LA SYBILLE
PARODIE

M. DCC. LVIII. AVEC PRIVILEGE DU ROI.

Par M. H****. La Musique est de M. GIBERT.

Le Privilège, et l’Enregistrement se trouvent à la fin du Tome 3ème du Nouveau Recueil des Pièces représentées sur le théâtre de l’Opera-Comique depuis son rétablissement, etc.

APPROBATION. §

J’ai lu par ordre de Monseigneur le Chancelier, la Sybille, Parodie ; et je crois que l’on peut en permettre l’impression, ce 11 Novembre 1758.

Signé, CREBILLON.

À PARIS. Chez DELORME, rue du Foin, à l’Image Sainte Geneviève.

ACTEURS §

  • LA SYBILLE, Mme. Favart.
  • AZOR, M. Rochard.
  • EUPHROSINE, Mlle. Desglans.
  • FRANCOEUR, M. Chanville.
  • UNE VENDANGEUSE, Personnage muet.
  • L’AMOUR. Personnage muet.
La Scène est dans un verger.

SCÈNE PREMIÈRE. §

Le théâtre représente d’un côté un verger, et de l’autre l’antre de la Sybille.

AZOR, seul.

ARIETTE.
Amour lance dans mon âme
Tous tes traits.
j’aime pour jamais,
Pour jamais je m’enflamme.
5 Frappe, à tes coups mon coeur connaîtra tes bienfaits.
Amour lance dans mon âme
Tous tes traits,
Longtemps du Dieu de la Thrace
J’ai suivi la trace,
10 Je me trompais dans mes plaisirs.
Euphrosine a su me séduire
Et m’instruire
Sur mes désirs.

SCÈNE II. Azor, Francoeur. §

FRANCOEUR.

Air : Castagno castagna.
L’Amour fait dans ce temps
15 Bonne Vendange ;
Tandis que les Mamans
Prennent le change.
Pensent que l’on s’occupe
Au Verger
20 À Vendanger.
Amour qui n’est pas dupe
Justement prend ce temps-là.
Ta la la, etc.

AZOR.

Air : Ma Fanchon ne pleurez pas.
Francoeur est toujours joyeux

FRANCOEUR.

25 On doit bannir en Vendange
Tous les soucis ennuyeux,
C’est le temps où l’amour s’arrange.
Puis d’ailleurs le souci, dit-on,
N’est pas fait pour un bon Luron.
30 N’est pas fait pour un bon Luron.
Air : Ah! voila comme l’homme.
Quand par hasard j’ai du chagrin,
Je prends un doigt de Brandevin,
Je cours à l’instant chez ma Belle
Et le verre en main auprès d’elle
35 Mène l’Amour tambour battant.
Ah ! Voilà comme
L’homme
Peut-être content.
Air : Nous autres bons villageois.
De Bacchus et de l’Amour.
40 On célèbre aujourd’hui la fête ;
A signaler ce grand joui
La bonne Sybille s’apprête.
Cette Dame y présidera
Et là ses Oracles rendra ;
45 Puis l’Amour lui-même y viendra.

AZOR.

Ah ! Je sais trop qu’il y sera.

FRANCOEUR.

Air : Je veux chanter sur ma musette.
Le craignez vous mon Capitaine ?

AZOR.

Ces jours passés dans un jardin,
L’aurore paraissant à peine,
50 J’allai rêver, mais sans dessein.

FRANCOEUR.

Eh ! Quoi ce petit Dieu malin
Vous a-t-il causé quelque peine ?
Lorsqu’il se montre en ce séjour
C’est pour y faire un méchant tour.

AZOR.

Air : Noté n°1.
55 Sur un buisson de rose en rose,
Voltigeait un oiseau charmant.
Un enfant le voit, se propose
De s’en rendre maître à l’instant.
On n’apercevait que ses ailes
60 Peintes des plus vives couleurs ;
Hélas ! Elles étaient si belles
Qu’elles semblaient former des fleurs.
L’enfant, qui craint quelque dommage,
Me sourit, m’invite à l’aider.
65 Je me prête à son badinage ;
Ah ! M’y devais je hasarder !
L’oiseau, de dessous le feuillage,
Tout à coup s’envole en riant,
Dans les rets moi-même il m’engage :
70 L’oiseau, c’était un autre enfant.
Ah ! dit-il, tu voulais me prendre,
Tu soupireras désormais
C’est pour te punir et t’apprendre
1
À qui l’on doit tendre des rets.

