Par le Sieur Du Ryer
CHEZ PIERRE DAVID, au Palais sur
le petit Perron de la grand ’ Salle
du costé des Consultations.
M. DC. XXXII.
AVEC PRIVILEGE DU ROY
Édition critique établie par Anne-Karine Messonnet sous la direction de Georges Forestier (1997)
Introduction générale §
Aspects de la vie et de la carrière dramatique de Pierre Du Ryer (1605-1658) §
Isaac Du Ryer, père de Pierre du Ryer, appartient à la petite noblesse ; en raison de sa verve il se taille une réputation de poète réaliste et d’auteur dramatique. Il influencera son fils dans son goût pour la poésie lyrique et dramatique. Les nombreux travaux de Pierre Du Ryer, sa connaissance perçue dans ses premiers ouvrages de la culture antique révèlent, chez ce jeune écrivain, une bonne fréquentation des classiques. Secrétaire de la chambre du roi en 1621, il commence sa carrière poétique en 1624 par des vers latins dédiés à son père : Patri suo. En 1628, Pierre Du Ryer vit à Paris et fréquente la Cour ainsi que les milieux intellectuels dans lesquels il fut introduit par son père. Il étudie le droit et devient avocat en 1629. Ainsi le jeune Du Ryer appartient-il aux gens de lettres et de culture familiers de la cour de Gaston d’Orléans (il devient secrétaire du Duc de Vendôme en 1634). Il y est sans doute influencé par les idées nouvelles qui mûrissent dans les salons. Mais dès 1621 sa charge de secrétaire du roi lui impose de se montrer prudent sur des relations pouvant paraître suspectes au pouvoir établi. Outre les salons, la Cour, sans toutefois atteindre la perfection, se distingue dans les années 1625-1630 comme le centre de l’élégance et des belles manières. Il existe cependant des foyers de tension puisqu’« une aristocratie en révolte larvée contre le pouvoir royal »1 se fait connaître. Du Ryer, Corneille, Mairet et bien d’autres eurent pour protecteurs les grands seigneurs de ce royaume : Vendôme, Longueville, d’Orléans… Ces nobles opposaient à l’autorité de Richelieu une politique hautaine et orgueilleuse d’indépendance dont se nourrissaient les poètes qui les fréquentaient. Cet écrivain encore inexpérimenté préside des réunions d’idéalistes dans des cabarets. Il se distingue rapidement comme le chef de file des jeunes auteurs du nouveau théâtre qui compte parmi ses membres G. Colletet, F. Ogier, Auvray, Mareschal, Rotrou et d’autres. Paris devient le centre où les esprits bouillonnent et où les plumes rendent la vie intellectuelle frénétique.
Ces jeunes auteurs sont « unis par l’amitié, fortifiés par le sentiment d’entreprendre en commun une grande œuvre » (A. Adam) ; ils se soutiennent mutuellement. Grâce aux créations de quelques écrivains : La Chryséide de Mairet (1625), Tyr et Sidon (tragi-comédie de 1628) de J. de Schelandre, les pièces de Du Ryer et de Rotrou, le genre tragi-comique se développe. C’est avec la préface d’A. Mareschal à sa pièce : La Généreuse allemande2 (1631), que la tragi-comédie, désormais reconnue, revendique son originalité et son indépendance par un refus des unités, un désir de modernité et d’adaptation au goût contemporain, une primauté de l’action sur le récit ainsi qu’un dénouement heureux. Tous ces traits, qui caractérisent les pièces créées pendant l’épanouissement du genre (1630-1642), se retrouvent dans les premières tragi-comédies de Du Ryer, Mairet… Devenue le genre dramatique le plus populaire, la tragi-comédie éclipse la pastorale, la tragédie et la comédie jusqu’aux environs de 1643.
Un successeur et un adversaire de Alexandre Hardy §
Bien que ces auteurs soient les plus représentatifs du genre tragi-comique, c’est Alexandre Hardy qui popularise la tragi-comédie romanesque et en fait le genre dominant que ces jeunes écrivains illustrent. Hardy a en effet donné un public au théâtre du XVIIe siècle en composant des pièces pour la scène, c’est à dire dans le but de les faire représenter, et non pour quelques érudits, « avec une constante préoccupation de l’effet, des nécessités et des conventions du théâtre »3. Il a permis de dégager les lois essentielles de ce genre; aussi les auteurs qui lui succédèrent n’eurent-ils plus qu’à ajouter quelques précisions aidant à la distinction des genres et à la détermination des conditions de classement. Il a donné aux novateurs des acteurs et un public, il a fixé les traits caractéristiques du genre et a montré la voie à ses successeurs.
Mais malgré toutes ces innovations, Hardy est un auteur de la vieille école et un admirateur de Ronsard. Il cherche ses sujets dans l’Antiquité, dans les histoires espagnoles ou italiennes et il ne les renouvelle guère. La suprématie incontestée de ce vieil auteur est secouée par la création d’Arétaphile de Du Ryer en 1628. Débute alors une querelle qui eut son importance dans l’histoire de la littérature dramatique du premier tiers de ce siècle. Le conflit entre les jeunes auteurs, représentés par Pierre Du Ryer et Jean Auvray, éclate ouvertement avec Les Lettres à Poliarque et Damon sur les médisances de l’Autheur du théâtre dans lesquelles les deux auteurs dénoncent le vieillissement des théories théâtrales de Hardy et déclarent que « c’est une loi générale, qu’il faut observer les loix du pays où l’on est : nous ne sommes pas Romains ni Romans, nous escrivons à Paris, on y parle assez bien, sans emprunter un idiome estranger » (Du Ryer). Ils s’opposent au vieillissement de la langue et se déclarent en faveur de Malherbe. Hardy répond à cette attaque dans une préface à son Théâtre […]4 où il défend sa conception du style, de la forme ou encore des sources d’une pièce. Bien que Du Ryer et Auvray se considèrent comme ses élèves, ils désirent introduire au théâtre un langage plus souple, plus moderne et plus clair c’est à dire conforme aux tendances contemporaines. En effet, Hardy n’accepte pas la réforme de Malherbe et ses pièces, même au moment de leur représentation, n’échappaient pas à une lourdeur, à une obscurité du point de vue stylistique et linguistique qui montrent son archaïsme par rapport à la langue contemporaine.
Ainsi, bien que ces auteurs soient des successeurs du vieil Hardy, ils s’opposent à lui en se faisant les porte-paroles d’une évolution irréversible du goût. Cette querelle oppose deux générations, deux conceptions de l’art théâtral, contre Hardy se dressent les premiers groupes littéraires, futurs « cercles » qui jalonnent l’histoire de l’évolution des idées et du goût au XVIIe siècle. Ces jeunes écrivains voient dans le principe moderniste un principe de liberté, et A. Mareschal, dans La Généreuse allemande en 1631, défend la liberté de l’art dramatique contre les théoriciens qui veulent l’asservir. Pour ces novateurs, la modernité réside dans la qualité des pensées et des sentiments incarnés par Théophile. Les héros imaginés par ces dramaturges agissent et pensent comme des hommes de 1630 c’est à dire comme des hommes modernes. De 1628 à 1633, Du Ryer et son groupe ont le sentiment de créer quelque chose de neuf, une forme dramatique nouvelle et parfaitement adaptée au goût de leur génération. La liberté qu’ils ont gagnée leur parait féconde en possibilités nouvelles.
Une seule règle : plaire au public §
Aux environs de 1640, sous l’influence du Cid (1637) de Corneille, les auteurs de tragi-comédies, par un plus grand respect de l’unité de temps et de lieu, se montrent davantage soucieux de régularité tout en gardant une intrigue complexe. Après avoir écrit de nombreuses tragi-comédies (Arétaphile, Clitophon, Argénis et Poliarque, Lisandre et Caliste), à partir de 1639 Du Ryer ne se consacre plus qu’aux tragédies et ce pendant une dizaine d’années. Le genre tragique domine de 1643 à la Fronde, la tragi-comédie ne bénéficie que d’un faible regain d’intérêt de 1652 à 1658, elle décline puis disparaît au profit d’autres genres dramatiques vers 1672. Ce bref historique du genre tragi-comique permet de constater l’attention que porte du Ryer à l’évolution du goût du public. Le but d’un dramaturge est de charmer l’assistance et de la divertir, comme le déclare Du Ryer dans son épître à la Duchesse de Longueville, à laquelle il dédie Lisandre et Caliste : « j’auray subjet de croire que je vaux quelque chose si vous faites estat du dessein que j’ay de vous divertir[…] ». Un tel mot d’ordre implique la prise de conscience de la relativité et de l’évolution du goût du public. Aussi le dramaturge doit-il continuellement s’adapter s’il veut plaire et rester populaire. Ainsi peut-on expliquer l’évolution de Pierre Du Ryer qui passe de la tragi-comédie irrégulière ou de la comédie à la tragédie classique. Sous l’influence du Cinna de Corneille (jouée fin 1640- début 1641), Du Ryer écrit trois tragédies à dénouement heureux : Esther (1642), Scévole (1644) et Thémistocle (1647). Il ne néglige pas pour autant la tragédie pure avec Lucrèce (jouée en 1638) ou encore Saül (1642) ou la comédie avec Les Vendanges de Suresne (1633). Il écrit sa dernière tragi-comédie Anaxandre en 1653. Cet aperçu de la carrière dramatique de Du Ryer témoigne de l’attention particulière que porte l’auteur au climat de son époque en ce qui concerne la technique et la stylistique mais aussi la thématique théâtrales. Notre auteur expérimente les genres dramatiques majeurs de cette époque et montre par la même son désir de s’adapter au goût du public. Dans Comédie et société sous Louis XIII5, Colette Scherer dresse une liste des différentes professions susceptibles de se rendre au théâtre dans la première moitié du XVIIème siècle. Il s’agissait pour les auteurs dramatiques de satisfaire le goût de l’auditoire pour le spectacle dramatique en exploitant particulièrement le jeu et le talent des acteurs. Ces derniers, soutenus par une déclamation ampoulée mais maîtrisée avec art, donnaient de l’éclat aux pièces les plus médiocres. Le public était composé de façon hétéroclite mais qu’il soit cultivé et sensible ou moins lettré, une même envie, un même désir animaient les spectateurs : prendre du plaisir en goûtant des sentiments raffinés ou en vibrant aux élans de l’héroïsme chevaleresque. Peu préoccupé par les règles, il cherchait des émotions fortes et du spectacle. Auteurs comme spectateurs affichent leur prédilection pour les actions complexes où les coups de théâtre se succèdent. Comme le dit F. Ogier dans sa préface à Tyr et Sidon (1628) : le public est « amateur de changement et de nouveauté »6, mais se montre peu exigeant du point de vue littéraire. Les règles se sont peu à peu imposées à la tragi-comédie sans que Du Ryer et ses amis n’y montrent une quelconque résistance. Notre auteur a su adopter, face au rejet puis à l’engouement pour les règles, une sorte de voie moyenne et éclectique. Par tous ces aspects, Du Ryer mérite une place plus importante dans ce mouvement qui permit d’imposer une nouvelle façon de concevoir et de faire le théâtre dans les années 1630. Après avoir obtenu de son vivant un grand succès et des louanges presque unanimes, au point qu’il fut élu à l’Académie française en 1646, son œuvre fut délaissée après sa mort. Il faut cependant reconnaître que, par ses tentatives désordonnées, il a puisé dans tous les domaines du théâtre et a aidé à l’établissement du genre dramatique par excellence : la tragédie. Il mourut le 5 octobre 1658.
La pièce §
Lisandre et Caliste fut composée et créée en 1630 au théâtre de l’Hôtel de Bourgogne. Publiée le 5 août 1632 à Paris par Pierre David, la pièce reçut quelques retouches de Pierre Du Ryer qui donna lieu à une nouvelle édition en 1634. Ce remaniement de l’auteur indique sans doute le succès de la pièce, toutefois aucun détail n’a été fourni sur ce point, même par H.C. Lancaster. Nous savons seulement que, d’une manière générale, Pierre Du Ryer connut dès ses premières pièces : Arétaphile (jouée en 1628), Clitophon (jouée en 1629), Argénis et Poliarque (1631) ou encore Lisandre et Caliste (1630), un succès grandissant. En témoigne l’avertissement à Arétaphile :
Arétaphile et Clitophon sont les premières pièces de théâtre par qui Monseigneur Du Ryer s’y est fait admirer […], elles furent reçues avec un applaudissement universel du peuple et de la cour 7.
Nous supposons qu’il en fut de même pour Lisandre et Caliste, la réédition de sa pièce en 1634 constituant une preuve du succès relatif de la pièce. Le fait que sa tragi-comédie ait été représentée à l’Hôtel de Bourgogne montre l’estime que l’on portait à l’époque au jeune Pierre Du Ryer, dont Mahelot mentionna la pièce dans son Mémoire8.
Paris accueillit dans la même période deux troupes permanentes : le théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, considéré comme le chef de file des théâtres français, et le théâtre du Marais. En effet, l’intérêt de Richelieu pour le genre relevait à la fois d’un goût personnel et d’un goût politique car il y voyait un instrument de propagande nationale et monarchique. Le statut de l’auteur dramatique évolua considérablement en un temps très court. L’exploitation des salles de théâtre de Paris fut marquée par une stabilité nouvelle. Une ordonnance de 1629 installa les comédiens du roi à l’Hôtel de Bourgogne et, pour la première fois dans l’histoire de Paris, deux troupes de théâtre se firent concurrence. Devant leur essor, une pléiade de jeunes dramaturges issus de la bonne bourgeoisie s’engagèrent dans une carrière dramatique peu avant 1630. Le théâtre et notamment la tragi-comédie, qui dominera de 1630 à 1640, s’adapte à un nouveau type de société plus délicate et respectueuse des bienséances.
Au théâtre et dans les salons de cette époque, on appréciait les tragi-comédies que A. Mareschal en 1631 considérait comme « le divertissement le plus beau des Français ». Parce qu’une pièce de théâtre cherche à plaire à son public, elle reflète inévitablement et dans une large mesure ce qu’il est. L’esthétique tragi-comique correspond à une esthétique moderne adaptée à l’esprit moderne et au goût du français contemporain perçu, selon Jean Rousset dans La Littérature de l’âge baroque en France9, comme un homme de mouvement, de diversité et de changement. L’esprit du premier XVIIe siècle, des « pré-classiques » se retrouve dans la tragi-comédie romanesque comme dans l’Hôtel de Rambouillet ou encore dans les romans d’Honoré d’Urfé ou de Madeleine de Scudéry.
La source §
L’Histoire tragi-comique de notre temps de Henri Vital d’Audiguier. §
Pierre Du Ryer s’inspire des cinq derniers livres de L’Histoire tragi-comique de notre temps sous les noms de Lisandre et Caliste10 de D’Audiguier pour écrire sa tragi-comédie Lisandre et Caliste. Publiée en 1615, L’Histoire tragi-comique […] témoigne de l’engouement de D’Audiguier pour le roman de mœurs modernes. L’action se déroule sous Henri IV, les personnages sont modernes et français ; pourtant c’est d’un récit de Pline le jeune à son ami Sura que D’Audiguier s’inspire pour écrire son roman. Ainsi choisit-il comme source essentielle de son récit l’Antiquité mais prend soin d’adapter ces aventures à la société contemporaine. Le roman raconte, au travers d’un foisonnement invraisemblable d’aventures, l’histoire des amours de Lisandre et de Caliste : les prémisses, les premières manifestations, les progrès, les jalousies, malentendus, coups de théâtre ou séparations auxquels les héros devront faire face avant de se marier.
Après le succès de L’Astrée d’Honoré d’Urfé, le roman pastoral n’inspire plus guère les romanciers : le goût de l’action, l’héroïsme, l’esprit d’aventure sollicitent plus la nouvelle génération. Très populaire sous Louis XIII, le roman d’aventures, dont L’Histoire tragi-comique est un exemple, combine esprit chevaleresque et galanteries modernes. Les héros ressemblent aux chevaliers courtois du Moyen Âge : mêmes aventures, mêmes prouesses et vertus. Ils possèdent également, à côté de ces qualités, l’élégance et le raffinement du gentilhomme et du courtisan. Il ne s’agit plus de raconter des aventures qui se déroulent en un temps révolu mais de faire le récit de péripéties vécues par des héros modernes et français. Dans son roman, D’Audiguier revendique constamment la vérité de son récit et le place dans le monde des possibles. Ainsi au Livre VIII D’Audiguier se réfère-t-il à d’autres auteurs ayant raconté l’histoire de Lisandre et de Caliste pour dénoncer leur version qui faisait de l’héroïne une femme facile : habile procédé qui fait croire à la réalité de son histoire. Ces romans étaient essentiellement destinés aux mondains et les auteurs, dans quelque genre que ce soit, cherchent à exprimer l’idéal de cette société polie et galante, fière de la délicatesse de son esprit et heureuse de vivre. Dans une société en pleine évolution, les romans constituent un instrument éducatif de premier ordre.
Henri Vital d’Audiguier, comme tous les romanciers du début du XVIIe siècle, n’échappe pas à ces caractéristiques. Il fait partie, tout comme Du Souhait, Nervèze et Des Escuteaux, des romanciers les plus féconds et les plus notoires de cette période. Ces auteurs ont des traits communs qui expliquent leur succès, ils se rejoignent notamment dans leur application à satisfaire les goûts de leur public et par les moyens qu’ils utilisent pour y parvenir. Toutefois aucun d’entre eux n’eut assez de génie pour émerger de son cadre et de son temps. Henri Vital d’Audiguier (~ 1565 ; 1625), « seigneur de la Menor en pays de Rouergue », appartient à la petite cour de la Reine Margot dont il est un des protégés. Il écrivit quelques poèmes mais conquit essentiellement sa renommée grâce à ses romans. À la reconstruction historique et politique (Flavie, 1606), il préfère les aventures contemporaines. Il met son œuvre au service de la morale et fait du roman une leçon de vie, une peinture de quelques nobles âmes en qui s’incarnent toutes les belles vertus publiques et privées. Le roman joue un rôle d’éducateur dans un XVIIe siècle où la littérature se veut utilitaire et où l’union de l’art et de la morale constitue un dogme indiscuté. En alliant plaisir et instruction, il se démarque des manuels de civilité et permet une formation aux belles manières et au beau parler. Il enseigne en ne demandant à son lecteur que de consentir au charme de la lecture et d’admirer les modèles accomplis de cette « honnêteté » tant rêvée. Comme le dit P. D. Huet :
Ce sont [les romans] des précepteurs muets qui succèdent à ceux du collège et qui apprennent aux jeunes gens, d’une méthode bien plus instructive et bien plus persuasive, à parler et à vivre11.
Les histoires qu’ils proposent, exposent des modèles de courtoisie et de civilité et montrent, par des exemples émouvants, la beauté des amours chastes et des fidélités respectueuses. Le roman se présente comme un genre didactique au sens large, il prétend former les mœurs et meubler les esprits des honnêtes gens : « La fin principale des romans, dit Huet, c’est l’instruction des lecteurs à qui il faut faire voir la vertu couronnée et le vice puni »12. Le lecteur doit sentir que ces choses rêvées auraient pu se réaliser. Au travers d’un récit qui rapporte des aventures de cœur, de voyage, de cape et d’épée, il assiste au flux d’une destinée qui pourrait être la sienne. Le roman d’aventures répond exactement au goût des contemporains pour la tragi-comédie, ces deux genres procèdent en effet de la même source.
Théâtre et roman entretiennent d’étroites relations, ils utilisent les mêmes situations, les mêmes procédés sans qu’on puisse savoir si c’est le roman qui copie le théâtre ou inversement. Les valeurs qui s’expriment dans le théâtre comme dans le roman sont essentiellement celles du romanesque et de l’héroïque fixées dans la société et la sensibilité de l’époque dans le type du glorieux. Le type d’intrigue, les personnages, les thèmes se retrouvent d’un genre à l’autre puisque nombreux sont les auteurs de tragi-comédies qui puisent la source de leur pièce dans les romans d’aventures. L’Histoire tragi-comique de notre temps de D’Audiguier compte parmi les principaux romans de ce début de siècle. Aussi Pierre Du Ryer s’en inspire-t-il pour créer sa tragi-comédie Lisandre et Caliste.
Le travail d’adaptation d’un roman au théâtre §
L’action §
Pierre Du Ryer trouve dans sa source non seulement l’idée même de son sujet, mais aussi toutes les péripéties de son action. Cependant il sélectionne considérablement la matière de sa pièce, notamment par la coupure de certains passages du roman tout en suivant de manière générale le déroulement de l’intrigue. Il ne s’est pas inspiré des cinq premiers livres du roman dans lesquels Lisandre rencontre Caliste, tombe amoureux d’elle alors qu’elle est mariée à son ami Cléandre, puis part pour tenter de l’oublier. Les mêmes événements se retrouvent de manière générale dans l’adaptation de Du Ryer qui respecte la chronologie suivie par D’Audiguier.
