LE FILS DESADVOÜÉ,
OU LE
JUGEMENT DE THEODORIC
ROY D’ITALIE.
TRAGICOMEDIE

DE Mr GUERIN.

A PARIS ;
Chez ANTOINE DE SOMMAVILLE,
au Palais, en la gallerie des Merciers,
à l’Escu de France.
M. DC. XLI.
AVEC PRIVILEGE DU ROY.

Édition critique établie par Valérie Sinson dans le cadre d'un mémoire de master 1 sous la direction de Georges Forestier (2011-2012)

Introduction §

J’ay fait un peu de violence à la vérité pour donner plus d’éclat à mon ouvrage, et comme je me suis proposé la satisfaction de ceux qui ayment le Théâtre plustot que l’instruction de ceux qui ignorent l’Histoire, j’ay esté bien aisé d’estre moins exact en celle-cy, afin de l’estre davantage en celle-la.1

Tels sont les propos de Guyon Guérin de Bouscal qui affirme le primat du plaisir des spectateurs sur l’exactitude des faits historiques. Le dramaturge, dans sa définition de la tragédie, inscrit le critère de véracité au second plan. Il entretient un rapport souple à l’Histoire, qui apparaît comme une simple source de matière fictive. Dans Le Fils désavoué, ou le Jugement de Théodoric, roy d’Italie (1641), il mêle subtilement un sujet tiré de l’Histoire des Goths, des personnages aux noms d’illustres figures romaines, une intrigue romanesque et des ressorts de comédie.

Au début des années 1640, la tragi-comédie connaît un léger déclin par rapport à la décennie précédente, et tend à se confondre avec la tragédie à fin heureuse. Notre pièce répond à cette tendance du genre à concentrer son action dramatique, à développer l’intérêt psychologique des héros et à refuser le spectaculaire. En effet, l’intrigue du Fils désavoué est extrêmement resserrée : il s’agit d’une mère qui refuse de reconnaître son fils, par peur d’être déshonorée, mais qui sera contrainte par le roi, grâce à un subterfuge original, à avouer la vérité. Toutefois, l’œuvre reste dominée par une esthétique de la contingence et de la gaieté : la pièce repose sur un obstacle intérieur et imaginaire ; la progression dramatique dépend sur le plan interne de la seule volonté des personnages. Il faut également évoquer le recours interne à la fiction : l’illusion apparaît comme un moyen d’accéder au vrai. Les protagonistes se présentent en dramaturges, et partant, livrent une réflexion sur la représentation théâtrale même.

Si les deux rééditions de la pièce suggèrent un certain succès de celle-ci, il dut sans doute être limité ; du moins fut-il vite oublié, à l’image de son auteur, Guyon Guérin de Bouscal. Proche de la Cour, le dramaturge ne choisit pas au hasard la ville de Rome, modèle de réflexion politique et artistique dans l’imaginaire collectif. Le roi Théodoric, caractérisé par son discernement et son courage, permet sans doute un éloge indirect de Richelieu, et par extension, de la suprématie française.

Vie et œuvre de Guyon Guérin de Bouscal §

Famille et études §

La vie du dramaturge est fort mal connue. Guyon Guérin de Bouscal serait né en 1617 à Réalmont, bourgade située entre Albi et Castres. On ne sait rien sur son enfance ; en 1628, la prise de Réalmont, haut-lieu du protestantisme, par les troupes de Condé, entraîna la destruction des archives. Guyon est probablement le fils de Jean Guérin, notaire huguenot. Son nom de « Bouscal » provient d’un lopin de terre dans le consulat du Laux, mais il fut le seul à porter ce nom, dans la mesure où ses deux frères, Pierre et Nathanaël, ne convoitèrent jamais ce titre. Guyon étudia le droit, et devint avocat au Conseil du roi après s’être muni d’une charge de conseiller, tandis que ses frères prirent la succession de leur père et devinrent notaires. Issu d’une famille protestante, il ne put certainement pas s’inscrire à l’Université de Toulouse, réservée aux catholiques. Il est peu probable qu’il abjura avant de suivre ses études de droit : il suivit plus vraisemblablement ses études à l’Université de Cahors comme de nombreux huguenots du Languedoc. Aucun registre ne vient pour autant confirmer cette hypothèse. Guérin de Bouscal se convertit au catholicisme à l’âge adulte, mais on ne peut déterminer la date de sa conversion. Il adressa la dédicace de sa Doranise (1634) à l’héritière des Rohan, et fit l’éloge du duc, ancien chef militaire des religionnaires ; on pourrait en déduire qu’il adjura après 1634.

Eric Caldicott, dans son édition critique du Gouvernement de Sanche Pansa (1642)2, suppose que la méconnaissance de l’auteur est née d’une erreur initiale sur son prénom : selon lui, Guyon Guérin de Bouscal s’appelait Daniel, et le « Guion » présent dans le privilège de sa tragédie La Mort de Brute et de Porcie (1637) pouvait être un diminutif, ou encore une simple erreur de transcription pour le nom de Guérin. En réalité, son prénom fut bien Guyon3, comme son parrain, mais il est vrai qu’il fut enterré sous le nom de Daniel. Ainsi, le 1er janvier 1676, au cimetière de Notre-Dame du Taur, est enterré

François daniel de Guerin, Lieutenant de Réalmont, aagé d’environ soixantes ans, Lequel moureust Le dernier jour du mois de decembre mille six cens soixante quinze.4

Vie parisienne et littéraire §

La vocation de Guérin de Bouscal est expliquée de façon extrêmement romanesque par Tibulle Desbarreaux-Bernard, un historien du XIXe siècle :

Tout à coup sa vie est bouleversée ; une fée, un sylphe, un génie, – celui de la poésie dramatique sans doute, – lui apparaît sous les traits d’une comédienne5.

Tibulle Desbarreaux-Bernard compare l’existence de Guérin de Bouscal à l’existence d’un bohémien, et se plaît à

reconstruire par induction l’histoire probable de cette destinée romanesque et aventureuse, d’un homme de robe devenu comédien, et ensuite poète, – tout cela par amour6.

Le caractère plaisant de cet écrit ne doit pas nous faire oublier son aspect fictif, caractéristique de bien des biographies rédigées au XIXe siècle. Même si la carrière du dramaturge est restée peu étudiée, nous savons que sa période parisienne (1634-1647) correspond à toute sa production littéraire, essentiellement formée de pièces de théâtre destinées à un public parisien.

Nous pouvons dresser une liste de ses ouvrages :

– La Doranise, tragi-comédie pastorale (Cramoisy, 1634). Dédicace à la princesse de Rohan.

– La Mort de Brute et de Porcie, ou La Vengeance de la mort de César, tragédie (Quinet, 1637). Dédicace à Richelieu.

– L’Amant libéral, tragi-comédie, en collaboration avec Charles Beys (Quinet, 1637).

– La Mort de Cléomènes, roy de Sparte, tragédie (Sommaville, 1640).

– Dom Quixote de la Manche, comédie (Quinet, 1639).

– Dom Quichot de la Manche, 2e partie, comédie (Quinet et Sommaville, 1640).

– Le Fils désavoué, ou Le Jugement de Théodoric, roy d’Italie, tragi-comédie (Sommaville, 1641).

– Le Gouvernement de Sanche Pansa, comédie (Sommaville et Courbé, 1642).

– La Mort d’Agis, tragédie (Sommaville et Courbé, 1642).

– La paraphrase du Pseaume XVII, « Diligam te domine, fortitudo mea » (Sommaville et Courbé, 1643). Dédicace à Mazarin.

– L’Antiope, roman en 4 volumes (Sommaville, 1644-1645).

– Le Prince rétabli, tragi-comédie (Quinet, 1647). Dédicace à Schombert.

– Oroondate, ou Les Amans discrets, tragi-comédie (Courbé, 1647).

Guérin de Bouscal avait donc déjà rédigé deux tragédies et deux tragi-comédies quand il écrit Le Fils désavoué (1641), et publia cette pièce entre les deux derniers volets de sa trilogie comique, c’est-à-dire entre Don Quichot de la Manche (1639) et Le Gouvernement de Sanche Pansa (1642). Pourtant, on ne peut en déduire que Le Fils désavoué fut créé entre les deux comédies : il est fréquent que la publication d’une œuvre soit bien postérieure à sa période de rédaction. L’auteur écrit ensuite une tragédie et deux tragi-comédies. Nous remarquons dès lors que la tragi-comédie occupe une place particulièrement importante dans cette œuvre très dense.

En pleine querelle du Cid, dans son Prologue à la Renommée qui précède La Mort de Brute et de Porcie (1637), le dramaturge prit position en faveur des réguliers : il brossa un portrait extrêmement flatteur de Richelieu, fit l’éloge des auteurs protégés par le Cardinal et défendit les principes de vraisemblance et de bienséance. Comme le souligne C.E.J. Caldicott, Guérin de Bouscal évoque dans la préface de son roman, L’Antiope (1644-1645), ses rapports avec la Cour et confirme ainsi sa place dans les auteurs réguliers :

Je fais garder la bienséance à toutes les personnes que j’introduis dans mon ouvrage, avec autant de régularité que j’en ay pu acquérir par une assez longue étude, par le séjour de dix ans à la Cour, par le commerce des plus honnêtes gens de l’Europe7.

Retour dans le Languedoc et carrière politique §

Guérin de Bouscal retourna dans le Languedoc vers 1647, les bouleversements politiques provoqués par la Régence l’ayant sans doute encouragé à partir. Son départ mit un terme à sa carrière de dramaturge. Il épousa Madeleine-Victoire de Rondelet, mais nous ne connaissons pas la date de son mariage. Héritière d’une grande famille bourgeoise du Languedoc, elle descendait probablement du célèbre médecin de Montpellier, Guillaume Rondelet dit « Rondibilis ».

Le retour du catholique à Réalmont se fit dans un contexte de forte tension entre les communautés protestante et catholique du Languedoc, comme en témoignent les querelles signalées dans la première moitié du XVIIe siècle entre l’Académie de Castres et le Parlement de Toulouse. Le 19 octobre 1631, un édit proclamait que le premier consul de Réalmont, à l’instar de certaines villes protestantes de la région, devait être catholique. Il fallut attendre vingt ans pour que les élections appliquent cet impératif : en 1651, Guérin de Bouscal apparut comme l’homme providentiel capable de mettre fin à cette longue infraction et devint le premier consul catholique de Réalmont. La majorité protestante de la ville s’opposa farouchement à lui, mais il reçut le soutien du Parlement de Toulouse, grand défenseur des droits catholiques. Ses frères huguenots le soutinrent également. Il faut aussi signaler que les intellectuels de la religion prétendue réformée ne s’opposèrent pas à la participation de Guérin aux débats de l’Académie de Castres. Guérin de Bouscal put ainsi fréquemment prendre part aux discussions entre 1649 et 1652, sur des sujets aussi variés que le mariage, l’immortalité de l’âme, ou encore la cosmologie de Galilée.

En 1652, soupçonné de s’être rendu à Toulouse en période de peste, il fut mis en quarantaine : son interdiction de pénétrer dans la ville de Réalmont l’empêcha de participer aux élections consulaires. Quand un représentant du Parlement de Toulouse parvint à gagner Réalmont sans difficulté, Guérin décida d’entrer à son tour dans la ville, ce qui provoqua un grand scandale. Comme pour toute affaire opposant catholiques et protestants, le conflit fut confié au Parlement de Toulouse et à la Chambre de l’Édit de Castres, mais ne parvint à être résolu. Guérin dut cesser de se rendre à l’Académie de Castres, et ne retrouva sa fonction de premier consul que douze ans plus tard, en 1664.

Il ne publia plus rien, mais ses pièces continuèrent à être jouées. Le Registre de La Grange mentionne trente représentations du Gouvernement de Sanche Pansa. Molière en personne aurait interprété le rôle de Sanche, selon Grimarest. Cependant, l’hypothèse selon laquelle les relations de Guérin avec le comte d’Aubijoux auraient pu contribuer à l’introduire auprès de Molière8 nous semble un peu hasardeuse. Certes, Guérin connaissait sans aucun doute le comte d’Aubijoux, lieutenant-général du roi, fin lettré, qui avait certainement vu des pièces de l’Albigeois. D’autre part, la troupe de Molière arriva pour la première fois en 1647 dans le Languedoc, et bénéficia de la protection du comte d’Aubijoux. Molière eut donc l’occasion de rencontrer son mécène, et ce dernier put lui recommander Guérin de Bouscal ; mais nous n’irons pas jusqu’à émettre l’hypothèse d’une rencontre entre Guérin et Molière.

Guérin de Bouscal est mort le 31 décembre 1675, et fut enterré au cimetière de Notre Dame du Taur, le 1er janvier 1676.

Le Fils désavoué, argument et scénographie §

Résumé de la pièce §

Acte I §

Scène 1 : Un monologue de Julie, dame romaine, joue le rôle de scène d’exposition. Julie était l’épouse d’un sénateur romain, Lépide: quand elle fut enceinte, il l’accusa injustement d’infidélité et fit abandonner l’enfant, au moment même de sa naissance. Julie, vingt ans plus tard, est veuve et cherche à apaiser sa douleur de mère par les charmes de l’amour avec Maxime, chevalier romain.

Scène 2: Livie, suivante de Julie, annonce l’arrivée du roi.

Scène 3 : Théodoric, roi d’Italie, fait son entrée solennelle dans la ville de Rome : il fait l’éloge de la justice et de la vertu, et affirme son ambition de rendre à l’Empire sa magnificence passée.

Scène 4 : Boèce, à la demande du Sénat, harangue le nouveau roi d’Italie, et est nommé ministre d’État par Théodoric.

Scène 5 : Sindéric, favori du roi Théodoric, confie à un ami ce qu’il vient d’apprendre : il est d’un sang illustre, et sa vertu guerrière s’explique dès lors par sa haute naissance.

Acte II §

Scène 1 : Sindéric révèle au roi qu’il est le fils de Lépide et de Julie. Théodoric lui conseille de se rendre chez Julie.

Scène 2 : Sindéric livre ses inquiétudes à son ami Émile : on dit à Rome que Lépide et Julie n’eurent point d’enfant.

Scène 3 : Julie déclare enfin son amour à Maxime, ce qui comble de joie le chevalier.

Scène 4 : Julie confie à Livie ses craintes de se marier ; elle lui fait le récit de la cruauté de Lépide, et de l’enlèvement de son fils à sa naissance.

Scène 5 : On annonce à Julie l’arrivée de Sindéric.

Scène 6 : Sindéric ne dévoile pas immédiatement le but de sa venue : il joue la comédie, prétend faire le résumé d’une pièce intitulée Le Fils désavoué et en profite pour évoquer sa propre aventure, ce qui trouble profondément Julie et entraine la scène de reconnaissance.

Acte III §

Scène 1 : Maxime a surpris Sindéric dans les bras de Julie et soupçonne donc le favori du roi d’être l’amant de Julie. Un ami, Horace, tente de le raisonner.

Scène 2 : Julie craint d’être déshonorée si elle reconnaît son fils, et par conséquent de perdre Maxime.

Scène 3 : Maxime fait croire à Julie qu’il a tué le favori du roi pour observer sa réaction. Elle est bouleversée, et à la demande de Maxime, doit se justifier : elle prétend avoir eu peur pour Maxime et lui réaffirme son amour.

Scène 4 : Julie prend le parti de désavouer son fils ; elle ne peut avouer à Maxime qu’elle a eu un fils sans être déshonorée.

Scène 5 : Julie refuse le nom de mère employé par Sindéric et fuit sa présence.

Scène 6 : Sindéric ne comprend pas ce brutal changement de situation, et hésite à demander justice au roi.

Scène 7 : Maxime et Sindéric se rencontrent chez Julie. Sindéric provoque Maxime en duel sur un malentendu : Sindéric ignore l’identité de Maxime tandis que le chevalier prend le terme de « mère » pour un synonyme d’« amante ».

Acte IV §

Scène 1 : Livie apprend à Julie qu’un combat a opposé les deux hommes, mais que l’issue n’est pas connue. Julie, terrifiée, prie pour le salut de son fils.

Scène 2 : Horace vient apprendre à Julie que Maxime est blessé. Il veut prendre les armes pour venger son ami mais Julie s’y oppose : elle lui demande de faire confiance à la justice de Théodoric.

Scène 3 : Sindéric découvre l’identité de Maxime et regrette son combat victorieux. Il veut chercher à obtenir le pardon de sa mère.

Scène 4 : Julie se lamente, ne pouvant choisir entre son amant et son fils. Elle pleure autant la perte de son amant que le désaveu de son fils.

Scène 5 : On apporte une lettre de Maxime à Julie, dans laquelle il supplie Julie de ne jamais accorder ses faveurs à son rival. Julie, perdue, s’en remet à l’avis de Livie, et poursuit son désaveu.

Scène 6 : Sindéric s’introduit de nuit chez Julie, espérant qu’une explication sur le malentendu entre Maxime et lui suffirait à ramener sa mère à la raison. Mais il n’en est rien : Julie réaffirme sa position et nie être la mère de Sindéric. Ce dernier, devant le refus répété de sa mère de le reconnaître, décide de demander justice au roi.

Acte V §

Scène 1 : Maxime ne peut croire que Julie manque de vertu ; il veut lui rendre visite.

Scène 2 : Maxime arrive chez Julie : Livie lui apprend qu’elle est partie chez le roi. Maxime croit que Théodoric a pris position en faveur de Sindéric et qu’il veut contraindre Julie à épouser son favori. Livie lui révèle par mégarde que Sindéric prétend être le fils de Julie. Maxime se lamente sur le malentendu qui lui a fait confondre le nom de mère avec un titre amoureux.

Scène 3 : Maxime confesse à Horace ses soupçons : il lui semble fort probable que Julie ait eu un enfant. Pourtant, il ne remet pas en cause la vertu de Julie, et exprime son amour et son estime pour elle. Il se rend chez le roi.

Scène 4 : Sindéric implore le roi d’écouter la voix de la nature tandis que Julie le supplie d’ignorer la voix de l’imposture.

Scène 5 : Théodoric consulte Boèce. Il hésite un peu avant de saisir soudainement la vérité ; il ne reste plus qu’à la faire éclater.

Scène 6 : Théodoric joue alors la comédie : il déclare à Julie croire que Sinderic n’est pas son fils, et lui propose par conséquent de l’accepter pour époux. Cet excellent subterfuge oblige Julie à reconnaitre son fils.

Scène 7 : Julie reconnaît publiquement son fils. Sinderic triomphant obtient du roi de lui accorder Maxime pour beau-père, ce dernier ayant pardonné Julie. Tous les personnages rendent hommage à Théodoric.

Contexte de représentation et réception de la pièce §

Nous ne possédons aucune information sur la représentation théâtrale du Fils désavoué. Le spectacle fut probablement crée au cours de la saison 1640-1641, mais cela reste une simple hypothèse. Le lieu de la représentation demeure également inconnu : la pièce put aussi bien être jouée au théâtre de l’Hôtel de Bourgogne qu’à l’Hôtel du Marais. S.Wilma Deierkauf- Holsboer9 indique que la troupe royale, qui comptait encore neuf acteurs au début de l’année 1640, est composée de cinq membres seulement dans la seconde moitié de 1641, ce qui fragilise considérablement la compagnie, et empêche de poursuivre de façon régulière les représentations à l’Hôtel de Bourgogne10. On peut penser que Le Fils désavoué fut joué avant le départ des comédiens ; rien n’exclut sa création par cette troupe. Il n’existe malheureusement aucun répertoire de la troupe royale pour la période allant de 1638 à 1641. La situation de la compagnie de la rue Vieille-du-Temple est tout à fait opposée à celle de la troupe royale : elle comptait treize membres en 1640. Le répertoire de la troupe s’enrichit de deux pièces de Pierre Corneille, Horace fin février ou début mars 1640, et Cinna quelques mois plus tard11.

Le Fils désavoué n’est pas évoqué dans Le Mémoire de Mahelot qui répertorie les pièces interprétées par la Troupe Royale à la fin de la saison théâtrale 1634-1635, puis de 1673 à 168512. Tandis que nous savons que huit pièces ont été jouées pour la première fois au Théâtre du Marais et quelques-unes au Palais Cardinal, Lancaster13 évoque plus de quatre-vingts pièces créées entre 1638 et 1641. S.Wilma Deierkauf-Holsboer affirme que les conditions de la création théâtrale demeurent un mystère pour de nombreuses pièces et suggère même que toutes n’ont pu être représentées :

Il reste […] toujours plus de cinquante pièces dramatiques datant de 1638 à 1641 pour lesquelles il est impossible de dire dans quelle salle elles ont été jouées, ni par quelle troupe elles ont été interprétées pour la première fois, faute de précisions. Ce nombre est toutefois si important que peut-être plusieurs d’entre elles n’ont probablement jamais été représentées14.

Il paraît cependant impensable que Le Fils désavoué ne fût jamais représenté. En effet, la publication d’un ouvrage concrétise le succès de la création dramatique et la reconnaissance du public. Seule une pièce jouée et approuvée par le public bénéficie d’une publication dans la première moitié du XVIIe siècle. Or, les éditions successives du Fils désavoué (1641, 1643, 1654)15 prouvent que la pièce rencontra un certain succès. Toutefois, le silence des contemporains sur le spectacle et sur Guérin de Bouscal laissent penser qu’il dut être assez modeste.

Reconstitution scénographique §

Le Mémoire de Mahelot suggère que la disposition scénique d’une tragi-comédie, dans les années 1630 et au début des années 1640, est similaire à l’Hôtel de Bourgogne et au Théâtre du Marais. En l’absence de documents originaux concernant notre tragi-comédie, recréer la scénographie de la pièce relève uniquement de la conjecture ; cependant, il reste dans une certaine mesure possible de reconstituer la mise en scène de l’époque à partir du Mémoire, qui nous livre de précieuses indications sur les décors et en particulier sur les dispositions techniques privilégiées par la Troupe Royale. Les notices destinées aux décorateurs et aux comédiens sont parfois accompagnées de croquis qui nous permettent d’avoir un aperçu de la scénographie adoptée au XVIIe siècle.

Le Fils désavoué, probablement représenté au cours de la saison 1640-1641, est créé dans une période de transition entre deux phases scénographiques, la première consistant en une décoration simultanée, la deuxième en une décoration successive. Le décor multiple est définitivement remplacé par le décor unique et homogène dans les années 1670-1680.

Avant les années 1640, la décoration est simultanée :

elle offre au regard du spectateur tous les lieux fonctionnels occupés par l’action représentée sur scène, en même temps et tout au long de la représentation16.

Dès le début de la pièce, tous les éléments scéniques nécessaires à la représentation sont disposés sur scène ; les différents lieux fictifs dans lesquels les personnages évoluent sont présents. Le spectateur a devant lui l’ensemble des chambres17, c’est-à-dire l’ensemble des compartiments autonomes où se déroule l’action. Cette disposition scénique suppose également que l’intérieur des édifices soit représenté en même temps que l’extérieur. La représentation simultanée des espaces fictionnels externe et interne nécessite l’usage d’une chambre qui reste ouverte ou dont la façade puisse s’ouvrir et se fermer au cours du spectacle. Aussi le recours à un rideau, généralement manipulé par l’un des comédiens se trouvant à l’intérieur du compartiment, permettait-il de dévoiler l’intérieur d’une chambre quand l’action allait s’y dérouler, puis éventuellement de le masquer quand l’action y était terminée. Par souci de vraisemblance, ces rideaux représentaient « l’extérieur de l’élément figuré par la chambre, le plus souvent la façade d’un édifice18 ».

À partir des années 1640, la technique du décor successif est adoptée, sous l’impulsion des auteurs réguliers qui favorisent la concentration des lieux. La représentation se déroule dans un seul espace, ce qui renforce la vraisemblance du spectacle. La décoration se concentre sur le lieu principal, là où toutes les actions de la pièce se déroulent. On admet jusqu’à deux lieux annexes à ce lieu principal : révélés par l’ouverture d’une chambre, pour une période réduite, ils ne peuvent être dévoilés en même temps.

Étant donné que Le Fils désavoué a été créé au tournant de ces deux techniques scénographiques, la pièce pourrait, en théorie, avoir fait l’objet d’un décor aussi bien simultané que successif. Mais en réalité, seul un décor simultané est acceptable pour notre tragi-comédie. En effet, aucun acte ne respecte l’unité de lieu et la représentation implique dans de nombreuses scènes le passage d’une chambre à l’autre. Chaque acte implique au moins trois lieux différents ; dès lors, un décor successif est à exclure. Il faut étudier minutieusement les divers lieux fictifs du Fils désavoué avant d’envisager une reconstitution scénographique.

Les décors sont probablement formés de bâtis de bois sur lesquels sont fixées des toiles peintes. Ces bâtis peuvent servir à plusieurs représentations. Le dispositif scénique obéit généralement à un usage établi et très précis : il s’agit d’« ordonner cinq chambres autour de l’espace vide, deux côtés jardin, deux côté cour et une au centre du dispositif19. »

Le dispositif ordinaire consiste en un fond formé d’un seul châssis et de deux ailes latérales et symétriques composées chacune de deux châssis séparés par une rue. Au premier plan, deux châssis droits sont plantés parallèlement au bord du théâtre ; au deuxième plan, on trouve deux châssis brisés parallèles aux lignes de fuite ; enfin, un châssis droit ferme la perspective, placé parallèlement au bord du plateau. Des issues sont prévues entre les chambres, parfois même au fond des chambres pour permettre au comédien d’entrer ou de sortir des coulisses plus discrètement. Les chambres qui figurent un édifice possèdent une porte permettant au comédien de s’introduire dans la chambre, ou au contraire de pénétrer dans l’espace vide. Pierre Pasquier précise que ces issues sont parfois constituées par des châssis de bois pivotant, mais consistent le plus souvent en une toile fendue en son milieu suspendue et dissimulée derrière le châssis20.

La perception de l’action se déroulant à l’intérieur des chambres, en particulier des chambres latérales, est difficile, voire impossible pour les spectateurs. Aussi est-il impensable que les comédiens jouent dans les chambres latérales. On crée dans la paroi du compartiment une grande baie, parfois frontale, pour augmenter l’angle de vision des spectateurs. Mais le plus souvent, les comédiens restent sur le seuil de la chambre, à l’abri de la balustrade. Pierre Pasquier fait l’hypothèse que les décorateurs ont recours aux balustrades « pour faire passer un espace extérieur pour un espace intérieur21 ». Si S. Wilma Deierkauf-Holsboer22 partage l’avis selon lequel les acteurs ne restent pas dans les chambres, elle envisage plutôt que les comédiens se dirigent vers le proscenium où se déroule l’action de la pièce. L’espace vide, c’est-à-dire le lieu délimité par les cinq chambres et le devant du théâtre, devient un espace fictif dès lors qu’on transfère ou prolonge en son sein une action intérieure. Cet espace neutre s’actualise en fonction du lieu auquel il est censé se rattacher ; déjà identifié par le spectateur, il devient le prolongement du lieu fictionnel et garde symboliquement un caractère intérieur. L’appréhension du décor multiple reste donc purement conventionnelle. Il faut cependant préciser que certaines scènes peuvent être jouées, parfois intégralement, à l’intérieur des chambres du décor multiple, même si ce phénomène doit être extrêmement rare.

La seule chambre à présenter des conditions optimales de visibilité est la chambre centrale, au fond de la scène. Elle revêt généralement une forme symbolique, et prend souvent la forme d’un palais, où le roi rend un jugement solennel. Ainsi, Le Fils désavoué ne déroge pas à la règle, et s’achève, dans la chambre la plus importante, par une scène de trône au cours de laquelle s’exerce l’autorité de Théodoric, en présence de tous les personnages principaux. À partir des notices et des croquis de Mahelot, Pierre Pasquier apporte des détails concernant la disposition scénique de cette scène de trône :

Dans les scènes de pompe représentant des cérémonies auliques, […] la chambre centrale se caractérise comme palais grâce à un trône dressé devant elle, en général sur une estrade précédée de quelques marches, à l’occasion surmontée d’un dais.23

Enfin, il convient d’évoquer l’éclairage et la figuration du ciel. La salle de spectacle reste allumée pendant la représentation qui, de surcroît, a la plupart du temps lieu l’après-midi. L’éclairage principal provient de chandeliers accrochés au-dessus de l’espace vide, et éventuellement d’une rampe de chandelles placée au sol devant la scène. À cela, s’ajoutent de puissantes sources lumineuses installées en coulisse pour apporter un éclairage latéral, et éventuellement quelques flambeaux ou chandeliers à l’intérieur des chambres. Les trois premiers actes du Fils désavoué se déroulent en journée, ce que de nombreux croquis de Mahelot illustrent par un ciel orné de nuages. Le ciel était sans doute représenté par une charpente inclinée et recouverte par une toile peinte. L’acte IV du Fils désavoué implique en revanche la création d’une atmosphère nocturne. Les considérations d’Émile (« Il faut si nous pouvons nous y couler sans bruict,/ A travers l’espaisseur des ombres de la nuict », vers 1075-1076), de Sindéric (« Il se fait desja tard, le Ciel nous favorise », vers 1077), de Cornélie (« Madame, il est bien tard. », vers 1126), et de Julie (« Quoy je voy Sinderic dans ma chambre, et de nuit ! », vers 1187) confirment que la nuit doit être représentée durant l’acte IV. La production d’une lumière nocturne consistait probablement à « obscurcir les sources lumineuses au moyen de cylindres de fer étamé suspendus à des poulies »24, à placer un écran opaque pour atténuer l’éclairage provenant des coulisses ou encore à placer un velum au-dessus de l’avant-scène pour recouvrir l’éclairage principal.

Dans l’acte I, les scènes 1 et 2 se déroulent dans le palais de Julie, dans la chambre ouvrante, d’où l’on peut observer l’arrivée du roi dans Rome. Livie annonce ainsi l’entrée de Théodoric :

le Roy vient par la porte prochaine,
Du balcon de la sale, on le peut voir sans peine,
Le spectacle en est beau, tout le monde le suit (vers 55-57).

Dans les scènes 3 et 4, Théodoric fait son entrée solennelle et prononce un discours devant le peuple romain. Pierre Pasquier nous invite à penser qu’une chambre symbolise la cité, conformément à la scénographie médiévale :

Les décorateurs des mystères avaient coutume de figurer la ville par une portion d’enceinte fortifiée, souvent réduite à une tour ou à une porte monumentale25.

