SCÈNE PREMIÈRE. Le Marquis, Lépine, Laquais, Cochers. §
Le Marquis est en frac fort simple. Lépine et les Laquais ont des habits gris galonnés en argent, et des chapeaux avec des plumets blancs.
LE MARQUIS, tenant un dessein.
ARIETTE.
De ma voiture nouvelle
Est-ce-là le modèle ?
Il est assez bien.
Je veux, pour mon mariage,
5 Avoir cet équipage ;
Que l’on n’épargne rien.
À un Laquais.
Vite, à Paris, allez, la France ;
Que l’on travaille en diligence,
Et rapportez, en revenant,
10 Ces Magots pour le Président.
À un second Laquais.
Vous, la Fleur, passez chez Hortense,
Chez Cydalise, chez Constance,
Dites-leur qu’au premier moment,
Je les verrai certainement.
15 Mais qu’on abrège les mystères :
De ce tracas,
Je suis, si las !
J’ai trop d’affaires,
Je n’y tiens pas.
Au troisième Laquais.
20 Qu’on mette les chevaux.... Lépine,
Où donc est ce cocher, qu’on dit des plus adroits ?
LEPINE présente au Marquis un homme d’une taille ordinaire.
Le voici, Monsieur.
LE MARQUIS.
Le voici, Monsieur. Quoi ! Tu plaisantes, je crois.
LEPINE.
C’est un très bon cocher.
LE MARQUIS.
C’est un très bon cocher. Il est petit, sans mine...
LEPINE présente au Marquis un grand homme bien fait.
Peut-être celui ci vous conviendra-t-il mieux ?
LE MARQUIS, d’un air de satisfaction.
25 Ah ! passe encor. Voilà du moins un homme.
Je le retiens.
LEPINE.
Je le retiens. Il n’est pas trop fameux.
LE MARQUIS.
Il est grand et bienfait. Sais-tu comme il se nomme ?
LE MARQUIS.
Brillant. Le nom est heureux.
Là -bas prends soin de le conduire,
30 Et quand tout sera prèt, tu viendras me le dire.
SCÈNE II. Le Marquis, Dainval. §
DAINVAL à part, en entrant.
Ah ! Voici le Marquis. On le dit mon rival.
Sachons s’il est aimé.
LE MARQUIS.
Sachons s’il est aimé. Bonjour, mon cher Dainval ;
Qui t’amène en ces lieux ?
DAINVAL.
Qui t’amène en ces lieux ? J’y suis pour quelque affaire ;
Mais toi, Marquis, qu’y viens-tu faire ?
LE MARQUIS.
35 Tu connais à Paris la Comtesse Dorgé,
Sœur d’un certain Baron, Seigneur de ce village.
Pour me donner sa nièce, elle a tout arrangé,
Et j’ai, sur sa parole, entrepris le voyage ;
Mais je n’ai pu trouver en arrivant ici,
40 Que la mère et la fille avec beaucoup d’ennui,
Le Baron, m’a-t-on dit, est un homme sauvage,
Amateur de ses prés, de ses eaux, de ses bois,
Et qui de son château n’est sorti qu’une fois.
Ce doit être, je pense, un plaisant personnage !
DAINVAL.
45 C’est un homme sensé, qui ne vit que chez lui.
LE MARQUIS.
Absent depuis un mois, il arrive aujourd’hui.
Sa femme peut passer comme on passe en province ;
Car tout est en ces lieux d’un mérite si mince !
DAINVAL, avec inquiétude.
Et la fille ? Elle est belle. Épris de ses attraits,
50 Sans doute en arrivant, dès la première vue,
Tu fixas tes désirs.
LE MARQUIS.
Tu fixas tes désirs. Je ne l’ai pas trop vue.
DAINVAL.
Et tu vas l’épouser ?
LE MARQUIS.
Et tu vas l’épouser ? Que m’importent ses traits ?
Je ne viens point adorer ma bergère,
Et filer à ses pieds les sentiments parfaits.
55 Ma femme me sera toujours fort étrangère.
DAINVAL.
Se marier ainsi, c’est assez l’ordinaire.
Sans trop examiner, l’époux, comme un joueur,
Des effets du hasard attend tout son bonheur.
LE MARQUIS.
Air : n° 1.
Le mariage
60 N’est plus un esclavage
Dont on redoute les rigueurs.
S’il nous offre encore une chaîne,
Ce n’est qu’une chaîne de fleurs,
On la brise sans peine.
65 La liberté, l’âme de ce lien,
Ôte à présent l’épine de la rose.
