Royalles.
Par Gabriel Gilbert
Chez TOUSSAINT QUINET, au Palais, en
la petite Salle, sous la montée de la Cour
des Aydes.
M. DC. XLII
AVEC PRIVILEGE DU ROY.
Introduction §
Déprécié au XVIIIe siècle. Oublié au XIXe siècle. Complètement inconnu aujourd’hui. La première phrase de la seule thèse consacrée à Gabriel Gilbert illustre de manière éloquente ce sentiment.1 Auteur de treize pièces imprimées et d’un certain nombre d’œuvres en vers et en prose, cet auteur appartient aux minores, qui ont bien souvent connu le succès en leur temps, mais qui ont disparu du répertoire dramatique français les siècles suivants.
Pourtant l’homme n’était pas un obscur inconnu en son siècle. Secrétaire et protégé de duchesses et même d’une reine, poète et dramaturge galant, auteur d’un opéra, il a cependant fini sa vie à l’écart du monde des lettres, oublié et pauvre.
Que dire de ces œuvres oubliées ? Elles font souvent preuve de bonnes intuitions dans le choix des intrigues, mais aussi d’une écriture et une versification plutôt médiocres, qui ont difficilement passé l’épreuve de la censure des critiques du XVIIIe siècle, formés à la norme classique et régulière érigée par Boileau. Autant dire qu’une tragi-comédie de 1642 a eu beaucoup de mal à ressusciter au cours des trois siècles derniers. Pourtant, évoquant les tragi-comédies composées à cette époque, Henry Carrington Lancaster souligne que « certaines d’entre elles [dont Téléphonte] peuvent encore être lues avec plaisir. »2
Lorsqu’il crée Téléphonte, Gabriel Gilbert, âgé d’une vingtaine d’années, est apparu dans l’entourage de Richelieu un an auparavant. Présentant moins de faiblesses que sa première pièce, Téléphonte semble épurer les codes traditionnels du genre tragi-comique, et se rapproche de la tragédie régulière qui est en train de renaître, tout en laissant percevoir les premières marques de l’esthétique qui fera de Gabriel Gilbert un auteur galant.
Gabriel Gilbert : vie et œuvres d’un auteur galant §
Comme le souligne Eleanor J. Pellet, aujourd’hui, à l’exception de son œuvre imprimée, on a trouvé peu de traces de Gabriel Gilbert. Nous avons donc assez peu d’informations certaines concernant sa vie.
Première difficulté : une naissance et une mort qui n’ont pas laissé de traces §
La première référence à notre auteur date de juillet 1640 : Chapelain, dans une lettre à Conrart, évoque la première pièce de Gilbert : « Mr Gilbert eust bien souhaitté aussy que vous eussiés assisté à la représentation de sa Marguerite françoise »3.
La naissance de Gilbert n’est mentionnée dans aucun registre. La seule allusion à son âge, par le poète lui-même, est dans l’épître de L’Art de plaire aux dames, dédiée à la Reine de Suède. Gilbert y utilise notamment l’expression « ma jeune Muse ». Le privilège de cette œuvre a été accordé en mars 1654. Quel âge a alors cet auteur qui a connu un succès scénique en 1640 et qui se désigne comme jeune en 1654 ? Marguerite de France présente quelques faiblesses, que Eleanor J. Pellet, suivie par Lancaster, attribue à la jeunesse et à l’inexpérience de l’auteur. L’auteur de cette première pièce avait probablement une vingtaine d’années. Ainsi, il aurait écrit cette épître à l’Art de plaire aux dames avant la quarantaine, âge auquel, au XVIIe siècle, on a rejeté la jeunesse dans un passé ancien. On peut donc avancer comme une hypothèse raisonnable que le poète soit né vers 1620, ce qui en fait un auteur de la génération de Molière et de La Fontaine.
La dernière œuvre de Gilbert, publiée plusieurs années après ses écrits dramatiques, a été une traduction de cinquante Psaumes. La publication de ce travail a lieu en 1680. Le privilège est du 26 mai de cette année. L’attestation – qui donne une validation doctrinale à l’œuvre – date du 24 mai. Un second tirage a dû être prévu quasiment au même moment. Celui-ci a été revu et corrigé par l’auteur, comme en atteste la page de titre. Il y a ajouté une traduction du Décalogue et du Cantique de Siméon. L’attestation pour ces ajouts à l’œuvre est datée du 23 juillet ; le permis d’imprimer est daté de deux jours plus tard. Or l’attestation du 23 juillet qualifie l’auteur de « feu M. Gilbert ». Il est donc probable que Gilbert soit mort entre le 24 mai et le 23 juillet 1680.
Origine et éducation §
Gabriel Gilbert est partout désigné comme protestant. Il fait l’objet d’un article dans La France protestante4, est appelé « calviniste » par Phérotée de La Croix5, tandis que Beauchamps le dit « de la religion protestante »6 et Goujet « de la Religion prétendue réformée ».7 De même, il paraît quasiment certain que Gilbert soit né à Paris8.
Même si le nom de Gilbert est assez commun en France, il s’est avéré impossible d’établir une connexion entre le poète et une quelconque famille de ce nom. Eleanor J. Pellet émet plusieurs hypothèses. Le nom de Gabriel Gilbert apparaît dans le registre des officiers de Toulouse au XVIe siècle. On peut imaginer un lien avec un trésorier et receveur ordinaire du domaine du Roi en la sénéchaussée de Carcassonne, ville dans laquelle le protestantisme était important, mais il n’y a aucune preuve. De même, le titre de secrétaire du duc de Guise a été attribué à un Guillaume Gilbert dans un registre datant du 11 juin 1617 et à un Claude Gilbert entre le 5 décembre 1615 et le 19 avril 1618. Une telle relation permettrait d’expliquer l’introduction de Gabriel Gilbert auprès de la Reine de Suède. Ce fut, en effet, le duc de Guise qui a été envoyé par la reine régente comme représentant pour accueillir Christine lors de son entrée en France, en 1656. De plus, c’est chez le duc de Guise qu’a eu lieu une lecture d’une « comédie » de Gilbert, épisode décrit par Ménage9. Mais, tout ceci n’est qu’une série d’hypothèses, auxquelles nous n’avons trouvé aucune preuve formelle.
Gilbert semble avoir eu une très bonne éducation, bien que nous n’ayons aucune indication sur le lieu où il l’a acquise. Il a dû étudier le grec10. Il connaissait l’hébreu comme le montrent ses traductions des Psaumes, ainsi que l’italien. Plusieurs pièces italiennes peuvent en effet être considérées comme des sources de ses intrigues.
Apparition sur la scène littéraire dans les années 1640 §
Sa première œuvre, publiée en 1641, est dédiée à la duchesse d’Aiguillon. L’année suivante, Téléphonte est imprimé. Cette seconde œuvre est dédiée à la même protectrice. Les initiales « G.G. » signent les épîtres de ces deux ouvrages. Dans l’épître de Téléphonte, on apprend que sa protectrice l’a honoré en choisissant sa pièce pour une représentation. L’année suivante, l’Ode à Anne d’Autriche, qui fait l’éloge de sa régence, est publiée. Rodogune, pièce très certainement plagiée sur celle de Corneille, est publiée en 1646. L’épître de Rodogune, adressée au duc d’Orléans, est la première à être signée « Gilbert ». Hypolite, publiée la même année et dédiée à la duchesse de Sully, porte elle-aussi le nom de famille de l’auteur comme signature de l’épître. L’Ode à la Reine de Suède a dû être composée cette année-là, mais Eleanor J. Pellet note qu’il y a beaucoup de confusion pour la date de cette œuvre.
Sous le patronage de la duchesse de Rohan. §
Séminaris a probablement été présentée elle-aussi en 1646, même si la pièce n’a été publiée qu’en 1647. Le volume est dédié à la duchesse de Rohan. Gilbert semble avoir occupé la fonction de secrétaire auprès de la duchesse. L’idée est renforcée par le fait que l’épitaphe de Tancrède de Rohan soit de Gilbert. Ce très controversé fils de la duchesse de Rohan11 a participé à la Fronde et a été tué à Vincennes à l’âge de dix-neuf ans. Les vers de Gilbert représentent clairement le parti de la duchesse :
Rohan qui combattit pour délivrer la France,Est mort dans la captivité :Son nom lui fut à tort, en vivant, disputé ;Mais son illustre mort a prouvé sa naissance.Il est mort glorieux pour la cause d’autrui ;C’est pour le Parlement qu’il entra dans la lice :Il a tout fait pour la Justice,Et la Justice rien pour lui.
Les vers en l’honneur de Tancrède et l’œuvre en prose, le Panégyrique des dames, respectivement de 1649 et 1650, sont les seuls signes d’activité littéraire de la part du poète, entre Séminaris et l’Ode à la Reine de Suède, publiée en 1651. Gilbert apparaît comme l’auteur de vers liminaires, accompagnant les Œuvres poétiques de Charles de Beys, publiées en 1651. En 1654, les privilèges de l’Art de plaire et des Poésies diverses, sont pris par l’auteur lui-même, ce qui semble indiquer sa présence à Paris. Eleanor J. Pellet avance l’idée que, comme la duchesse de Rohan était toujours en vie, Gilbert avait dû continuer à être son secrétaire.
Sous le patronage de Christine de Suède12 §
Dès que Gilbert entre au service de la Reine, on ne trouve plus guère de traces du poète. Or ce silence est d’autant plus regrettable que cette relation avec Christine de Suède est sans aucun doute l’événement le plus important dans la vie de Gabriel Gilbert. On considère généralement que Gilbert est devenu le secrétaire de Christine de Suède en 1656. Le tirage des Amours de Diane et d’Endymion est fourni à cette occasion.
Plusieurs personnes font référence à ce statut de secrétaire. À la fin du XIXe siècle, Bernardin évoque l’intérêt des poètes français pour la cour de Suède :
Être appelé à la cour de Suède devenait le rêve de chaque poète français : Ménage, Scudéry, Gabriel Gilbert, Urbain Chevreau, d’autres encore rimaient à qui mieux mieux en l’honneur de Christine.13
Le biographe de la Reine, Arckonheltz, fait part de l’événement dans ses Mémoires :
Gilbert devint son Résident en France, où il l’étoit encore en 165714
Le Sr Gilbert étoit Résident de Christine auprès de la Cour de France à son arrivée à Paris.15
Dans les documents relatifs à la « Cérémonie de la réception de Christine de Suède à Paris »16, on trouve un sonnet du Sr G., intitulé Sur l’affection que sa Majesté porte aux Muses. On peut penser que ces vers ont été composés par Gabriel Gilbert. De plus, une lettre de Leissens à Mazarin, datée du 31 juillet 1656, à Marseille, donne encore une preuve certaine du lien entre Gilbert et la Reine de Suède :
Le Sr Gilbert secrétaire de sa Majesté m’a tesmoigné qu’il souhaiteroit fort pouvoir voir V.E. avant que la Reine la vît.
Enfin, le poète fait lui-même référence à cet épisode de sa vie, dans un madrigal :
En servant cette Reyne égale aux AmazonesIe n’auray pas perdu six ans :Car qui sçait donner des Couronnes,Sçait faire d’autres presens
Christine de Suède a d’abord effectué des séjours à Paris, puis des voyages en France, pour ensuite aller en Italie. Elle traversa le Mont Cenis le 13 octobre, et arriva à Turin le 16. Elle passa novembre à Pesario. La reine a ravi le représentant d’Azzolino, Lescaris, par la lecture d’une comédie française narrant l’amour de Diane et d’Endymion. Nous pourrions penser que Gilbert est alors resté à Paris, en tant que « résident », mais cette idée peut être mise en doute par une lettre de la Reine à son amie suédoise, la comtesse Ebba Sparre17. Dans cette lettre, qui invite la comtesse à venir à Pesaro, est inclus un madrigal de Gilbert. Ainsi, nous pouvons présumer que le poète était bien en Italie, aux côtés de Christine de Suède, durant l’hiver 1656-1657. D’autant plus que Pesaro n’est pas loin de Fano, le décor du Courtisan parfait.
La Reine rentra ensuite en France, effectuant une pause à Lyon. En octobre, elle fut autorisée à venir jusqu’à Fontainebleau. Là, a eu lieu l’assassinat de Monaldeschi, le 10 novembre 1657.18 Eleanor J. Pellet souligne qu’il aurait été très intéressant de savoir à quel point Gilbert était au courant de cet assassinat. Avait-il été témoin de l’atrocité ou bien en avait-il pris connaissance par des personnes concernées par cet acte ?
Gilbert était, semble-t-il, rentré en France pour quelque mission diplomatique durant le printemps 1657. Le 28 mai, le privilège des Amours de Diane et d’Endymion fut accordé, le même jour que celui de Chresphonte. Dans ce privilège, le poète est nommé par son titre de Résident, et il y est fait référence à la Reine par l’expression « notre chère sœur ». C’est sûrement à ce moment-là que le secrétaire s’est rendu en Angleterre, si tant est qu’il y soit allé. Cette mission semble être le voyage qui a inspiré à Ménage son histoire sur la peur de Gilbert durant la traversée de la Manche. Le biographe suédois fait lui-aussi référence à un secrétaire parti en Angleterre avec « son Gentilhomme de chambre qui étoit fort aimé à Londres », mais rien n’indique explicitement qu’il s’agit de Gilbert.
La Reine résida à Paris du 24 février au 18 mars, attendant une invitation de Mazarin. Elle voyagea à Toulon, puis à Leghorn, pour enfin arriver à Rome le 15 mai. Gilbert était-il avec elle ? Eleanor J. Pellet émet deux hypothèses : soit Gilbert a été envoyé en Suède avec son ode et ses requêtes de la part de sa royale maîtresse, soit il est resté à Paris.
En 1659, il prit un privilège pour Arie et Pélus, ainsi que pour l’Ode à Mazarin, republiée en 1660. Il publia aussi son Ode au roi. Durant l’année 1660, Christine effectua un long voyage en Suède. Il est évident que Gilbert ne l’a pas accompagnée.
Les années 1660-1661 sont marquées par une grande activité littéraire de la part du secrétaire. Gilbert écrit La Vraye et fausse prétieuses, dont la première a eu lieu au Petit Bourbon le 16 mai 1660. On jouait alors sur le succès des Précieuses ridicules ; mais manifestement l’effet était désormais émoussé puisque la pièce ne tint que neuf représentations. En juin et en juillet, une reprise des Amours de Diane et d’Endymion19 permit à Gilbert de rester à l’affiche du Petit-Bourbon. Le 15 août, son Huon de Bordeaux fut joué, ainsi que plusieurs fois durant le mois d’août et le mois suivant. Le samedi 4 septembre, Gilbert a eu l’honneur de voir cette pièce représentée devant le roi. L’année suivante, Gilbert écrivit une nouvelle pièce pour la troupe de Molière, Le Tyran d’Égypte. Elle fut jouée en février, jusqu’à Mardi-Gras. En juin, le Tyran fut joué lors de la première de L’Escolle des Maris. Après deux représentations, le Huon remplaça le Tyran. Aucune de ces trois pièces, non plus que Théagène, n’a été publiée ; généralement, c’est un signe de grand échec.
En 1661, furent publiées les Poésies diverses, dont le privilège datait de 1654. Gilbert utilise encore ses titres de « Résident et de Secrétaire des Commandemens de la Reine de Suède ». Dans une lettre du 1er décembre 1661, Chapelain fait référence à un conseil donné par Gilbert à un autre poète : se méfier des belles promesses de la Reine Christine. Le poète est cité, faisant allusion à des « appointemens plus propres à estre promis qu’à estre tenus »20. Dans une lettre à Huet du 8 décembre, Chapelain caractérise le poète par l’expression « affamé de servitude »21. L’auteur utilisa encore ses deux titres sur la page de titre des Amours d’Ovide, publiée en 1663, mais sembla les omettre pour les Amours d’Angélique et de Médon l’année suivante. Il est probable qu’il ait été rappelé de ses fonctions durant le long séjour de la Reine en Suède.
Entre production dramatique et nouveau silence littéraire §
Avant ces publications de pièces sous le seul nom de Gabriel Gilbert, une pièce qui n’a jamais été publiée, a été représentée, « avec un certain éclat »22, puisqu’elle a été jouée devant Monsieur et son épouse. Loret a fait l’éloge de Théagène à l’occasion de la première, le 15 juillet 1662. Durant les deux années suivantes, parurent Les Amours d’Ovide et Les Amours d’Angélique et de Médor. Au même moment, on a dû jouer Le Courtisan parfait.
D’après Eleanor J. Pellet, la comédie de Gilbert, Les Intrigues amoureuses, a probablement été montée en 1664, même si les frères Parfait datent sa première de 1666. La pièce a été imprimée en 1667, année durant laquelle a été jouée la pièce Ero et Léandre23, qui n’a jamais été imprimée. L’année suivante, Le Courtisan parfait fut publié à Grenoble sans nom d’auteur, mais seulement signé par les énigmatiques initiales DGLBT. Pendant les dix ans qui ont suivi son retour à l’écriture dramatique, en 1657, Gabriel Gilbert a eu à son actif sept pièces publiées et cinq pièces non publiées, dont les représentations sont prouvées par des allusions dans des lettres ou des gazettes. En plus de cela, il a composé des odes, publiées dans les Poésies diverses, et deux poèmes intitulés L’Art de plaire. Avec la publication du Courtisan parfait, l’auteur sembla à nouveau disparaître du monde des lettres pour quelques années.
On n’entendit plus parler de Gabriel Gilbert jusqu’à 1671. Le silence fut rompu par la production d’un opéra, fin 1671 ou début 1672, Les Peines et les plaisirs de l’amour. L’opéra était alors en vogue. Mais le monopole de Lully écarta rapidement tout concurrent. À nouveau, Gilbert redevint silencieux, ne publiant plus rien pendant les dix dernières années de sa vie, jusqu’à sa traduction de cinquante psaumes en 1680.
Une fin de vie sous le signe de la pauvreté et de l’oubli §
Les dernières années de Gilbert semblent avoir été marquées par l’oubli et la pauvreté. La lettre de Chapelain que nous avons citée précédemment rapportait déjà l’absence de rémunération de la part de Christine de Suède. Dans la Préface des Amours d’Angélique et de Médor, le poète lui-même avoue avoir produit seize pièces « sans en avoir tiré d’autre avantage que celui de les avoir présentées à ce que la France a de plus auguste et de plus éminent. » Eleanor J. Pellet fait part d’une annotation trouvée dans un volume des pièces de Gabriel Gilbert, à la Bibliothèque de l’Arsenal : une note manuscrite indique que « quoique résident de Suède il étoit gueux et à l’ausmone de M. Dhervart »24. Gilbert fut en effet accueilli par Hervart, alors Contrôleur général des finances25, chez qui il résida jusqu’à sa mort.
Jugements §
Des contemporains de Gabriel Gilbert §
Durant ses années de production dramatique et poétique, entre 1657 et 1667, Gabriel Gilbert était sans aucun doute une figure d’auteur galant bien connue dans le monde littéraire parisien. Cependant, il n’y a pas beaucoup d’allusions qui nous permettraient de dresser un portrait du poète, de sa personnalité. Nous avons déjà cité la première apparition de Gilbert dans le monde des lettres, dans la lettre de Chapelain de juillet 1640, qui rajoute que Marguerite de France lui « tira des larmes en quelques endroits et [le] toucha presque partout ». Dans sa notice sur Arie et Petus, Loret se montre particulièrement élogieux :
… la Plume immortelle,De l’excélent Monsieur Gilbert,Rare écrivain, Autheur expert,Qu’on prize en toute Compagnie,Et qui par son noble génie,Poly, Sçavant, intelligent,De Christine est le digne Agent.26
Robinet, dans une lettre, l’appelle « le délicat Monsieur Gilbert »27. Dans son Mémoire de quelques gens de lettre vivants en 166228, Chapelain dit que :
Gilbert est un esprit délicat, duquel on a des odes de petits poèmes et plusieurs pièces de theatre pleines de bons vers ; ce qui l’avoit fait retenir par la Reine de Suède, pour secrétaire de ses commandemens.