Il est en revanche impensable d’envisager une représentation du Capitole, contrairement à l’indication de Théodoric : « Montons au Capitole, allons nous divertir, / Voyons les raretez qu’on admire dans Rome » (vers 170-171). La dernière scène de l’acte I se déroule dans l’espace neutre dans la mesure où il s’agit d’une scène d’extérieur, et se termine par le départ de Sindéric et d’Émile chez le roi : « Suy moi. / Je m’en vay de ce pas la raconter au Roy » (vers 281-282).

Dans l’acte II, la scène 1 se passe dans le palais du roi Théodoric. Il n’y a aucune indication spatiale pour la scène 2, qui peut donc avoir lieu dans l’espace neutre. La scène 3 se déroule dans le palais de Julie, dans la chambre ouvrante, d’où Julie voit Horace entrer à la fin de la scène. La scène 4 débute dans la chambre ouvrante de Julie, mais le moment plus intime entre Julie et Livie pourrait avoir lieu dans la chambre à coucher de Julie. L’annonce de Cornélie au début de la scène 5 (« Madame, Sinderic est là bas à la porte, / Qui demande à vous voir », -vers 441-442) confirme que Julie se trouvait loin de la porte d’entrée. La réponse de Julie (« Attendez que je sorte », vers 442) annonce la dernière scène de l’acte II qui peut avoir lieu devant le palais de Julie, ou dans la chambre ouvrante de sa maison. Il faut imaginer un endroit où la mère et le fils puissent être aperçus par Maxime.

Dans l’acte III, la scène 1 se déroule dans la maison de Maxime. Les scènes 2, 3, et 4 se passent dans le palais de Julie, dans la chambre principale. Julie fuit son fils à la scène 5 et se réfugie dans sa chambre à coucher. Les scènes 6 et 7 se déroulent devant le palais de Julie, d’où Sindéric a été chassé. À la fin de la scène 7, Sindéric provoque Maxime en duel : « Il ne faut que passer dans la place prochaine. » (vers 902). Le combat n’est cependant pas représenté, par souci de bienséance.

Dans l’acte IV, on voit Livie rentrer dans le palais puis dans la chambre à coucher de Julie (scène 1). La scène 2, marquée par l’arrivée d’Horace, se déroule dans la chambre ouvrante du palais de Julie. Julie invite Horace à se retirer (« retournez chez Maxime, et me regardez faire», vers 1022) et se réfugie dans sa chambre : « Qu’on me laisse en repos dans la chambre prochaine » (vers 1026). La scène 3 ne comporte pas d’indication spatiale ; dans la mesure où il paraît s’agir d’une scène d’extérieur, elle peut se dérouler dans l’espace neutre ou dans la chambre représentant la cité. Les scènes 4, 5 et 6 ont lieu dans le palais de Julie. À la scène 5, la lettre de Maxime lue par Julie doit être représentée. Les propos de Julie dans la dernière scène de l’acte confirment que la scène se passe dans sa chambre: « Quoy je voy Sinderic dans ma chambre, et de nuit ! » (vers 1187).

Dans l’acte V, la scène 1 a lieu dans la maison de Maxime. La remarque « Son logis n’est pas loin » (vers 1362) précise que les palais des amants sont assez proches, ce qui renforce la vraisemblance de la représentation. Les scènes 2 et 3 se passent devant la maison de Julie ; Maxime décide de se rendre chez Théodoric: « Allons voir chez le Roy, Sinderic et Julie» (vers 1460). Les scènes 4, 5, 6 et 7 se déroulent dans le palais de Théodoric, dans la salle du trône. À la scène 6, ne sont présents que Théodoric et Boèce, puisque Théodoric a demandé à Julie et à Sindéric de se retirer durant la délibération. Au début de la scène 7, Sindéric et Maxime sont dans l’espace central, en route vers le palais du roi. Les personnages se retrouvent tous dans la salle du trône pour la scène finale.

À partir de cette étude détaillée, on peut tenter d’élaborer une reconstitution scénographique, même s’il faut répéter qu’il s’agit d’une simple hypothèse. En arrière-plan, nous avons placé dans la chambre centrale le palais de Théodoric, en représentant la salle du trône à partir du croquis de la page 238. Le premier plan côté jardin, du point de vue de la salle, représente une tour symbolisant l’entrée de la ville de Rome (cf. croquis de la page 274) ; le deuxième plan figure la maison de Maxime à partir du croquis de la page 254. Du côté cour, nous avons imaginé le palais de Julie : au premier plan, une chambre ouvrante (inspirée par le croquis de la page 302) ; au deuxième plan, une chambre fermée, où l’on représenterait la porte d’entrée du palais (cf. croquis de la page 236).

Génétique théâtrale §

La Cour Sainte, Nicolas Caussin §

Lancaster, dans son History of French Dramatic Literature in the Seventeenth Century26, nous livre la source d’inspiration de Guérin de Bouscal pour notre tragi-comédie : il s’agit de La Cour Sainte, du jésuite Nicolas Caussin (1583-1651). L’énorme ouvrage du Père Caussin, composé de neuf volumes rédigés en français, fut réédité une dizaine de fois du vivant de Guérin de Bouscal. Cet essai, destiné à l’éducation des nobles, et en particulier des gens de Cour de Louis XIII, se présentait comme un discours chrétien sur les vertus et les vices des princes. Il mêlait exemples historiques et textes fictifs pour apporter des modèles précis aux lecteurs ; il apparaissait comme un guide voué à améliorer les comportements des hommes par l’imitation des actions pieuses ou illustres, notamment des souverains en tant que représentants de Dieu sur Terre27. La Cour Sainte fut publiée pour la première fois en 1624 à Paris, en cinq volumes. Mais la partie intitulée L’homme d’Estat dont s’inspira notre dramaturge n’apparut qu’en 1627, dans la mesure où il s’agit d’un des quatre apologues28 ajoutés dans le deuxième volume lors d’une nouvelle édition.

L’homme d’Estat correspond à une partie consacrée à Boèce (480-524), consul puis ministre d’État de Théodoric en 499 ou en 500. Le Père Caussin brosse un portrait extrêmement élogieux de Boèce, mais condamne fermement la conduite de Théodoric, décrit comme un tyran barbare et comme un traître, contrairement à ce que nous pourrions croire à la lecture du Fils désavoué. En effet, le jésuite dénonce l’assassinat de Boèce ordonné par Théodoric, qui soupçonna à tort son ministre de complot contre lui et n’hésita pas à le faire arrêter et torturer. Toutefois, l’extrait29 qui servit d’inspiration à Guérin de Bouscal, situé dans une section intitulée « L’entrée de Théodoric à Rome et son heureux gouvernement par les conseils de Boèce» cherche à montrer l’influence bénéfique du ministre sur son roi au début de son règne, et ne comporte donc aucune critique de Théodoric. Dans la mesure où notre dramaturge se concentre uniquement sur l’anecdote évoquée par Caussin en quelques pages, il reste fidèle au récit et élabore un tableau flatteur du roi d’Italie.

Nicolas Caussin insiste sur l’importance pour un roi de rendre correctement justice à son peuple. Nous reconnaissons la trame de l’histoire du Fils désavoué : le jésuite évoque l’histoire d’une veuve romaine sur le point de se remarier quand son fils, enlevé à sa naissance, réapparaît et demande une reconnaissance officielle. La pièce de Guérin se conforme parfaitement au début de l’anecdote rapportée dans La Cour Sainte:

Une Dame Romaine laissée veuve par la mort de son mary, avoit perdu un fils né de ce mariage, qui luy fut ravy clandestinement30 […].

Exactement comme dans notre tragi-comédie, la mère commence par reconnaître son fils :

[…] elle tint le jeune homme en sa maison, l’ayant reconnu, et avoué particulièrement pour son fils, convaincue qu’elle estoit par des marques invincibles : et dès lors la charité estoit si grande envers lui, qu’elle ne cessoit de pleurer de joye dans le recouvrement de sa perte31.

De même, elle finit par le désavouer :

La malheureuse, qui estoit prise d’amour, pour servir à sa passion renonce ses entrailles, et chasse tout à force de sa maison ce fils lequel elle avoit tant pleuré32.

Il semble cependant évident que la trame n’est pas déterminante pour Guérin de Bouscal : celle-ci est en partie modifiée et adaptée pour préparer la scène finale du jugement. Nous pouvons avancer sans prendre trop de risques que la fin du récit est précisément ce qui a poussé notre auteur à écrire cette pièce. En ce sens, le dramaturge reste une fois de plus fidèle à Caussin, dont le récit met l’accent sur l’habileté du roi qui, par un subterfuge original, permet un dénouement heureux.

Elle bien estonnée, commence à paslir, rougir, trembler, et montrer toutes les contenances d’une femme perdue, qui taschoit à s’excuser et se coupoit en ses paroles : le Roy pour l’intimider encore davantage, jure son grand serment qu’elle l’espouseroit dès à présent, ou qu’elle diroit les causes legitimes de son empeschement. La pauvre femme condamnée par la voix de la Nature qui crioit en son cœur, et ayant horreur du crime qu’on luy proposoit, se jetta aux pieds du Roy, avec une grande profusion de larmes, confessant ses amours, son mensonge et son malheur.33

Caussin se place en véritable metteur en scène et imagine même les répliques des protagonistes. Cette dernière partie de récit donne l’impression d’être un scénario, dont la réalisation serait effectuée par Guérin de Bouscal.

Le dramaturge put également s’inspirer de l’Excerpta Valesiana34, texte historique anonyme datant du VIe siècle et publié pour la première fois en 1636 par Henri de Valois. L’anecdote du jugement du roi se retrouve dans « Chronica theodericiana ». Cependant, l’ouvrage était sans doute moins accessible et moins connu que La Cour Sainte, et ne faisait aucun lien entre les personnages de Théodoric et de Boèce.

Travail de dramatisation §

Nous avons émis l’hypothèse que le dramaturge est parti du dénouement pour créer son œuvre. Il est dès lors intéressant d’examiner les choix et les procédés adoptés par l’auteur pour étoffer sa pièce, pour embarrasser l’action principale de divers épisodes fictifs et de divers personnages35. Ainsi, tous les éléments ajoutés à la trame de départ concourent à préparer la scène finale du jugement de Théodoric. Guérin de Bouscal a dû effectuer de nombreuses modifications par rapport au texte de Caussin pour adapter le récit au théâtre, à la grammaire et aux exigences de la tragi-comédie.

Les épisodes fictifs §

Tout d’abord, l’auteur a transformé le personnage de Sindéric pour le rendre plus vraisemblable. Chez Caussin, le fils est élevé dans la servitude, et se rend à Rome pour voir sa mère, mais surtout pour devenir un homme libre :

Cet enfant devenu jeune homme, receut un avis de bonne part, qu’il estoit d’extraction libre, et fils d’une Dame dont on luy donna le nom, la demeure et toutes les circonstances, qui luy firent entreprendre un voyage à Rome, avec intention de se faire reconnoistre.36

Guérin de Bouscal ne reprend pas cette version, et élève au contraire Sindéric au rang de favori du roi. Aussi est-il légitime et prévisible que Sindéric fasse appel au roi pour lui rendre justice. Le dramaturge va plus loin en faisant de Théodoric le conseiller de son favori : en effet, c’est au roi que Sindéric confie en premier le nom de sa mère, et c’est le roi lui-même qui l’encourage à se faire reconnaître par Julie (Acte II, scène 1). Cette modification permet d’éliminer toute considération pécuniaire et surtout de supprimer l’argument majeur de la mère qui dénonçait le caractère intéressé de l’imposteur. Ainsi, la défense de la mère dans La Cour Sainte consiste essentiellement à réfuter

[…] fermement toutes les pretentions de celuy-ci, disant : Que c’estoit un imposteur et un ingrat, qui ne se contentoit pas d’avoir receu les charitez d’un pauvre en sa maison ; mais voulait l’heritage des enfans37.

De même, la Dame romaine écarte l’idée de pouvoir se marier avec un homme sans ressource. Elle justifie ainsi son refus d’épouser le jeune homme. Théodoric parvient à la piéger en lui promettant d’enrichir le protagoniste si elle l’épouse : la mère est contrainte d’avouer son mensonge et de reconnaître son fils. Une telle intrigue ne pouvait satisfaire les attentes de notre dramaturge, désireux de héros nobles et désintéressés, pour qui les liens du sang seuls comptaient. Dans la mesure où Sindéric a une position élevée à la Cour, il n’est pas honteux pour Julie de reconnaître son fils ; on ne peut accuser Sindéric d’être intéressé, ce qu’il rappelle d’ailleurs à sa mère et à Théodoric dans la salle du trône (vers 1531-1538) :

Romains qui cognoissez Sinderic et Julie,
Croyez vous qu’elle fît une tache à sa vie,
Advoüant aujourd’huy Sinderic pour son fils,
Ou qu’il voulut gagner une mere à ce pris ?
Tout le monde respond qu’on ne le sçaurait croire,
Qu’ils sçavent que tous deux nous aymons trop la gloire,
Que vous pouvez me rendre et ma mere et mon nom,
Sans craindre de leur part, ni blasme ni soubçon38.

Modifier la condition d’esclave du fils a donc entraîné des changements considérables dans l’intrigue de la pièce. L’auteur a notamment pu transformer un détail important : tandis que le fils dans La Cour Sainte s’est rendu à Rome dans le but d’être reconnu par sa mère, Sindéric dans Le Fils désavoué se trouvait déjà en Italie auprès du roi, ce qui a le mérite, une fois de plus, de renforcer la vraisemblance du récit.

Il convient ensuite d’examiner la création du personnage de Maxime, qui diffère de l’amant infidèle présent chez le Père Caussin. Ainsi, dans l’apologue du jésuite, la veuve est décrite comme

embarrassée dans certaines amourettes, s’estant donnée à un homme qui promettoit tousjours de l’espouser, sans toutefois terminer l’affaire39.

L’amant apparaît comme un personnage secondaire qui représente un obstacle au bonheur du couple mère-fils. À la fin du jugement, le roi invite la mère à se conduire vertueusement dans son rôle de mère et à oublier cet amant inconstant. La condamnation finale de l’amour rend le jugement beaucoup plus austère que celui du Fils désavoué, qui autorise au contraire le mariage de Julie et de Maxime. De surcroît, Guérin de Bouscal confère à Maxime un rôle majeur dans l’intrigue : le chevalier romain prend Sindéric pour l’amant de Julie, et c’est ce malentendu qui conduit au duel entre les deux hommes, véritable obstacle pour une femme partagée entre son fils et son amant. Dans La Cour Sainte, l’amant ne possède pas d’épaisseur psychologique : il refuse, en toute connaissance de cause, et sans motif valable, d’accepter le fils de Julie.

[…] il n’y voulut point de charge d’enfant ; luy dit hardiment, que si elle ne chassoit cet enfant trouvé de son logis, jamais elle n’auroit de part en ses affections. 40

L’élimination de cet amant nuisible semblait donc la seule possibilité pour résoudre l’intrigue.

Dans Le Fils désavoué, ce n’est pas par obéissance à son amant que Julie désavoue son fils ; cette femme vertueuse craint d’être déshonorée si on découvre son fils et si on la soupçonne d’avoir trompé son premier époux. Guérin de Bouscal donne ainsi de l’importance à la mère, qui se fixe elle-même des limites pour préserver son honneur, et ne se contente pas d’obéir à la volonté d’un tiers.

Enfin, il nous reste à évoquer un aspect essentiel modifié par l’auteur pour adapter l’anecdote à la vraisemblance de la représentation. Dans La Cour Sainte, la mère profite de l’absence de son amant pour héberger son fils durant trente jours :

Cet amant estant pour lors absent, et détenu pour affaires pressantes assez loin de Rome, la Dame eut environ l’espace de trente jours bien libres, où elle tint le jeune homme en sa maison41 […].

La scène de reconnaissance est donc prolongée par l’installation du fils. La mère ne peut se rétracter sans laisser paraître sa culpabilité dans la mesure où la reconnaissance n’est pas éphémère mais au contraire bien acquise. Guérin de Bouscal supprime cet élément invraisemblable, et cherche à diminuer au maximum l’écart entre la durée de l’action et la durée de la représentation. La pièce ne dépasse pas les vingt-quatre heures ; la scène de reconnaissance, fort brève et réduite à quelques effusions, permet de maintenir une forme de suspense. La confusion est renforcée par la mise en scène imaginée par Sindéric pour se faire reconnaître : pour justifier son désaveu, Julie prétend avoir été émue par l’histoire même, en tant que spectatrice, et non en tant que personne impliquée. Julie amorce une réflexion intéressante sur la puissance de la représentation, et sur la capacité du spectateur à s’identifier au personnage :

Soit que vostre récit fut feint ou veritable,
Il me representoit un destin lamentable,
Ce tableau m’a surprise, et dans ce mouvement
Mon cœur s’est attendry sans mon consentement42.

La justification de la mère est donc rendue vraisemblable dans Le Fils désavoué. L’émotion suscitée par la saynète aurait été provoquée par l’excellent jeu du comédien, et Julie aurait incarné de façon spontanée le rôle de la mère.

Les personnages et l’onomastique §

Guérin de Bouscal entretient un rapport souple à l’Histoire, qui apparaît comme une simple toile de fond permettant de rendre sa pièce plus vraisemblable. Seuls Théodoric et ses exploits passés offrent un arrière-plan historique. Toutefois, il est déjà rare qu’une tragi-comédie emprunte son sujet à l’histoire romaine et il faut souligner la précision et l’exactitude des faits historiques évoqués par notre auteur dans Le Fils désavoué. Le dramaturge s’est en grande partie appuyé sur La Cour Sainte de Caussin, et a sans doute consulté, comme le suggère Lancaster43, la bien célèbre Histoire des Goths de Jordanès pour approfondir ses connaissances sur Théodoric. Nous ne proposerons pas ici une biographie détaillée de Théodoric, dans la mesure où ce n’est pas sa vie en soi qui nous intéresse, mais ce qu’en retient Guérin de Bouscal. Nous nous concentrons ainsi sur les seuls éléments choisis par notre dramaturge et offrons donc une biographie sommaire et orientée par notre pièce. Notre auteur insère dans les propos de Théodoric (vers 63-64) une référence à son enfance à la cour de Byzance, et à son retour tardif mais glorieux dans l’Empire Romain. En effet, Théodoric le Grand (455-526), roi ostrogoth, fils de Théodémir et d’Erelieva, fut otage pendant neuf ans à la suite d’un traité conclu par son père avec l’Empire Byzantin et fut donc élevé à Constantinople. Devenu roi en 473, il conduit son peuple en Macédoine avant d’occuper la péninsule en 489. Le Fils désavoué se déroule en l’an 500, puisque Guérin de Bouscal met en scène l’entrée solennelle de Théodoric dans la ville de Rome et la nomination de Boèce à la fonction de ministre d’État. L’auteur introduit le personnage historique de Boèce, sans nul doute parce que le jugement de Théodoric appartient, chez Caussin, à un apologue consacré à cet homme illustre44. Le roi évoque lui-même sa victoire sur Odoacre et la prise de Ravenne :

Enfin la tyrannie a perdu son azile,
Ravenne a succombé, cet Empire est tranquile,
Et le plus obstiné de tous nos ennemis,
Le fleau de l’Italie, Odoacre est soumis45.

Le dramaturge insiste sur cet événement glorieux à diverses reprises. Odoacre (433 env.-493), Germain d’origine skire, fut proclamé patrice, puis roi des Hérules en 476, après avoir détrôné l’empereur Romulus Augustule, et envoyé les insignes impériaux à Constantinople. Il fit allégeance au souverain de l’Orient, Zénon, et s’installa à Ravenne, capitale politique, religieuse et artistique. Mais, en 490, l’empereur Zénon, se méfiant des ambitions d’Odoacre, envoya Théodoric pour vaincre ce barbare. Théodoric assiégea Odoacre dans Ravenne pendant presque trois ans ; mais après avoir feint une réconciliation avec son ennemi et le fils de ce dernier, il le tua d’un coup d’épée au cours d’un banquet en 493. Guérin de Bouscal brosse le portrait d’un roi pacifique et juste, s’opposant aux barbares qui l’ont précédé. Il met en avant l’attention portée par le roi à l’architecture (acte 1, scène 4) et à la reconstruction des monuments détruits par ses prédécesseurs. Il faut nuancer un peu ces propos, clairement inspirés des témoignages des contemporains du roi, à l’instar de Cassiodore46, et repris par Jordanès et Caussin. En réalité, si Théodoric entreprit une politique urbanistique ambitieuse à Ravenne, il se contenta de restaurer quelques édifices publics en ruine à Rome. Ainsi, il rénova entre autres les murailles de la ville, les aqueducs, la Basilique émilienne, le théâtre de Pompée, la Maison des Vestales, ou encore la Domus Augustana47. Par ailleurs, Théodoric était célèbre pour sa tolérance religieuse : de foi arienne, il admettait les cultes chrétiens, et ne se prononçait même pas en faveur des conversions. Toutefois, Guérin de Bouscal modifie la croyance religieuse de Théodoric, et fait de lui un roi catholique. À l’image de La Cour Sainte qui peint le souverain en envoyé de Dieu sur la Terre, Le Fils désavoué se termine par un hommage rendu à Dieu. Ainsi, dans la scène finale, l’ensemble des personnages remercie le roi, qui rend à son tour grâce à Dieu :

Ne me regardez point dedans cette occurrence,
Comme le seul autheur de vostre intelligence,
Portez vostre pensée en un plus digne lieu,
Ce merveilleux decret est un œuvre de DIEU48.

Il semble évident qu’une œuvre élogieuse à l’égard d’un souverain ne pouvait être consacrée à un roi arien, surtout sous la plume d’un auteur catholique.

Guérin de Bouscal occulte les dernières années sombres de Théodoric, qui contribuèrent à laisser l’image d’un tyran à la postérité. Le roi causa la mort du Pape Jean Ier pour se venger des persécutions organisées par Justin Ier contre les ariens. Il fit également emprisonner et torturer son ministre d’État, Boèce, et le beau-père de ce dernier, Symmaque, sur des soupçons non fondés. Il mourut en 526 de dysenterie, mais une légende raconte qu’il rendit l’âme après avoir cru reconnaître la tête menaçante de Symmaque dans un de ses bassins.

Si les références historiques se multiplient dans Le Fils désavoué, elles se limitent aux deux personnages de Théodoric et de Boèce. On ne saurait parler de pièce historique ; il s’agit bien plutôt d’un cadre historique original qui sert d’arrière-plan à une histoire purement fictive. Guérin de Bouscal ne se contente pourtant pas de créer de toutes pièces ses autres personnages : il introduit des figures historiques issues de diverses époques. Il convient de préciser que notre dramaturge emprunte uniquement le nom de ces illustres personnages, sans s’attacher à leur existence historique ou à leurs traits caractéristiques. Aussi nous concentrons-nous sur une étude de l’onomastique. Sindéric et Émile font figure d’exception et apparaissent comme des protagonistes entièrement fictifs.

Nous pouvons commencer par évoquer la figure de Tulle, qui fait référence à Tullus Hostilius, roi de Rome de 672-641 avant Jésus-Christ, dont Tite-Live brosse le portrait dans Ab urbe condita (I, 22 à 27). De même, on trouve chez Tite-Live le combat des Horaces et des Curiaces, dont Horace est extrait. Il est pourtant certain que Guérin de Bouscal s’inspire directement, non de Tite-Live, mais de la pièce de Corneille, Horace, représentée pour la première fois en mars 1640. La tragédie historique met en scène la victoire de Horace sur les Curiaces, et l’assassinat de Camille49 par son frère. Tulle, roi de Rome, honore celui qui a sauvé la ville, sans le condamner pour le meurtre de sa sœur. Si ces deux figures historiques sont conformes aux récits de Tite-Live, la création du personnage de Julie, Dame romaine, nous interpelle et nous suggère que Guérin de Bouscal emprunte le nom de sa mère infortunée à Corneille. L’importance de ces trois personnages est totalement inversée dans Le Fils désavoué. Le héros, Horace, devient secondaire, tandis que Tulle est seulement nommé par Sindéric. Tulle est celui qui informe Sindéric sur sa véritable identité ; il apparaît comme un relais entre les deux pièces, comme une sorte de clin d’œil à l’œuvre de Corneille. À l’inverse, Julie, simple confidente de Sabine50 et de Camille dans Horace, prend de l’importance et devient une figure centrale dans notre pièce.

Notre auteur est également influencé par Cinna, de Corneille, tragédie représentée pour la première fois au Théâtre du Marais en 1642. Il fait référence à Lépide (89-13 avant J.-C.), consul et sénateur romain, qui s’associa avec Auguste et Antoine pour le triumvirat. Cette illustre figure est également présente dans la tragédie de Robert Garnier, Porcie (1568), dont Guérin de Bouscal s’était déjà inspiré pour La Mort de Brute de Porcie (1637). Seulement évoqué dans notre pièce, et dénoncé pour sa barbarie, Lépide a la particularité de rester fidèle à son existence historique. Notre pièce emprunte ensuite à Cinna le personnage fictif de Maxime, un des organisateurs de la conspiration contre Auguste, auprès de Cinna. Le Fils désavoué tire aussi de Corneille le personnage de Livie51 (58 avant J.-C.-29 après J.-C.), impératrice et épouse d’Auguste. Enfin, la suivante Cornélie de notre pièce fait écho à l’héroïne de Robert Garnier, Cornélie (189-100 avant J.-C.), allégorie de la ville de Rome, qui pleure la mort de ses deux époux, et de son père Scipion. La tragédie éponyme (1574) s’appuie elle-même sur les récits de Plutarque (Vie de Pompée, Vie de César, Vie de Caton) et de Dion Cassius (Histoire romaine).

Notre dramaturge utilise à la fois des noms de personnages historiques, de personnages fictifs et des noms romains. Il regroupe par conséquent des temps éloignés et des lieux dispersés, mais il ne produit rien qui ne soit vraisemblablement acceptable. Dans son avis « Au lecteur » de La Mort de Cléomènes, roy de Sparte (1640), Guérin de Bouscal justifie son rapport souple à l’Histoire :

[…] ne m’accuse point d’ignorer l’histoire de Cleomenes si tu vois paroistre dans Alexandrie, la belle Agiatis qui était morte en Grece longtemps avant que mon Heros abordat en Egypte ; mais sache que c’est une licence que j’ay affectée pour l’embellissement de ma Scene, et que les incidents advantageux qui ne gatent point le subjet principal ne sont point seulement soufferts dans le Poeme Dramatique : mais même pratiquez tous les jours par les maistres.

La diversité des sources n’empêche pas l’auteur de créer un cadre historique uni et vraisemblable ; le plaisir du lecteur semble plus important que la véracité des faits évoqués.

Analyse dramaturgique §

Tragi-comédie ou tragédie à fin heureuse ? §

Le Fils désavoué semble pouvoir être assimilé à une tragédie à fin heureuse. Dès sa nomination par Plaute dans son Amphitryon, la tragi-comédie apparaît comme un genre ambigu à mi-chemin entre tragédie et comédie, qui mêle dieux et humbles personnages. Dès lors, on a cherché à déterminer des critères constitutifs de ce genre nouveau, mais ses caractéristiques ont été l’objet de nombreux débats critiques. Un des choix les plus fréquents est de définir la tragi-comédie comme une simple tragédie à fin heureuse, à l’instar de théoriciens comme La Mesnardière et d’Aubignac. La Poétique d’Aristote autorise la tragédie à opérer un renversement du bonheur au malheur, ou du malheur au bonheur ; elle légitime l’appellation de tragédie pour toute tragi-comédie qui se définirait comme telle à partir de son dénouement heureux. Précisons cependant que D’Aubignac nie la spécificité du genre tragi-comique : la création du terme « tragi-comédie » est pour lui vide de sens. Cette conception s’oppose à celle de nombreux praticiens qui cherchent à doter la tragi-comédie de critères propres. Scudéry décrit ce nouveau genre comme un mélange du tragique et du comique. Ainsi, à son apogée, dans les années 1630-1640, la tragi-comédie emprunterait à la comédie une fin heureuse, une matière fictionnelle, et à la tragédie des personnages nobles et des périls potentiellement mortels. Notre pièce est créée lorsque le genre est encore au cœur de débats théoriques, et nous verrons dans quelle mesure elle peut éclairer cette définition aux frontières fluctuantes.

Tout d’abord, Le Fils désavoué respecte les règles d’unité classique, et en particulier les unités de temps et de lieu. En effet, la pièce ne dépasse pas les vingt-quatre heures et se déroule dans la seule ville de Rome. Pourtant dispersée en diverses chambres, l’action est unifiée par le cadre de Rome et on peut aller jusqu’à qualifier notre pièce de « tragi-comédie de palais »52. Toutefois, notre œuvre ne fait pas office d’exception : comme le souligne Roger Guichemerre, la tragi-comédie dans les années 1640 tend à se soumettre dans une certaine mesure aux règles classiques d’unité appliquées dans les tragédies, et par conséquent à restreindre son action dans l’espace et dans le temps. Guérin de Bouscal se soumet aussi aux exigences de concentration dramatique. Notre pièce se compose seulement de neuf personnages, tandis que dans les tragi-comédies,

l’effectif oscille entre sept et vingt-cinq personnages, et le nombre moyen de personnages par pièces est supérieur à treize53.

L’action dramatique est resserrée et l’intrigue est construite à partir de quatre personnages principaux et d’un seul obstacle initial. Cette régularité permet de renforcer la vraisemblance de la représentation.

Il faut ensuite évoquer les personnages du Fils désavoué qui se caractérisent par leur noblesse et leur courage. La pièce met en scène un roi, un noble, une Dame romaine, un chevalier, un sénateur, deux confidents, et deux suivantes. Les confidents et les suivantes occupent des rôles subalternes plus ou moins importants. Si Livie et Horace accèdent au rôle de conseiller, Émile se contente d’écouter son ami Sindéric. Cornélie peut être assimilée à une « doublure »54 passive de sa protectrice : elle n’apparaît qu’à deux reprises pour annoncer l’arrivée de Sindéric et apporter la lettre de Maxime : elle assure donc une fonction dramatique ponctuelle. La tragi-comédie ne remet pas en cause les normes sociales. Ainsi, le renversement des valeurs n’est qu’illusion, et il ne faut pas prendre en compte les propos d’Émile quand il affirme la supériorité du mérite personnel sur la naissance:

Je ne regarde point ny naissance ny rang,
J’adore la vertu sans m’informer du sang :
Nobles ou de bas-lieu, n’importe qui nous sommes,
C’est la seule vertu qui fait les gentil-hommes55.

