LE MARCHAND DE MERDE
PARADE.
Tirée de MERLIN COCAYE.

M. DCC. XX.

par M. GUEULLETTE

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PERSONNAGES §

  • LÉANDRE.
  • ARLEQUIN.
  • GILLES.
  • CATIN.
  • L’APOTHICAIRE.
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SCÈNE PREMIÈRE. Léandre, Arlequin. §

LÉANDRE.

Écoute, mon citer z’Arlequin.

ARLEQUIN.

Oui da, Monsieur, car je ne suis pas sourd.

LÉANDRE.

Toujours plaisant à l’accoutumée, mais ce n’est pas de ça dont il s’agit, je t’ai toujours compté mes peines et mes malheurs.

ARLEQUIN.

Oui, Monsieur.

LÉANDRE.

J’ai du chagrin, mon cher z’Arlequiri, ce n’est point assurément contre la charmante z’isabelle, jamais fille ne peut être plus honnête et plus civile, car tous les jours elle m’aime ; mais encore tu sais bien que je vais passer z’ordinairement la nuit chez elle.

ARLEQUIN.

Oui, Monsieur.

LÉANDRE.

Ce n’est point contre la fortune que j’ai du méchant vouloir ; j’ai grâce au Ciel toujours la pièce blanche pour payer une bouteille z’à un ami.

ARLEQUIN.

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Je voudrais bien l’avoir moi pour payer une poularde et douze bouteilles de vin.

LÉANDRE.

Ne deviendras-tu jamais modeste, mon cher z’Arlequin, les bons exemples et la civilité que tu me vois ne te feront-ils point z’amander.

ARLEQUIN.

Mais, Monsieur, l’on dit tel valet... tel Maître.

LÉANDRE.

Cela z’est vrai, tout le monde dit cela.

ARLEQUIN.

Vous avez une maîtresse, vous avez la pièce blanche; si j’avais feulement le quart d’une maîtresse, et deux pièces blanches je serais plus content qu’un Pape.

LÉANDRE.

Tais-toi z’insolent, il ne faut pas parler de ces personnes-là ; mais je te promets de quoi avoir z’une bonne bouteille de vin de la cuisse, si tu veux t’intéresser dans mon malheur.

ARLEQUIN.

Parlez vite, car j’ai grand soif.

LÉANDRE.

Tu connais ce coquin de manant de Gilles qui loge ici près !

ARLEQUIN.

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Si je le connais, je l’ai dévisagé cent fois»

LÉANDRE.

Hé bien c’est un malpropre, qui vient tous les jours [paroles ne puent point] faire ses excréments, ses vilenies à ma porte.

ARLEQUIN.

Et pour cela vous me donnerez une bouteille de vin ?

LÉANDRE.

Tu es toujours d’une z’impromptitude...

ARLEQUIN.

Voulez-vous que j’en aille faire autant à la sienne, vous n’avez qu’à parler, cela sera bientôt fait, ce fera de l’argent bien gagné.

LÉANDRE.

He non.

ARLEQUIN.

Dame c’est que vous me faites venir l’eau à la bouche.

LÉANDRE.

Écoute-moi,

ARLEQUIN.

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S’il ne tient qu’à cela pour obliger un ami, je mettrai tout par écuelles.

LÉANDRE.

Veux-tu te taire ?

ARLEQUIN.

C’est qu’aussi vous m’avez fait passer.

LÉANDRE.

Encore !

ARLEQUIN.

Monsieur, ne vous fâchez pas, mais dépêchez-vous, je fais pressé.

LÉANDRE.

Je voudrais punir cet insolent qui a l’audace...

ARLEQUIN.

De chier à notre porte.

LÉANDRE.

Mais où est-ce que ça se fait ? Quoi ! Parce que je lui ai donné quelques coups de bâton.

ARLEQUIN.

Si cela se rendait comme cela, j’aurais chié dans votre lit, moi. Mais, Monsieur, ne vous mettez pas en peine, je vous promets de vous venger. Le voici qui sort, rentrons. Vous verrez beau jeu, il vient de me venir quelque chose en tête qui ne sera pas de paille.

LÉANDRE.

Tu vois, mon cher z’Arlequin, que ton Maître te confie tout ce qui le chagrine,

ARLEQUIN.

Allons, vous dis-je, nous allons voir beau jeu.

SCÈNE I.. §

GILLES, seul.

Depuis que je n’ai plus mon onque ; je m’ennuie cheux nous, je ne sais que faire de mes dix doigts ; car enfin on ne peut toujours se gratter ; il faut que je me marie ; ma femme me grattera, je la gratterai, nous nous gratterons, je la battrai, elle me battra, nous nous battrons, et puis nous ferons la paix, et puis... parguenne, la voici ; quand on parle du loup on en voit la queue. Je voudrais bien qu’elle parlât de moi.

SCÈNE III. Gilles, Catin. §

GILLES, tournant autour de Catin.