Du Livre I au Livre V du roman, le narrateur raconte la rencontre de Lisandre et de Caliste, la passion qu’éprouve immédiatement le héros pour cette dame déjà mariée, puis son voyage pour tenter de l’oublier. Le duel de Lisandre contre Cloridan puis contre Crisante se déroule au Livre VI, la mort des deux chevaliers provoque la colère du roi qui décrète Lisandre hors-la-loi. Léon, alors qu’il venait voir Clarinde en secret, est surpris par Cléandre et le tue. Caliste et Lisandre sont accusés de meurtre après le témoignage mensonger de Clarinde. Au Livre VII, nous retrouvons Caliste en prison d’où elle réussit à s’échapper grâce à l’aide de Lisandre et du guichetier. Dans le Livre suivant, les deux amants partent dans un premier temps à l’étranger où un seigneur Frison tente d’enlever Caliste. Ils reviennent alors en Normandie où Lisandre, déguisé en messager, obtient le pardon des parents de Caliste. Pendant ce temps à Paris ont lieu les préparatifs du duel judiciaire qui permettra à Lisandre, dans un mois, de se justifier des trois meurtres dont il est accusé. Nous retrouvons le héros chez ses parents, au Livre IX. Il rencontre Hyppolite que son père projette de lui faire épouser. Il feint de l’aimer afin qu’elle l’aide à justifier aux yeux de ses parents son retour à la cour. Lisandre n’est averti ni de la possibilité qu’il a de se justifier, ni du terme d’un mois imposé par le roi, aussi part-il pour un tournoi en Angleterre. Le narrateur décrit les lieux, les armures des combattants, les joutes, les blessures et la victoire finale de Lisandre. À son retour ce dernier fait naufrage sur l’île de Gersay. À Paris, Lidian et Béronte arrivent à temps pour interrompre le combat entre Lucidan et Hyppolite dont la marque avait été tirée au sort pour défendre l’innocence de Lisandre. Dans le dernier Livre, Caliste, qui se croit trahie par Lisandre, rencontre Hyppolite et lui confie son armure. Lisandre retrouve Léon sur l’île où il a échoué et le ramène à la cour. Sur le chemin du retour, il rencontre Hyppolite et sa suivante. Hyppolite, qui a compris que Lisandre s’est joué d’elle, annonce à ce dernier la mort de Caliste et se fait passer pour son assassin. Furieux, Lisandre la blesse puis s’apprête à la tuer lorsqu’il découvre sa véritable identité et s’empresse de la faire soigner. La suivante d’Hyppolite convainc Lisandre, qui avait pris la fuite, de faire la route avec sa maîtresse. Arrivé à la cour avec Hyppolite, Lisandre prouve son innocence et celle de Caliste grâce au témoignage de Léon. Malgré tout, Caliste refuse son pardon à Lisandre. Il s’enfuit et se fait ermite, tandis que Caliste tombe gravement malade. Le héros ayant appris l’état de sa dame, il revient à Paris. Il y participe à un combat organisé par les souverains et gagne la bague de la reine, qu’il offre à Caliste. Ils se marient enfin, ainsi que tous les jeunes couples du roman.
Du Ryer choisit de débuter sa pièce par le duel entre Crisante, Cloridan et Lisandre, et de la clore par le mariage des deux héros : Lisandre et Caliste. Toutefois le dramaturge choisit de concentrer plus particulièrement l’action sur le bonheur des deux protagonistes. Non seulement grâce au monologue d’ouverture mais aussi grâce à la scène 4 de l’acte I dans laquelle Lisandre et Caliste s’entretiennent de leur amour, Du Ryer focalise l’attention du spectateur sur l’amour des deux héros et en fait le centre d’intérêt de la pièce. Ces éléments n’existent pas dans la source puisque D’Audiguier raconte la naissance de leur amour dans les cinq premiers livres. Du Ryer concentre sa pièce sur le schéma : Lucidan -> Hyppolite -> Lisandre <-> Caliste et la finit sur deux mariages : celui de Lisandre et Caliste, celui d’Hyppolite et Lucidan, nous pouvons ainsi constater le lien entre tragi-comédie et pastorale. D’Audiguier disperse davantage l’intérêt du lecteur terminant son roman par cinq mariages.
Toutefois Du Ryer se montre plus rigoureux que D’Audiguier quant à la concentration de l’intrigue autour d’un nœud. Du Ryer ne révèle pas l’identité du meurtrier ; le personnage de Lisandre peut donc se focaliser sur cette recherche. L’adaptation se montre, en l’occurrence, plus cohérente que la source : dans la pièce, seuls Clarinde et Léon connaissent le nom du meurtrier, alors que dans le roman Lisandre l’apprenait sans que nous sachions comment. Du Ryer simplifie ou supprime certaines péripéties du roman qui n’apportent aucun changement au déroulement de l’intrigue. Il se concentre ainsi sur les événements essentiels qui font évoluer la situation du héros : le premier duel, la mort de Cléandre, l’évasion…
L’action est d’une grande complexité et la seule accumulation des événements suffirait à les rendre invraisemblables même s’ils ne l’étaient pas en eux-mêmes. Ainsi acte II, scène 1, Lisandre apparaît déjà déguisé en mendiant et raconte ses projets à Alcidon avant d’aller délivrer Caliste. Dans le roman, nous assistons au contraire à toute la préparation de l’évasion. La visite de Lisandre à sa belle captive se déroule sans heurts tandis que dans la source, il est inquiété à deux reprises par des commissaires.
Du Ryer, toujours dans le but de concentrer l’intrigue, effectue également maintes coupures : il supprime la rencontre de Lisandre et Hyppolite, l’enlèvement raté de Caliste par un seigneur Frison, l’évanouissement d’Hyppolite lors de son combat avec Lisandre et le chassé-croisé qui s’ensuit entre les deux personnages, l’indifférence de Caliste au repentir de Lisandre et le désespoir de ce dernier qui se fait ermite et vit encore quelques aventures avant de se marier enfin avec Caliste. Ces coupures dans la matière de l’action, dans l’enchaînement des épisodes pose parfois un problème de cohérence. Du Ryer a sans doute voulu garder certains éléments de l’intrigue du roman mais n’a pas pris la peine de les intégrer dans le déroulement de l’action : il n’en développe pas les causes ou les motivations. Ainsi l’amour entre Lucidan et Caliste surprend-il le spectateur puisqu’à aucun moment dans la pièce ils n’ont dialogué ensemble ou n’ont montré une quelconque attirance. Au contraire D’Audiguier fait assister le lecteur à la naissance de cet amour : lors d’un dîner organisé par le roi, Lucidan, qui n’a pas encore rencontré Hyppolite, tombe sous le charme de Caliste. Ou bien Du Ryer n’en développe pas les conséquences : Caliste pardonne à Lisandre dans la scène finale alors qu’elle avait toutes les raisons de lui demander une explication sur son comportement. Tout est prétexte au spectacle au détriment d’une certaine cohérence de l’intrigue : acte IV, scène 1, Lidian et Béronte n’arrivent pas en même temps que Lucidan sur la place royale alors qu’ils avaient pris le même bateau, nous pouvons ainsi assister au début du combat avant que les deux amis de Lisandre ne l’arrêtent.
Au niveau de l’action, Du Ryer allège donc la matière du roman pour faire tenir l’intrigue dans le cadre des cinq actes imposés par la pièce. Dans le roman, D’Audiguier passe d’un lieu à un autre, d’une aventure à une autre en changeant de paragraphe et reprend son récit là où il l’avait laissé. Du Ryer dispose de moins de liberté et d’un nombre de vers limité. Ainsi un personnage, une action continuent-ils d’évoluer sans que le spectateur y assiste. Une telle démarche implique bien sûr l’utilisation d’un récit pour expliquer ce que le spectateur n’a pas vu (Le naufrage, le duel entre Crisante, Cloridan et Lisandre…).
La description et le récit dans un roman deviennent faits et gestes au théâtre, ils se changent en un spectacle de scènes dramatiques qui sont vécues sous les yeux du spectateur (Du Ryer représente le duel entre Hyppolite et Lucidan, le dialogue entre Hyppolite et Lisandre…). Les nombreuses interpellations du narrateur omniscient à son lecteur se retrouvent au théâtre sous la forme des apartés. Un personnage s’adresse au spectateur pour lui faire connaître des sentiments qu’il est obligé de dissimuler devant son interlocuteur et qu’il ne peut exprimer à haute voix. Du Ryer utilise la didascalie « à l’écart » pour indiquer qu’un personnage fait un effort pour dissimuler ses propos. Ainsi le valet de Lisandre, sans être entendu par Caliste, émet un jugement sur son comportement (III, 4). À la scène 1 de l’acte V Hyppolite, qui se fait passer pour Lucidan, tient un discours en aparté qui diffère de celui qu’elle tient à Lisandre. Ce genre d’aparté permet également au dramaturge de faire connaître au spectateur l’état psychologique dans lequel se trouve le personnage qui l’emploie, ou de le suggérer. Dans le roman, D’Audiguier choisit au contraire d’exploiter un narrateur omniscient chargé d’expliquer les motivations, les désirs… de ses personnages.
Les scènes §
En ce qui concerne l’agencement des différentes scènes, nous constatons que Du Ryer recherche l’allégement. Nous pouvons distinguer dans la sélection de l’auteur deux méthodes pour couper une scène: soit la couper sans en faire aucune mention, soit la couper et la remplacer par un récit. Tout ce qui a son importance pour l’action mais que Du Ryer choisit de couper, est remplacé par un récit qui permet de réduire le nombre de scènes à représenter : le projet d’évasion, la rencontre entre Hyppolite et Lisandre, le naufrage… Du Ryer choisit également de réduire la longueur d’une scène du roman en la concentrant en une discussion : contrairement à la source, Lisandre ne reste pas dîner chez les parents de Caliste, il n’apprend pas la nouvelle des amours de Caliste et Lucidan dans une taverne au cours d’une discussion avec un voyageur mais c’est un messager qui la lui apporte.
Du Ryer n’hésite pas à dramatiser certaines scènes de la source : une simple description du romancier devient un long dialogue entre deux personnages. D’Audiguier écrit au Livre IX :
[Lisandre] fut pourtant voir Yppolite, avec laquelle il discourut quelque temps de son amour en homme qui en avoit plus sur les lèvres que dans le cœur, et la cajola si bien, que luy ayant représenté la nécessité des affaires qui l’obligeoient de retourner à la Cour, il luy fit écrire cette lettre à son père Adraste.
Du Ryer s’en inspire (III, 2) pour son dialogue entre Hyppolite et Lisandre. Le romancier mentionne l’embarras dans lequel se trouve Lisandre par une simple phrase :
Bien qu’il se resolust plustost à souffrir toutes choses que la perte de ses amours, il cherchoit neantmoins un moyen par lequel en les conservant, il ne perdist point la bonne grâce de ses parents. (Livre IX).
Du Ryer reprend ce passage sous la forme d’un dilemme (II, 2 : v. 851-v. 890). Acte I, scène 4, il choisit de confronter Hyppolite et Lisandre et de provoquer ainsi l’inquiétude du spectateur sur l’issue d’un tel affrontement.
Recherchant le spectacle avant tout, il puise dans sa source les épisodes et les détails susceptibles d’alimenter cette recherche. Il garde l’effet de surprise provoqué par la révélation de l’identité d’Hyppolite (IV, 1), la représentation sur scène du duel entre Hyppolite et Lucidan malgré les bienséances et la vraisemblance (IV, 1). Dans la première scène de l’acte IV, Du Ryer garde tout le cérémonial qui entoure le duel judiciaire : présence du roi et du juge de camp, tirage au sort… Le dramaturge perçoit en effet tout le plaisir et l’intérêt du spectateur pour de telles scènes.
Les personnages §
En ce qui concerne les personnages, Du Ryer n’hésite pas à en supprimer quelques uns qui avaient leur importance dans la source. Les fiancés de Lidian, Béronte et Alcidon, la mère de Lisandre ne sont pas mentionnées. Il donne à quelques personnages un rôle moindre que celui qu’ils possèdent dans le roman au détriment souvent d’une certaine cohérence : il n’a pas davantage exploité, par exemple, le personnage du guichetier qui devient, dans le roman, un fidèle compagnon de Lisandre et préfère diviser son rôle en celui de deux personnages : le guichetier et le valet de Lisandre. Ce domestique, d’ailleurs fin psychologue, n’hésite pas à conseiller une dame sur ses sentiments…au détriment d’une certaine bienséance (III, 4 : v.1123-1176). Varasque, dont nous connaissons l’identité et le lien de parenté avec Cléandre dans le roman, apparaît et disparaît subitement dans la pièce comme s’il était connu de tous. Du Ryer ne le présente au spectateur que comme « l’ennemy de Lisandre » (v.1845). De même le courrier (V, 1 : v.1833) surgit de nulle part et apprend à Lisandre les récentes amours de Lucidan et Caliste. Ces personnages ne sont que des moyens pour le dramaturge qui ne les utilise que dans le but de resserrer l’action et de gagner du temps au détriment parfois de la logique et de la vraisemblance.
Du Ryer simplifie également la psychologie d’un personnage : Clarinde n’est plus la garce sans morale du roman D’Audiguier. Le romancier avait ajouté un autre aspect au caractère de Clarinde : si elle dénonce sa maîtresse et la calomnie (elle l’accuse d’avoir ouvert la porte du jardin pour accueillir Lisandre), c’est par pure méchanceté et par vengeance. Du Ryer ne s’engage pas dans la voie de la complexité et simplifie la motivation de Clarinde : elle ne dénonce Caliste que poussée par la crainte et par son amour pour Léon. Son personnage n’apparaît que sommairement dans la pièce (I, 2 ; I, 6) sans que Du Ryer ne fournisse de détails sur les motivations qui la poussent à espionner Caliste pour le compte de Béronte. Elles sont expliquées dans la source : Béronte est au courant de l’amour coupable qui lie Léon et Clarinde et menace de tout révéler à Caliste si Clarinde ne lui rend pas service. C’est Béronte, et non Varasque (dans la source), qui se trouve sur les lieux du crime et tire des aveux de la bouche de Clarinde : Du Ryer l’a sans doute jugé plus intéressant à exploiter. Il est le frère de Cléandre et se trouve donc directement touché par sa mort ; en outre, ayant fait un pacte avec Clarinde, il est le seul capable de la faire parler. Le personnage de Varasque n’est exploité par le dramaturge que comme un pur moyen de faire rebondir l’action et d’inquiéter Lisandre.
Du Ryer tempère certains aspects du comportement des personnages et notamment des femmes. Ainsi Caliste est-elle beaucoup moins passionnée, jalouse et inconsciente que dans le roman où elle n’écoute que son cœur et les mouvements qu’il lui dicte : « Sa douleur plus forte que sa raison, luy fit dire et faire des choses qui ne se devoient pas ny dire, ny faire » (Livre IX). Hyppolite joue, certes, le rôle d’une rivale mais elle ne représente à aucun moment un danger véritable pour l’héroïne. Nous remarquons également que Du Ryer fait d’Adraste un père tyrannique qui abuse facilement de son autorité paternelle pour faire obéir son fils. Dans la source, Adraste est un plus fin psychologue et dévoile des talents de subtil manipulateur : il veut d’abord laisser l’amour s’insinuer dans le cœur de Lisandre. Ce n’est que devant son échec qu’il décide de lui imposer ses volontés. Du Ryer fait d’Adraste un père de tragi-comédie c’est à dire un simple opposant au bonheur du héros. Le dramaturge se montre aussi beaucoup moins insistant que D’Audiguier sur la rivalité entre Hyppolite et Caliste sur le plan de la beauté physique (il n’en fait mention qu’une seule fois : v1835-1838). La difficulté ou la douleur du choix imposé à Lisandre disparaît de la pièce.
Dans la source, l’état psychologique de certains héros : Caliste, Hyppolite, Lisandre… fait l’objet d’une description. Dans la pièce, cet état se manifeste soit dans un monologue où le personnage exprime ses sentiments, soit dans un dialogue où deux personnages échangent leur avis sur le comportement d’un troisième (IV, 1 : v.1409-1414 ; IV, 3 : v.1007-1010 ; IV, 4). Au niveau de l’agencement de l’intrigue et de la répartition des rôles dans la pièce, le spectateur ne pouvant revenir en arrière sur ce qu’il n’a pas compris, Du Ryer tente de grouper autant que faire se peut les différentes aventures vécues par un même personnage (Cf : Chapitre sur les personnages).
Les thèmes §
Du Ryer développe généralement les mêmes thèmes que D’Audiguier en ce qui concerne le sentiment amoureux : ces auteurs vantent tous deux un idéal de constance et d’honnêteté qu’ils expriment dans un langage extrêmement galant. Du Ryer rajoute quelques scènes de monologues (I, 1 : Lisandre ; III, 2 et V, 1 : Hyppolite ; IV, 2 : Caliste) dans lesquelles les personnages expriment toute la force de leur sentiment ou leur déception dans un langage imagé et raffiné. Leur conception de l’amour diffère cependant car l’amour ne produit pas que des galanteries et des tendresses, comme c’est la tendance dans la pièce. Il peut aussi engendrer des passions sensuelles et violentes, des jalousies furieuses, des vengeances sanglantes : « Qui ne confessera que l’Amour est une rage qui fait tourner les cervelles les plus sages » (Livre IX). L’amour vu comme une folie ou comme une maladie, est une conception néo-platonicienne de ce sentiment.
Du Ryer soulève des débats d’actualité, que D’Audiguier n’avait pas exploités, sur le thème de l’amitié et de la confiance (III, 1 : v.825-850), du respect ou encore de la calomnie (II, 5 : v.662-701).
Le temps §
D’Audiguier fait preuve d’une grande précision quant aux indications temporelles. Il ne manque jamais de noter combien de temps a duré un voyage : Lisandre et le pilote erre « deux à trois jours » sur la mer avant d’échouer sur une île…, ou un combat : le duel qui oppose Hyppolite à Lucidan dure « deux heures »… Le romancier décrit l’évasion de Caliste heures par heures: Caliste doit être délivrée « sur les onze heures du soir », mais Lisandre est retardé et ne vient la délivrer qu’« à minuit », ils ne partent pour la Belgique qu’« à 20h00 » le lendemain. Du Ryer n’hésite pas non plus à indiquer avec précision le temps qui s’écoule dans sa pièce mais se montre moins pointilleux que D’Audiguier. Il se contente de jalonner sa pièce d’indications plus ou moins précises sur le temps qui passe. Du Ryer est beaucoup plus préoccupé par la durée de son œuvre, par le temps de la représentation que le romancier et il construit sa pièce dans le sens d’une concentration. Pour resserrer le temps de la représentation, il a donc recours au récit qui lui évite de représenter certains événements sur la scène (la scène de chasse (III, 2), le naufrage (IV, 1 et 3)…).
Le Lieu §
Les héros du roman se déplacent à travers la France et à travers l’Europe. Les aventures de Lisandre et de Caliste débutent à Paris, mais, les rigueurs d’une dame ayant exilé Lidian en Espagne, Lisandre et d’autres amis entament un long voyage dans le but de le ramener en France (Livre I à V). L’action se déroule à Paris jusqu’au Livre VIII dans lequel, après l’évasion réussie de Caliste, les deux amants partent d’abord pour la Belgique puis reviennent, après quelque temps, en Normandie où résident les parents de Caliste. Au Livre IX, Lisandre se rend dans le Sud de la France chez ses propres parents. Il remonte ensuite vers la Normandie pour revoir Caliste mais apprend à Bordeaux qu’un tournoi a lieu en Angleterre. Nous retrouvons Lisandre au Livre X sur l’île de Gersay où il a échoué après la tempête. Sur la route menant vers Paris, il rencontre Hyppolite et sa suivante à Rouen. La fin du roman se déroule essentiellement à Paris mais aussi sur le mont Valeri où Lisandre a choisi, pendant quelque temps, de vivre en ermite. D’Audiguier n’hésite pas à faire voyager ses personnages aux quatre coins de la France et de l’Europe et à donner des indications très précises sur les chemins qu’ils empruntent. Au Livre VIII, le narrateur indique précisément le chemin pris par Lisandre et Caliste pour se rendre en Belgique : ils passèrent « par la porte Saint Denis », puis « par la route des Flandres au travers de la Picardie » et s’arrêtèrent deux jours « à Cambray » avant de continuer leur route.
À l’inverse, Du Ryer évite de représenter un changement de lieu important qui amènerait les personnages hors de France : c’est donc Lucidan qui nous raconte l’issue du tournoi en Angleterre (v.1334-1346) tandis que D’Audiguier consacre de nombreuses pages au récit des affrontements et des festivités qui eurent lieu là-bas. De même, il n’est pas question dans la pièce du voyage de Lisandre et Caliste en Belgique, puisque Du Ryer n’a rien conservé de cet épisode.
D’une manière générale, le dramaturge se contente d’annoncer le déplacement d’un personnage à travers la France ou à l’étranger sans donner de précision sur la ville ou la région exactes où il se rend. Par exemple, nous ne savons pas avec exactitude où résident les parents de Caliste ou ceux de Lisandre, ni la ville précise où a lieu le combat en Angleterre, ni le nom de l’île où échoue Lisandre. Au théâtre le spectateur assiste au déroulement d’une action et il prend donc connaissance de chaque scène, de chaque vers même selon un ordre prédéterminé par le dramaturge. Le lieu est pour lui une réalité visible, évoquée par le décor. Aussi Du Ryer a-t-il choisi de ne pas trop promener le spectateur d’un lieu à un autre comme l’a fait D’Audiguier. Le dramaturge ne prend pas ce parti pour unifier le lieu de son action mais pour réduire le nombre des péripéties représentées sur la scène.