De soi-même chacun dispose,
Et chacun s’en trouve assez bien.
SCENE III. LEPINE, LE MARQUIS, DAINVAL. §
LEPINE, au Marquis.
Monsieur, votre voiture est prête, on vous attend.
DAINVAL.
70 Ah ! Ah ! Quelle magnificence !
L’habit de tes valets est tout-à-fait brillant.
LE MARQUIS.
Il n’est pas des plus mal, je pense.
LE MARQUIS.
Très bien. Et le chapeau ?
DAINVAL.
Très bien. Et le chapeau ? Tout en est élégant.
LE MARQUIS.
Cet habit n’est-il pas mille fois plus galant
75 Que les sombres couleurs d’une triste livrée ?
DAINVAL.
Peut-être est-il moins noble.
LE MARQUIS.
Peut-être est-il moins noble. Aujourd’hui les Seigneurs,
Pour de bonnes raisons, ont quitté les couleurs.
DAINVAL.
La Province bientôt, par tes soins éclairée,
Va prendre tout un autre ton ;
80 Mème on dit que tu veux, sensible aux ridicules,
Sur l’honneur, la vertu, le mépris, la raison,
De nos Provinciaux dissiper les scrupules,
Et de tout préjugé l’aveuglement fatal.
LE MARQUIS.
On ne voit tout ici qu’à travers un cristal.
85 Le mépris est un mot ; l’honneur une chimère ;
L’innocence, un beau titre auquel on ne croit guère :
La raison, un masque emprunté
Pour cacher la difformité :
La vertu, le talent de vendre sa défaire :
90 Le sentiment, le fard d’une vieille coquette,
Qui de ses yeux éteints veut bien donner avis :
Et la fidélité, terme du vieux langage,
Un droit fort incertain, vanté par les maris ;
Mais dont aucun encor n’a pu trouver l’usage.
SCÈNE V. Julie, Dainval. §
DAINVAL.
Ah ! Vous voilà , belle Julie !
Rassurez un coeur incertain.
JULIE.
Que craignez-vous, Dainval ?
DAINVAL.
Que craignez-vous, Dainval ? Excusez, mais enfin
100 Il y va du bien de ma vie.
Le Marquis vous voit tous les jours,
Peut-être est-il fait pour séduire.
JULIE.
Pouvez-vous me tenir un semblable discours,
Et dans mes yeux ne savez-vous plus lire ?
Air.
105 Les dehors les plus séduisants
Ne touchent pas toujours une âme.
Ce n’est que pour les cœurs constants
Que l’Amour fait briller sa flamme.
Je ne connais point l’art trompeur
110 D’abuser l’Amant que j’engage ;
Et je laisse parler mon cœur.
C’est mon plus cher langage.
II. COUPLET.
Bannissez tout soupçon jaloux :
Ne suis-je pas toujours la même ?
115 Pour moi, c’est un plaisir bien doux
De vous dire que je vous aime.
Mon bonheur serait assuré
Si je pouvais faire le vôtre.
Le bonheur d’un objet aimé
120 Devient toujours le nôtre.
SCÈNE VII. Marton, La Baronne, Julie, Le Baron, Dainval, Blaise. §
LE BARON, à Blaise.
QUINQUE.
1
Maraud, je te rouerai de coups.
BLAISE.
Morgué, je n’y pouvais que faire.
JULIE.
Ah ! Mon père,
Que j’ai de joie à vous revoir !
LE BARON.
140 Je vais t’apprendre ton devoir.
DAINVAL.
Baron, calmez votre colère.
LA BARONNE.
Eh ! mais, Monsieur, y pensez-vous ?
LE BARON.
Laissez-moi l’assommer de coups.
LA BARONNE.
Continuez, Monsieur ; de votre humeur bourrue
145 Faites sentir les traits à toute la maison.
LE BARON.
Les femmes ont toujours raison.
À Dainval.
Tu connais, mon ami, cette belle avenue
Qui conduit à mon bois par trois chemins égaux.
Madame, sur l’avis d’un fat rempli d’audace,
150 L’a fait jeter en bas, pour en faire une place
Où Monsieur à présent exerce ses chevaux.
Ma maison aujourd’hui me paraît étrangère.
Ma basse-cour n’est plus qu’un manège à présent.
Ma grange une remise, et d’un clos excellent
155 On a pris la moitié pour en faire un parterre.
À Blaise.
C’est ce coquin.
BLAISE.
C’est ce coquin. C’était bien malgré moi, Monsieur.