Pardienne, voilà ce qu’on appelle ça un un bon cul de ménage, un bon...

CATIN.

Que regardez-vous là, Monsieur Gilles ?

GILLES.

Mamselle je vous releluque ; et que faites vous comme ça toute seule ?

CATIN.

Je vous entends badin ; mais pour se marier il faut avoir de quoi, et je n’ai pas de quoi payer une chopine de vin, ou bien un coup de café de Suisse.

GILLES.

Tant mieux ni moi non plus.

CATIN.

Tant pis, et la marmite ?

GILLES.

Nous n’en ferons point, ça se répand d’un rien, bon, bon, qu’importe, regardez-moi, je ne sis ni tortu ni bossu, je trouverais de quoi ; s’il n’y avait que ceux qui ont des rentes qui en fissions la folie, il n’y aurait pas tant de cocus.

CATIN.

Tout cela est bel et bon, Monsieur Gilles, mais il faut du comptant.

GILLES.

Ah, Mamselle, vous en avez pour nous deux, mais pardienne je suis bien aise de vous voir avant que les choses aillent plus loin.

CATIN.

He pourquoi donc ?

GILLES.

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Trottez, marchez, quarrez-vous devant moi.

CATIN.

Est-ce comme cela, Monsieur Gilles ?

GILLES.

Oui fort bien, car je ne veux pas acheter chat en poche ; mais dites-moi z’un peu ?

CATIN.

Quoi ?

GILLES.

Êtes-vous bien fille partout ?

CATIN.

Oh beaucoup. Comptez que je la suis autant que l’était ma mère après m’avoir mis au monde. Je ne puis pas dire davantage.

GILLES.

Oh ! Si cela est, je n’ai rien à dire, car assurément votre mère n’était pas un homme.

CATIN.

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Oui, mais Monsieur Gilles, je m’amuse ici à la moutarde, votre cul est une bête qui se fait porter par un âne ; si vous croyez m’épouser sans rien avoir, on sans savoir comment en gagner. Je suis votre servante, Monsieur Gilles.

SCÈNE IV. §

GILLES seul.

Pardienne, elle a raison : il faut que je cherche à faire queuque chose. Voyons :

Il sait une énumération de tous les métiers.

Si j’avais des rentes je n’aurais pas tant de peine à trouver un métier. Allons, il faut que j’en cherche, j’épouserai Catin, j’aurai bien des petits enfants ; toutes les filles seront Catins, et tous les garçons seront Gilles. Pardienne, j’aurai bien de la famille.

SCÈNE V. Gilles, Arlequin. §

ARLEQUIN, avec un gros baril.

Ah bonjour Gilles ; comment te portes-tu ?

GILLES.

Fort bien, sans argent, sans embarras ; et toi ?

ARLEQUIN.

Je me suis mis dans le négoce, de la marchandise.

GILLES.

Diantre ! Eh que vendez-vous donc ?

ARLEQUIN lui faisant sentir une sonde qu’il tire du barril.

Tenez, voyez si vous connaissez cette marchandise ?

GILLES se bouchant le nez.

Pardienne, oui, j’en fais tous les jours, c’est de la merde ; est-ce que cela se vent ?

ARLEQUIN.

Vraiment oui, on en a même un grand débit ; d’où venez vous donc ?

GILLES.

Jamais je n’en ai entendu parler, et j’en vois tant dans les rues auxquelles on ne touche point.

ARLEQUIN.

C’est qu’il y a tant de gens qui ont d’autres professions, qu’ils ne pensent point à cela.

GILLES.

Mais moi qui vous parle qui ne sais point de métier, je n’y ai jamais pensé non plus. Oh combien j’en ai perdu ! Mais à qui vend on cela ?

ARLEQUIN.

Ô bien des gens, mais surtout aux Apothicaires. Tenez vous-là, vous allez voir.

SCÈNE VI. Gilles, Arlequin, L’Apothicaire. §

ARLEQUIN.

Voudriez-vous, Monsieur, acheter ma marchandise, j’en ferai bon marché !

L’APOTHICAIRE.

Voyons, Monsieur, voyons.

ARLEQUIN.

Goûtez, Monsieur, examinez, vous n’en trouverez pas de meilleure.

L’APOTHICAIRE.

La marchandise pourrait être mieux conditionnée. Mais voyons, le prix fait tout ; combien en voulez-vous ?

ARLEQUIN.

J’en veux sept écus.

L’APOTHICAIRE.

Allons, c’est trop : en voulez-vous cinq ?

ARLEQUIN.

Oh ! Je ne puis, Monsieur, j’y perdrais trop.

GILLES à part,

Il y perdrait ?

ARLEQUIN.

6

Croyez-moi, Monsieur, ne me laissez point aller. Je fournis un de vos confrères qui ne barguignera pas lui, il m’en donnera peut-être davantage.

L’APOTHICAIRE.