Les indications spatio-temporelles soulignent l’effet de réel revendiqué maintes fois et recherché par le romancier mais soulignent également son penchant au délayage. L’histoire composée par le narrateur lui permet en effet de mettre en valeur la fidélité de sa mémoire (puisqu’il prétend relater des faits ayant déjà existé), son habileté à composer un récit et à soutenir la curiosité, sa finesse à démêler les sentiments et la richesse de son vocabulaire.
Si Du Ryer a suivi d’une manière générale le déroulement de l’intrigue des Histoires tragi-comiques de notre temps sous les noms de Lisandre et Caliste, il n’a pas hésité à faire quelques coupures de scènes ou de personnages qui nous paraissent significatives. Il lui fallait faire face aux problèmes d’adaptation d’un long roman au théâtre et à la nécessité d’un changement de perspective. Il ne s’agissait plus d’un lecteur mais d’un spectateur, il ne s’agissait plus d’un livre mais d’une représentation théâtrale en d’autres termes d’un spectacle avec des acteurs, un public, un texte en alexandrins, découpé en actes et en scènes, représenté en un temps limité. Le style, l’intrigue, les thèmes, les personnages se retrouvent du roman d’aventures à la tragi-comédie. Cependant comparer une œuvre à son modèle c’est dégager le travail d’adaptation d’une pièce à une autre, mais aussi d’une pièce à un roman. En l’occurrence, Du Ryer a choisi de passer d’un genre plutôt libre parce que dénué de règles et de structure précises à un genre fonctionnant selon ses lois propres et selon un système immuable : un texte en vers, une scène, des acteurs, des spectateurs… Il a montré, dans l’ensemble, un certain souci de cohérence, de vraisemblance dans l’action et dans l’attitude des personnages. Il n’a pas souhaité faire de ses personnages des êtres complexes, mais les a parfois engagés sur la voie facile de la caricature. Du Ryer a essentiellement cherché à simplifier et à clarifier l’intrigue et les personnages.
Une tragi-comédie §
Une pièce irrégulière §
Si la tragi-comédie est un genre théâtral difficile à définir car sans véritable règle, nous pouvons cependant tenter de cerner d’une manière générale quelles sont ses particularités, quels sont les indices qui la différencient de la comédie, du mystère, de la pastorale ou de la tragédie. La tragi-comédie popularise les qualités du drame médiéval et les modernise. Selon les frères Parfaict, les critères de reconnaissance d’une tragi-comédie sont : « une action singulière qui se passe entre des personnages d’une naissance distinguée, même entre des rois et des princes […] »13. Brunetière ajoute un complément intéressant et fondamental à cette définition en expliquant que « la liberté, c’est son domaine et aussi son moyen »14. Elle présente donc des caractéristiques qui lui sont propres :
- – un manque de structure et d’unité dramatique, seule l’unité d’intérêt constitue le fil conducteur. Aucun respect pour la vraisemblance, la bienséance ou encore pour les trois unités.
- – un traitement généralement sérieux des sujets tirés de romans plutôt que de l’histoire et que les dramaturges renouvellent peu,
- – un dénouement heureux,
- – des personnages principaux de rang élevé mais qui peuvent être entourés de bourgeois ou de plébéiens jouant des rôles secondaires,
- – le mélange du tragique et du comique dans certaines pièces, inventé par les Italiens et revendiqué par certains dramaturges. Notamment Ogier qui recommandait « de mêler les choses graves avec les moins sérieuses » comme les dramaturges pouvaient le voir dans « la condition de la vie des hommes, de qui les jours et les heures sont bien souvent entrecoupés de ris et de larmes, de contentement et d’affliction »15,
- – la forme est classique : utilisation de l’alexandrin, division en cinq actes et subdivision en scènes.
La position intermédiaire de Du Ryer dans la lente évolution vers les règles : l’exemple de Lisandre et Caliste §
Le théâtre tragi-comique, par son irrégularité revendiquée, se présente comme le refuge des écrivains qui refusent la contrainte des règles et qui revendiquent une entière liberté de composition. Si nous constatons que certaines tragi-comédies du début du siècle, imaginées par Hardy, Mairet, Rotrou… regroupent toutes les caractéristiques d’un théâtre irrégulier, certains dramaturges n’en montrent pas moins un intérêt grandissant pour les règles. Les écrivains des années 1630 s’acheminent en effet vers une certaine régularité dont nous pouvons remarquer des prémisses dans Lisandre et Caliste. Bien que cette pièce soit fondamentalement irrégulière, Du Ryer occupe une position intermédiaire : il ne veut déplaire ni aux partisans des règles, ni aux défenseurs de l’irrégularité.
Du Ryer, bien que maladroitement, cherche à respecter les bienséances internes et externes ainsi qu’une certaine vraisemblance dans sa pièce. La règle de bienséance se divise en deux concepts fondamentaux : une bienséance interne à la pièce qui concerne le caractère des personnages et qui se rapproche d’une exigence de cohérence ; et une bienséance externe qui est « un rapport […] sur le plan moral entre la pièce et le public »16. En ne représentant jamais de duels sanglants sur la scène, Du Ryer respecte la bienséance externe. Il ne répond pas en cela aux exigences morales d’un large public familier de ce genre de scènes sanglantes, mais tente de ne choquer ni les goûts, ni les exigences morales du public féminin. Les spectateurs ne voient que les cadavres de Cloridan et Crisante, celui de Cléandre n’étant pas clairement visible dans la nuit. Les deux duels judiciaires (IV, 1 ; V, dernière) sont arrêtés avant toute effusion de sang ou ne commencent même pas. Le combat entre Hyppolite et Lisandre (V, 1) reste violent mais Hyppolite est seulement jetée à terre et non blessée. Ce désir de ne pas choquer se révèle essentiellement par comparaison avec la source dans laquelle D’Audiguier n’hésite pas à décrire crûment et avec force détails l’état pitoyable des adversaires de Lisandre. Le romancier prévient son lecteur au livre VI : « Notre scene […] se va maintenant ensanglanter de combats et de meurtres épouvantables », suit quelques lignes plus loin une description détaillée et sanguinolente d’un combat entre Lisandre et ses deux adversaires.
Nous avons vu que dans la composition de sa pièce et dans la cohérence de l’intrigue, Du Ryer a également manifesté son désir de se conformer à une certaine vraisemblance. Malgré quelques ratés (la présence inattendue de Varasque, le soudain amour de Lucidan pour Caliste, l’inutilité du travestissement de Caliste…), Du Ryer cherche à garder un fil logique tout au long de sa pièce. Ainsi un changement de lieu est souvent indiqué dans la scène précédente par un personnage qui exprime sa volonté de s’y rendre :
J’iray chez Hyppolite afin de tesmoignerQue je n’en approchay que pour m’en esloigner. (v.891-892)
Lisandre indique ainsi un changement de lieu de la première scène à la deuxième scène de l’acte III. Ou encore à la scène 4 de l’acte III, Caliste exprime son désir de se rendre sur la place royale pour participer au duel judiciaire :
Ce bras sans habitude au travail des guerriersObtiendra des cyprés s’il n’obtient des lauriers. (v.1171-1172)
La première scène de l’acte IV débute par une intervention du roi qui indique que nous sommes sur les lieux du futur combat. C’est aussi l’allusion à un personnage se trouvant dans un certain lieu qui nous en fait changer.
Dans la première scène de l’acte IV, le valet de Lisandre indique à Dorilas où se trouve sa fille et ce dernier ordonne à son fils :
Mon fils sans differer cherchez cette insenséeQu’un furieux amour a vivement blessée. (v.1413-1414)
Nous retrouvons, dès la scène suivante, Caliste qui monologue dans son refuge (IV, 2).
Si les aventures continuent sans que le spectateur n’y assiste, Du Ryer prend soin de nous faire un récit (le naufrage : IV, 1) ou d’insérer un dialogue (entre le courrier et Lisandre sur le mariage de Caliste et Lucidan : V, 1) qui nous permettent de comprendre l’évolution de la situation.
En ce qui concerne les bienséances internes, le dramaturge évite de donner à un personnage un caractère ou une attitude qui ne coïncident pas avec les exigences de son rang. Caliste est, par exemple, plus raisonnable que dans la source où elle agit en insensée. Les mœurs des personnages doivent être à la fois vraisemblables et bienséantes. La vraisemblance comme « exigence intellectuelle »17 exige qu’une certaine cohérence soit assurée entre les éléments de la pièce de théâtre, que soit banni ce que le public pourrait concevoir comme absurde ou arbitraire.
Du Ryer s’efforce de resserrer l’action par différents moyens, bien que le fil conducteur de la pièce soit l’intérêt porté par le spectateur au sort des deux amants. Il limite donc l’action de sa pièce aux frontières françaises. Le Mémoire de Mahelot nous indique qu’il a fallu pour Lisandre et Caliste :
Au milieu du théâtre, le petit Chastelet de la rue Sainct Jacques et faire paroistre une rue ou sont les bouchers, et de la maison d’un boucher faire une fenestre qui soit vis à vis d’une autre fenestre grillée pour la prison, ou Lisandre puisse parler à Caliste. Il faut que cela soit caché durant le premier acte, et l’on ne faict paroistre cela qu’au second acte et se referme au mesme acte ; la fermeture sert de palais. À un des costez du théâtre, un hermitage sur une montaigne et un autre au dessoubs, d’où sort un hermitte. De l’autre costé du théâtre, il faut une chambre où l’on entre par derriere, eslevée de deux ou trois marches18.
La maison du boucher, la prison de Caliste, le palais et la place royale se situent dans la même ville et relativement près les uns des autres. Seul le désert représente un lieu éloigné de la ville dans laquelle se déroule l’action. Ainsi les héros ne sortent pas de France, du moins ne les voyons-nous jamais dans un pays étranger. Dans la source, nous assistions au tournoi en Angleterre alors que Du Ryer préfère nous en faire un récit (IV, 1). Les personnages se déplacent dans les limites d’un même pays : la France. À Paris : actes I, II, III, IV, V ; en Normandie (sans doute) : acte II, scène 5 ; à Gersay : acte IV, scène 3…Nous remarquons que l’auteur reste très évasif quant aux indications de lieu et laisse ainsi un doute sur la distance parcourue par les personnages.
L’unité de temps est la plus débattue dans le premier tiers de ce siècle, l’attention que Du Ryer porte à la durée de sa pièce traduit donc des préoccupations d’actualité. Il propose dès 1628 une solution originale et avant-gardiste à ce problème. Il réserve aux entractes tout le reste des événements et du temps qui devait nécessairement s’écouler. Ce sont des scènes importantes mais difficilement représentables ou inutiles à la représentation que Du Ryer fait passer dans cet intervalle de « temps à perdre » (J. Scherer). Les pièces, pour plaire au public, devaient être chargées d’événements et il n’était ni aisé, ni vraisemblable de renfermer cette effervescence et ce foisonnement dans un espace temporel de quelques heures. Face à deux conceptions opposées, l’adaptation du temps de représentation à la durée total de l’action (Chapelain) et une indifférence totale à la durée (Mairet), Du Ryer adopte une position intermédiaire : le temps totale de la pièce peut représenter des mois, des années…mais chaque acte pris séparément n’occupe pas plus de 24 heures.
Dans Lisandre et Caliste :
Acte I : une journée ; acte II : une nuit ; acte III : aucune indication de temps mais dure sans doute plus d’une journée ; IV : un jour ; V : un jour voire quelques heures. Mais entre l’acte I et l’acte II : une semaine s’est écoulée ; entre l’acte II et III : quelques jours ; entre l’acte III et IV : un mois ; entre l’acte IV et V : une journée. Ainsi l’action de la pièce s’étale sur un mois et demi environ, mais si nous additionnons le temps représenté sous les yeux du spectateur dans chaque acte, nous comptons environ : 6 jours. Si l’unité de temps n’existe pas, l’auteur affiche cependant son désir de resserrer le temps au maximum.
Lisandre et Caliste : une tragi-comédie avant tout §
Malgré cette évolution, Du Ryer reste avant tout un représentant de l’irrégularité. Même si le public n’assiste pas à des scènes de violence, il voit quand même trois cadavres sur la scène. Béronte (I, 3) exprime sa crainte en ces termes :
Ce sang qui fait changer à l’herbe de couleurMe fait apprehender quelque insigne malheur. (v.155-156)
et témoigne bien de la présence du sang de la victime (Crisante) sur la scène.
L’amour qui lie Clarinde à Léon peut également choquer les bienséances puisque Léon est d’un rang élevé : Béronte l’appelle son « amy » (v.125) et que Clarinde n’est qu’une suivante. De même le caractère charnel de cet amour, dans la mesure où Léon exprime clairement son désir :
Hà je te tiens, tu ne t’en peux dédireIcy ma volonté finira mon martyre. (v.313-314)
peut heurter la morale.
Nous avons remarqué, lors de l’étude de l’action, que certaines scènes étaient mal reliées à l’intrigue principale et que certains événements survenaient sans que le spectateur n’y ait été préparé : Du Ryer n’explique pas la façon dont Caliste apprend l’infidélité de Lisandre (III, 4) ; Béronte et Lidian arrivent étrangement après Lucidan sur les lieux du duel judiciaire (IV, 1) ; l’auteur ne mentionne à aucun moment une quelconque attirance de Lucidan pour Caliste et ne les fait même pas se rencontrer ; le personnage de Varasque apparaît sans que nous ne sachions clairement qui il est… Même si Du Ryer désirait garder une certaine cohérence tout au long de sa pièce, il ne s’est pourtant pas intéressé à la liaison des scènes. Pendant les quarante premières années du XVIIe siècle, les théoriciens ne la considéraient que comme un ornement (Cf : Chapelain). Dans ce cas un simple changement de lieu rompt la continuité de la pièce, impression renforcée dans la majorité des cas par le fait que deux nouveaux personnages apparaissent dans la scène suivante. Dans de nombreux cas, Du Ryer ne lie pas les scènes entre elles. Ainsi nous passons d’un lieu à un autre et d’un personnage à un autre : acte III, de la scène 3 à la scène 4 ; acte IV, de la scène 1 à la scène 2 et de la scène 2 à la scène 3… Du Ryer suit en cela la voie de G. de Scudéry qui écrivait en 1631 dans sa préface à Ligdamon et Lidias :
J’ai voulu me dispenser de ces bornes trop étroites, faisant changer aussi souvent de face à mon théâtre que les acteurs changent de lieu, chose qui, selon mon sentiment, a plus d’éclat que la vieille comédie .
Du Ryer accorde aussi peu d’importance à la liaison entre les scènes qu’à la liaison entre les actes. Nous remarquons toutefois que la liaison entre l’acte I et II dans Lisandre et Caliste est assuré par l’utilisation d’une tapisserie qui représente un palais et qui sert de décor pour la plus grande partie de la pièce. Le fond du décor représente le Chastelet et la boutique du boucher, mais comme le dit Mahelot :
Il faut que cela soit caché durant le premier acte, et l’on ne fait paroistre cela qu’au second acte et se referme au mesme acte : la fermeture sert de palais19.
Le caractère tragi-comique de la pièce se révèle également dans le mélange des genres. Il n’hésite pas à mélanger le pathétique et le comique. Ainsi Du Ryer donne aux scènes 2 et 3 de l’acte II un ton de comédie : le déguisement de Lisandre suscite un quiproquo puisque les bouchers se méprennent sur son identité et le traitent comme un gueux. Leur attitude, pour le moins mesquine et intéressée, provoque le rire (v.461-462), ainsi que la contradiction entre leur attitude et leur parole (v.496-500) ou encore l’utilisation de proverbe ou d’expression populaires (v.478 : « Bon renom vaut bien mieux que ceinture dorée. » ; v.476…). C’est le seul écart que nous puissions trouver au ton plutôt pathétique et sérieux de cette tragi-comédie.
Du Ryer ne se distingue nullement dans le choix de son sujet et de sa thématique. L’amour s’y montre avec tous les caractères de la passion, il inspire à l’amant une véritable dévotion pour sa maîtresse et un attachement que rien ne peut rompre. Les femmes sont également passionnément éprises de leur amant et se montrent prêtes à tout (Cf : chapitre sur la galanterie). L’auteur n’hésite pas à évoquer la violence provoquée par un désir de vengeance et qui entraîne duels judiciaires et meurtres. On retrouve d’une tragi-comédie à l’autre les mêmes thèmes et donc les mêmes personnages : des amants passionnés, désespérés, qui feignent et se déguisent, des rivaux, des alliés. L’étude de l’action permet également de distinguer la tragi-comédie des autres genres dramatiques et confirme son caractère foncièrement irrégulier.
L’action §
Dans le premier tiers du XVIIe siècle, nombreux sont les auteurs de tragi-comédies qui puisent leur inspiration dans les romans. Comme la tragi-comédie représentait sur la scène les situations piquantes et les péripéties du roman, elle ne se pliait à aucune règle stricte, à aucune unité. F. Ogier, dans sa préface au Tyr et Sidon de J. de Schelandre en 1628, affirmait la nécessité d’une intrigue riche pour rendre le drame agréable. Le dramaturge satisfaisait ainsi un public amateur de changement et de nouveauté, avide d’émotions et de suspens. Rayssiguier témoigne de cet aspect et explique dans sa préface d’Aminte que :
la plupart de ceux qui portent le teston à l’Hôtel de Bourgogne, veulent que l’on contente leurs yeux par la diversité et le changement de la scène du Théâtre, et que le grand nombre des accidents et aventures extraordinaires, leur ôtent la connaissance du sujet. Ainsi ceux qui veulent faire le profit et l’avantage des Messieurs qui récitent leurs vers, sont obligés d’écrire sans observer aucune règle20.
Si la tragi-comédie du premier tiers du siècle ne s’accommode d’aucune règle stricte et précise sur l’action et son déroulement, elle s’efforce néanmoins de maintenir une unité d’intérêt qui capte l’attention du spectateur. Les conceptions des théoriciens sur ce point restent vagues et se contredisent généralement : les uns affirmant leur préférence pour une action unifiée autour d’une intrigue principale, les autres prenant parti pour une action composée et riche en péripéties. Il serait vain de vouloir comparer l’esthétique tragi-comique et l’esthétique classique sur ce point puisque toutes deux revendiquent des conceptions de l’action théâtrale opposées : foisonnement d’un côté, concentration de l’autre. Il convient de s’interroger sur le terme d’action et de le définir afin de mieux cerner les données du problème. J. Scherer définit « l’ensemble de l’intrigue comme l’action d’une pièce » et constate que « cette action se définit par les démarches des personnages mis en présence des obstacles qui forment le nœud et qui ne sont éliminés qu’au dénouement »21.
Partant de cette définition, nous essayerons, après avoir donné une vue d’ensemble de l’action dans Lisandre et Caliste, de déterminer sa structure, puis de dégager les grands traits de l’exposition, du nœud et du dénouement.
La structure §
Lisandre et Caliste est construite autour d’une intrigue principale : l’amour de Lisandre et Caliste, constant et éternel, qui commence et termine la pièce. Autour de ce noyau central, l’amour d’Hyppolite pour Lisandre apparaît comme une intrigue secondaire rattachée au fil principal. La passion qu’elle voue à Lisandre devient le sujet de développements (III, 2) et de scènes secondaires (V, 1) sans que ce personnage menace véritablement le couple principal. La douleur de cette jeune femme, si elle touche les héros, ne les influence pas dans leur décision. L’amour de Lucidan pour Hyppolite fait également l’objet de développements secondaires (IV, 4) sans rapport avec l’intrigue principale. La soudaine passion de Lucidan pour Caliste, que Lisandre apprend à la scène 1 de l’acte V, implique un bouleversement du schéma amoureux initial :
Lucidan -> Caliste <-> Lisandre <- Hyppolite
Toutefois Du Ryer n’exploite ce changement de situation que le temps d’une scène (V, 1) afin de préserver le doute sur l’issue heureuse de la pièce. Tout rentre dans l’ordre dès la scène suivante, qui est d’ailleurs la scène finale (V, dernière).
La pièce est animée par un mouvement rapide. Une fois les éléments de l’intrigue mis en place, les événements se précipitent pour Lisandre dès la scène 3 de l’acte I et pour Caliste dès la scène 6 de l’acte I. Les malheurs se succèdent alors sans interruption jusqu’au dénouement. Malgré cette effervescence, la pièce ne comporte pas un nombre élevé de scènes, leur nombre diminue au contraire d’acte en acte (I : 6 scènes ; II : 5 scènes ; III : 4 scènes ; IV : 4 scènes ; V : 2 scènes). Du Ryer semble en effet préférer les longues scènes dans lesquelles dialoguent un nombre plus ou moins important de personnages et dans lesquelles plusieurs événements se produisent (I, 6 ; II, 3,5 ; V, dernière). Acte IV, scène 1, par exemple, nous assistons à la préparation du duel, au combat lui-même puis à son interruption. L’entrée de nouveaux personnages ne marque pas le début d’une nouvelle scène. À côté de ces péripéties d’ordre physique, évolue une intrigue d’ordre sentimental. L’amour de Lisandre et de Caliste étant établi, Du Ryer ne s’attache pas à évoquer la progression de leurs sentiments. Ils passent au contraire du bonheur d’aimer aux douleurs du doute, l’intrigue d’ordre sentimentale n’évolue donc pas de façon continue puisque leur amour est mis à rude épreuve. L’intrigue judiciaire et l’intrigue sentimentale s’unissent pour tester Lisandre et Caliste.