FRANCOEUR.

Air : Monsieur de Catinat.
75 Vraiment c’est tout de bon.

AZOR.

Jusqu’ici trop léger
Je n’avais recherché qu’un plaisir passager :
Mais mon coeur aujourd’hui s’engage malgré moi
Et je pense qu’enfin j’aime de bonne foi.
Air : Quoi ma voisine es-tu fâchée.
Euphrosine qui m’a su plaire
80 A mille appas ;
Mais elle fait trop la sévère
On n’y tient pas.

FRANCOEUR.

Il faut savoir avec adresse
Saisir les temps,
85 En vendange une douce ivresse
Sert les amants.
ARIETTE.
Chaque bergère
En corset blanc,
Sur la fougère
90 D’un air galant,
Par une danse légère,
Fait naître les désirs
Appelle les plaisirs.
Le verre en main au milieu d’elles
95 Chaque Dragon chante ses feux.
Le doux plaisir séduit les belles
Et brille bientôt dans leurs yeux ;
Le vin rend plus tendre,
On ne peut s’en défendre;
100 Et l’Amour par un choc léger
Fait sonner l’heure du Berger.
Chaque bergère etc.

AZOR.

Air : De mon Berger Volage.
Pour dompter la plus fière
Il ne faut qu’un moment.
L’instant ou la manière,
105 Fait le sort d’un amant,
Euphrosine rebelle,
Ne peut que m’exciter ;
Pour soumettre une belle,
Un coeur doit tout tester.
ARIETTE.
110 De la Gloire terrible
Suspendons les travaux,
Cherchons, vainqueur paisible
Des triomphes plus beaux.
Il sort.

SCÈNE III. §

FRANCOEUR, seul.

Air : Quand je suis dans mon corps-de-garde.
Je vais aussi voir ma maîtresse,
115 Et lui parler tout nettement :
L’amant qui peint bien sa tendresse
Trouve toujours un bon moment.
Air Noté n°2.
De l’objet qu’Amour me garde
Si je dompte la fierté,
120 Les plaisirs, au corps-de-garde,
Vont signer un doux traité.
Entre nous jamais de guerre,
Ni dispute, ni procès,
Si l’amour vient nous en faire,
125 Lui-même en payera les frais.
Le soir après la retraite,
Tous deux nous boirons gaiement ;
Servi par cette poulette,
Que mon sort sera charmant !
130 La fête sera complète ;
Un repas simple et galant,
Près d’une vive brunette
Finit toujours joliment.
Après ma garde finie,
135 L’Amour fera battre au champ;
Le coup d’oeil d’une prairie
Souvent inspire un Amant.
Près d’un ruisseau qui murmure
S’élève un riant gazon ;
140 C’est un soin de la Nature,
Il n’est pas là sans raison.
Air : Sur le Pont d’Avignon.
Mais une Dame vient : Azor est avec elle :
Ici laissons-les seuls, et courons chez ma belle.

SCÈNE IV. Euphrosine, Azor. §

EUPHROSINE.

ARIETTE.
Dieu charmant,
145 Dieu de la tendresse,
J’ai fait choix d’un amant ;
En lui tout intéresse ;
Soutenez
Ma flamme timide,
150 Venez,
Soyez mon guide;
Quand je cède à vos attraits ;
Sauvez-moi les regrets.

AZOR.

Air : Ingrat berger qu’est devenu.
Vous rêvez seule en ce verger.

EUPHROSINE.

155 Me suivrez- vous sans cesse ?

AZOR.

D’un amant qui ne peut changes
Approuvez la tendresse.

EUPHROSINE.

Azor, je vous l’ai dit cent fois ;
De l’Amour je veux fuir les lois.

AZOR.

Air; N’aurai-je jamais un amant.
160 Et pourquoi tant haïr l’Amour,
Vous a-t-il joué quelque tour ?
Cela ne doit point étonner.

EUPHROSINE.

Pourquoi donc je vous prie ?

AZOR.

Peut-on ne pas lui pardonner,
165 Vous êtes si jolie.

EUPHROSINE.