Sindéric, l’inconnu glorieux devenu favori du roi, appartient en réalité à une noble famille romaine. La magnanimité du héros est réinterprétée à la lueur de sa naissance : c’est la noblesse de son sang qui lui aurait permis d’acquérir une telle bravoure. Sa haute naissance serait trahie par ses exploits guerriers, comme le suggère Théodoric :

Quand votre bouche a teu d’où vous estes sorty,
Vos belles actions nous en ont adverty,
Tant d’exploits signalez, la prise de Ravene […]
M’ont bien persuadé que vous estiez né grand56.

La bravoure militaire apparaît comme un indice de noblesse. L’identité du personnage, déguisé inconsciemment, est signalée par son corps même. En effet, le héros porte des marques sur la main et la bague d’or confiée par Julie à celui qui conduisit son fils en France. Des signes matériels corroborent donc les hauts faits du protagoniste. L’identité des personnages de notre pièce est parfaitement conforme aux convenances de la tragédie.

Il serait excessif d’avancer que Guérin de Bouscal invente des personnages « dotés d’une conscience souffrante »57, dans la mesure où seule Julie présente un véritable intérêt psychologique. Pour autant, il faut souligner que les personnages se définissent par leur liberté: leur intériorité devient moteur de l’action. Ils ne sont pas résignés au hasard ou au destin, et peuvent donc faire des choix ; aussi le tragique naît-il de ce choix lui-même58. Ainsi, Julie, en proie à un dilemme moral, livre ses tourments à Livie:

Dures extrémitez, enfin qui doy-je faire
Dans ces deux qualitez, et d’amante et de mere ?
Mon honneur est taché, mon renom obscurcy,
Desadvouant mon fils, et l’advouant aussi59.

Julie est partagée entre son fils et son amant : elle est en quête de deux situations incompatibles. Elle peut être considérée comme l’héroïne de la pièce, dans la mesure où elle fixe l’obstacle intérieur, point de départ de l’intrigue, et qu’elle apparaît comme le sujet dans les deux schémas actanciels. Héroïne éminemment tragique, elle lutte pour ne pas être déshonorée : le terme « honneur » est récurrent dans la bouche de Julie60. Désespérée, elle songera au suicide, qui semble la seule issue possible (vers 996-997). Elle est de surcroît celle qui compte le plus grand nombre de répliques61 et de vers. L’auteur met en relief l’intériorité psychologique de Julie, qui livre ses craintes et ses réflexions dans des débats intérieurs ou dans des monologues pathétiques. L’intériorité est gage de vraisemblance, et contribue à faire diminuer le spectaculaire. Le Fils désavoué ne compte aucun mort ; le duel n’est pas représenté.

Enfin, notre pièce s’inspire d’une source historique, mais traite avec souplesse les faits attestés par l’Histoire. Contrairement aux tragédies qui décrivent les desseins des princes et des rois, ou qui rendent compte du contexte politique de l’époque, notre tragi-comédie se concentre sur des problèmes privés. Dans sa Poétique, Aristote déclare qu’un sujet historique est supérieur à un sujet inventé puisque l’Histoire rend plus acceptable la fiction aux yeux des spectateurs. Il ne condamne donc pas la matière fictionnelle. Ainsi, Le Fils désavoué peut être assimilé à une tragédie à fin heureuse, ou encore à une tragédie « irrégulière ».

« Dramaturgie de la gratuité » §

Notre tragi-comédie repose sur un faux problème de départ, et se caractérise donc par sa contingence, par une sorte de « dramaturgie de la gratuité »62. En effet, Julie pouvait reconnaître son fils sans être déshonorée : son problème relève de l’intime, de la sphère privée, et non de la sphère publique. Elle s’auto-persuade de l’impossibilité de reconnaître son fils, procédé original qui rendra d’autant plus facile l’annulation de ce faux obstacle. Aucune loi, aucune maxime ne l’empêchait de reconnaître publiquement son fils, dans la mesure où son cruel époux avait enlevé son enfant à la naissance, et qu’elle était veuve depuis longtemps. Il s’agit plutôt d’une opposition de principe, d’une aubaine dramatique. Jacques Scherer souligne la particularité du personnage de la veuve, qui se définit ordinairement par son indépendance:

Une seule situation de famille permet à l’auteur dramatique de montrer une héroïne indépendante : c’est le veuvage ; mais on s’en sert peu, car les obstacles sont nécessaires au théâtre63.

Or, il n’en est rien. En apparence autonomes et libres, les choix de Julie ont des conséquences directes sur les actions des autres personnages, et sont ainsi involontairement extériorisés. Les décisions de Julie semblent lui échapper et révèlent sa dépendance au hasard et à autrui :

Trompés, les personnages tragi-comiques posent le problème de leur asservissement à leurs propres actes64.

Il existe un véritable crescendo dans les obstacles : une affaire privée, non grave, aboutit à de vrais obstacles, comme si l’on partait d’un faux postulat pour arriver à des raisonnements exacts. La structure du Fils désavoué s’avère originale puisque la scène de reconnaissance, qui clôt généralement une pièce et caractérise un dénouement heureux, se situe ici à la fin du deuxième acte. Cette scène n’est donc pas synonyme de bonheur et de stabilité, mais amorce au contraire les malheurs des héros. L’esthétique de la coïncidence et de la contingence65 marque le début des obstacles : Maxime surprend le fils dans les bras de Julie, et perçoit Sindéric comme un susceptible rival, ce qui provoque un malentendu initial. Cependant, c’est parce que Julie ne reconnaît pas son enfant que Maxime est conforté dans son malentendu, et que les deux hommes s’affrontent en duel. En ce sens, Julie se définit en opposante volontaire de son fils, mais aussi en opposante indirecte de son amant. En effet, la rivalité imaginaire entre Maxime et Sindéric entraîne des dangers concrets et réels, qui vont jusqu’à menacer leur vie.Or, il s’agit là d’un véritable obstacle puisque Julie serait dès lors dans l’impossibilité de se marier avec l’assassin de son fils, ou de reconnaître un fils qui aurait tué son amant. La mère est alors piégée : elle ne peut plus se rétracter, et est contrainte de se rendre au tribunal du roi où elle risque de commettre un inceste, considéré comme le plus grand crime existant. Un fait privé sans importance majeure donne lieu à un danger immense synonyme de crime et de déshonneur dans la sphère publique.

Cependant, l’inceste reste en arrière-plan et n’apparaît pas comme un danger réel. Il prend une forme particulière dans notre pièce puisqu’il ne s’agit pas d’une question d’amour, mais d’un désaveu. Le risque de l’inceste est nul, dans la mesure où tous les personnages, à l’exception de Maxime, sont certains de l’identité de Sindéric ; le faux obstacle disparaît rapidement et permet de respecter la loi morale. De même, le spectateur sait que Julie a reconnu son fils ; en ce sens, l’obstacle arrive a posteriori et ne présente pas un véritable danger à ses yeux. L’impératif moral ne fonctionne pas sur le plan référentiel, mais dramaturgique : il correspond à l’interdit suprême qu’il faut fuir, et entraîne le dénouement. La transgression incestueuse se trouve donc uniquement actualisée sur le plan interne à l’action. Le roi Théodoric savait que la mère était contrainte de refuser l’inceste. Pourtant, l’inceste peut être vu comme clé de voûte de la pièce parce qu’il est lié à la confirmation de l’identité du héros66. La chute du masque fait disparaître la transgression et entraîne le retour à la norme sociale. La mère perd subitement son statut d’opposant : l’effacement de l’obstacle apparaît tout aussi contingent que son apparition.

L’illusion représentée : des acteurs-dramaturges §

Théodoric est sollicité par son favori pour lui rendre justice. Si le personnage du roi est récurrent dans les tragi-comédies67, il est plus original que cet acteur-type occupe une fonction sociale en exerçant un rôle de juge. Incarnation du deus ex machina, il est le seul à discerner la vérité derrière le masque du mensonge et engendre le dénouement heureux :

Il n’en est pas besoing, je voy dedans mon ame
La brillante clarté d’une secrete flamme,
Chasser l’ombre et l’erreur qui possedoit mes sens. […]
Qu’on la fasse venir, vous verrez en ce point,
Que les Rois sont des dieux que l’on n’abuse point68.

Théodoric est assimilé à un Dieu qui ne peut être dupé. L’originalité du jugement, qui fait écho au célèbre jugement de Salomon, ne réside pas dans son issue, connue d’avance par les spectateurs, mais dans son déroulement, dans son traitement même. En effet, le roi contraint avec intelligence Julie à reconnaître son fils. Il connaît à la fois sa propre puissance et l’honneur de Julie : ainsi, il sait que la mère ne peut s’opposer à un mariage imposé par le souverain mais qu’elle refusera l’inceste. Il se présente comme un véritable metteur en scène, et recourt paradoxalement à la fiction pour connaître la vérité. Guérin de Bouscal confère à son personnage son pouvoir de dramaturge, et donne ainsi à sa pièce une esthétique enjouée et plaisante. Le roi utilise les mêmes ressorts dramaturgiques que l’auteur lui-même : cette conscience réflexive de la création fait indirectement l’éloge du théâtre, et du monde de l’illusion. Le pouvoir est ainsi assimilé à la comédie : celui qui dirige est celui qui maitrise son jeu et celui des autres, sans être prisonnier des apparences.

Chaque personnage semble respecter son rôle puisque Sinderic, le favori de Théodoric, recourt lui aussi à la fiction pour se faire reconnaître par sa mère. Il met en abyme notre pièce, et se joue à son tour de la création théâtrale :

SINDERIC.

Quand vous me menacez de me desadvoüer
Vous me representez ce que j’ay veu joüer ,
C’est un subject nouveau fort extraordinaire,
Et dont les incidens sont capables de plaire,
Les Acteurs chez le Roy l’ont assez bien joüé. 

JULIE.

On le nomme Monsieur ?

SINDERIC.

Le fils desadvoüé69.

Sindéric raconte son histoire sous couvert de la fiction, dans la mesure où la pièce de théâtre correspond à la vie du héros. La distance de la narration est rompue au moment de la coïncidence parfaite entre le récit de la réaction de la mère, et la réaction effective de Julie. La fiction semble tendre un miroir à une autre fiction pour le spectateur. L’énonciation se superpose à l’interprétation de Julie du rôle de la mère, ou plutôt par l’incarnation de son propre rôle. La reconnaissance passe donc par la réflexivité : avant d’identifier son fils, on a l’impression que la mère commence par se retrouver elle-même. De façon originale, l’illusion permet paradoxalement d’enfiler un nouveau masque avant de se reconnaître soi-même et d’incarner son rôle. L’auto-identification engendre dès lors l’alter-identification.

Enfin, Maxime n’hésite pas à faire croire qu’il a tué Sinderic pour observer la réaction de Julie. Ce procédé dramatique répond à une fin actorielle clairement définie : il s’agit, par le recours au mensonge, de découvrir la vérité. À l’image de Chimène dans des circonstances similaires, Julie dit avoir été bouleversée par peur pour Maxime, et non par chagrin pour Sindéric. Toutefois, la réaction brutale et désespérée de Julie a trahi son émotion de mère, que Maxime confond avec des larmes d’amante. Le rival qui fait courir le bruit de la mort de l’être aimé correspond cependant à un procédé récurrent au théâtre. Maxime met en scène un leurre, qui vise, grâce à une modification éphémère de statut actanciel pour les deux hommes, à vérifier ses soupçons concernant l’identité de Sindéric. Le subterfuge est efficace, mais en corroborant son hypothèse de départ, il ne fait que maintenir le chevalier romain dans l’erreur. Maxime dramaturge est donc pris à son propre siège : la mise en scène fonctionne, et partant, le conforte dans une fausse croyance ; l’illusion engendre ici l’illusion.

Les trois hommes au pouvoir sont acteurs et metteurs en scène de la comédie, et s’opposent en ce sens à Julie, à chaque fois trompée, victime de l’illusion, et véritable héroïne tragique. La pièce constitue dès lors une sorte de mise en scène de la victoire de la comédie sur la tragédie. En effet, on sort du caractère tragique de la pièce grâce aux comédies imaginées par les trois manipulateurs qui invitent la dupe à croire la fiction, précisément pour engendrer une nouvelle réalité. Les personnages, nouveaux dramaturges, dirigent l’action selon les codes connus de son fonctionnement70. Le dédoublement de soi permet également de réfléchir sur l’importance de la fiction, à l’image de Sindéric :

Aujourd’huy dans les fables
On mesle bien souvent des succes veritables,
Ainsi les passions s’esmouvent beaucoup mieux71.

L’illusion théâtrale apparaît comme une voie d’accès à la vérité ; elle offre, par un moyen détourné, la possibilité de se dévoiler ou de mettre à nu une vérité. La tragi-comédie se met en scène, devient son propre reflet, et amorce une réflexion sur la représentation théâtrale.

Note sur la présente édition §

Éditions du texte §

Il existe quatre éditions du Fils désavoué, ou Le Jugement de Théodoric, roy d’Italie, imprimé pour la première fois en 1641, et réédité en 1642, 1643 et 1654. Dès le 3 mai 1641, le « Privilège du Roy » accorde le droit d’imprimer le texte pour cinq ans au libraire Antoine de Sommaville, et l’« achevé d’imprimer » précise que l’impression a été effectuée le 17 octobre de la même année. Il ne reste qu’un exemplaire de l’édition originale à la Bibliothèque Nationale de France, site Tolbiac, sous la cote YF-576, également consultable sous forme de microfiche (MFICHE YF-576).

Nous avons établi le texte d’après cet exemplaire. Le texte a été édité in -4°, et comporte 13 cahiers de huit pages chacun, et un dernier cahier de six pages, soit 110 pages foliotées auxquelles s’ajoutent 5 pages non foliotées. La pièce est en cinq actes et écrite en alexandrins à rimes plates, à l’exception de la lettre en stances de Maxime à Julie.

L’exemplaire se présente ainsi :

1 vol. in-4°, IV -110p.- 111 (erreurs de pagination : pages 31-32 répétées ; saut numérotation 69-80).

[I] : LE FILS/ DESADVOÜÉ, / OU LE/ JUGEMENT/ DE THEODORIC/ ROY D’ITALIE. / TRAGICOMEDIE/ DE Mr GUERIN. / [fleuron du libraire]/ A PARIS, / Chez ANTOINE DE SOMMAVILLE , / au Palais, en la gallerie des Merciers, / à l’Escu de France. / [filet]/

M. DC. XLI. / AVEC PRIVILEGE DU ROY.

[II] : verso blanc.

[III] : recto blanc.

[IV] : ACTEURS.

1-110 : texte de la pièce.

[111] : Extraict du Privilège du Roy (avec l’achevé d’imprimer en date du 17 octobre 1641).

Si nous ne possédons qu’un seul exemplaire de l’édition originale, nous avons en revanche plusieurs exemplaires de l’édition de 1642, de nouveau réalisée par le libraire Antoine de Sommaville. Ce dernier, marchand libraire parisien de 1620 à 1665, est l’un des trois plus importants libraires du théâtre français, avec Augustin Courbé et Toussaint Quinet. Spécialiste de l’édition des Belles Lettres, il publie également des romans, des recueils de poésie, et des traductions de poèmes latins et italiens. L’ouvrage d’Alain Riffaud72 précise que notre pièce est imprimée dans l’atelier d’Arnould Cottinet, en exercice de 1637 à 1662, rue des Carmes, où l’on trouve 4 presses, 5 compagnons et 3 apprentis. Spécialisé dans la production théâtrale dès 1639, l’atelier effectue un travail assez soigné, quoique parfois inégal et mal encré. En ce qui concerne notre pièce, les deux éditions sont parfaitement semblables, mais comportent de nombreuses erreurs et coquilles. Ainsi, l’auteur n’a pas retouché son texte, et les différents exemplaires examinés de 1642, in-4°, ne présentent aucune variante par rapport à l’édition originale :

– Exemplaire à la BNF, site Tolbiac, sous la cote RES- YF- 1392, et reproduit sur le site de la bibliothèque.

– Exemplaire à la BNF, site Richelieu, sous la cote 8- RF- 6214.

– Exemplaire à la BNF, site Richelieu, sous la cote 8- RF- 6215.

– Exemplaire à la BNF, site Arsenal, sous la cote 4-BL-3473.

– Exemplaire à la BNF, site Arsenal, sous la cote GD 45354.

– Exemplaire à la BNF, site Arsenal, sous la cote GD 45 355.

– Exemplaire à la bibliothèque de la Sorbonne, sous la cote RRA 8= 450.

– Exemplaire à la bibliothèque Mazarine, sous la cote 4° 10918-35/3. Cet exemplaire se trouve dans un recueil relié aux armes de Louis-Jean Marie de Bourbon, duc de Penthièvre. Ce recueil factice, in-4°, comporte trois tragi-comédies : La Virginie, de Mairet (1635) ; Annibal, du Sieur de Prades (1649), et Le Fils désavoué, de Mr Guérin (1642).

– Exemplaire à la BNF, site Tolbiac, sous la cote RES-YF-393. La pièce est reproduite dans un recueil factice. Le recueil comprend  Andromire, de M. de Scudéry, 1641 ; Le Fils désavoué, de MrGuérin, 1642 ; La Mort de Mitridate, de La Calprenède, 1637 ; Le Clarionte ou le sacrifice sanglant, de La Calprenède, 1637 ; Bradamante, de La Calprenède, 1637. Il s’agit d’un recueil de tragi-comédies, dans lequel la tragédie de La Calprenède, La Mort de Mitridate, fait office d’exception. Nous pouvons signaler une erreur présente sur le site gallica liée à ce recueil factice ; le « Privilège du Roy » reproduit sur gallica correspond à celui d’Andromire de M. de Scudéry, et non au Fils désavoué. Nous ne notons aucune variante par rapport aux autres exemplaires de notre pièce.

Nous n’avons pas consulté les deux exemplaires de 1642 qui ne se trouvent pas dans les bibliothèques parisiennes : l’un se trouve à la bibliothèque municipale d’Angers, sous la cote 4BL 2225 I, l’autre à la bibliothèque municipale de Caen, sous la cote Rés. B 993.

Une troisième édition a lieu en 1643, et est consultable à la bibliothèque de l’Arsenal, sous la cote GD-10614. L’exemplaire in-32 - [4], 91, [92]- correspond à une contrefaçon caennaise, réalisée par l’imprimeur Jacques Mangeant qui a exercé de 1593 à 164873. L’atelier contrefait le théâtre français depuis le début des années 1630. Sa production extrêmement abondante, vouée au colportage à travers tout le royaume de France, dépasse largement celle des autres contrefacteurs. Nous pouvons ici identifier le contrefacteur à la mention « Sur l’imprimé » inscrite sur la page de titre.

L’édition présente un certain nombre de modifications par rapport aux éditions d’Antoine de Sommaville. La plupart des coquilles présentes dans l’édition originale sont corrigées ; une ponctuation plus moderne est établie. Les erreurs de numérotation de scène ainsi que les erreurs d’attribution dans les répliques ont fait l’objet d’une correction. Nous pouvons également signaler la modification des vers 158 (« digne pris »>« noble prix »), 288 (« Vos belles actions nous en ont adverty » >« vos belles actions nous ont bien adverty »), 292 (« M’ont bien persuadé que vous estiez né grand » > « M’ont bien persuadé que vous estes né grand »), 295 ( « Ce fut seulement hier » > « Ce fut hier seulement »), 301 (« faict naistre »> « veu naistre »), 318 (« votre juste poursuite » > « votre heureuse poursuite »), 353 (bonheur à tout autre cède » > « mon cœur à qui tout autre cede »), 606 ( « mon ame estoit déceuë » > « mon âme fut deceüe »), 1193 (« mon erreur insigne »> « cette erreur insigne »).

La dernière édition du Fils désavoué a été réalisée en 1654, à Lyon, par le libraire Claude La Rivière. L’exemplaire in-8° (87 pages, [1]p.) est consultable à la bibliothèque Mazarine, sous la cote 4° 10918-45/1. Alain Riffaud74 précise que cet atelier lyonnais réimprime des pièces de théâtre à partir des années 1650. La composition est généralement satisfaisante, mais l’encrage est souvent de qualité médiocre. L’édition de 1654 a modernisé la ponctuation, et a corrigé la numérotation des pages. Pour autant, l’édition reste de mauvaise qualité : la numérotation des scènes n’a pas été modifiée et seule une erreur d’attribution dans les répliques (acte I, scène 2) a fait l’objet d’une correction.

Notre texte contient des erreurs importantes qu’il convient de signaler :

– Une erreur est survenue dans la pagination de l’œuvre d’origine : il faut signaler la répétition des pages 31 et 32. Ainsi, la deuxième page foliotée 31 devait porter le numéro 33, de même que la deuxième page foliotée 32 devait porter le numéro 34, ce qui crée un décalage de deux pages, que nous avons choisi de corriger.

– Une autre erreur est survenue dans la pagination : on passe directement de la page foliotée 69 à 80. Nous avons corrigé cette erreur, ce qui entraîne, conjointement à l’erreur de pagination citée précédemment et corrigée, un décalage de huit pages entre l’édition originale et notre version corrigée. Ainsi, la page notée initialement 80 correspond en réalité à la page 72, et ainsi de suite.

– Dans l’acte V, nous trouvons deux scènes 2 et deux scènes 3. Nous avons corrigé ce qui semble correspondre à une simple erreur de numérotation ; l’acte V compte donc 7 scènes.

– Dans la scène II de l’acte I, les trois répliques de la scène sont attribuées à Livie, ce qui semble peu logique. Nous avons donc attribué sans trop de risque la réplique du milieu (vers 58) à Julie, dans la mesure où Livie s’adresse à sa maîtresse « Madame » (vers 55).

– Dans la scène 3 de l’acte III, le vers 720 « Croiray-je mon amour ? » initialement attribué à Julie est vraisemblablement un vers prononcé par Maxime. Nous avons ainsi fait le choix d’attribuer cette réplique à Maxime.

– Dans la scène 5 de l’acte III, les deux derniers vers initialement attribués à Sinderic (vers 787-788) sont manifestement des vers prononcés par Julie. Nous avons donc pris la décision de les attribuer à Julie.

Dans notre texte, les astérisques renvoient le lecteur au lexique ; les chiffres et les lettres entre […] indiquent les pages et les cahiers de l’édition originale.

Liste des abréviations utilisées dans les notes de bas de pages et dans le lexique :

– ACADÉMIE FRANÇAISE, Dictionnaire, Paris, J.-B. Coignard, 1694 (2 vol.) : (Ac.).

– FURETIÈRE, Antoine, Dictionnaire universel contenant généralement tous les mots françois tant vieux que modernes et les termes de toutes les sciences et les arts, La Haye et Rotterdam, Arnout et Reinier Leers; rééd. SNL-Le Robert, 1978 (3 vol.) : (F.).

– RICHELET, Pierre, Dictionnaire françois contenant les mots et les choses, plusieurs nouvelles remarques sur la langue françoise… avec les termes les plus connus des arts et des sciences, Genève, J.-H. Widerhold, 1680 (2 vol.) : (R.).

Graphie §

Nous avons conservé la graphie de 1641, en apportant quelques modifications d’usage quand elles s’avéraient nécessaires à la bonne compréhension du texte. Dans la première moitié du XVIIe siècle, l’orthographe est fort éloignée des normes orthographiques actuelles ; elle est encore instable, sans règle fixe, d’où une importante liberté graphique et de nombreuses variantes au cours du texte. Un même mot peut présenter diverses graphies au sein de la pièce. On trouve par exemple trois graphies différentes pour le verbe « désavouer » : « desadvouer », « desadvoüer » ou « desavouer ». Ces fortes disparités s’expliquent notamment par la répartition des cahiers entre les ouvriers de l’imprimerie. Cependant, dans notre pièce, les différentes graphies sont extrêmement fréquentes au sein d’un même cahier. Nous pouvons en ce sens faire référence aux deux exemples les plus marquants de notre texte : au vers 22, nous trouvons dans le même vers « souspirs » et « soupirs » ; de même, nous pouvons lire au vers 108 « apprend » et au vers 109, « aprend ». L’auteur assiste rarement à l’impression de son œuvre : lorsqu’un auteur cède son ouvrage au libraire, il n’a plus aucun droit sur l’œuvre pendant la période fixée par le privilège. Le libraire a le choix de l’atelier d’imprimerie ; l’auteur ne peut dès lors ni aider les imprimeurs, ni contrôler leur travail, ni relire son texte sous presse.

Nous avons conservé un certain nombre de traits caractéristiques de la graphie du XVIIe siècle qu’il convient de mentionner :

– les diverses orthographes qui laissent apparaître l’étymologie des mots, comme par exemple dans « advertir », « desadvouer », « escouter », « mespris », « nuict », « recognoistre ».

– le tiret présent dans les mots composés non encore liés en langue classique, comme dans « bien-tost », «  mal-heureux ».

– le tréma qui est souvent présent sur le -u quand il s’agit de la seconde voyelle d’une diphtongue (par exemple dans « desadvoüer », « deüil » ou « oüy »), et sur le e muet (par exemple, dans « incognuë », « nuë », « veuë »).

– le tiret entre le verbe et le sujet inversé dans les tournures interrogatives lorsque le texte original l’omettait.

– l’accentuation qui n’est pas encore fixée. Les accents sont peu présents. En revanche, il est fréquent de trouver un accent aigu sur l’adjectif démonstratif cét.

– les majuscules, dans la mesure où elles jouent souvent un rôle du point de vue de sens.

– le -z qui correspond à une marque du pluriel, aussi bien pour les substantifs que pour les participes passés, comme par exemple dans « raretez », « tous mes travaux passez », « mes vœux sont revoltez », « ces perplexitez ».

– le -y qui se substitue souvent au i final, comme par exemple dans « aujourd’huy », « favory », « infiny », « soucy ».

– l’absence du –t qui s’efface généralement devant le –s des termes en –mant, -ment, comme par exemple dans « apparans », « differens », « mouvemens », « sentimens ».

Nous avons fait un certain nombre de modifications :

– Nous avons distingué les « i » et « u » voyelles de « j » et « v » consonnes.

– Nous avons rétabli les accents diacritiques afin de distinguer l’auxiliaire a de la préposition à ; la conjonction de coordination ou, de l’adverbe de lieu, du pronom relatif et interrogatif .

– Nous avons délié la ligature « & » en « et ».

– Nous avons modernisé les « β » en « ss ».

– Nous avons décomposé les voyelles nasales surmontées d’un tilde en un groupe voyelle-consonne.

– Nous avons mis les didascalies en italiques et nous les avons placées à la suite du vers où elles prennent effet.

Nous avons corrigé un certain nombre d’erreurs d’impression :

a joints > a joint (vers 26)

tarrachant > t’arrachant (vers 39)

c’est > cest (vers 137)

desteins > destins (vers 146)

peut-estre > peut estre (vers 149)

la fait > l’a fait (vers 177)

deux > de (vers 177)

ars > arcs (vers 181)

vos > votre (vers 202)

dequoy > de quoy (vers 218)

sans cesse mon esprit > sans cesse à mon esprit (omission au vers 219)

m’imformer > m’informer (vers 254)

Odoaire > Odoacre (vers 290)

cachervotre > cacher votre (vers 293)

L’Epide > Lepide (vers 298)

pour suivre > poursuivre (vers 304)

portant > pourtant (vers 313)

L’Epide > Lepide (vers 326)

quelle > qu’elle (vers 352)

j’aymé > j’ayme (vers 359)

Vous maymez > Vous m’aymez (vers 363)

peut estre > peut- estre (vers 383)

Maximes > Maxime (vers 384)

n’ > m’ (vers 415)

dessain >dessein (vers 447)

Ilcognut > Il cognut (vers 494)

l’honner > l’honneur (vers 503)

l’Epide > Lepide (vers 523)

mais > mais (vers 567)

un infame > une infame (vers 573)

une autre > un autre (vers 613)

desprouver > d’esprouver (vers 626)

si > s’y (vers 633)

vacouster > va couster (vers 638)

j’aymeroy-mieux > j’aymeroy mieux (vers 643)

d’y > dy (vers 646)

chez-moy > chez moy (vers 651)

est-ce > est ce (vers 664)

Dequoy > De quoy (vers 692)

M’a >Ma (vers 697)

manifiques > magnifiques (vers 742)

un extréme amitié > une extréme amitié (vers 756)

quelle vous estime > qu’elle vous estime (vers 760)

quelle vous cognoist > qu’elle vous cognoist (vers 760)

mas > m’as (vers 805)

achepter > acheter (vers 832)

C’este > ceste (vers 887)

Peut estre > peut-estre (vers 912)

funeste > funestes (vers 961)

c’est> cest ( vers 968)

Bien faicts > bienfaicts (vers 1047)

cét > cette (vers 1095)

allantit > alentit (vers 1096)

peut estre > peut-estre (vers 1100)

tay > t’ay (vers 1113)

Synderic > Sinderic (vers 1148)

parce > par ce (vers 1262)

parce > par ce (vers 1274)

puis-je > puis je (vers 1333)

moncoeur > mon cœur (vers 1371)

ala > a la (vers 1375)

eudes > eu des (vers 1438)

Lâge > L’âge (vers 1446)

regardé > regarde (vers 1450)

contre-elle > contre elle (vers 1457)

vous pouvez-vous deffendre > vous pouvez vous deffendre (vers 1504)

le > ne (vers 1519)

ta > la (vers 1520)

un> une (vers 1522)

autrefois > autre fois (1526)

en > un (vers 1530)

fit > fît (vers 1532)

quelle > quel (vers 1580)

estimé> estime (vers 1594)

cet > cette (vers 1596)

dépreuve > d’épreuve (vers 1612)

emparé> emparée (vers 1632)

la > l’a ( vers 1714)

Cet e > cette (vers 1746)

Ponctuation §

Nous avons essayé de conserver la ponctuation de 1641, révélatrice des pratiques contemporaines. Nous avons donc réduit le plus possible la modernisation de la ponctuation pour éviter de trahir les intentions de l’auteur. La ponctuation possède au XVIIe siècle une fonction d’abord orale ; elle a une valeur rythmique et non syntaxique. Nous pouvons préciser les différences de degré entre les signes de ponctuation75 :

– La virgule marque une brève pause dans le discours et indique ainsi une légère baisse de la voix. Elle permet d’insister sur l’ensemble qui lui précède, mais aussi de former la cohésion d’un ensemble des répliques qui se répondent l’une à l’autre. Ainsi, contrairement aux emplois de la virgule dans notre ponctuation moderne, elle suffit à l’enchainement des vers, au dialogue. En ce sens, il n’est pas rare de la trouver à la suite d’une interrogation, appellant une réponse.