L’élément essentiel qui fait le bonheur des deux héros, fait aussi leur malheur. Le meurtre du mari de Caliste permettrait aux héros de faire éclater leur amour au grand jour s’ils n’en étaient pas accusés. Ce meurtre, au lieu d’être un espoir de bonheur pour les deux héros, menace au contraire leur vie et leur amour (de l’acte I, scène 6 jusqu’à la dernière scène de la pièce). Il ne s’agit pas pour les héros de faire face tout au long de la pièce à une seule et unique menace. À une situation problématique initiale, l’accusation de meurtre, s’ajoutent d’autres péripéties qui viennent successivement retarder le dénouement : Lisandre se bat en duel et doit se justifier des meurtres de Crisante et Cloridan, il fait naufrage mais ses amis témoignent de son innocence. Une fois cet obstacle surmonté, il doit faire face à la fureur d’Hyppolite et se justifier auprès d’elle de sa conduite. Enfin pardonné, il apprend que Caliste et Lucidan sont devenus amants… Ces divers rebondissements permettent de qualifier Lisandre et Caliste de tragi-comédie à tiroirs. Les efforts du dramaturge vont tous dans le même sens : il n’hésite pas à rajouter des péripéties pour que l’intérêt du spectateur soit maintenu mais aussi et surtout pour le divertir. Les duels, les travestissements, les meurtres, les évasions… étaient des événements auxquels le spectateur était familier mais qui ne laissaient pas de tenir sa curiosité en haleine. Le naufrage de Lisandre, son duel avec Hyppolite, l’amour de Lucidan pour Caliste surprennent le spectateur par leur caractère inattendu. G. de Scudéry, dans sa préface à Andromire en 1641, écrivait qu’
il est bien difficile qu’une action toute nue…, sans épisodes et sans incidents imprévus, puisse avoir autant de grâce que celle qui, dans chaque scène, montre quelque chose de nouveau, qui tient toujours l’esprit suspendu, et qui, par cent moyens surprenants, arrive insensiblement à sa fin22.
Or, bien que Lisandre et Caliste ait été jouée en 1630, on y retrouve cette prédilection pour une action foisonnante. Du Ryer crée une histoire romanesque, fertile en aventures et représentée ab ovo en une succession d’épisodes. L’auteur nous présente en effet une action ab ovo : le duel qui a opposé Cloridan à Lisandre a eu lieu avant que la pièce ne commence, Lisandre éprouve déjà des sentiments passionnés pour Caliste… Lisandre est déjà épris de Caliste quand la pièce commence et la réciprocité de leur amour, qui restait incertain tant que Caliste était mariée (IV, 4), éclate dès la première scène de l’acte II. Nous assistons également au coup de foudre de Lucidan pour Hyppolite (IV, 1) et à ses déclarations d’amour (IV, 4).
Nous sommes loin de la crise unique de la tragédie classique. Mais peut-être ne faut-il pas chercher une véritable unité d’action dans cette tragi-comédie du début du siècle. D’après J. Scherer, l’unification de l’action possède quatre caractères : « inamovibilité, continuité et nécessité des éléments de l’intrigue [ainsi qu’] un certain rapport entre les intrigues accessoires et la principale »23. Si ces critères ne se retrouvent pas dans Lisandre et Caliste, cette pièce possède toutefois une unité propre qui réside dans l’intérêt qu’éprouve le public pour le sort des deux héros. Comme l’explique J. Scherer : « l’unité d’intérêt est un substitut de l’unité d’action par l’intérêt qui s’attache à un personnage ou à un couple de personnages »24. Dans la pièce de Du Ryer, les éléments de l’intrigue ne sont peut-être pas rigoureusement unifiés selon une technique précise mais l’intérêt humain d’une telle pièce se fait alors mieux sentir. L’attention étant concentrée sur un héros, sur un homme d’action qui éprouve des sentiments, l’unité de la pièce devient « une unité vivante » (J. Scherer). Cette forme de tragi-comédie qui se contente de dramatiser les épisodes successifs d’un roman séduit encore le public des années 1630.
L’exposition §
Le principe est de mettre en péril l’amour de deux personnages de rang princier par des obstacles qu’ils devront surmonter et qui disparaîtront heureusement au dénouement. Dès la première scène de l’acte I, Du Ryer nous présente son héros principal. Lisandre dévoile, au cours d’un monologue, son amour pour Caliste et pose leur relation comme l’intérêt central de la pièce. Nous apprenons également son projet de duel contre Cloridan et Crisante. Du Ryer prend soin, tout au long de l’acte I, de mettre en place les éléments qui aboutiront par leur enchaînement à la crise centrale à savoir le meurtre de Cléandre et l’accusation des héros. En effet, le duel de Lisandre contre les deux favoris du roi (comme nous l’apprend la source) n’a pas pour conséquence unique d’empêcher le héros de se présenter devant le roi. Lisandre laisse en effet son épée sur le champ de bataille ; celle-ci, récupérée par Léon, lui servira à tuer Cléandre et apportera une confusion quant à l’identité de l’assassin.
Le nœud §
Après une mise en situation à l’acte I, la pièce raconte les divers obstacles qui empêchent le mariage des deux héros. Ces empêchements constituent le nœud de l’action, on peut compter au nombre de ces contrariétés un « obstacle extérieur » (J. Scherer) essentiel : l’appareil judiciaire : les amants sont poursuivis à la suite d’un duel ou d’un meurtre. Ainsi dans Lisandre et Caliste, Lisandre est-il poursuivi non seulement pour les meurtres de Cloridan et Crisante qu’il a tués au cours d’un duel mais aussi pour le meurtre de Cléandre. L’héroïne, quant à elle, est accusée de complicité et, jetée en prison, elle risque un châtiment. Un combat judiciaire survient alors pour montrer où se trouve le bon droit et innocenter les héros. Ces scènes de duel se retrouvent fréquemment dans le théâtre des années 1630 : l’incognito d’un des champions, l’issue incertaine du combat donnent du piquant à la scène. Béronte et Lidian innocentent Lisandre au sujet de Crisante et Cloridan (IV, 2), Lisandre en retrouvant le meurtrier de Cléandre (IV, 3) peut clamer son innocence ainsi que celle de Caliste et exiger des excuses (V, dernière). Dans la pièce, les principaux rivaux sont des personnages qui réclament justice : Béronte, Lucidan, Varasque. Ils n’agissent pas par pure méchanceté, par jalousie mais pour de bons motifs : venger la mort injuste d’un parent.
Nous relevons également des « obstacles extérieurs » simples mais secondaires, qui ne contrarient qu’un temps les héros et sont vite surmontés. Ils peuvent être le fait d’une tierce personne:
- – le ou la rival(e) qui tente de faire oublier à l’un des deux amants l’être aimé(e). En l’occurrence, c’est Hyppolite qui joue le plus longuement ce rôle en tentant de séduire Lisandre par ses nombreux attraits. Lucidan se présente également comme un rival de Lisandre lorsqu’on apprend qu’il aime Caliste (V, 1) mais Du Ryer choisit de ne pas exploiter cette rivalité.
- – le père tyrannique qui s’élève contre l’amour des amants pour des raisons d’ordre social ou matériel. Adraste, en imposant à Lisandre d’aimer Hyppolite et de ne pas retourner à la cour, s’oppose de toute son autorité paternelle au bonheur de son fils. Dorilas, père de Caliste, se montre lui aussi particulièrement hostile à leur union sans toutefois se poser en véritable obstacle à l’amour des deux héros. Il réapparaît à la scène 2 de l’acte III inquiet pour sa fille, puis à la dernière scène de l’acte V pour exprimer son soulagement et accorder la main de sa fille à Lisandre.
Ces obstacles peuvent également provenir d’un empêchement physique :
- – le naufrage : qui peut tenir le héros ou l’héroïne loin de l’endroit où il devrait être. Le naufrage de Lisandre pourrait, comme il le croit au début, être un obstacle inquiétant à son bonheur puisqu’il l’empêche de se rendre à la Cour où le roi l’attend. Mais sa rencontre avec Léon et l’aveu qui s’ensuit transforme ce péril en une heureuse péripétie.
Les contrariétés qui assaillent les héros proviennent également d’« obstacles intérieurs » (J. Scherer) toujours secondaires parce que Du Ryer ne les exploite que partiellement :
- – le dilemme : qui se présente généralement sous la forme d’un monologue et qui témoigne de l’embarras d’un personnage devant un choix difficile à faire. Lisandre se retrouve à deux reprises dans cette position : dans la première scène de la pièce, il est pris entre son amour et son amitié pour le mari de Caliste. À la scène 3 de l’acte III, Lisandre exprime sa détresse face au choix qu’il doit faire : obéir à son père et épouser Hyppolite ou n’écouter que son amour pour Caliste. Ces dilemmes aboutissent tous deux à une solution ; l’amour se révèle dans les deux cas plus fort que l’amitié :
Mais en fin l’amitié n’y doit plus rien prétendre,Les charmes de Caliste en ont chassé Cléandre, (v.29-30) […]L’amour beaucoup plus fort à toute heure l’efface,Et me donne des loix où je voy tant d’appasQu’il faut y consentir ou bien ne vivre pas. (v.34-36)
et plus fort que le respect et le devoir d’obéissance envers le père :
Ce respect n’est pas fait pour les parfaits amans,Quiconque sçait aymer, sçait mespriser les craintes,Et d’un facheux devoir les severes contraintes. (v.880-882) […]Mais pour monstrer l’exceds de mon ardeur extremeJ’aymer mieux asseurer mes amours, que moy mesme. (v.889-890)
- – les méprises : ces contrariétés, provoquées par la jalousie ou l’indifférence de l’être aimé, peuvent provoquer une crise entre les deux amoureux. Ainsi Caliste s’imagine que Lisandre est infidèle (III, 4), et Lisandre croit que Caliste le trompe avec Lucidan (V, 1).
Il existe également deux « faux obstacles » (J. Scherer) :
- – le déguisement de Lisandre en mendiant (II, 2) qui aboutit à un quiproquo digne d’une scène de farce ;
- – le travestissement d’Hyppolite qui porte l’armure de Caliste (V, 1).
La cause de ces deux quiproquos vient d’une erreur sur la personne, tous deux ont des conséquences plus ou moins positives. La méprise de Lisandre sur l’identité d’Hyppolite entraîne des effets pathétiques : Hyppolite désespérée, se fait passer pour le meurtrier de Caliste et manque de se faire tuer par Lisandre.
Un seul obstacle provoque une crise qui met réellement en péril le bonheur des deux amants : le meurtre de Cléandre dont Lisandre et Caliste sont accusés. Face à cette contrariété principale et aux autres, les amants réagissent différemment. Lisandre se montre plutôt passif, il part vers l’Angleterre et fuit ses responsabilités ; s’il tombe sur le meurtrier de Cléandre, ce n’est que par hasard. Caliste tente par tous les moyens de venger l’honneur de Lisandre, et par conséquent le sien : c’est pourquoi elle n’hésite pas à se travestir en chevalier. Elle cherche une issue à sa situation même si, finalement, ses projets n’aboutissent pas : sa marque n’étant pas tirée au sort, elle ne combat pas contre Lucidan. Cette crise constitue le moment le plus angoissant, le plus pathétique de la pièce puisque le couple amoureux semble définitivement séparé : Caliste, désespérée, s’enfuit (IV, 2) et Lisandre est victime d’un naufrage (IV, 1).
Du Ryer utilise une péripétie pour faire rebondir l’action : la rencontre de Lisandre avec Léon (IV, 3) qui ne figure ni dans l’exposition, ni dans le dénouement. Cette scène comporte en effet un événement imprévu qui crée une surprise et change la situation matérielle et psychologique de Lisandre. Il peut enfin revenir à la Cour tête haute et voit son avenir sous des jours meilleurs. Cette heureuse coïncidence est une surprise à la fois pour Lisandre et pour le spectateur, soulagé de voir le coupable démasqué.
Le dénouement §
Ces diverses contrariétés qui entravent le bonheur des deux amoureux se résolvent généralement au cinquième acte par la disparition imprévue des obstacles.
La rivale s’efface par générosité : Hyppolite se retire dès qu’elle rencontre Caliste. Lucidan retourne à ses premières amours avec Hyppolite. À la suite d’un heureux naufrage, Lisandre retrouve l’assassin de Cléandre : le héros réapparaît après une justification qui le réhabilite et fait tomber les accusations non fondées. Du Ryer n’exploite pas davantage les doutes que les deux amants ont pu avoir sur la fidélité de leur partenaire : Caliste pardonne à Lisandre et Lisandre à Caliste sans explication. Les retrouvailles de Léon et Lisandre sur une île déserte relèvent quant à elles d’une heureuse coïncidence.
L’intérêt du spectateur est donc maintenu jusqu’à la dernière scène de la pièce puisqu’il doute encore de l’issue heureuse du dénouement. Du Ryer soutient la curiosité du spectateur le plus longtemps possible au détriment parfois d’une certaine cohérence : Lisandre reçoit la lettre de Caliste à la scène 1 de l’acte V et craint de l’avoir perdue puis s’inquiète véritablement lorsque le courrier lui rapporte les nouvelles amours de Caliste et Lucidan. Ces nouveaux éléments semblent se rajouter à l’action principale pour laisser planer le doute sur l’issue des événements. Sans l’obstacle de Lucidan et de Varasque, la pièce pourrait se terminer dès la première scène de l’acte V puisque tout est revenu dans l’ordre : Hyppolite pardonne à Lisandre et Léon va l’innocenter. Après de nombreuses péripéties (duel, emprisonnement, naufrage…), les forces qui s’opposaient au bonheur des héros disparaissent. Dans l’ensemble, le spectateur trouve le châtiment des méchants justifié : Léon est emprisonné, les rivaux s’effacent ou se transforment en alliés (Béronte, Lucidan…). Le public pense qu’Hyppolite, délaissée, trouvera l’amour dans le mariage auquel elle se résigne et il se réjouit de ces deux unions.
Qualifiée de tragi-comédie à tiroirs ou à épisodes, foisonnante d’aventures en tout genre, Lisandre et Caliste tire son unité de l’intérêt que le spectateur porte aux deux héros. D’une tragi-comédie à l’autre, nous retrouvons non seulement le même type d’intrigue et de traitement de l’action, mais aussi les figures récurrentes et typiques de personnages sans grande profondeur psychologique.
Les personnages §
Des personnages types §
La sensibilité d’une époque se révèle dans la constante représentation des mêmes sentiments et des mêmes comportements, comme dans la reprise perpétuelle de certains motifs. Ainsi les personnages de ce théâtre sont généralement des « types » ou encore des « emplois »25, auxquels les dramaturges ne donnent aucune profondeur psychologique. Les règles de la convention fixent d’avance le caractère des personnages qui ne peuvent que répondre aux clichés du genre : amant amoureux, vertueux, fidèle ; jeune fille honnête, probe, sincère, dévouée… et qui impliquent une immobilité des caractères. Du Ryer ne s’intéresse qu’à des stéréotypes, à des figures récurrentes et archétypales de la tragi-comédie, c’est à dire à des personnages sans grande motivation psychologique, sans grande ampleur mais aptes à faire évoluer l’intrigue. Lisandre et Caliste sont d’ailleurs tous deux d’un rang élevé, jeunes et beaux, ils suscitent d’emblée la sympathie du spectateur. Ils brillent tous deux par leur courage et la noblesse de leurs sentiments (Lisandre n’agit que par amour, Caliste n’hésite pas à se travestir et à combattre pour son amant…). Mais même s’il est courageux, le héros est capable de feindre des sentiments qu’il n’éprouve pas et de se montrer hypocrite et ingrat comme Lisandre avec Hyppolite. Pourtant le public saura lui pardonner puisque l’amour motive ce mensonge et l’excuse. Le rôle du rival ou de la rivale : Hyppolite, Adraste, le roi, Lucidan… que nous avons examiné au chapitre précédent n’intéresse Du Ryer que pour les effets qui résultent du comportement de cet opposant : désespoir ou révolte des héros qui s’expriment dans de longs monologues (Lisandre : II, 1 ; Caliste : III, 4 ou IV, 2 ; Hyppolite : IV, 4…). Comme le dit R. Guichemerre, le père ou le roi agisse selon « des sentiments schématiques et des motivations convenues »26. À côté de ces types conventionnels apparaissent dans des seconds rôles des gens du peuple qui apportent une note réaliste et comique à certaines scènes. Le boucher et sa femme sont des personnages pittoresques qui permettent de divertir plaisamment l’auditoire.
La tragi-comédie de Du Ryer compte trois personnages principaux : les deux héros éponymes Lisandre et Caliste autour desquels se bâtit la pièce, et Hyppolite, amoureuse de Lisandre, qui contribue particulièrement à leur bonheur. Du Ryer tente de grouper les différentes aventures vécues par un même personnage : de l’acte III, scène 4 jusqu’à l’acte IV, scène 2, il est question du tournoi pour innocenter Lisandre et donc de Caliste et d’Hyppolite, puis ce sont ensuite sur les aventures de Lisandre (IV, 3 et jusqu’à la fin) que se concentre la pièce. Personnages principaux et secondaires se caractérisent par leur appartenance à des types, comme nous l’avons vu, et à un idéal cher à Du Ryer.
Les personnages féminins §
Nous assistons dans le premier tiers du XVIIe siècle à un mouvement de réévaluation de la femme qui aboutit à la vogue de la femme héroïque. Elle déploie son héroïsme tout en apparaissant fragile et belle à la fois. La femme ne se définit comme une véritable héroïne que si la consécration totale de sa vie à un être aimé est la source de ses belles actions. Dans une optique féministe, nous pouvons considérer que la femme possède des vertus et des capacités que la tradition assigne à l’homme : les femmes n’en sont que plus flatter dans leur vanité.
Dans ce sillage apparaît dans les tragi-comédies un nouveau type d’héroïne que Caliste ou Hyppolite incarnent dans la pièce de Du Ryer. Une jeune fille amoureuse, intelligente, courageuse et volontaire devient l’élément moteur de la pièce. Son partenaire est relégué au rang d’objet. Elle utilise comme armes le mensonge, l’artifice, la feinte et le déguisement. Travestie en homme, l’héroïne pénètre dans un monde d’hommes avec leurs propres armes et peut les battre sur leur terrain. C’est par le dynamisme, par l’action que l’héroïne de tragi-comédie compense les inconvénients dus à sa situation sociale. À aucun moment dans Lisandre et Caliste, Hyppolite ou Caliste ne se montrent passives face aux malheurs qui les accablent, elles passent à l’action. Ce sont elles qui défendent Lisandre lors du premier duel judiciaire (IV, 1), elles se lancent à la poursuite de leur amant lorsqu’elles apprennent sa trahison.
Bien qu’elles apparaissent moins souvent que Lisandre dans la pièce et qu’elles totalisent, toutes deux réunies, moins de vers que lui (Hyppolite : 244 vers, Caliste : 227 vers, Lisandre : 584), leur rôle reste essentiel. Lorsqu’elles se posent toutes deux en accusatrices, elles monopolisent alors la parole dans des monologues (Caliste : III, 4 ; IV, 2) ou des dialogues (Hyppolite : V, 1). En effet Caliste ne s’exprime jamais autant que lorsqu’elle se croit trompée par Lisandre. Les paroles ou les lamentations seules ne leur suffisent pas aussi se caractérisent-elles comme des femmes d’action.
