou d’aimer une déesse ;
Mais s’il croit en cela, que je sois insensé,
Que peuvent ses raisons sur un esprit blessé ?
N’est-il pas comme moi dans la mélancolie
D’être si raisonnable avec ma folie.
990 Non non, c’est sans sujet, qu’un soupçon envieux
Me fait ainsi parler du plus puissant des dieux,
Hé ? quoi pensers ingrats, n’avez vous peu connaître
Qu’il est le seul auteur du bien que je vois naître ?
Et qu’il est seulement dans les yeux d’Argenis
995 Pour disposer son âme à mes feux infinis,
Déjà de beaux effets m’assurent qu’il s’emploie
À mettre ici d’accord ma fortune, et la joie,
L’amitié d’Argenis flatte déjà mes sens
De l’espoir de guérir des maux que je ressens,
1000 Tous les plus grands plaisirs, que le ciel lui destine,
Lui semblent imparfaits sans avoir Theocrine,
Elle me dit souvent sans malice et sans fard,
Qu’elle craint plus la mort, que mon triste départ
Que je suis de ses maux le souverain remède
1005 Que je suis tout son coeur, qu’enfin je le possède,
Et que puisque le sort me fait présent du sien,
Pour vivre heureusement il lui faudrait le mien,
Vivez donc sans ennui, beau sujet de ma flamme,
Puisque vous possédez et mon coeur et mon âme,
1010 Ainsi l’amour tarit les ruisseaux de mes pleurs,
Et présente à mes voeux son carquois plein de fleurs,
Mais que me servira ma poursuite amoureuse,
Si l’on ne m’aime ici, qu’en fille malheureuse.
ARGENIS.
Vous plairez vous toujours d’entretenir ainsi
1015 L’importune vigueur d’un rigoureux souci,
Il faut enfin quitter vos plaintes et vos larmes,
Et que votre entretien nous redonne ces charmes,
POLIARQUE.
Me voilà toute prête à vos commandements,
Je ne respire rien que vos contentements.
ARGENIS.
1020 Reprenons maintenant l’agréable aventure,
De qui votre discours nous a fait l’ouverture.
SELENISSE.
C’est assez discourir, il est temps que le bruit
Nous laisse disposer du repos de la nuit,
Déjà l’heure nous presse, et le somme convie
1025 À prendre les faveurs qu’il donne à notre vie,
La nuit est arrivée au milieu de son tour,
Je crois que vous voulez en faire un autre jour.
ARGENIS.
Ma mère excusez-nous, cette histoire finie
Portera dans le lit toute la compagnie.
SELENISSE.
1030 Réservons ce récit à faire une autre fois.
ARGENIS.
Je ne pourrais dormir si je ne le savais.
POLIARQUE.
Mais à peine je puis remettre en ma mémoire
Le point où nous étions demeurés de l’histoire.
ARGENIS.
Vous en étiez au point, qu’un dessein sans raison :
1035 Après beaucoup d’ennuis mit la fille en prison.
POLIARQUE.
L’amant désespéré d’un affront si sensible
À la fidélité d’un amour invincible,
S’abandonne à la plainte, et ses cris furieux
Épouvantent la terre, et menaient les cieux :
1040 Le désespoir l’emporte à sa dernière rage,
Toutefois il veut vivre, et venger cet outrage.
Il dit qu’il n’aime plus, et ses feux trop ardents
Qui paraissaient dehors se cachent au dedans,
Il feint un grand voyage, et qu’en changeant de terre
1045 Il chassera l’amour, qui lui faisait la guerre,
Mais au lieu de pays, il changea seulement
Sa parole son nom, et son habillement,
Si bien qu’il fit en sorte après beaucoup de peines
Qui rendirent cent fois ses espérances vaines,
1050 Qu’il fut pris pour servir celle à qui les amours
Avaient déjà voué son service, et ses jours.
Que diriez vous Madame après cette entreprise ?
ARGENIS.
Que le seul désespoir bien souvent favorise.
POLIARQUE.
N’eussiez vous pas puni cette témérité ?
ARGENIS.
1055 J’eusse excusé l’amour et sa fidélité.
POLIARQUE.
Je n’aurais pas souffert cette injuste licence.
ARGENIS.
Pourquoi ? Si son amour était dans l’innocence ?