À la même époque, la froideur du poète fait l’objet d’un commentaire amusé de Boursault, dans La Satyre des satyres29. Feignant de se demander pourquoi Boileau ne s’est pas attaqué à Gilbert dans ses satires, Boursault joue à exagérer la délicatesse du poète en la transposant sur le plan de l’extrême délicatesse physique. À la scène 6, il évoque un « autheur galant » qui « compose à la glace » et « qui rime en tremblant » :
C’est un Autheur galant mais qui feroit scrupuleDe se lever sans feu pendant la caniculeC’est G***. (scène 6)
Ou encore :
Apollon et G*** sont toujours mal ensemble ;Quand tout le monde brûle, on le trouve qui trembleUn de ses bons Amis que je vis hyer au soir,Me soûtint par deux fois, que l’estant allé voir,Il trouve son Laquais qui luy chaufoit DimancheL’épingle qui luy faut pour attacher sa manche.
La raillerie continue pendant quelques lignes, dans la même veine, puis le nom complet remplace l’abréviation :
Le plaisant de l’affaire est que Gilbert le croye (sc. 6)
Bien qu’il ait souligné le caractère honorable des œuvres de Gilbert, Chapelain note aussi que Gilbert « n’a pas une petite opinion de lui »30 et le désigne ainsi :
l’architecte téméraire et chimérique de tout ce faux édifice, ce bastisseur de chasteaux en Espagne31
En 1662, Boursault, successeur de Loret, évoquait déjà Gilbert dans la Gazette :
Encore un Autheur qui veut presqueQue je fasse aussi du BurlesqueEt qui croit que c’est mon Talent,C’est Gilbert, cet Esprit Galant32
Dans la même Gazette, le 18 juillet de la même année, Gilbert est mentionné, par Mayolas, dans une liste d’auteurs, appelés beaux esprits :
Les Chapelains et les CorneillesQui produisent tant de merveilles,Les Scuderys et les Gombauds,Les Boyers, Gilberts et Quinauts33
Ainsi, raillé ou félicité, Gabriel Gilbert n’était pas absent des écrits critiques publiques ou personnels de son siècle.
Des critiques du XVIIIe siècle §
Nous n’évoquerons ici que les informations générales transmises par les historiens de la littérature du XVIIIe siècle. Les jugements propres à la pièce qui nous intéresse seront étudiés plus tard. Dans leur immense somme, L’Histoire du theatre françois, depuis son origine jusqu’à presen, Claude et François Parfaict consacrent une notice à la première pièce de Gabriel Gilbert34, notice dans laquelle ils écrivent quelques lignes sur notre auteur :
Les Pieces que cet Auteur donna au Théatre François ne sont pas bonnes ; mais à travers les défauts dont elles sont remplies, on y découvre de certaines situations heureuses, & dans toutes, une versification aisée. Ses comédies ont des endroits fort passables, & quelquefois sur un bon ton Comique.
Plus tard, Gilbert fait l’objet d’un court chapitre dans les Annales poétiques, depuis l’origine de la poésie françoise35. On dit qu’il est né à Paris et qu’il fut par deux fois secrétaire et qu’« il fut bien traité par les Grands, & mal par la fortune » :
Gilbert fut un Poète pauvre & un pauvre Poète. Il travailla pour le Théâtre ; il a fait seize Ouvrages dramatiques, qui sont complètement & très-justement oubliés. Il a publié d’autres morceaux de poésie d’une assez grande étendue ; mais on y trouve bien peu de détails supportables. Il n’a guères fourni à notre Recueil que quelques Stances, Madrigaux ou Epigrammes.
Au XVIIIe siècle, Gabriel Gilbert est donc considéré comme un auteur médiocre, qui a quelquefois fait preuve d’un certain talent.
Des critiques du XIXe siècle et du XXe siècle §
Gilbert fait l’objet d’une notice dans La Bibliothèque dramatique de Monsieur de Soleinne36. L’auteur donne une liste des œuvres dramatiques du poète et le présente ainsi :
Gilbert, écrivain très-estimable, a malheureusement été éclipsé par les poëtes dramatiques du premier ordre, qui ne dédaignèrent pas de l’imiter. La plupart de ses pièces méritent encore d’être lues. Celles in-4 ne portent pas son nom sur le titre ; celles in-12 le donnent, au contraire ; ce qui peut faire supposer qu’alors un auteur attendait souvent, pour se nommer, la consécration de son œuvre.
Dans son ouvrage Les contemporains de Molière, Victor Fournel rappelle combien Gilbert est oublié, deux siècles après avoir mené une vie de poète galant et de diplomate reconnu :
Gabriel Gilbert jouit au dix-septième siècle d’une renommée qu’il a bien perdue depuis. Il est assurément peu de noms aujourd’hui plus inconnus, et peu d’ouvrages moins lus que les siens ; et pourtant il a remporté de grands succès au théâtre ; il a été regardé comme un des premiers écrivains dramatiques au-dessous de Corneille, remarqué par Richelieu – juge fort contestable, il est vrai, - et protégé successivement par Mazarin, de Lyonne et Fouquet.37
Le critique fait référence aux vers de Boursault, que nous avons cités :
Ces vers, plus ou moins ironiques, semblent tout au moins donner à entendre que Gilbert était à la fois très naïf et soigneux de toutes ses aises ; autant de raisons qui pourraient servir à montrer comment, malgré le nombre et le succès de ses ouvrages, ses emplois et ses hauts protecteurs, il resta toujours pauvre.38
Enfin, il évoque la qualité littéraire de son œuvre :
Gilbert mériterait de n’être pas aussi complétement oublié. Sans doute, il reste bien loin des écrivains dramatiques du premier ordre : son style surtout est généralement faible, assez souvent plat et trivial, mais par moments il s’élève et il atteint à la force. Il a çà et là des pensées vigoureuses exprimées en beaux vers. Ses contemporains l’ont plus d’une fois pillé sans en rien dire. Suivant le mot de Ménage, il trouvait bien le gibier au gîte, mais ce n’était pas lui qui le faisait partir.39
Au XXe siècle, Lanson fait une simple mention du nom de Gabriel Gilbert, dans Esquisse d’une histoire de la tragédie française40. Dans un titre de chapitre intitulé « Principaux auteurs de cette période peu étudiée », il cite en premier Gilbert suivi de « Magnon, l’abbé Boyer ; puis le sieur de Montauban, l’abbé de Pure, Mlle. Desjardins ; le sieur de Prade ; Thomas Corneille ; Quinault. » Une note suit ce titre : « sur tous ces auteurs, voir les frères Parfaict ».
Il faut attendre 1931 et la thèse d’Eleanor J. Pellet, pour que quelqu’un entreprenne un ouvrage entièrement consacré à Gabriel Gilbert. Thèse dans laquelle Lancaster a puisé pour écrire sa notice sur Gilbert, dans son énorme entreprise.
Téléphonte : création et réception §
Création §
La pièce a dû être créée en 1641 ou au courant de 1642. Elle a, semble-t-il, été donnée lors d’une représentation privée chez la duchesse d’Aiguillon. La page de titre indique que la pièce a été représentée par « les deux Trouppes Royalles ». Or le patronage de la nièce de Richelieu pourrait expliquer cela. En effet, ordinairement, lorsqu’une pièce est donnée en premier à une troupe, l’autre ne peut pas la représenter jusqu’à ce qu’elle soit publiée. C’est pour cela que les auteurs sont contraints d’attendre avant de faire imprimer leur pièce. Selon Lancaster, la pièce a probablement été donnée par les deux troupes dans le nouveau théâtre de Richelieu, en 1641. Mais cela est très contestable car l’épître dédicatoire évoque seulement une « assemblée solennelle », donc manifestement chez la duchesse. Il n’y a aucune trace dans un registre du nombre de représentations qu’a connues la pièce. Mais le Mémoire de Mahelot la mentionne dans l’index de soixante-onze titres ne renvoyant ni à des croquis, ni à des notices41, ce qui nous indique que la pièce figurait dans le répertoire de l’Hôtel de Bourgogne après la mort de Richelieu, dans les années 1646-1647.
Le privilège de Téléphonte date du 21 juillet 1642, l’achevé d’imprimer du 28 septembre. La pièce semble d’abord avoir été imprimée à « l’état brut », si l’on ose dire. En effet, les exemplaires datés de 1642 ne comportent pas d’épître dédiée à la duchesse d’Aiguillon, qui mentionne la représentation privée qui a eu lieu chez celle-ci et qui a, selon le poète lui-même, assuré un certain succès à sa pièce. Cette épître, ainsi qu’un paragraphe faisant note des « fautes survenuës en l’Impression », ont été ajoutés à l’édition datée de 1643. Or les exemplaires de 1643 comportent les mêmes coquilles que ceux de 1642, jusque dans les noms des personnages dans certaines didascalies par exemple. Nous pouvons émettre l’hypothèse qu’il s’agit de la même série d’impression et que ces deux versions relèvent d’une stratégie de vente de la part du libraire. Paraît d’abord le texte de la pièce, seul ; puis paraît quelque semaines plus tard le même ouvrage auquel a été ajoutée l’épître. Il est même possible que l’édition dite de 1643 soit parue fin 1642, à peine quelques temps après la première édition. L’épître a, en tout cas, été rédigée au plus tard au début du mois de décembre 1642, avant la mort de Richelieu42, car elle fait allusion à un cardinal encore en vie :
Les vertus qui brilloient autrefois en elles, reluisent maintenant en vous, comme elles vous les faites esclatter en tous lieux, et comme elles vous trouvez dans [III] votre race un Heros, qui comme un autre Telephonte est l’ornement de son siecle, et la gloire de sa patrie.43
L’épître a donc pu être ajoutée en cours d’impression en octobre 1642, pour la toute fin du tirage qui bénéficie ainsi de cet « ornement ». On a très légèrement modifié la page de titre en la datant de 1643 – plus exactement en rajoutant une petite barre à M.DC.XLII pour faire M.DC.XLIII – comme s’il s’agissait d’une nouvelle édition.
Gilbert écrit une tragi-comédie, à une période où le genre s’est progressivement plié aux règles, à mesure que les auteurs se ralliaient aux unités. Ici, la tragi-comédie ne repose pas sur l’accumulation d’actions et d’épisodes, ne se déroule que dans un ou deux lieux du palais royal à Mycènes, et dure tout au plus une soirée et une nuit.
Lancaster souligne que, dans cette pièce, « Gabriel Gilbert est plus proche de la tragédie, même s’il classe son œuvre, aux vues de la situation finale des personnages pour lesquels nous éprouvons de la sympathie, comme une tragi-comédie »44. Nous rappelons que cette pièce est une œuvre de jeunesse, Gilbert a une vingtaine d’années lorsqu’il l’écrit. Dans Marguerite de France, il narrait l’histoire de la future épouse du prince Henry, dont le père, Henry II, est lui-même amoureux. Le roi a promis son fils, alors très jeune, à la princesse française, Marguerite, âgée de trois ans. Quinze plus tard, le roi veut divorcer et épouser lui-même la princesse. Passant de la figure de roi à celle de tyran, il la retient prisonnière. Le prince Henry s’arme et, à la tête d’une armée franco-anglaise, envahit l’Angleterre. Après plusieurs ruses, fausses rumeurs de mort et une repentance royale, le mariage princier a lieu. Dans sa deuxième pièce, encore une fois, il raconte l’histoire d’une princesse captive, séparée de l’homme qu’elle aime et condamnée au mariage par son ravisseur. Dans les deux pièces, la mort du héros est annoncée, mais l’héritier s’unit finalement avec la princesse. Dans Téléphonte, le double rôle, tyran et amant, joué par Henry II dans la pièce précédente, est divisé entre un monarque et son fils. Cependant le thème de la vengeance et du meurtre – qui sont à l’origine les seuls sujets de l’histoire de Téléphonte et de Mérope – sont absents dans Marguerite de France45. Le héros, chargé de venger père, frères et mère, respectivement assassinés et épousée par le tyran et de récupérer le trône de Mycènes, se voit ajouter une nouvelle mission, par notre poète : délivrer sa future épouse, qui, après plusieurs péripéties malheureuses, se trouve aux mains des tyrans.
Réception §
Si l’on en croit l’épître dédicatoire présente dans la seconde édition de Téléphonte, la pièce semble avoir connu un certain succès. Le fait qu’elle ait été publiée le confirme. Dans cette épître, Gabriel Gilbert remercie la duchesse d’Aiguillon pour l’attention qu’elle a portée à sa pièce, attention qui lui a permis de remporter l’approbation des plus grands, selon lui. Donnant son avis sur sa seconde pièce, Gilbert fait ensuite preuve d’une fausse modestie, peut-être due à sa jeunesse.
La pièce a été réimprimée deux fois au XVIIIe siècle, dans des recueils intitulés « Théâtre françois », en 1705 et en 1737. Elle semble alors plus connue sous le nom de « Philoclée et Téléphonte », ce qui montre bien que la principale innovation de Gilbert a marqué le public comme l’intérêt majeur de la pièce. Au XVIIIe siècle, de nombreux historiens de littérature se sont attelés à faire des recueils de pièces de théâtre, le plus souvent depuis les origines du théâtre français jusqu’au théâtre du début du XVIIe siècle. Les plus célèbres d’entre eux sont Claude et François Parfaict, dits les frères Parfaict. Leur pensée et leur goût sont généralement guidés par la norme classique établie à la fin du XVIIe siècle par Boileau. Et pour cela, les minores et le théâtre qui ne respecte pas parfaitement les règles, au début du siècle, n’ont pas beaucoup d’attraits à leurs yeux. Voici donc ce que disent les frères Parfaict dans la notice concernant notre pièce :
Voilà sans doute un beau sujet, et digne de la Scene Françoise, mais pour le traiter dignement, il falloit un génie d’une toute autre étendue que celui de Gilbert. Ce n’est pas qu’il y ait dans la Tragédie de certaines beautés, mais qui ne constituent ni les caracteres de ses personnages, ni les situations de sa Piece (…). Un défaut encore plus remarquable, c’est que Téléphonte ne paroît qu’à la fin du Quatrième Acte. Qu’on juge des vuides qui se trouvent dans les Actes précédens, et de la précipitation des événemens du Cinquième ? En un mot, Gilbert, loin de profiter de son heureux choix, n’en a composé qu’une très-médiocre Tragédie.46
Plus loin, leur Histoire du théâtre françois aborde la postérité du sujet de Téléphonte :
M. de la Chapelle traita depuis ce sujet sous le titre de Téléphonte. Mais sa Tragédie, qui sans doute est supérieure à celle de Gilbert, manqua encore par le languissant qui regnoit dans toute la piéce, et par la foible versification.
Enfin le sujet de Téléphonte, barbouillé par Gilbert, manqué par la Chapelle, mieux rendu par la Grange, et toujours mal versifié par ces trois Poëtes : ce sujet, dis-je, a été traité par M. de Voltaire au gré des connoisseurs, et généralement de tous ceux qui l’ont vû, tant pour le plan, les caracteres, les situations, que l’élégance de la Poësie.47
Mais il semblerait que ces auteurs n’aient pas bien lu, si ce n’est pas lu du tout48, la pièce de Gilbert. Leur Dictionnaire dramatique donne, en effet, à la notice « Philoclée et Téléphonte », un résumé de l’intrigue qui se révèle largement fautif. Il semble se calquer en partie sur la version d’Hygin : la reconnaissance par Mérope a lieu en premier, puis elle est suivie de l’assassinat du tyran. Confondant peut-être avec l’intrigue de Jean de La Chapelle, on désigne Philoclée comme étant la « fille du Tyran », et « l’épouse que Mérope destinoit à son fils ; & cette Princesse aimoit Téléphonte, sur ce que Mérope lui en avoit dit. » 49
Un peu plus tard, reprenant le plus souvent les informations collectées par les frères Parfaict, Mouhy a écrit un Abrégé de l’Histoire du Théatre françois, Depuis son origine jusqu’au premier Juin de l’année 1780. À la notice « Philoclée et Téléphonte », on trouve : « Philoclée et Téléphonte, Tragédie de Gabriel Gilbert, donnée en 1642, imprimée la même année, in-12 : le sujet bien choisi ; elle renferme de beaux endroits. »
Puis, on trouve une seconde notice sous le véritable nom de la pièce, et non celui qui lui a donné la rare postérité qu’elle a connue : « Téléphonte, Tragédie, par Gilbert, donnée en 1642, imprimée dans la même année. Voyez Philoclée. La tradition assure que le Cardinal de Richelieu y a travaillé. »50 Enfin, afin d’illustrer notre propos sur la pensée formatée par les écrits de Boileau de ces hommes du XVIIIe siècle, voici ce que l’on trouve pour la pièce de La Chapelle : « elle eut onze représentations. Cette Piece est tirée de Philoclée & de Téléphonte, de Gabriel Gilbert ; mais celle-ci est bien meilleure & plus réguliere : le merveilleux y domine & en fait le mérite principal. »
Résumé et remarques sur la structure de la pièce §
Acte I §
Mérope, veuve éplorée, prisonnière de son nouvel époux, rappelle les malheurs passés et l’édit qui met à prix la tête de son dernier fils, Téléphonte, exilé depuis son enfance dans un autre pays (scène 1). Elle essaie de persuader le tyran, au nom de l’amour qu’il a pour elle, d’annuler cet édit et de laisser vivre son fils. Celui-ci, connaissant les désirs de vengeance de Téléphonte, s’y refuse. Mérope annonce alors qu’elle suivra son fils dans la mort (scène 2). Le tyran s’entretient avec son fils, à propos d’un rêve qui le trouble profondément : Cresphonte, le roi assassiné, est venu lui annoncer dans son sommeil qu’il serait puni pour ses crimes. Démochare tente de rassurer son père, lui promettant la mort prochaine de Téléphonte (scène 3).
Acte II §
Mérope et Philoclée évoquent leur désespoir commun. La reine se fait narrer l’enfance et les haut-faits de son fils à Chalcis. On apprend qu’elles attendent le fidèle Tyrène, qui doit apporter des nouvelles de Téléphonte (scène 1). Céphalie arrive, annonçant la venue du messager. La reine va à sa rencontre, mais Philoclée est contrainte de s’entretenir avec Démochare. La reine lui conseille de faire profil bas (scène 2). Démochare déclare son amour à la princesse et ne comprend pas sa tristesse. Philoclée, hautaine, lui résiste et, s’emportant, finit par lui avouer qu’elle se destine à un autre. Devinant l’identité de ce dernier, Démochare, furieux, annonce la mort imminente de Téléphonte et le jour fatal de leur hymen (scène 3). Démochare, demeuré seul, réaffirme sa volonté de faire céder la princesse, en ayant recours à la contrainte si cela s’avère nécessaire (scène 4).