Air Noté n°3.
Je trouve un jour sur l’herbette fleurie
Un petit arc, des flèches, un carquois ;
Je ne voyais pourtant dans la prairie
Aucun chasseur, et j’étais loin du bois.
170 D’abord j’ai peur, je m’enfuis au plus vite,
Puis je reviens, mais sans trop approcher ;
J’avance un peu, j’examine, j’hésite ;
J’avais pourtant grand désir d’y toucher.
Tout à l’entour avec soin je regarde ;
175 Je m’enhardis, me voyant sans témoin,
À m’en saisir alors je me hasarde ;
J’aurais mieux fait de les jeter bien loin.
Je prends un trait, j’admire sa figure ;
Il était d’or, il paraissait charmant :
180 Ah ! Tout à coup je sens une blessure,
Je fais un cri, j’entends rire à l’instant.
Ah ! Ah ! Vraiment vous êtes curieuse,
Dit une voix, mais à tort vous pleurez ;
Un autre jour vous serez plus heureuse,
185 Pour cette fois vous vous en souviendrez.

AZOR.

Air : Hélas, Maman, pardonnez, je vous prie.
Souvent l’on paye assez cher en la vie
Un seul instant de curiosité;
Mais ce n’est rien, aussi charmante envie
Ne peut chez vous qu’augmenter la beauté.

EUPHROSINE.

190 Faut-il hélas, souffrir toute sa vie,
Pour un instant de curiosité.

AZOR.

Air : Si les feux de tous les amants.
Pour guérir un pareil tourment,
Il faut faire choix d’un amant.

EUPHROSINE.

Non, non.

AZOR.

Vous êtes singulière,
195 Un tendre aveu vous déplairait.

EUPHROSINE.

Oui, Monsieur il m’offenserait.

AZOR.

Eh mais, vous seriez la première.
ARIETTE.
Une belle
Sur ce point
200 Fait en vain la cruelle,
On ne la croit point.
À votre âge on soupire
Pour un amant.
Vous avez beau dire
205 Autrement,
On n’en croit rien à présent.
Toujours jeune bergère
Sourit d’un tendre aveu,
Mais l’amant trop téméraire
210 Veut-il savoir si son feu
A su plaire,
D’abord on dit non, non, non,
Eh bon, bon, bon, bon,
En est-on la dupe aujourd’hui,
215 Tout bas votre coeur dit oui.

EUPHROSINE.

Air : Avec un Turc ordinaire.
Ah cachons-lui que je l’aime.

AZOR.

Que dites-vous, s’il vous plaît ?

EUPHROSINE.

Que ma surprise est extrême.

AZOR.

À vous on prend intérêt :
220 Oui, je veux vous être utile;
Je m’engage à vous former.
Mais montrez-vous plus docile,
Vous savez si bien charmer.

EUPHROSINE.

Air : Vaudeville d’Epicure.
Azor réprimez cette audace
225 Ah ! Que vous m’êtes odieux !
Et je vais vous quitter la place
Si vous ne sortez de ces lieux.

AZOR.

Trop d’ardeur a su lui déplaire
Ayons recours au sentiment.
230 Mais laissons passer sa colère
Je reviendrai dans un moment.

SCÈNE V. §

EUPHROSINE.

Air : De tout temps le jardinage.
Ah ! Quelle ardeur téméraire !
Si du moins elle est sincère,
Que mon sort sera charmant.
235 Mais, hélas, que je dois craindre
De voir quelque jour éteindre
Un feu qui paraît si grand.
ARIETTE.
Par la Gloire
Un Guerrier animé,
240 Souvent de la Victoire
Ne veut que l’honneur d’être aimé.
Sa flamme légère
N’est que passagère ;
Amour sauvez-moi ce tourment
245 Fixés mon amant.
N’est-on pas assez à plaindre
De craindre
Pour des jours si chers;
D’attendre
250 Dans mille ennuis divers
Le retour des hivers.
Pour un coeur tendre
Que de sujet de s’affliger !
Faut-il encore le voir léger.
Par la Gloire, etc.

SCÈNE VI. Azor, Euphrosine. §

AZOR.

Air : Depuis que j’ai quitté l’enfance.
255 L’Amour près de vous me rappelle,
Mais pourquoi cet air sérieux ;
Le courroux dépare une belle,
Et la douceur lui convient mieux.

EUPHROSINE.

Votre façon d’aimer m’étonne
260 Azor cessez de m’irriter,
Je ne dois plus vous écouter.
À part.
Ah ! Tout bas mon coeur lui pardonne.
Elle sort.