POLIARQUE.
C’est là mon sentiment, qui n’a jamais appris,
Ce que peut l’amitié sur les faibles esprits.
SELENISSE.
1060 Vous parlez sainement en parlant de la sorte.
Mais d’où vient ce grand bruit, on enfonce la porte !
Que veulent ces soldats !
ARGENIS.
Que veulent ces soldats ! Ils s’adressent à moi.
Première troupe des soldats de Licogène.
Madame vous viendrez.
Il arrache une épée au premier qui se présente.
POLIARQUE.
Madame vous viendrez. Ministres de l’effroi,
Traîtres vous mentirez, et de vos propres armes,
1065 Je mêlerai bientôt votre sang à ses larmes.
SELENISSE.
Au secours, au secours, que ses coups sont certains !
Quelqu’un des Dieux gouverne et sa force et ses mains.
POLIARQUE.
Assassins vantez vous dans les nuits éternelles,
Qu’une fille y poussa vos âmes criminelles,
1070 Rassurez vous Madame, et voyez de leur flanc
Sortir pour les noyer des rivieres de sang,
Mais quelque bruit encor vient toucher mon oreille.
ARGENIS.
N’attenterait-on point sur le roi qui sommeille ?
POLIARQUE.
Si quelque audacieux est encore debout,
1075 Mon courage, et ce bras en viendront bien à bout ;
Renfermez vous Madame, et chassez votre crainte.
SELENISSE.
Immortels qui voyez une si rude atteinte,
S’il est vrai que les rois soient des dieux ici bas
Secourez vos pareils qui vous tendent les bras.
SCÈNE IV. Poliarque, Argenis, Selenisse, Meleandre. §
POLIARQUE.
Princesse il n’est plus temps de contraindre l’Amour,
1115 Dessous ce vêtement qui le cachait au jour,
Enfin il ne faut plus se feindre de la sorte,
Ou le sexe dément cet habit que je porte,
Non, je ne suis pas fille, et des faits si puissants
Ont peut-être déjà désabusé vos sens,
1120 Au moins il ne se peut qu’une telle victoire
Ne fasse voir au roi ce que vous devez croire,
Et que ses yeux témoins des maux que je domptais,
Me prennent plus longtemps pour celle que j’étais ?
Craignant donc que l’effroi d’une telle tempête,
1125 Ait réservé son foudre à tomber sur ma tête,
Madame je vous quitte, et vous laisse la foi
Et le coeur amoureux d’un esclave, et d’un roi,
Esclave des beautés que vos vertus méritent,
Et roi de ce pays où les français habitent,
1130 Mais devant que le ciel m’éloigne de vos yeux,
Pardonnez à l’amour qui me mit en ces lieux,
Mon crime est un effet de sa haute puissance,
Que les dieux ont commis sous son obéissance ;
C’est plutôt un effet de vos attraits vainqueurs,
1135 De qui l’amour se sert à surprendre les coeurs,
Pouvez-vous donc blâmer l’apparence d’un crime,
Dont vous avez été la cause légitime.
Mon nom est Poliarque, et mes plus grands plaisirs,
Consistent maintenant à suivre vos désirs,
1140 Tous vos commandements, après qui je soupire,
Me seront bien plus chers que les droits d’un empire :
Voulez-vous que je meure, et que ce bras content
Qui vous vient de sauver me perde au même instant ?
Voulez-vous que ce fer, Amour, et mon courage
1145 Vous montrent sur mon coeur votre céleste image ?
Suis-je enfin criminel, et ma témérité
Aurait-elle offensé votre divinité ?
Parlez, parlez, Déesse, ou si j’en suis indigne,
Permettez à vos yeux de m’en donner un signe,
1150 Et lors j’aurai la gloire en me donnant la mort,
D’avoir puni celui qui vous a fait du tort.
ARGENIS.
Dans cet étonnement ma parole refuse
D’exprimer les pensers de mon âme confuse ;
Dormez vous, Theocrine, en tenant un discours
1155 Contraire de tout point à l’honneur de mes jours ?
Où malgré vos raisons ma honte se remarque ?
POLIARQUE.
Theocrine n’est plus où paraît Poliarque,
Conservez à mes feux découverts à leur tour
Le bien que Theocrine avait dans votre amour.