Acte III §
Philoclée se lamente auprès de sa confidente, Orphise, accusant Tyrène de trop tarder (scène 1). Démochare vient annoncer à la princesse qu’un espion lui a appris l’assassinat de Téléphonte. Philoclée refuse d’y croire et met en garde le fils du tyran contre la vengeance du prince. Puis elle finit par annoncer qu’elle choisira la mort plutôt que le mariage forcé, décision mise en doute par Démochare (scène 2). Philoclée, demeurée seule avec sa confidente, réaffirme sa vertu, quand Orphise annonce l’arrivée de Tyrène (scène 3). Celui-ci lui apprend que son père est bien vivant. Il choisit de rester vague quant au sort de son futur époux : il a disparu, mais son corps n’a point été retrouvé, l’espoir doit donc demeurer. Enfin, il lui propose de risquer sa vie afin d’éviter à la princesse un mariage sous la contrainte (scène 4).
Acte IV §
Céphalie annonce à Mérope la mort de son fils et l’arrivée imminente du meurtrier au palais, pour chercher sa récompense (scène 1). Le tyran arrive, tente de se justifier, mais préfère finalement fuir la fureur de la reine, pour aller rendre grâce aux dieux (scène 2). Mérope décide de se suicider. Céphalie, horrifiée, tente de l’en empêcher (scène 3). Orphise survient et apprend à la reine que Philoclée, tout aussi désespérée qu’elle, ne veut pas mourir avant de s’être vengée. Mérope décide de l’imiter (scène 4). Téléphonte apparaît et, dans un long monologue, nous apprend qu’il se fait passer pour son propre assassin, afin de pouvoir approcher les tyrans et venger sa famille (scène 5). Téléphonte, sous le nom de Tyndare, rencontre Démochare, heureux et pleinement confiant, lui narre la mort du prince, et apprend la résistance de la princesse face à l’amour tyrannique. Tous deux sortent pour aller rejoindre le tyran au temple (scène 6).
Acte V §
Tyrène et deux autres fidèles du roi assassiné, Tydée et Thoas, aperçoivent Téléphonte sortant en compagnie de Démochare, comprennent aussitôt la courageuse entreprise du prince et se préparent à réunir trente fidèles pour aller lui prêter main forte (scène 1). Mérope et Philoclée se lamentent de ne pouvoir assouvir leur soif de vengeance : le meurtrier présumé est introuvable (scène 2). Céphalie arrive, leur apprenant que Tyndare était dans le temple. Elles décident de l’attendre (scène 3). Téléphonte arrive seul, et décide de mettre à l’épreuve l’instinct maternel. Mérope s’élance pour frapper celui qu’elle croit être l’assassin de son fils, mais elle est ralentie dans son élan par une sorte d’instinct. Philoclée décide alors d’accomplir seule la vengeance. Mais, au dernier moment, elle reconnaît Téléphonte et empêche Mérope de devenir la meurtrière de son propre fils. Mais la joie des retrouvailles est rapidement suivie par la crainte. C’est alors que Téléphonte leur narre la mort du tyran sur l’autel de sacrifice et le combat contre son rival, qui s’est achevé par la mort de Démochare (scène 4). La dernière incertitude est levée avec l’arrivée de Tyrène. Téléphonte a accompli sa vengeance, récupéré le trône de son père, ainsi que son épouse (scène 5).
L’intrigue de Gabriel Gilbert est en fait assez simple, malgré l’ajout de la dimension amoureuse à l’intrigue d’une tragédie perdue d’Euripide. La pièce est centrée sur l’attente de nouvelles du prince héritier. Puis la seconde partie de la pièce correspond aux réactions face à la rumeur de sa mort : le doute, la confirmation, le désespoir puis la volonté de vengeance, pour les femmes ; le doute, la confirmation, la joie pour les tyrans. Enfin, le dénouement renverse la tyrannie et révèle la stratégie du prince, qui finalement n’apparaît que très peu quoique qu’il soit le héros éponyme de cette pièce. La pièce joue de l’opposition de deux camps dans le palais : les tyrans qui veulent la mort de Téléphonte ; les femmes, confidentes et Tyrène, qui espèrent l’arrivée d’un Téléphonte vengeur. L’ajout d’une intrigue amoureuse par rapport aux sources antiques ne complique pas vraiment la pièce. La vengeance de Téléphonte est alors double : politico-familiale et amoureuse. Mais le but pour y parvenir est le même : tuer les tyrans. Il n’y aura pas de seconde ruse à inventer : le déguisement d’assassin de Téléphonte convient pour les deux vengeances. Par ailleurs, cette innovation de Gilbert a un intérêt dramatique. La pièce nous montre un double affrontement, symétrique, d’un oppresseur et d’une opprimée.
Pour cette raison, la plupart des scènes sont binaires. Elles correspondent à des joutes verbales entre un ravisseur et une prisonnière, ou bien aux confidences, qui précèdent ou suivent ces confrontations. Seules les dernières scènes de retrouvailles regroupent le camp des vainqueurs et souverains légitimes sur la scène, ainsi que quelques scènes de duo entre la reine et la princesse où leurs confidentes respectives sont présentes à leurs côtés.
La scène d’exposition est assez longue51. Elle emprunte une structure traditionnelle de la scène d’exposition52. Un des personnages les plus importants s’entretient avec son confident et se remémore tous les événements qui ont eu lieu avant que la pièce ne commence. Ici, la lamentation aux dieux puis au roi défunt permet à Mérope d’énoncer des événements qui sont évidement bien connus de Céphalie. La scène développe les éléments nécessaires à l’exposition: un rappel du passé, les crimes d’Hermocrate et son amour passionnel pour Mérope, ainsi que l’exil de Téléphonte en Étolie, ainsi qu’un rappel du passé proche, l’arrivée de Philoclée à la cour, après sa capture par des pirates, son amour pour Téléphonte et l’édit qui menace la vie du prince. Cette première scène se conclut par la décision de Mérope de tenter de persuader Hermocrate d’abandonner son édit :
Il faut dissimuler notre pieuse haine.Et tascher de flechir sa fureur inhumaine;Pour espargner mon sang il faut verser des pleurs ;Et peindre sur mon front l’excez de mes douleurs ;La raison ne peut rien sur cet esprit farouche,Mais avec la pitié faisons qu’elle le touche. (vers 121-126)
La pièce comporte une sorte de seconde scène d’exposition, assez conséquente, à la scène 5 de l’acte IV. Il s’agit de la première apparition du héros qui, dans un long monologue, revient sur les événement passés, déjà rappelés par Mérope au début de pièce, mais pour ainsi les donner comme raisons de son désir de vengeance. Et il révèle le stratagème auquel il a recours pour accomplir cette vengeance. Voici les premiers vers de ce monologue :
J’ay quitté l’Etolie et je suis à Missene,Je viens pour satisfaire à l’Amour, à la haine,Je viens pour delivrer ma femme et mes parens,Je viens pour me vanger et perdre les Tyrans,Je viens pour me montrer digne fils de Cresphonte,Sous le nom d’assassin je cache Telephonte. (vers 1061-1066)
Enfin, on trouve une alternance de scènes d’affrontement ou de confidence assez longues – les scènes entre Philoclée et Démochare sont particulièrement longues, notamment la scène III de l’acte II et la scène II de l’acte III – et des scènes plus courtes, qui permettent de faire des transitions entre deux scènes majeures ou d’annoncer la venue d’un autre personnage53.
Postérité et influences §
Quarante ans après la création de la pièce de Gilbert, un membre de l’Académie française, Jean de La Chapelle, crée lui-aussi un Téléphonte, donné en 1682 et publié en 1683. Le 13 décembre 1701, Lagrange-Chancel donne un Amasis, dans lequel l’histoire de Mérope et de Téléphonte est transférée en Égypte. Le sujet réapparaît ensuite en Italie : le 12 juin 1713 a lieu, à Modène, la première de la Mérope de Maffei, publiée en 1714. Enfin, le thème intéresse Voltaire, qui crée une Mérope en 174354.
La Chapelle a sans doute été influencé par la pièce de Gilbert. Il admet qu’il a utilisé les noms employés par un auteur français qui a déjà été tenté par le sujet de Mérope. Les frères Parfaict indiquent que cet auteur était Gilbert et que La Chapelle a emprunté, non seulement les noms, mais « tout ce qu’il y avoit de meilleur ». Même s’il modifie clairement l’histoire55, cet auteur reprend l’idée de donner une grande importance à une intrigue amoureuse. De plus, le tyran et le confident de Téléphonte portent respectivement les noms de Hermocrate et de Tyrène. Et Eleanor J. Pellet note que le nom de la confidente, Céphise, est assez proche de celui de Céphalie56, la confidente de Mérope chez Gilbert. Par ailleurs, chez La Chapelle, Mérope se résout à mettre fin à son désespoir en se suicidant, Téléphonte obtient le soutien du peuple pour monter sur le trône et Tyrène participe aux événements politiques, comme chez Gilbert. Lancaster souligne que bien d’autres ressemblances peuvent être trouvées entre les deux pièces57 : dans les deux tragédies, le héros a été exilé à la naissance, a le soutien d’Amynthas, roi d’Étolie, et est amoureux d’une jeune fille rencontrée avant que celle-ci apparaisse à Mycènes. Dans chacune des pièces, il a recours à un déguisement et se prétend son propre assassin, il y a une référence au rebelle, Lycas, un édit est décrété par Hermocrate contre Téléphonte, Hermocrate reçoit des informations d’un espion à la cour d’Amynthas, Mérope trésaille avant d’attaquer, comme ébranlée par l’instinct maternel. Enfin, il y a beaucoup d’exemples de vers similaires. Nous ne donnerons qu’un exemple plutôt éloquent des vers de Mérope contre Hermocrate :
Homicide du fils assassine la mere (…)Ni la chaste Junon, ni le saint HymenéeD’un conjugal amour, n’uniront point nos cœurs.La sanglante discorde, et les noires fureursViendront avec la crainte et les haines mortelles,Eclairer, célébrer ces nôces criminelles. (La Chapelle, I, 5)Homicide du fils, vien, massacre la mere. (Gilbert, IV, 2)La pudique Junon, ny le sainct Hymenée,Ny l’amour conjugal n’ont point uny nos cœurs ;La Discorde plustost, et Megere, et ses sœurs,Un furieux Amour, et les haines mortelles ;Sont venus celebrer ces Nopces criminelles. (I, 1)
Lagrange-Chancel semble lui-aussi s’être largement inspiré de la pièce de Gilbert : l’intérêt amoureux est prééminent ; le fils du tyran est ici aussi le rival en amour d’un prétendant légitime au trône ; les plans du roi concernant le mariage de son fils et de l’héroïne sont sur le point d’être exécutés au moment où apparaît le véritable héritier et fiancé ; la disparition et la probable mort du prince sont annoncées par son gouverneur ; les dialogues à propos de sa maîtresse et de son droit au trône sont régis par l’ironie tragique, de façon à ce que les répliques signifient telle chose pour celui qui parle et le contraire pour son destinataire. Enfin, le récit de la mort du tyran, dans le temple par les mains du héros, est fait par ce même héros.
La Mérope de Maffei ressemble davantage aux tragédies italiennes qu’à la pièce de Gilbert, d’après Eleanor J. Pellet. À l’inverse, elle pense que Gilbert a sûrement influencé Voltaire :
Au début de la pièce, Mérope attend avec anxiété des nouvelles de son fils. Toutes les recherches ont été vaines ; son compagnon et lui-même ont tous deux disparu. Mérope fait le vœu de mourir pour mettre fin à sa souffrance : elle supplie le tyran de la tuer. Le tyran, Polyphonte, exige qu’elle se marrie avec lui, en échange de la vie sauve d’Egisthe.58 (…) La nouvelle de la mort de son fils parvient à la Mérope de Gilbert, par le fidèle vieillard, tandis que dans la pièce de Voltaire c’est une autre personne qui l’informe de la rumeur. Le désespoir de Mérope et son désir de mourir sont similaires dans les deux pièces (…). La Mérope de Voltaire est sacrifiée pour le salut de Téléphonte. Le Téléphonte de Gilbert tue le tyran et son fils dans le temple. Dans la pièce de Voltaire, le fils a déjà été tué avant le début de la pièce, et ce sont le tyran et un favori qui sont tués dans le temple. L’Egisthe de Voltaire (…) n’a pas connaissance de sa parenté avec Mérope.59
Dans sa préface, Voltaire fait référence à la pièce de Gilbert, après avoir parlé du Téléphonte attribué à Richelieu : « M Gilbert (…) donna en 1643, sa Mérope, aujourd’hui non moins inconnue que l’autre ». En accord avec Eleanor J. Pellet, Lancaster pense que la pièce de Maffei est inspirée des tragédies italiennes plus anciennes, mais il ne se déclare pas convaincu quand elle tente de prouver que Gilbert a influencé Voltaire. En effet, nous pouvons considérer que Voltaire a sans aucun doute eu connaissance de Téléphonte, mais il semble s’être bien plus inspiré du mythe relayé par Hygin, et au XVIIe siècle par Gilbert, que de la pièce de Gilbert à proprement parler.
Questions de dramaturgie §
Sources de Téléphonte §
Euripide et Hygin §
Dans l’épître dédiée à la duchesse d’Aiguillon, Gabriel Gilbert évoque lui-même ses sources antiques :
On dict qu’un des plus fameux Poëtes de l’Antiquité a travaillé autrefois sur ce subjet, et le plus sçavant des Philosophes en parle comme d’un exemple de perfection60. Mais cette Tragedie n’est point parvenüe jusques à nous et le temps qui ne respecte pas les plus beaux ouvrages nous a ravy celuy-cy. Il nous en est pourtant resté quelque chose, et l’Histoire ancienne qui en a conservé la meilleure partie m’a fourny la matiere de ce Poëme.
L’histoire de Mérope et de Cresphonte a en effet été le sujet d’une tragédie d’Euripide, mais nous n’avons conservé que quelques fragments, en majeure partie guère éclairants sur le déroulement de l’intrigue.61 Nous apprenons seulement que Mérope a perdu époux et fils, à l’exception d’Egyptus, que le tyran, Polyphonte, est animé par une passion amoureuse et un amour propre qui le pousse s’emparer de la femme de son roi et que le prince héritier semble être chargé par sa mère d’assassiner le tyran.
Outre ces rares fragments, l’intrigue de la tragédie d’Euripide nous est parvenue grâce à l’œuvre d’un historien latin, Hygin. L’identité de Caius Julius Hyginus est un « problème ardu », selon l’expression de Jean-Yves Boriaud.62 Nous connaissons en effet plusieurs « Hygin » plausibles. L’auteur considéré généralement comme le plus vraisemblable est le Caius Iulius Hygius, bibliothécaire d’Auguste évoqué par Suétone63, et présenté ici par Jean-Yves Boriaud :
Espagnol ou alexandrin, en tout cas esclave, il fut ramené à Rome par César, y suivit l’enseignement d’Alexandre Polyhistor, avant d’être affranchi et chargé de diriger la Bibliothèque Palatine, ce qui, sans doute, lui valut de devenir l’ami d’Ovide. Il connut ensuite la disgrâce et la pauvreté, mais reçut le secours de l’ancien consul Cl. Licinius.64
Un argument a été opposé à cette datation des Fabulae, jusqu’au XIXe siècle : celui de « l’obligatoire pureté du style augustéen »65. Mais aujourd’hui, on pense que le latin des Fabulae ne l’exclut pas du siècle classique. En tout cas, les Fabulae sont œuvre de compilation et les strates qui les composent sont multiformes : théogonie d’inspiration grecque, fables grecques relues par les latins, catalogues, … La vocation des fables est pédagogique. Une partie du livre peut aussi se lire comme un compendium de pièces latines reprises du grec.
Il ne demeure que deux fragments de manuscrit des Fabulae. Un second témoignage, indirect cette fois-ci, nous est parvenu à travers l’œuvre qui figure parmi les Hermeneumata du Pseudo Dosithée. Daté de 208, ce travail se veut la traduction grecque de l’œuvre d’Hygin « connue de tous ». L’ouvrage auquel nous avons accès – et auquel a eu accès Gabriel Gilbert – a donc « subi outrages et dommages »66 . Il y a parfois eu des erreurs de recomposition. Une d’entre elles concerne la fable 137, intitulée « Méropé », dont la seconde partie se trouvait accolée à la fable 184.
On peut se demander comment Gilbert a eu accès au texte d’Hygin. Il y a eu au XVIe siècle deux éditions des Fabulae. En 1535, est publiée une édition bâloise qui offre le texte dans son état le plus ancien, et elle est rééditée en 1549, 1570, 1578 et 1609, sans grande nouveauté ou modification. En 1599, paraît une nouvelle édition des Fabulae, par Hieronymus Commelinus. Demeurée inachevée à sa mort, elle est achevée par son oncle Juda Bonutius. C’est sans doute l’une de ces deux éditions que Gilbert a consultée pour construire son intrigue, étant donné que les deux éditions des Fabulae au XVIIe siècle datent de 1674 et de 168167.
Dans la fable d’Hygin68, Polyphonte assassine Cresphonte, roi de Messénie, et s’empare de son trône ainsi que de sa femme, Mérope. Celle-ci a envoyé en secret son dernier fils, Téléphonte, en Étolie. L’ayant appris, Polyphonte met sa tête à prix. Animé par la vengeance, Téléphonte emploie une ruse pour pénétrer dans le palais du tyran : se faire passer pour son propre assassin. Polyphonte l’installe à la cour, afin de pouvoir vérifier ses dires. Apprenant par un vieillard que son fils avait disparu et que son assassin se trouvait à la cour, Mérope s’élance pour assassiner Téléphonte endormi. Le vieillard reconnaît le prince et prévient Mérope à temps. La reine décide alors de faire semblant de se réconcilier avec Polyphonte, qui, heureux et rassuré, va remercier les dieux. Là, Téléphonte, au lieu de frapper l’animal sacrifié, tue le tyran sur l’autel et retrouve ainsi le trône de son père.
La structure de cette fable est la suivante : les circonstances ; la péripétie initiale ; la péripétie suivante. C’est évidemment une structure qui convient à l’exposé d’un synopsis théâtral. La fabula est ici la trame d’une tragédie grecque, et elle va devenir celle de la tragi-comédie de Gilbert. Il reste à comprendre de voir comment on passe de cet exposé extrêmement sec, à fonction pédagogique, à un poème dramatique.
Tragédies italiennes §
Le sujet de Téléphonte a été traité à trois reprises par des dramaturges italiens du XVIe siècle : dans le Téléphonte d’Antonio Cavallerino, à Modène en 1583, puis dans le Cresphonte de Gio-Battisto Liviera, en 1588, à Padoue, et enfin dans la Mérope de Pomponio Torelli, à Parme en 1598.
Une intrigue amoureuse est bien présente dans la pièce de Torelli, mais elle est secondaire, à l’inverse de chez Gilbert, comme nous le verrons plus tard. Chez Cavallerino, il y a une scène de rêve prophétique. Mais il s’agit d’un topos quasiment attendu dans les tragi-comédies de la première partie du XVIIe siècle. Cette tradition a pu inspirer Gilbert, tout autant que la lecture de cette tragédie italienne. Dans la pièce de Torelli, il y a une allusion à un voyage à Délos, qui pourrait nous faire penser à celui de Philoclée, voyage pendant lequel elle est enlevée par des pirates et amenée à la cour du tyran. Ainsi, les ressemblances entre la pièce de Gilbert et ces tragédies italiennes se résument à des détails. Il y a donc une faible probabilité que le poète s’en soit inspiré et, même qu’il les ait lues.