SCÈNE VII. Azor, Francoeur, entre après qu’Azor est sorti. §

AZOR.

Air : Que je regrette mon amant.
Elle me fuit, ah! suivons la.

FRANCOEUR.

Azor sort.
Ma Lisette est toujours sévère...
265 Mais mon Capitaine s’en va,
À sa belle il aura su plaire,
Car il paraît assez content.
Seul j’éprouve un cruel tourment.
Air : La bonne aventure.
La Sybille vient ici,
270 Ah ! Je me rassure ;
Pour mettre fin au souci
Que mon âme endure,
Parlons lui, je la prierai
Tant et tant que je saurai,
275 Ma bonne aventure
Ô gué,
La bonne aventure.

SCÈNE VIII. La Sybille, Francoeur, et suite. §

LA SYBILLE.

ARIETTE.
Fraîche jeunesse
D’amour pillez le jardin,
280 Lourde vieillesse
Ne tentez plus de larcin.
Dans l’âge de la sagesse,
À Paphos quand on n’est plus Roi,
Faut près de son feu rester coi.
285 Vieillard qui soupire
Pour fleur de beauté,
Toujours inspire
La gaîté ;
La fillette
290 Polie et discrète,
Écoute, mais tout bas s’en rit ;
Dans un coin amour applaudit.
Fraîche jeunesse
D’amour pillez le jardin,
295 Lourde vieillesse
Ne tentez plus de larcin.
Dans l’âge de la sagesse,
À Paphos quand on n’est plus Roi,
Faut près de son feu rester coi.
Air : Nous jouissons dans nos hameaux.
300 De tant bonne volonté
Profitez je vous prie ;
Parfois d’Amour on est tenté ;
Au moins une en sa vie.
Pour être heureux sous son pouvoir,
305 J’enseigne la science ;
À mon âge on peut au savoir
Joindre l’expérience.

LE CHOEUR.

Air Noté n°4.
Ah !
La bonne
310 Personne,
Ah ! L’excellent avis que voilà.

LA SYBILLE.

Pour plaire joli Sénateur,
De bons mots soyez grand diseur ;
Pas ne parlez de Code.
315 Surtout, à point, chez une Iris,
2
Décidez avec un souris
D’un ruban à la mode.

LE CHOEUR.

Ah !
La bonne
320 Personne,
Ah ! L’excellent avis que voilà.

LA SYBILLE.

Médecin ayez ton galant,
Babillez bien, soyez plaisant,
Changez la Médecine.
325 Faut n’appliquer votre art divin,
Qu’à donner la fraîcheur au teint,
À rendre la peau fine.

LE CHOEUR.

Ah !
La bonne
330 Personne,
Ah ! L’excellent avis que voilà.

LA SYBILLE.

3
De Plutus élève opulent,
Ne faut être chiche d’argent
Mais bien en faire usage ;
335 Donnez, comme joyeux présents,
Bijoux, maisons, chevaux fringants.
Et galant équipage.

LE CHOEUR.

Ah !
La bonne
340 Personne,
Ah ! L’excellent avis que voilà.

LA SYBILLE.

En vacance bel avocat
Quittez la robe et le rabat,
Mettez vous en épée,
345 Sifflez la petite Chanson,
Et tenez vous près de Lison.
Droit comme une poupée.

LE CHOEUR.

Ah !
La bonne
350 Personne,
Ah ! L’excellent avis que voilà.

SCÈNE IX. La Sybille, Francoeur. §

FRANCOEUR.

Air : La si, la son, la sombredondaine.
Ah ! Soulagez ma peine
La si, la son, la sombredondaine,
Je la supporte à peine,
355 Et j’en perds la raison,
Patati, patata, pataton.

LA SYBILLE.

Conte moi ton tourment.

FRANCOEUR.

4
J’aime un tendron charmant,
Mais ma recherche est vaine;
360 La si, la son, etc.
Pour vaincre l’inhumaine,
Il faudra du canon.
Patati, patata, etc.

LA SYBILLE.

Air : Ah ! Nicolas sois moi fidèle.
Ta Maîtresse est elle innocente ?

FRANCOEUR.

365 Vous qui, dit-on en savez tant,
Croyez-vous aussi qu’à présent,
Il est encore quelque ignorante ?

LA SYBILLE.

Pas beaucoup,

FRANCOEUR.

Surtout, dites donc,
Dans un pays de garnison.