ARGENIS.
1160 Que j’aime un criminel dont l’homicide envie
Pour perdre mon honneur me vint sauver la vie.
POLIARQUE.
Il lui présente une épée.
Si je suis criminel, tenez voilà de quoi
Me punir d’un forfait commis sous votre loi.
ARGENIS.
Ce fer ne suffit pas, il faut qu’un juste foudre
1165 En prenne la vengeance et vous réduise en poudre,
POLIARQUE.
Le foudre sans pouvoir à l’égal de vos yeux
En laisse la vengeance à leurs traits glorieux.
ARGENIS.
Ai-je évité la mort pour trouver une peine
Dont l’atteinte fatale est bien plus inhumaine ?
SELENISSE.
1170 Pour qui dois-je parler ? Le voulant pour tous deux,
Je ne saurais parler ni contre, ni pour eux.
ARGENIS.
Que ferai-je réduite à cette inquiétude ?
Dois-je payer un bien par une ingratitude ?
Deux extrêmes puissants agitent mes esprits
1175 De leurs émotions également surpris,
La crainte et le devoir me viennent entreprendre,
Et ma raison ne sait de quel parti se rendre,
Elle flotte inconstante avec son pouvoir,
Et n’oserait blâmer la crainte ou le devoir ;
1180 Le devoir nous apprend aux maux qui nous martyrent,
Que nous devons l’amour à ceux qui nous en tirent,
Et la crainte qui suit remontre à mon bonheur,
Qu’une Amour de la sorte offense mon honneur :
Tristes ressentiments d’une fille avisée,
1185 À qui rejoindrez-vous ma raison divisée ?
À qui vous la joindrez, hélas n’en doutez plus
L’aspect de ce plaisir rend vos soins superflus,
Je ne vous puis haïr sans être plus cruelle
Que l’attentat mortel d’une troupe infidèle,
1190 Le ciel dont la faveur voulut vous employer
Ne veut pas qu’un mépris vous serve de loyer
Il vous a fait verser ce sang en cette place
À dessein seulement d’en signer votre grâce.
POLIARQUE.
Permettez vous enfin à mes profonds soupirs
1195 De céder devant vous à l’espoir des plaisirs ?
Que vos discours sont forts de me rendre la vie
Que leur sévérité m’avait déjà ravie,
Ils réparent le mal qu’avaient fait vos rigueurs
En me faisant mourir avec tant de langueurs.
ARGENIS.
1200 Vos mérites vivront toujours dans ma mémoire.
POLIARQUE.
Ô Salaire, cent fois plus grand que ma victoire
Ô favorable amour, qui se sert de la nuit
Pour faire mieux reluire un feu qu’il a produit.
ARGENIS.
Mais de peur que le roi découvre votre audace,
1205 Sortez de ce séjour où le sort vous menace.
Certain avec moi que cet exploit guerrier
Couronne vos vertus de myrte et de laurier,
Et lorsque le grand bruit aura fermé sa bouche
À ce que nous fit voir un dessein si farouche,
1210 Présentez-vous au roi comme jeune étranger
Que pousse dans l’honneur le mépris du danger,
Et sans rien emprunter du fait de Theocrine
Signalez en tout lieux votre force divine.
POLIARQUE.
Je vois dedans vos yeux, et dedans vos discours
1215 Des liens et des lois, que je suivrai toujours,
Je vous quitte, Madame, et mon esprit me laisse
De peur de partager avec moi ma tristesse :
Si déjà mille maux m’attaquent devant vous
Pourrai-je loin d’ici résister à leurs coups ?
1220 Hé Dieux peut-on trouver de si cruels supplices,
Où règne la douceur avec les délices ?
Maintenant dans mon coeur les amours sont en pleurs
Ils empruntent ma voix pour dire leurs douleurs,
Et contraints par eux-même aujourd’hui de me suivre
1225 Se plaignent de quitter celle qui les fait vivre,
Et s’ils n’espéraient rien du sceptre que je tiens
Vous les verriez mourir dans leurs propres liens.
Poliarque s’en va.
SELENISSE.
Que faites-vous madame en ce dessein contraire ?
ARGENIS.
Ce qu’un juste devoir me commande de faire ;
1230 Ce que tous les démons dégagés de leurs fers
Voudraient même exercer dans l’horreur des enfers.