Nous avions là des choux d’une si bonne meine !
Quand je les arrachais, ça me fendait le cœur.
LA BARONNE au Baron.
On voudrait embellir votre triste domaine.
160 Mais vous avez si peu de goût !
LE BARON.
Trêve à vos ornements. Pensons au nécessaire.
Corbleu, si l’on vous laissait faire,
Nous pourrions avant peu manquer ici de tout.
Je ne prends point, pour me conduire,
165 L’avis d’un élégant si pressé de détruire.
ARIETTE.
Dans ma maison
Ce Petit-Maître
Prétend-il être
En droit de donner le ton ?
170 Pour former des salles nouvelles ;
Il fait abattre mes tourelles,
Et changer mon pavillon.
Ici tout est au pillage :
Des valets insolents,
175 Pour dresser leurs chevaux fringants,
Sans penser au dommage,
Courent à travers champs,
Et portent par-tout le ravage.
Mes prés sont écrasés ;
180 Mes bleds sont renversés.
Morbleu, quatre tonnerres,
Poussés par un vent orageux,
Pour mes terres
Seraient moins dangereux.
LA BARONNE.
185 Osez-vous regretter deux mauvaises tourelles,
D’une antique chaumière enseignes éternelles.
Votre nouveau Château pourra vous faire honneur.
Voulez-vous avoir l’air d’un campagnard stupide,
De ses fossés bourbeux défenseur intrépide,
190 Et de son pont-levis superbe admirateur ?
LE BARON.
Comment donc ! ce petit Monsieur,
Que je ne connais point et ne connaîtrai guère,
Dans ces lieux adressé par ma folle de sœur,
Chez moi de prime abord fait le réformateur ;
195 Et prétend corriger une province entière !....
Mais j’entends des chevaux ; je pense que c’est lui.
Je vais lui parler net, et je saurai lui dire
Sans façon ma pensée.
LA BARONNE.
Sans façon ma pensée. Et moi, je me retire.
Je ne veux point rougir de votre air impoli.
Elle sort avec Julie et Marton.
LE BARON.
À Blaise.
200 Tant mieux. Toi, prends le soin d’observer aujourd’hui
Ma fille, et le Marquis.
BLAISE.
Ma fille, et le Marquis. Il suffit ; laissez faire,
Je vous rendrai de tout un compte fort sincère.
Elle sort.
SCÈNE VIII. Le Marquis, Dainval, Le Baron, Lépine. §
LE MARQUIS à Lépine, en entrant.
Le Marquis en frac, un fouet à la main.
Ces chevaux sont si vifs qu’on craint de les toucher.
LE BARON, à part.
Il est avec son cocher.
205 Il faut encor par déférence
Ne lui rien dire en sa présence.
À Lépine.
Monsieur, votre humble serviteur.
Au Marquis.
Mon ami, laissez-nous.
À Lépine.
Mon ami, laissez-nous. Passez donc, je vous prie.
LE BARON.
Ah ! Monsieur. Sans cérémonie.
LE BARON.
Ah ! Point de façons.
LEPINE.
Ah ! Point de façons. Ah ! Monsieur.
LE BARON regardant le Marquis qui rit de la méprise.
Ce Cocher m’a tout l’air d’un insolent rieur.
À Lépine en mettant son chapeau.
Faites ainsi que moi, mettez-vous à votre aise.
Au Marquis.
Laissez-nous donc.
À Lépine.
Laissez-nous donc. Voulez-vous une chaise ?
DAINVAL.
Vous vous trompez, Baron.
LE BARON.
Vous vous trompez, Baron. Quoi ?
DAINVAL.
Vous vous trompez, Baron. Quoi ? Voilà le Marquis.
LE BARON.
215 Le Marquis !
DAINVAL.
Le Marquis ! Oui, vraiment.
LE MARQUIS.
Le Marquis ! Oui, vraiment. Cette erreur est divine !
LE BARON, en montrant Lépine.
Et ce Monsieur ?
DAINVAL.
Et ce Monsieur ? Ce Monsieur, c’est Lépine,
Un Valet.
LE BARON.
Un Valet. Un Valet ! Je me suis bien mépris.
Au Marquis.
Sous un tel attirail qui pourrait vous connaître ?
À Dainval.
Cet homme porte donc les habits de son maître ?
DAINVAL.
220 Non. C’est le sien.
LE BARON.
Non. C’est le sien. Le sien !
DAINVAL.
Non. C’est le sien. Le sien ! C’est le goût d’à présent.
LE BARON.