La pièce de Torelli est évoquée dans le Cours de littérature dramatique de M. Saint-Marc Girardin, au chapitre XV, intitulé « De l’amour maternel – Mérope dans Torelli, Maffei, Voltaire et Alfieri », dans lequel l’auteur ne fait pas référence à la pièce de Gilbert :
Au seizième siècle, en 1595, le comte Torelli, qui, comme beaucoup d’écrivains italiens de ce siècle, mêlait les affaires et les lettres, et qui fut ambassadeur et poëte, a, dans sa Mérope, pris l’argument d’Euripide dans toute sa simplicité, et cela lui a porté bonheur.69
Construction de la pièce à partir de ces sources §
Nous considérons donc que Gilbert s’est principalement inspiré de la fable 137 d’Hygin pour composer son intrigue. Qu’en a-t-il conservé ? Gilbert garde tout d’abord les événements en lien avec le coup d’Etat du tyran : l’assassinat de Cresphonte et de ses fils, l’usurpation du trône et le mariage contraint pour Mérope, ainsi que l’exil de Téléphonte en Étolie, à sa naissance. Le poète emprunte aussi au mythe le désir de vengeance du prince, l’édit du tyran contre ce dernier, la ruse du déguisement et l’assassinat final du tyran sur l’autel de sacrifice. De plus, une même violence anime la Mérope d’Hygin et celle de Gilbert :
Méropé, croyant que le dormeur était l’assassin de son fils, gagna sa chambre avec une hache70 (Hygin)
Et ton corps foudroyé fumant dedans ces lieux,D’un spectacle si beau je repaistrois mes yeux » (Gilbert, vers 999-1000)Je boirois de son sang, je mangerois son cœur,Où le trouverons-nous pour assouvir ma haine. (vers 1056-1057)
Mais, si Gilbert garde les éléments fondateurs et finals du mythe, il va procéder à des modifications ainsi qu’à des ajouts. Son ajout majeur est évidemment l’intrigue amoureuse, qui fait intervenir deux personnages supplémentaires, une amante, Philoclée, et un rival en amour, Démochare, ainsi qu’une confidente de l’amante. Nous reviendrons plus précisément sur cet aspect de la pièce de Gilbert, qui est motivé, en grande partie, par les usages contemporains, et par là les attentes du public. Gilbert modifie aussi certains éléments qui peuvent apparaître comme des détails, mais qui permettent, le plus souvent, de passer d’une fable d’une vingtaine de lignes à une pièce en cinq actes.
Ainsi, nombre de ces modifications concernent les personnages. Gilbert change le nom du tyran, qui passe de Polyphonte à Hermocrate. Cela permet peut-être d’éviter la rime avec Téléphonte, tout se rapprochant du nom attribué à son fils, Démochare. Gilbert nomme les fils assassinés en même temps que Cresphonte, dans des vers prononcés par Mérope : « Allons dans les enfers, allons treuver Cresphonte, /Androphile, Drias, Eudeme, et Telephonte »71. Il donne aussi un nom à l’hôte qui accueille son fils lorsqu’il est encore nourrisson, le roi Amynthas. Le vieillard qui faisait l’intermédiaire entre la reine et son fils, est remplacé par Tyrène, fidèle du roi assassiné, soldat à la tête des conspirateurs, que l’on ne peut pas imaginer aussi âgé que dans la légende. Certaines de ses actions sont assumées par d’autres personnages dans la pièce : c’est Céphalie, la confidente, qui va annoncer la rumeur de mort et l’arrivée de l’assassin à la cour et c’est grâce à Philoclée que la reconnaissance va avoir lieu et que l’infanticide va être évité. Enfin, Gabriel Gilbert donne une autre réaction au tyran face à la nouvelle de l’arrivée de l’assassin de son ennemi. Dans le mythe, Polyphonte reçoit l’assassin chez lui afin de le tester en quelque sorte. Dans la pièce, cette méfiance prudente est absente : le tyran, en la personne de son fils, accorde pleinement sa confiance à Tyndare, ce qui accentue le caractère d’ironie tragique de cette scène72.
Gilbert ajoute aussi l’épisode du récit du rêve du fantôme de Cresphonte. L’intervention d’un mort à travers le songe relève presque du topos au début du siècle73. On le retrouve dans un certain nombre des tragédies de Hardy et de ses contemporains. L’apparition du spectre sur scène, qui parle au personnage endormi pose des problèmes de mise en scène (quel déguisement, comment représenter l’endormi sur un lit, au pied d’un arbre, etc…), qui, une fois résolus, réjouissent le public. Mais le rêve, prophétique ou non, peut aussi faire l’objet d’un récit comme ici.
Gabriel Gilbert modifie l’ordre de déroulement des événements de la reconnaissance et de l’assassinat des tyrans. Chez Hygin, Mérope décide de tuer le présumé assassin dans son sommeil. La reconnaissance a lieu grâce au vieillard, et mère et fils décident d’accomplir leur vengeance lors de la cérémonie de sacrifice. Chez Gilbert, le meurtre des tyrans a bien lieu dans le temple, mais il se situe avant la reconnaissance. Téléphonte, déjà vainqueur, se dirige vers les femmes, qui s’apprêtent à le tuer, quand l’instinct maternel et le souvenir amoureux s’accordent pour qu’ait lieu la reconnaissance.
Qu’est-ce que Gilbert gagne dans ce changement ? Le héros, absent des trois premiers actes et de la moitié du quatrième, apparaît comme encore plus héroïque, « généreux » au sens classique. Non seulement, il pénètre, sans armée ni compagnon, dans le palais de ceux qui veulent sa mort ; mais, qui plus est, il les affronte seul dans le temple :
Avec moy l’on diroit qu’ils veulent tous mourir,Pas un d’eux toutes fois ne me vient secourir :Et ce peuple incertain ne scait ce qui doit faire. (vers 1499-1501)
Ce prince héroïque s’avance ensuite vers les femmes, conscient du risque mais désireux d’éprouver l’instinct maternel – élément bien sûr absent chez Hygin. De plus, cette modification de l’intrigue entraîne un changement de l’attitude du personnage de Mérope. Dans la dernière partie du mythe, Mérope feint de se réconcilier avec le tyran, qui, tout heureux, célèbre une cérémonie de sacrifice. Chez Gilbert, ignorant le sort véritable de son fils, Mérope, furieuse, menace de se tuer, demande que le tyran mette fin à ses jours. Hermocrate, amoureux malgré tout, considère qu’elle finira bien par s’apaiser et va célébrer un sacrifice pour remercier les dieux.
Par ailleurs, ce déplacement d’épisode permet de faire coïncider le moment de la reconnaissance et la fin de la pièce. La scène 4 de l’acte V correspond au climax de la pièce : l’émotion de la reconnaissance est redoublée par celle de la nouvelle de la mort des tyrans et le récit du combat. En quelque sorte, toutes les actions ont eu lieu, tous les obstacles sont tombés sous la main vengeresse de Téléphonte, la paix est enfin revenue, comme l’annoncent les derniers vers de la pièce :
J’ay vangé par le sang mes freres et mon pereJ’ay delivré ma femme et mon peuple et ma mere,Aux rives de Pamise on verra desormaisFleurir la liberté, la Justice, et la paix.
Il ne reste plus qu’à célébrer le dénouement traditionnel d’une tragi-comédie, le mariage, qui aura lieu hors scène.
Nous pouvons aussi nous demander ce qu’apporte à la pièce la reconnaissance grâce à l’amante. L’ajout d’une intrigue amoureuse est alors, en quelque sorte, justifié. De plus, le caractère tragique est accentué : c’est celle qui s’est montrée la plus virulente pour l’assassiner qui le sauve de la fureur maternelle. Par ailleurs, Tyrène, héritier du vieil intermédiaire d’Hygin, ne peut de toute façon pas jouer ce rôle dans la reconnaissance : devenu fidèle guerrier, il vient de porter secours à son roi légitime, à la tête de trente fidèles.
Ainsi, par rapport à la trame initiale, Gabriel Gilbert débute, comme une tragédie, avec l’ultime action : un édit de mort a condamné Téléphonte, chaque camp attend les nouvelles annonçant son sort. Le poète construit une double intrigue : à la vengeance politico-familiale se mêle une vengeance personnelle, contre le rival en amour. Enfin, il crée une scène finale où tout est révélé : Téléphonte est en réalité vivant, les tyrans sont morts, Mycènes est reconquise, les femmes sont libérées, le mariage heureux peut avoir lieu.
Personnages §
Un héros entre absence et déguisement §
N’apparaissant qu’à la fin du quatrième acte, Téléphonte peut correspondre à ce que Jacques Scherer, dans La Dramaturgie classique en France74, appelle un « héros rare ». Téléphonte semble remplir les caractéristiques que Scherer attribue au héros classique : il est jeune. Son jeune âge est plusieurs fois rappellé par l’amante et par la mère, comme lors de la scène d’exposition aux vers 71-72.
Il brille par sa valeur militaire. L’épisode de Lycas le rebelle est d’abord raconté par Philoclée à Mérope75, puis rappelé par la même Philoclée pour mettre en garde Démochare et enfin évoqué par Tyndare. Et ce héros est malheureux, et ce même dans la tragi-comédie d’après Scherer :
Malheureux aussi dans la tragi-comédie puisque, si le dénouement dans ce dernier genre est heureux, le corps de la pièce a souvent le ton de la tragédie.76
Tous ces aspects du jeune héros, Téléphonte les possède. Mais il est aussi un héros absent d’une grande partie de la pièce éponyme. Jacques Scherer définit cette catégorie de héros ainsi :
Les héros volontairement rares sont ceux que l’auteur aurait pu mettre en scène fréquemment s’il l’avait voulu, mais qu’il préfère, pour mieux exciter le désir maintenant affirmé des spectateurs, ne montrer que dans des situations bien choisies et bien préparées.77
Nous pouvons nous demander si Téléphonte est véritablement un « héros volontairement rare ». Nous pouvons penser que, oui, Gabriel Gilbert aurait pu faire apparaître son personnage, sous le masque de Tyndare ou non, avant la fin du quatrième acte. Mais comme la première partie de sa pièce est centrée sur l’attente de nouvelles arrivant de Chalcis, il aurait sans doute été peu judicieux de faire apparaître le héros durant cette attente. À partir de l’arrivée du prétendu assassin à la cour, tout s’enchaîne assez vite, même si ce sont des événements majeurs, comme l’assassinat des tyrans, la tentative de meurtre par Mérope, la reconnaissance. Enfin, le héros se faisant attendre, le public peut dès lors identifier son attente à celle, angoissée, des femmes.
Par ailleurs, Scherer évoque la question de la place laissée vacante par le héros :
Quelles que soient les initiatives du héros, la place qu’il laisse libre, si l’auteur a choisi de lui donner l’auréole de la rareté, devra être occupée par d’autres personnages. Dans les pièces du début du siècle, cette place était donnée, de façon assez peu intéressante, à des intermédiaires ou à des confidents (…) À l’époque classique, c’est à ses ennemis que le héros cède la place.78
Comme nous le verrons plus loin, la pièce de Gilbert se situe dans une période de transition entre les tragi-comédies du début du siècle et les tragédies classiques. L’absence de Téléphonte laisse une place non négligeable à ses ennemis, Hermocrate et Démochare. Mais elle donne surtout la possibilité de s’exprimer aux femmes, défenseuses acharnées du héros, lors de leurs confrontations avec les tyrans.
Mais Téléphonte n’est pas seulement un héros rare. Il est aussi un héros qui a recours à la ruse et au déguisement. Georges Forestier nous apprend, dans L’Esthétique de l’identité dans le théâtre français79, qu’un tiers de la production dramatique entre la naissance du théâtre moderne et la fondation de la Comédie-Française fait appel au motif du déguisement80. Téléphonte se situe dans une période de recul des pièces à déguisement : la vogue est passée, les tragi-comédies déclinent tandis que les tragédies régulières reviennent sur le devant de la scène. Les années 1650 reverront un retour des pièces à déguisement, plus d’une pièce sur deux sont concernées, presque en totalité des comédies.
Selon la terminologie de Georges Forestier, il s’agit dans notre pièce d’un déguisement fondamental, c’est-à-dire sur lequel repose l’action, et il est bien sûr conscient. De plus, il s’agit d’un déguisement verbal, qui joue sur l’ironie comme nous le verrons par la suite. Téléphonte se fait annoncer comme son prétendu assassin et, au questionnement de Démochare, il se présente ainsi, ne déguisant en réalité que son nom :
On me nomme Tyndare, et je suis de Missene,La Fortune toujours m’a tesmoigné sa haine,Me trouvant en bas age et sans pere et sans biensJe me vis eslever chez les Etoliens,Jusqu’à ce jour fatal qu’une saincte furie,Ou plustost cet Amour qu’on a pour la patrie,M’inspira le dessein de sauver cet Estat,De vanger de ma main le cruel attentatTramé contre mon Roy. (vers 1169-1176)
Mais nous pouvons penser que le déguisement de Tyndare est aussi un déguisement d’apparence81. En effet, cette figure d’assassin semble socialement inférieure au prince héritier, élevé à la cour du roi d’Étolie. Ce déguisement entraîne un changement de condition82.
Pour Aristote, l’intérêt du déguisement réside dans le renversement, dans le passage de l’ignorance à la connaissance. Le déguisement n’est envisagé que sous l’angle de la reconnaissance, quand le masque est levé. Au XVIIe siècle, le déguisement est accepté par les critiques comme moyen de franchir des obstacles. Chapelain l’évoque lorsqu’il défend le modèle de la tragédie italienne, comme modèle de pureté face à la « barbarie » du modèle espagnol.
Georges Forestier définit les buts des déguisements conscients : la plupart relèvent de l’intrigue amoureuse, comme l’approche, la conquête ou la reconquête. Mais Téléphonte semble remplir la catégorie du « pouvoir » et de « l’héritage ». Georges Forestier fait alors référence à Téléphonte :
Dans plusieurs pièces, outre Ulysse, [le motif amoureux] cède la place au désir de vengeance, comme dans Téléphonte de Gilbert, où le héros afin d’accéder auprès de l’usurpateur, assassin de son père et époux de sa mère, se présente sous le nom de Tyndare et jure qu’il a tué le seul survivant mâle de la famille, Téléphonte, c’est-à-dire lui-même.83
Le dénominateur commun de tous les déguisements conscients est la volonté et la nécessité. C’est en effet au héros, moteur de l’action, de surmonter les obstacles qui l’empêchent de satisfaire ses désirs.
Dans son ouvrage, Georges Forestier évoque aussi les aboutissements du processus de déguisement :
Non seulement l’intervention du personnage, capable de reconnaître le déguisement se fait toujours à point nommé, mais il s’agit presque systématiquement d’un personnage introduit par la circonstance, version très particulière du deux ex machina. »84
Cette remarque semble correspondre au cas de Téléphonte. En effet, on peut considérer que l’un des rôles majeurs de Philoclée, personnage introduit par Gilbert dans le mythe initial, est de permettre la reconnaissance et d’ainsi éviter le meurtre du fils par la mère – même si l’on peut présumer que, de toute façon, Téléphonte ne se serait pas laissé poignarder par Mérope, qui est elle-même ébranlée par l’instinct maternel.
Suivant la réflexion de Georges Forestier, « tout déguisement repose sur une combinaison de deux signes : un signe statique, donné d’emblée, et un signe dynamique, qui se construit à mesure que le rôle fictif se développe. »85 Dans la scène 6 de l’acte IV, la seule scène où le déguisement est présent sur scène, ces signes statiques correspondent à l’affirmation du nom « Tyndare », qui à lui seul pourrait suffire à remplir la fonction de déguisement, ainsi qu’aux marques physiques. Aucune didascalie, même interne, n’est donnée concernant l’allure ou la voix du déguisé.86 Quant aux marques physiques, Téléphonte/Tyndare joue précisément sur cet aspect pour souligner la ressemblance entre le jeune prince et lui, lorsque Démochare lui demande de le décrire :
Il estoit de mon poil, à peu pres de mon age, (vers 1261)
Du point de vue dramaturgique, tous les personnages sont les victimes du héros déguisé. Seuls Tyrène, Tydée et Thoas le reconnaissent instantanément malgré son déguisement :
Tydée: « Tyrene, est-il possible, as-tu veu Telephonte ? » (vers 1297)
Par ailleurs, le déguisement de Téléphonte le place, en tant que personnage déguisé, dans une position ironique par rapport à la victime du jeu, en l’occurrence Démochare dans la scène 6. Chaque réplique de Tyndare signifie telle chose pour Téléphonte et le contraire pour son rival. La seule parole déguisée est en fait « On me nomme Tyndare ». Le reste, s’il n’est ni détaillé ni éclairé à la lumière d’une révélation de la véritable identité, n’est cependant que vérité. Ainsi, comme le public est au courant de la situation, l’ironie dramatique s’exerce pleinement, jusqu’à saturer cette scène où l’on voit le fils du tyran exprimer tout son amour passionnel et sa volonté de faire céder Philoclée devant celui-là même qui est venu la venger. Au cours de ce long entretien, interviennent des apartés au travers desquels Téléphonte se sépare de Tyndare, s’encourageant à sonder son ennemi ou menaçant celui-ci.
Enfin, nous devons évoquer ce que Georges Forestier nomme « la désignation »87. Il s’agit d’introduire l’information de façon naturelle. La signalisation n’intervient pas nécessairement dans les scènes d’exposition mais au moment de l’entrée en scène du personnage déguisé. Georges Forestier cite ici l’exemple de Téléphonte :
Le héros éponyme de la tragi-comédie de Gilbert, Téléphonte, ne fait son entrée qu’au milieu du quatrième acte, se faisant passer, sous le nom de « Tyndare », pour son propre assassin. L’action lancée depuis trois actes et demi déjà, on n’ignore rien de son état ni de sa situation. Gilbert lui a pourtant fait prononcer un monologue de soixante-dix-huit vers, pour le présenter, expliquer son déguisement, détailler ses projets de vengeance, exprimer ses sentiments. Malgré sa longueur, il n’est pas douteux que la première fonction de ce monologue est une fonction de signalisation.88
Il faut en effet avouer que le monologue de Téléphonte pèche par manque de naturel, et semble quelque peu redondant par rapport aux éléments déjà apportés par la première scène de la pièce. Dans cette seconde pièce, écrite lorsqu’il avait une vingtaine d’année, Gabriel Gilbert se montre quelquefois laborieux.