SELENISSE.
Étouffez cet amour qui séduit l’innocence,
Il paraît toujours faible au point de sa naissance,
Le plus léger effort, qu’on lui fasse en naissant
1235 Désarme son pouvoir et le rend impuissant.
ARGENIS.
Il est tel en naissant dans nos âmes blessées
Lorsqu’un faible sujet le monstre à nos pensées,
Mais le mien a des traits si justes et si forts
Que même la raison approuve ses efforts.
SELENISSE.
1240 Alors que ce tyran du bonheur de nos âmes
Fait offre à nos désirs de ses premières flammes,
C’est un soleil d’été qui caresse les fleurs
Au point que son réveil modère ses chaleurs,
Mais qui montre à midi, que ses rayons superbes
1245 Gâtent l’honneur des fleurs, et font pâlir les herbes,
L’amour n’est que douceur dans son commencement.
Mais on éprouve en fin que ce n’est qu’un tourment,
Quand il a pris un coeur, quelque effort que l’on fasse
Il fait voir qu’il sait bien en défendre la place.
ARGENIS.
1250 Aussi ne veux-je pas qu’il en sorte jamais
Quelque fâcheux ennui qu’il m’offre désormais.
SELENISSE.
Aimer un inconnu ! Vous pouviez bien Madame
Lui faire un autre don que celui de votre âme.
Et croire un étranger qui flatte son ardeur
1255 Du titre imaginé d’une feinte grandeur,
Madame, songez y.
ARGENIS.
Madame, songez y. Mon amour se limite
Au défaut de ce titre (à son rare mérite)
Si je doutais du rang dont il veut s’honorer,
Son courage royal m’en pourrait assurer.
SELENISSE.
1260 Un désir téméraire indigne de louanges
Nous porte bien souvent à des effets étranges.
ARGENIS.
Téméraire ou prudent, qu’importes si la main
Nous tire du danger d’un trépas inhumain ?
SELENISSE.
Puisque ma voix se perd, et que le vent l’emporte,
1265 Considérez la fin d’une amour de la sorte,
On connaîtra bientôt vos desseins indiscrets,
L’amour n’est pas de ceux qui se tiennent secrets.
ARGENIS.
Ma mère pouvons-nous sans paraître barbares
Nier si peu de chose à des biens faits si rares ?
SELENISSE.
1270 Comment si peu de chose ? Hà ! vous ne savez pas
Combien le don du coeur nous cause de trépas,
Ce n’est pas un présent de légère importance,
Puisque nous en faisons si longtemps pénitence
Madame croyez-moi, ces frivoles amours
1275 Vous rendront misérable et terniront vos jours.
ARGENIS.
Que votre voix m’accuse, ou bien qu’elle me flatte
J’aime mieux demeurer misérable, qu’ingrate :
Le poison de la mort distillé dans mon sein
Peut bien m’ôter la vie, et non pas mon dessein,
1280 Montrez-vous seulement et fidèle, et discrète
Aux premières ardeurs de ma flamme secrète.
SELENISSE.
Puisque vous le voulez mais le roi vient à nous
Tout étonné du bruit, qui s’est fait parmi nous !
MELEANDRE.
Avez-vous ressenti l’insolence brutale
1285 Qu’animait à ma perte une rage fatale ?
ARGENIS.
La main de Theocrite ardente à nous venger
A délivré nos jours de ce commun danger,
Et si nous respirons en dépit de l’envie
Nous lui devons le bien d’une seconde vie.
MELEANDRE.
1290 Ô fille généreuse ! et sortie autrefois
De la race des Dieux, non de celle des Rois,
Tu peux bien disputer au démon de la guerre
Les autels et l’encens qu’on lui donne sur terre :
Son bras, son même bras a délivré mon sort
1295 Du plus triste appareil d’une tragique mort,
Ne pourrai-je point voir cette belle guerrière
Qui nous a conservé la céleste lumière ?
ARGENIS.
Après cette défaite, où son bras empêché
A cueilli des lauriers dans ce sang épanché,
1300 Nous la vîmes sortir sans aucune parole
Bien plus légèrement que l’oiseau qui s’envole.
MELEANDRE.
Mais voici mes soldats ; les ennemis battus
Ne m’ont-ils point ravi ce miroir de vertus ?