Je ne m’étonne plus s’il a l’air insolent.
DAINVAL.
La raison lutte en vain, la mode est la plus forte.
LE MARQUIS.
Tout vous surprend ici.
Il donne son fouet à Lépine.
LE BARON.
Tout vous surprend ici. Sans se rendre indiscret
Peut on demander qui vous porte
225 A vous masquer ainsi sous un dehors peu fait
Pour un homme de votre sorte ?
LE BARON.
Le plaisir. Le plaisir ?
LE MARQUIS.
Le plaisir. Le plaisir ? Je viens dans le moment
D’essayer six bidets, qui font un attelage
À se mettre à genoux devant.
LE BARON.
230 C’est donc un plaisir bien charmant
Que de conduire un équipage ?
LE MARQUIS.
Un plaisir ! je dis plus, un devoir. A présent
Paraître sur les Cours dans un diable élégant ;
Tout droit, et sans appui, d’un air fier, avec grâce,
235 De cent détours nouveaux tracer le court espace,
Modérer ses chevaux, les presser faiblement,
Animer tout-à -coup leur fougue impatiente,
Serrer le fantassin culbuté d’épouvante,
Dans un passage étroit courir rapidement,
240 Près d’un char renversé voltiger d’un air libre,
Et malgré les cahots soutenir l’équilibre,
D’un jeune homme éduqué c’est le premier talent.
LE BARON.
J’aperçois d’un coup d’œil que ces gens que l’on cite,
Qui dans Paris sont des héros,
245 Doivent souvent tout leur mérite
A la vigueur de leurs chevaux.
LE MARQUIS.
J’ai connu longtemps, je vous jure,
Une femme charmante, et d’un esprit divin,
Qui pour Amant jamais ne voulut d’un Robin,
250 Quoiqu’il fût très-bien de figure :
Mais il ne savait pas conduire une voiture,
Et surtout il tenait ses guides et son fouet
Comme une pièce d’écriture.
LE BARON.
Que m’importent les torts d’un petit freluquet ?
255 Traitons ensemble un fait de plus grande importance.
LE MARQUIS.
Je veux vous montrer un chef-d’œuvre d’élégance,
Le plus joli diable chinois.
LE BARON, impatienté.
Écoutez-vous les gens par fois ?
Paris ne forme pas des tètes bien parfaites.
260 Excusez, je suis franc, un Campagnard tout rond.
LE MARQUIS.
Je le vois bien, Monsieur.
LE BARON.
Je le vois bien, Monsieur. Pour plaire à des caillettes
On immole à l’éclat ses biens et sa raison.
LE MARQUIS.
Le seul homme du jour jouit de l’avantage
De fixer tous les yeux.
LE BARON.
De fixer tous les yeux. Le brillant apanage
265 À troquer contre du bon sens !
Nous savons en Province employer mieux le temps.
LE MARQUIS.
Dans le monde veut-on paraître un personnage :
Il faut par les dehors subjuguer les esprits,
Prendre un ton décisif, l’afficher sans scrupule,
270 Pour se faire admirer parcourir tout Paris,
Sur chacun en passant jeter un ridicule,
Au Spectacle du jour arriver à grand bruit,
Dans chaque loge entrer, quoiqu’on n’ait rien à dire,
N’y rester que le temps de montrer un habit,
275 Au milieu des foyers ameuter la satyre,
Tout haut sur l’escalier confier ses secrets,
D’un ton impatient appeler ses valets,
Annoncer en partant quelque réduit commode,
Où l’on voit tour à tour les Beautés à la mode ;
280 Les jouer, les tromper toutes également,
D’un changement heureux se réserver la gloire,
D’un jaloux que l’on dupe éterniser l’histoire,
Forger même au besoin un triomphe saillant ;
Le plaisir est un Dieu que la contrainte atterre.
285 À de brillants succès l’aimable homme attendu,
Doit chercher le grand jour, doit rougir de se taire.
Il est anéanti, perdu,
Si dans la foule une fois confondu
On peut le forcer au mystère.
LE BARON.
290 Adieu, Monsieur. Je vois que vos gens merveilleux,
S’ils étaient moins connus, en vaudraient beaucoup mieux.
SCÈNE IX. Le Marquis, Dainval. §
LE MARQUIS.
L’Aimable Seigneur ! ah ! j’enrage !
Qu’on doit être flatté de vivre en un village !
On assure pourtant que, follement épris,
295 Tu viens dans ce canton filer l’amour champêtre.
Je ne te croyais pas aussi dupe.