– Le point correspond à une pause importante dans le texte. Il crée une rupture dans la lecture et implique une forte baisse de la voix. Dès lors, il est logique qu’il apparaisse plus rarement que dans des textes plus récents, et qu’il marque systématiquement la fin d’une scène.

– Le point d’interrogation marque une forte montée de la voix. Il n’indique pas nécessairement une interrogation, et se substitue souvent au point d’exclamation.

– Le point d’exclamation indique une montée de la voix. Il s’emploie plus librement qu’aujourd’hui, et peut parfois prendre la valeur d’un point d’interrogation. On l’utilise de façon systématique après des interjections.

– Les deux-points indiquent une baisse de la voix : ils correspondent à une ponctuation faible ou moyenne. Contrairement à notre ponctuation moderne, ils n’assument pas de valeur présentative, et ne sont pas la marque d’une relation causale ou de conséquence entre deux propositions. Ils marquent une pause dans le discours. Ainsi, il est fréquent qu’une réplique finisse par deux-points.

– Le point-virgule sert généralement de ponctuation moyenne. Du point de vue tonal, il indique une descente assez forte de la voix. Il se substitue fréquemment au point en fin de proposition.

– Les points de suspension sont assez rares. Ils sont absents de notre pièce.

Nous avons effectué quelques corrections pour rendre le texte plus compréhensible.

Ainsi, nous avons placé une virgule de façon systématique après des appellatifs, pour rendre le texte plus compréhensible. Nous avons introduit une virgule à la fin des vers 201, 299, 365, 366, 405, 764, 898,1355, à la césure dans les vers 597, 748, 1603 et dans le vers 358. Nous avons changé la place de la virgule dans les vers 51, 159. Nous avons transformé la virgule en point dans les vers 28, 146, 206, 228, 442, 454, 962; en point d’interrogation dans les vers 200, 590, 718 ; en point d’exclamation dans le vers 1330 ; en deux-points dans les vers 578 ,1314 . Nous avons supprimé la virgule dans les vers 344, 549, 816, 950, 1186, 1197, 1215.

Nous avons transformé le point en virgule dans les vers 24, 164, 249, 589, 741, 866, 1389 ; en point d’interrogation dans les vers 464, 547, 600, 932, 1003, 1041, 1216 ; en point d’exclamation au vers 809 et 835. Nous avons supprimé le point dans les vers 137, 523, 715, 899.

Nous avons introduit le point d’interrogation dans le vers 1412. Nous l’avons transformé en virgule dans les vers 199, 1003, 1496 ; en point dans le vers 370. Nous l’avons supprimé au vers 1349. Nous avons introduit le point d’exclamation dans les vers 635, 790, 841,1142. Nous avons transformé le point d’exclamation en virgule dans les vers 360, 1329 ; en point d’interrogation dans le vers 692.

Nous avons transformé les deux-points en point dans le vers 102 ; en point d’interrogation dans le vers 776 ; en point-virgule dans les vers 154, 344, 472, 1073.

Nous avons transformé le point-virgule en virgule dans les vers 696, 1090 ; en point dans le vers 181 ; en point d’interrogation dans les vers 816, 1065, 1572.

Le Fils désavoué ou Le Jugement de Théodoric, roi d'Italie. Tragicomédie §

ACTEURS76. §

  • THEODORIC, Roy d’Italie.
  • SINDERIC, Fils Desadvoüé de Julie.
  • MAXIME, Chevalier* Romain, Amant* de Julie.
  • JULIE, Mere de Sinderic, veufve de Lepide.77
  • HORACE, Amy de Maxime.
  • EMILE, Amy de Sinderic.
  • LIVIE,
  • CORNELIE, Suivantes de Julie.
  • BOECE, Senateur Romain et Ministre* d’Estat de Theodoric.
  • Suite de Theodoric
La Scene est dans Rome.
[A,1]

ACTE PREMIER. §

SCENE PREMIERE. §

JULIE seule.

Souvenir importun qui trouble mes plaisirs,
Tyran de mon repos, cause* de mes soupirs*,
Image de mon fils qui me poursuis78 sans cesse,
Donne enfin quelque tréve à ma longue tristesse.
5 Cher et funeste* object* de ma plus tendre amour79,
Gage* qui ne fus mien que l’espace d’un jour,
Present de la nature, et fruict de l’Hymenée, [p. 2]
Felicité ravie80 aussi tost que donnée81,
Innocent mal-heureux de qui je plains le sort,
10 Sans sçavoir si je pleure ou ta vie ou ta mort :
Cesse cesse, mon fils, de troubler ma pensée,
Du mortel desplaisir de ma perte passée82.
Ah ! Si depuis vingt ans je souspire pour toy
N’ay-je pas satisfaict83 à ce que je te doy,
15 Et nos mauvais destins me portent ils envie*,
Quand je pense un moment aux douceurs de la vie ?
Ma douleur, c’est assez triomphé de mon cœur*,
Amour veut à son tour en estre le vainqueur,
Et ce Dieu des plaisirs me presentant ses charmes*,
20 Vient défendre à mes yeux de répandre des larmes.
Cédons, cédons, mon cœur*, et changeons en ce jour
Nos soupirs* de tristesse en des soupirs* d’amour ;
Aussi bien84 desormais ce seroit faire un crime*,
Que de ne pas respondre aux desirs de Maxime,
25 Maxime en qui le Ciel versant tous ses tresors,
A joint les biens de l’ame et les graces du corps,
Maxime qui pour moy faict gloire*85 du86 servage87,
Depuis un lustre* entier que dure mon veufvage.
Ah ! genereux* amant* trop digne d’estre aymé,
30 Je sens que de tes feux mon cœur* est enflammé,
Et qu’en fin les froideurs qui t’ont faict resistance,
Vont ceder à l’ardeur* de ta perseverance.
Mais miserable*, helas! est ce donc ton dessein*,
De mettre derechef88 un vautour dans ton sein89,
35 Et suivant de nouveau les loix de l’Hymenée, [p. 3]
Voudrois tu pour jamais90 te rendre infortunée ?
Ne te souvient-il plus91 de ce soupçon jaloux,
Qui jadis alluma la fureur* d’un espoux
Et t’arrachant un fils par un arrest* severe
40 Te rendit orfeline en mesme temps que mere ?
Ou si ton esprit garde encor92 ce souvenir,
Peus-tu voir le passé sans craindre l’advenir ?
Helas ! ce triste object* revenant dans mon ame,
Destruict tous les desseins* qu’avoit formé93 ma flame*,
45 Et bien loin de penser à terminer mon deuil,
Je regarde l’Hymen de mesme qu’un escueil.
Qu’ay-je dit, ame ingrate*, amante* sans courage*,
Est-ce là le devoir où l’amour nous engage ?
Et quelle est cette loy qui m’ordonne aujourd’huy
50 De punir mon amant* de la faute d’autruy ?
Ah ! déplorable estat où mon ame se trouve,
Je n’ose consentir aux desseins* que j’approuve94,
Contre mes propres vœux, mes vœux sont revoltez,
Et je ne resous rien dans ces perplexitez.

SCENE II. §

[p. 4]
LIVIE, JULIE.

LIVIE.

55 Madame, le Roy vient par la porte prochaine,
Du balcon de la sale, on le95 peut voir sans peine,
Le spectacle en est beau, tout le monde le suit.

[JULIE.]96

Allons voir.

LIVIE.

Il est pres, j’entens desja du bruict.

SCENE III. §

THEODORIC et sa suite, EMILE.

THEODORIC.

Enfin la tyrannie a perdu son azile97,
60 Ravenne98 a succombé, cet Empire99 est tranquile,
Et le plus obstiné de tous nos ennemis,
Le fleau100 de l’Italie, Odoacre101 est soumis.
C’estoit pour vous Romains que je faisois la guerre, [p. 5]
Ce fut pour vous encor que je quittay ma terre102,
65 Mais quelques grands que soient tous mes travaux* passez,
Vostre accueil aujourd’huy les a recompensez.
O vertu*, que tes fruicts ont de douceurs extrémes
Quand ils ne sont produicts que pour l’amour d’eux mesmes !
Qu’il est beau de regner lors qu’on a combatu !
70 Et qu’un throsne a d’appas* que donne la vertu*103 !

SCENE IV. §

EMILE, THEODORIC, BOECE.

EMILE.

Voicy Boece,

THEODORIC.

Ah Dieu ! je voy donc ce grand homme,
Qui soustient aujourd’huy la puissance de Rome,
Boece levez vous,

BOECE.

Grand Prince souffrez* moy104.

THEODORIC.

Ah ! c’est trop, levez vous. [p. 6]

BOECE.

J’obeys à mon Roy.
75 Sous vos lauriers105, Seigneur, à l’abry du tonnerre,
Rome croit que le Ciel ne hait plus tant la terre,
Et qu’il a faict dessein* de se montrer plus doux,
Depuis qu’il luy destine un Prince tel que vous.
Le peuple vous l’a dit par ses larmes de joye ;
80 C’est pour vous l’expliquer que le Senat m’envoye106,
Heureux* si mes discours dans un si beau dessein*,
Respondoient à l’ardeur* que je sens dans mon sein.
Romains, qui dans vos cœurs benissez ce grand Prince,
Qui vient porter la paix dedans107 vostre Province,
85 Tournez vos yeux sur moy, venez de tous costez,
Tachez de m’inspirer ce que vous ressentez.
Autrefois, dites-vous, la puissance Gottique,
Aterra108 la grandeur de votre Republique,
Rasa le Capitole, et tous ses bastiments,
90 Où Rome conservoit ses plus beaux monumens.
Aujourd’huy ce grand Roy par la mesme puissance109,
Restablit cet Empire en sa magnificence,
Et par un pur motif de generosité*,
Va rendre à vos palais leur premiere beauté110,
95 Mais comment peut-on voir dedans l’ordre des choses [p. 7]
Deux differens effects de deux semblables causes*111?
Ceux qui nous hayssoient sont nos meilleurs amys,
Ceux qui nous ont perdus nous ont aussi remis112.
C’est, Romains, que le Roy des autheurs* de nos plaintes
100 Ne servoit autre Dieu que des Idolles* feintes*113,
Où les Demons parlant avec authorité
Commandoient le desordre et l’inhumanité.
Mais ce grand Roy, qui vient reparer nos ruines114,
Adore* le vray Dieu qui deffend les rapines115,
105 Cette source de bien, ce Dieu dont les decrets
Ne respirent qu’amour, que douceur, et que paix.
C’est de cette bonté* qu’il se faict des exemples116,
Qu’il apprend à pleurer nos maisons, et nos temples,
Qu’il aprend à regner seulement dans les cœurs*,
110 Et de ne les forcer qu’avecques117 des faveurs.
Qu’il vienne donc chez nous recevoir la couronne,
Que moins que nos souhaits la victoire luy donne118 :
Il est juste, Romains, que le plus grand des Roys,
Au plus grand des estats donne aujourd’huy des loix.
115 O Prince desirable à qui Dieu sert de guide !
O Senat bien-heureux où ce Prince preside !
Soient tous vos jugements si remplis d’equité*
Qu’on les donne en exemple à la postérité !

THEODORIC.

Boece, dans ce vœu je vous trouve admirable,
120 La justice est chez nous d’un prix inestimable,
Et de tous les surnoms dont on peut me flater*, [p. 8]
Celuy de Juste seul me pourroit contenter.
Qu’un Prince est fortuné qui sans remors de vice
Par ce nom se croit faire à soy-mesme justice119,
125 Et qu’un peuple est heureux* de vivre soubs des Rois
Qui tirent leur splendeur du lustre* de leurs loix !
Mais comme rarement on porte à nostre veuë
L’object* ou le recit d’une verité nuë120,
Comme on nous la déguise avec des ornemens*,
130 Pour en tirer tousjours nos divertissemens*,
Il est bien mal-aisé que soubs cet artifice*
Les yeux d’un Prince seul découvrent* la justice,
Et c’est en ce subject qu’un sage potentat*,
Doit consulter l’esprit d’un ministre* d’estat,
135 Dont la felicité, la science et l’adresse,
Esgalent s’il se peut les vertus* de Boece121.

BOECE.

Cest exemple Seigneur

THEODORIC.

Est sans comparaison,
Et mon choix en doit estre une bonne raison :
Ouy ! je vous ay choisi pour le bien de la terre,
140 Pour dispenser au monde, et la paix et la guerre,
Pour vous charger* des soins* que je ne puis porter,
Pour regner avec nous et pour nous assister.
Je sçay que cet honneur illustrant vostre vie, [B,9]
Attirera sur vous, et la hayne et l’envie*,
145 Qu’on vous accusera des mal-heurs des Romains,
Comme si les destins estoient entre vos mains.
C’est du peuple ignorant la commune Maxime,
Il croit que la faveur ne peut estre sans crime*,
Et qu’un juste dessein* doit necessairement
150 Produire dans sa suitte un bon evenement*122.
Mais je sçay bien aussi que vous avez une ame,
Qui ne s’estonne* point pour un injuste blasme,
Et qui peut demeurer dans la tranquilité,
Aux cris tumultueux d’un peuple revolté ;
155 Que l’amour de la gloire* est le seul qui vous flatte*,
Que vous pouvez servir une patrie ingrate*,
Et qu’enfin vous sçavez qu’à de nobles esprits,
La vertu* de soy-mesme est le plus digne pris.
Ainsi je croy qu’un jour vos Conseils et mes armes,
160 Aux plus grands potentats* donneront des alarmes*,
Remettront cét Empire en son premier esclat,
Porteront loin du Rhin les bornes de l’Estat,
Et feront confesser aux Maistres de la terre,
Qu’il n’apartient qu’à nous de bien faire la guerre ;
165 Que rien ne nous resiste où nous sommes tous deux,
Et que sous nostre regne un peuple est bien-heureux.

BOECE.

Que je le suis, Seigneur, de consacrer ma vie
Aux importants emplois où mon Roy me convie.

THEODORIC.

[p. 10]
Cependant ce beau jour nous invite à sortir,
170 Montons au Capitole, allons nous divertir,
Voyons les raretez* qu’on admire* dans Rome.
Mais que faict Sinderic ? c’est encore un grand homme,
Que la seule vertu* sans la faveur du sang,
Esleve dans ma cour en un illustre rang.

EMILE.

175 Seigneur il vous suivoit, mais un de ses Gens d’armes,
Blessé mortellement aux dernieres alarmes*,
L’a fait vers l’Aventin123 reculer de cents pas,
Voulant l’entretenir au point124 de son trepas.

THEODORIC.

Allez voir ce que c’est ! Que je plains ces Portiques,
180 Dont les restes brisez sont encor magnifiques !
Que ces arcs* triomphaux qui s’offrent à mes yeux,
Me font avec raison condamner* mes ayeux,
Dont l’aveugle courroux a destruict la structure,
D’un ouvrage en qui l’art estonnoit* la nature !
185 Rome que je te plains ! et que j’auray d’honneur
Si je puis quelque jour restablir ton bon-heur !

SCENE V. §

[p. 11]
SINDERIC, EMILE.

SINDERIC.

Je sçay que tous les jours ce Prince magnanime,
Par de semblables soins* me monstre son estime,
Qu’il donne à mes travaux* l’honneur de nos combats,
190 Et ne croit triompher qu’en faveur de mon bras,
Mais à quelque degré que se porte ma gloire*,
Et quelques doux que soient les fruicts de la victoire,
Je n’ay pu m’estimer ny grand ny fortuné,
Que125 depuis un advis* que Tulle126 m’a donné,
195 Icy tu concevras des desseins* magnifiques,
Dignes de mon courage*, et des armes Gottiques,
Pour le bien de l’estat, pour la gloire* du Roy ;
Mais pourtant cét advis* ne regarde que moy.

EMILE.

Quoy se peut il trouver encore quelque avantage,
200 Au de-là des faveurs dont le Roy vous partage127 ?
Pour moy, considerant l’estat où je vous voy,
Vostre appuy, vos tresors, vos charges, votre employ,
Quoy que vous en disiez j’ay de la peine à croire,
Que le Ciel vous reserve une plus haute gloire*.

SINDERIC.

[p. 12]
205 Emile, il est certain que l’amitié* du Roy
Sembloit avoir versé tous ses bienfaicts sur moy.
Avant que ce grand Prince eust attaqué Ravenne,
J’estois simple soldat, il me fit Capitaine ;
Et cette qualité m’aquist tant de renom,
210 Que je fus estimé de l’Empereur Zenon128.
Depuis entreprenant ce siege memorable,
Il n’a jamais cessé de m’estre favorable*,
Et je confesse icy que son affection*129,
Est allée au de-là de mon ambition,
215 Lors que pour honnorer ma derniere victoire,
Il m’a donné le rang de prefect du Pretoire130.
Ainsi ne pense pas que je ne sçache bien,
Et quelle est ma grandeur, et de quoy je la tien ;
Sans cesse à mon esprit cét object* se propose,
220 J’en ressens les effects, j’en respecte la cause*.
Mais il est vray pourtant, cher et parfaict amy,
Que je ne goutois pas ma fortune* à demy131,
Quand parmy tant de pompe, et de magnificence,
Je pensois que l’envie* attaquoit ma naissance ;
225 Et que nos courtisans murmuroient* sourdement,
De voir un incogneu traicté si noblement.
Enfin cét heureux* jour me fournit la matiere,
Et d’un plaisir parfaict, et d’une gloire* entiere.
Si le discours de Tulle est une verité, [p. 13]
230 Rien ne peut s’opposer à ma felicité ;
Ce n’est plus la faveur qui me faict Gentil-homme*,
Je suis d’une maison qu’on respecte dans Rome,
Je suis d’un sang illustre, et parmy mes aieulx,
L’histoire des Romains a mis des demy-Dieux.
235 Tu ne dis mot, Emile, apres cette nouvelle,
Qui me doit couronner d’une gloire* immortelle ?
Et tu peux endurer qu’il te soit reproché
De paroistre insensible où132 je suis si touché ?

EMILE.

Croyez-vous que la joye ait moins de violence133
240 Lors qu’elle nous contraint* de134 garder le silence ?
Comme trop de lumiere empesche* de bien voir,
Trop de plaisir abat, et ne peut esmouvoir,
J’en ressens les effects135, cher amy que j’honore,
J’ay vos ressentiments*, et j’ay les miens encore,
245 Et mon cœur* accablé succombe à cét assaut,
Par l’excez de la joye, et non par le défaut*.
Ce n’est pas, Sinderic, qu’estant noble de race,
Vous teniez dans mon ame une plus haute place ;
Depuis que je cognoy vos rares136 qualitez,
250 Vous possedez chez moy ce que vous meritez,
Mes sens à vostre abord* vous dresserent un temple,
Et ma raison depuis a suivy leur exemple.
Je ne regarde point ny naissance ny rang,
J’adore* la vertu* sans m’informer du sang :
255 Nobles ou de bas-lieu, n’importe qui nous sommes, [p. 14]
C’est la seule vertu* qui fait les gentil-hommes*137.

SINDERIC.

C’est là mon sentiment de mesme que le tien,
A parler proprement la naissance n’est rien ;
Une suite d’ayeulx renommez dans l’histoire,
260 Et tout ce qu’ils ont faict ne faict pas nostre gloire*.
Confesse toutesfois que le lustre* du sang
Parmy les gens d’honneur n’a pas perdu son rang,
Et qu’enfin la vertu* de noblesse parée138,
Est plus considérable et plus considérée.
265 Ce pasle et vieux demon139, cette peste des cours,
Ce serpent affamé qui se ronge tousjours,
L’envie*, en rencontrant ce meslange honnorable
Tempere son venin, et devient plus traitable :
Ouy, le merite joint avec l’extraction
270 Triomphe tous les jours de cette passion140 ;
Et l’on voit rarement des vertus* enviées141
Quand avec la naissance elles sont aliées:
C’est la reflexion que je fais à present,
Je considere icy l’honneste et le plaisant,
275 Et ne parle en faveur des naissances augustes,
Que pour te faire voir que mes transports* sont justes.
Je te le dis encor, je croy mon-heur* parfaict,
Si mon sang est illustre au point qu’on me l’a faict142,
Et si le ciel reserve un tel bien à ma vie,
280 Il porte ma fortune* au dessus de l’envie*.

EMILE.

[p. 15]
Mais ne sçauray-je point vostre histoire ?

SINDERIC.

Suy moy.
Je m’en vay de ce pas la raconter au Roy,
Et luy faire sçavoir que l’esclat de ma race,
Ne dément point le rang où m’esleve sa grace.

Fin du premier Acte.

[p. 16]

ACTE II. §

SCENE PREMIERE. §

THEODORIC, sa suite, SINDERIC, EMILE.

THEODORIC.

285 Quoy ! Vous estes Romain et du sang des Monarques ?

SINDERIC.

Oüy Seigneur !

THEODORIC.

Vos vertus* en sont de bonnes marques*,
Quand143 votre bouche a teu d’où vous estes sorty,
Vos belles actions nous en ont adverty,
Tant d’exploits signalez, la prise de Ravene,
290 Les rebelles soubs-mis, Odoacre à la chaine,
Et ce que tous les jours vostre bras entreprend
M’ont bien persuadé que vous estiez né grand :
Mais pourquoy si long-temps cacher votre naissance ? [p. C,17]

SINDERIC.

Seigneur je n’en avois aucune connoissance,
295 Ce fut seulement hier144 qu’un de vos vieux soldats,
Mortellement blessé dans nos derniers combats,
Me dit que ma maison estoit dans l’Italie,
Que j’avois pour parens, et Lépide, et Julie,
Que ma mere estoit veufve, et qu’il mouroit contant
300 M’ayant peu descouvrir* ce secret important.

THEODORIC.

Mais vous ayant nommé ceux qui vous ont faict naistre,
Qu’est-ce qu’il adjousta pour vous faire cognoistre ?

SINDERIC.

Il ne me dit plus rien, la mort trancha ses jours
Sur le point145 qu’il vouloit poursuivre son discours.

THEODORIC.

305 Ce deffaut* pourroit nuire à quelque ame commune,
Sans vertu*, sans amis, sans valeur, sans fortune*,
Qui voudroit s’enrichir des biens de sa maison,
Mais tousjours Sinderic aura trop de raison.
Il n’est point de famille en toute l’Italie,
310 Qui ne doive envier le bon-heur de Julie,
Si parmy ses ayeulx plusieurs Roys sont contez146, [p. 18]
Ils eurent la couronne, et vous la meritez ;
Pourtant si l’interest* ou de raisons secretes147,
L’obligent*148 à choquer* le dessein* que vous faictes,
315 Je luy feray sçavoir qu’elle s’en prend à moy.

SINDERIC.

C’est trop pour un subject.

THEODORIC.

C’est trop peu pour un Roy.
Mais je croy que Julie a trop bonne conduitte,
Pour ne pas approuver vostre juste poursuite,
Le merite et le sang ont beaucoup de pouvoir,
320 Donc sans perdre du temps allez-vous en la voir,
Employez vos efforts* pour vous faire cognoistre,
Vous devez ce respect à qui vous a fait naistre,
Quelque rang qu’aujourd’huy vous teniez dans l’estat :
J’en sçauray le succez* au sortir du Senat.

SCENE II. §

[p. 19]
SINDERIC, EMILE.

SINDERIC.

325 Mais, Emile, est-il vray qu’on croit dans l’Italie,
Que Lepide n’eust point des enfans de Julie ?

EMILE.

Il est bien assuré*, n’en doutez nullement.

SINDERIC.

Estouffe tes desseins* dans leur commencement,
Mal-heureux Sinderic, il vaut mieux pour ta gloire* ;
330 Mais quoy puis-je souffrir* qu’on trouve dans l’histoire,
Que Sinderic vescut sans parens, et sans nom ?
Ah ! c’est trop negliger l’honneur de ma maison !
Poursuivons jusqu’au bout notre recognoissance.
Je croy que nous avons le droit et la puissance,
335 Que c’est en ce suject ce qu’on peut desirer,
Et que de leur secours je doy tout esperer.
Mais si contre mes vœux on vient à recognoistre*
Qu’on m’a mal informé des auteurs* de mon estre,
Je perdray mon honneur en voulant le chercher, [p. 20]
340 Et je decouvriray* ce que je veux cacher.
Dures extremitez où mon ame est reduite,
Je ne puis approuver ny blasmer ma poursuite,
Je me laisse emporter à deux divers desseins*,
Et le choix que je fais est celuy que je crains ;
345 Je la149 veux voir pourtant cette illustre Romaine,
Mais pour n’attirer pas, et ma honte, et sa hayne,
Quand je l’entretiendray de mes adversitez,
Ce sera seulement soubs des noms empruntez.

SCENE III. §

MAXIME, JULIE.

MAXIME.

Madame, est-il donc vray que le destin m’envoye,
350 Apres tant de tourmens une si grande joye ?
Est-il vray que Julie ayt eu pitié de moy ?
Et qu’elle veuille enfin recompenser ma foy* ?
Vous m’aymez ! Ah bon-heur à qui tout autre cede150 !
Est-il vray qu’aujourd’huy Maxime vous possede ?

JULIE.

[p. 21]
355 Est-il vray qu’il en doute ? et qu’il ne cognoist151 pas
Que son manque de foy* me donne le trepas ?
Quoy n’est-ce pas assez vous découvrir* mon ame,
Que de pousser pour vous tant de souspirs*, de flame* ?
Vous diray-je que j’ayme !

MAXIME.

Ah ! dittes le cent fois !
360 Ah ! parole charmante ! Ah favorable* voix,
Qui remplissez mon cœur* de joye et de merveille,
Ne vous lassez jamais de frapper mon oreille !
Vous m’aymez !

JULIE.

Je vous ayme !

MAXIME.

Ah ! quel comble d’honneur !

JULIE.

D’où naissent mes plaisirs !

MAXIME.

D’où naist tout mon bon-heur.
365 Regnez, Theodoric, et sur nous, et sur Rome,
Possedez tout l’honneur que peut avoir un homme,
Faictes vous adorer* sur les plus saincts Autels [p. 22]
Que la religion consacre aux immortels,
Je ne changeroy point vostre pouvoir supreme,
370 Avec ces quatre mots, Maxime je vous ayme.

JULIE.

Quelqu’un entre !

SCENE IV. §

HORACE, MAXIME, JULIE, LIVIE.

HORACE.

Le Roy desire152 de vous voir.

MAXIME.

Faut-il donc vous quitter ! tyrannique devoir,
Oses-tu de l’amour attaquer la puissance ?
Mais il faut se resoudre à ce moment d’absence,
375 Enfin le Roy le veut, Adieu.153

JULIE.

Dans cet instant
Je sens que de son bien mon cœur* n’est pas content,
Ses souhaits luy font peur, ce qui luy plaist le trouble, [p. 23]
Je le veux asseurer154, mais sa crainte redouble,
J’ayme pourtant Maxime autant que je le puis :
380 Helas ! ce n’est pas luy qui cause mes ennuis*.

LIVIE.

Quoy Madame, estre triste au point que155 l’Hymenée
Doit selon vos souhaits vous rendre fortunée !
Quoy  ne sçavez-vous pas que peut-estre aujourd’huy
Il vous donne Maxime en vous donnant à luy ?
385 D’où peut donc proceder156 cette morne tristesse ?

JULIE.

D’un peu de prevoyance, et d’un peu de foiblesse*,
Voyant que mon bon-heur est sans difficulté
J’ay presque du regret de l’avoir souhaité.

LIVIE.

Ce discours me surprend.

JULIE.

Croy moy, chere Livie,
390 Je crains avec raison un changement de vie.

LIVIE.

Pourquoy le craignez vous ?

JULIE.

Quand tu sçauras pourquoy [p. 24]
Tu seras obligée à le craindre avec moy ;
Jamais un tel discours n’est sorty de ma bouche,
Mais la part que tu prens à tout ce qui me touche,
395 M’oblige* à découvrir* ce que j’ay tant caché,
C’est, ma chere Livie, un innocent peché.
Tu sçais bien que Lepide estoit insupportable,
Et comme aupres de luy je vivois miserable*,
Comme il estoit jaloux jusques au dernier point,
400 Or aprens aujourd’huy ce que tu ne sçais point.
Deux ans et davantage, il me tint hors de Rome,
En des lieux d’où jamais n’approchoit aucun homme,
Là je conçus un fils, fils trop infortuné,
Qu’un père desavoüe* avant que157 d’estre né ;
405 Oüy, Livie, à l’instant qu’158il en sçeut la nouvelle,
Cet injuste mary me traicte d’infidelle,
Et me faict enfermer dans une forte tour
Où je ne vois que l’air, et les bois d’alentour :
Personne ne me voit de toute la famille,
410 Il me faict seulement servir par une fille,
Que l’espoir ou la crainte engagent159 fortement,
A cacher ma grossesse, et mon accouchement.
Je me delivre enfin de ce fils miserable*
Qu’un injuste soubçon avoit rendu coupable,
415 Qui ne me fut donné que pour m’estre ravy,
Je le perdis helas ! d’abord* que je le vy.

LIVIE.

[p. D,25]
Rome n’a jamais sçeu cette estrange* advanture*,
Mais enfin que fit-on ?

JULIE.

Le sang et la nature,
Combattirent long-temps les sentimens jaloux,
420 Et la brutalité de mon cruel* espoux,
Il vouloit que mon fils mourut en160 sa naissance,
Mes soupirs* et mes pleurs luy firent resistance,
Il combat, je l’emporte à la faveur des Dieux,
Mais d’abord* par son ordre on l’osta de mes yeux.

LIVIE.

425 Ne l’avez-vous point veu depuis ?

JULIE.