Malgré de nombreux traits communs, Du Ryer s’applique à différencier ses deux héroïnes. Caliste est dessiné par le dramaturge comme le symbole de la féminité et de la beauté envoûtante. Même si elle est prête à se travestir et à participer à un combat, Du Ryer fait en sorte qu’elle ne puisse se battre. L’auteur veut que Caliste garde, tout au long de la pièce, toute sa délicatesse et sa féminité. Caliste exprime d’ailleurs elle-même clairement cette différence (v.1427-1438). Alors que cette dernière reste femme malgré son déguisement et agit en tant que telle (v.1433-1434), Hyppolite fait preuve de sentiments et d’une force comparables à ceux d’un homme (v.1613-1620). Elle représente toutes les valeurs que devait illustrer la conduite de Lisandre : générosité, constance, loyauté. L’aide qu’elle lui apporte pour sauver son amour, achève de la dépeindre comme le symbole de la générosité. Toutes ses actions sont en effet des actes purement généreux : le travestissement et le duel, l’aide qu’elle apporte à Lisandre pour retrouver Caliste. Hyppolite est bien plus qu’une héroïne blanche qui n’agirait que par amour, elle poursuit en effet son action généreuse en sachant son a amour impossible. Aussi fait-elle beaucoup plus pour les deux amants que Lisandre ou Caliste eux-mêmes, Caliste la remercie d’ailleurs en ces termes :
Si nous avons du bien, Madame, nous devonsA vos rares vertus celuy que nous avons. (v.1983-1984)
Les rapports d’Hyppolite et de Caliste ne sont que vaguement emprunts de jalousie. Elles proclament des menaces certes emphatiques (v.1079-1080…), mais qui ne se changeront jamais en acte. Leur rencontre suffit à ce qu’elles n’éprouvent plus l’une envers l’autre ce sentiment dévastateur. En effet, si elles désirent se venger, ce n’est pas de leur rivale mais de leur amant. Elles montrent au contraire un grand respect mutuel : Caliste pour la gloire et l’héroïsme de sa rivale (v.1421-1432), Hyppolite pour la beauté de Caliste (v.1613-1624 ; v.1817-1820). L’ordre et la fréquence de leur apparition sur scène illustrent cette complémentarité. Caliste tient le premier rôle féminin : jusqu’à l’acte II, scène 3, il n’est question que de ses charmes et de sa douceur pendant deux actes. Ces grâces sont en effet le mieux exaltées lorsqu’elle est absente de la scène (II, 6). Le spectateur découvre Hyppolite, après la vague description qu’en a faite Adraste (III, 1), à la scène 2 de l’acte III où elle dévoile dans un long monologue ses sentiments passionnés pour Lisandre. La pièce compte alors deux héroïnes qui entrent en conflit sans le savoir. Le long monologue de Caliste à la scène 4 de l’acte III pose les bases de cette rivalité. Cependant les deux héroïnes se montrent vite vaincues par les qualités respectives de leur rivale. Bien que Caliste soit l’héroïne principale et qu’elle seule possède le cœur de Lisandre, la pièce dès l’acte III, scène 5 focalise l’intérêt du spectateur sur les actions d’Hyppolite et sur sa douleur. Dès la scène 4 de l’acte IV, Hyppolite se pose en accusatrice et monopolise la parole durant la première scène de l’acte V. Si cette dernière n’est présente que dans cinq scènes de la pièce, elle totalise un nombre de vers supérieur à celui de Caliste qui est présente, quant à elle, dans sept scènes. Du Ryer ne s’est pas contenté d’utiliser Hyppolite comme un simple moyen de réaliser le bonheur des deux amants. Il s’intéresse à ses sentiments et bouleverse ainsi l’unité de sa pièce. A la première intrigue, s’ajoute une intrigue secondaire : l’amour malheureux d’Hyppolite pour Lisandre qui fait l’objet de longs monologues et de longues discussions sans conséquences dans l’action principale. Même si Hyppolite est physiquement plus présente que Caliste dans la dernière partie de la pièce, l’image de cette dernière persiste dans les nombreuses allusions que Lisandre ou même Hyppolite font à sa beauté. Aussi pouvons-nous considérer que ces deux femmes se partagent le rôle de l’héroïne principale. Toutes deux se complètent en effet parfaitement : l’une brille par sa beauté et l’autre par sa force. Caliste surpasse Hyppolite par sa beauté physique, tandis qu’Hyppolite l’emporte par son caractère et ses qualités sur Caliste. Ses deux femmes réunies en une même personne toucheraient peut-être à l’idéal dont rêve Du Ryer.
Les trois autres femmes : Orante, Clarinde et la bouchère, ne sont que des personnages secondaires qui n’apparaissent que dans un petit nombre de scène : Orante, une scène ; Clarinde, deux scènes ; la bouchère, une scène. La mère de Caliste, Orante, sert essentiellement de faire-valoir à Lisandre : elle s’émerveille de sa passion pour Caliste et de la façon dont il en parle. Le débat sur la calomnie qu’elle engage avec Lisandre permet à Du Ryer de développer les lieux communs chers à la rhétorique. Elle constitue le pivot de la scène et l’interlocutrice privilégiée de Lisandre. Bien qu’étant uniquement la suivante de Caliste et malgré sa courte présence sur la scène (I, 2 ; I, 6), Clarinde n’a pas un moindre rôle. Son mensonge est déterminant pour la suite de l’action et fait le malheur des héros. Mais Du Ryer n’exploite pas davantage ce personnage, dont il s’abstient d’expliquer les motivations, disparaît dès la fin du premier acte. La bouchère Alizon apporte une touche pittoresque et humoristique à la pièce. Son bon sens et sa franchise éclaire et souligne la bêtise de son mari. Commerçante avant tout, elle n’agit que poussée par l’intérêt et par le bon fonctionnement de sa boutique. Ces deux personnages, qui appartiennent à la couche populaire, contrastent, par leur langage et leur manière, avec les héroïnes de rang supérieur.
Les personnages masculins §
Si l’amour pouvait rendre la femme héroïque, il pouvait rendre l’homme honnête. De 1600 à 1643, dans le théâtre et le roman, l’offensive se généralise contre la grossièreté des sentiments et la vulgarité des désirs. Dans Lisandre et Caliste, le désir de Léon pour Clarinde ou la vision qu’a le boucher du sentiment amoureux (v.529-530) se présentent comme des conceptions vulgaires et repoussantes de l’amour. Elles ne font qu’appuyer le contraste avec une autre sorte d’amour : celui qui élève, ennoblit et rend un homme honnête.
À l’époque, l’honnêteté influence la littérature, elle est la qualité de ceux qui pratiquent la civilité, l’élégance des manières, le sens des bienséances mais qui ont aussi une culture diversifiée et discrète. Les tragi-comédies sont en accord avec cet idéal et tentent de le répandre dans le public. Lisandre, Béronte, Adraste, Lucidan, Lidian ou Varasque représentent ce type d’homme qui se devait d’avoir des sentiments élevés, de belles manières, d’être brave en même temps que galant et de faire preuve d’héroïsme. Lisandre, Lucidan, Varasque ou Adraste n’hésitent pas à se battre pour défendre leur honneur, celui de leur proche ou d’un ami : parfois sans réfléchir (v.1287-1290). Leur gloire et leur honneur passent avant toute chose (Lisandre : v.815-820), ils montrent du respect envers leur roi (v.1926-1929, v.1970-1971 ; v.1980-1981) et envers les femmes.
Tous les théoriciens du XVIIe siècle s’accordent sur un idéal de maîtrise, de composition et de présentation de soi. Le courtisan sera de noble lignée, aura l’esprit vif, se présentera bien et possédera une grâce et un charme qui le feront aimer de tous ceux qui le voient. Or le personnage de Lisandre semble correspondre trait pour trait à cette définition. Les discours d’Hyppolite (v.909-915) ou de Lidian (v.1001-1004) entre autres, témoignent des qualités physiques et du courage de Lisandre. Il maîtrise suffisamment le langage pour en faire un instrument de séduction (v.247-256, v.265-270 ; v.931, v.935-936, v.939-942…). Faret demande à l’honnête homme souplesse et flexibilité, Méré exige souplesse et naturel. Mais la souplesse penche vers le théâtral, puisqu’elle est aptitude à se faire à tout et à tous, à se transformer au gré des circonstances, à jouer toutes sortes de personnages. Cet aspect rapproche d’ailleurs l’honnêteté de l’esthétique romanesque. Ainsi la feinte de Lisandre face à Hyppolite dévoile-t-elle l’une des faces de son honnêteté, Lisandre n’a pas su décourager l’amour d’Hyppolite et ses sentiments extrêmes. Il s’est instinctivement adapté à l’image qu’Hyppolite désirait avoir de lui. Toutefois l’honnêteté de Lisandre n’était qu’une stratégie, il a feint pour mieux manipuler Hyppolite. Il se dissimule derrière son mensonge pour ne pas avoir à affronter les reproches des autres. Cet aspect de sa personnalité se révèle à la scène 1 de l’acte V : face à Hyppolite qui l’accuse, Lisandre cache la vérité et accuse à son tour la violence de son amour (v.1782) ou encore la tyrannie paternelle (v.1787-1790). Mais face à cet impitoyable juge, Lisandre, acculé, se découvre enfin (v.1797-1810) et reste d’une grande honnêteté jusqu’à la fin de la scène. Les héros masculins de Lisandre et Caliste, Lisandre en particulier, correspondent à l’idéal d’honnêteté que répandaient la plupart des romans et tragi-comédies du XVIIe siècle.
Nous pouvons donc considérer Lisandre comme le héros principal de la pièce. Sa présence sur la scène (il apparaît dans 12 scènes et dans tous les actes de la pièce) et le nombre de vers qui lui sont attribués (584 vers) le confirment. Les deux héroïnes, et surtout Hyppolite, semblent cependant tenir le rôle principal après la scène 2 de l’acte III. Lisandre est en effet beaucoup moins présent sur la scène après son entretien avec Hyppolite, puisqu’il reste absent 4 scènes de suite (III, 3,4 ; IV, 1,2). Son action suscite moins d’intérêt que celle des deux jeunes femmes. Les deux héroïnes prennent en effet pleinement part à l’action judiciaire sur laquelle se focalise Du Ryer pendant l’acte III et IV. L’attention se porte de nouveau sur lui une fois le duel judiciaire réglé, dès la scène 3 de l’acte IV et ce jusqu’à la fin. Lisandre ne mène que deux véritables actions : son duel contre Crisante et Cloridan, puis l’évasion de Caliste. Après cet épisode, le héros reste étonnement passif et ne participe pas, du moins physiquement, aux différentes actions menées pour rétablir son honneur. Il reste cependant le héros principal de cette pièce, surtout en regard des autres personnages masculins. Ces derniers n’ont que des rôles secondaires : opposants, rivaux, adjuvants… et n’agissent que dans le sillage des héros principaux.
Les pères des deux amants interviennent dans la pièce comme des obstacles plus ou moins superficiels à leur bonheur. L’un s’oppose à ce mariage et en propose un autre pour garder son fils près de lui (Adraste), l’autre s’y oppose en invoquant la morale et l’honneur. Tous deux se montrent difficiles à convaincre car leur sens de l’honneur et du devoir les empêche de cautionner l’amour de leurs enfants. Sensibles, ils pardonnent vite les écarts et ne sont que des opposants passagers à l’amour des héros principaux.
Les amis de Lisandre, de Cléandre et de Caliste, participent au contraire au bonheur des amants. S’ils apparaissent dans un premier temps comme des opposants (Béronte, Lucidan, Varasque…), ils reconnaissent rapidement leur erreur et tentent de la réparer au mieux. C’est surtout Béronte (I, 2,3, 5, 6 ; IV, 1) qui œuvre pour les deux héros, cependant il disparaît de la scène à l’acte IV, scène 1 et n’assiste pas au mariage. Lucidan, parent de Cléandre, semble être la copie conforme de Lisandre puisqu’il incarne aussi la figure du chevalier généreux et courageux. Hyppolite lui adresse des reproches comme à un double de Lisandre (IV, 4) et l’inconstance dont il fait preuve achève de l’assimiler dans l’esprit d’Hyppolite à son amant volage. Le vocabulaire, les métaphores qu’il emploie pour faire sa déclaration à cette dernière ne diffèrent guère de ceux déjà utilisés par Lisandre. Il se pose en opposant mais sa cause est juste lorsqu’il réclame le duel judiciaire pour venger la mort de son parent (IV, 1). Il intente une action en justice, de façon solennelle et se plie sans discussion aux décisions du roi et du juge de camp.
Cléandre, mari de Caliste, possède un rôle d’adjuvant en même temps qu’un rôle d’opposant. Il aide Lisandre à s’enfuir après son premier duel (I, 4) et se lance au secours de Caliste (I, 6). Mais il se présente comme l’opposant essentiel à l’amour de Lisandre pour Caliste. Son élimination était donc nécessaire pour rendre leur amour possible : il disparaît dès le premier acte.
Alcidon, Lidian se définissent comme des adjuvants. Ils apportent leur aide de façon ponctuelle : pour obtenir la grâce de Lisandre (Lidian : III, 3 ; IV, 1) ou pour l’aider à réaliser ses projets (Alcidon : I, 5,6 ; II, 1). Ils ne se présentent à aucun moment comme des opposants contrairement à Béronte, Lucidan ou Varasque : Lidian apporte son aide à Lisandre mais aussi à Caliste (IV, 2), Alcidon tente de raisonner Béronte et prévient Lisandre du péril. Acte II, scène 1 il tente de décourager son ami dont les desseins lui semblent extravagants et permet de souligner le caractère irraisonné et passionné de l’amour de Lisandre pour sa maîtresse. Le mari de Caliste découvre avant sa mort, toutes les qualités d’un parfait ami et d’un honnête homme. Dans la source, il donne même à Caliste sa bénédiction pour aimer Lisandre.
La figure du méchant et du traître s’incarne en Léon tout au long de la pièce ou du moins jusqu’à ce que Lisandre le retrouve sur l’île déserte. Son amour pour Clarinde étant illégitime et vulgaire, parce que fait de désir physique, il le rend criminel au lieu de l’ennoblir. La relation qu’il entretient avec la suivante contraste ainsi avec l’amour idéal qui unit Lisandre et Caliste ou même Hyppolite à Lisandre. Léon semble un homme de bien et non un simple valet : son langage, le fait que Béronte l’appelle son « amy » le prouvent. Ce statut rend illégitime l’amour qu’il éprouve pour Clarinde. C’est poussé par la peur et par la surprise que Léon commet ce crime. Ce geste, qui fait le malheur initial des héros, n’est pourtant pas dicté par une quelconque intention de nuire à Lisandre et à Caliste. Son aspect non-prémédité diminue aux yeux du spectateur l’ampleur de la faute de Léon. Son repentir (V, 1, dernière), la puissance du remords qui l’afflige et son courage minimisent sa faute aux yeux du spectateur. Même après un crime, il reste homme de bien.
Le juge de camp et le roi représentent l’autorité et la justice. Le roi exalte volontiers son pays et ses ancêtres mais insiste particulièrement, dans ses discours, sur la notion d’équité. C’est cette foi en la justice qui le pousse à considérer Lisandre comme un hors-la-loi et à jouer, pour un temps, un rôle d’opposant. Du Ryer insiste sur l’aspect généreux de ses décisions et de son comportement. Puisque Lisandre est innocent, il n’a rien à craindre de ce symbole de l’autorité. Aussi le roi joue-t-il davantage un rôle d’adjuvant dans la pièce en permettant les duels judiciaires et la justification du héros.
Les gens du peuple sont utilisés de diverses manières par Du Ryer mais se caractérisent tous par leur rôle d’adjuvant. Même si leur rôle est minime (Le boucher, deux scènes : II, 2 et II, 3 _ Le valet de Lisandre, trois scènes : III, 4 ; IV, 1 et V, 1 _ Le geôlier, une scène : II, 3), ils apparaissent tous à des moments critiques de l’action et apportent une aide efficace aux héros. Le boucher, peint d’une manière à la fois réaliste et humoristique, apporte à la pièce une touche comique voire farcesque. Sa mauvaise foi, son hypocrisie et son amour de l’argent dévoilent sa médiocrité et rehaussent les qualités de Lisandre. Le valet de Lisandre n’est qu’un moyen habile pour Du Ryer de faire parvenir des messages aux héros. Proche de son maître, il peut ainsi donner à Caliste des détails sur ses sentiments et ses vraies motivations. Personnage de confiance, l’héroïne peut compter sur lui pour rapporter le duel à Lisandre et lui remettre une lettre. Il remplace, en quelque sorte, son maître dans les scènes où il devrait être (III, 4 et IV, 1). Le geôlier n’a que quelques répliques dans la pièce mais son rôle reste important : il aide les personnages principaux à s’évader. Le courrier et le page ne sont que des moyens faciles de faire parvenir une nouvelle. Le courrier apporte à Lisandre des nouvelles de la Cour qui l’obligent à s’y rendre (V, 1), le page annonce la venue de Béronte à Clarinde et Léon (1, 2).
Honnêteté et galanterie se mêlent et se présentent comme la formule permettant la réussite d’une pièce. Ces deux caractéristiques impliquent un certain type de héros et d’héroïne qui s’incarne jusque dans les personnages secondaires.
Comme toute tragi-comédie du premier tiers du siècle, Lisandre et Caliste est indifférente à toutes règles. Cette pièce est pour Du Ryer une œuvre d’apprentissage où il s’exerce à connaître le goût du public, à réduire un roman en une pièce de cinq actes, à produire des situations dramatiques. Lisandre et Caliste répond donc à toutes les caractéristiques d’une tragi-comédie des années 1630 : ses personnages, ses thèmes, son irrespect pour les règles…affichent l’appartenance de Du Ryer à cette « citadelle des irréguliers » dont parlait R. Bray. Mais au-delà des aspects dramaturgiques, structurels et autres, cette pièce appartient également à un mouvement littéraire, elle reflète les goûts de son auteur pour un certain type de littérature et les tendances générales du théâtre tragi-comique dans ce premier tiers du siècle. L’appartenance de la pièce au genre tragi-comique, son irrégularité, son style, les thèmes que l’auteur a choisis d’aborder ou encore l’attitude de certains personnages permettent de situer Lisandre et Caliste de Du Ryer dans un mouvement romanesque et galant.
Une tragi-comédie romanesque… §
Un changement survient, de 1625 à 1665 selon J. Rousset, dans le monde et dans la spiritualité de cette époque et fait place à un sentiment de rupture historique et d’« ébranlement des assises de l’être » (J. Rousset). Comme le dit J. Maurens : il est difficile
de faire le panorama des idées… particulièrement dans la décade 1610-1630. Selon qu’on met l’accent sur l’une ou l’autre de ses expressions, elle apparaît différente, jusqu’à s’opposer sans cesse à elle- même27.
Et pourtant ce sont ces contradictions, ces oppositions et autres incertitudes perpétuelles qui constituent les données essentielles de l’esprit romanesque. Comme l’explique J. Rousset, il y a en France à cette époque « non seulement un goût du composite et du changement mais les éléments d’une esthétique du composite et du changement »28.
En outre,
cette esthétique du mélange, du changement et de la luxuriance, dans laquelle les jeunes auteurs de 1630-1640 voient un enrichissement et un embellissement, est à leurs yeux une esthétique moderne adaptée à l’esprit moderne, au goût du français contemporain qui n’aime rien tant que le changement, la diversité et le mouvement29.
Par sa fécondité et son effervescence, la tragi-comédie reflète ce premier tiers du XVIIe siècle. Cette dernière, tout comme le théâtre en général, correspond à un appel profond de ce temps qui comprend particulièrement bien le message propre au théâtre. La tragi-comédie représente quelque chose de plus puisqu’elle est à la fois tragédie et comédie, qualifiée de romanesque, elle se distingue comme un théâtre de la feinte, de l’apparence et du déguisement. Elle se fait le symbole du goût et de l’esthétique du changement.
C.G. Dubois met en relief « la dualité de l’âme baroque », c’est à dire une aptitude toute particulière à feindre et un goût prononcé pour l’ostentation et la dissimulation.
L’ostentation §
Selon R. Guichemerre, la tragi-comédie est « un théâtre expressionniste », aussi les dramaturges n’hésitent-ils pas à employer les ressources de la mise en scène, de la gestuelle théâtrale afin de contenter le goût du public pour cette « griserie de l’imagination » (R. Guichemerre), pour une action mouvementée et des émotions fortes. Lisandre et Caliste offre un exemple de cette pompe dans la scène du duel judiciaire (IV, 1) : dix personnages sont présents pour assister au duel, la présence du roi et du juge de camp donne à cette cérémonie un aspect solennel que renforce le discours du roi. Tout ce cérémonial (les trois chevaliers, le choix d’un enfant pour tirer la marque qui combattra…) offre un spectacle grandiose qui frappe l’imagination du public. La puissance évocatoire du langage supplée à la représentation effective pour susciter admiration, horreur, compassion… Les deux récits de naufrage, et en particulier celui de Lisandre (IV, 1 : v.1334-1365; IV, 3 : v.1477-1508) donnent un exemple de ces longues tirades où les personnages donnent libre cours à leur passion et amplifient leurs discours grâce aux ressources de la rhétorique. Dans son récit, Lisandre sélectionne des informations concernant le sujet traité et ne garde que les éléments particulièrement sensibles et forts, susceptibles d’accrocher par leur évocation. Comme l’explique G. Molinié,
ces expressions sont rattachées à l’enregistrement comme cinématographique du déroulement ou de la manifestation extérieurs de l’objet[…], ce côté vivement plastique du texte constitue l’hypotypose qui est d’une grande rentabilité au théâtre30.
Or Lisandre, en tant que narrateur et victime, peint sous nos yeux le tableau de son naufrage. Hyppolite possède également ce talent dans le récit de sa rencontre avec Lisandre (III, 2 : v.903-916). Peut-être Du Ryer a-t-il gagné, pour cette scène, à ne pas représenter sur les planches la partie de chasse. Cette évocation lui permet en effet de mieux souligner le fait que Lisandre chasse non seulement le gibier, mais aussi et inconsciemment le cœur d’Hyppolite, qui s’assimile d’ailleurs tout au long du récit à un animal capturé (« rets », « captive »…). Du Ryer joue en effet volontiers sur les mots (v.931 : J’en touche le sujet et je l’ay dans le sein. », v.1195-1196, v.1297-1298…) et crée parfois des associations d’idée qui lui permettent de passer habilement d’un sujet à un autre, d’un thème à l’autre (v.1078-1079…).