DAINVAL.
Je ne te croyais pas aussi dupe. Marquis,
S’attacher en ces lieux, c’est éviter de l’être.
Un objet raisonnable et des Grâces chéri
Apporte à son époux le bonheur de la vie.
LE MARQUIS.
300 Tu la prends donc un peu jolie ?
LE MARQUIS.
Elle est belle. Tant mieux.
DAINVAL.
Elle est belle. Tant mieux. Comment ? Tant mieux.
LE MARQUIS.
Elle est belle. Tant mieux. Comment ? Tant mieux. Eh ! oui.
Abondance de bien est l’âme du commerce.
DAINVAL.
Propos d’avantageux dont la langue s’exerce.
LE MARQUIS.
Tu crois aux feux constants. Je ne te savais point
305 Novice encore à pareil point.
ARIETTE.
Badinons la tendresse,
C’est le vrai moyen de jouir ;
Le plaisir
Toujours intéresse.
310 On rit des époux amants :
Toutes nos Belles
Savent depuis long-temps
Que l’Amour porte des ailes.
DAINVAL.
Je rends plus de justice à ce sexe charmant.
315 Du monde, en ces beaux jours, le premier ornement.
La vertu, la douceur, forment son caractère,
Et l’air décent pare encor sa beauté.
La femme vertueuse, avec le don de plaire,
Est un rayon de la Divinité.
DAINVAL.
Adieu. Quoi donc ?
LE MARQUIS.
Adieu. Quoi donc ? Je fuis, pour sauver ma défaite.
Si je restais encor quelques instants,
Tu me déciderais à prendre une houlette.
DAINVAL.
Ne crains rien ; je ne puis demeurer plus longtemps.
La Baronne paraît. Je lui cède la place.
SCÈNE X. Le Baronne, Le Marquis. §
LA BARONNE.
325 Marquis, irons-nous promener ?
LE MARQUIS.
Vous obéir, pour moi c’est une grâce ;
Et c’est à vous, Madame, d’ordonner.
LA BARONNE.
Ferons-nous quelque visite ?
LE MARQUIS.
Comme il vous plaira. Mais...
LA BARONNE.
Comme il vous plaira. Mais... Ah ! Je vous en tiens quitte.
330 Nos Campagnards ne sont pas amusants.
LE MARQUIS.
Pardonnez ; quelquefois ils sont assez plaisants.
J’aime l’air affairé, les manières discrètes
D’un conteur suranné, qui des vieilles gazettes
Daigne dix fois par jour vous détailler les faits :
335 Ou le feu d’un Chasseur qui vous dira l’histoire
De ses lévriers, de ses bassets,
Et vous donnera le mémoire
De tous les exploits qu’ils ont faits.
LA BARONNE.
Il est charmant !
LE MARQUIS.
340 Surtout rien n’est plus admirable,
Que l’air et sublime et capable
D’un Bel-esprit l’honneur du nom provincial,
2
Par quelque logogriphe arrivant à la gloire,
Et se croyant inscrit au Temple de Mémoire,
345 Quand il est enterré dans un triste Journal.
LA BARONNE.
Et les femmes, Marquis ? J’en connois d’excellentes,
D’insipides beautés, des graces nonchalantes :
L’éternelle Clarice aux yeux tendres et doux,
Qui veut à quarante ans ètre encor adorée ;
350 Laure, qui vit très-bien avec son cher époux,
Depuis qu’elle en est séparée ;
La précieuse Eglé, qui dit
Que les hommes bien faits sont toujours pleins d’esprit ;
Et la bigote Arténice,
355 De tous nos jeunes gens la bonne protectrice.
Vous riez ! Il est vrai pourtant
Qu’à parler mal d’autrui, j’ai très peu de penchant...
Ah ! voici le Baron.
LE MARQUIS.
Ah ! voici le Baron. Souffrez que je vous quitte.
Par amitié pour moi, sauvez-moi sa visite ;
360 Je reviendrai bientôt en habit plus décent.
SCÈNE XII. La Baronne, Blaise, La Baron. §
BLAISE.
Monsieur, je vians charcher mon congé tout à ç’t’heure.
LE BARON.
Pourquoi donc ?
BLAISE.
Pourquoi donc ? Y n’est pas moyen que je demeure :
380 Votre Marquis me fait trop enrager.
LA BARONNE.
Que dit donc ce nigaud ?
BLAISE.
Que dit donc ce nigaud ? C’est bian pis qu’un parterre.
Y va, si l’on le laisse faire,
Ranvarser tout le potager.