Jeux de symétrie §
En ajoutant les personnages de l’amante et du rival en amour, Gabriel Gilbert crée un effet de symétrie. Le poète met en effet en scène deux amours tyranniques en action. Pour les beaux yeux de Mérope, Hermocrate a jadis assassiné son époux et ses fils, et pour pouvoir continuer à jouir de ses charmes, il n’hésite pas à mettre à prix la tête du dernier survivant89. Démochare, sur le modèle de son père, garde prisonnière Philoclée et compte bien la contraindre au mariage, pour pouvoir lui-aussi la garder à ses côtés.90
Face à ces deux figures de la passion tyrannique, on trouve deux prisonnières, une reine et une princesse. Elles sont toutes deux extrêmement fières, et ne comptent pas s’abaisser devant leurs ravisseurs. Elles font allusion au suicide face à leur amant tyrannique91, et choisissent de mourir ensemble, après avoir accompli leur vengeance. Philoclée peut donc, dans un premier temps, être perçue comme une seconde Mérope, malgré la différence des situations qui ont initié leurs malheurs :
Mérope : Le sort de mesme cause a tiré nos malheurs ;Nous souffrons des Tyrans l’Empire illegitime,Nous sommes toutes deux les esclaves du crime. (II, 1, vers 352-354)
Chacune d’entre elles se retrouve au cœur d’un triangle amoureux à l’issue fatale : l’époux, aimé, a été assassiné ou est sur le point de l’être. Un tyran entend s’emparer, au sens physique du terme, de la femme de ses vœux, éliminant quiconque s’opposerait à ses plans.92
Ces deux caractères dédoublés vont entraîner, du point de vue dramatique, comme nous l’avons dit précédemment, la structure récurrente de la confrontation. Les femmes semblent harcelées par les tyrans, sentiment qui apparaît de manière explicite dans leurs répliques :
Aussi quelque importun m’assassine toujours. (III, 2, vers 632)Ah ce mauvais Genie est toujours à ma suitteIl agite ma vie, et trouble mon repos (III, 1, vers 625-626)
Dans ces duels verbaux, les tyrans sont caractérisés par leur passion aveugle et leur incompréhension face à la souffrance féminine. La perte d’un fils n’est rien à côté de celle d’un époux ; la nouvelle de la mort de son promis n’est pas si importante quand on voit se présenter tout de suite à vous un nouveau prétendant93. Un tel aveuglément et un tel égoïsme prêteraient presque à sourire, si la situation n’était pas aussi tragique.
La ressemblance entre Hermocrate et son fils est exprimée de manière explicite dans une réplique de Philoclée. Cette réplique est au départ conçue pour montrer en quoi Téléphonte, l’amant aimé, diffère de Démochare, l’amant sous la contrainte. Mais elle permet de dresser une autre symétrie, entre Téléphonte et le roi assassiné, Cresphonte :
Comme luy vostre bras imite un Pere illustre (…)Vostre esprit d’Hermocrate en rien ne degenere,Vous estes digne fils de ce vertueux Pere.Estre subjet perfide, usurper des EstatsFaire d’injustes loix et de noirs attentats,À ses gages tenir des meurtriers infamesEt faire le vaillant en mal traittant des femmes,Ce sont là vos vertus, ce sont là vos hauts faits. (vers 725- 739, III, 2)
La pièce de Gilbert met donc en place différents jeux de symétrie qui enrichissent le mythe d’Hygin, sans pour autant vraiment compliquer l’intrigue.
Un personnage inventé sur le devant de la scène §
Gabriel Gilbert donne le rôle le plus important à une femme. Ajout principal à l’intrigue transmise par Hygin, elle est l’objet d’un chantage imaginé par Hermocrate contre le roi d’Étolie, pour parvenir à mettre la main sur Téléphonte. Elle est l’objet d’une rivalité entre les deux princes héritiers, légitime et illégitime. C’est elle qui, par l’intermédiaire de sa confidente Orphise, convainc Mérope de ne pas céder au suicide avant d’avoir vengé la mort de Téléphonte. Enfin, c’est elle qui permet la reconnaissance, moment-clef de la pièce. Du point de vue du texte lui-même, Philoclée est celle à qui Gilbert donne le plus la parole. Philoclée est présente dans onze scènes, de même que Mérope. Elle prononce quatre-vingt-seize répliques, soit trois-cent-quatre-vingt-dix vers sur mille cinq-cent-quarante huit94. Absente du premier et du quatrième actes, elle est omniprésente dans les trois autres. Elle évince Mérope, qui, d’Hygin à Voltaire, est considérée comme la véritable héroïne de ce mythe. Or cette importance donnée à une héroïne peut sans doute s’expliquer par l’esthétique galante qui marque les œuvres de Gabriel Gilbert.
Vraie ou fausse tragi-comédie §
Courte présentation du genre95 §
Le terme même de « tragi-comédie » apparaît dans une comédie latine, l’Amphitryon de Plaute. Dans le prologue, le poète charge son personnage Mercure de dénommer sa pièce :
Car faire d’un bout à l’autre une comédie d’une pièce où paraissent des rois et des dieux, c’est chose, à mon avis, malséante. Alors, que faire Puisqu’un esclave y tient aussi son rôle, j’en ferai, comme je viens de la dire, une tragi-comédie.96
Mais cette formulation de Plaute, qui ne constitue en réalité qu’une plaisanterie, dans le but de justifier une comédie hybride, présentant des dieux et des héros, n’ouvre pas la voie à un genre nouveau.
L’assimilation de la tragi-comédie à une tragédie à fin heureuse est un choix critique fréquent, et ce depuis la naissance même du genre. Lorsque l’abbé d’Aubignac écrit : « … mais dés lors qu’on a dit Tragi-Comédie, on découvre quelle en sera la Catastrophe »97, il dénonce le fonctionnement codé du genre. Le spectateur sait en effet que la fin sera heureuse, et il en connaît la nature. Cette idée persiste jusqu’au XXe siècle. Le Lagarde et Michard consacré au XVIIe siècle donne cette définition : « La tragi-comédie n’est pas, malgré son nom, un mélange de tragédie et de comédie. C’est une tragédie qui finit bien ». De plus, ce qui ressort de la plupart des définitions, ce sont les critères du dénouement et de l’historicité de l’action. Hélène Baby utilise l’expression de « fiction teintée d’historicité ».
Le genre tragi-comique apparaît au cœur des débats du début du siècle, chez les tenants d’un théâtre libéré de la référence constante de l’autorité antique. Deux revendications sont incarnées par la tragi-comédie : la modernité de sa forme et l’irrégularité de sa dramaturgie. À partir du chapitre d’Hélène Baby, « Un objet piégé. Poétiques de la tragi-comédie », nous pouvons établir quatre courants dans les discours critiques sur la tragi-comédie. Du côté des « irréguliers », il y a ceux qui défendent la tragi-comédie irrégulière, sans recours aux Anciens et ceux qui font référence aux Anciens et affirment l’équivalence entre la tragi-comédie et plusieurs tragédies antiques. Du côté des « réguliers », on trouve une théorie moyenne, qui consiste à reconnaître la validité du nom de tragi-comédie au nom des Anciens, et une théorie radicale, selon laquelle il faut intégrer la tragi-comédie dans la tragédie, en annihilant le signifiant98. Voici la conclusion d’Hélène Baby :
Les trois dernières théories entraînent la même conséquence : la réduction, la redéfinition, la disparition du genre, désormais englouti dans la tragédie. Le discours critique contribue donc à la création d’une tragi-comédie virtuelle, d’abord vidée de sa substance, et bientôt privée de son nom.
Peut-on définir, à partir du répertoire tragi-comique, un comique et un tragique spécifiquement au genre ? Hélène Baby répond par l’affirmative, et caractérise ainsi le comique tragi-comique :
La dérision concerne l’ensemble de la production tragi-comique et touche même de nombreuses tragi-comédies, qui semblent, à la première lecture, respecter un ton uniformément sérieux. Malgré la gravité des situations, des traits plus légers viennent toujours nuancer et modifier la trame trop grave de l’action (…) Le ton léger naît en effet de la dégradation imposé à la grande affaire qu’est l’amour, et à la grande menace qu’est la mort.99
Quant au tragique tragi-comique, voici la définition qu’elle en donne :
La violence et la proximité de la mort constituent les éléments essentiels de la définition du tragique tragi-comique. De fait, la mort prend la forme de la guerre, du duel, du supplice, et, si elle s’arrête à la seule menace pour les héros, elle s’actualise le plus souvent pour leurs ennemis.100
Nous verrons que ces deux définitions s’appliquent sans aucun doute à la pièce de Gabriel Gilbert, dans laquelle la violence et la menace de mort sont évidemment présentes, mais aussi dans laquelle la dérision n’est pas absente.
Le tragique réside donc dans la menace de mort. Car il est impossible que le héros meure, du fait même de la convention romanesque qui le rend éternel. Dès lors, dans les tragi-comédies à reconnaissance, comme Téléphonte, « l’événement le plus irrémédiable, la mort, n’est que le tremplin de la résurrection. Rien n’est jamais définitif ».101 Bien sûr, la mort n’est impossible que parce qu’elle est fausse. La fausse rumeur permet alors l’évocation de l’éternel retour, comme le montre cette réplique de Marguerite de France, dans la dernière scène de la pièce de Gilbert :
Si je vous ai vu mort, songez quelle est ma joieQu’en dépit de la Parque encore je vous revoie,Mais il faut que le Ciel vous ait ressuscité,Ou bien que mon esprit fût un temps enchanté.
Selon Hélène Baby, ces vers sont d’une extrême importance car ils soulignent à la fois l’effet du procédé de la fausse mort, c’est-à-dire le plaisir du spectateur, et le « lien entre le ciel et la convention dramatique » :
L’invalidation du miracle divin allant de soi, ces quatre vers affirment avec force que la réversibilité de la vie et de la mort n’est qu’affaire d’enchantement, c’est-à-dire de théâtre.102
Enfin, nous devons aborder la question des personnages de tragi-comédie. Le genre semble en effet faire appel à des archétypes, comme le couple de héros amoureux ou l’acteur à la fois rival et souverain. Chaque personnage principal se trouve en général doté de confidents. Les tragi-comédies se caractérisent, pour la plupart, par un grand nombre de personnages, souvent très divers. L’effectif oscille entre sept et vingt-cinq personnages, avec un nombre moyen supérieur à treize personnages par pièce – auquel s’ajoutent les personnages anonymes et silencieux.103
Des éléments traditionnels… §
On peut trouver dans la pièce de Gabriel Gilbert, étiquetée par le poète lui-même « tragi-comédie », des éléments caractéristiques du genre. L’intrigue est inspirée par une source historique. En effet, si Hygin ne correspond pas à ce que nous appelons aujourd’hui historien, ses catalogues et listes de mythes sont, dans l’antiquité et encore au XVIIe siècle, considérés comme des travaux d’historien104. L’intrigue, à première vue politique, met en scène des personnages nobles. Gilbert semble choisir l’étiquette « tragi-comédie » en vertu de la fin de sa pièce, qui correspond, comme nous l’avons vu, à la principale, si ce n’est l’unique, contrainte de la tragi-comédie, le dénouement heureux dans un mariage.
Il s’agit d’une histoire de conflit mortel entre un ancien sujet usurpateur et un héritier du souverain légitime détrôné et assassiné. La vengeance, thème majeur du genre tragi-comique, est au cœur de la pièce. Téléphonte, bien sûr, veut venger l’honneur des siens. Il a cherché à obtenir l’aide d’Amynthas qui lui a demandé d’attendre et de se montrer prudent, Philoclée l’a retenu auprès d’elle à Chalcis105. Téléphonte se trouvait alors partagé entre l’amour pour sa future épouse et le devoir qu’exigeait l’amour paternel. Lorsque devoir filial et rivalité amoureuse se retrouvent liés par l’enlèvement de Philoclée, tout converge vers l’accomplissement de la vengeance. Mais la vengeance est aussi un motif présent dans les discours des autres personnages. Mérope appelle à la vengeance divine, tandis que Philoclée menace Démochare de la vengeance que lui feront subir son père, Amynthas, et son amant, Téléphonte106.
Ah vengeance ! Ah mon pere ! Ah mes divins Ayeux ! (II, 3, vers 515)
Le motif de l’énumération de tous les peuples que peut s’allier le roi d’Étolie revient plusieurs fois dans la pièce, permettant à la fois de donner une couleur antique aux vers de Gilbert et de montrer que le poids du destin finira d’une façon ou d’une autre par accabler les tyrans. De plus, l’édit contre Téléphonte est considéré par les tyrans comme une sorte de vengeance contre celui qui a osé imaginer mettre fin à leur vie.
D’autres épisodes relèvent de topoï tragi-comiques au début du siècle et sont repris par Gilbert. Mais ils sont, en quelque sorte, atténués. L’action se concentrant sur une période assez courte – sûrement une soirée, une nuit et un matin –, les événements les plus romanesques, qui auraient été les plus spectaculaires au niveau de la mise en scène, font seulement l’objet de récit. C’est le cas pour l’enlèvement de Philoclée par des pirates, alors qu’elle rentrait de Délos pour aller célébrer son mariage avec Téléphonte, puis pour sa séquestration par les tyrans. Dans l’exposition, Mérope et Céphalie rappellent les malheurs de la jeune princesse, qui ont eu lieu avant que la pièce ne commence, malheurs qu’elle détaillera elle-même lors de sa première apparition.107
Le surnaturel peut être une des marques du genre tragi-comique. Il est présent dans Téléphonte, à travers le rêve d’Hermocrate, dans lequel apparaît le spectre du roi assassiné qui prophétise la fin des tyrans. Comme l’épisode des pirates, cet événement est seulement présenté dans un récit, qui permet de montrer ensuite un tyran extrêmement anxieux, au bord du malaise.108
Enfin, nous l’avons déjà longuement évoqué, Téléphonte est une pièce à déguisement, ce qui, sans être une caractéristique exclusive de la tragi-comédie, a été tout de même largement exploité par le genre au cours de la première moitié du XVIIe siècle. Ce déguisement entraîne une reconnaissance, ce qui nous amène à interroger le dénouement de la pièce. Il semble correspondre à cette particularité, fréquente dans les tragi-comédies et critiqué par les théoriciens de la dramaturgie régulière, qu’Hélène Baby appelle « l’amplification ». En effet, la pièce ne se conclut pas avec la mort des tyrans. Le dénouement s’étire de l’entracte jusqu’à la fin de l’acte V, pour laisser le temps à la reconnaissance d’avoir lieu, grâce à un deus ex machina laïcisé, qui prend figure humaine. Hélène Baby souligne que « la reconnaissance n’est pas justifiée sur le plan interne »109. Dans le cas de Téléphonte, on peut penser que c’est le cas, étant donné que la vengeance féminine constitue le dernier obstacle au dénouement heureux. Certes, c’est un obstacle créé par le héros lui-même, en vertu de la réussite de son entreprise de vengeance contre les tyrans, mais cet obstacle doit tout de même être surmonté par la reconnaissance. Reconnaissance qui, par ailleurs, est nécessaire en cela qu’elle est l’un des éléments majeurs de l’histoire de Mérope et Téléphonte.
Nous avons évoqué auparavant le comique tragi-comique110. Est-il à l’œuvre dans notre pièce, qui, à première vue, semble essentiellement sérieuse ? Nous avons déjà souligné que l’aveuglement profond des tyrans en matière d’amour, qui se résume chez eux à la possession physique, pourrait prêter à sourire, si les conséquences de cette passion n’étaient pas aussi tragiques. De même, l’ironie tragique, qui structure la scène 6 de l’acte IV, entre Tyndare et Démochare, donne lieu à des effets si gros qu’une telle saturation pourrait ridiculiser le fils du tyran. Néanmoins, il n’y a ni raillerie ni ton désinvolte dans cette pièce. Téléphonte est une tragi-comédie beaucoup moins « tragi-comique » que la plupart.
À propos de la question des personnages, Hélène Baby cite la pièce de Gilbert pour montrer qu’elle se différencie quelque peu du reste du corpus tragi-comique.111 La figure d’autorité n’est pas un roi, qu’il soit père, rival ou juge, mais un usurpateur dont la violence est motivée par sa crainte de subir la vengeance de l’héritier légitime.
Ainsi, c’est en vertu d’un nombre assez réduit de caractéristiques tragi-comiques que la pièce de Gabriel Gilbert peut être rattachée à la tradition de la première partie du XVIIe siècle. Or cette œuvre de jeunesse a été composée à une période où le genre amorce un déclin, au profit de la renaissance de la tragédie régulière.
… Dans une pièce sur la voie de la régularité §
Au début du XVIIe siècle, le genre tragique, hérité de l’Antiquité, se voit critiqué et délaissé par des auteurs qui se présentent comme des « modernes », et qui promeuvent le genre moderne de la tragi-comédie. Mais en quelques années, les « six années de débat (1628-1634) » évoquées par Georges Forestier 112, un véritable renversement va s’opérer.
Commençons avec la préface d’Ogier à la tragi-comédie Tyr et Sidon de Jean de Scélandre, en 1628113. Ogier y défend le principe primordial qui doit régner au théâtre, le plaisir, au détriment de l’instruction morale. L’idée est de remplacer le genre tragique, purement asservi à l’imitation de l’Antiquité, par la tragi-comédie, le genre moderne par excellence. Mais, néanmoins, « être moderne signifie rejeter non pas tout l’humanisme, mais l’humanisme aveugle et pédant des ronsardiens et des professeurs de l’Université. »114 Malgré ces précautions d’Ogier, le risque était grand de voir des auteurs, plus radicaux, si l’on ose dire, se tourner vers une liberté totale, quitte à en oublier le « goût du siècle ». C’est à ce moment-là qu’intervient Chapelain, dans une lettre datée du 29 novembre 1630, adressée à Godeau, membre comme lui de la petite « académie Conrart », mais dont le véritable adversaire est en réalité Mareschal. Ce dernier, dans la préface de sa Généreuse Allemande, imprimée en novembre 1630115, a fait référence à deux concepts hérités d’Aristote, l’imitation et la vraisemblance. En somme, pour que le sujet ait « l’apparence » du vrai, il faut tout montrer sur le théâtre. Se fondant sur l’articulation de ces deux concepts, Chapelain va priver les irréguliers de la presque totalité de leurs arguments. Il s’agit de justifier les règles par la raison et la modernité de ces règles, en montrant pourquoi des « raisons (éternelles) ont « obligé » les Anciens à s’attacher aux règles »116, en retournant l’argument majeur des irréguliers, c’est-à-dire le plaisir.
Une deuxième étape a lieu avec l’intervention de Mairet, dans la préface de sa Silvanire117. Il prend la défense de la conception mimétique de l’illusion théâtrale développée par Chapelain, mais au nom du plaisir, et plus seulement comme le moyen d’impressionner l’esprit pour le purger de ses passions. Georges Forestier résume ainsi la stratégie de Mairet :
Puisque le plaisir de l’imagination est la fin de l’art théâtral, il est rigoureusement nécessaire de réunir les conditions propres à l’obtention de ce plaisir spécifique ; or ces conditions consistent à susciter l’illusion de présence, ce qui ne peut se faire que par le respect absolu de la règle des vingt-quatre heures. En établissant qu’il n’y a de plaisir que dans la vraisemblance de la représentation, Mairet opère un pas décisif : il invente le principe du plaisir par la règle.118
Enfin, Chapelain reprend les arguments de Mairet dans les Sentiments de l’Académie française sur la tragi-comédie du Cid119, publiés en 1637, en assimilant « les partisans du plaisir aux partisans du plaisir raisonnable »120. Ainsi, « le programme régulier »121 tracé par Chapelain et Mairet et basé sur l’acceptation raisonnée des règles, est très vite accepté par les auteurs de théâtre, ainsi que par les comédiens – même si les irréguliers résistent, comme en témoigne l’abondante production de tragi-comédies irrégulières dans les années 1630.
Ce n’est donc pas un hasard si une tragi-comédie composée dans les années 1640 délaisse quelque peu la tradition irrégulière et volontiers spectaculaire du début du siècle, pour se situer plutôt du côté d’une régularité renaissante.
Ainsi, dans Téléphonte, les topoï du genre sont, d’une certaine manière, atténués. L’épisode des pirates est seulement narré, en quelques vers. Il en est de même pour l’apparition de Cresphonte au tyran endormi. Aucun combat n’a lieu sur scène. Au nom de la bienséance, Téléphonte tue les tyrans durant l’entracte de l’acte IV à l’acte V. Un long récit permettra au public de connaître le courage du jeune héros. La seule véritable action de la pièce est en fait la tentative de meurtre par Mérope contre son propre fils.