Vous ne l’amenez point ?
SOLDATS.
Vous ne l’amenez point ? Sire, on ne la point vue.
1305 Il semble que la nuit la couvre d’une nue,
Nous n’avons rien laissé partout dedans ces lieux
Où la loi du devoir n’ait occupé nos yeux.
MELEANDRE.
Une divinité sous ces habits couverte
Délivre la Sicile, et détourne sa perte,
1310 Et Pallas elle-même employa sa valeur
À briser devant nous les traits de ce malheur,
Dieux sans vous offenser, on ne saurait pas croire
Que quelque force humaine en ait eu la victoire,
Non il fallait un Dieu pour chasser tant d’horreur,
1315 Qu’accompagnait ici la force et la fureur,
Mais afin de montrer, que l’on sait reconnaître
Les faveurs que le ciel a voulu faire naître,
N’ayant rien de plus cher à rendre aux immortels
Ma fille je vous offre au pied de leurs autels,
1320 Je veux que désormais votre jeunesse serve
À l’office divin du Temple de Minerve,
Ne me refusez pas un tel contentement
Jusqu’à ce que le ciel en dispose autrement,
Les autels embrassez vous seront un asile
1325 Où vous éprouverez votre destin facile,
Et nous ne craindrons plus ses complots furieux
Alors que vous serez en la garde des dieux.
ARGENIS.
Sire le plus grand bien, qui suivra ma jeunesse,
Est l’honneur de servir une telle déesse.
MELEANDRE.
1330 Mais il faut cependant que des soins plus pressés,
Ferment la porte aux maux qui nous ont menacés.
SCÈNE V. §
LICOGENE accompagné des siens.
Infâmes, ce château ne reçut de vos armes
Qu’une légère atteinte et de faibles alarmes
La même lâcheté compagne de vos pas
1335 Étonna vos esprits de la peur du trépas :
Suffisait-il d’avoir dans votre âme parjure
Le désir de venger mon amour d’une injure ?
Ha ! vous deviez porter d’un courage inhumain
La vengeance dans l’âme et ses effets en main :
1340 Mais vous ne voulez pas cruelles destinées
Qu’un bonheur si soudain se mêle à mes années,
Qu’après tant de soucis les plaisirs que j’attends
Succèdent au malheur qui me suit de tout temps.
Et qu’à la fin mon coeur que votre rage éprouve
1345 Rencontre dans la nuit le repos qu’on y trouve,
Vous pouvez bien tromper mes amoureux désirs
Vous pouvez en naissant étouffer mes plaisirs,
Mais malgré vos rigueurs et leurs vives atteintes
Qui me donnent toujours quelques nouvelles plaintes,
1350 Ce bien me restera sous le fait de vos coups
Que j’aurai vu sans peur votre injuste courroux
Puisqu’un secret assaut inutile à ma peine
A rendu de tout point mon espérance vaine,
Ma force et mon dessein paraîtront à leur tour
1355 Non pas dedans la nuit, mais en face du jour
Les armes et les soins de notre diligence,
Soûleront mes désirs du fruit de la vengeance
Je graverai partout l’image de l’horreur
On verra tout brûler des feux de ma fureur,
1360 Et leur moindre étincelle en ces guerres civiles
Consommera bientôt des peuples et des villes
Les champs où les épis remplissaient les sillons,
Ne seront plus foulés que de mes bataillons,
Les bois seront honteux d’avoir moins de feuillage
1365 Que j’aurai d’assassins animés au carnage.
La licence partout agréable aux soldats.
En fera des lions dessous mes étendards.
Nous pousserons en l’air des traits en si grand nombre,
Que malgré le soleil, nous combattrons à l’ombre ;
1370 Et les dieux, que nos dards sembleront provoquer
Croiront une autre fois qu’on les veuille attaquer,
Je veux que sous le faît de tant d’hommes de guerre
L’on entende gémir la masse de la terre,
Je veux qu’au lieu de fleurs ces prés saient tapissés
1375 Des éclats tous sanglants d’ossements fracassés,
Que le sang ennemi lave toutes ces pleines,
Qu’il les fasse rougir jusque dedans leurs veines,
Et qu’en fin ma victoire en me tirant des fers
Contente mon désir, la mort, et les enfers.