Ah ! non, Livie,
Ny mesme en cét endroit161 tesmoigné mon envie*,
Lepide deffendit qu’on en parlât jamais,
Et la chose se fit au gré de ses souhaits :
Ce miserable* enfant ignorant sa naissance,
430 Par un homme incogneu fut porté jusqu’en France.

LIVIE.

Mais apres que Lepide eut suby le trépas
Le fites-vous chercher ?

JULIE.

[p. 26]
Non, car je n’osay pas.
Deux puissantes raisons en destournoient mon ame,
Le trouvant, l’avouant*, je me rendois infame162,
435 Car mon accouchement avoit esté secret,
Et ne le trouvant pas j’augmentois mon regret,
Par cette histoire estrange* autant qu’infortunée,
Juge si je doy craindre un second Hymenée,
Et si je puis jamais attendre que du mal,
440 Si je reprens un joug qui me fut si fatal*.

SCENE V. §

CORNELIE, JULIE, LIVIE.

CORNELIE.

Madame, Sinderic est là bas à la porte,
Qui demande à vous voir.

JULIE.

Attendez que je sorte,
Je doy bien cét honneur au favory* du Roy.

[LIVIE.]163

Que je plains son mal-heur ! dieux à ce que je voy,
445 Ce n’est pas sans raison qu’elle craint sa fortune* !

SCENE VI. §

[p. 27]
SINDERIC, JULIE.

SINDERIC.

Madame chassez-moy si je vous importune,
Je n’ay pas faict dessein*.

JULIE.

Monsieur, sans compliment,
Votre civilité m’oblige infiniment.

SINDERIC.

Cependant que le Roy contemple dans la ville
450 Les funestes* effects de la guerre civille,
Sur ces beaux monumens qui marquoient autresfois,
Et la grandeur de Rome, et l’orgueil de ses Roys ;
Laissant ces raretez* par le temps consumées,
Je vien pour admirer* des beautez animées.
455 Pourquoy rougissez vous quand je veux vous loüer?
Avez-vous faict dessein* de me desadvoüer*164?

JULIE.

Puis-je ne pas rougir, et voir que l’on me loüe ?
Finissez ce discours, ou je vous desadvoüe*.

SINDERIC.

[p. 28]
Quand vous me menacez de me desadvoüer*,
460 Vous me representez ce que j’ay veu joüer,
C’est un subject nouveau fort extraordinaire,
Et dont les incidens165 sont capables de plaire,
Les Acteurs chez le Roy l’ont assez bien joüé.

JULIE.

On le nomme Monsieur ?

SINDERIC.

Le fils desadvoüé166.

JULIE.

465 Ce nom promet beaucoup.

SINDERIC.

Vous plaist-il que j’en fasse
Un recit abregé ?

JULIE.

Faites moy cette grace.

SINDERIC.

Ainsi ceux qui n’ont pas l’esprit assez present167,
Pour fournir le suject d’un entretien plaisant,
Contraints par bien-sçeance à dire quelque chose, [p. 29]
470 Recitent quelques vers, debitent quelque prose,
Veulent se faire croire en nommant leurs autheurs*,
Et pour tuër le temps tuent168 leurs auditeurs ;
Quelques autres plus fins, mais pourtant plus modestes,
Accommodent au temps l’histoire de leurs gestes,
475 Et soubs quelque beau nom d’un heros de Romant
Découvrent* leur amour sans découvrir* l’amant*.
J’imite les premiers ; mais dans cette avanture*
L’amour ne paroist point, ce n’est que la nature
Qui tasche169 par adresse à se faire escouter,
480 Et qui cache son nom pour se manifester.

JULIE.

Suffit170 qu’en cét endroit je say ce qu’il faut croire,
Mais je brusle* desja d’aprendre cette histoire.

SINDERIC.

Un Senateur Romain par je ne sçay quel sort,
Veut de son fils naissant precipiter la mort,
485 Mais les tristes regrets d’une dolente mere
Font moderer enfin un arrest* si severe,
Ce miserable* fils est pourtant bien puny,
Il n’est pas plutost né que le voila banny.

JULIE.

O dieux ! qu’ay-je entendu ? Mais sçauray-je le reste ?

SINDERIC.

[p. 30]
490 Ah! Ce n’est pas encor l’endroit le plus funeste*!

JULIE.

Je m’interesse presque en171 son mauvais destin;
Dans le bannissement rencontra-t’il sa fin172 ?

SINDERIC.

Son trepas luy plairoit pourveu qu’en sa misere
Il cognut sa maison aux larmes de sa mere173 ;
495 Il ne mourut donc point, mais pour chercher la mort
Il s’exposa cent fois à la mercy du sort.
A peine a-t’il quinze ans qu’il demande des armes,
Pour cercher le trepas au milieu des allarmes*,
Qu’on le voit le premier au plus fort des hazards174,
500 Braver insolemment les outrages175 de Mars176 :
Mais comme en ces endroits le mespris de la vie,
Empesche bien souvent qu’elle nous soit ravie,
Au lieu de son trépas il y trouve l’honneur,
Et s’il se cognoissoit il a trop de bon-heur177,
505 Le plus grand des mortels estime sa vaillance,

JULIE.

Où fit-il ces progrès?

SINDERIC.

Au Royaume de France,
Soubs Clovis178 les premiers179, apres soubs Alaric180, [p. 31]
Et depuis soubs Zenon, et soubs Theodoric.

JULIE.

Cette histoire est du temps.

SINDERIC.

Aujourd’huy dans les fables*
510 On mesle bien souvent des succez* veritables,
Ainsi les passions s’esmouvent beaucoup mieux,

JULIE.

Vous en voyez l’effect, voyant pleurer mes yeux.
Enfin que devint-il ?

SINDERIC.

Il fut conduit à Rome,
Où quelque bon destin le mena chez un homme,
515 Qui l’avoit secouru dans son bannissement,
Qui luy dit que son pere estoit au monument181,
Que sa mere vivoit.

JULIE.

Ah! Dieu!

SINDERIC.

Le teint vous change.

JULIE.

[p. 32]
Ce dernier accident* me paroist bien estrange*!

SINDERIC.

Là s’ouvre le theatre, où le Roy se faict voir,
520 Ce chevalier* luy dit ce qu’il vient de sçavoir,
Le Roy le faict resoudre à parler à sa mere,
Voicy ce qui le choque*, et qui le desespere,
On luy dit que Lepide

JULIE.

Ah! Dieu qu’ay-je entendu!

SINDERIC.

N’avoit point eu d’enfant loin d’en avoir perdu.
525 Jugez de son regret apres cette nouvelle,
Il appela cent fois la fortune* cruelle*,
Il voulut par sa mort s’exempter de sa loy,
Mais il se conserva pour l’amour de son Roy.

JULIE.

Monsieur, en cét endroit pardonnez ma foiblesse*,
530 Vous faictes ce discours avecques tant d’adresse,
Qu’il faut que par des pleurs j’exprime ma douleur.

SINDERIC.

Vous allez voir icy sa gloire*, ou son malheur,
Il se resout enfin d’aller trouver sa mere ; [E, 33]
Mais que luy dira-t’il, et qu’est-ce qu’il peut faire ?
535 Il est dans sa maison, il luy parle, il la voit,
Son sang en s’emouvant luy dit qu’il la cognoist,
Dessoubs le nom d’un autre il dit son avanture*,
Il esmeut la pitié pour toucher la nature,
Son dessein* reussit, sa mere fond en pleurs,
540 Il va se descouvrir* ainsi que ses mal-heurs,
Mais la crainte l’arreste ; enfin il s’y dispose,
L’occasion est belle, et son sang veut qu’il ose.
Ah ! ma mere, dit-il182, si ce nom m’est permis
Descouvrez* vous les yeux, et voyez vostre fils.

JULIE.

545 Ah ! mon fils.

SINDERIC.

Ah ! ma mere.

JULIE.

Ah ! surprise agreable,
Quoy  Sinderic est donc cét enfant miserable*,
Que mes pleurs ont sauvé d’un injuste trespas ?

SINDERIC.

Ma mere, vostre cœur* ne vous le dit-il pas ?
Et se pourroit il bien que ceux qui m’ont faict naistre
550 Dans l’estat où je suis peussent me mecognoistre ?

JULIE.

Mes yeux vous regardant dans tout ce qui se voit, [p. 34]
Ne vous connoissent point, mais mon sang vous connoit.
Ouy, je vous voy, mon fils, par ces yeux invisibles,
Qui ne mentent jamais, et qui sont si sensibles.
555 Ouy, vous êtes mon fils.

SINDERIC.

Ah ! ce m’est trop d’honneur,
Je vole chez le Roy, lui dire mon bon-heur,
Pardonnez ce départ à mon impatience183.

JULIE.

Vous, ne m’affligez pas par une longue absence,
Revenez à l’instant pour réjouir184 mes yeux,
560 Par un objet* si cher et si délicieux185.
Ah !186 charmante faveur qui viens de me surprendre !
Ah ! bon-heur infiny t’eussay-je osé prétendre 187!
Mais d’où vient que mon cœur* dans cet événement*,
Sent mêler sa tristesse à son contentement ?
565 N’ay-je pas vu mon fils, et peut-on voir un homme,
Plus digne de sa race, et de l’honneur de Rome ?
Ouy, mais en l’avouant* je hasarde* en ce jour,
Avecques mon honneur l’objet* de mon amour.
Puis-je m’imaginer que Rome veuille croire
570 Ce que Lepide a fait dans cette étrange* histoire ?
Ou bien qu’en le croyant on ne soubçonne aussi, [p. 35]
Qu’il eust quelque raison de me traicter ainsi ?
Et Maxime sçachant qu’il me creut une infame,
Peut-il apparamment188 me conserver sa flame* ?
575 Nature, vos efforts* m’ont prise en trahison,
Qui peut en cet estat escouter la raison ?
Je voy devant mes yeux un fils couvert de larmes,
Avant que de paraistre il m’arrache les armes :
Le lieu, l’occasion, l’authorité du Roy,
580 La gloire* de mon fils, tout s’arme contre moy.
Helas ! que puis-je faire en cette conjoncture ?
J’ay deu, j’ay deu, sans doute escouter la nature,
Je ne m’accuse point, mais je veux à leur tour,
Escouter les conseils et d’honneur, et d’amour,
585 Que doy-je faire honneur ? Que feray-je Maxime ?
Quoy  doy-je corriger mon èrreur par un crime* ?
Et pour vous tesmoigner combien je vous cheris,
Doy-je trahir mon sang ? doy-je perdre mon fils ?
Mais vous trahir honneur ! mais vous perdre Maxime,
590 Le puis-je concevoir sans faire un plus grand crime* ?
Nature taisez-vous, le conseil en est pris,
Je veux resolument desadvoüer* mon fils.

Fin du deuxième Acte.

[p. 36]

ACTE III. §

SCENE PREMIERE. §

MAXIME, HORACE.

MAXIME.

Ah dieux je suis trahy ! quoy volage Julie,
Est-ce ainsi qu’on me traicte ? est-ce ainsi qu’on m’oublie ?
595 Sinderic, dans vos bras !

HORACE.

Vous vous estes deçeu189.

MAXIME.

Ah ! ne m’en parle point, je ne l’ay que trop veu.
Mais lasche* que je suis, que faisoit mon courage*
Lors que devant mes yeux je souffrois* cét outrage ?
Pourquoy ne pas montrer l’excez de ma fureur*,
600 Dedans le mesme instant qu’on m’arrachoit le cœur* ?
Helas ! à cét object* une surprise extréme,
Plutost que d’eulx m’a fait deffier de moy-mesme,
Ouy j’ay craint de faillir, et mes yeux estonnez* [p. 37]
Ont creu voir un fantosme, et s’en sont destournez.
605 Mais c’est par cette ingratte*, et non pas par ma veuë
Que dans cét accident* mon ame estoit déceuë190,
Je l’ay veuë, et d’abord* j’ay quitté sa maison.
Je ne sçay pas comment ny par quelle raison,
J’en suis au désespoir*, la fureur* me surmonte,
610 Je devois tout oser pour effacer ma honte,
L’amour m’eust excusé, j’eusse esté satisfaict,
Mais qu’est-ce que j’ay veu ? mais qu’est-ce que j’ay faict ?
J’ai veu cette infidelle entre les bras d’un autre,
Dispenser un bon-heur qu’amour avoit faict nostre,
615 Et par un mouvement contraire à mes desirs,
J’ay fuy, comme craignant de troubler leurs plaisirs.
Que doy-je faire, Horace, apres cette imprudence ?
Mon amour offensé m’inspire la vengance,
Il veut qu’à mon honneur j’immole191 Sinderic.

HORACE.

620 Mais dedans ce dessain* craignez Theodoric,
Il l’aime tendrement.

MAXIME.

Que dites vous Horace ?
L’avis* que vous donnez est de mauvaise grace,
Fut-il comme du Roy le favory* des Dieux,
S’il m’a fait cet affront il doit m’estre odieux,
625 Et quand tout l’Univers viendroit à sa deffense, [p. 38]
Il ne peut esviter d’esprouver ma vengeance.

HORACE.

Avant que d’en venir à cette extrémité,
Donnez à vos soubçons encor plus de clarté,
Julie192 pourroit bien comme elle est fort adréte
630 Avoir sur ce subject quelque raison secrete,
Qui vous satisferoit, vous le devez sçavoir.

MAXIME.

Mais puis-je apres cela me resoudre à la voir !

HORACE.

Vous le devez.

MAXIME.

Et bien mon esprit s’y dispose,
Mais Dieux, que ma fortune* est une estrange* chose !
635 Que difficillement je puis me contenter !
Je tache à m’esclaircir lors que je veux doubter !

SCENE II. §

[p. 39]
LIVIE, JULIE.

JULIE.

Maxime nous a veus, que dittes vous Livie ?
Ah ! ce dernier malheur me va couster la vie ?
Nous a-t-il escoutez ?

LIVIE.

Il est sorty d’abord*.

JULIE.

640 Que par leur peu de soin* mes gens m’ont faict de tort,
Consolez mon mal-heur au moins par le silence.

LIVIE.

J’estime trop l’honneur de vostre confidence,
Pour la trahir jamais193, j’aymeroy mieux mourir.

JULIE.

Helas dans ce desordre où puis-je recourir194 ?
645 Si pour me delivrer des soubçons de Maxime
Je dy que Sinderic est mon fils : quel abysme* !
Je descouvre* un secret mortel à mon bon-heur, [p. 40]
Qui choquera* Maxime, et me perdra d’honneur.
Si je rejette aussi la voix de la nature,
650 Quel sera mon destin dedans cette advanture* ?
Si chez moy Sinderic passe pour estranger,
Helas ! ne suis-je pas en un pareil danger ?
Que dira mon amant*, quand pour sauver ma gloire*
De ce fils incogneu je luy feray l’histoire ?
655 Pourray-je l’appaiser avec cét entretien ?
Que ne dira-t’il point si je ne luy dy rien ?
Dures extrémitez, enfin que doy-je faire
Dans ces deux qualitez, et d’amante* et de mere ?
Mon honneur est taché, mon renom obscurcy,
660 Desadvouant* mon fils, et l’advouant* aussi.

LIVIE.

Maxime vient, Madame,

JULIE.

Ah comble de misere !
Helas que doy-je dire ? helas que doy-je taire ?

LIVIE.

Cachez vostre douleur, laissez le reste au sort.

SCENE III. §

[F,41]
MAXIME, JULIE, LIVIE.

MAXIME.

Madame sauvez moy.

JULIE.

Mais quel est ce transport* ?

MAXIME.

665 Helas ! je suis perdu, l’on cerche ma ruine,
Le Roy veut mon trépas, le peuple se mutine195.

JULIE.

Monsieur que dites vous ?

MAXIME.

Madame sauvez-moy.
J’ay tué par mal-heur le favory* du Roy.

JULIE.

Le favory* du Roy !

MAXIME.

[p. 42]
Sinderic !

JULIE.

Ah ! je pasme !

MAXIME.

670 Non, non, il n’est pas mort, appaisez vous, Madame,
Mais confessez aussi qu’en cét evenement*,
Je puis estre asseuré de vostre changement.
Je ne vous blasme point d’une faute commune,
Vous suivez la coutume en suivant la fortune*,
675 Sinderic est si grand qu’il peut tout excuser,
Et ce sont mes deffauts* que je dois accuser.

JULIE.

Que vous estes cruel* dedans cette pensée
Et combien mon amour en est elle offencée !
Quoy vous me soubçonnez d’avoir manqué de foy* ?

MAXIME.

680 Quoy  pourray-je douter des choses que je voy ?

JULIE.

Ah ! que vous jugez mal de mon deüil legitime !
Un excez d’amitié* vous paroist donc un crime* !
Quoy  pouvoy-je vous voir dans un si grand mal-heur, [p. 43]
Et ne pas tesmoigner quelle estoit ma douleur,
685 Ce meurtre vous ostoit tout espoir de refuge,
Vous aviez un grand Roy pour partie, et pour Juge,
Je vous considerois en estat de perir,
Et vous trouvez mauvais que je veuille mourir !
Mais dittes moy comment, et par quelle apparence*,
690 Ay-je obligé Maxime à cette deffiance* ?
D’où vient que vostre esprit est si mal satisfait ?
De quoy m’accusez vous, qu’ay-je dit ? qu’ay-je fait ?
Ah ! si vous pouviez voir au profond de mon ame,
Ce que je fay pour vous en faveur de ma flame*,
695 Ou que je peusse dire avecques liberté,
L’excez prodigieux de ma fidelité,
Ma deffence sans doute* y paroissant aisée,
Vous vous accuseriez de m’avoir accusée.

MAXIME.

Je le fay dés cette heure, et confesse avec vous,
700 Que j’ay mauvaise grace à faire le jaloux.
Ouy c’est avec raison que vostre ame s’irrite,
Me donnant vostre amour par grace, et sans merite,
Si ce bien fut l’effect de vos seulles bontez*,
J’ay tort de murmurer* lors que vous me l’ostez.
705 Mais quoy ? dedans l’instant d’une perte si grande,
Il est bien mal aisé qu’un esprit se commande,
Il me sembloit d’abord* que cét extreme bien
M’ayant esté donné ne pouvoit qu’estre mien,
Puis en me l’arrachant on m’arrachoit la vie. [p. 44]

JULIE.

710 Ah ! jugez mieux de vous, jugez mieux de Julie,
Ne la soubçonnez point d’avoir manqué de foy*,
Cette crainte est indigne, et de vous, et de moy.

MAXIME.

Avant que196 me résoudre à vous porter ma plainte,
Mes sens en certitude ont converty ma crainte,
715 Mes soupçons

JULIE.

Ont faict tort à vostre jugement.

MAXIME.

Mes yeux,

JULIE.

Vous ont trompé, n’en doubtez nullement.

MAXIME.

Et quoy n’ay-je pas vu ? mais dieux le puis-je dire !
Et voir qu’en mesme temps, je parle, je respire ?
Ah ! lasche* que je suis !

JULIE.

Que dittes vous bons dieux !

MAXIME.

720 Croiray-je mon amour ? 197 [p. 45]
Croiray-je point198 mes yeux ?

JULIE.

Douter d’une amitié* tant de fois recognuë* !
Douter de ma vertu* !

MAXIME.

Mais douter de ma veuë !

JULIE.

Ah ! Maxime, agissez avec plus de raison,
Cessez de soupçonner mon cœur* de trahison,
725 Si jamais Sinderic m’a peu rendre capable
D’aucun des sentimens dont on me croit coupable,
Et si je ne craindrois199 dans un crime* pareil,
De voir cacher d’horreur la face du Soleil,
Je veux qu’à l’advenir pour comble de ma peine
730 A vos jaloux soupçons succede vostre haine,
J’estime sa vertu*, je l’ayme tendrement,
Mais plutost comme un fils que comme mon amant*,
Et cette affection* esloigne ma pensée,
Des vœux dont vostre amour pourroit être offencée,
735 Je vous le dis encor, l’amour que j’ay pour luy
Vous doit contre luy-mesme assurer aujourd’huy.

MAXIME.

[p. 46]
Mon esprit ne prend200 point le sens de ce mystere.

JULIE.

Ce n’est pas un secret que je veuille vous taire.
Vous sçavez le credit* qu’il a dans cét état,
740 Ce qu’il peut à la Cour, ce qu’il peut au Senat,
Qu’il dispose à son gré des dignittez publiques,
Et que ses moindres dons sont grands et magnifiques.
Je veux que sa faveur vous serve aupres du Roy
Pour obtenir bien-tost quelque honorable employ ;
745 Et je ne l’ayme enfin qu’à cause qu’il vous ayme.

MAXIME.

Ah ! pardonnez, Madame, à mon erreur extréme !
Je crains, mais mon amour estant au dernier point
Et pour un si grand bien, puis-je ne craindre point ?
Je ne crains pas pourtant qu’au mespris de ma flame*,
750 Un rival quoy que grand me chasse de vostre ame ;
Mais sçachant son merite, et le peu que je vaux,
Je crains que ses vertus* découvrent* mes deffauts*,
Que par un sentiment cruel*, mais legitime,
Votre amour diminuë avecques vostre estime,
755 Et que je sois privé de ce plaisir Charmant,
Qu’une extréme amitié* peut donner seulement.

JULIE.

[p. 47]
Vous vous cognoissez trop pour avoir cette crainte,
Chassez donc les soubçons dont vostre ame est atteinte,
Et croyez que Julie ayme comme elle doit,
760 Et qu’elle vous estime, et qu’elle vous cognoist.

MAXIME.

Je prends donc congé d’elle avec cette assurance.

JULIE.

Vous verrez des effets de sa perseverance.

MAXIME.

C’est un bien où mes vœux n’osent presque aspirer,
Et je parts trop contant quand je puis l’esperer,
765 Helas : je m’en dedis201, mon esperance est morte
Et je cours mal-heureux où la fureur* m’emporte.
Maxime dit ces deux vers en se retirant.

SCENE IV. §

JULIE, LIVIE.

JULIE.

Et bien, chere Livie, en ce facheux combat,
N’as tu pas bien souvent déploré mon estat,
Voy-tu rien de pareil au mal qui me surmonte ? [p. 48]
770 Mais que feray-je enfin pour esviter ma honte ?
Suivray-je le conseil que l’amour m’a donné ?
Ah ! déplorable mere ! ah fils infortuné !
Faut-il qu’en cruauté je surpasse ton pere!
Ou bien qu’en t’advoüant* tu causes ma misere !
775 Ne me fus-tu donné que pour me diffamer ?
Et que pour me ravir ceux qui veulent m’aymer ?
L’amour de mon espoux mourut à ta naissance,
Il fallut pour luy plaire approuver ton absence,
Aujourd’huy ton retour travaille puissamment
780 A faire aussi mourir l’amour de mon amant*,
Et l’unique remede à ce mal-heur extréme,
Est sans comparaison pire que le mal mesme :
Il faut que je te perde une seconde fois,
C’est ce que je ne puis, et c’est ce que je dois !

LIVIE.

785 Mais le voicy, Madame.

SCENE V. §

SINDERIC, JULIE.

JULIE.

Ah dieux que doy-je faire ?
Esvitons sa rencontre. [G,49]

SINDERIC.

Où fuyez vous ma mere ?

[JULIE]202

Je ne veux point ce nom, et je ne l’eus jamais,
Honorez en quelqu’autre, et me laissez en paix203.
Julie se retire.

SCENE VI. §

SINDERIC.

Dieu que vien-je de voir ! Dieu que vien-je d’apprendre !
790 Quoy  ma mere me fuit, et ne veut pas m’entendre* !
Je ne veux point ce nom, et je ne l’eus jamais,
Honnorez en quelqu’autre, et me laissez en paix204.
Quoy vous refusez donc ce beau tiltre de mere,
Pour ne pas m’accorder le bon-heur que j’espere ?
795 Ah ! ne vous flattez* point, la nature et le Roy
S’armeront en ce jour contre vous, et pour moy,
Et j’ay droict d’esperer qu’avec leur assistance
Je pourray mal-gré vous découvrir* ma naissance.
Detestable interest*, Monstre aveugle et brutal,
800 Qui pour l’amour du bien suggeres tant de mal,
C’est de toy seulement que mon mal-heur procede,
La nature, l’honneur, le devoir, tout te cede.
Indomptable vertu* qui conduis la valleur [p. 50]
Dans les plus grands perils où regne le mal-heur,
805 Toy qui m’as arraché cent fois des mains des parques205,
Pour me faire estimer du plus grand des Monarques,
Pour me mettre en son trosne un peu plus bas que luy,
Faut-il que l’interest* te surmonte aujourd’huy !
Mais encor l’interest* soubs l’habit d’une femme !
810 Ah ! non non, ma vertu*, ne souffrons* point ce blâme,
Va te plaindre à ton Roy de ce lasche* attentat206.
Interesse* sa gloire*, et le bien de l’estat,
Fay-toy, fay-toy cognoistre à toute l’Italie,
Et vange désormais le mespris de Julie.
815 Mais où vont les discours de mes vœux imparfaicts ?
Vange-t’on des forfaicts par les mesmes forfaicts ?
Et parce que ma mere en cette procedure
Se porte à mespriser les droicts de la nature,
Est-elle moins ma mere ? et puis-je estant son fils,
820 Sans imiter son crime*, imiter son mespris ?
Non, non, n’escoutons point la voix de la vangeance,
Qui ne sçauroit punir sans commettre une offence,
Disposons nous plutost à souffrir* constamment
Un mespris que le temps vaincra facillement,
825 Et pour hatter l’effect de ce bon-heur extréme,
Employons l’interest* contre l’interest* mesme,
Protestons hautement que de nostre maison,
Nous ne desirons rien que la gloire* et le nom,
Passons mesmes plus outre en suite des promesses,
830 Pour acquerir ce bien dispensons nos richesses,
J’auray tousjours assez quand j’auray du bon-heur, [p. 51]
Et l’on ne peut jamais trop acheter l’honneur.

SCENE VII. §

MAXIME, SINDERIC.

SINDERIC.

Mais que cherche Maxime au logis de Julie ?

MAXIME.

Quoy  je voy Sinderic dans la melancolie207,
835 Et sa haute faveur ne l’en exempte pas !

SINDERIC.

Cette haute faveur dont on faict tant de cas,
Est souvent un obstacle aux plaisirs de la vie.

MAXIME.

Elle a bien des appas* dans l’esprit de Julie.

SINDERIC.

Mais pour quelle raison m’en parlez-vous ainsi ?

MAXIME.

[p. 52]
840 C’est par-ce seulement que je vous trouve icy.
Mais quoy ! vous laisser seul dans cette salle basse,
Cette incivilité n’est pas de bonne grace,
Et sans doute vos gens n’ont pas dit vostre nom.

SINDERIC.

On me traicte ceans* en fils de la maison,
845 Mais Julie pourtant, quoyque je puisse faire,
Ne veut point accepter le tiltre de ma mere.

MAXIME.

Cette alliance aussi n’a rien de ces douceurs,
Dont le discours se sert pour l’union des cœurs,
Elle imprime208 d’abord je ne sçay quoy d’austere,
850 Qui ne convient pas bien à l’amoureux mystere :
Quand on traicte de mere une dame qu’on sert,
On luy faict de son aage un reproche couvert :
Cette alliance enfin n’est pas fort obligeante209,
Vous pouviez en choisir quelqu’autre plus galante210,
855 Et vos desseins* peut-estre eussent mieux reussi.

SINDERIC.

Vous avez vostre but, et j’ay le mien aussi.
Suffit que j’ay raison en ce que je projette,
Et que Julie a tort lors qu’elle me rejette,

MAXIME.

[p. 53]
Ainsi souvent les grands dedans leur passion
860 Se laissent aveugler à la presomption ;
Ils pensent que l’amour, les soins* et les caresses,
Sont autant de tributs qu’on doit à leurs richesses,
Que pour gaigner un cœur* il ne faut seulement,
Que rendre une visite, ou faire un compliment.
865 Cependant vous voyez comme on vit dedans Rome,
Un Seigneur est traicté de mesme qu’un autre homme,
Et quelque vanité qui flatte* ses esprits,
Il est souvent reduict à souffrir* des mespris.

SINDERIC.

Quoy que vous en disiez, je pense qu’en vostre âge
870 Vous avez bien souvent joué ce personnage :
Pour moy je ne crains point que l’on me traicte ainsi.

MAXIME.

Vous voyez bien pourtant que je vous trouve icy.
Mais vous estes modeste autant qu’on le peut estre,
Vous vous plaignez d’un cœur dont vous estes le maistre,
875 Et feignez que Julie a des rigueurs pour vous
Lors que vous esprouvez ses traictements plus doux.

SINDERIC.

[p. 54]
Que Julie à mes vœux soit propice ou contraire,
J’iray jusques au bout, rien ne m’en peut distraire211.

MAXIME.

Souvent le trop d’ardeur* nuit à nostre dessein*.

SINDERIC.

880 Jamais les gens d’honneur ne travaillent* en vain.

MAXIME.

On se perd tous les jours par trop de confiance.

SINDERIC.

On vient à bout de tout par la perseverance.

MAXIME.

Mais par elle souvent on devient importun.

SINDERIC.

Ce n’est que le destin des hommes du commun.
885 En un mot mon dessein* est d’obliger Julie,
A m’accorder bien-tost ce qu’elle me desnie212.

MAXIME.

Ceste entreprise* est grande.

SINDERIC.

[p. 55]
Elle est de mon devoir.

MAXIME.

Julie a bien du cœur*.

SINDERIC.

J’ay beaucoup de pouvoir.

MAXIME.

Il est bien mal-aisé de contraindre* une femme.

SINDERIC.

890 Julie ne sçauroit me resister sans blasme.

MAXIME.

Nous vivons dedans Rome avecques liberté.

SINDERIC.

Nous vivons dedans Rome où regne l’equité*.

MAXIME.

Mais vostre nation n’en sçait pas l’exercice,
Et l’on voit rarement qu’un Goth rende justice213.

SINDERIC.

[p. 56]
895 Ce que Theodoric pratique tous les jours,
Montre la fausseté de ce lasche* discours.
Ah ! Maxime c’est trop, ce reproche m’outrage,
Taisez vous je vous prie, ou changez de langage,
Autrement

MAXIME.

Est-ce icy que vous me menacez ?
900 Ah sortons.

SINDERIC.

Mais sans bruit*.

MAXIME.

Mais viste,

SINDERIC.