Cette tendance à la simplicité se voit aussi dans le nombre relativement réduit de personnages sur scène. Il y a huit acteurs annoncés dans la liste des personnages : deux ennemis, trois héros, et leurs trois confidents. Apparaissent sur scène trois autres personnages : un serviteur du tyran, Amynthor, qui prononce seulement une réplique, et deux fidèles du roi assassiné, Tydée et Thoas, qui ne sont présents que durant une seule scène, assez courte. Avec onze personnages, dont trois mineurs, la pièce de Gilbert se situe donc en dessous de la moyenne.
Par ailleurs, du point de vue des personnages, Téléphonte se différencie par rapport à la majorité des tragi-comédies. Hélène Baby répertorie seulement trois pièces qui autorisent la rébellion du héros contre la figure d’autorité122, parce que le souverain n’est alors qu’un tyran, au sens politique d’usurpateur. Les indications scéniques sont révélatrices de l’univocité du propos politique. Même si la liste des personnages présente le roi sous son nom, toutes les didascalies font mention du « tyran » et ne rappellent jamais son nom. Hermocrate n’est donc que « l’incarnation politique de l’illégitimité d’un pouvoir qui ne peut triompher ».123
L’action de la pièce est centrée : une vengeance est sur le point de s’accomplir. On attend avec angoisse des nouvelles du prince héritier. Lorsque les nouvelles sont parvenues au palais, les deux camps réagissent à la rumeur de mort. Un renversement a alors lieu, et la vengeance s’accomplit. La tragi-comédie dite d’intrigue entraîne une superposition des obstacles124. Le jeune héros contribue à cette combinaison d’obstacles : l’obstacle créé à l’extrême fin de la pièce par la fausse identité du héros combine une fausse mort et un désir de vengeance. Hélène Baby souligne que :
Ce mode d’organisation des obstacles assure donc à l’action une dynamique bien plus serrée, et fournit un type plus régulier de tragi-comédie, où la logique remplace le hasard de la succession. Les oppositions sont mêlées, forment des nœuds où la combinaison des éléments remplace leur succession.125
Dans cette pièce, l’unité de lieu tend à être respectée. Alors que dans d’autres tragi-comédies, le public est amené à voyager dans des lieux, voire des pays différents, Téléphonte correspond à ce qu’Hélène Baby nomme une « tragi-comédie de palais » ou une « tragi-comédie d’intrigue »126. Ce type de tragi-comédie, à l’inverse de la tragi-comédie liée à l’itinéraire de la route, qui disparaît peu à peu dans la décennie 1630-1640, limite le champ de l’action à un seul lieu. On peut imaginer que la scène a lieu dans un endroit du palais du tyran dans lequel tous les personnages peuvent aller et venir.
De même, la durée de l’intrigue n’est pas explicitement signalée, mais on voit nettement que la pièce de Gilbert se démarque de tragi-comédies pouvant durer des mois. La pièce semble durer un jour et une nuit. Durant le premier jour, marqué par l’attente de nouvelles de Chalcis, ont lieu la plupart des confrontations entre les tyrans et les femmes. On peut penser qu’il s’agit seulement d’une soirée. Pendant la nuit, Téléphonte fait son apparition au palais. Plusieurs vers désignent explicitement le caractère nocturne de ces scènes, ce qui ajoute du mystère au déguisement127 :
Et devant que le jour ralume son flambeau,Ou les tyrans ou moy seront dans le tombeau.128La nuit nous favorise et tout nous est permis129Et je l’ay descouvert dans l’ombre de la nuict130
Enfin, le dénouement correspond sans doute à l’aube du second jour, métaphore assez traditionnelle d’un nouveau règne, légitime et dans la paix cette fois-ci.
Ainsi, lorsque Gilbert écrit Téléphonte, une tragi-comédie d’intrigue, il se situe pleinement dans son époque, décennie durant laquelle ce type de tragi-comédie, répondant aux exigences de la régularité, va être de plus en plus employé.
L’idée que cette tragi-comédie ressemble plutôt à une tragédie à fin heureuse peut dès lors se comprendre par le fait que ce genre extrêmement libre tend désormais vers la simplicité et la régularité. Cela permet d’expliquer l’absorption de la tragi-comédie par la tragédie à partir des années 1640 : tandis que l’une devient peu à peu régulière, la seconde, depuis la révolution cornélienne, n’implique plus nécessairement la mort du héros, mais celle de la figure criminelle de la pièce.131
La part faite à l’esthétique galante §
La galanterie dans le théâtre du XVIIe siècle §
Nombre de critiques du XVIIe siècle font preuve d’une hostilité évidente à l’égard de l’esthétique galante appliquée au théâtre. On condamne principalement le fait de retrouver un héros de roman dans la tragédie. Outre l’idée communément acceptée que la poésie dramatique est un genre bien plus noble que le roman, la critique vient aussi de la définition que l’on entend donner au héros tragique. Les héros tragiques qui donnent dans la galanterie, par leur discours ou – pire encore – par leurs actes, déplaisent parce qu’ils ne se distinguent plus du commun des mortels. Par ailleurs, introduire la galanterie dans la tragédie entraînerait des déficiences poétiques au plan de l’action proprement dite, une intrigue amoureuse, secondaire, parasitant l’unité d’action.
En réalité, c’est la pratique même de l’épisode amoureux qui se voit incriminée. Cet épisode est considéré comme essentiellement secondaire, soumis à des intérêts plus grands, comme la vengeance ou la gloire. Il n’est présent que par effet de mode, si l’on ose dire, ou au nom des attentes du public.
Les théoriciens de la littérature vont ainsi être amenés à réfléchir sur la question de l’amour au théâtre. L’un d’entre eux, le Père Rapin, dans ses Réflexions sur la poétique, parvient à la conclusion que seule la passion amoureuse, dévastatrice, présente dans l’action principale, paraît acceptable. L’amour doit être accompagné de « jalousie », qui « transforme tout en feu, en flamme et en morts ».132 Rapin condamne avec fermeté les héros guerriers rendus amoureux par des poètes trop enclins à suivre la mode galante :
C’est par eux [les Espagnols] que la tragédie a commencé à dégénérer, qu’on s’est peu à peu accoutumé à voir des héros sur le théâtre, touchés d’un autre amour que celui de la gloire ; et que tous les grands hommes de l’Antiquité ont perdu leur caractère entre nos mains.133
Or Rapin associe cet épisode amoureux à la profusion tragi-comique. Même lorsque que l’épisode amoureux n’est pas détaché de l’intrigue principale, qu’il n’est plus une simple décoration mais une intrigue secondaire et subordonnée134, il peut apparaître comme un apport de la tragi-comédie à la tragédie. Hélène Baby souligne que :
Rares sont les tragi-comédies où les intrigues secondaires – ayant une influence sur le destin du couple principal – n’ont pas trait à l’amour.135
Au XVIIIe siècle, la condamnation de l’épisode amoureux est devenue un lieu commun.
La question de la représentation de l’amour vertueux fait aussi son apparition dans les débats théoriques. Rejeté pleinement par les augustiniens, qui voient l’amour vertueux comme un « péché qui avance masqué et qui n’est donc pas reconnaissable comme tel »136, l’amour chaste peut être pensé par certains critiques comme n’offensant en rien la morale. Ainsi Perrault, dans sa Défense d’Alceste, se place dans la perspective de représenter l’amour chaste et héroïque des personnages principaux et l’amour immoral des personnages secondaires.137
Pourtant, tôt dans le siècle, la tragédie se prend à trouver des charmes à cette esthétique galante qui lui est en tout point opposée. La tendance est alors à adoucir la violence au cœur de la tragédie. Le langage tragique s’orne donc d’agréments. Il se fait galant, en jouant « simultanément sur les voies du cœur et de l’esprit, sur l’émotion et l’ingéniosité, sur le molle atque facetum ».138 Ce langage se caractérise par une abondance de marques de civilités, des valeurs présentes dans la conversation mondaine139, comme la raillerie, le mot d’esprit, le compliment, le « je ne sais quoi », les lettres d’amour, les cas de conscience. Un tel langage dramatique n’a été théorisé que tardivement, dans le dernier tiers du XVIIe siècle. Les larmes tragiques, expression du dolor tragique, sont aussi un exemple de l’influence de l’esthétique galante sur le théâtre. Dotées d’un nouveau sens, les larmes sont rattachées à l’idéal galant, car elles sont très vite perçues comme un des attributs de la poésie mondaine.
Selon Carine Barbafieri, l’esthétique galante a bien eu une influence très tôt sur le théâtre tragique du XVIIe siècle. Dès sa renaissance, la tragédie se définit par rapport aux normes mondaines qui sont celles du public des théâtres, c’est-à-dire les normes galantes. La tragi-comédie en passe de devenir régulière, dans les années 1640, est évidemment elle-aussi marquée par cette esthétique.
Gabriel Gilbert, un poète galant §
L’amour occupe une place essentielle dans le théâtre tragique, tragi-comique et comique de notre dramaturge. Il suffit de regarder les titres de ses pièces, et cet intérêt pour les intrigues amoureuses apparaît comme une évidence : Hypolite ou le garçon insensible140 ; Les Amours de Diane et d’Endymion ; Arie et Petus, ou les amours de Néron ; Les Amours d’Ovide ; Les Amours d’Angélique et de Médor ; Les intrigues amoureuses ; Les peines et les plaisirs de l’amour. On peut difficilement faire plus explicite. Dans la dédicace de sa tragédie, Les Amours de Diane et d’Endymion, Gabriel Gilbert écrit lui-même, de façon polémique, qu’un très grand nombre de sujets peuvent être transformés en histoires d’amour :
quoiqu’il [Endymion] paraisse sous l’habit d’un Pasteur, la Grèce le compte entre ses plus grands Rois, il a régné quelque temps heureusement dans l’Élide, mais l’Amour qu’il eut pour les Lettres lui fit quitter ses États et le fit passer d’Europe en Asie où les sciences florissaient alors. Pour mieux observer le cours des Astres qui était sa principale étude, il s’arrêta sur le mont Lathmos qu’il a rendu célèbre par son séjour. C’est ce qui a donné lieu aux Poètes, qui couvrent la vérité de fictions agréables, de faire une fable de cette Histoire : en feignant qu’Endymion était amoureux de Diane, ils ont fait d’un Roi un Berger et d’un Sage un Amant.141
Inventer une histoire d’amour au cœur d’un sujet mythologique ou historique serait donc, pour Gilbert, aisément réalisable et parfaitement légitime. Mais Carine Barbafieri souligne que :
La galanterie de Gabriel Gilbert ne se réduit pas à cette déclaration qu’avait, somme toute, déjà illustrée Benserade par ses productions tragiques. Elle tient largement à sa manière de peindre ses personnages : les personnages féminins sont portraiturés à la mode mondaine, sans aucune hauteur comparable à celle des héroïnes cornéliennes, et ses héros ont le cœur sensible et rempli d’urbanité.142
Gilbert peint en effet des personnages masculins au cœur sensible, comme nous le verrons pour Téléphonte, et comme c’est le cas, cinq ans après, avec Hyppolite. Dans des pièces plus tardives, Gilbert nous présente des personnages féminins construits sur le modèle mondain : l’enjouement, les réflexions spirituelles et l’absence d’émotivité sont leurs caractéristiques. Ainsi, dans Chresphonte, pièce dans laquelle Gilbert retrouve le mythe éponyme et le personnage de Mérope, alors jeune femme, la future reine est enjouée et détachée de toute convenance, ne se privant pas de dire à son amant qu’il a bien vieilli en huit ans : « Huit ans ont bien changé l’air de votre visage »143. Dans les Amours d’Angélique et de Médor, deux clans opposent les personnages féminins. La vertu pudique d’Angélique est confrontée à des guerrières railleuses, qui badinent, taquinent et se moquent des jeunes filles respectables. Enfin, face à ces personnages féminins mondains, Gilbert met en scène des personnages masculins rivalisant d’urbanité, jouant avec les deux humeurs mondaines par excellence, l’humeur enjouée et l’humeur mélancolique. Peu à peu, les pièces de Gabriel Gilbert évacuent la violence traditionnelle de la situation tragique, s’imprégnant de plus en plus de l’idéal galant.
Une telle influence des valeurs mondaines sur le théâtre de Gabriel Gilbert pourrait trouver une explication dans la vie même de l’auteur. Jeune dramaturge dans les années 1640, il appartient au cercle des protégés de la duchesse d’Aiguillon, puis devient le secrétaire de la duchesse de Rohan, et enfin, de Christine de Suède. Gilbert a en fait évolué dans un milieu essentiellement féminin et mondain. Écrivant des œuvres poétiques et dramatiques à l’intention de ses protectrices et de leurs salons, il s’est nécessairement inspiré des valeurs de ce milieu, afin de s’attirer ses faveurs. L’œuvre poétique de notre poète galant est en cela très explicite. Dans son Panégyrique des dames, Gilbert écrit :
Les hommes qui n’ont point de communication avec les femmes, sont peu sociables ; ils sont rudes & farouches, & ceux qui les frequentent ont beaucoup de complaisance et de douceur ; cette difference ne se remarque pas seulement entre les particuliers, mais aussi entre les nations (…). L’on voit donc que c’est des femmes que les hommes apprennent les bonnes mœurs, & que c’est d’elles qu’ils acquierent les qualitez necessaires à la douceur & la tranquilité de la vie civile.144
Il ne faut évidemment pas faire d’anachronisme et voir en Gilbert un grand féministe avant l’heure. Son œuvre s’inscrit dans une tradition, où il ne s’agit pas de faire œuvre originale mais de s’inscrire dans une continuité rhétorique et thématique145. Néanmoins, on peut penser que toutes ces protectrices ont eu une influence certaine sur le théâtre de Gilbert, dans lequel, et ce dès Marguerite de France et Téléphonte, on le voit peindre des femmes fortes, généreuses, résistant aux personnages masculins tyranniques.
Téléphonte, une esthétique galante à ses débuts §
Téléphonte se situe donc à une période charnière, durant laquelle la tragédie régulière refait surface et l’esthétique galante commence à réellement marquer le théâtre français. Il est vrai que Téléphonte ne répond pas entièrement à différents critères galants que nous avons pu évoquer. Mais la deuxième pièce de Gabriel Gilbert est sans aucun doute marquée par les balbutiements de l’esthétique galante.
Tout d’abord, nous pouvons parler de galanterie à propos de Téléphonte du fait que le jeune héros, auparavant restreint à son rôle d’héritier vengeur, joue ici un rôle d’amant. Or, dans son ouvrage, Carine Barbafieri désigne cet élément dramaturgique comme une innovation, Gabriel Gilbert étant le premier à « affubler d’amantes de jeunes héros guerriers et sauvages, tels Téléphonte ou Hippolyte » :
Avec Gilbert, un héros viril et vengeur, de la race de ceux qui ne craignent pas de répandre le sang pour récupérer leur trône, se trouve, pour la première fois depuis le renouveau de la tragédie, pourvu d’une jeune amante (…).146
Cette amante n’est pas seulement un agrément ou une illustration de l’inspiration de l’esthétique galante. Le personnage de Philoclée a une véritable utilité dans la pièce. Elle double la vengeance de Téléphonte, en lui offrant un second motif. D’elle vont dépendre les retournements essentiels de la pièce : elle empêche la reine de se suicider et l’amène à vouloir venger la mort présumée de Téléphonte ; elle permet la reconnaissance. Elle crée un lien supplémentaire entre Téléphonte et l’Étolie, légitimant d’autant plus le désir d’accession au trône de Messénie. C’est encore elle qui fait le portrait de Téléphonte, à plusieurs reprises, à Mérope mais aussi à Démochare, permettant de présenter ce héros encore absent au public. Carine Barbafieri conclut : « Philoclée est ainsi sur le plan fonctionnel l’équivalent de Pylade, mais l’amitié indéfectible est remplacée par la passion amoureuse ».
Les personnages féminins dans Téléphonte ne correspondent pas encore aux héroïnes galantes, enjouées et railleuses. Mais nous pouvons cependant dire que Gilbert donne la part belle aux femmes dans cette pièce. Elles sont extrêmement présentes sur scène : Philoclée et Mérope sont, respectivement, présentes dans la moitié des scènes de la pièce147. Elles prononcent 728 vers à elles deux, c’est-à-dire presque 48% des vers de la pièce. Aux héroïnes, s’ajoutent leurs deux confidentes, Orphise et Céphalie. La longue scène d’exposition est confiée à Mérope. Et la plus longue scène de la pièce se joue entre Philoclée et Démochare.
Évoquer cette longue scène de confrontation nous amène à aborder la question de l’héroïsme féminin. Il est clair que, dans Téléphonte, les personnages féminins ne correspondent pas vraiment au modèle tragique traditionnel de réserve et de timidité. Confrontées à la tyrannie, elles font preuve de résistance et de détermination. Cet héroïsme féminin est donc mis en scène dans une confrontation répétée avec la passion tyrannique. Ce caractère héroïque se traduit par leur résistance, incarnée par leur orgueil et leur fougue verbale, leur décision de se suicider, puis par leur violente soif de vengeance. Dans cette pièce, ne cessent de s’affronter des « inhumains » et des « inhumaines ». En effet, Démochare, inhumain par sa cruauté, qualifie ainsi Philoclée, princesse qu’il aime mais qui ne répond pas à cet amour, et se déchaîne dans son court monologue contre celle qui le repousse:
L’Inhumaine s’enfuit le cœur plein de fierté,L’audacieux esprit, la superbe beauté,Elle scait que je brusle, elle scait que je l’ayme,Que vouloir l’outrager, c’est m’outrager moy-mesme ;Elle scait qu’un soùpir suffit pour m’esmouvoir,Et son cœur en secret se rit de mon pouvoir.Je veux l’humilier et punir son audace,Orgueilleuse beauté n’espere plus de grace (…)Tu me nommes Tyran, mais je deviendray pire.148
Cette tirade illustre l’archétype du rival persécuteur. Selon Hélène Baby, dans les tragi-comédies, le procédé le plus répandu est l’abus de pouvoir, s’exerçant contre l’un ou l’autre des amoureux149. Dans Téléphonte, les persécutions s’étendent au couple, dès lors que Philoclée a avoué avoir un époux. Gilbert exploite ici le procédé dramaturgique des amours non réciproques, assez fréquents dans le répertoire tragi-comique, en jouant sur la juxtaposition de deux amours non réciproques, qui permettent de mettre doublement en évidence la passion tyrannique d’une part, la résistance féminine d’autre part. Le dramaturge nous dépeint la passion tyrannique, liée à la possession physique et à un égoïsme sans borne :
Je veux sans differer jouir de tant de charmes,Je ne suis point esmeu de souspirs ni de larmes,Leur pouvoir est bien grand, mais il me doit ceder,De force ou d’amitié je la veux posseder,Il faut ou qu’elle meure, ou qu’elle soit ma femme.150
Cette attitude, à l’opposé du modèle galant, s’illustre aussi dans les paroles d’Hermocrate, qui avoue avoir usurpé un trône et assassiné son roi au nom de sa passion pour Mérope, et ajoute qu’il aurait pu faire « du monde un théâtre d’horreur » si cela s’était avéré nécessaire pour « posseder » la Reine.151
L’esthétique galante dans Téléphonte n’en est qu’à ses balbutiements, même si les deux premières pièces de Gilbert désignent déjà très nettement le poète galant qu’a été Gilbert durant toute sa vie. Après le théâtre sérieux de Gilbert, entre 1640 et 1650, la galanterie a été explorée dans ses principales dimensions dramaturgiques. Elle se manifeste déjà par un adoucissement du dénouement et par la présence quasi systématique d’un épisode amoureux. Selon Carine Barbafieri, c’est Quinault qui donnera toute son ampleur au modèle galant dans le théâtre tragique, « en creusant les formes de galanterie fraîchement mises au jour, mais aussi en en proposant de toutes nouvelles ».152
Note sur la présente édition §
La présente édition reproduit l’édition originale du Téléphonte de Gabriel Gilbert, dont le privilège est daté du 21 juillet 1642, et l’achevé d’imprimer du 28 septembre 1642. L’édition suivie se trouve à la Bibliothèque nationale de France, sous la côte RES-YF-246. Nous avons consulté d’autres exemplaires qui présentent un texte identique. Nous avons également consulté une édition datée de 1643 qui adjoint au texte de la pièce, rigoureusement identique à celui de 1642, une épître dédicatoire adressée à « Madame la Duchesse Deguillon », ainsi qu’un rectificatif des « Fautes survenuës en l’Impreβion ». Nous reproduisons cette dédicace et ce rectificatif en appendice.