LE BARON.
En voici bien d’un autre !
BLAISE.
En voici bien d’un autre ! Y s’est mis dans la tète
385 Certain micmac auquel je n’entends rien, tout net ;
Il vient de m’assurer qu’il faut que je m’apprête
À travailler demain afin d’en voir l’effet.
J’aime mieux m’en aller.
LE BARON.
J’aime mieux m’en aller. Quel est donc ce projet ?
BLAISE.
ARIETTE.
Morgué, pour moi c’est un grimoire :
390 De mon esprit j’use eu vain les ressorts.
Je ne sais ce que j’en dois croire ;
Il faut qu’il ait le diable au corps.
Il prétend que je lui donne
Des pèches dans le Printemps,
395 Des cerises en Automne,
Et des fraises en tout temps.
J’ai beau lui faire entendre,
Qu’il faut attendre
La saison de chaque fruit :
400 Il en rit.
Quelque jour il mettra le jardin dans la cave.
Le Soleil, selon son dicton,
Pour mûrir n’est pas assez bon.
Pour faire pousser une rave,
405 Une asperge, un melon,
Il ne lui faut que du charbon.
Enfin tant est qu’il dit que les fruits de l’Automne
Ne sont faits que pour un manant,
Et que toute honnête personne
410 Doit en manger six mois devant.
LE BARON, à la Baronne.
Vous voyez.
LA BARONNE.
Vous voyez. Oui, je vois que le travail étonne
Un lâche, un paresseux.
BLAISE.
Un lâche, un paresseux. Pargué, suis-je sorcier ?
SCÈNE XV. Le Marquis, Julie, Marton. §
LE MARQUIS.
Peut-on vous interrompre, et voulez-vous permettre
Qu’on vous fasse sa cour ?
JULIE.
Qu’on vous fasse sa cour ? Monsieur.
LE MARQUIS.
Qu’on vous fasse sa cour ? Monsieur. Eh ! Quoi ! Déjà.
Vous rougissez. Mais pourquoi donc cela ?
460 Quittez ces manières bourgeoises ;
On ne rougit que dans le tiers-état.
Ces airs déconcertés, antiquités Gauloises,
De deux beaux yeux éteignent tout l’éclat.
Encor !... Depuis un mois que je vous gronde,
465 Quand prendrez-vous le ton du monde ?
JULIE.
Ce monde, selon vous, est donc bien merveilleux ?
LE MARQUIS.
Certainement.
JULIE.
Certainement. J’en connais peu l’usage.
Je voudrais cependant que l’on pût à mes yeux,
Sous des traits ressemblants en présenter l’image.
LE MARQUIS.
470 On peut vous satisfaire. Ah ! Passe pour cela :
J’approuve fort ce désir-là .
Vous devenez intéressante.
JULIE.
Des Dames de Paris la vie est si charmante,
Si l’on en juge d’après vous,
475 Que je voudrais peser leur destin et le nôtre,
Sans avoir pourtant lieu d’en souhaiter un autre :
Le mien me paraît assez doux.
ARIETTE.
La Nature,
Chez nous simple et pure,
480 Méconnaît tout art,
Abjure le fard,
Et fuit l’imposture.
La Nature,
Chez nous simple et pure,
485 Sans réserve assure
D’un tendre cœur
Le bonheur.
Non, non, la vaine apparence,
N’est pas un bien :
490 On ne compte pour rien
Tout l’éclat de l’opulence :
Et l’on pense
Que la félicité
Est dans la vérité.
495 La Nature, etc.
LE MARQUIS.
Cette vie uniforme, entre nous, est peu faite
Pour fixer les désirs ; mais daignez un instant
M’écouter, et bientôt une leçon complète
Saura vous mettre au fait des grands airs d’à présent.
ARIETTE.
500 Les premiers moments d’une belle
Sont dits au plaisir de se voir.
La gaieté doit briller chez elle ;
L’ennui fuit devant un miroir :
A tout ce qu’alors on peut dire,
505 Elle répond par un sourire :
Femme qui sourit joliment,
A de l’esprit infiniment.
Dès que la toilette est finie,
On prend un air plus nonchalant.
510 Quand on reçoit la compagnie,
On est malade absolument.
Une petite maladie
Sied toujours à femme jolie.
Quelque mode, un petit chien,
515 Font tous les frais de l’entretien.
Dans le souper, vive et légère,
Elle prend tous les tons pour plaire.