C’est assez,
Je vous satisferay, n’en soyez point en peine,
Il ne faut que passer dans la place prochaine.

Fin du troisième Acte.

[H, 57]

ACTE IV. §

SCENE PREMIERE. §

JULIE, LIVIE.

JULIE.

Que dites vous, Livie ?

LIVIE.

On me l’a dit ainsi.

JULIE.

Qu’ils se sont querellez lors qu’ils sortoient d’icy !
905 Mon fils et mon amant* ! Sinderic et Maxime !
Tout ce que j’ayme au monde, et tout ce que j’estime !
Ah ! que vous avez tort, vous deviez m’advertir
Au mal-heureux moment qu’on les a veu sortir,
Viste qu’on se dépesche, allez dire à Camille,
910 A Dave214, à tous mes gens, qu’ils aillent à la ville
Semer chez leurs amis un si funeste* bruit*.

LIVIE.

[p. 58]
Madame ils sont aprés215.

JULIE.

Mais peut-estre sans fruict.
Ah ! mal-heureuse amante* ! Ah mal-heureuse mere !
Amour, honneur, nature, helas que doy-je faire ?
915 Nature, en vous nommant je vous sens dans mon sein,
Vous parlez pour mon fils, vous luy prestez la main,
Vous voulez par vos vœux avancer sa victoire.
Sçavez-vous à quel prix vous demandez sa gloire* ?
Et vous souvenez-vous qu’en ce ressentiment*,
920 Si j’assiste mon fils je trahis mon amant* ?
Ah ! plutost escoutons un amour legitime,
Tournons, tournons nos vœux du costé de Maxime,
Souhaitons que son bras triomphe de mon fils ;
Helas doy-je acheter un amant* à ce pris !
925 Mais que dis-je acheter ! Ah dieux pourroy-je croire
Que je le peusse voir apres cette victoire ?
Et ne pensay-je pas qu’en cét événement*,
Si je perdois mon fils je perdrois mon amant*?
Quoy mon fils ! quoy mon sang ! je pourroy me resoudre
930 A voir tomber sur vous cette mortelle foudre ?
Et la nature esmeuë à ce funeste* object*,
Ne sçauroit destourner le cours de ce project ?
Non, non, c’est trop long-temps obeyr à ma flamme*, [p. 59]
Des sentimens plus beaux reviennent dans mon ame.
935 Dieux conservez mon fils, c’est mon unique espoir,
Et faites que bien-tost je le puisse revoir !
Mais pourray-je le voir teint du sang de Maxime ?
Ah ! je trouve un abisme* au fonds d’un autre abisme* !
Je ne sçay plus pour qui je doy faire des vœux,
940 Ciel faictes moy mourir, ou les sauvez tous deux216.

LIVIE.

Appaisez vous, Madame.

JULIE.

Helas le puis-je faire !
Qui pourroit s’appaiser dans un sort si contraire217,
Dont les événemens* esgalement fascheux,
S’opposeront toujours à l’effect de mes vœux ?

LIVIE.

945 Si Maxime pourtant emporte la victoire,
La mort de Sinderic asseure vostre gloire*,
Et l’honneur ce tresor qui fut tousjours sans pris,
N’est pas trop acheté par la perte d’un fils.
Mais encore d’un fils qui peut ne le pas estre ;
950 Car comment croyez vous l’avoir pu recognoistre*,
Par le seul mouvement d’une tendre amitié* ?
C’est ainsi que du sang l’effet de la pitié,
De l’inclination, et de mille autres choses, [p. 60]
Qui se font admirer* dedans l’ordre des choses.

JULIE.

955 Outre l’esmotion qui se fit dans mon sein,
Je recogneus* mon fils aux marques* de sa main,
Marques* que j’observay le jour de sa naissance,
Pour servir de moyen à sa recognoissance,
Que je regarday lors218 comme de clairs flambeaux,
960 Qui pourroient quelque jour rendre mes jours plus beaux,
Mais qui sont devenus des Comettes funestes*,
Et de mon deshonneur les signes manifestes.
Ce n’est pas tout, Livie, helas ! je vis encor
Au doigt de Sinderic la mesme bague d’or
965 Que je donnay jadis pour toute recompence
A celuy qui servit à le conduire en France :
Sinderic est mon fils, je n’en sçauroy douter ;
Livie en cest endroit je ne puis t’escouter.

LIVIE.

Mais vostre desadveu* ?

JULIE.

Tay toy, chere Livie,
970 Ne me reproche point le mal-heur de ma vie,
Je l’ay desadvoüé* pour sauver mon renom,
Il s’agissoit alors seulement de son nom.
Ma bouche sans contrainte a démenty mon ame, [p. 61]
Et j’ay creu moins faillir qu’en trahissant ma flame*.
975 Mais il ne s’agit plus ny de nom ny de rang,
Il s’agist de sa mort, il s’agist de son sang,
De son sang, de mon sang, unis par la nature,
Et qu’on ne peut trahir en pareille advanture*,
Ah ! je ne doy plus feindre*!

LIVIE.

Helas ! quel sentiment.
980 Faut-il donc l’advoüer* et perdre vostre amant* ?

JULIE.

L’advoüer*, mon honneur, le pourroy-je sans blasme ?
Vous perdre mon amant*, le pourrions nous ma flame*?
Desadvoüer* mon fils ! helas par quelle loy
Doy-je priver mon sang de ce que je luy doy ?
985 Ah nature, pardon, je vous fays un outrage,
Quand j’ose balancer219 si je vous dois hommage,
Dans ce moment fatal* mon fils est mon soucy*,
Je luy doy tous mes vœux, et les luy donne aussi,
Juste Ciel accordez Sinderic, et Maxime,
990 Faites que leur debat s’appaise sans victime,
Que sans venir aux mains ils demeurent amis,
Et ne me privez point ny d’amant* ny de fils.
C’est mon premier souhait, mais si la destinée
Veut du sang de l’un d’eux marquer cette journée,
995 Si je suis reservée à ce sort rigoureux, [p. 62]
Le salut de mon fils est tout ce que je veux.
Apres il faut mourir.

SCENE II. §

HORACE, JULIE, ET LIVIE.

JULIE.

Mais que nous veut Horace ?
Que dit on chez le Roy ? dieux tout mon sang se glace !
Il ne nous respond rien, et paroist interdict*.

HORACE.

1000 Il s’est faict un combat.

JULIE.

Ah ! je l’avoy bien dit.
Mais le succez* ?

HORACE.

Maxime

JULIE.

Ah ! dieux suis-je trompée !

HORACE.

[p. 63]
En est sorty blessé de deux grands coups* d’espée.

JULIE.

Ces coups* sont-ils mortels ?

HORACE.

Il n’est blessé qu’au bras,
Mais ces coups* bien souvent ont causé le trespas.
1005 Cependant Sinderic enflé de vaine gloire*,
Croit n’avoir rien à craindre apres cette victoire.
Mais quelque grand qu’il soit, il sçaura dans ce jour
Que l’heur* et le mal-heur se suivent tout à tour,
Il faut, il faut qu’il meure, ou bien que je perisse.

JULIE.

1010 Plutost voyez le Roy, demandez luy justice,
Ne vous exposez point, ne precipitez rien,
Theodoric est juste, il vous vengera bien.

HORACE.

Dieux qu’est-ce que j’entens !

JULIE.

Que dites vous Horace ?

HORACE.

Que ceste prevoyance est de mauvaise grace,
1015 Maxime est mon amy, Maxime est vostre amant*, [p. 64]
Et vous vous opposez à mon ressentiment*!
Vous m’empeschez d’aller où la gloire* me porte :
Julie, est-ce vous mesme ? ayme t’on de la sorte ?

JULIE.

Je ne sçaurois souffrir* de vous voir en danger,
1020 De vous perdre vous mesme en voulant nous vanger :
Horace croyez moy, règlez vostre colere,
Retournez chez Maxime, et me regardez faire220,
Je vay donner un coup* fatal* à Sinderic,
Qui le perdra d’honneur pres de Theodoric,
1025 Et qui vous vengera, n’en soyez point en peine,
Qu’on me laisse en repos dans la chambre prochaine.
Elle se retire.

HORACE.221

Avec quels sentimens ceste ingrate* beauté
Voit elle les transports* dont je suis agité ?
Avec quelle froideur, et quelle indifference
1030 Vient elle d’escouter la voix de ma vengeance ?
Au lieu de m’animer à servir son amant*,
Sa bouche se refuse un adveu seulement,
Et par un faux secours que son esprit suppose
Elle veut ruiner celuy que je propose :
1035 Ah ! perfide Julie, ame ingrate* et sans foy*,
Indigne de l’ardeur* que Maxime a pour toy,
Non, non, je ne sçaurois dissimuler ton crime*,
Je m’en vay de ce pas en advertir Maxime.

SCENE III. §

[J, 65]
SINDERIC, EMILE.

SINDERIC.

Julie ayme Maxime! helas que dites vous?

EMILE.

1040 Ouy, mais c’est à dessein* d’en faire son espoux.

SINDERIC.

Celuy que j’ay blessé, ce Chevalier* ?

EMILE.

Luy-mesme.

SINDERIC.

Que dans cest accident* mon mal-heur est extréme!
Helas ! si j’eusse sçeu qu’elle eut eu ce dessein*,
Jamais pour ce combat je n’eusse armé ma main ;
1045 Je sçay trop le respect que je dois à ma mere.
Ah ! rencontre fascheuse, et qui me desespere,
Au lieu de l’obliger* à force de bienfaicts, [p. 66]
A m’accorder enfin l’effect de mes souhaits,
Je choque* par mal-heur les desirs de son ame,
1050 Et contre mon dessein* j’interesse* sa flamme*.
Bizarre*évenement* d’un project genereux* !
Faut-il que mon bon-heur me rende mal-heureux ;
Que je sois obligé de pleurer ma victoire !
Et que ma gloire* enfin fasse obstacle à ma gloire* !

EMILE.

1055 Si je plains vostre sort, c’est parce seulement,
Que Maxime n’est pas blessé mortellement,
Vos maux eussent finy dans la fin de sa vie ;
Car sans doute c’est luy qui choque* vostre envie*.

SINDERIC.

Qu’il la choque* tousjours, il peut bien s’asseurer,
1060 Que ma mere l’aymant je le veux honnorer,
Ne me proposez plus des remedes extremes,
Emile, je les hay plus que les mal-heurs mesmes,
Et deussay-je mourir en l’estat où je suis,
On me verra tousjours dans le devoir d’un fils.

EMILE.

1065 Mais le coup* estant faict que pretendez-vous faire ?

SINDERIC.

Tascher d’en obtenir le pardon de ma mere,
Luy monstrer les remords dont mon cœur* est percé, [p. 67]
Et laver par mes pleurs le sang que j’ay versé.

EMILE.

Vous voulez donc la voir ?

SINDERIC.

Il le faut bien Emile.

EMILE.

1070 L’effect de ce dessein* me semble difficile,
Si quelqu’un vous voyoit entrer dans sa maison
On pourroit la blasmer avec quelque raison,
On a sçeu le combat d’entre vous et Maxime ;
Mais affin d’eviter l’apparence* du crime*,
1075 Il faut si nous pouvons nous y couler sans bruict*,
A travers l’espaisseur des ombres de la nuict222.

SINDERIC.

Il se faict desja tard, le Ciel nous favorise.
Nature, assistez moy dedans ceste entreprise*,
Et ne souffrez* jamais qu’au mespris de vos loix
1080 L’amour ou l’interest* l’emportent223 sur mes droits.

SCENE IV. §

[p. 68]
JULIE, LIVIE.

JULIE.

Que j’ay peu de repos dedans ma solitude,
Ma fille, et que mon sort est plein d’inquietude224,
Je ne sçaurois souffrir* de voir mon fils vainqueur,
Je brule* qu’on me vange, et c’est toute ma peur.
1085 Horace, que tes vœux m’estoient insuportables !
Qu’ils m’ont paru cruels*, qu’ils estoient charitables !
Et que je t’aymerois dans ton ressentiment*
Si quelqu’autre qu’un fils eut blessé mon amant* !
Helas ! lors que l’amour remet dans ma memoire,
1090 Que j’ay pu demander ceste triste victoire,
Je condamne* mes vœux, je les tiens insensez,
Et je me plains des Dieux qui les ont exaucez.
Je passe plus avant en confessant mon crime*,
Je cognoy que la peine en est trop legitime,
1095 Mais si tost que je pense à vanger cette erreur,
Mon fils qui l’a causée alentit* ma fureur*.
Quoy donc ? je souffriray* qu’une main criminelle
Ait blessé mon amant* sans m’animer contre elle ?
Quoy donc ? je pourray voir l’object* de mon amour [p. 69]
1100 Perdre son sang, sa gloire*, et peut-estre le jour,
Sans perdre à mesme temps225 l’autheur* de ma misere ?
Ah ! ce funeste* objet* rallume ma colere,
Il court à la vangeance, et desja dans mon cœur*
L’image du vaincu triomphe du vainqueur :
1105 Favorable* maistresse, et mere impitoyable,
Je conçoy des desseins* qui me rendent coupable,
Et je sens mal-gré moy qu’en faveur d’un amant*,
Mon fils devient l’object* de mon ressentiment*.
Helas ! qu’en ce moment ma fortune* est cruelle*,
1110 S’il faut estre barbare* afin d’estre fidelle !
Ah ! fils infortuné comble de mon soucy*!
Ne t’ay-je donc sauvé que pour te perdre ainsi ?
Et ne t’ay-je arraché de la main de ton pere,
Que pour te remettre en butte aux fureurs* de ta mere ?
1115 Maxime ! Sinderic !

LIVIE.

C’est trop vous affliger,
Maxime, à ce qu’on dit, ne court point de danger,
La blessure est legere.

JULIE.

Ah ! qu’en sçais tu Livie ?
Je crains qu’elle ne m’oste une si chere vie,
Pour en sçavoir l’estat, j’ay faict aller chez luy
1120 Un des miens que j’attens avec beaucoup d’ennuy*,
Cependant mon esprit ne s’ose rien promettre. [p. 70]

SCENE V. §

CORNELIE, JULIE, LIVIE.

CORNELIE.

Horace en repassant m’a donné ceste lettre.

JULIE.

Que dit-il de Maxime ?

CORNELIE.

Il ne m’en a rien dit.

JULIE.

Livie approchez-vous, voyons ce qu’il m’escrit.
1125 Vous, allez commander qu’on coure apres Horace,
Et me donnez226 advis* de tout ce qui se passe.

CORNELIE.

Madame, il est bien tard.

JULIE.

N’importe !

CORNELIE.

[p. 71]
Et bien j’y cours.227

JULIE.

Livie a seule droit de sçavoir mes amours.

LETTRE DE MAXIME A JULIE.228

Je vis encor, Madame, et le mal que j’endure,
1130 Et mesme le trepas,
Si je puis m’assurer que vostre flamme* dure
A pour moy des appas* ;
Souffrez* donc que je vous conjure
De ne me plaindre point, et de ne changer pas.
1135 De grace, accordez moy le bon-heur que j’espere,
Et n’acceptez jamais
De mon heureux* rival la qualité de mere,
Ce sont tous mes souhaits,
Pourtant quoy que vous puissiez faire,
1140 Si c’est vostre plaisir, mes vœux sont satisfaicts.

MAXIME.

JULIE.

Ah dieux ! chaque moment augmente ma misere,
Quoy ! Maxime a donc sçeu que j’avois esté mere ?
Et que c’est de mon fils que procede son mal ?

LIVIE.

[p. 72]
Cela n’est pas croyable229, il l’appelle Rival.

JULIE.

1145 Ah ne me flatte* point !

LIVIE.

Je dy sans complaisance
La chose comme elle est, et comme je la pense.
Car quel subject230 a-t’il de craindre un changement,
S’il croit que Sinderic ne soit pas vostre Amant* ?

JULIE.

Encor que ta pensée ait beaucoup d’apparence231,
1150 Je ne puis luy donner une entiere creance,
Je forme en mon esprit des monstres pleins d’horreur
Qui portent avec eux la crainte et la fureur* :
Il me semble desja qu’on fait un mauvais conte
D’un fils desadvoüé, qui me couvre de honte.
1155 Mais que feray-je enfin, si Maxime le sçait ?

LIVIE.

Vous devez soustenir ce que vous avez fait,
Accuser hautement Sinderic d’imposture*.

JULIE.

[K, 73]
Trahir mon propre sang ! démentir sa nature,
Souffrir* dedans mon cœur* ce combat criminel,
1160 M’exposer aux rigueurs d’un remords eternel,
Faire qu’un innocent soit soubçonné de crime* !
Bref traitter d’imposteur un enfant legitime,
Ah ! cest effort Livie excede mon pouvoir,
Et sans plus t’escouter j’escoute mon devoir.

LIVIE.

1165 Dieux de quel sentiment estes vous animée ?
Quoy  n’avoir plus de soin* de vostre renommée ?
Hazarder* vostre amour, exposer vostre honneur,
Perdre vostre repos, perdre vostre bon-heur,
Madame regardez quel est ce precipice.

JULIE.

1170 Helas ! de tous costez je trouve mon supplice,
Mon fils, et mon amant*, mon honneur, mon devoir,
Tout ce que je conçoy me porte au desespoir*.

LIVIE.

Je m’estonne* comment vostre esprit delibere232,
La raison vous apprend ce que vous devez faire,
1175 Vous retracter, Madame, en ceste occasion,
Ce seroit redoubler vostre confusion.

JULIE.

[p. 74]
Et bien vous l’emportez, honneur inexorable233 ?
Ouy malgré ton respect, nature venerable,
Et tous ses sentimens de tendresse et de sang,
1180 Mon honneur dans mon cœur* tiendra le premier rang.
Ouy je desadvoüray* ce fils qui me diffame,
Et quand on emploiroit et le fer et la flamme*,
Pour flechir mon courage*, et changer mon dessein*,
J’atteste tous les dieux que ce seroit en vain.

SCENE VI. §

JULIE, SINDERIC.

JULIE.

1185 Mais le voicy venir, dieux quelle est son audace !

SINDERIC.

Je viens icy Madame implorer vostre grace.

JULIE.

Quoy je voy Sinderic dans ma chambre, et de nuit !234

SINDERIC.

Madame appaisez vous, le respect l’y conduit.

JULIE.

[p. 75]
Sinderic, dans ma chambre, ah dieux quelle insolence !

SINDERIC.

1190 Vous pouvez en user avec toute licence,
Je souffre* sans murmure un si sanglant mespris,
Ainsi parle une mere, ainsi se taist un fils.

JULIE.

Vous mon fils !

SINDERIC.

Il est vray que mon erreur insigne*
Avec quelque raison pourroit m’en rendre indigne,
1195 Si cette mesme erreur ayant peu m’abuser,
Aujourd’huy devant vous ne venoit m’excuser,
Mais elle vous dira qu’elle a commis mon crime*.
Ah ! si j’eusse eu le bien de cognoistre Maxime,
Jamais nostre combat n’eust causé vostre ennuy*,
1200 Ou vous eussiez pleuré pour moy et non pas pour luy,
Le ciel m’en est tesmoing avant que vous déplaire,
J’eusse exposé ma vie, aux traicts de sa colere,
Et l’on verroit respandre en ce mal-heureux jour
Des pleurs à la nature, et non pas à l’amour.
1205 Vous me plaindriez235 Madame, ah ! destin déplorable !
Ne puis-je avoir du bien, sans estre miserable* !
Faut-il que ma vertu* produise mon mal-heur ? [p. 76]
Que je te hay vertu*, que je te hay valeur !
Qui ne vous hayroit ? vous causez ma misere,
1210 Vous m’ostez le repos, et vous m’ostez ma mere.

JULIE.

Monsieur, je n’entens* rien dedans tout ce discours,
Et vous m’obligerez d’en arrester le cours,
Aussi bien il est tard.

SINDERIC.

Est-ce ainsi qu’on me traitte ?
Quoy la nature est sourde aussi bien que muette ?
1215 Et le sang dont le monde admire* le pouvoir
Avec tous ces efforts* ne peut pas l’emouvoir ?
Ah ma mere !

JULIE.

Croyez que ce nom m’importune.

SINDERIC.

Je ne veux point troubler vostre bonne fortune*,
Mais je viens vous prier de ne permettre pas
1220 Que ce coup* de mal-heur augmente nos débats ;
Et que je sois contraint de parler d’un mystere
Qui peut blesser l’honneur du fils, et de la mere,
Cet honneur delicat, de qui la pureté
Souffre* du changement lors qu’il est disputé.
1225 Si je vous demandois l’heritage d’un pere, [p. 77]
Et si je n’avois pas la fortune* prospere,
Que mon peu de vertu* fit honte à ma maison,
Le refus de ma mere auroit quelque raison,
Mais dans la haute estime où la faveur me range,
1230 Qu’il a peu de justice, et qu’il paroist estrange* !

JULIE.

Plutost que vos desirs ont peu de fondement,
Et qu’un homme d’honneur se traicte indignement !
Si Sinderic estoit accablé de misere,
Si son bien dependoit de celuy de son père,
1235 S’il cherchoit un appuy dedans nostre maison,
Le dessein* qui l’anime auroit quelque raison,
Mais dans le haut credit* où sa faveur le range
Qu’il a peu de justice et qu’il paroist estrange*236 !

SINDERIC.

Helas ! si le destin m’estoit injurieux,
1240 Sinderic n’eust jamais paru devant vos yeux,
Jamais, jamais ce fils n’eust relevé son estre,
S’il eust peu faire honte à ceux qui l’ont fait naistre.
Non, Madame, il falloit estre ce que je suis
Afin d’authoriser les droits que je poursuis,
1245 Et pour pouvoir oster tout soubçon d’imposture*,
La fortune* devoit se joindre à la nature,
Aussi l’a-t’elle faict, et je suis en un rang
Digne de ma patrie, et digne de mon sang,
Mais plus j’ay de grandeur, plus on me considere, [p. 78]
1250 Et plus j’ay de raison pour convaincre ma mere.

JULIE.

Dites, dites plutost que c’est de vostre grandeur,
Qui fournit de deffence à ma juste froideur237,
Si vous estiez mon fils, si j’estois vostre mere,
Sinderic, pensez vous que je le peusse taire,
1255 Et pour quelle raison voudrois-je me priver
De l’honneur le plus grand qui me peut arriver ?
Je cognoy vos vertus*, je sçay que si dans Rome
L’on vous tient moins qu’un Dieu, l’on vous tient plus qu’un homme,
Et que dans quelque esclat qu’ayent vescu mes ayeulx,
1260 Vous advoüer* pour fils me seroit glorieux.
Ainsi considerez qui je suis, qui vous estes,
Et par ce que je fay jugez ce que vous faictes.

SINDERIC.

Depuis que mon bon-heur me permet de vous voir,
Madame, qu’ay-je faict qui choque* mon devoir ?
1265 Quoy n’ay-je pas rendu vous rendant mes visites,
Tout le respect qu’on doit à vos rares238 merites ?
Et demandant les droits que vous me retenez239,
Ces legitimes droits que le ciel m’a donnez,
N’ay-je pas faict paroistre une ardeur* vive et pure,
1270 Et telle qu’en nos cœurs* allume la nature ?
S’il est ainsi, Madame, ah ! considerez mieux, [p. 79]
Combien vostre refus doit m’estre injurieux !
Regardez qui je suis, regardez qui vous estes,
Et par ce que j’ay faict, jugez ce que vous faites240.

JULIE.

1275 Je fay ce que je doy, quand je veux conserver
Un tresor precieux dont on me veut priver,
Je fay ce que je doy quand je tasche à deffendre
Mon honneur qu’on attaque, et qu’on voudrait surprendre241,
Quoy puis-je sans honneur escouter vos souhaits,
1280 Moy qui n’ay point de fils, et qui n’en eus jamais !
Et les puis-je exaucer sans me voir accusée
Du plus lasche* forfaict qui tombe en la pensée ?
Ah ! non non, Sinderic, en l’estat où je suis,
Vous blasmer et me plaindre est tout ce que je puis.

SINDERIC.

1285 Et bien plaignez vous donc, mais si vostre mémoire
Conserve encor l’effect qu’a produict mon histoire,
S’il vous souvient des pleurs que vous avez versez,
Au funeste* recit de mes mal-heurs passez,
Plaignez vous de vous mesme, et plaignez l’inconstance,
1290 Dont je puis vous convaincre en ceste circonstance,
Je fay les mesmes vœux que nagueres j’ay faicts,
Et j’en ressens pourtant de contraires effects :
Vous escoutiez tantost la voix de la nature, [p. 80]
A present vos discours m’accusent d’imposture*,
1295 L’object* de vos faveurs l’est de vostre courroux ;
Et vous me condamnez apres m’avoir absous.
Songez, songez, Madame, à cét amour extréme,
Et si vous vous plaignez, plaignez-vous de vous mesme,
Quand vous vous repentez de m’avoir bien traitté,
1300 Vous estes criminelle, ou vous l’avez esté.

JULIE.

Quoy donc, dans vos discours vous meslez l’artifice*,
Pour me persecuter avec plus d’injustice ?
Et flattant* le dessein* que vous avez conçeu,
Vous faignez* que tantost je vous ay bien receu ?
1305 Mon ame, je l’advoüe*, a senty quelque atteinte,
J’ay versé quelques pleurs, j’ay formé quelque plainte
Mais ne sçavez vous pas que la plainte et les pleurs
Sont des tributs qu’on doit aux extrémes mal-heurs ?
Soit que vostre recit fut feint ou veritable,
1310 Il me representoit un destin lamentable,
Ce tableau m’a surprise, et dans ce mouvement
Mon cœur* s’est attendry sans mon consentement.
Ainsi ne croyez pas que l’object* de mes larmes
Pour triompher de moy, vous fournisse des armes :
1315 Si mon cœur a poussé des soupirs* et des vœux,
Ce n’est pas pour un fils, c’est pour un mal-heureux,
Sensible aux passions qu’excite* la misere, [L, 81]
J’ay pleuré comme femme, et non pas comme mere.

SINDERIC.

Helas ! s’il estoit vray que la seule pitité
1320 Eut touché vostre cœur*, et non pas l’amitié*,
Je n’aurois pas receu tant de douces caresses,
Qui bien plus que vos pleurs ont marqué vos tendresses :
Vous le sçavez, Madame, et mon raisonnement
N’appelle à son secours que vostre jugement.
1325 Ah ma mere ! il est temps d’exaucer ma priere,
Et de laisser agir vostre bonté* premiere,
Le sang vous a parlé, vous l’avez escouté,
Le sang vous parle encor, seroit-il rejetté ?
Vous ne me dittes mot, ah sort toujours contraire,
1330 Puis que la voix du fils ne touche point la mere !

JULIE.

Tous ces noms affectez sont icy superflus.

SINDERIC.

Quoy n’obtiendray-je rien ?

JULIE.

Je ne vous entens* plus.

SINDERIC.

[p. 82]
Un moment d’audiance242, et puis je me retire.

JULIE.

Je ne vous cognoy point,

SINDERIC.

Pouvez vous bien le dire?

JULIE.

1335 Je le dis sans contrainte.

SINDERIC.

Ah comble de rigueur!
S’il est vray que la bouche explique icy le cœur*243.

JULIE.

C’est là mon sentiment, je vous le dis encore.

SINDERIC.

Sentiment qui le perd, et qui vous deshonnore;
Ah Madame ! cessez de tenir ce propos.

JULIE.

1340 Mais vous mesme cessez de troubler mon repos.
Je cognoy vos vertus*, mon ame les revere, [p. 83]
Et je voudrois pouvoir me dire vostre mere,
Adieu.

SINDERIC.

Bien, bien, Madame, allez jusques au bout,
Le respect et ce lieu veut que je souffre* tout,
1345 Mais puis qu’à vos rigueurs vous joignez le caprice*,
Sçachez, sçachez qu’ailleurs, on me rendra justice,
Et que tous vos efforts* seront vains contre moy,
Puisque j’ay pour appuy la nature, et le Roy.

Fin du quatrième Acte.

[p. 84]

ACTE V. §

SCENE PREMIERE. §

MAXIME, HORACE.

MAXIME.

Quoy cette ingratte* change, et ne veut pas souffrir* 
1350 Qu’on parle de punir ceux qui me font mourir ?
Lors que ton amitié* veut prendre ma defence,
Que tu parois armé pour vanger mon offence,
Son visage se trouble, et d’un lasche* discours,
Elle retient le bras qui m’offre du secours ?
1355 Vertus* du siecle d’or en nos jours incogneuës,
Amour, fidelité, qu’estes vous devenuës ?
Apres ceste disgrace*, où puis-je recourir ?
Faut-il changer enfin, dois-je vivre ou mourir ?
Ah mourons ! mais Horace, admire* ma foiblesse*,
1360 J’ayme encore Julie avec tant de tendresse,
Que je veux la revoir auparavant ma mort.

HORACE.

Son logis n’est pas loin.

MAXIME.

[p. 85]
Je tremble, à cet abord.
Je recherche, et je fuis ceste belle coupable,
J’ay dessein* de la voir, et n’en suis pas capable.
1365 Helas ! que faut-il faire apres ce qu’elle a faict ?
Ne dois-je pas hayr l’ingrate* qui me hait ?
Mais la puis-je bannir de mon ame enflammée,
L’ayant si cherement, et si long-temps aymée ?
Sentimens genereux*, amour, haine, courroux,
1370 Tyrans en mesme temps trop cruels* et trop doux,
Quoy pouvez-vous souffrir* que mon cœur* vous assemble ?
Que j’abhorre244 Julie, et l’aime tout ensemble ?
Et ne voulez vous pas faire un dernier effort*,
Pour sçavoir qui de vous doit estre le plus fort ?
1375 C’en est faict, cher amy, l’amour a la victoire,
Julie et ses appas* regnent dans ma mémoire,
Son crime* disparoit, et rien ne s’offre à moy,
Que la vertu* qui parle en faveur de sa foy*.
Je ne conteste plus, il faut que je la voye.

HORACE.

1380 Prenons l’occasion que le ciel nous envoye.
On ouvre, et quelqu’un sort.

SCENE II. §

[p. 86]
LIVIE, MAXIME, HORACE.

MAXIME.

Ah ! Livie est-ce toy ?
Que faict nostre maistresse ?

LIVIE.

Elle va chez le Roy.

MAXIME.

Chez le Roy !

LIVIE.