Description du volume §
Téléphonte, tragi-comédie, In-4, Paris, chez Toussaint Quinet, 2 feuillets non paginés, 98 pages.
[I] Telephonte./ Tragi-comedie./ representé par les deux Trouppes/ Royalles/ (Par Gabriel Gilbert)/ [fleuron] / A PARIS, / Chez TOUSSAINT QUINET, au Palais en/ la petite Salle, sous la montée de la Cour/ des Aydes./ [filet] / M. DC. XLII./ AVEC PRIVILEGE DU ROY.
[II] [blanc]
[III] [bandeau] / Extraict du Privilege du Roy./ [en date du 21 juillet 1642, accordé à « Toussaint Quinet, Marchand Libraire à Paris », durant sept ans, signé « LE BRUN ». Achevé d’imprimer le « 28 septembre 1642 »]
[IV] [bandeau] / PERSONNAGES. / [liste des personnages]
1-98 [le texte de la pièce]
Exemplaires conservés dans les bibliothèques parisiennes §
In-4° :
- – BNF Tolbiac YF-1123
- – BNF Tolbiac RES-YF-246
- – BNF Tolbiac RES-YF-552
- – BNF Tolbiac RES-YF-1520
- – BNF Tolbiac Z ROTHSCHILD-4101
- – Arsenal 4-BL-3506 (3) [pièce n°3 du recueil factice]
- – Richelieu 8-RF-6179
- – Bibliothèque Sainte-Geneviève DELTA 15222 FA (P.2)
Édition datée de 1643, in-4° : BNF Tolbiac YF-624.
Autres exemplaires non consultés §
- – Poitiers, Bibliothèque Municipale, in-12° : D2777 (d’après la notice présente sur le site du Catalogue collectif de France, le titre est manquant).
- – Angers, Bibliothèque Municipale, in-4° : 2225(14.1) [dans le recueil factice N°14.1].
- – Il existe aussi une édition hollandaise, conservée à la Bibliothèque de l’Arsenal : GD-44338.
Interventions sur le texte §
Le texte que nous allons présenter suit fidèlement l’édition originale de 1642, dont nous reproduisons la pagination entre crochets à la droite du texte. Nous rappelons que les règles d’orthographe n’étaient pas encore fixées : on peut souvent trouver deux orthographes différentes pour un même mot, parfois sur une même page (par exemple, à la page 80 de l’édition originale, nuict et nuit à quelques vers d’intervalle). De plus, nous devons souligner l’importance des lettres ornementales de la calligraphie au XVIIe siècle. En effet, on abuse souvent du y à la place du i, le y étant considéré comme une lettre provenant de la langue savante puisqu’il était courant dans les mots grecs.
Selon l’usage de l’époque, tous les vers de la pièce sont composés en italique, tandis que les didascalies le sont en caractères romains. Pour respecter l’usage moderne, nous avons reproduit les vers de la pièce en caractères romains, et les didascalies en italique.
Nous avons conservé la graphie de l’édition originale, comme les trémas sur le [e] muet en fin de mot. Cependant, nous avons choisi de délier les ligatures « & » et de transformer le ƒ en s. Nous avons également fait la distinction entre « u » et « v » et entre « i » et « j » - comme, par exemple, dès les cinq premiers vers: l’édition originale donnait “diuin”, “diuerse”, “iours”,… - et rétabli les accents diacritiques : a en à ; à en a ; ou en où ; où en ou. De plus, une coquille est extrêmement fréquente dans le texte. Elle consiste à utiliser une forme erronée de sçavoir : scavoir. Nous l’avons systématiquement corrigée.
Nous avons développé les contractions choisies par l’imprimeur et remplacé le tilde sur les consonnes n et m, marquant la nasalisation, par la double consonne actuelle :
Vers 6 hõmes; vers 7 cõnois; vers 19 s’accõplist; vers 103: mõ; vers 145 esprouuãt; vers 220: qu’õ; vers 220 vivãt; vers 221 qu’õ; vers 221 l’õbre; vers 228 pourroiĕt, cõfidĕt; vers 264 mõ ; vers 271 tõbeau ; vers 408 hautemĕt ; vers 440 monumĕt ; vers 449 mõstrez ; vers 459 sõt ; vers 542 trãsporte ; vers 566 hõneur ; vers 613 cõme ; vers 638 prěd ; vers 656 pl9 (développé en plus) ; vers 681 mõ ; vers 705 biě ; vers 707 hõneur ; vers 751 mõ ; vers 761 cõplaisante ; vers 770 espouuětable ; vers 890 viět-il ; vers 943 mõtrer ; vers 951 asseurãce ; vers 977 Cresphõte ; vers 988 l’entês ; vers 999 fumãt ; vers 1001 riĕ ; vers 1005 vo9 (vous) ; vers 1086 mõtrez ; vers 1088 mõ ; vers 1096 tenãt, fěme ; vers 1107 nõ ; vers 1136 těps ; vers 1142 estrãger ; vers 1190 Amãt ; vers 1202 prĕnds tãt ; vers 1205 sondõs ; vers 1209 indiferěce ; vers 1210 aparěce ; vers 1351 habitãs ; vers 1357 viĕs ; vers 1393 plõgées ; vers 1438 Trěperez, Telephõte ; vers 1446 cõnois ; vers 1485 těps ; vers 1348 mõtagnes ; vers 1525 Tyrãs.
On remarquera que les tildes se concentrent souvent dans les mêmes pages, voire les mêmes vers, lorsque le vers est long.
Enfin, nous avons remplacé le β par ss de façon systématique, aux occurrences suivantes :
vers 121 diβimuler; vers 140 auβi; vers 306 diβipera ; vers 330 auβi ; vers 371 connoiβiez ; vers 394 auβi ; vers 397 auβi-tost ; vers 399 auβi ; vers 420 auβi ; 421 diβimuler ; vers 452 diβimuler ; vers 469 auβi ; vers 510 laiβé ; vers 542 paβion ; vers 604 auβi ; vers 620 auβi ; vers 632 auβi, m’assaβine ; vers 636 auβi ; vers 705 auβi ; vers 791 diβimulons ; vers 824 (et toutes les autres occurrences du terme) assaβin ; vers 1003 auβi ; vers 1046 auβi ; vers 1137 diβimule ; vers 1163 auβi ; vers 1179 auβi ; vers 1297 poβible ; vers 1327 auβi ; vers 1413 aβiste, vers 1432 compaβion ; vers 1455 deβein.
Liste des coquilles §
Nous avons corrigé les coquilles mises en évidence dans les « Fautes survenües en l’Impression », présentes dans la seconde édition de la pièce, datée de 1643 :
« Fautes survenuës en l’Impression,
Pages 5. Vers 21 au lieu de Phicoclée, lisez Philoclée. p.11 vers 2, au lieu de vivante, lisez vivant. p.19 apres le 9. vers au lieu de Demochare, lisez Amynthor. p. 25. vers 20. il voudroit, lisez il vouloit. p.27. vers I. Cleobule Madame, lisez c’est Tyrene Madame. p. 35. vers 4. mon interest, lisez vostre interest. p. 38. vers 6. au lieu de qu’il, lisez s’il. p. 53. vers 22. assassin à, lisez assassin est. p. 63. vers 4. je suis, lisez je sens. en la mesme page vers 5. s’accorde, lisez succede. en la mesme page tort, lisez sort. en la mesme page vers 15. j’eus, lisez j’ay. p. 64. vers 12. et tout ton corps fondroit, lisez et ton corps fourdoyé. p. 65. vers 6. et de mesme ainsi, lisez et de vous mesme ainsi. p. 66. vers 4. Eudeve, lisez Eudeme. en la mesme page vers 8. le fleuve, lisez ce fleuve. p. 69. vers 7. mes plus ennemis, lisez mes fiers ennemis. p. 72. vers 2. dissimule mon ame, lisez dissimulons mon ame. p. 80. vers 14. à son pareil, lisez à tes pareils. p. 84. vers 3. on l’arrache, lisez et l’arrache. p. 85. vers 2. suivant ma destinée, lisez suivent ma destinée. p. 88. vers 10. dans l’aube de la nuict, lisez dans l’ombre de la nuict. p. 93. vers 2. me revient, lisez me retint. p. 97. vers 2. son crime ô dieux, lisez ses crimes ô dieux. »
Ainsi que les coquilles suivantes :
Vers 12: ma ravy -> m’a ravy
Vers 79 : la -> l’a
Vers 85 : lorgueilleux-> l’orgueilleux
Vers 92 : la -> l’a
Vers 94 : quelle -> qu’elle
Vers 96 : la -> l’a
Vers 132 : souffrent-> je souffre
Vers 190 : parque -> Parque
Vers 223 : des son sort -> de son sort
Vers 241 : Telephante -> Telephonte
Vers 286 : l’a laisse-> la laisse
Vers 418 : jusqu’au bords de Pamise -> aux bords
Vers 517 (didascalie précédente) : Rhinoclee -> Philoclee.
Vers 539 : l’habandonnent -> l’abandonnent.
Vers 616 : anoncer -> annoncer
Vers 649 : quel -> quelle
Vers 690 (didascalie précédente) : Rhinoclee -> Philoclee
Vers 1132 : Sa -> Ma
Vers 734 : se vertueux père -> ce
Vers 904 : trompe-tu -> trompes-tu
Vers 959 : obstacles -> obstacle (sinon le vers est faux).
Vers 968 : les dernier coups -> les derniers coups
Vers 1171 : aage -> age
Vers 1214 : y consentiras-t’elle -> consentira-t’elle
Vers 1232 : ou quelle meure -> ou qu’elle meure
Vers 1261 : aage -> age
Vers 1265 : about -> à bout
Vers 1293 : je le suivray -> je te suivray
Vers 1353 : olympe -> Olympe
Corrections de ponctuation §
Nous avons conservé autant que possible la ponctuation de l’édition originale. Ainsi, il ne faudra pas s’étonner de ne pas trouver systématiquement de point d’interrogation aux phrases interrogatives. De même, certaines propositions circonstancielles peuvent être séparées de leur proposition principale par un point. Les signes de ponctuation servaient autant à marquer rupture grammaticale qu’une pause plus ou moins longue dans la déclamation du texte. Aussi, les points d’interrogation et d’exclamation sont révélateurs d’une déclamation spécifique à valeur proprement musicale.
Vers 8 : eaux. -> eaux,
Vers 75 : Soleil -> Soleil.
Vers 295 : vous ! -> vous ?
Vers 362 : frere. -> frere,
Vers 587 : Orphise ; -> Orphise,
Vers 592 : secret. -> secret,
Vers 604 : ennuis. -> ennuis,
Vers 785 : Dieux -> Dieux,
Vers 855 : suis-je ! -> suis-je ?
Vers 890 : Etolie. -> Etolie ?
Vers 956 : appas. -> appas,
Vers 957 : craintes, -> craintes.
Vers 1116 : soupçonner, -> soupçonner.
Vers 1118 : apparence. -> apparence,
Vers 1212 : cruelle, -> cruelle.
Vers 1337 : colere, -> colere.
Vers 1404 : l’inhumain, -> l’inhumain.
Vers 1442 : mere. -> mere ?
TELEPHONTE.
TRAGI-COMEDIE. §
Extraict du Privilege du Roy. §
PAR grace et privilege du Roy, il est permis à TOUSSAINT QUINET, Marchand Libraire à Paris, d’imprimer ou de faire imprimer un livre intitulé Telephonte, Tragicomedie. Et defenses sont faites à tous Imprimeurs, Libraires et autres de l’imprimer ny vendre par tout ce Royaume pendant le temps et espace de sept ans entiers et accomplis, à compter du jour qu’il sera achevé d’imprimer. Sur peine aux contrevenans de trois mil livres d’amende, applicable un tiers à sa Majesté, un tiers à l’Hostel-Dieu et l’autre tiers au dit suppliant, de confiscation des exemplaires contrefaits, et de tous les despens, dommages et interests, comme plus amplement est declaré par les Lettres sur ce données à Paris le vingt et uniesme Jour de Juillet, l’an de grace mil six cens quarante deux.
Par le Roy en son Conseil,
LE BRUN.
Achevé d’imprimer pour la premiere fois le 28. Septembre 1642.
Les Exemplaires ont esté fournis.
Personnages §
- HERMOCRATE, Tyran de Micene.
- DEMOCHARE, Son fils.
- MEROPE, Femme du Tyran et vesve de Cresphonte.
- TELEPHONTE, Fils de Merope et de Cresphonte.
-
>PHILOCLEE,
Fille d’Amynthas Roy d’Etolie et
Maistresse de Telephonte. - TYRENE, Confident de Telephonte.
- CEPHALIE, Confidente de Merope.
- ORPHISE, Confidente de Philoclée.
ACTE I. §
SCENE PREMIERE. §
MEROPE.
CEPHALIE.
MEROPE.
CEPHALIE.
MEROPE.
Ah ce fut malgré moy,CEPHALIE.
MEROPE.
CEPHALIE.
MEROPE.
MEROPE.
CEPHALIE.
MEROPE.
SCENE II. §
LE TYRAN.
[p. 8]MEROPE,
LE TYRAN.
MEROPE.
LE TYRAN.
MEROPE.
LE TYRAN.
MEROPE.
LE TYRAN.
MEROPE.
LE TYRAN.
MEROPE.
LE TYRAN.
MEROPE.
LE TYRAN.
MEROPE.
LE TYRAN.
MEROPE.
LE TYRAN.
MEROPE.
LE TYRAN.
MEROPE.
SCENE III. §
LE TYRAN
[p. 13]DEMOCHARE.
LE TYRAN.
LE TYRAN.
DEMOCHARE.
LE TYRAN.
DEMOCHARE.
LE TYRAN.
DEMOCHARE.
LE TYRAN.
DEMOCHARE.
LE TYRAN.
DEMOCHARE.
LE TYRAN.
DEMOCHARE.
LE TYRAN.
DEMOCHARE.
LE TYRAN.
DEMOCHARE.
LE TYRAN.
DEMOCHARE.
LE TYRAN.
DEMOCHARE.
LE TYRAN.
[p. 19]DEMOCHARE.
LE TYRAN.
AMYNTHOR223.
LE TYRAN.
DEMOCHARE.
Fin du premier Acte.
ACTE II. §
SCENE PREMIERE. §
MEROPE.
[p. 20]PHILOCLEE.
PHILOCLEE.
MEROPE.
PHILOCLEE.
MEROPE.
PHILOCLEE.
MEROPE.
PHILOCLEE.
MEROPE.
PHILOCLEE.
MEROPE.
[p. 24]PHILOCLEE.
MEROPE.
PHILOCLEE.
MEROPE.
SCENE II. §
MEROPE.
PHILOCLEE.
MEROPE.
PHILOCLEE.
SCENE III. §
DEMOCHARE.
[p. 28]PHILOCLEE.
DEMOCHARE.
PHILOCLEE.
DEMOCHARE.
PHILOCLEE.
DEMOCHARE.
PHILOCLEE.
DEMOCHARE.
PHILOCLEE.
DEMOCHARE.
PHILOCLEE.
DEMOCHARE.
PHILOCLEE.
DEMOCHARE.
PHILOCLEE.
DEMOCHARE.
PHILOCLEE.
DEMOCHARE.
PHILOCLEE.
DEMOCHARE.
PHILOCLEE.
DEMOCHARE.
PHILOCLEE.
DEMOCHARE.
PHILOCLEE.
DEMOCHARE.
PHILOCLEE.
DEMOCHARE.
PHILOCLEE.
DEMOCHARE.
PHILOCLÉE.
DEMOCHARE.
PHILOCLEE.
SCENE IV. §
DEMOCHARE seul.
Fin du second Acte.
ACTE III. §
SCENE PREMIERE. §
PHILOCLEE.
[p. 37]ORPHISE.
PHILOCLEE.
ORPHISE.
PHILOCLEE.
ORPHISE.
PHILOCLEE.
ORPHISE.
SCENE II. §
PHILOCLEE.
DEMOCHARE.
PHILOCLEE.
PHILOCLEE.
PHILOCLEE.
DEMOCHARE.
PHILOCLEE.
DEMOCHARE.
DEMOCHARE.
PHILOCLEE.
PHILOCLEE.
DEMOCHARE.
PHILOCLEE.
DEMOCHARE.
PHILOCLEE.
DEMOCHARE.
PHILOCLEE.
DEMOCHARE.
PHILOCLEE.
DEMOCHARE.
PHILOCLEE.
DEMOCHARE.
PHILOCLEE.
DEMOCHARE.
PHILOCLEE.
DEMOCHARE.
PHILOCLEE.
DEMOCHARE.
PHILOCLEE.
PHILOCLEE.
DEMOCHARE.
PHILOCLEE.
DEMOCHARE.
PHILOCLEE.
DEMOCHARE.
PHILOCLEE.
PHILOCLEE.
DEMOCHARE.
PHILOCLEE.
DEMOCHARE.
PHILOCLEE.
DEMOCHARE.
PHILOCLEE.
DEMOCHARE.
PHILOCLEE.
DEMOCHARE.
SCENE III. §
PHILOCLEE.
[p. 50]ORPHISE.
SCENE IV. §
PHILOCLEE.
[p. 51]TYRENE.
PHILOCLEE.
TYRENE.
PHILOCLEE.
TYRENE.
PHILOCLEE.
TYRENE.
PHILOCLEE.
TYRENE.
PHILOCLEE.
TYRENE.
PHILOCLEE.
PHILOCLEE.
TYRENE.
PHILOCLEE.
TYRENE.
PHILOCLEE.
TYRENE.
PHILOCLEE.
TYRENE.
PHILOCLEE.
TYRENE.
PHILOCLEE.
Fin du troisiesme Acte.
ACTE IV. §
SCENE PREMIERE. §
MEROPE.
CEPHALIE.
MEROPE.
CEPHALIE.
MEROPE.
CEPHALIE.
MEROPE.
CEPHALIE.
MEROPE.
CEPHALIE.
MEROPE.
SCENE II. §
LE TYRAN.
MEROPE.
LE TYRAN.
MEROPE.
LE TYRAN.
MEROPE.
LE TYRAN.
MEROPE.
[p. 63]LE TYRAN.
MEROPE.
[p. 64]LE TYRAN.
MEROPE.
LE TYRAN.
SCENE III. §
MEROPE.
CEPHALIE.
MEROPE.
CEPHALIE.
MEROPE.
CEPHALIE.
MEROPE.