Les liqueurs, dans tous les yeux,
De l’Amour font passer les feux ;
520 Les plus laides sont embellies :
C’est l’instant des bonnes folies.
On parle, on badine, on rit,
On boit, on chante, et l’on médit.
Le Bal enfin devient pour elle
525 Le moment heureux du plaisir.
Elle y paraît toujours nouvelle,
Et l’air mutin sait l’embellir.
Partout sous le masque elle obsède,
Raille, poursuit, lutine, excède ;
530 Chacun fuit en l’admirant.
Est-il un plaisir plus charmant ?
JULIE.
De vos bontés, Monsieur, je suis reconnaissante.
Je vous en remercie, et je sors très contente.
Rien ne m’a paru si plaisant.
Elle sort.
SCÈNE XVIII. Le Marquis, Marton, sur le devant du Théâtre, Le Baron, La Baronne, Blaise, au fond. §
MARTON, au Marquis.
Votre façon d’aimer est tout-à-fait commode ;
Mais croyez-vous, Monsieur, qu’en suivant cette mode,
560 Vous plairez à Julie ainsi qu’à ses parents ?
LE MARQUIS.
De plaire à son épouse on a toujours le temps.
Quant au Baron, que m’importe ?
Un franc Provincial.
LE BARON.
Un franc Provincial. Comment ! Morbleu.
LA BARONNE.
Un franc Provincial. Comment ! Morbleu. Paix donc.
Faut-il, pour un seul mot, se cabrer de la sorte ?
LE MARQUIS.
565 Un campagnard épris de son petit canton,
Ayant pour ses lapins une estime profonde,
Et surtout admirant, d’un air toujours surpris,
Le goût de son Château bâti sous Charles-VI.
LA BARONNE.
Je vais... Écoutez donc ?
LE MARQUIS.
Je vais... Écoutez donc ? Sans usage du monde,
570 Tout fier de sa récolte et par-tout étranger
Hors de sa ferme et de son potager.
LA BARONNE, arrêtant le Baron qui veut interrompre le Marquis.
Doucement ; ce qu’il dit est assez véritable.
LE MARQUIS.
Pour sa chère moitié, qui veut faire l’aimable,
C’est une folle.
LE BARON.
C’est une folle. Ah ! Bon.
LA BARONNE.
C’est une folle. Ah ! Bon. Comment !
LE BARON.
C’est une folle. Ah ! Bon. Comment ! Paix.
LE MARQUIS.
C’est une folle. Ah ! Bon. Comment ! Paix. D’un souris
575 La Belle quelquefois veut flatter ses amis ;
Mais par malheur se trompe, et fait une grimace.
LA BARONNE.
Peut-on plus loin pousser l’audace ?
LE BARON.
À votre tour, parbleu.
LE MARQUIS.
À votre tour, parbleu. Qui, d’un coup de pinceau,
Pense sur ses voisins jeter un ridicule,
580 Et ne s’aperçoit pas, tant la Dame est crédule,
Qu’elle-même devient le sujet du tableau.
LE BARON, arrêtant la Baronne qui veut interrompre le Marquis.
Doucement ; ce qu’il dit est assez véritable.
LE MARQUIS.
Oh ! c’est un couple admirable !
L’un est un bavard éternel ;
3
585 L’autre, un esprit tortu.
LA BARONNE.
L’autre, un esprit tortu. Sortez, Marton.
MARTON.
L’autre, un esprit tortu. Sortez, Marton. Ah ! Ciel !
Elle sort.
LE MARQUIS.
QUATUOR.
Ah ! Ah ! Ah ! Ah !
LE BARON.
Vous nous peignez de la belle manière.
LE MARQUIS.
Ah ! ah ! quoi ! vous étiez donc là ?
Rien n’est si plaisant que cela.
LA BARONNE.
590 Votre crayon ne flatte guère.
BLAISE.
Ah ! Vous n’aurez pas de chalands ;
Vos portraits sont trop ressemblants.
LE MARQUIS.
Ah ! L’aventure est singulière !
LE BARON, LA BARONNE, BLAISE.
Je pense encor qu’il en rira !
LE MARQUIS.
595 Rien n’est plaisant que cela.
SCÈNE XIX et dernière. Le Marquis, La Baronne, Le Baron, Julie, Dainval, Blaise. §
DAINVAL à Julie en entrant.
Laissez-moi lui parler. Il faut qu’on se décide.
Vous m’arrêtez en vain et rien ne m’intimide.
Au Baron.
Baron, vous connaissez les désirs de mon cœur ;
J’adore votre fille, et j’en fais mon bonheur.