LA SYBILLE.

Air : À présent je ne dois plus feindre.
5
370 Des Agnès de cette contrée
L’innocence est fort éclairée;
6
Les Sénateurs et les plumets,
Chacun les forme à sa manière.
7
Sans compter les petits collets
375 Qui les prennent à la lisière.
Air : Eh bien c’est une affaire faite.
Mon cher, si je puis t’être utile,
Parle, je m’offre à te servir,

FRANCOEUR.

Vous aimez à faire plaisir,
Vous êtes bonne autant qu’habile.
380 Ah l’excellent coeur que voilà!
Je vais vous raconter cela.
Air : Dans les Gardes Françaises.
Lorsque dans ce Village
Je vins en garnison,
J’allai selon l’usage,
385 Reluquer un tendron....
Air : Palsangué M. le Curé.
Dès que je vis son oeil fripon
Mon coeur ne fut plus rebelle,
Surtout morbleu, son joli pied mignon
Me fit tourner la cervelle.
Air : Ton humeur est Catherine.
390 Je débute en galant homme,
J’assomme tous mes rivaux.
8
Je paye et vin et rogomme
9
Et puis les petits cadeaux......
Air : Pour héritage.
En fille honnête
395 Elle prie tout au mieux
À chaque fête
Montrait un air joyeux......
Air : Là bas dessous ces verts pommiers.
Plus d’une fois sur le vert pré,
Farlarira dondé,
400 Ensemble nous avons.... sauté, dansé....
Air : Joués violons.
10
Mais aujourd’hui la péronnelle,
Fait avec moi la Demoiselle.
Quand je lui dis bonjour mon coeur....
Air : M. le Prévôt des marchands.
Elle répond, Monsieur Francoeur,
405 Finissez donc j’ons de l’honneur.....
Air : Habitants des galères.
Tredame
De moi se rit-on,
Ma flamme,
N’entend pas raison.
Air : Vas toujours Tambour battant.
11
410 Un Dragon doit en amourette
Faire toujours un feu roulant.
Ne battre jamais la retraite
Quoiqu’un coeur fasse le méchant.
Le menacer de l’escalade,
415 Présenter l’échelle aussitôt,
Et s’il ne bat la chamade,
Morbleu le prendre d’assaut.

LA SYBILLE.

Air : Bacchus disait pour m’exciter à boire.
N’aurais-tu pas parlé de mariage ?

FRANCOEUR.

Cela se peut.

LA SYBILLE.

En ce cas je te plains.

FRANCOEUR.

420 Quoi vous croyez que sur pareil langage
Fillette compte ?

LA SYBILLE.

Oui vraiment je le crains.

FRANCOEUR.

Air : Ma Voisine a fait un faux pas.
Palsambleu l’amour d’un Dragon
Dure autant que la garnison,
Adieu quand le printemps commence,
425 De son côté chacun s’en va.
Se marier, eh mais oui-da !
12
C’est agir contre l’ordonnance.

LA SYBILLE.

Air : Chacun à son tour.
Près d’une belle un militaire
Donne tous ses soins à charmer ;
430 Si d’abord on est peu sévère
C’est pour tâcher de l’enflammer.
Est il pris, la subtile fillette
Exige des preuves d’Amour.
Chacun à son tour,
435 Liron, lirette,
Chacun à son tour.

FRANCOEUR.

Air : Sa ne vous va brin.
S’il faut brusquer le mariage
Palsambleu je ferai le faut.
Je ne dois pas craindre un outrage ;
440 J’ai le bras bon et le coeur haut.
Soldat qui fait bien son service
N’a jamais peur qu’on le punisse,
Ah ! l’Hymen n’a rien d’effrayant,
Pour un bon vivant,
445 Un bon vivant.
Il sort.

SCÈNE X. §

LA SYBILLE.

Air : C’est un enfant.
CEuillons les roses de la vie,
Jouons sans cesse avec l’Amour ;
À ce volage ôtons l’envie,
De nous abandonner un jour.
450 Ah ! Pour l’ordinaire,
Il ne reste guerre
Quand il n’a plus d’amusement.
C’est un enfant. (bis.)
ARIETTE.
Si jamais sur mon passage
455 Je fais rencontre d’amour,
Ah ! Sais fort bien par quel tour ;
Je punirai ce volage.
Tout d’abord m’en saisirai,
Chez moi tôt le conduirai,
460 Sans cesse l’amuserai
Par quelques fêtes nouvelles.
Ah ! Je le chérirai tant,
Je le caresserai tant, tant, tant, tant.
Que le petit inconstant,
465 Oubliera qu’il a des ailes.