SCENE IV. §
ORPHISE.
CEPHALIE.
ORPHISE.
MEROPE.
ORPHISE.
MEROPE.
ORPHISE.
MEROPE.
ORPHISE.
MEROPE.
ORPHISE.
MEROPE.
SCENE V. §
TELEPHONTE seul.
[p. 69]SCENE VI. §
DEMOCHARE.
TYNDARE.
DEMOCHARE.
TYNDARE.
DEMOCHARE.
TYNDARE.
DEMOCHARE.
TYNDARE.
[p. 74]DEMOCHARE.
TYNDARE.
DEMOCHARE.
[p. 75]TYNDARE.
DEMOCHARE.
TYNDARE.
DEMOCHARE.
TYNDARE.
DEMOCHARE.
TYNDARE.
DEMOCHARE.
TYNDARE.
[p. 77]DEMOCHARE.
TYNDARE.
DEMOCHARE.
TYNDARE.
DEMOCHARE.
[p. 78]TYNDARE.
DEMOCHARE.
DEMOCHARE.
TYNDARE.
DEMOCHARE.
TYNDARE.
DEMOCHARE.
TYNDARE.
Fin du quatriesme Acte.
ACTE V. §
SCENE PREMIERE. §
TYDEE.
TYRENE.
THOAS.
TYRENE.
TYDEE.
THOAS.
TYRENE.
THOAS.
TYRENE.
[p. 83]THOAS.
TYRENE.
SCENE II. §
PHILOCLEE.
MEROPE.
[p. 84]PHILOCLEE.
MEROPE.
Tout nous perd, tout nous nuit,PHILOCLEE.
MEROPE.
PHILOCLEE.
MEROPE.
PHILOCLEE.
MEROPE.
PHILOCLEE.
MEROPE.
PHILOCLEE.
[p. 87]MEROPE.
PHILOCLEE.
MEROPE.
PHILOCLEE.
SCENE III. §
MEROPE.
[p. 88]CEPHALIE.
MEROPE.
CEPHALIE.
MEROPE.
CEPHALIE.
SCENE IV. §
TELEPHONTE parle à ceux de sa suite.
MEROPE.
PHILOCLEE.
TELEPHONTE.
MEROPE
PHILOCLEE.
MEROPE.
PHILOCLEE.
TELEPHONTE.
PHILOCLEE.
TELEPHONTE.
MEROPE.
PHILOCLEE.
MEROPE.
MEROPE.
PHILOCLEE.
MEROPE.
PHILOCLEE.
MEROPE.
PHILOCLEE.
TELEPHONTE.
MEROPE.
PHILOCLEE.
TELEPHONTE.
PHILOCLEE.
MEROPE.
TELEPHONTE.
MEROPE.
PHILOCLEE.
TELEPHONTE.
MEROPE.
TELEPHONTE.
MEROPE.
PHILOCLEE.
TELEPHONTE.
TELEPHONTE.
MEROPE.
PHILOCLEE.
SCENE DERNIERE. §
TELEPHONTE.
[p. 98]TYRENE.
TELEPHONTE.
FIN.
Lexique §
Les termes signalés dans le texte par un astérisque sont brièvement définis dans ce glossaire. Ne sont retenus que les termes dont le sens a évolué depuis le XVIIème siècle ou dont une acception n’est plus employée de nos jours. Les définitions sont extraites des ouvrages suivants :
Fable « Méropé » d’Hygin §
Fable CXXXVII « Méropé ».
Lorsque Polyphontès roi de Messénie eut tué Cresphontès fils d’Aristomachus, il s’empara de son trône ainsi que de son épouse Méropé. [avec lequel Polyphontès, une fois Cresphontès tué s’empara du trône]361. Mais le fils, tout jeune, qu’elle avait eu de Cresphontès, Méropé, sa mère, l’envoya en cachette chez un hôte, en Étolie. Polyphontès le recherchait avec beaucoup d’empressement et promettait de l’or à qui le tuerait. Celui-ci, parvenu à l’âge adulte, décida de venger la mort de son père et de ses frères, aussi vint-il trouver le roi Polyphontès pour lui demander de l’or, se targuant d’avoir tué le fils de Cresphontès et de Méropé, Téléphontès. Le roi lui ordonna cependant de demeurer son hôte, afin de lui permettre d’approfondir son enquête à ce propos. Alors qu’il s’était endormi de fatigue, le vieillard qui faisait l’intermédiaire entre la mère et le fils vint en pleurant voir Méropé, disant que ce dernier n’était pas chez son hôte et ne se montrait nulle part. Méropé, croyant que le dormeur était l’assassin de son fils, gagna sa chambre avec une hache, afin de tuer, sans le savoir, son fils, mais le vieillard le reconnut et retint la mère sur la voie du crime. Méropé, voyant que l’occasion lui était donnée de se venger de son ennemi, se réconcilia avec Polyphontès, et comme le roi tout heureux célébrait une cérémonie religieuse, son hôte feignit de frapper la victime et le tua puis retrouva le trône de son père.
Polyphontes Messeniae rex Cresphontem Aristomachi filium cum interfecisset, eius imperium et Meropen uxorem possedit [cum quo Polyphontes occiso Cresphonte regnum occuparit]. Filium autem eius infantem Merope mater quem ex Cresphonte habebat absconse ad hospitem in Aetoliam mandarit. Hunc Polyphontes maxima cum industria quaerebat, aurumque pollicebatur si quis eum necasset. Qui postquam ad puberem aetatem uenit, capit consilium ut exequatur patris et fratrum mortem. Itaque uenit ad regem Polyphontem aurum petitum, dicens se Cresphontis interfecisse filium et Meropes, Telephontem. Interim rex eum iussit in hospitio manere, ut amplius de eo perquireret. Qui cum per lassitudinem obdormisset, senex qui inter matrem et filium internuncius erat flens ad Meropen uenit, negans eum apud hospitem esse nec comparere. Merope credens eum esse filii sui interfectorem qui dormiebat, in chalcidium eum securi uenit inscia ut filium suum interficeret. Quem senex cognouit et matrem ab scelere retraxit. Merope postquam uidit occasionem sibi datam esse ab inimico se ulciscendi, redit cum Polyphonte in gratiam. Rex laetus cum rem diuinam faceret, hospes falso simularit se hostiam percussisse, eumque interfecit, patriumque regnum adeptus est.
Fragments d’une pièce Chresphontes par Euripide §
Argument donné par les éditeurs : « Mérope fille d’Ypselos a épousé Cresphonte, roi de Messénie. Demeurée veuve, elle subit les violences de son beau-frère Polyphonte, lequel s’empare du trône, lui enlève ses enfants et la contraint à l’épouser. Seul son plus jeune fils Aepytos avait échappé. Quand il eut grandi, il tua Polyphonte au pied de l’autel. »
452362. « Nous devrions nous réunir pour pleurer l’enfant qui vient de naître – dans quels malheurs entre-t-il ! – mais celui qui est mort et en a fini avec les misères de la vie, l’accompagner jusqu’au tombeau dans la joie, en le félicitant. »363
453. « … et les quatorze enfants de Niobé elle-même sont morts sous les flèches de Loxias. »
454. [Cresphonte, parlant d’Héraclès.] « Car s’il habite dans les Enfers, sous la terre, avec ceux qui ne sont plus, il ne saurait avoir aucune force. »
455. « La fortune m’a enlevé ce que j’avais de plus cher, et à ce prix m’a donné la sagesse. »
456. [Mérope.] « Il n’y a pas que moi qui ait vu mourir mes fils et perdu un mari, mais des milliers de femmes ont vidé la même coupe que moi. »
457. « … je te donne ce coup moins impie. »
458. « La honte réside dans les yeux, enfant. »
459. « Si mon mari était sur le point de te tuer, comme tu le dis, tu devrais toi aussi te disposer à le tuer, quand le moment serait venu. »
460. [Polyphonte.] « C’est un sentiment que j’éprouve comme tous les mortels : je ne rougis pas d’être attaché surtout à ma personne. »
Jugement de cette tragédie par Aristote dans la Poétique §
Évoquant les événements qui provoquent l’effroi et la pitié, Aristote cite en exemple la tragédie perdue d’Euripide :
Mais la dernière situation est meilleure ; je parle par exemple de celle de Méropé dans Cresphontès, qui a l’intention de tuer son fils, mais ne le tue pas et le reconnaît, dans Iphigénie, de la situation de la sœur par rapport à son frère, et dans Hellé, de celle du fils, qui ayant l’intention de livrer sa mère, la reconnaît.
On voit bien ici la raison pour laquelle les tragédies (…) n’ont pas trait à un grand nombre de familles : comme ce n’est pas aux règles de l’art, mais au hasard que les poètes doivent d’avoir trouvé au cours de leurs recherches le moyen de ménager dans les histoires des situations de ce genre, ils se voient contraints de recourir aux maisons au sein desquelles des événements funestes de ce genre sont survenus.364
Épître dédicatoire présente dans l'édition de 1643 §
A MADAME
MADAME LA DUCHESSE DEGUILLON365.
MADAME,
Quoy que je doutasse du succez de cette piece, si tost que j’appris que vous l’aviez choisie pour une assemblée solennelle, je commençay d’en esperer beaucoup ; je creus qu’elle emprunteroit un grand esclat de votre presence, et que sa destinee seroit heureuse, puis que vous preniez le soin de la faire. Je ne fus point trompé dans mon attente, et l’estime que vous enfistes fut suivie de celle de toutes les personnes judicieuses ; elles deferent tant à votre jugement, qu’elles croyent que [II] leur opinion n’est jamais si saine366 que lors qu’elle est conforme à la vostre. Ainsi, MADAME, en pensant me donner une approbation particulière, vous m’en avez donné une generale. Mais je suis contraint d’avoüer que mon ouvrage doit tout son lustre à vos louanges, et non pas à son merite, et que la reputation qu’il a euë est plustost une marque de vostre faveur qu’une preuve de mon esprit. Il est vray, MADAME, que ceste piece n’est pas entierement defectueuse, qu’elle a quelque chose non seulement de beau, mais aussi d’esclattant, et que si la richesse de la forme eust respondu à celle de la matiere, elle auroit peu passer pour un chef-d’œuvre. On dict qu’un des plus fameux Poëtes de l’Antiquité a travaillé autrefois sur ce subjet, et le plus sçavant des Philosophes en parle comme d’un exemple de perfection367. Mais cette Tragedie n’est point parvenüe jusques à nous et le temps qui ne respecte pas les plus beaux ouvrages nous a ravy celuy-cy. Il nous en est pourtant resté quelque chose, et l’Histoire ancienne qui en a conservé la meilleure partie m’a fourny la matiere de ce Poëme368. C’est elle, MADAME, que vous avez admirée, et non pas la foiblesse de mes pensées, et par une grace particuliere, vous n’avez pas voulu distinguer l’un et l’autre, ny separer mes defauts des vertus d’autruy. Vous n’avez pas voulu parler de la rudesse de mon style, mais de la beauté de l’invention, et ce ne sont pas mes vers que vous avez loüez, mais le courage, de Merope, et la constance de Philoclée. Vous ne seriez pas equitable comme vous estes, MADAME, vous n’eussiez hautement loüé ces deux grandes Princesses, puis que toutes leurs actions ne sont qu’un portraict de vostre vie heroïque. Les vertus qui brilloient autrefois en elles, reluisent369 maintenant en vous, comme elles vous les faites esclatter en tous lieux, et comme elles vous trouvez dans [III] votre race un Heros, qui comme un autre Telephonte est l’ornement de son siecle, et la gloire de sa patrie370. Quelque accomplies que soient ces deux illustres Grecques, il faut toutefois qu’elles vous cedent, et vos vertus sont autant au dessus des leurs que les vertus Chrestiennes sont au dessus, des vertus Morales. J’ay parlé de leurs perfections, mais je ne suis pas capable de parler des vostres. Elles jettent une si grande lumiere qu’elle m’esblouit ; Mais en m’empeschant de les contempler, elle ne m’empesche pourtant pas de les connoistre. Je me dois arrester à cette connoissance, sans en discourir, et sans entreprendre une chose que seroit au dessus de mes forces. J’ayme mieux faire voir mon respect par mon silence, que mon insuffisance par mes paroles. Et afin de ne passer pas pour un ingrat apres les graces dont je vous suis redevable, j’ay voulu seulement vous faire paroistre le ressentiment que j’en ay : Et combien je m’estime heureux de ce que ce mesme ouvrage qui vous a donné occasion de me tesmoigner vostre bonté, me donne aussi le moyen de la publier par tout, et de me dire.
MADAME,
Vostre tres humble et tres-obeissant
serviteur, G.G371.
Argument du Téléphonte de La Chapelle §
Hermocrate, par amour pour Mérope, a assassiné son époux, Chresphonte, roi de Messénie, a usurpé son trône, et depuis quinze ans, cherche à se marier avec elle. Il a tué trois de ses fils et a mis la tête du quatrième à prix, Téléphonte, que sa mère, prévenue par un oracle, avait confié, âgé d’un an, à Tirène. Un autre oracle a prévenu l’usurpateur qu’il allait mourir à moins que sa fille, Ismène, soit cachée jusqu’à que Téléphonte périsse. Il l’a donc envoyée vivre dans les environs, où Téléphonte et elle sont tombés amoureux, sans que chacun ne connaisse la véritable identité de l’autre. Amynthas, roi d’Étolie, protecteur de Téléphonte, fait courir la rumeur de la mort de l’héritier, et l’envoie, déguisé en ambassadeur, demander la main d’Ismène. Pensant que sa propre vie est désormais sauvée, Hermocrate a fait revenir sa fille auprès de lui et l’informe qu’elle va être mariée à Amynthas, idée qui lui fait horreur. Mérope s’est résolue à épouser Hermocrate, à l’unique condition que la vie de son fils soit épargnée. Elle apprend la rumeur de sa mort. Hermocrate informe le soi-disant ambassadeur que le mariage par procuration va avoir lieu et le laisse seul avec Ismène. Ils se reconnaissent : Téléphonte est choqué de découvrir que la femme qu’il aime se révèle être la fille de son ennemi, alors qu’Ismène, croyant qu’il est Philoxène, constate que le seul obstacle entre eux est son engagement auprès d’Amynthas. Tirène l’encourage à poursuivre son entreprise première, à mépriser son amour et à venger son père. Téléphonte décide de suivre ses conseils. Mérope, apprenant que l’ambassadeur a assassiné son fils, insiste pour qu’il soit tué à son tour. Hermocrate hésite à rompre les lois de la diplomatie, puis, faible face à son amour, accepte finalement. Mais il rechigne à passer à l’acte, craignant que l’ambassadeur soit Amynthas lui-même. Le prince repousse son amante, qui ne comprend pas pourquoi, si Philoxène est Amynthas, il est apparu comme un simple sujet, pauvre, à leur rencontre. Quand elle le questionne encore une fois, il lui révèle qui il est réellement. Elle le supplie alors de ne pas tuer son père et espère les sauver tous les deux, tandis qu’il décide de parvenir à l’assassinat du tyran par la guerre. À nouveau, Tirène lui rappelle son devoir et lui apprend qu’il est à l’origine d’une conspiration à Mycènes. Ismène le prévient qu’elle doit dire à son père qui il est et le pousse à fuir. Pendant ce temps, Mérope a intrigué pour assassiner Hermocrate, mais c’est un échec, Téléphonte étant intervenu auprès des conspirateurs. Mérope décide alors de prendre les choses en mains et s’arme d’un poignard, avec l’intention de tuer Téléphonte, mais elle est arrêtée par Tirène, qui lui révèle que l’ambassadeur est son propre fils. Hermocrate, qui a appris qui était Téléphonte, le fait arrêter et s’apprête à le tuer, quand surgissent Tirène et les conspirateurs. Hermocrate, réalisant que l’oracle avait vu juste, se suicide. Téléphonte, victorieux, tente de consoler Ismène.
Tableaux §
Tableau de fréquences de répliques §
scènes | répliques | vers | |
Hermocrate | 3 | 33 | 164, 5 |
Démochare | 5 | 76 | 296 |
Mérope | 11 | 78 | 338 |
Téléphonte372 | 4 | 32 | 204 |
Philoclée | 11 | 96 | 390 |
Tyrène | 3 | 18 | 69 |
Céphalie | 8 | 21 | 53 |
Orphise | 3 | 11 | 24, 5 |
Tydée et Thoas | 1 | 6 | 8, 5 |
Amynthor373 | 1 | 1 | 0, 5 |
1548 |
Tableau d’apparition des personnages §
Acte I | Acte II | Acte III | Acte IV | Acte V | ||||||||||||||||||
Hermocrate | X | X | X | |||||||||||||||||||
Démochare | X | X | X | X | X | |||||||||||||||||
Mérope | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | ||||||||||
Téléphonte | X | X | X | X | ||||||||||||||||||
Philoclée | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | |||||||||||
Tyrène | X | X | X | |||||||||||||||||||
Céphalie | X | X | X | X | X | X | X | X | ||||||||||||||
Orphise | X | X | X | |||||||||||||||||||
Tydée et Thoas | X |
Œuvres de Gabriel Gilbert §
Théâtre §
Marguerite de France, tragi-comédie. Paris, 1641, in-4.
Téléphonte, tragi-comédie, représentée par les deux Trouppes royalles. Paris, 1642, in-4.
Rodogune, tragi-comédie. Paris, 1646, in-4.
Hypolite ou le garçon insensible, tragédie. Paris, 1647, in-4.
Séminaris. Tragédie, représentée par la troupe royalle. Paris, 1647, in-4.
Les amours de Diane et d’Endymion, tragédie par M. G. Paris, 1657, in-12.
Chresphonte, ou le retour des Héraclides dans le Péloponèse, tragi-comédie par M.G. Paris, 1659, in-12.
Arie et Petus, ou les amours de Néron, tragédie par M. G. Paris, 1660, in-12.
Les amours d’Ovide, pastorale héroïque par M. G., Paris, 1663, in-12.
Les amours d’Angélique et de Médor, tragi-comédie par M.G., Paris, 1664, in-12.
Les intrigues amoureuses, Paris, 1667, in-12.
Le Courtisan parfait, tragi-comédie par Monsieur D.G.L.B.T., Grenoble, 1668, in-12.
Les Peines et les plaisirs de l’amour, pastorale. Paris, 1672, in-4.
Prose et poésie §
Panégyrique des dames, dédié à Mademoiselle, Paris, 1650, in-4.
L’Art de plaire. À la Sérén. Reyne de Suède. S. I., Paris, 1651, in-12.
À la Reyne de Suède, panégyrique. Paris, 1653
Poème à la Sérén. Reyne de Suède, fait en l’an 1651, 1655, in-12.
Ode à son Eminence, Paris, 1659, in-12.
Les Poésies diverses de M. G., secrétaire des commandemens de la Reyne de Suède et son Résident en France, Paris, 1661, in-12, 2 vol.
Les Pseaumes en vers françois, Paris, 1680, in-12.
Cinquante Pseaumes de David mis en vers françois par M.G. Seconde édition, reveue et augmentée du Décalogue et du Cantique de Siméon, Paris, 1680, in-12.
Bibliographie §
Sources §
Antérieures au XVIIe siècle §
XVIIe siècle §
De Gabriel Gilbert §
Autres §
XVIIIe siècle §
Instruments de travail §
Bibliographies §
Dictionnaires §
Du XVIIe siècle §
Modernes §
Grammaires §
Études §
Ouvrages généraux §
Lebrun François, Le 17ème siècle, Paris Armand Colin, 1967.