600 Mais toute incertitude est pour moi trop pesante ;
Je n’en puis soutenir l’amertume accablante.
Du Marquis ou de moi, choisissez à l’instant.
LE MARQUIS.
Tu deviens mon rival. Le trait est excellent !
DAINVAL.
J’ai cette audace.
LE MARQUIS.
J’ai cette audace. Bon ! Pure plaisanterie !
DAINVAL.
605 Non. J’aime et c’est pour la vie.
LE MARQUIS.
Tant pis, et je te plains.
DAINVAL.
Tant pis, et je te plains. Comment ?
LE MARQUIS.
Tant pis, et je te plains. Comment ? Sans contredit.
Prends ton parti, crois-moi ; quelque espoir qui te flatte.
Tiens, lis, je te remets ton congé par écrit.
Il lui donne le billet de Julie.
DAINVAL.
Ah ! Ciel ! Qui l’aurait cru ?
LE BARON, à Julie.
Ah ! Ciel ! Qui l’aurait cru ? Quoi ! Vous osez.....
DAINVAL.
Ah ! Ciel ! Qui l’aurait cru ? Quoi ! Vous osez..... Ingrate !
610 Lisons : je veux assurer mon dépit.
Il lit.
La Nature, Monsieur, vous forma très aimable.
À Julie.
Très aimable !
LE MARQUIS.
Très aimable ! Eh ! Mais oui.
DAINVAL.
Très aimable ! Eh ! Mais oui. Ce style est admirable !
Il lit.
Embellissez Paris, qui sans vous plairait moins.
À Julie.
Fort bien.
Il lit.
Fort bien. Continuez à lui donner vos soins.
À Julie.
615 De mieux en mieux.
DAINVAL.
Lis donc ? Oui, oui.
LE MARQUIS.
Lis donc ? Oui, oui. Sois raisonnable.
DAINVAL.
Il lit.
Continuez à lui donner vos soins ;
Mais de les partager je me sens incapable.
Par des nœuds plus chers à mon cœur
620 En ces lieux mon âme est liée ;
Et je vous devrai mon bonheur,
Si de vous je suis oubliée.
Ah ! Julie ! Ah ! Marquis, je te suis obligé.
LA BARONNE, au Marquis.
Vous nommez cela son congé.
LE BARON.
625 En termes clairs et nets ce billet-là s’explique.
LE MARQUIS.
Voilà , sur ma parole, un tour charmant, unique !
À Dainval.
Tu me connais altéré J’ai tant vu de ces traits !
Par humeur on écrit ce qu’on dément après.
À Julie.
Sans adieu, belle Dame. Au premier jour j’espere
630 Recevoir de vos mains un billet plus sincère.
Il sort en riant.
LE BARON.
Je lui conseille encor de faire le plaisant !
LA BARONNE.
Dainval, ma fille a su vous plaire.
Avec plaisir à l’aveu de son père,
Pour vous voir son époux, je joins mon agrément.
635 Un fat peut quelquefois nous séduire un moment ;
Mais il n’obtient jamais un aveu légitime
Et l’honnête homme seul a droit à notre estime.
VAUDEVILLE.
L’éclat est le moyen de plaire
Dans ce siècle colifichet ;
640 La raison semble roturière,
Et devant le faste se tait :
Un brillant, un leste équipage;
Refrain.
D’un sot fait un grand personnage ;
Rien de vrai, beaucoup de clinquant ;
645 Voi-là les hommes d’à pré-sent.
Au refrain.
LA BARONNE.
Le petit Marchand, le Dimanche,
En cabriolet se fait voir.
A rendre la peau fine et blanche
Le Médecin met son savoir.
650 Le Vieillard donne à des Grisettes,
Et l’homme à talents fait des dettes.
Rien de vrai, beaucoup de clinquant ;
Voilà les hommes d’à présent.
JULIE.
Le joli Robin en épée
655 Siffle la petite chanson.
L’Abbé, droit comme une poupée,
Chante à son tour sur plus d’un ton.
Tous deux s’annoncent sans mystère
Pour les vrais héros de Cythère.
660 Rien de vrai, beaucoup de clinquant,
Voilà les hommes d’à présent.
BLAISE.
L’Avocat Babille babille ;
L’homme de cour promet beaucoup ;
Sans cesse le Savant compile :
665 Le Journaliste écrit sur tout.
Par le crédit brille un Notaire ;
Un Juge par son sécretaire.
Rien de vrai, beaucoup de clinquant :
Voilà les hommes d’à présent.