SCÈNE XI. Azor, La Sybille. §

AZOR.

Air : Réveillez-vous belle endormie.
13
Madame excusez mon audace,
Mais je voudrais vous consulter.

LA SYBILLE.

Monsieur c’est me faire une grâce
Et m’offenser que d’en douter.

AZOR.

Air : Je ne sais pas écrire.
470 En ces lieux j’aime une Beauté;
Pour lui plaire j’ai tout tenté,
Mais elle en est plus fière.

LA SYBILLE.

Quoi tous vos soins sont superflus ?

AZOR.

Cela me surprend d’autant plus,
475 Que voilà la première.

LA SYBILLE.

ARIETTE.
Aimer sa mie,
Fêter sa fantaisie,
C’est dans la vie
Avoir rosier fleuri.
480 Mais si la chance
Fait tourner la constance,
Amour s’offense,
Rosier devient flétri,
Aimer sa mie, etc.

AZOR.

Air : Ne v’la - t’il pas que j’aime.
485 Euphrosine a su me charmer,
Mais que dois-je en attendre ?
Elle ignore qu’il faut aimer,
Et ne veut pas l’apprendre.

LA SYBILLE.

14
Quand il guette au bocage
490 Bel oiselet, (bis)
Chasseur sous le feuillage
Tend son filet.

AZOR.

Faut-il user d’adresse ?

LA SYBILLE.

Oh, oui.

AZOR.

495 Ou peindre ma tendresse ?

LA SYBILLE.

15
Oh, que nani.
Air : Mais, mais, fort singulier.
Il faut que je cache ma flamme,

LA SYBILLE.

Oh, oui vraiment.

AZOR.

Le secret pour toucher une âme
500 Serait charmant,
Quoi vous voulez que je soupire
Ainsi qu’un galant du Palais,
Voir un objet rempli d’attraits,
L’adorer et n’oser lui dire;
505 Je serais pour un Officier
Singulier,
Mais, mais fort singulier.

LA SYBILLE.

ARIETTE.
16
Dans les beaux Jardins de Cythère
Tant et tant de fleurs on peut voir,
510 Mais le doux choix qu’il convient faire
Tout amant n’en a le savoir.
Galant trop tôt devenu téméraire
Ne peut jamais qu’effrayer la beauté.
À quatorze ans pastourelle est sévère
515 Moins par raison que par timidité.

AZOR.

Air Du Confiteor.
Trop de réserve nuit souvent,
L’expérience le fait croire.
Un guerrier et timide et lent;
Toujours achète la victoire;
520 Impétueux, rempli d’ardeur.
Dès qu’il paraît il est vainqueur.

LA SYBILLE.

Air : C’est fait Minon Minette.
17
Maintes fois avec l’innocence
Amour du jeu court le hasard,
Le Dieu choisit par préférence
18
525 Joli jeu de colin-mailliard :
Met à la décence inquiète
Épais bandeau dessus les yeux,
Puis par un signe gracieux
Avertit le plaisir qui guette.
530 C’est fait minon-minette,
Tu viendras
Quand tu voudras.
Quand c’est le tour à l’innocence
Sur ses yeux met autre bandeau,
535 Laisse celui de la décence,
Même le serre de nouveau,
Avec sa main d’humeur follette,
Prends garde si l’on ne voit point,
Puis une fois sûr de ce point
540 Tout haut crie au plaisir qui guette.
C’est fait minon-minette ;
Tu viendras
Quand tu voudras.

AZOR.

ARIETTE.
Je tairai les feux que je sens,
545 Je vais me forcer au silence.
Azor vous doit l’obéissance;
Si vous l’exigez, j’y consens.
Mais mes yeux parleront peut-être,
Comment réprimer leur ardeur ?
550 De ses regards est-on le maître,
Quand on ne l’est plus de son coeur.

SCÈNE XII. La Sybille, Euphrosine, Azor. §

EUPHROSINE.

Air : Voici les Dragons qui viennent.
Prenons la fuite
Bien vite,
L’Amour est ici :
555 Il vient d’attraper Colette,
Et peut-être qu’il vous guette,
Et nous aussi.