Tenez donc, voilà vos sept écus, puisque vous n’en voulez rien rabattre.

SCÈNE VII. Gilles, Arlequin. §

ARLEQUIN.

Hé bien, ne l’ai-je pas bien vendu ? Et si la marchandise allait, j’en aurais eu bien davantage.

GILLES.

Pardienne voilà qui est admirable ! Je ne l’aurais pas cru si je ne l’avais vu. Allons voilà qui est fait. Je me fais Marchand de Merde ; je cherchais une profession, celle-là n’est pas difficile, je serai Maître tout d’un plein saut, et Catin n’aura plus rien à me reprocher. Monsieur z’Arlequin je vous suis bien obligé.

SCENE VIII. §

ARLEQUIN, seul riant.

Le drôle de corps ! Je lui ai donné là un métier avec lequel il va faire une grande fortune, mais du moins notre quartier sera propre, il ne chiera plus à notre porte, et Monsieur Liandre me donnera pour boire. Voici l’Apothicaire qui ne me paraît pas content de sa marchandise, sauvons-nous.

SCÈNE IX. §

L’APOTHICAIRE.

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Si je pouvais tenir cet insolent, cet affronteur qui m’a vendu de la merde pour du miel, je lui ferais bien voir que ce n’est pas à un Apothicaire qu’il faut se jouer. Je n’ose me plaindre de la friponnerie qu’on m’a faite, car tout le monde encore se moquerait de moi. Que faire ? Il faut prendre patience en enrageant.

SCÈNE X. L’Apothicaire, Gilles avec un tonneau. §

GILLES.

Qui veut de ma merde ? Argent de ma merde ; c’est de la fraîche.

L’APOTHICAIRE.

Voilà un de ces affronteurs, ou quelqu’un qui veut se moquer de moi.

GILLES.

Ah ! Monsieur, profitez du bon marché, je suis pressé de vendre.

L’APOTHICAIRE.

Vous êtes un insolent.

GILLES.

Monsieur, Monsieur, on ne traite point un honnête marchand comme vous faites.

L’APOTHICAIRE lui donnant un soufflet.

Un Marchand de mon cul.

GILLES.

Je parie que votre cul n’en fait pas de si bonne que celle-ci. Mais goûtez avant que de mépriser la marchandise, vous verrez qu’elle vaut mieux que celle de tantôt.

L’APOTHICAIRE prenant un bâton.

Ce coquin ci payera pour l’autre.

GILLES.

Vous avez donné tantôt sept écus pour un petit baril ? Hé bien je vous donnerai celui-ci qui est trois fois plus gros pour dix écus, comptez que c’est une trouvaille.

L’APOTHICAIRE, le battant et lui cassant le tonneau sur le corps.

Tiens Marchand de Merde, garde ta marchandise pour toi et t’en va.

GILLES, seul.

Au voleur, au voleur, je suis un homme ruiné, il n’y a plus de police ici.

SCÈNE XI. Léandre, Arlequin, Gilles. §

ARLEQUIN.

Qu’as-tu donc à crier ?

GILLES.

Ah ! Mon confrère, vous voyez comment on traite les marchands.

ARLEQUIN.

Il faut faire une plainte devant Monsieur le Commissaire.

GILLES.

J’y consens.

ARLEQUIN.

Tu as peut-être aussi fait quelque faute ? Le métier n’est cependant pas difficile.

GILLES.

Non vraiment» je vous assure, la marchandise était bonne, sentez plutôt, vous devez vous y connaître. Ce vilain apothicaire de mon cul, n’a seulement pas voulu la goûter.

ARLEQUIN.

Il était peut-être enrhumé ?

LÉANDRE.

Il faut espérer, Monsieur Gilles, que vous serez plus heureux une autrefois ; continuez toujours.

GILLES.

Pardienne, Monsieur, je suis bien dégoûté du commerce.

LÉANDRE.

Croyez-moi cependant, ne venez plus chier à la porte des gens, gardez votre marchandise pour vous.

ARLEQUIN.

Nous t’avons donné sur le corps la pièce de ton échantillon...

SCÈNE DERNIÈRE. Léandre, Arlequin, Gilles, Catin. §

CATIN.

Hé mon pauvre Gilles, comment te voilà fait, on ne saurait t’approcher.

GILLES.

Tu vois, j’ai voulu lever boutique pour être en état de t’épouser, je me suis fait Marchand de Merde.

CATIN.

Je le sens bien nigaud ; je ne veux pas d’un mari qui soit aussi sot, je veux que ce soit moi qui le fasse. Votre servante, Monsieur.

Elle s’en va.

LÉANDRE.

Ni moi d’un voisin qui vienne tous les jours chier à ma porte.

Il sort.

ARLEQUIN.

Et moi je ne veux jamais parler z’à un homme qui sait aussi mal vendre sa marchandise.

GILLES.

Adieu donc. Pardienne aussi la vie du monde est bien difficile.