Par son ordre.

MAXIME.

Ah comble de ma peine !
Que me dis-tu Livie ?

LIVIE.

[p. 87]
Une chose certaine.
1385 Il a mandé Julie.

MAXIME.

Il veut donc l’obliger*
A recevoir la loy d’un Seigneur estranger !
Quoy ? ce Prince veut donc employer sa puissance,
A faire une action pleine de violence ?
Et se laissant surprendre aux vœux d’un favory*,
1390 Il ose mespriser ce qu’il a tant chery ?
Son honneur, son devoir, sa conscience mesme :
Thresor de plus grand prix que n’est son Diadesme245.
Ah ! si le Roy pretend contraindre* les esprits,
Il faict ce que les dieux n’ont jamais entrepris.

LIVIE.

1395 Le procedé du Roy ne surprend pas mon ame,
Sinderic dit par tout qu’il est fils de Madame,
Qu’elle doit l’advoüer*, et que c’est sans raison
Qu’on luy veut contester les droits de sa maison,
Vous avez desja sçeu comme elle le rebute246,
1400 Theodoric veut donc finir ceste dispute247,
Pour prevenir* les maux qu’elle pourroit causer.

MAXIME.

O Dieux ! qu’en cest endroit j’ay droit de m’accuser,
J’avoy creu jusqu’icy que ce tiltre de mere [p. 88]
Estoit un jeu d’amour.

LIVIE.

Ah je devois me taire !
1405 Quoy vous ne sçaviez point ?

MAXIME.

Non veritablement.

LIVIE.

Et vous aviez donc creu ?

MAXIME.

Qu’il estoit son amant*,
Et que sans respecter la foy* qui nous engage,
Theodoric vouloit faire ce mariage.

LIVIE.

Que Julie est trompée ; et que j’ay de mal-heur !

MAXIME.

1410 Où vas-tu ?

LIVIE.

Laissez-moy.

[SCENE III]248. §

[p. M, 89]
MAXIME, HORACE.

MAXIME.

Sortez donc de mon cœur*,
Soubçons injurieux qui traversiez ma flamme*,
Vous pouvoy-je souffrir* vous qui blâmiez Madame ?
Mais d’où peut proceder qu’un bon-heur infiny
N’a duré qu’un moment ? qui vous a donc banny ?
1415 Quoy, je ne vous sens plus, bon-heur inestimable ?
Et je sens malgré vous que je suis miserable* ?
Julie a des enfans ! Horace qu’en dis-tu ?
Peut elle l’advoüer* sans blesser sa vertu* ?
Lepide n’en eust point.

HORACE.

Non pas au moins qu’on sçache.

MAXIME.

1420 Donques249 à son honneur elle a faict quelque tache !
Donques ceste vertu* dont je fais tant d’estat,
Qui brille dedans Rome avecques tant d’eclat,
De qui la renommée a pris tant de matiere, [p. 90]
Auroit veu quelque fois défaillir sa lumiere !
1425 Ah ce dernier mal-heur surpasse le premier !

HORACE.

Mais comment l’en convaincre ? elle peut le nier250,
Personne n’a jamais osé blasmer sa vie :

MAXIME.

Quoy l’on pourra douter de l’honneur de Julie !
Quoy sa haute vertu* recevra cest affront !
1430 C’est ce qui me surprend, c’est ce qui me confond*.
Horace, je sçay bien l’estrange* jalousie,
Dont le vieillard Lepide avoit l’ame saisie,
Je sçay qu’il fut touché de ces soucis rongeants,
Dont ceste passion trouble les vieillles gens,
1435 Et que mesme il en vint à ce point de folie,
Qu’il creut Rome suspecte aux beautez de Julie,
Que pour la mieux garder il alla vivre aux champs,
Mais je n’ay jamais sceu qu’elle eut eu des enfans.

HORACE.

Il me souvient pourtant que pendant leur voyage,
1440 Dans Rome on en conçeut quelque sorte d’ombrage,
On parla sourdement que Lepide avoit eu
Un enfant de Julie, et plusieurs l’avoient creu ;
Mais depuis leur retour leur mes-intelligence251
Avoit de tous ces bruits* détourné la creance.
1445 Toutesfois si l’on veut examiner le temps [p. 91]
L’âge de Sinderic les rend fort apparans,
Et dans le haut esclat où l’on le voit parestre,
Puis qu’il se dit son fils, je croy qu’il le doit estre.

MAXIME.

Que Julie ayt un fils, ou qu’elle n’en ayt pas,
1450 Je la regarde encore avec tous ses appas*,
Je cognoy sa conduite, et presente et passée,
Je cognoy ses discours, je cognoy sa pensée,
Et si tost que l’envie* attaque son honneur,
J’escoute la vertu* qui parle en sa faveur.
1455 En un mot c’est Julie, il faut que je l’estime,
Croire qu’elle eust failly, ce seroit faire un crime*,
Et conçevoir contre elle un soubçon seulement,
Ce seroit meriter pis que son changement.
Mais afin que mon ame en soit mieux esclaircie,
1460 Allons voir chez le Roy, Sinderic et Julie,
Sçachons leurs differens, et voyons en ce jour
Combattre la nature, et triompher l’amour.

SCENE IV. §

[p. 92]
THEODORIC, BOECE, la suitte de THEODORIC, SINDERIC, JULIE.

SINDERIC.

Grand Monarque, escoutez la voix de la nature.

JULIE.

Seigneur, n’escoutez point la voix de l’imposture*.

THEODORIC.

1465 Je vous feray justice.

JULIE.

Ah Seigneur!

THEODORIC.

C’est assez,
Mais ne vous troublez point, Sinderic commencez.

SINDERIC.

Les Cieux me sont tesmoins avec quelle contrainte
Je porte devant vous ma legitime plainte ;
Et si je n’ay pas faict tout ce que je devois [p. 93]
1470 Pour cacher nostre honte au plus juste des Roys.
Ma mere, vous sçavez que souvent par des larmes
Vostre fils a tasché de vous oster les armes,
Et que c’est la raison qui me vient enseigner,
Que je doy vaincre un cœur* que je n’ay peu gaigner.
1475 Helas ! qui le croiroit, dedans cette avanture*,
Ces puissans mouvemens qu’inspire la nature,
Ces eslans d’amitié* que le sang met au jour,
Et tout ce qu’il produit de tendresse et d’amour,
Apres avoir en vain sollicité mon père,
1480 Defaillent aujourd’huy dans l’esprit de ma mere.
Vous avez sçeu, Seigneur, qu’un père trop jaloux
D’abord* que je fus né m’esloigna de chez nous,
Et que sa jalousie eust mesme la puissance
De le faire resoudre à cacher ma naissance.
1485 De là naist ce debat, lamentable et nouveau,
C’en est aujourd’huy l’ame ainsi que le flambeau,
Qui perçant l’espaisseur d’un grand nombre d’années,
Tire de leur cahos* mes sombres destinées,
Et desbroüillant252 les droicts que les cieux m’ont acquis,
1490 Vient confondre* une mere, et découvrir* un fils.
Mere autresfois trop douce, à present trop cruelle*,
Pourquoy ne souffriez*253 vous qu’une ame criminelle
M’immolast254 en naissant à ses soubçons jaloux ?
Si vous me rejettez, pourquoy me sauviez vous ?
1495 Mais pourquoy donc hyer m’advoüer* ma naissance ?
A quoy pouvoit servir cette recognoissance,
Si vous aviez dessein* d’en empescher l’effect ? [p. 94]
Helas que faictes vous ? ou bien qu’avez-vous faict ?
Ah ! qu’on doit admirer* en cette conjoncture,
1500 Le merveilleux pouvoir qu’a sur nous la nature,
Vous pleuriez avec moy, vous m’embrassiez, ah Cieux !
Que ne reteniez-vous, et vos bras, et vos yeux ?
Ne soubçonniez-vous pas que l’on vous peut surprendre255 ?
Mais que facilement vous pouvez vous deffendre,
1505 Dittes qu’on ne peut point dans ces evénements*
Avoir un cœur* de mere, et d’autres sentimens.
D’où vient donc, direz vous, cette force nouvelle
Qui me faict aujourd’huy vous estre si cruelle* ?
C’est à vous de sçavoir d’où naissent vos rigueurs,
1510 Il n’est point de raison en pareilles erreurs.
Mais pour en quelque sorte amoindrir vostre crime*,
Et tesmoigner encor combien je vous estime,
Je pretens faire voir que vous avez subject
De choquer* aujourd’huy le cours de mon project.
1515 Rome et toute la terre ignoroit256 ma naissance,
Vous n’en aviez rien dit pendant ma longue absence,
Ny faict aucun effort* pour sçavoir où j’estois,
Vous avez donc deu craindre ou la honte ou les loix.
Qui ne sçait aujourd’huy le pouvoir tyrannique
1520 Que la honte s’acquiert sur une ame pudique ?
Et l’horreur que les loix impriment257 dans un cœur*,
Qui se sent par soy-mesme accusé d’une erreur ?
Tay-toy, lasche* interest*, passion du vulgaire, [p. 95]
Non, non, ce n’est pas toy qui me retiens, ma mere,
1525 Ce n’est que la pudeur et la crainte des loix,
Mais je veux les combatre encore une autre fois.
Nature à mon secours, inspirez à mon ame
Ces puissans mouvemens de tendresse et de flamme*,
A qui rien ne resiste, et qui sçeurent toucher
1530 Un cœur* qui maintenant est plus dur qu’un rocher.
Romains qui cognoissez Sinderic et Julie,
Croyez vous qu’elle fît une tache à sa vie,
Advoüant* aujourd’huy Sinderic pour son fils,
Ou qu’il voulut gaigner une mere à ce pris ?
1535 Tout le monde respond qu’on ne le sçauroit croire,
Qu’ils sçavent que tous deux nous aymons trop la gloire*,
Que vous pouvez me rendre et ma mere et mon nom,
Sans craindre de leur part, ni blasme ni soubçon.
Mais vous craignez la loy que vous avez enfreinte,
1540 Chassez de vostre esprit cette inutille crainte,
Nous vivons soubs un Roy qui peut tout pardonner,
Demandez vostre grace, il vous la va donner.
Quoy donc à ce discours vous restez insensible ?
Et de vous esmouvoir il ne m’est pas possible ?
1545 Mais apres ces rigueurs au moins permettez moy
D’implorer à genoux la justice du Roy.
Seigneur, accordez moy le bon-heur que j’espere,
Rendez la mere au fils, et le fils à la mere.
Et par une action digne de vostre rang, [p. 96]
1550 Rejoignez aujourd’huy le sang avec le sang.

THEODORIC.

Levez vous.

JULIE.

Ah Seigneur entendez ma deffence !

THEODORIC.

Levez vous, et parlez avec toute asseurance.

JULIE.

Je ne puis m’assurer des choses que je voy,
Sinderic, est-ce vous ? sommes nous chez le Roy ?
1555 Vous me trompez mes yeux ! Quoy ce grand Capitaine,
Qui s’aquit tant de gloire* au siege de Ravene,
Fait donc si peu d’estat de l’honneur de son nom,
Qu’il le met en balance258 avecque ma maison ?
Qui le croiroit bons Dieux dedans cette avanture*,
1560 L’imposture* se sert des droits de la nature,
Et sans craindre la honte, et la rigueur des loix,
S’expose au jugement du plus juste des Roys.
Que sont donc devenus ces efforts* de la honte,
Depuis que Sinderic en tient si peu de conte259 ?
1565 Vous voulez Sinderic, qu’elle ait peu m’obliger*
A traicter mon enfant ainsi qu’un estranger,
Et si l’on vous en croit elle n’a pas peu faire, [N, 97]
Qu’un enfant n’ayt tasché de diffamer sa mere.
Quoy ? si la honte a peu signaler son pouvoir,
1570 Et contre la nature, et contre le devoir,
Ne pourroit elle pas parlant pour l’un et l’autre,
Vous resoudre à sauver mon honneur et le vostre ?
Sans doute Sinderic, ce sont là les beaux fruicts,
Si vous estiez mon fils, que la honte eust produicts ;
1575 On ne vous verroit point dedans cette audiance260,
Demander hautement vostre recognoissance,
Accuser vostre mere, et remontrer au Roy
Qu’elle encourt justement les rigueurs de la loy.
Sinderic, Sinderic, considerez de grace
1580 Quel est le precipice où vous pousse l’audace,
Quand vous me poursuivez, vous vous rendez suspect,
Un veritable fils n’est jamais sans respect.
Mais c’est trop s’arrester sur une procedure
Dont le moindre incident découvre* l’imposture*,
1585 Quittant donc le discours d’un injuste project,
Je passe à la raison de tout ce que j’ay faict.
La honte ny les loix n’ont point forcé mon ame
A faire un dés-adveu* dont Sinderic me blasme,
Sans blesser mon honneur en l’estat où je vis,
1590 Je pouvois l’advoüer* s’il eust esté mon fils.
Est-ce donc quelque hayne ? ah ! seroit il croyable,
Qu’on hait261 sans subject262 un homme incomparable,
A qui les gens d’honneur eslevent des autels,
Et qu’estime aujourd’huy le plus grand des mortels ?
1595 Seroit-ce l’interest* ? il confesse luy-mesme, [p. 98]
Que je suis à couvert de cétte erreur extréme.
Qu’est-ce qui le peut donc chasser de ma maison ?
C’est la raison, Seigneur, c’est toute ma raison,
Prononcez donc, grand Prince, une juste sentence,
1600 Qui prive Sinderic de sa recognoissance,
Et qui mette en repos les vivans et les morts,
Mais ne punissez pas ses injustes efforts*,
Pardonnez luy, grand Roy, l’erreur le rend coupable,
Et peut bien aujourd’huy le rendre pardonnable,
1605 C’est toute la faveur que j’espere de vous,
Seigneur, pour l’obtenir j’embrasse vos genoux.

THEODORIC.

Levez-vous, mais Boece enfin que doy-je faire ?

JULIE.

Pardonne à Sinderic.

SINDERIC.

Pardonnez à ma mere.

THEODORIC.

Passez dedans la sale, et laissez nous icy.

[SCENE V].263 §

[p. 99]
THEODORIC, BOECE, suitte deTheodoric.

THEODORIC.

1610 Boece, leurs discours ne m’ont point esclaircy,
Je ne sçay que resoudre.

BOECE.

En l’affaire presente,
Sire, je ne voy point d’épreuve suffisante,
Je croy que Sinderic a raison en effect,
Et les presomptions sont pour luy tout à faict,
1615 Mais je n’estime pas que sur une apparence*
On puisse en sa faveur donner une sentence.

THEODORIC.

Dieu pourquoy souffrez* vous qu’avec impunité264
Le mensonge se mesle avec la verité ?
Qu’on confonde* aujourd’huy deux choses si contraires
1620 Pour cacher à nos sens la raison des affaires :
Je ne me vis jamais dans un pareil combat.

BOECE.

Seigneur, sur ce subject consultons le Senat.

THEODORIC apres avoir un peu pensé.

[p. 100]
Il n’en est pas besoing, je voy dedans mon ame
La brillante clarté d’une secrete flamme*.
1625 Chasser l’ombre et l’erreur qui possedoit265 mes sens.
Nos criminels enfin sont tous deux innocens,
L’un cherche son bonheur, l’autre craint l’infamie,
Et je sçay le moyen de convaincre Julie.
Qu’on la fasse venir, vous verrez en ce point,
1630 Que les Rois sont des dieux que l’on n’abuse point.
Julie entre.

SCENE VI. §

JULIE, THEODORIC, et sa suite.

THEODORIC.

Julie, il est certain qu’en cette procedure
L’erreur s’est emparée des droicts de la nature,
Que sans difficulté Sinderic s’est mespris,
Vous n’estes point sa mere, il n’est point vostre fils,
1635 Aussi des à present mon pouvoir vous dispense
De ses pretentions pour sa recognoissance.

JULIE.

Que je vous doy Seigneur apres ce jugement !

THEODORIC.

[p. 101]
En effect sa poursuite estoit sans fondement,
Et je recognoy* bien plus je vous considere,
1640 Que Sinderic eust tort de vous choisir pour mere.
Plutost qu’aymer en vous une suitte d’ayeulx,
Il devoit adorer* les attraicts de vos yeux,
Et changeant en amour cette amitié* severe,
Vous aymer comme amante*, et non pas comme mere.

JULIE.

1645 Je ne respondray rien en l’estat où je suis,
Baissez les yeux, Seigneur, est tout ce que je puis.

THEODORIC.

Mais vous estes encor au plus beau de vostre âge,
Quoy ! voulez vous mourir dans ce triste vefvage ?
Sçachez que vostre Roy condamne* ce dessein*,
1650 Et qu’il veut vous donner un espoux de sa main,
Dont la haute vertu* merite vostre estime,
Que vous avez aymé,

JULIE.

C’est sans doute Maxime.

THEODORIC.

Je ne vous entens* point.

JULIE.

[p. 102]
Je disois à mon Roy,
Que tousjours ses desirs me tiendront lieu de loy.

THEODORIC.

1655 Puis que je suis certain de vostre obeyssance,
Je ne vous tiendray point plus long-temps en balance266,
Ravy que Sinderic ne soit point vostre fils,
Que les liens267 du sang ne vous ayent point unis,
Par de puissans motifs d’amour, et de Justice,
1660 Je veux dés aujourd’huy que l’hymen vous unisse

JULIE.

Ah! revoquez seigneur cette severe loy.

THEODORIC.

Quoy vous vous retractez?

JULIE.

Et de grace, grand Roy,
Dispensez mon esprit d’une telle contrainte !

THEODORIC.

Mais d’où peut proceder vostre subject de plainte?
1665 Le party qu’on vous offre a-t’il quelque défaut* ?
Pouvez-vous justement entreprendre un plus haut ?

JULIE.

[p. 103]
Seigneur il est trop grand, et trop considerable,
L’excez de sa grandeur me rendroit miserable*.

THEODORIC.

Ne vous obstinez plus à choquer* mes projects,
1670 Les Rois comme il leur plaist esgalent leurs sujects.

JULIE.

Seigneur, vous pouvez tout, mais je sens dans mon ame
Un secret mouvement qui s’oppose à ma flamme*,
Ce party, quoy qu’illustre, est pour moy sans appas*,
Je ne sçauroy l’aymer ne le cognoissant pas.
1675 Et si je n’ayme point, puis-je estre destinée
Par vostre jugement au joug de l’Hymenée ?
Et voudriez-vous agir avec tant de rigueur
Que de vouloir forcer la liberté du cœur* ?

THEODORIC.

Je vous offre un espoux que tout le monde estime
1680 Jeune, adroit, liberal268, courtois, et magnanime,
SI vous avez du cœur*, vous devez l’estimer,
Et si vous l’estimez, vous pourrez bien l’aymer,
L’ame la plus rebelle avec le temps s’engage,
Et l’amour est souvent l’effect du mariage,
1685 Ainsi vostre refus estant sans fondement, [p. 104]
Cét Hymen doit avoir son accomplissement.

JULIE.

Au nom de vos bontez* que le monde revere,
Grand Prince, revoquez un arrest* si severe,
Il ne m’est pas permis de disposer de moy,
1690 Mon ame est engagée, et j’ay donné ma foy*,
Voulez-vous donc, seigneur, que je sois infidelle ?
Que j’esteigne une flamme* aussi pure que belle ?
Et sans considerer mes sermens amoureux,
Que cét Hymen fatal* fasse trois mal-heureux ?
1695 Ah seigneur !

THEODORIC.

C’est en vain que vostre esprit me choque*,
La volonté des Roys jamais ne se revoque,
Cessez de m’opposer vos sermens, vostre foy*,
Vous estes degagée269 en recevant ma loy,
Et la necessité de vostre obeyssance,
1700 Vous peut mettre à couvert du blasme d’inconstance.
Enfin, c’est un arrest* que vous devez subir,
C’est à moy d’ordonner ; c’est à vous d’obeyr.

JULIE.

Ah ! je reclame icy vostre justice extréme !
J’en appelle seigneur de vous mesme à vous mesme !

THEODORIC.

[O,105]
1705 Ne me repliquez plus, vous devez aujourd’huy
Recevoir Sinderic, et vous donner à luy.

JULIE.

Recevoir Sinderic ! et luy donner mon ame.
Luy qui me persecute, et veut me rendre infame !
Qui vient me soustenir à la face du Roy,
1710 Que j’ay trahy mon sang, et violé ma foy* !

THEODORIC.

Si de son procedé vous estes offencée,
C’est contre la raison, et contre sa pensée,
Il s’est cru bien fondé dans ses pretentions,
Et vous l’a faict sçavoir par des submissions,
1715 Vos mauvais traictemens l’ont forcé270 de se plaindre,
N’ayant pu vous gaigner il vouloit vous contraindre* ;
Mais avec tant d’honneur, et par tant de respect,
Qu’on eust crû qu’il estoit à luy-mesme suspect,
Qu’il craignoit d’obtenir l’effect de sa priere,
1720 De peur que son plaisir ne despleut à sa mere ;
Outre qu’auparavant l’arrest* que j’ay donné
Demandant son pardon vous l’avez pardonné.

JULIE.

Mais, s’il croyoit encor que je fusse sa mere,
Voudroit-il approuver cét infame mystere ?
1725 Et quand il penseroit que je ne la suis point [p. 106]
Voudroit-il hasarder* de faillir à ce point ?

THEODORIC.

Je la tiens, poursuivons271; il a trop d’asseurance,
De la sincerité de vostre conscience
Pour croire que jamais vous puissiez vous porter,
1730 A cest horrible crime*,

JULIE.

Ah! je veux l’eviter,
Mais vous me contraignez*.

THEODORIC272.

Nous la tenons Boece.

JULIE.

Ah de grace, seigneur, excusez ma foiblesse*,
J’ay failly, je l’advoüe*, et j’ay bien merité
D’estre aujourd’huy punie avec severité.

THEODORIC.

A quelqu’un de sa suitte.
1735 Appellez Sinderic.

JULIE.

Doux sentimens de mere,
Efforts* de la nature, enfin je vous revere !
O sang ! que tes liens doivent estre puissans, [p. 107]
Puis que mal-gré nos vœux tu captives nos sens !

SCENE VII. §

MAXIME, SINDERIC, THEODORIC, JULIE.

SINDERIC.

Maxime, c’est assez, n’en parlons plus de grace,
1740 Et que de vostre esprit tout le passé s’efface.
Je me suis expliqué, vous m’avez esclaircy,
Vivons bien désormais.

MAXIME.

Je le souhaite ainsi.273

JULIE.

Le voicy, c’en est faict, nature je te cede,
Il vous a dict, seigneur, d’où mon crime* procede,
1745 La honte m’a forcée à le desadvoüer*.

THEODORIC.

Cette force d’esprit ne se peut trop loüer.

JULIE.

[p. 108]
Il est pourtant, mon fils, je le sens, je l’espreuve,
Je ne sçauroy le voir sans que mon sang s’esmeuve,
Sinderic est mon fils, c’est un adveu, seigneur,
1750 Que ma bouche vous faict beaucoup moins que mon cœur*.

THEODORIC.

Advancez, Sinderic, nous avons la victoire,
Je vous rends vostre mere.

SINDERIC.

O comble de ma gloire* !
Je reçois aujourd’huy de vostre majesté
Le seul bien qui manquoit à ma felicité,
1755 Je devois ma fortune* à vostre bien-veuillance ;
Je dois à vostre arrest* l’esclat de ma naissance,
Mon honneur, mon repos, enfin je tiens de vous
Tout ce que mon destin a d’illustre et de doux.
Mais j’ose encor, seigneur, vous faire une priere
1760 De grace accordez moy Maxime pour beau pere.

THEODORIC.

Je vous accorde tout, mais à condition,
Qu’ils vous accorderont leur approbation :

JULIE.

[p. 109]
Ah! seigneur, si Maxime ayme encore sa maistresse,
S’il me peut pardonner cette extréme foiblesse*,
1765 Que mon esprit confus a faict voïr aujourd’huy,
Vous respondant pour moy je vous respons pour luy.

MAXIME.

Vous le pouvez, Madame, avec toute assurance,
L’amour que j’ay pour vous vient de ma cognoissance,
Et mon esprit qui lit dans vos intentions,
1770 Appreuve aveuglement toutes vos actions.

THEODORIC.

Joüyssez donc des biens que le Ciel vous envoye,
Et croyez que mon cœur* prend part à vostre joye.

SINDERIC.

O bonté* sans exemple! ô Prince genereux*,

JULIE.

Que vous estes divin!

MAXIME.

Que nous sommes heureux*!

SINDERIC.

[p. 110]
1775 Grands dieux que puis-je rendre à qui me rend ma mere,
Qui ne soit au dessoubs de ce que je doy faire !

MAXIME

Quel hommage nouveau puis-je faire à mon Roy,
Qui me donne une femme et couronne ma foy* ?

JULIE.

Mais quel ressentiment* puis-je faire parestre,
1780 Qui responde aux faveurs que je doy recognestre* ?
Et n’est-ce pas trop peu qu’adorer* à genoux,
Un Roy qui m’offre un fils, et me donne un espoux ?

THEODORIC.

Ne me regardez point dedans cette occurrence274,
Comme le seul autheur* de vostre intelligence275,
1785 Portez vostre pensée en un plus digne lieu,
Ce merveilleux decret est un œuvre276 de DIEU

Fin du cinquiesme et dernier Acte.

Extraict du Privilege du Roy §

Par grace et Privilege du Roy, donné à Paris le troisieme jour de May mil six cens quarante-un, signé, Par le Roy en son Conseil, LE BRUN, il est permis à ANTOINE DE SOMMAVILLE, Marchand Libraire à Paris, d’imprimer ou faire imprimer, vendre et distribuer une piece de Theatre intitulée, le Fils desadvoüé, Tragi-comedie, et ce durant le temps de cinq ans, à compter du jour que ladite Piece sera achevée d’imprimer, et defenses sont faites à tous Imprimeurs et Libraires, et autres de quelque condition qu’ils soient, d’en imprimer, vendre ou distribuer d’autre impression que de celle qu’aura fait ou fait faire ledit DE SOMMAVILLE ou ses ayant cause, sur peine aux contrevenans de mil livres d’amende, et de tous ses despens, dommages et interests ; ainsi qu’il est plus amplement porté par lesdites Lettres, qui sont en vertu du present extraict tenuës pour deüement signifiées.

Achevé d’imprimer le 17. Octobre 1641.

Les Exemplaires ont esté fournis.