LA SYBILLE.

Air : Ingrat Berger qu’est devenu.
Je sais que l’Amour est ici.

EUPHROSINE.

Fuyons sans plus attendre.

LA SYBILLE.

560 Restez, n’ayez aucun souci,
Je saurai vous défendre :
Fuir d’amour le charmant plaisir,
Dans sa jeunesse c’est vieillir,
ARIETTE.
J’avais pris dans un bocage
565 Oiselet charmant,
Je l’avais mis dans la cage ;
Il y devint languissant.
En vain j’animais son ramage,
Rien ne disait que tristement.
570 Mais ce matin belle fauvette
Est venue l’exciter,
Il s’est mis à chanter.
Pauvre fillette
Sans amourette
575 Languit comme mon oiselet :
19
Amant rend le coeur guilleret.

EUPHROSINE.

Air : Je vis deux oiseaux amoureux.
Mon coeur a fait choix d’un amant,
Dont l’ardeur est extrême;
Mais il a trop d’empressement
580 Pour savoir si je l’aime.

LA SYBILLE.

Eh bien avouez sans détour.
À quoi bon ce mystère.

EUPHROSINE.

Je voudrais qu’il fût mon amour ;
Et je voudrais le taire.

LA SYBILLE.

Air : Du haut en bas.
585 Sans hésiter
Laissez-le lire dans votre âme,
Sans hésiter
Donnez-lui lieu de s’en douter.

EUPHROSINE.

C’est ce qui m’embarrasse, oh Dame!
590 Et je viens sur cela Madame,
Vous consulter.

LA SYBILLE.

Air : Tout est dit.
Mais si votre amant le devine
Serez vous d’accord ?

EUPHROSINE.

Oui vraiment.

LA SYBILLE.

595 Il suffit, mais Belle Euphrosine
Puis-je parler sincèrement ?

EUPHROSINE.

Que sans détour votre bouche prononce.

LA SYBILLE.

Vous l’exigez ?

EUPHROSINE.

Oui j’attends sur cela
Votre réponse.

LA SYBILLE, lui présentant Azor.

La voilà.

AZOR.

Air : L’occasion fait le larron.
600 Belle Euphrosine hélas votre colère,
M’a trop puni de ma témérité.
Pardonnez moi si j’ai pu vous déplaire
Mon excuse est votre beauté.

SCÈNE XIII. La Sybille, Azor, Euphrosine. §

FRANCOEUR, tenant une vendangeuse par la main.

Air : À la Dragone.
Tiens touche là soyons époux,
605 Qu’avec moi ton sort sera doux,
Ma petite friponne.
Tu verras ce qu’est un amant.
Quand il fait aimer constamment,
Ratapatapan,
20
610 À la Dragone.

LA SYBILLE.

Air : Quel plaisir de s’aimer bien.
Puisque l’amour est dans ces lieux
Voulez-vous toujours être heureux,
Avoir bonheur suprême.
Engagez le vainqueur des Dieux,
615 À vous unir lui-même.
L’Amour paraît poursuivant les vendangeurs.

LA SYBILLE.

Mais quel bruit font nos vendangeurs.
Pourquoi fuir ?

EUPHROSINE.

L’Amour les poursuit.

LA SYBILLE.

Fillettes sont toujours peureuses,
Mettons cet instant à profit ;
620 Le désir doit nous rendre heureuses,
Suivez-moi toutes, approchons.
Nous l’attraperons. (bis.)
Azor et Euphrosine vont pour attraper l’Amour, ils passent par dessous un Berceau, et sont pris dans un filet, Francoeur et sa Vendangeuse dans un autre. L’Amour vient au milieu, se moque d’eux; la Sybille approche tout doucement par derrière, lui jette une Guirlande et l’enchaîne; dès qu’il est pris tous les filets je rompent, et l’Amour unit tous les amants.

LA SYBILLE.

Air : Oh, oh, oh, ah, ah, ah !
Aimez-vous bien, mes chers enfants,
Vous ne sauriez mieux faire.
625 Lorsque l’on est dans son printemps
A-t-on quelque autre affaire.
À vous voir tous aussi contents
Je crois n’être encor qu’à vingt ans.
Soyez toujours amants :
630 Rien ne plaît autant que cela
La, la.

LE CHOEUR.

Oh, oh, oh, ah, ah, ah!
La bonne Dame que voilà.
La, la.