Par des scènes de violences (les duels), par l’utilisation d’une prison dans le décor, par les cérémonies pompeuses (IV, 1 ; V, dernière), Du Ryer contente un public avide de spectacle et témoigne de l’importance de la notion de « pompe ». Elle s’obtient au théâtre « par le nombre et la majesté des acteurs, ou par un spectacle magnifique »31 comme l’explique D’Aubignac. Cette notion de « donner à voir » correspond également à l’esthétique romanesque qui aime parler aux yeux, à l’imagination et à la sensibilité du public par l’importance qu’elle accorde au spectacle et au pouvoir suggestif des mots. Dans ses récits, Du Ryer use volontiers d’hyperboles : le naufrage (v.1485-1506), ou dans ses descriptions : rencontre de Lisandre et d’Hyppolite (v.907-910), portrait de Caliste par Lisandre (v.49, v.1687-1688…). Or l’hyperbole est par excellence la figure décorative. Le récit du naufrage par Lisandre nous en donne un exemple intéressant : hyperboles et images d’une eau déchaînée, mélange et association maléfique des contraires (Cf : note 170). Du Ryer amplifie et anime des assertions pauvres en elles-mêmes par des redondances (v.1112-1114 : « Mais pour y mettre ver, qui s’en rendra vainqueur, / Pour y mettre un remords, dont les forceneries […] » ; v.669-674 et v.677-682…), des énumérations (v.1535 : « Vents, Neptune, tempeste, effroyables tourments[…] »…), des répétitions (v.1457 : « Frappe, frappe à ton gré ce corps abominable[…] », v.1547, v.1601, v.1638-1639, v.1735…), des comparaisons (v.58 : « Aimer tant de beautez comme on fait les Deesses ? » …), des apostrophes (v.247, v.253, v.323 : « […] furieux, », v.363, v. 511 : « Dieux ! » …) et des personnifications (v.255-256 : « Et vous croirez qu’Amour m’ostant la liberté / Me donne avec ses feux son immortalité. », v.899-902…).
Toutes ces figures témoignent du goût de Du Ryer pour l’ostentation ainsi que son talent d’orateur : son style mêle gravité et éloquence, il aime les antithèses (v.60-64 : « Sa divine douceur veut que je persevere / Et sa pudicité ne veut pas que j’espère, […] » par exemple…) et les sentences, les termes abstraits (La raison, la gloire, le dessein, la vertu, le mérite…). Formé à la rhétorique, Du Ryer maîtrise bien « cet art de la parole persuasive »32 comme en témoignent les deux scènes de procès de Lisandre et Caliste. Deux situations de procès dominent en effet la pièce, les personnages s’expriment devant un auditoire spécifique : le tribunal composé du juge de camp et du roi ou du roi seul. Ces scènes se caractérisent par l’emploi d’un discours judiciaire où les notions de juste et d’injuste dominent dans le but d’accuser ou de défendre un personnage. À la scène 1 de l’acte IV, l’accusé est Lisandre : Lucidan adresse un réquisitoire au roi, l’accusé ne peut se défendre puisqu’il est absent, aussi Adraste intervient-il pour plaider sa cause, Béronte et Lidian interviennent pour innocenter Lisandre puis le juge de camp et le roi rendent leur jugement. À la scène 1 de l’acte V, les accusés sont Lisandre et Caliste : Varasque entame un vague réquisitoire suivi d’une plaidoirie d’Adraste, l’intervention de Léon innocente les deux amoureux et le roi rend son jugement. Après la mort de Cloridan et Crisante, les deux héros sont l’un après l’autre victimes du système judiciaire. Face à un juge tel que le roi, les discours judiciaire et épidictique se mêlent, puisque accusateurs et défenseurs ne manquent pas de débuter leur réquisitoire ou leur plaidoirie par un éloge du prince (Lucidan : IV, 1 ; Léon : V, 1). Intéressé par cet art de la persuasion, Du Ryer l’exploite volontiers, comme à la scène 5 de l’acte II dans laquelle Lisandre plaide la cause de Caliste auprès de ses parents, Orante et Dorilas et tente d’obtenir leur pardon. Leurs propos s’organisent alors dans l’ensemble comme un discours rhétorique :
- – un exorde débute la scène (v.557-584). Dorilas, par ses lamentations, suscite la bienveillance du spectateur et attire son attention sur le sujet du discours, en l’occurrence Caliste.
- – une narration (v.585-622) qui permet d’exposer les faits au travers du rapide récit de Lisandre (v.585-592 ; v.599-604 ; v.611-616). Ce dernier récapitule les événements et dévoile la véritable histoire aux parents de Caliste.
- – une première confirmation (v.623-712) dans laquelle Lisandre prouve ses arguments et tente de réfuter ceux d’Orante. Pour cela, il se focalise sur deux types d’arguments : l’un d’ordre affectif qui agit sur la sensibilité, l’autre d’ordre rationnel qui doit convaincre. Le héros tente de toucher la sensibilité d’Orante non seulement en jouant sur ses sentiments maternels mais aussi en s’appuyant sur des arguments rationnels, formulés dans des maximes ou des sentences. Genre épidictique et délibératif s’unissent : Lisandre appuie sa démonstration d’un éloge emphatique de sa bien-aimée. L’emphase et l’hyperbole, les sentences et les maximes se mêlent pour démontrer à Orante que ses sentiments de mère sont aussi un devoir.
- – une seconde confirmation (v.713-726) dans laquelle Lisandre tente cette fois de persuader Dorilas de pardonner à sa fille. À son devoir de citoyen, qui tient à cœur à Dorilas, Lisandre lui oppose son devoir de père qu’il lui rappelle au travers de sentences morales (v.725-726…).
- – une brève péroraison (v.727-732) qui conclue le discours de Lisandre dont la mission a réussi. Enfin suit une véritable péroraison (v.733-772) dans laquelle Orante et Dorilas, restés seuls, récapitulent les faits. Dorilas se montre encore soupçonneux, Orante prend alors la place de Lisandre pour convaincre Dorilas qu’il a fait le bon choix. La « passion » et « l’amplification »33 sont utilisées dans cette péroraison pour susciter la sensibilité du public et exprimer avec force la douleur du dilemme qui tenaille le père de Caliste.
Du Ryer exploite donc toutes les ressources de la rhétorique pour faire passer des émotions fortes et convaincre le spectateur que l’action des deux héros est juste. Le dramaturge se sert des moyens que lui fournit la rhétorique dans d’autres scènes de sa pièce (les dilemmes, les monologues, les dialogues enflammés, les récits…). L’éloquence se définit comme la science du bien parler et a pour objet d’instruire, de plaire et de toucher : il faut jouer sur les passions et les mœurs du public pour lui faire ressentir de vives émotions. Les parallélismes entre deux hémistiches possèdent un fort pouvoir évocateur (v.1080…). Dans les dialogues, l’utilisation de l’apostrophe et de l’impératif accompagnent la violence des propos tenus (v.1725 : « Traistre voy l’ennemy, que le sort t’abandonne, […] », v.1726, v.1729…) et le tutoiement de l’adversaire suggère efficacement une perte de contrôle. La scène de la prison (II, 3) permet aussi d’exploiter une situation critique et « d’émouvoir la compassion pour les personnes captives »34 .
La dissimulation §
Ostentation et dissimulation sont liées. Les personnages des tragi-comédies se montrent prompts à paraître ce qu’ils ne sont pas, ou à dissimuler ce qu’ils sont vraiment : il faut cacher son cœur et donner le change. Ainsi Lisandre dissimule ses véritables sentiments et ment à son père d’abord (III, 1) puis à Hyppolite ensuite (III, 2). Jean Rousset fait du changement d’identité un des grands thèmes romanesques. Le déguisement relève de cette thématique, s’intègre à une tradition venue de la comédie italienne et constitue un trait social de la vie sous Louis XIII. Mais il reste avant tout un procédé dramatique commode. La tragi-comédie se sert du travestissement, du changement d’apparence comme d’un approfondissement psychologique et d’une analyse du sentiment amoureux. Il exprime la force des sentiments qu’éprouvent Hyppolite et Caliste pour Lisandre, la passion de Lisandre pour Caliste (déguisement en mendiant, en messager). Le déguisement à une fonction dramatique, il est un auxiliaire du développement de l’histoire et permet de compliquer l’action (méprise sur identité : V, 1). Pourtant dans Lisandre et Caliste aucun des différents déguisements revêtus n’est déterminant pour l’action. Qu’il soit un déguisement « d’approche » (Lisandre en mendiant, en messager) ou « de délivrance » (Hyppolite et Caliste en chevalier) : tous peuvent être supprimés.
Comme l’explique G. Forestier, les nombreux déguisements de Lisandre et Caliste « semblent tirer leur nécessité de leur multiplication »35. Les déguisements constituent également un élément du spectacle et un moyen pour l’auteur de produire des effets pouvant toucher le public : ils participent de ce fait au phénomène d’ostentation. Comme l’explique J. Rousset « dissimuler ce n’est pas seulement cacher ce qui est, c’est également simuler ce qui n’est pas »36. Le débat de l’être et du paraître touche au cœur du XVIIe siècle ainsi que La Rochefoucauld le montre :
L’intérêt… joue toutes sortes de personnages, même celui de désintéressé[…]. Chacun affecte une mine et un extérieur pour paraître ce qu’il veut qu’on le croie37.
C’est en effet par intérêt que Lisandre trompe Hyppolite. Il feint le désintéressement en lui faisant croire qu’il n’agit que pour remonter dans son estime (v.945-954). Lisandre se sert en fait d’Hyppolite pour amadouer son père et parvenir à ses propres fins : nous soupçonnons la ruse de Lisandre à partir du vers 956, mais c’est le vers 961 qui confirme notre impression :
Vous pouvez mon soucy me donner un remede.
Mais nous remarquons que Lisandre utilise dès son monologue (III, 1) le vocabulaire de la dissimulation :
Et que ce vain respect, dont j’abhorre l’usage,Se loge dans mon cœur comme sur mon visage. (v.877-878)
Son dessein de cacher ses sentiments germe dans son esprit dès ce moment.
Hyppolite déclare (V, 1) :
Puis au siecle où nous sommesLa verité se trouve aux paroles des hommes. (v.1841-1842)
et dévoile à travers cette déclaration aux allures de sentence tout son ressentiment face au mensonge dont les hommes sont capables. Après Lisandre, c’est Lucidan qui se montre inconstant. Qu’ils soient dupeurs ou dupés, tous les personnages de Lisandre et Caliste croient à des mensonges. Tous les héros de cette pièce passent du rôle de feinteur à celui de « feinté ». Ainsi Hyppolite se joue de Lisandre en se faisant passer pour Caliste (V, 1) et lui donne une leçon qu’elle exprime en ces termes :
Que l’on croid aysément tout ce que l’on desire ! (v.1713)
Trahie par Lisandre, Hyppolite reproche à tous les hommes, et en particulier à son interlocuteur, leur inconstance. Hyppolite semble s’adresser à Lisandre et non à Lucidan (v.1591-1592) : le public comprend alors très bien que cette dernière a appris la supercherie dont elle est victime.
Ces lois de l’ostentation et de la dissimulation posent les bases d’un phénomène plus général : l’opposition de l’être et du paraître, « de ce qu’on est et de ce qu’on montre » (J. Rousset). Lisandre aboutit ainsi à une sorte de négation de ce qu’il est, de son être intérieur au profit de son apparence : aussi est-il capable de tenir à Hyppolite des discours amoureux. Lisandre joue un rôle et peut ainsi feindre l’amour sans trahir Caliste. Nous pouvons distinguer finalement deux types de déguisement : un déguisement extérieur qui fait changer le héros ou l’héroïne de condition (Lisandre devient un mendiant puis un messager) ou encore de sexe (Hyppolite et Caliste se travestissent en chevalier) ; et un déguisement intérieur c’est à dire une dissimulation des sentiments (Lisandre face à Adraste et à Hyppolite). Nous pouvons souligner avec J. Rousset que « les opposés se rejoignent dans le travestissement » : la femme devient homme, à tel point (comme nous l’avons vu) qu’elle peut éprouver une confusion sur ses sentiments et sur son véritable sexe. Nous remarquons avec G. Forestier38 que seuls les personnages féminins sont concernés par les relations équivoques, ce qui est le cas dans la pièce puisque seules les femmes se travestissent. En outre, l’attirance homosexuelle ne l’emporte pas sur l’attirance hétérosexuelle : le cœur d’Hyppolite est déjà pris par Lisandre. En outre, cette attirance est bannie du plan visuel. Hyppolite nous rapporte ses impressions après coup sans que le spectateur ait assisté à la scène, cette ambiguïté aurait pu choquer les dames. Le monde apparaît alors comme instable, chancelant et illusoire, s’il suffit de se déguiser pour douter de son identité.
Car il est vrai que le romanesque aime à juxtaposer pour mieux les opposer les thèmes de l’apparence et de la vérité, du doute et de la confiance, de la fidélité et de l’inconstance. Dans Lisandre et Caliste certains de ces thèmes sont personnifiés par des personnages : Lisandre symbolise l’inconstance face à une Hyppolite représentant la fidélité. Ces personnifications permettent à l’auteur d’engager des faces à faces intéressants et porteurs de leçons (V, 1). Le foisonnement des antithèses souligne cette perpétuelle opposition : acte 3, scène 1, Adraste oppose le passé à l’avenir (v.775-780) et tente de concilier deux valeurs contradictoires, amour et raison (v.793-798). Ces figures de l’opposition permettent aux personnages d’exprimer le dilemme qui les tenaille ou leur douleur face à une violente déception (I, 1 : v.15, v.27, v.61-62 ; III, 1 : v.886; IV, 4 : v.1610-1612…).
En outre, comme l’explique J. Rousset, la dissimulation se double d’un phénomène de « déguisement rhétorique »39. La métaphore devient alors la figure représentative par excellence de l’âme baroque. Elle est le point culminant de toute une rhétorique du bien dire qui consiste à ne pas nommer les choses par leurs noms. Elle est un déguisement dont le mérite réside dans la surprise que produit des associations de mots inhabituelles. Du Ryer utilise beaucoup de métaphores qu’il emprunte à une observation scientifique de la nature (v.669-672 : « Un astre enveloppé des voiles d’un nuage / Ne perd rien des clairtez qui sont en son visage; […] » ; v.683-688 ; v.753-754 ; v.787-788) et n’hésite pas à les prolonger longuement, ce qui n’est pas sans lourdeur.
La conception galante qu’a Du Ryer de l’amour ne le porte cependant pas, dans son système métaphorique, vers un monde pétrifié. Il préfère puiser ses images dans un monde mouvementé et vivant. Cependant le dramaturge utilise une rhétorique passionnelle à travers laquelle les personnages expriment leurs sentiments exaltés et cherchent à les faire partager au public. Dans les dilemmes, les longs monologues douloureux, les tirades passionnées, l’auteur n’hésite pas à employer un langage quelque peu outrancier et surchargé. Ces dilemmes appartiennent au genre délibératif. Partagé entre deux sentiments contradictoires, le personnage doit faire un choix. Il présente alors lui-même les arguments et les contre-arguments, comme s’il était à la fois lui-même et un autre. Les personnages, en passant d’une phrase à l’autre, changent brusquement d’idée (v.879-890, v.1073 : « Toutefois ne viens pas, […] »), et dévoilent ainsi leur indécision et leur désarroi face à une situation inattendue. L’étendue des tirades manifeste la violence des sentiments qui animent les personnages et l’énumération, l’anaphore, le parallélisme, l’exclamation, l’interrogation oratoire… en accroissent le pathétique. Du Ryer utilise une rhétorique chargée de clichés : les flammes d’amour, les yeux, la femme divinisée, les comparaisons avec le soleil… expriment l’amour d’une manière précieuse.
Comme de nombreux poètes, il éprouve le désir d’un embellissement emphatique, le besoin d’une célébration solennelle qui passe par l’utilisation outrancière de l’hyperbole et de l’emphase. Elle sert à décrire un état d’âme douloureux (v.265-270 : « Je demande à l’Amour dont j’adore les traces / Qu’il ne se lasse point de m’offrir des disgraces :[…] », v.557-558, v.618, v.868, v.1079-1082…), la beauté de la femme aimée et ses perfections (v.286, v.643-644, v.648 : « La parfaite union de ses plus beaux tresors »…) ou un comportement héroïque surprenant (v.1311 : « Invincible Amazonne, adorable en tous lieux, […] », v.1325, v.1570-1571…). Mais ces métaphores restent banales. La comparaison de la femme aimée avec le soleil revient constamment (v.124, v.253 : « doux soleil de mon ame », v.669, v.671…). Le récit du naufrage permet à Lisandre d’aborder le thème de l’inconstance à travers l’image de l’eau (IV, 3).
Les spectateurs se montrent sensibles aux surprises scéniques, à la rapidité de l’enchaînement des différentes aventures : ainsi tout dans la tragi-comédie se transforme et se met en mouvement. Le romanesque se retrouve dans les métaphores de mouvement qu’il emprunte au monde animal ou végétal, aux eaux mouvantes. Son monde d’images est à la fois animé et concret et le spectacle n’est animé que par ce mouvement. Tout est toujours en devenir, rien n’est figé dans cette stylistique : d’où l’intérêt de Du Ryer pour les dilemmes où nous voyons les sentiments, les résolutions d’un personnage évoluer sous nos yeux (Lisandre : I, 1 ; Caliste : III, 4…).
L’homme comme jouet du destin §
Perdue dans cette effervescence, la destinée humaine pleine de caprice et d’oscillation reflète la construction même de la pièce. Comme le dit J. Rousset:
La destinée dans la tragi-comédie est une fée capricieuse et joueuse, méchante sans cruauté, qui marche en dansant et en ligne brisée, n’accablant l’homme que pour le relever, le jetant de péripéties en péripéties comme une balle dont elle s’amuse40.
Lisandre, Caliste et Hyppolite font la cruelle expérience que rien n’est certain et que tout change ou du moins peut changer. Les héros sentent qu’ils ne sont plus maîtres des événements mais qu’ils sont leurs jouets. Persuadés d’être une « balle perdue entre les mains de dieux espiègles » (J. Rousset), les héros de Du Ryer se laissent porter par leur destinée si capricieuse et s’en remettent souvent au ciel. Ainsi à la scène première de l’acte V, Lisandre se plaint-il du revirement du sort (v.1851-1860). La fortune joue encore des tours à notre héros lors du naufrage qui, s’il paraît malheureux au début, s’avère vite favorable à son bonheur (II, 4 : v.1531-1532). Le roi se montre également prompt à invoquer le ciel dans ses discours (IV, 1 ; V, dernière). Caliste se plaint également à maintes reprises de sa destinée (I, 6 : v.385-388; III, 4 : v.1143-1146…).
Ce comportement les rend particulièrement passifs. Lisandre n’a jamais à prendre son destin en main si ce n’est pour son premier duel, il laisse les autres (Caliste, Hyppolite, Adraste…) ou la bonne fortune (son naufrage heureux…) agir pour lui. Caliste se montre plus active, elle prend des décisions qui visent à influencer sa destinée ou celle de Lisandre (v.1099-1100). Cependant ses projets n’aboutissent jamais (IV, 1). Hyppolite semble réaliser ses désirs jusqu’à ce qu’une tierce personne (Lisandre, Béronte et Lidian…) empêchent leur aboutissement. La notion de mouvement et de changement est renforcée par le fait que Lisandre et Caliste ne sont pas les seuls à être mis en vedette par Du Ryer. Et ce à tel point que nous pourrions considérer Hyppolite comme la véritable et seule héroïne de cette pièce (Cf : Chapitre sur les personnages).
Face à ces caractéristiques romanesques : la dissimulation et l’ostentation ou l’homme considéré comme un jouet du destin, la notion de temps constitue également un thème privilégié des tragi-comédies romanesques.
Le temps §
Du Ryer s’intéresse à l’écoulement du temps et au problème de la durée de l’action comme nous l’avons vu (Cf : Chapitre sur l’irrégularité). Il fait de nombreuses allusions chronologiques qui mettent en évidence cet écoulement du temps (v.110, v.290, v.294, v.313 ; v.390-391, v.404, v.442, v.451, v.522, v.702 ; v.898, v.935, v.994, v.1055 ; v.1645). Or la sensibilité romanesque est très attentive à la valeur du temps, à sa fuite qui constitue un des aspects angoissant du changement, de la transformation et de la métamorphose. Tandis qu’un artiste classique tend à éliminer le temps, à le réduire à un nombre minimum d’heures, la présence du temps est rendue comme sensible dans la tragi-comédie.
La fuite du temps, le déguisement, la dissimulation des sentiments, la puissance de la destinée sur les héros sont des thèmes exploités par Du Ryer dans Lisandre et Caliste. Nous retrouvons dans le style, le traitement des personnages, la thématique, le choix de la tragi-comédie, une tendance certaine de Du Ryer pour une esthétique romanesque. Mais ce goût de l’artifice et du déguisement physique ou bien sentimental, pour l’ostentation, pour le jeu existent également dans les milieux mondains. Comme l’explique J. Rousset « la préciosité est la pointe mondaine du baroque »41. Les mondains aiment la parure et l’affectation et jouent un jeu de société. Lisandre et Caliste représente par certains aspects que nous avons développés le mouvement romanesque, mais nous pouvons également la définir, sans nous contredire, comme une tragi-comédie galante.
… Et galante §
Nous pouvons observer dans les goûts, les manières et le langage d’une certaine élite de la société, le raffinement galant de cette époque. Il inclut un ensemble de comportements sociaux marqués par la convivialité mondaine, l’art de la conversation et l’idéalisation de la femme, mais il correspond également à une esthétique littéraire qui se distingue par un goût de l’expression recherchée.
Une nouvelle conception du sentiment amoureux §
Les mondains s’intéressent dès 1620 à un code de l’amour courtois établi par Pétrarque. Hantés par l’idée de la gloire, de l’honneur, de la vertu et de la suprématie individuelle, les Français trouvaient également dans Plutarque (Les Vies Parallèles, Les Œuvres morales…) les modèles auxquels ils pouvaient s’identifier ou dont ils pouvaient s’inspirer.