Lexique §

Liste des abréviations :

  • ACADÉMIE FRANÇAISE, Dictionnaire, Paris, J.-B. Coignard, 1694 (2 vol.) : (Ac.).
  • FURETIÈRE, Antoine, Dictionnaire universel contenant généralement tous les mots françois tant vieux que modernes et les termes de toutes les sciences et les arts, La Haye et Rotterdam, Arnout et Reinier Leers ; rééd. SNL-Le Robert, 1978 (3 vol.) : (F.).
  • RICHELET, Pierre, Dictionnaire françois contenant les mots et les choses, plusieurs nouvelles remarques sur la langue françoise… avec les termes les plus connus des arts et des sciences, Genève, J.-H. Widerhold, 1680 (2 vol.) : (R.).
Abord
Aussitôt, la première fois, et avant toutes choses ; premièrement. (R.)
V. 251, 416, 424, 607, 639, 707, 1482
Abysme
Se dit figurément en morale des choses où la connaissance humaine se perd quand elle raisonne. (F.)
V. 646, 938
Accident
Événement fortuit ; hasard, coup de fortune ; malheur imprévu. (F.)
V. 518, 606, 1042
Admirer
Regarder avec étonnement quelque chose de surprenant, ou dont on ignore les causes. (F.)
V. 171, 454, 954, 1215, 1359, 1499 
Adorer
Signifie hyperboliquement avoir beaucoup d’amour ou d’admiration pour quelqu’un. (F.)
Advis
Avertissement, instruction qu’on donne à quelqu’un de quelque chose qu’il ignore, ou à quoi il ne prend pas garde ; sentiment, opinion, se prend presque en ce sens pour réflexion, conseil, reproche, réprimande. (F.)
V. 194, 198, 622, 1126
Advouer
Reconnaître la vérité ; reconnaître pour sien, protéger. (F.)
Affection
Passion de l’âme qui nous fait vouloir du bien à quelqu’un, ou nous plaire à quelque chose. On le dit de l’amour et de l’amitié. (F.)
V. 213, 733
Alarme
Se dit figurément de toutes sortes d’appréhensions bien ou mal fondées. (F.)
V. 160, 176, 498
Alentir
C’est diminuer la force de quelque chose qui est mû ; affaiblir ce qui a trop de feu et de violence. (R.)
V. 1096
Amant
Celui, celle qui aime avec passion une personne d’un autre sexe. (Ac.)
Amitié
Affection qu’on a pour quelqu’un, soit qu’elle soit seulement d’un côté, soit qu’elle soit réciproque.
Se dit aussi en matière d’amour, et signifie amant, et maîtresse. (F.)
Apparence
La surface extérieure des choses, ce qui d’abord frappe les yeux.
Se dit aussi de ce qui est opposé à la réalité, qui n’est que faux, feint et simulé. (F.)
V. 689
Appas
Charmes puissants, grands attraits. (R.)
Arc
Se dit aussi dans les bâtiments, des voûtes et trompes courbées en rond. (F.)
V. 181
Ardeur
Se dit figurément en morale, et signifie passion, vivacité, emportement, fougue. (F.)
V. 32, 82, 879, 1036, 1269
Arrest
Jugement ferme et stable d’une puissance souveraine.
Se dit au figuré des jugements et des décisions que l’on prononce sur les diverses choses qui se présentent. (F.)
V. 39, 486
Artifice
Fraude, déguisement, mauvaise finesse. (F.)
V. 131, 1301
Assuré
Sûr, certain. (R.)
V. 327
Auteur
Qui a crée ou produit quelque chose. Se dit en particulier de ceux qui sont les premiers inventeurs de quelque chose ;  se dit de ceux qui sont cause de quelque chose. (F.)
V. 99, 338, 471, 1101, 1784
Aventure
Événement, accident ; chose qui arrive inopinément ;  se dit de ces accidents surprenants et extraordinaires. (F.)
Barbare
Cruel, impitoyable, qui n’écoute point la pitié, ni la raison. (F.)
V. 1110
Bizarre
Bourru, fantasque. (R.)
V. 1051
Bonté
Se dit de la vertu, et particulièrement de la charité, de la douceur, des mœurs, de l’inclination à assister son prochain, de la patience à souffrir les afflictions, les injures ; dans les princes, se dit particulièrement de leur clémence. (F.)
Bruit
Se dit des discours du temps, des nouvelles dont on s’entretient dans le monde ;  se dit aussi des affaires qui font de l’éclat, où plusieurs personnes prennent intérêt, ou qui sont de conséquence. (F.)
V. 911, 1444
Sans bruit
Secrètement. (F.)
V. 900, 1075
Brusler
Figurément signifie, être agité d’une violente passion d’amour, d’ambition, de désir, d’impatience. (F.)
V. 482, 1084
Caprice
Dérèglement d’esprit. On le dit, quand au lieu de se conduire par la raison, on se laisse emporter à l’humeur dominante où on se trouve. (F.)
V. 1345
Cause
Ce qui produit un effet ; le motif, le fondement d’un acte ; raison, moyen qui sert à défendre, louer ou blâmer quelque chose. (F.)
V. 2, 96, 220
Céans
Terme démonstratif du lieu où on est. (F.)
V. 844
Chaos
Confusion, mélange de tous les éléments, que les poètes ont feint avoir été de tout temps, avant que toutes les choses fussent rangées dans l’ordre où elles sont ; se dit figurément de ce qui est confus et brouillé. (F.)
V. 1488
Charger
Se dit des querelles particulières ; signifie aussi accuser quelqu’un en justice, ou déposer contre lui. (F.)
V. 141
Charme
Puissance magique par laquelle avec l’aide du démon les sorciers font des choses merveilleuses, au dessus des forces, ou contre l’ordre de la nature ; se dit figurément de ce qui nous plaît extraordinairement, qui nous ravit en admiration. (F.)
V. 19
Chevalier
Le premier degré d’honneur de l’ancienne milice, qu’on donnait avec certaines cérémonies à ceux qui avaient fait quelque exploit signalé qui les distinguait des autres gens de guerre. Le chevalier romain était le second degré de noblesse parmi les Romains, qui suivait celui des sénateurs. (F.)
V. 520, 1041
Choquer
Signifie figurément, quereller, offenser. (F.)
Cœur
Partie noble de l’animal, qui est le principal organe de la faculté vitale.
Signifie quelquefois, vigueur, force, courage, intrépidité.
V. 888, 1681
Se dit aussi des passions de l’âme ; se dit particulièrement de l’affection, de l’amitié, de l’amour, de la tendresse. (F.)
V. 17, 548, 724, 863, 1336, 1678
Condamner
Donner un jugement contre quelqu’un qui porte quelque peine, perte ou dommage.
V. 182
Signifie aussi, blâmer, désapprouver. (F.)
Confondre
Troubler, mettre en désordre. (R.)
Contraindre
Violenter, obliger par force à dire ou à souffrir quelque chose ; gêner, presser, incommoder. (F.)
Coups
Outrage, offense qui se fait à quelqu’un en le frappant.
Se dit aussi des accidents extraordinaires qui sont des effets de la Providence, de quelque cause inconnue, de la fortune, du hasard. (F.)
V. 1220
Courage
Ardeur, vivacité, fureur de l’âme qui fait entreprendre des choses hardies, sans crainte des périls ; est aussi une vertu qui élève l’âme, et qui la porte à mépriser les périls, quand il y a des occasions d’exercer sa vaillance, ou à souffrir les douleurs, quand il y a lieu de montrer sa constance et sa fermeté. (F.)
V. 47, 196, 597, 1183
Crédit
Croyance, estime qu’on s’acquiert dans le public par sa vertu, sa probité, sa bonne foi, et son mérite. (F.)
V. 739, 1237
Crime
Action faite contre la loi, soit naturelle, soit civile ; se dit d’une faute que l’on commet ou dans la conduite, ou contre le devoir, ou contre l’amitié. (F.)
Cruel
Qui est barbare, inhumain, qui aime à tuer, massacrer, tourmenter les autres hommes ; se dit encore des choses douloureuses ou fâcheuses. (F.)
Défaut
Absence, manque, privation de quelque personne, de quelque chose. (Ac.)
V. 246, 305, 676, 752, 1665
Déffiance
Crainte d’être trompé, ou de ne pouvoir pas réussir dans ses desseins. (F.)
V. 690
Désaveu
Dénégation. (F.)
V. 969, 1588
Désavouer
Ne demeurer pas d’accord d’avoir dit ou fait quelque chose ; signifie encore ne reconnaître pas pour sien. (F.)
Descouvrir
Trouver quelque chose de nouveau, de secret qui nous était auparavant inconnu (F.) ; faire connaitre ce qui était caché. (Ac.)
Désespoir
Passion de l’âme qui la trouble, qui lui fait perdre l’espérance. (F.)
V. 609, 1172
Dessein
Projet, entreprise, intention. À dessein : exprès, et à certaine intention. (F.)
Disgrâce
Malheur, accident. (F.)
V. 1357
Divertissement
Réjouissance, plaisir, récréation. (F.)
V. 130
Doute (sans)
Façon de parler adverbiale qui signifie, hors de doute, certainement. (F.)
V. 697
Effort
Emploi de toutes ses forces ; se dit de tout ce qu’on fait avec violence, et figurément en choses spirituelles. (F.)
Empêcher
S’opposer à quelque chose, y former des difficultés, des obstacles ; signifie aussi, embarrasser, occuper. (F.)
V. 241
Ennuy
Chagrin, déplaisir, souci. (Ac.)
Entendre
Se dit figurément en choses spirituelles, et signifie, comprendre, pénétrer dans le sens de celui qui parle, ou qui écrit. (F.)
Entreprise
Résolution hardie de faire quelque chose. (F.)
V. 887, 1078
Envie
Passion, désir qu’on a d’avoir ou de faire quelque chose.
V. 426, 1058
Chagrin qu’on a de voir les bonnes qualités ou la prospérité de quelqu’un. (F.)
V. 15, 144, 224, 267, 280, 1453
Équité
Justice mitigée et adoucie par la considération des circonstances particulières. (F.)
V. 117, 892
Étonné
Surpris, épouvanté. (F.)
V. 603
Étonner
Surprendre par quelque chose d’extraordinaire, d’inattendu. (Ac.)
V. 152, 184, 1173
Étrange
Ce qui est surprenant, rare, extraordinaire. (F.)
Événement
Issue, succès bon ou mauvais de quelque chose ; se dit des choses grandes, surprenantes et singulières qui arrivent dans le monde. (F.)
Exciter
Provoquer, causer quelque effet ; se dit figurément en morale, et signifie, animer. (F.)
V. 1317
Fable
Se dit aussi de la fiction qui sert de sujet aux poèmes épiques et dramatiques, et aux romans ; signifie aussi absolument, fausseté. (F.)
V. 509
Faiblesse
Manque de forces, qualité de ce qui est faible ; inconstance, imbécilité, facilité de se laisser aller, de croire.  (F.)
Fatal
Signifie malheureux.
V. 440, 1694
Signifie encore, la fin, la mort. (F.)
V. 987, 1023
Favorable
Qui fait faveur, qui est propice, qui nous fournit des avantages. (F.)
V. 212, 360, 1105
Favori
Qui a les bonnes grâces d’un Prince, d’une personne puissance, d’une maîtresse, et généralement d’un supérieur à qui plusieurs s’efforcent de plaire, et qui ne plaisent pas également. (F.)
V. 443, 623, 668, 669, 1389
Feindre
Tromper par l’apparence, faire semblant ; se dit aussi des imaginations d’esprit qui sont fausses, et qu’on donne pour véritables. (F.)
V. 100, 979, 1304
Flamme
Amour, passion. (R.)
Flatter
Caresser par des louanges.
V. 121, 155
Tromper en déguisant la vérité ou par faiblesse, ou par une mauvaise crainte de déplaire. (Ac.)
Fortune
C’était autrefois une divinité païenne qu’on croyait être la cause de tous les événements extraordinaires : au lieu c’est en effet la Providence divine qui agit par des voies inconnues et au-dessus de la prudence des hommes. Maintenant on appelle fortune, ce qui arrive par hasard, qui est fortuit et imprévu.
Signifie aussi l’établissement, le crédit, les biens qu’on a acquis par son mérite, ou par hasard. (F.)
Foy
Assurance donnée de garder sa parole, sa promesse ; témoignage, assurance. (Ac.)
Funeste
Qui cause la mort, ou qui en menace, quelque accident fâcheux, quelque perte considérable. (F.)
V. 5, 450, 490, 911, 931, 961, 1102, 1288
Fureur
Emportement violent causé par un dérèglement d’esprit et de la raison ; se dit en morale de la colère, lorsqu’elle est violente et démesurée, et qu’elle jette les hommes dans quelques excès.
V. 38, 599, 609, 1114, 1152
Se dit aussi de toutes les passions qui nous font agir avec de grands emportements. (F.)
V. 766, 1096
Gage
Sureté que l’on donne pour quelque prêt, ou pour quelque dette ; se dit aussi des témoignages ou assurances d’amitié. (F.)
V. 6
Généreux
Qui a l’âme grande et noble, et qui préfère l’honneur à tout autre intérêt. (F.)
Générosité
Grandeur d’âme, de courage, magnanimité, bravoure, libéralité, et toute autre qualité qui fait le généreux. (F.)
V. 93
Gentilhomme
Homme noble d’extraction, qui ne doit point sa noblesse ni à sa charge, ni aux lettres du prince. Ce mot de gentilhomme vient de gentilis homo, qui se disait chez les Romains d’une race de gens nobles de même nom, nés de parents libres, et dont les ancêtres n’avaient point été esclaves, ni repris de justice. (F.)
V. 231, 256
Gloire
Se dit de l’honneur qu’on rend à Dieu, des louanges qui lui sont dues ; se dit par emprunt et par participation, de l’honneur mondain, de la louange qu’on donne au mérite, au savoir et à la vertu des hommes. (F.)
Hazarder
Risquer, exposer à la fortune, exposer au péril. (Ac.)
Heur
Bonne fortune. (Ac.)
V. 277, 1008
Heureux
Qui jouit de toutes les félicités de la vie, à qui il ne manque rien, qui est content ; chanceux, à qui le hasard est favorable ; se dit encore de ce qu’on croit être cause de quelque bonheur, de quelque avantage. (F.)
V. 81, 125, 227, 1137, 1774
Idole
Créature ou ouvrage fait de main d’homme, qu’on adore comme une Divinité, à qui on rend des honneurs divins, à qui on brûle de l’encens, on fait des sacrifices, on érige des autels et des temples. (F.)
V. 100
Imposture
Tromperie, mensonge, calomnie. (F.)
Ingrat
Celui qui n’a point de reconnaissance des bienfaits qu’il a reçus, des bons offices qu’on lui a rendus. (F.)
Insigne
Remarquable, excellent, qui se fait distinguer de ses semblables. Il se dit tant en bonne qu’en mauvaise part. (F.)
V. 1193
Interdit
Étonné, troublé, qui ne peut répondre. (Ac.)
V. 999
Intêret
Ce qu’on a affection de conserver ou d’acquérir ; part qu’on prend en quelque chose, de la défense qu’on entreprend, de la protection qu’on lui donne. (F.)
Intéresser
Engager quelqu’un par son intérêt à soutenir, à faire quelque affaire. (F.)
V. 812, 1050
Lâche
Qui manque de courage, se dit des actions indignes d’un homme d’honneur. (Ac.)
Lustre
Terme de cinq ans. C’est une supputation qu’on fait plus communément en poésie.
V. 28
Se dit aussi figurément en choses morales. Dans les grandes charges, la valeur, la vertu paraissent dans tout leur lustre, dans tout leur éclat. (F.)
V. 126, 261
Marque
Signe, caractère particulier qui vient de naissance, ou de nature, qui fait reconnaître une chose, et la distinguer d’une autre semblable. (F.)
V. 286, 956, 957
Ministre
Un ministre d’Etat est celui sur qui un Prince se repose de l’administration de son État, à qui il commet le soin de ses principales affaires. Ex : Boèce est proposé pour modèle aux ministres d’État. (F.)
V. 134
Misérable
Qui est dans la douleur, dans la pauvreté, dans l’affliction ou l’oppression. (F.)
Murmurer
Faire du bruit en se plaignant sourdement, sans éclater ; il se dit du bruit sourd qui court de quelque affaire, de quelque nouvelle. (Ac.)
V. 225, 704
Obliger
Contraindre à faire quelque chose par nécessité ; se dit aussi de ce qu’on est contraint de faire par les lois, par le devoir. (F.)
Objet
Se dit poétiquement des belles personnes qui donnent de l’amour. (F.)
V. 560, 1099
Se dit seulement quelquefois de la fin ; chose où l’on arrête sa pensée, son cœur, son but ou son dessein. (R.)
V. 5, 43, 128, 219, 568, 601, 931, 1102, 1108, 1295, 1313
Ornement
Ce qui pare quelque chose, ce qui la rend plus belle, plus agréable. (F.)
V. 129
Potentat
Monarque, roi ; qui a une puissance souveraine. (Ac.)
V. 133, 160
Prévenir
Arriver devant, venir le premier. Il signifie aussi être le premier à faire ce qu’un autre voulait faire. (Ac.)
V. 1401
Raretés
Signifie singularité ; il se dit choses qui se trouvent peu ; se dit aussi des pièces rares et curieuses. (Ac.)
V. 171, 453
Reconnoistre
Trouver qu’une personne ou une chose est la même que celle que nous avons vue autrefois, ou qui nous a été désignée.
V. 950, 956
Avouer.
V. 337, 1780
Découvrir, éclaircir la vérité de quelque chose.
V. 1639
Avoir de la gratitude ; payer à discrétion, récompenser un service rendu. (F.)
V. 721
Ressentiment
Sentiment d’un mal qu’on a eu ; souvenir qu’on garde des bienfaits, ou des injures. (Ac.)
Soins
Diligence qu’on apporte à faire réussir une chose, à la garder et à la conserver, la perfectionner ; attache particulière qu’on a auprès d’un maître ou d’une maîtresse, pour les servir, ou leur plaire. (F.)
V. 141, 188, 640, 861, 1166
Soucy
Sollicitude, soin accompagné d’inquiétude. (Ac.)
V. 987, 1111
Souffrir
Se dit en sens moins étendu, en parlant de ce qui déplait, de ce qui fait quelque peine aux sens, ou à l’esprit (F.) ; endurer, avoir de la peine, supporter. (R.)
Permettre ; admettre, recevoir. (Ac.)
V. 73
Soupir
Témoignage extérieur de tristesse, d’affliction, de douleur. (F.)
V. 2, 22, 358, 422, 1315
Succès
Issue d’une affaire. Il se dit en bonne et en mauvaise part. (F.)
V. 324, 510, 1001
Transports
Trouble ou agitation de l’âme par la violence des passions. (F.)
V. 276, 664, 1028
Travailler
S’appliquer à faire quelque chose, prendre peine à faire une chose, s’attacher à faire quelque chose. (F.)
V. 880
Travaux
Les peines qu’on a prises, qu’on s’est données, à quelque entreprise glorieuse, dans l’exécution de quelque chose de difficile. (Ac.)
V. 65, 189
Vertu
Se dit de la grandeur d’âme d’une personne, de sa valeur morale, de son mérite. (F.)

Annexe 1 : Nicolas Caussin, La Cour Sainte277 : « L’entrée de Théodoric à Rome et son heureux gouvernement par les conseils de Boèce ». §

La troisième maxime que luy donna Boèce, fut de se rendre très exact en l’exercice de la justice ; d’autant que c’est la base des thrônes et l’esprit qui anime tout le gouvernement : et il prit tellement cette parole, que le desir qu’il avoit de rendre à chacun ce qui estoit sien, luy estoit changé en une soif très ardente, et une faim continuelle : il choisissoit les plus entiers et incorruptibles Gouverneurs qu’il pouvoit, et leur disoit ces paroles rapportées de Cassiodore.

Faites que les Juges des Provinces soyent pleins de vigueur dans l’observation des loix, que les tribunaux ne cessent de donner des sentences contre les mauvaises mœurs : Que les larrons craignent les portes de vos Palais : Que l’adultère tremble devant un Lieutenant chaste : Que le faussaire ayt horreur du cry d’un heraut, et que tous les crimes soient exilez de nostre domaine : Que personne n’opprime les pauvres ; Que leurs persécuteurs soient apprehendez et poursuivis comme perturbateurs du repos public. Vous ferez une paix generale, quand vous aurez abattu les autheurs des meschancetez qui se commettent : Que les Capitaines contiennent leurs soldats en toute discipline, en telle sorte que le laboureur, le marchand, le nautonier, l’artisan entendent que les armes ne sont faites que pour leur défense. Je ne veux pas mesme qu’on pardonne à mes plus proches, quand il est question de la justice : depuis que j’ay pris la Republique en charge, je me suis dépouillé de mes propres intérests, je veux du bien aux miens, mais dans la communauté.

Suivant ces Maximes, je raconteray un traict admirable qu’il fit, entre autres pour signaler sa justice. Une Dame Romaine laissée veuve par la mort de son mary, avoit perdu un fils né de ce mariage, qui luy fut ravy clandestinement, et nourry en une autre Province dans la servitude. Cet enfant devenu jeune homme, receut un avis de bonne part, qu’il estoit d’extraction libre, et fils d’une Dame dont on luy donna le nom, la demeure et toutes les circonstances, qui luy firent entreprendre un voyage à Rome, avec intention de se faire reconnoistre. Il vient droit à sa mère, laquelle estoit embarrassée dans certaines amourettes, s’estant donnée à un homme qui promettoit tousjours de l’espouser, sans toutefois terminer l’affaire. Cet amant estant pour lors absent, et détenu pour affaires pressantes assez loin de Rome, la Dame eut environ l’espace de trente jours bien libres, où elle tint le jeune homme en sa maison, l’ayant reconnu, et avoué particulièrement pour son fils, convaincue qu’elle estoit par des marques invincibles : et dès lors la charité estoit si grande envers lui, qu’elle ne cessoit de pleurer de joye dans le recouvrement de sa perte.

Les trente jours expirez, l’amant retourne, et voyant cet hoste tout nouveau dans sa maison, il demande à la Dame, Quelle espece d’homme c’estoit, et d’où il venoit ; elle répond franchement que c’estoit son fils. Luy, soit que piqué de jalousie, il pensast que ce fust un pretexte, soit que prétendant à ce mariage de la veuve, il n’y voulut point de charge d’enfant ; luy dit hardiment, que si elle ne chassoit cet enfant trouvé de son logis, jamais elle n’auroit de part en ses affections. La malheureuse, qui estoit prise d’amour, pour servir à sa passion renonce ses entrailles, et chasse tout à force de sa maison ce fils lequel elle avoit tant pleuré. Le jeune homme se voyant comme entre le marteau et l’enclume, dans une si grande nécessité de ses affaires, s’en va demander justice au Roy, qui l’ouït fort volontiers, et commanda que la Dame fust amenée devant luy, pour estre confrontée. Elle nia fermement toutes les pretentions de celuy-ci, disant : Que c’estoit un imposteur et un ingrat, qui ne se contentoit pas d’avoir receu les charitez d’un pauvre en sa maison ; mais voulait l’heritage des enfans. Le fils d’autre costé pleuroit chaudement, et asseuroit qu’elle l’avoit avoué pour sien, representant fort vivement toutes les preuves que la passion et l’interest lui mettoient en la bouche.

Le Roy qui sondoit toutes les avenues pour entrer en l’esprit de la Dame, luy demanda si elle n’avoit pas delibéré de se marier en secondes noces. Elle respondit que s’il se rencontroit un party favorable, elle feroit ce que Dieu luy inspireroit. Le Roy réplique, Le voilà rencontré, puis que vous avez logé cet hoste trente jours en vostre maison, et que vous l’avez reconnu de si bonne grace, à quoy tient-il que vous ne l’espousiez ? La Dame respond, Qu’il n’avoit aucunes commoditez, dont on a tousjours besoin en mesnage : Et à quoy peut bien monter vostre bien ? (dit le Roy). La Dame repart, qu’elle avoit bien vaillant mille escus, qui estoit une grande richesse en ce temps-là. Et bien, dit Théodoric, j’en donneray autant à ce jeune homme pour son mariage, à telle condition que vous l’espouserez. Elle bien estonnée, commence à paslir, rougir, trembler, et montrer toutes les contenances d’une femme perdue, qui taschoit à s’excuser et se coupoit en ses paroles : le Roy pour l’intimider encore davantage, jure son grand serment qu’elle l’espouseroit dès à présent, ou qu’elle diroit les causes legitimes de son empeschement. La pauvre femme condamnée par la voix de la Nature qui crioit en son cœur, et ayant horreur du crime qu’on luy proposoit, se jetta aux pieds du Roy, avec une grande profusion de larmes, confessant ses amours, son mensonge et son malheur. Alors ce grand Prince prenant la parole luy dit, N’estes-vous pas une miserable femme de renoncer vostre sang pour ce vilain qui vous a trompée ? Allez en vostre maison, quittez vos amourettes, et vivez dans la condition d’une honneste veuve, prenant de vostre fils le support qu’il vous doit rendre par nature.

Annexe 2 : Excerpta Valesiana278 §

Quidam defunctus est et reliquit uxorem et parvulum filium nescientem matrem. Ab aliquo sublatus est filius eius parvulus et ductus in aliam provinciam et educatus. Factus iuvenis quoquo modo revertitur ad matrem; mater enim iam spoponderat virum. Cum vidisset mater, amplectit filium, benedicens deum se filium revidisse; et fecit cum ea dies triginta. Et ecce veniens sponsus matris, videns iuvenem, interrogavit quis esset. Quae respondit esse suum filium. At ubi comperit esse filium eius, coepti repetere arras et dicere « aut nega filium tuum esse aut vero abscedo hinc ». Mulier compellitur ab sponso, et coepit negare filium, quem ipsa ante confessa est, et dicere: « Vade, iuvenis, de domo mea, quia peregrinum te suscepi ». Ille enim dicebat regressum se ad matrem in domum patris sui. Quid multa? Dum haec aguntur, filius rogavit regem adversus matrem, quam rex iussit in conspectu suo sisti. Cui et dixit: « Mulier, filius tuus adversus te rogat; quid dicis? Est filius tuus an non? ». Quae dixit: « Non est meus filius sed peregrinum eum suscepi. » Et dum per ordinem omnia filius mulieris intimasset in auribus regis, dicit mulieri denuo: « Est filius tuus an non? ». Quae dixit: « Non est filius meus». Dicit ei rex: « Et quae est facultas tua, mulier? ». Quae respondit: « Usque ad mille solidos». Et dum maritum se rex non esse facturum sub iusiurando pollicitus est nisi ipsum, alium non acciperet maritum, tunc confusa est mulier et confessa est suum esse filium.

Proposition de traduction

Un homme mourut et laissa une femme et un enfant, qui n’avait pas connu sa mère. Quelqu’un prit l’enfant, l’emmena dans une autre province et l’éleva. Devenu un jeune homme, il arrive par quelque moyen à retrouver sa mère ; mais la mère s’était déjà promise à un homme. Lorsqu’elle le vit, elle embrassa son fils, bénissant Dieu de l’avoir retrouvé ; il passa avec elle trente jours. Mais voilà qu’arriva le fiancé de la mère, qui vit le jeune homme et qui demanda qui c’était. Elle répondit que c’était son fils. Or lorsqu’il apprit que c’était son fils, il se mit à demander les gages du contrat de mariage et à dire : « Soit tu renies ton fils, soit je quitte ce lieu ». La femme est contrainte par son fiancé, et se mit à renier son fils, qu’elle avait reconnu elle-même auparavant, et à dire : « Va-t-en de chez moi, jeune homme, car je t’ai accueilli parce que tu étais étranger ». Lui disait qu’il était revenu chez sa mère dans la maison de son père. Que dire de plus ? À force, le fils fit appel au roi contre sa mère, à qui le roi ordonna de se présenter devant lui. Il lui dit : « Femme, ton fils t’attaque en justice : que dis-tu ? Est-il ton fils ou non ? ». Elle dit : « Ce n’est pas mon fils, je l’ai accueilli en étranger ». Comme le fils récitait dans l’ordre devant le roi toutes les actions faites à son égard par cette femme, le roi dit de nouveau à la femme : « Est-il ton fils ou non ? ». Elle répondit : « Ce n’est pas mon fils ». Le roi lui dit : « Quelle est ta fortune, femme ? ». Elle répondit : « À peu près mille pièces d’or». Alors le roi déclara sous serment qu’il ne lui donnerait pas de mari si elle n’acceptait pas comme mari celui-là même, et là, la femme se troubla et avoua que c’était son fils.

Bibliographie §

Sources §

Œuvres de Guérin de Bouscal par ordre chronologique §

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GUÉRIN DE BOUSCAL Guyon, Dom Quixote de la Manche, comédie (1639), éd. Daniela Dalla Valle et Amédée Carriat, Genève-Paris, Slatkine-Librairie Champion, 1979.
GUÉRIN DE BOUSCAL Guyon, Le Fils désavoué, ou le Jugement de Théodoric, roy d’Italie, Paris, Antoine de Sommaville, 1641.
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Textes des XVIe et XVIIe siècles §

CAUSSIN Nicolas, La Cour Sainte, 10e éd., Paris, S. Chappelet, 1640.
CORNEILLE Pierre, Œuvres complètes, éd. Georges Couton, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1987.
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CORNEILLE Pierre, Horace, éd. Marc Escola, Paris, Flammarion, 2001.
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GARNIER Robert, Cornélie, Paris, Honoré Champion, 2002.
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Sources antiques §

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ARISTOTE, Poétique, éd. Michel Magnien, Paris, Le Livre de Poche, 1990.
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JORDANES, Histoire des Goths, éd. Olivier Devillers, Paris, Les Belles Lettres, 1995.
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Instruments de travail §

Dictionnaires §

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Bibliographies §

CIORANESCU Alexandre, Bibliographie de la littérature française du XVIIe siècle, Paris, Éditions du CNRS, 1965-1966 (3 vol.).
KLAPP Otto [KLAPP-LEHRMANN à partir de 1986], Bibliographie der französischen Literaturwissenschaft, Francfort, Klostermann (chaque année depuis 1960).

Grammaire, syntaxe, ponctuation §

CATACH Nina, La Ponctuation, Paris, PUF, 1994.
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FOURNIER Nathalie, Grammaire du français classique, Paris, Belin, 1998.
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SPILLEBOUT Gabriel, Grammaire de la langue française du XVIIe siècle, Paris, Picard, 1985.

Travaux critiques §

Ouvrages généraux sur la littérature et le théâtre §

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CIORANESCU Alexandre, Le Masque et le Visage. Du baroque espagnol au classicisme français, Genève, Droz, 1983.
FORESTIER Georges, Introduction à l’analyse des textes classiques, Paris, Nathan (coll. 128), 1993.
LARTHOMAS Pierre, Le Langage dramatique : sa nature, ses procédés, Paris, Colin, 1972 ; rééd. PUF, 1980 et 2001.
UBERSFELD Anne, Lire le théâtre, Paris, Éditions Sociales, 1977 ; rééd. Belin, 1996 (3. vol.).
SCHERER Jacques, La Dramaturgie classique en France, Paris, Nizet, 1973.
VIALA Alain, Naissance de l’écrivain, Paris, Minuit, 1985.

Travaux sur le théâtre du XVIIe siècle §

PASQUIER Pierre (éd.), Le Mémoire de Mahelot : mémoire pour la décoration des pièces qui se représentent par les Comédiens du Roi, Paris, Champion, 2005.
BABY Hélène, La Tragi-comédie de Corneille à Quinault, Paris, Klincksieck, 2002.
DEIERKAUF-HOLSBOER S. Wilma, Le Théâtre du Marais, Paris, Nizet, 1958.
DEIERKAUF-HOLSBOER S. Wilma, L’Histoire de la mise en scène dans le théâtre français à Paris de 1600 à 1673, Paris, Nizet, 1960.
DEIERKAUF-HOLSBOER S. Wilma, Le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne 1548-1680, Paris, Nizet, 1968-1970 (2 vol.).
DUCREUX Marie-Elizabeth, « Le Politique et l’Homme chrétien. Les jésuites et la pédagogie des vertus au XVIIe siècle dans la Monarchie des Habsbourg : Nicolas Caussin, Henri et Guillaume Lamormaini », L’Atelier du Centre de recherches historiques [en ligne], 08/2011.
FORESTIER Georges, Esthétique de l’identité dans le théâtre français (1550-1680). Le déguisement et ses avatars, Genève, Droz, 1988.
FORESTIER Georges, Essai de génétique théâtrale. Corneille à l’œuvre, Paris, Klincksieck, 1996 (nouv. éd. Genève, Droz, 2004).
FUMAROLI Marc, L’Âge de l’éloquence, Genève, Droz, 2009.
GUICHEMERRE Roger, La Tragi-comédie, Paris, PUF, 1981.
HOWE Alan, Écrivains de théâtre, 1600-1649, Paris, Centre historique des Archives nationales, 2005.
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LANCASTER Henry Carrington, A History of French Dramatic Literature in the Seventeenth Century, Baltimore, the Johns Hopkins Press, 1929-1942 (5 part. en 9 vol.).
LANCASTER Henry Carrington, The French Tragi-comedy. Its Origin and Development from 1552 to 1628, Baltimore, J. H. Furst Company, 1907.
PRIGENT Michel, Le Héros et l’État dans la tragédie de Pierre Corneille, Paris, PUF, 1986.
RIFFAUD Alain, Répertoire du théâtre français imprimé entre 1630 et 1660, Genève, Droz, 2009.
ROUSSET Jean, La Littérature de l’âge baroque en France, Paris, Corti, 1954.

Travaux sur la figure de Théodoric §

Teodorico e i Goti tra Oriente e Occidente, recueil d’articles à la suite d’un congrès international du 28 septembre au 2 octobre 1992 à Ravenne, sous la direction d’Antonio Carile, Ravenne, Longo Editore Ravenna, 1995.
Teodorico il grande e i Goti d’Italia, recueil rédigé à la suite d’un congrès international à Milan (2-6 novembre 1992), Milan, Centro italiano di studi sull’alto Medioevo, 1993 (2 vol.).
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