La vie de salon en France permet la naissance d’un esprit de société et l’établissement de relations mondaines qui donnent une délicatesse nouvelle aux sentiments et rendent le langage pur. Elle façonne un goût prononcé pour l’élégance et la mesure. Parmi ces salons, nous pouvons compter l’Hôtel de Rambouillet, ouvert dès 1620, et qui jette son vif éclat de 1630 à la Fronde. Mme de Rambouillet (1588-1665) veut mettre en pratique les théories sur l’amour répandues par les romans, et tente de purifier ce sentiment afin d’en faire une passion raisonnable : projet dont nous pouvons retrouver certains aspects dans Lisandre et Caliste lors du discours qu’Adraste adresse à son fils (III, 1). Adraste dépeint l’amour de Lisandre et Caliste sous des jours défavorables (v.785-788 ; 797-798). Il utilise dans sa description de l’amour des termes qui donnent l’image d’un sentiment instable, déraisonnable et infernal, qui possède l’homme malgré lui. Face à ces images d’instabilité, de mensonge et de dissimulation, il oppose la constance de la raison et l’associe à l’accession au bonheur. Adraste condamne une attitude qui se rapproche de l’idéologie baroque, mais cet « amour nécessaire » (v.793), maîtrisé et régi par des lois, n’existe que comme un idéal. La passion de Lisandre s’accorde mal avec le rêve de mesure formulé par son père.
Le raffinement galant se caractérise donc par la recherche d’un amour pur et platonique, il retrouve, à travers les romans de chevalerie, les Amadis, Pétrarque et les Italiens, les traditions chevaleresques de l’amour courtois et galant. Il exalte un idéal féminin : la femme héroïque, et un idéal masculin : l’honnête homme.
Un amour raisonnable §
Pierre Du Ryer témoigne dans sa pièce d’une conception galante du sentiment amoureux dont le pilier essentiel est la raison. Elle est perçue comme la seule force capable d’aider et de soutenir l’homme, même dans son amour. Elle doit être une force assez puissante pour maîtriser la passion et ses transports (III, 1 : Adraste v.793-798).
Une telle conception de l’amour ne semble pas convenir à un amant qui se veut fidèle, constant et, en un mot, parfait (v.880). Car si la raison lui dicte d’épouser une autre dame, il n’écoutera que son cœur et préférera honorer sa maîtresse plutôt qu’une autre. Toutefois, l’aspect spontané et irréfléchi de l’amour de Lisandre et Caliste se transforme dès le moment où le héros, abusant d’Hyppolite (III, 2), devient calculateur et dissimulateur.
Du Ryer exploite pour les héroïnes également, l’aspect passionnel que peut acquérir l’amour mais jamais d’une manière poussée. En effet, si Caliste et Hyppolite se travestissent et se battent pour Lisandre, elles ne sont cependant pas victimes d’une folie amoureuse ou d’une jalousie furieuse qui les entraîneraient à commettre des actes irraisonnés. Cet aspect se dévoile notamment en comparaison avec la source dans laquelle Caliste, passionnément éprise et jalouse, en perd presque la raison. L’amour-passion, avec tout le tumulte, le désordre, l’incohérence de ses éclats, s’est dégradé en amour raisonnable. Cet amour, éprouvé par des femmes, garde un aspect positif : il les pousse à agir et dévoile ainsi beaucoup de leur qualité. Contrairement au héros masculin, les femmes ne se laissent emporter qu’un temps par leurs sentiments et voient rapidement clair dans leur cœur. Elles ne sont aveuglées que momentanément par leurs émotions et retrouvent ensuite une lucidité qui leur permet de prendre de fermes décisions et de s’y tenir (Caliste : v.1109-1114 ; Hyppolite : v.1635-1642). Si elles songent à leur mort comme à un soulagement (v.1107-1108 ; 1167-1170 ; v.1737-1738; 1743-1748), elles désirent l’obtenir en combattant contre les ennemis de leur amant (v.1101-1110 ; 1630-1642). Face à la découverte d’une trahison, elles ne restent pas passives et cherchent à se venger, à punir avant tout. Il aura fallu toutes ces péripéties pour que l’amour de Lisandre se change enfin en un sentiment raisonnable :
Mon Amour tient si fort de l’ame raisonnableQu’il ne peut diviser sa flame incomparable (v.1801-1802)
Une conception idéaliste du sentiment amoureux §
Sentiment maîtrisé ayant la raison pour guide, l’amour n’apparaît plus, au travers de cette conception galante qui refuse les réalités charnelles, que comme le rapprochement de deux esprits. Dans les tragi-comédies, l’amour est l’affaire essentielle, aussi ce genre théâtral renoue-t-il avec les lois du roman courtois, les débordements excessifs de la passion amoureuse en moins. Les personnages se trompent et se réconcilient (Lisandre et Caliste : V, dernière ; Lisandre et Hyppolite : V, 1), s’aiment et résistent à l’amour, toujours dans l’abstraction c’est à dire dans l’uniformité d’une phraséologie galante qui revient dans chaque pièce selon des schémas répétitifs et monotones. Certains parmi les mondains recherchent un sentiment platonique et pur qui rejoint une conception intellectuelle de l’amour. Prédominante à la fin du XIIe siècle, elle ne laissait « aux sens qu’une part secondaire »42 Marsile Ficin ou encore Pétrarque incarnent cette conception qui pour Ficin devient une philosophie du chaste amour, « de la vraie et parfaite amitié »43. On recherche l’amour tout en condamnant la volupté : c’est chez Platon qu’esthétique et éthique se rejoignent pour former l’amour idéal capable d’exalter l’homme et de l’élever. La beauté du corps ne reflète qu’une beauté plus riche et plus pure : celle de l’âme. Les imaginations délicates, blessées par la réalité trop grossière, ont paré de tous les attraits la noblesse et la cour. Les esprits d’élite se complaisaient à cette évocation charmante et se reposaient, par cette élégance raffinée, des brutalités de leur vie quotidienne. La beauté extérieure a son importance car elle flatte la vue et provoque l’admiration de tous les hommes. L’amour entre en eux par les regards (Du Ryer fait d’ailleurs de nombreuses allusions aux yeux dans sa pièce) mais ce n’est que par la connaissance précise et éclairée des vertus de la dame et de ses mérites que se consolide ce sentiment. Comme un venin, la beauté de la dame pénètre par l’œil dans l’âme de l’amant; aussi aimer d’un amour réciproque c’est donner son âme en échange de celle de l’autre. Ainsi l’amant s’émerveille devant la beauté intérieure et extérieure, il la craint et la révère. Les évocations de Caliste par Lisandre témoignent parfaitement de cette idée (I, 1; II, 5 ; V).
Une conception idéaliste de la femme §
L’idéalisme de Du Ryer se découvre à la fois dans sa conception de l’amour et dans sa conception de la femme. Les théories de Platon qui donnent à la beauté une origine divine, Pétrarque avec Laure ou Ronsard avec Cassandre, ont tous contribué à faire de la femme un objet de culte. Du Ryer reprend cette conception et exalte la femme comme un être d’une essence supérieure, comme une maîtresse absolue. Nous avons d’ailleurs relevé dans les notes de nombreuses assimilations de Caliste à une déesse dans les discours de Lisandre (v.58 ; v.657 : « Caliste et ses vertus divinement escloses » ; v.664 ; v.691…) aussi bien que dans ceux d’Hyppolite (v.1820). Les femmes sont mises en valeur, elles défendent une conception de l’amour où le respect qu’on leur porte joue un rôle essentiel : elles deviennent les reines du monde, des divinités qu’on honore. L’adoration vouée à la femme est une image de celle que l’on voue à Dieu. Une femme attire, plaît et retient par ses charmes qui ne sont jamais détaillés en énumération. Ce pluriel englobe et résume tout, de façon vague et discrète. Il rime en outre avec des mots qui peuvent susciter des associations d’idées émouvantes ou frappantes : alarmes (v.885-886… ), larmes (v.1077-1078…), armes (v.1573-1574…), etc.
Leur délicatesse naturelle, facile à blesser, les rend sensibles, même au menus détails : costumes, langage, manière. Elles observent et voient tout, saisissent promptement une lacune, un excès, un ridicule. Cette perspicacité s’illustre dans le personnage d’Hyppolite : elle a rapidement saisi, et ce malgré son amour, que Lisandre était un faible. Juge intransigeant, Hyppolite ne se laisse pas convaincre par la tentative de justification de son amant, faisant alors preuve d’une grande lucidité et d’une grande force de caractère (v.1791-1796). Aussi les femmes deviennent-elles à la fois les modèles et les juges du bon goût. Leur influence, dont nous avons parlé, sur les mœurs de l’époque et finalement sur les hommes s’illustre dans cette scène où Hyppolite donne à Lisandre une leçon de générosité et de sincérité que ce dernier ne manquera pas de retenir. Il était donc nécessaire de leur plaire pour réussir dans le monde.
La femme se retrouve, par certains aspects, assimilée à un homme : dans les romans (Héliodore : Théagène et Chariclée, D’Audiguier : Histoire tragi-comique de notre temps…) ou dans les tragi-comédies (Rotrou : La Belle Alphrède, Du Ryer : Lisandre et Caliste). Un type y apparaît constamment : la jeune fille qui joint à une beauté adorable une force physique insolite. Les femmes suscitent, dans les romans ou dans les tragi-comédies, l’« admiratio », la sympathie et le désir de les imiter. Elles font preuve d’une grande fidélité, du souci porté au plus haut point de leur honneur : aucun mérite ne justifierait un abandon au sens, une tache à leur gloire. Elles ne connaissent donc dans ce domaine ni concession, ni transaction. Comme l’explique P. D. Huet :
En France, les dames vivent sur leur bonne foi, et n’ayant point d’autre défense que leur vertu et leur propre cœur, elles s’en sont fait un rempart plus fort et plus sûr que toutes les clefs, que toutes les grilles, et que toute la vigilance des duègnes […]44.
Cette exaltation de l’image de la femme implique que l’amant soit absolument fidèle à la maîtresse qu’il a choisie et à laquelle il doit respect et obéissance.
Les hommes ont été obligés d’attaquer ce rempart par les formes, et ont employé tant de soin et d’adresse pour le réduire, qu’ils s’en sont fait un art presque inconnu aux autres peuples45.
Ses mots d’ordre sont la discrétion et la réserve quelle que soit la force de son amour. Il ne pourra prononcer aucune parole, ni accomplir aucun acte qui compromettent l’honneur de sa dame. Comme le dit M. Magendie : « ce respect est une des premières ordonnances d’amour »46. Cet aspect se retrouve dans Lisandre et Caliste à la scène 4 de l’acte 1 dans un dialogue entre les deux héros (v.257-282). Du Ryer s’adapte à un nouveau type de société fait de délicatesse, où l’homme se montre respectueux envers la femme et utilise un langage plus châtié.
Un langage galant §
La langue est épurée, le désir de se distinguer mène souvent les poètes galants à l’abstraction. Selon G. Reynier :
Les précieux et les précieuses de la grande époque n’ont fait que reprendre, avec plus d’aisance et un souci nouveau de la pureté et de la délicatesse, le langage figuré en faveur au commencement du siècle47.
La délicatesse du goût exige des métaphores et des périphrases pour exprimer les sentiments. Images et métaphores qui sont parfois prolongées à l’excès (v.667-668, Orante est reprise par Lisandre v.669-674 et encore v.677-682). Lisandre et Caliste témoigne du désir qu’a Du Ryer de rendre son art utile et d’en faire, dans une moindre mesure, un exemple de morale à suivre. Cet aspect est suggéré par l’emploi fréquent des sentences et maximes : ces lieux explicites se présentent comme des arguments tout faits. Le goût pour la poésie morale et didactique persiste dans la première moitié du XVIIe siècle durant laquelle les Français aiment encore recevoir des enseignements moraux. Aussi le public du XVIIe siècle apprécie-t-il de trouver au théâtre des sentences, comme l’explique Hardy en 1628 : « [...] le secret de l’art est un grave mélange de belles sentences qui tonnent en la bouche de l’acteur et résonnent jusqu’en l’âme du spectateur »48. Comme Honoré D’Urfé ou Georges de Scudéry, Hardy estime que la sentence a pour objet essentiel de plaire mais qu’elle peut aussi se montrer utile. Du Ryer suivra l’exemple de son aîné sur ce point. Corneille et D’Aubignac les justifient par leur valeur morale puisqu’elles contribuent à enseigner la vertu. Leur intérêt réside surtout dans leur adaptation à la situation particulière où elles sont employées. Expression d’une idée générale et abstraite, la sentence proclame une loi qui peut toucher le domaine de la morale (v.1189-1190 : « La mort n’est pas un mal qui ne trouve point d’ayde, / L’honneur qui fait revivre en est le vray remede. »…), de la politique (v.1877-1880…), de l’expérience commune (v.723-726…), le bon sens (v.739-742, v.757-758…) ou autre. Elle constitue un discours absolu et autonome, elle passe pour une parole de vérité, pour un discours d’un niveau universel. Elle se caractérise grammaticalement par une forme impersonnelle, sans lien avec les personnages de la pièce, au présent dit « historique » . Elle est contenue dans une phrase complète et n’est rattachée par aucun adverbe, aucune conjonction… à son contexte. Les noms, les pronoms et les compléments qui y figurent lui donnent une portée générale.
Du Ryer les emploie volontiers pour exprimer ses conceptions de l’amour (v.787-788, v.871-872 : « Tous les commandements que l’on nous fait d’aymer / En esteignent l’envie au lieu de l’enflammer. », v.881-882…), de l’amitié (v.825-826, v.831-832…), de la calomnie (v.665-668…)…
Les aspects négatifs du sentiment amoureux §
Selon Charron, la passion perçue comme un tourment pour l’homme constitue un thème qui connut une grande fortune littéraire. Puisque chaque amant possède l’âme de l’autre, celui qui se sent moins aimé croit mourir (Caliste : v.1078-1080, v.1451-1458 ; Hyppolite: v.1729-1730). L’amour implique également la perte de sa liberté, de son indépendance comme le déclare Hyppolite (III, 2 : v.916-920). Même si cette disparition paraît agréable (III, 2 : v.925-926), elle crée un lien de dépendance qui entraîne souvent la douleur. Aussi découvrons-nous un paradigme d’anti-valeurs tout au long de la pièce où l’amour devient un synonyme de larmes, de souffrances, de désir de vengeance ou de mort. Ainsi dans les monologues de Caliste (III, 4 ; IV, 2) et d’Hyppolite (IV, 4), les deux héroïnes se plaignent-elles de l’hypocrisie de Lisandre. Elles projettent de désespérer le perfide par leur mort. Ces deux amoureuses, l’une en voulant mourir de la main de son amant volage (Hyppolite), l’autre désirant mourir en combattant pour lui, veulent se venger judicieusement et frapper fort. Machiavéliques, elles ne se contentent pas de désespérer leur amant par leur simple disparition. Que Lisandre soit la cause directe ou indirecte de leur mort leur semble un projet de vengeance beaucoup plus cruel et donc plus satisfaisant. Caliste recherche une mort « officielle », résultat d’une action en justice et qui dévoilerait à la face du monde l’inconstance de son amant (v.1103-1104).
La douleur causée par la déception amoureuse reste présente et active. Caliste se plaint de l’infidélité de Lisandre au cours d’un monologue où éclate toute son amertume (III, 4), la déception d’Hyppolite se dévoile au cours d’un dialogue avec Lucidan (IV, 4). Ces deux héroïnes sont profondément touchées de l’inconstance de Lisandre et peu enclines à lui pardonner. Malgré les explications du valet de Lisandre, Caliste déclare :
Tes raisons paraistroient plus fortes que ma flameAvant que d’arracher le soupçon de mon ame. (v.1153-1154)
Hyppolite, quant à elle, reste lucide face à Lisandre et refuse d’excuser son attitude :
Vostre infidelité ne se peut excuser,Vous pouviez bien me voir et non pas m’abuser… (v.1791-1792)
Désespoir qui peut aller jusqu’à l’envie de mourir afin de punir l’amant infidèle: Caliste (v.1105-1114) ou Hyppolite (v.1731-1736). On observe une complaisance chez l’être qui souffre à se dire plus malheureux qu’il n’est en réalité : d’où les nombreuses hyperboles qu’utilisent Du Ryer pour peindre la douleur de Caliste (v.1437-1438 ; v.1440-1458), ou de Dorilas (v.556-567 ; v.617-618 : « […] ; ô deitez supremes / Donnez quelque relàche à mes ennuis extremes » ; v.714-715).
L’aspect illégitime de l’amour de Lisandre pour Caliste n’apparaît qu’au premier acte de la pièce (I, 1 : v.1-36 puis v.49-58 ; I, 6 : v.341, v.347-354). Il est vrai que la mort de Cléandre rend leur amour possible, cependant, non seulement il n’est nullement question de deuil, mais la brutalité avec laquelle Caliste change de sentiment surprend. Les deux héros s’affichent comme des amants dès l’emprisonnement de Caliste (II, 3) et la question de la légitimité de leur passion ne se pose plus. Du Ryer s’attache en effet à faire de leur amour un sentiment idéalisé et donc loin de toute amoralité (Cf : note 44).
Les auteurs dramatiques se sont montrés très intéressés par les préliminaires de l’amour, par les problèmes qu’il pose aux amants, suivant en cela la tradition des romans d’aventures et de mœurs modernes de l’époque. Du Ryer nous présente dans Lisandre et Caliste des personnages tourmentés par un amour aux traits galants et précieux : plus raisonnable que celui de l’amour courtois, intellectuel et idéalisé plutôt que charnel. Le succès d’une telle conception du sentiment amoureux va de pair avec la nouvelle conception que le XVIIe siècle se fait de la femme.
Honnêteté et galanterie impliquent un certain type de héros et d’héroïne, une certaine conception de l’amour mais aussi un certain type de langage et de style. Romans et tragi-comédies tiraient leur succès d’une idéalisation des personnages et de leurs sentiments, et s’éloignaient ainsi de la grossièreté, du pittoresque du langage de Rabelais, de Montaigne… Les écrivains du premier tiers du XVIIe siècle passent à un langage abstrait, métaphorique et imagé.
Lisandre et Caliste peut être définie comme une tragi-comédie galante dans la mesure où son auteur se trouve influencé par l’idéologie qui régnait dans les salons. La galanterie de Du Ryer se révèle essentiellement dans sa conception de la femme qu’il divinise totalement, dans l’honnêteté dont font preuve tous les personnages masculins, dans sa conception de l’amour et dans certains aspects de son style.
Les critères d’une œuvre baroque se définissent par les notions d’instabilité, de mobilité et de métamorphose. Le Baroque, esthétique du changement, de la luxuriance et d’une certaine liberté attire les auteurs de la nouvelle génération qui voient dans la tragi-comédie un genre libre. Ils considèrent cette liberté comme un enrichissement, comme la promesse d’expériences intéressantes. Cependant si beaucoup de critères d’appartenance au mouvement baroque se retrouvent dans Lisandre et Caliste, ils ne sont pas suffisamment essentiels et nombreux pour la classer comme telle. Ces caractéristiques correspondent plus au désir qu’a Du Ryer de plaire à son public et de suivre le goût de l’époque, qu’à une volonté marquée de l’auteur d’affirmer son appartenance à ce mouvement. Malgré des traits communs, Baroque et Préciosité s’opposent plus qu’ils ne se rejoignent. Le Baroque est « l’unité mouvante d’un ensemble multiforme » (J. Rousset), définition pour le moins large d’un phénomène immense encore mal dominé. Aussi avons-nous préféré nuancer et définir notre pièce non comme l’alliance du Baroque et de la Préciosité, mais comme l’alliance du romanesque et de la galanterie.
Le texte de la présente édition §
Établissement du texte §
Pour l’établissement du texte de Lisandre et Caliste de 1632, nous nous sommes livré aux rectifications suivantes :
- – nous avons distingué i et u voyelles de j et v. consonnes, conformément à la règle adoptée par certains dès le milieu du XVIIe ;
- – nous avons décomposé les voyelles nasales surmontées d’un tilde en voyelle + consonne, les ß en ss ;
- – nous avons supprimé quelques erreurs manifestes dues à l’imprimeur.
Nous avons gardé la ponctuation primitive, sauf dans de rares cas où elle semble fautive, notre but étant de restituer le côté orale de la ponctuation de l’époque, employée surtout pour le rythme qu’elle pouvait conférer à la phrase.
Les éditions originales de la pièce donnaient les indications scéniques en marge. Ne pouvant conserver cette disposition, nous les avons disposées, selon l’usage moderne, en italique dans le texte.
Les notes de bas de page indiquant les variantes se réfèrent toutes à la réédition de Lisandre et Caliste datant de 1634 par Pierre David.
Rectifications §
Nous exposons ci-dessous une liste des erreurs et coquilles remarquées et corrigées dans les textes que nous proposons :
I. D. §
Ligne 2 a
Extraict du Privilège du Roy §
Ligne 22 trene
Argument §
Lignes 13, 15, 16, 18, 36 a / 25 Lon
Lisandre et Caliste §
Vers 13 Puisje / 35 atoute heure / 73 Cest / 94 à marié / 100 maymes / 136 Destre / 142, 690, 733, 1268 quelle / 197 men / 277 sainct / 340, 752 lon / 347 apppris /381, 1526, 1610 aveques / 390 n’avoit/ 400 lor / 401 largent / 403 ma promis / 503 me la dit / 631 il la ruiné / 678 alume / 824 extrêmes / 888, 1353, 1524, 1868, 1941 extréme / 939 sont / 1012 toute a l’heure et faict / 1033 E / 1106 indicrets / 1118 ma chargé / 1120 décrit / 1128 qu’elle / 1143 ames / 1191 l’auriers / 1207 Quil / 1238 l injure / 1257 Le travailles / didascalie p87 Hipolite, 846, 890, 921 hyppolite / 1328 de leurs ames / 1417 ce peu de bien / 1551 r’asseure / 1590 empruntéz / 1601 Ma montré / 1609 ny / 1869 pl9 / 1881 peule .
Acte II, scène 4 LIDIAS .
Acte III, scène 3 LIDIAN (répété après v. 1003)
Nous avons introduit les accents diacritiques toutes les fois qu’ils étaient nécessaires :
- – pour le a : vers 40, 57, 80, 108, 136, 138, 183, 195, 242, 250, 265, 268, 295, 338, 340, 344, 356, 374, 378, 394, 407, 410, 449, 457, 458, 465, 469, 482, 488, 489, 501, 520, 525, 531, 534, 576, 589, 618, 621, 656, 680, 685, 688, 701, 731, 735, 739, 765, 767, 786, 816, 838, 839, 840, 855, 862, 875, 878, 882, 896, 903, 922, 927, 931, 945, 963, 1029, 1045, 1073, 1110, 1121, 1150, 1151, 1158, 1175, 1180, 1206, 1211, 1234, 1249, 1306, 1317, 1319, 1321, 1337, 1341, 1351, 1364, 1383, 1386, 1401, 1440, 1447, 1455, 1456, 1469, 1492, 1535, 1578 (2), 1585, 1607, 1718, 1741, 1846, 1858, 1899, 1933. Page 36 (didascalie).
- – pour le ou : vers 35, 38, 44, 45, 48, 67, 73, 110, 111, 129, 158, 174, 177, 186, 206, 306, 342, 365, 371, 382, 404, 413, 419, 444, 506, 507, 508, 530, 548, 603, 673, 783, 826, 832, 897, 976, 1027, 1028, 1040, 1089, 1176, 1191, 1265, 1335, 1366, 1442, 1448, 1451, 1459, 1465, 1472, 1498, 1520, 1566, 1569, 1608, 1624, 1637, 1664, 1666, 1684, 1809, 1831, 1840, 1926, 1945.
Nous avons supprimé les accents diacritiques introduits à la suite d’une erreur d’impression : pour le à : vers 1387, 1716, 1914.
Les éditions de Lisandre et Caliste §
Du Ryer Pierre, Lisandre et Caliste, Tragi-comédie : Par le Sr du Ryer. Paris, Pierre David, 1632. In-8, VIII f. - 137-I I I p.
(I) LISANDRE / ET / CALISTE / TRAGI-COMEDIE / Par le Sr. DU RYER. / [ vignette] / A PARIS, / Chez PIERRE DAVID, au palais sur / le petit Perron de la grand’Salle du / costé des Consultations. / M. DC. XXXII. / AVEC PRIVILEGE DU ROY.
(II) verso blanc
(III - IV) A MADAME, / MADAME / LA DUCHESSE DE / LONGUEVILLE. (épître dédicatoire).
(V. - VI) A / MONSIEUR DU RYER, / SUR SON LIVRE. / STANCES. (compliment de Simon Basin sur la pièce) .
(VI) A L’AUTEUR / SUR SON LIVRE. (compliment d’Isaac Du Ryer sur la pièce).
(VII) Extraict du Privilege du Roy. (avec l’achevé d’imprimé au 5 août 1632).
(VIII) verso blanc
(IX - X) A SON AMY DU RYER / SUR SON LIVRE. (compliment de Colletet sur la pièce).
(X) A SON AMY DU RYER / SUR SON LIVRE. (compliment de Villeneuve sur la pièce).
(XI - XIII) ARGUMENT.
(XIV) LES ACTEURS.
_ 137 pages (le texte de la pièce).
Paris, Bibliothèque Nationale : 8 Yth. 10248 (1) et Yf. 685 z ; Londres, Bibliothèque du British Museum : 86. a. 2. (3.) ; Bibliothèque de l’Arsenal : 4 BL 3433 (1) et Rf. 6084 ; Harvard University : *FC 6 _ D 9398 _ 632 La.
Du Ryer Pierre Lisandre et Caliste, Tragi-comédie : Par le Sr du Ryer, Paris, Pierre David, 1634. In-8, VIII f. - 134 p.
(I) LISANDRE ET CALISTE / TRAGI-COMEDIE / Par le Sr. DU RYER. / [vignette] / Joute la copie imprimée / [fin de la vignette] / A PARIS. / Chez PIERRE DAVID, au Palais, / sur le petit Perron de la grand’Salle du / costé des Consultations. / M. DC. XXXIV. / Avec permission des Seigneurs.
(II) verso blanc.
(III - V) A MADAME, / MADAME / LA DUCHESSE de Longueville. (épître dédicatoire).
(VI - VII) A MONSIEUR / DU RYER / STANCES.
(VII) A L’AUTEUR, / sur son Livre.
(VIII - IX) A SON AMY DU RYER, / sur son Livre.
(IX) A SON AMY DU RYER, / sur son Livre.
(X - XIII) ARGUMENT.
(XIV. - XV) ACTEURS / [vignette].
_ 134 pages (le texte de la pièce).
Grenoble, Bibliothèque Municipale : E. 29552.
LISANDRE ET CALISTE
TRAGI-COMEDIE §
EPISTRE
A MADAME,
MADAME LA DUCHESSE DE LONGUEVILLE49 §
MADAME, depuis que j’ay fait le dessein de vous faire voir de mes ouvrages, je l’ay cent fois quitté, & cent fois je l’ai repris ; vos vertus, qui ne vous font avoir que de haultes & serieuses pensees, m’en ostoient la hardiesse, & votre bonté, qui vous fait jetter les yeux sur les plus petites choses, me la rendoit au mesme instant. Mais en fin ayant consideré que les regles et les preceptes de la plus severe vertu ne deffendent pas les honnestes50 divertissemens, je me suis facilement persuadé que Caliste pouvoit paraistre devant vous. C’est elle, MADAME, qui vous vient entretenir de ses traverses* et qui vous demande apres toutes ses peines une place dans vostre cabinet pour y reposer seurement. Si elle tente de cette façon la derniere et la plus difficile de ses aventures, au moins elle a cette asseurance que c’est la plus glorieuse, et que si les autres luy ont fait aquerir l’estime d’un peuple entier, celle cy luy fera sans doute avoir des applaudissemens de tout le monde. L’on jugera de son merite par l’accueil que vous luy ferez, et pour moy j’auray subjet de croire que je vaux quelque chose si vous faites estat du dessein que j’ay de vous divertir*, et de paraistre51.
MADAME,
vostre tres-humble et tres-obeissant serviteur.
DU RYER
A
MONSIEUR DU RYER,
SUR SON LIVRE.
STANCES §
SIMON BASIN52 Conseiller et Ausmonier de leurs Majestés.
A L’AUTEUR
SUR SON LIVRE. §
I. D.53
Extraict du Privilège du Roy. §
Par grace et Privilege du Roy, Il est permis à Pierre David marchand Libraire à Paris, d’imprimer ou faire imprimer un livre intitulé Lisandre et Caliste Tragicomédie, & ce pendant six ans à compter du jour que ledit livre sera achevé d’imprimer, & cependant deffences à tous Libraires, Imprimeurs tant de ce Royaume qu’autres estrangers, d’imprimer, vendre ny distribuer ledit livre ny partie d’iceluy, sinon de l’impression qu’auroit fait faire ledit David, ou autres ayans droit & authorité de luy, à peine de mil livres d’amande & de confiscation des exemplaires, & de tous despens, dommages & interests, comme plus à plain est porté dans ledit Privilege, à la charge que ledit exposant mettra deux exemplaires en nostre Bibliotheque. Donné à Paris le XX. jour de Juillet de l’an de grace mil six cens trente deux, et de nostre regne le vingt troisiesme. Par le Roy en son Conseil,
OLIER.
Achevé d’imprimer le cinquiesme jour d’Aoust mil six cens trente deux.
A
SON AMY DU RYER
SUR SON LIVRE. §
COLLETET 54.
A SON AMI DU RYER
SUR SON LIVRE. §
VILLENEUVE55.
ARGUMENT. §
Apres quelques accidens, qui seront peut-estre plus agreables dans la lecture des vers que dans celle d’un argument qui doit estre court, Cleandre mary de Caliste est tué de l’espee mesme de Lisandre qui aymoit Caliste. Elle est accusee d’avoir conspiré cette mort & mise prisonniere en mesme temps. Lisandre en est adverty & après l’avoir retirée de prison par le moyen du Geolier, & l’avoir rendue à ses parens, il s’en retourne chez les siens où son pere le veut marier avec Hyppolite : Mais il fait en sorte qu’il abandonne son pays, afin que le respect & l’obeissance, qu’on est obligé de rendre à ceux de qui l’on tient la vie, ne fut point cause qu’il manquast de fidelité à Caliste qui l’aymoit.Cependant Lucidan l’accuse d’avoir lâchement tué Crisante & [p. XII ] Cloridan ; mais Lidian son amy & frere de Caliste obtient du Roi qu’il se viendra purger par un combat de cette lacheté dont on l’accuse. Il va donc chez Adraste pere de Lisandre, à qui il compte le sujet de sa venuë. Adraste ayant entendu le rapport de Lucidan se resout56 de venir luy mesme soustenir l’innocence de son fils. Hyppolite, qui aymoit Lisandre, fait le mesme dessein sans le communiquer à personne, & Caliste à qui l’on avoit dit que Lisandre aymoit Hyppolite, desesperee de cette nouvelle se resout de se battre afin de mourir au combat ; Lisandre lui escrit mais elle n’adiouste point de croyance à ses lettres. Elle luy respond, & commande à celuy qui devoit porter la response de ne point partir sans avoir veu ce qui se feroit au combat, ou Hyppolite seulement sans estre cogneuë pour fille se battit contre Lucidan (qui en devint amoureux quelques temps apres). Caliste l’ayant veuë se retire desesperee, & cepandant l’on recognoit l’innocence de Lisandre en ce qui touchoit Crisante et Cloridan, & le Roy sçachant que la mort de Cléandre empeschoit Lisandre et Caliste de paraistre declare qu’il veut estre leur juge & leur donne la cour pour prison. L’on cherche Caliste, on la trouve, elle contracte amitié avec Hyppolite contre l’opinion de tout le monde, & pour luy tesmoigner qu’elle luy cedoit en tout [p. XIII] elle luy fait present de ses armes. Mais Hyppolite faschee de voir Caliste plus belle qu’elle, en devient jalouse, et se retire de la cour afin de chercher Lisandre couverte des armes de Caliste, elle le rencontre accompagné du meurtrier de Cleandre ; Lisandre au rapport de son valet la prend pour Caliste & n’est pas si tost detrompé qu’il est une autre fois abusé, car il se bat contre elle pensant que ce soit Lucidan. Mais en fin il la recognoit, elle luy reproche son infidelité, Lisandre s’excuse si bien qu’elle en a pitié & luy promet de ne le point troubler en ses premieres amours, & qu’au contraire elle le servira ; Il passe en mesme temps un courrier de qui l’on apprend qu’un nommé Varasque doit vanger par un combat la mort de Cleandre dont on accuse Lisandre & Caliste. De sorte que cela oblige Lisandre & Hyppolite à se rendre promptement à la cour, ou par la deposition de celuy qui avoit tué Cleandre l’on est asseuré de l’innocence de Lisandre & Caliste, dont le Roy fait luy mesme le mariage, ainsi que celuy d’Hyppolite & de Lucidan.
LES ACTEURS57 §
- LISANDRE Amoureux de Caliste
- CRISANTE Amy de Cloridan
- LEON Amoureux de Clarinde
- CLARINDE Suivante58 de Caliste
- BERONTE Frere de Cleandre
- ALCIDON Amy de Lisandre
- CLEANDRE Mary de Caliste
- CALISTE
- LE BOUCHER
- LA BOUCHERE
- LE GEOLIER du petit Chastelet
- DORILAS Pere de Caliste
- ORANTE Mere de Caliste
- ADRASTE Pere de Lisandre
- LIDIAN Frere de Caliste et amy de Lisandre
- HYPPOLITE Amoureuse de Lisandre
- LE ROI
- LUCIDAN Amy de Crisante et de Cloridan
- VARASQUE Amy de Cleandre
- LE VALET de Caliste
- UN PAGE
- UN COURRIER
ACTE PREMIER §
SCENE PREMIERE §
LISANDRE59
CRISANTE
LISANDRE
CRISANTE
LISANDRE
CRISANTE
LISANDRE
CRISANTE
LISANDRE
SCENE DEUXIESME §
LEON
CLARINDE
LEON
CLARINDE
LEON
CLARINDE
LEON
J’y viendrois ma chere AmeCLARINDE
PAGE
CLARINDE
LEON
BERONTE
LEON
BERONTE
SCENE TROISIESME77 §
CRISANTE
LISANDRE
CRISANTE
CRISANTE
LISANDRE
BERONTE
LEON
CRISANTE
CRISANTE
BERONTE
CRISANTE
LEON
CRISANTE
BERONTE
CRISANTE
LEON
CRISANTE
BERONTE
CRISANTE
LEON
BERONTE revient
LEON
SCENE QUATRIESME §
CLEANDRE
LISANDRE
CLEANDRE
LISANDRE
CALISTE
CLEANDRE
LISANDRE
CALISTE
LISANDRE
CALISTE
LISANDRE
CALISTE
LISANDRE
CALISTE
LISANDRE
CALISTE
LISANDRE
CALISTE
LISANDRE
CLEANDRE revient
LISANDRE
SCENE CINQUIESME §
BERONTE
ALCIDON
BERONTE
SCENE SIXIESME §
LEON
CLARINDE
CLARINDE
LEON
CLARINDE
LEON
CALISTE
CLEANDRE
CALISTE
BERONTE
ALCIDON
BERONTE
CALISTE
BERONTE
CLARINDE
BERONTE
CALISTE
BERONTE
ALCIDON
ACTE SECOND §
SCENE PREMIERE §
LISANDRE
ALCIDON
LISANDRE
ALCIDON
LISANDRE
ALCIDON
LISANDRE
ALCIDON
LISANDRE
ALCIDON
LISANDRE
ALCIDON
LISANDRE
ALCIDON
LISANDRE
ALCIDON
SCENE DEUXIESME §
LE BOUCHER
LA BOUCHERE
LE BOUCHER
LA BOUCHERE
LE BOUCHER
LA BOUCHERE
LE BOUCHER
LA BOUCHERE
LE BOUCHER
LA BOUCHERE
LA BOUCHERE
LISANDRE
LA BOUCHERE
LISANDRE
LE BOUCHER
LISANDRE
LE BOUCHER
LISANDRE
LE BOUCHER
LA BOUCHERE
SCENE TROISIESME §
LISANDRE à la fenestre du Boucher.
CALISTE en prison.
CALISTE
LISANDRE
CALISTE
LISANDRE
CALISTE
LISANDRE
CALISTE
LISANDRE
CALISTE
LE GEOLIER
LISANDRE
LE GEOLIER
LISANDRE
LE GEOLIER
LISANDRE
LE BOUCHER
LISANDRE
LISANDRE
CALISTE, en sortant de prison donne au geolier un brasselet.
LISANDRE
LE GEOLIER
LISANDRE
SCENE QUATRIESME §
LIDIAN
SCENE CINQUIESME §
DORILAS
ORANTE
DORILAS
ORANTE
PAGE
DORILAS
LISANDRE, desguisé en messager .129
LISANDRE, en messager .
DORILAS
LISANDRE
ORANTE
DORILAS
LISANDRE
DORILAS
ORANTE, apres avoir leu la lettre.
LISANDRE
LISANDRE
ORANTE
LISANDRE
ORANTE
LISANDRE
ORANTE
LISANDRE
ORANTE
LISANDRE
LISANDRE
ORANTE
LISANDRE
ORANTE
LISANDRE
ORANTE
DORILAS
ORANTE
DORILAS
LISANDRE
DORILAS
LISANDRE
DORILAS
LISANDRE
DORILAS
ORANTE
DORILAS
ORANTE
DORILAS
ORANTE
DORILAS
ORANTE
DORILAS
ACTE TROIS §
SCENE PREMIERE §
ADRASTE
LISANDRE
ADRASTE
LISANDRE
ADRASTE
LISANDRE
LISANDRE
ADRASTE
LISANDRE
ADRASTE
LISANDRE
LISANDRE, seul .
SCENE DEUXIESME §
HIPPOLITE. Seule.
HYPPOLITE
LISANDRE
HYPPOLITE
LISANDRE
HYPPOLITE
LISANDRE
HYPPOLITE
LISANDRE
HYPPOLITE
LISANDRE
HYPPOLITE
LISANDRE
HYPPOLITE
LISANDRE
HYPPOLITE
LISANDRE
HYPPOLITE
LISANDRE
SCENE TROISIESME §
ADRASTE
LIDIAN
ADRASTE
LIDIAN
ADRASTE
LIDIAN
ADRASTE
LIDIAN
ADRASTE
LIDIAN
ADRASTE
PAGE
ADRASTE
PAGE
ADRASTE
PAGE
ADRASTE
LIDIAN
ADRASTE, ayant leu la lettre.
LIDIAN
ADRASTE
LIDIAN
ADRASTE
LIDIAN
ADRASTE
SCENE QUATRIESME §
CALISTE seule.
LE VALET
CALISTE
LE VALET, à l’escart.
CALISTE, en lisant la lettre.
LE VALET, à l’escart .
CALISTE, ayant lu la lettre.
LE VALET
CALISTE
LE VALET
CALISTE
Pourquoy donq ?LE VALET
CALISTE
LE VALET
CALISTE
LE VALET
CALISTE
LE VALET
CALISTE
LE VALET
CALISTE
ACTE QUATRE §
SCENE PREMIERE §
LE ROY183
LUCIDAN armé.
LE ROY
ADRASTE armé et couvert d’un casque.
LUCIDAN
LE ROY
ADRASTE
LE ROY
CALISTE armée, et couverte d’un casque à l’escart.
LE JUGE de camp parle à l’enfant.
CALISTE voyant que l’on n’a pas tiré sa marque.
HIPPOLITE armée et couverte d’un casque.192
LE ROY parlant à Hyppolite.
LUCIDAN
HIPPOLITE
LE ROY
LUCIDAN
LE JUGE de camp.
HIPPOLITE
LE ROY
LE JUGE de camp.
BERONTE
LUCIDAN
BERONTE197
LE JUGE de camp parlant à Lucidan.
LUCIDAN
LE JUGE de camp
LE ROY
ADRASTE
CALISTE
LUCIDAN
LE ROY
HIPPOLITE
LE ROY
LUCIDAN
LE ROY
LUCIDAN
LE ROY
BERONTE
ADRASTE
LE ROY
LUCIDAN
LIDIAN
LE ROY
BERONTE
LE ROY
DORILAS
LE VALET de Lisandre.
LIDIAN
LE VALET
DORILAS
LE VALET
LE VALET
SCENE DEUXIESME §
CALISTE seule vestuë en homme.
LIDIAN
CALISTE
CALISTE
LIDIAN
CALISTE
LIDIAN
CALISTE
LIDIAN
CALISTE
LIDIAN
CALISTE
LIDIAN
SCENE TROISIESME216 §
LISANDRE accompagné d’un pilotte.
LEON
LISANDRE
LEON
LISANDRE
LEON
LISANDRE
LEON
LISANDRE
SCENE QUATRIESME §
LUCIDAN
HIPPOLITE armée et vestuë en homme.
LUCIDAN
HIPPOLITE
LUCIDAN
HIPPOLITE
LUCIDAN
HIPPOLITE
LUCIDAN
HIPPOLITE
LUCIDAN
HIPPOLITE seule .
ACTE CINQ §
SCENE PREMIERE §
LISANDRE
LE VALET
LISANDRE
HYPPOLITE sous les armes de Caliste.
LISANDRE
HIPPOLITE
LISANDRE
HYPPOLITE à l’escart.
LISANDRE
HYPPOLITE
LISANDRE
HYPPOLITE
LISANDRE
HYPPOLITE
LISANDRE
HYPPOLITE
LISANDRE
HYPPOLITE se descouvre.238
LISANDRE
HYPPOLITE
LISANDRE
HYPPOLITE
LISANDRE
HYPPOLITE
LISANDRE
HYPPOLITE
LISANDRE
HYPPOLITE
LISANDRE
HYPPOLITE
LISANDRE
LE COURRIER
LISANDRE
COURRIER
LISANDRE
LISANDRE
COURRIER
LISANDRE
COURRIER
LISANDRE
HYPPOLITE à l’escart .
LISANDRE
HYPPOLITE
LISANDRE
SCENE DERNIERE §
LE ROY
ADRASTE
HYPPOLITE accompagnée de LISANDRE et de LEON.
LEON
CALISTE
DORILAS
LE ROY
HYPPOLITE en descouvrant Lisandre.
CALISTE en voyant lisandre.
LISANDRE
LE ROY
VARASQUE
ADRASTE
DORILAS
ADRASTE
LISANDRE
LE ROY
LISANDRE
CALISTE
LE ROY
ADRASTE
DORILAS
LISANDRE
LE ROY
LUCIDAN
HYPPOLITE